LES ORIGINES DU SYSTÈME FÉODAL

 

[CHAPITRE XVI]. — L'IMMUNITÉ.

 

 

[Le bénéfice et le patronage sont deux pratiques d'ordre privé, nées en dehors du palais du roi et qui n'y ont pénétré que tardivement. Il nous reste à étudier une dernière institution, sortie, au contraire, de la cour royale et qui a son origine dans des actes officiels, l'immunité. Il importe de l'examiner au même titre et en même temps que les précédentes. Comme elles, en effet, ce sera une des causes actives de la transformation de l'État franc et de l'organisation du régime féodal. Si elle a une origine différente de celle du bénéfice et du patronage, elle arrive au même effet, qui est de substituer, dans les rapports entre les hommes, le lien personnel au lien légal. C'est qu'au fond bénéfice, patronage, immunité, aboutissent à la même chose. L'immunité est un beneficium, un bienfait, tout comme ces concessions de terre que nous avons plus spécialement appelées de ce nom : les diplômes désignent par ce mot l'une et l'autre classe de faveurs. De plus, l'octroi de ce bienfait a les mêmes conséquences que celui du bénéfice proprement dit. L'immuniste devient l'obligé du roi, de sujet qu'il était. Pas plus que le bénéfice ne supprime la propriété, l'immunité ne détruit l'autorité royale ; mais elle la transforme en patronage. Le propriétaire qui l'obtient du roi prend le rang de fidèle. Si la charte d'immunité peut s'appeler un bénéfice, elle peut aussi être regardée comme une charte de mainbour. C'est en se combinant sous la forme de l'immunité que les pratiques privées du bénéfice et du patronage se sont surtout développées à la cour des rois francs.]

 

1° [ÉNUMÉRATION DES DOCUMENTS].

 

Quelques mots d'abord sur nos documents. Aucun écrivain du temps, pas même Grégoire de Tours, ne parle de l'immunité. A peine le mot apparaît-il quelquefois, sans aucune explication qui nous éclaire. Elle est mentionnée dans les actes du concile d'Orléans de 511[1], dans un édit de l'un des rois qui ont porté le nom de Clotaire[2], dans une lettre de l'évêque Rauracius qui est de la première moitié du VIIe siècle[3]. Ce serait assez pour attester que la concession d'immunité est ancienne ; ce n'est pas assez pour nous apprendre en quoi consistait l'immunité. Mais nous possédons les actes eux-mêmes, c'est-à-dire les diplômes qui ont été écrits par l'ordre des rois francs et signés de leur main. Ces diplômes, en même temps qu'ils confèrent l'immunité, la définissent en termes très nets et en énumèrent minutieusement les effets[4].

Ces documents nous paraissent devoir être rangés en deux catégories, suivant qu'ils précèdent ou suivent l'avènement de Dagobert Ier.

En premier lieu, nous avons un diplôme qui est attribué à Clovis et qui paraît daté de 497[5]. On y lit que le roi franc fait donation d'une terre à Jean, fondateur du monastère de Réomé[6], et la suite de l'acte montre qu'une pleine immunité est accordée à lui et à ses successeurs sur cette terre. Si l'authenticité de cet acte était certaine, nous pourrions saisir dès le temps de Clovis tous les caractères de l'immunité mérovingienne ; mais le texte du diplôme porte les marques trop visibles d'interpolations d'une époque postérieure[7]. Il n'est probablement qu'une copie altérée et allongée d'un ancien diplôme[8]. Clovis a accordé l'immunité, mais non pas sous cette forme. Nous inclinons même à croire que deux actes s'y trouvent réunis, l'un qui est une charte de mainbour, l'autre qui est une charte d'immunité, et que ces deux actes ont été réunis et mal fondus ensemble par un successeur assez éloigné du premier concessionnaire. Nous ne regardons pas ce diplôme comme une pièce absolument fausse, mais comme une pièce très remaniée et en tout cas très postérieure à la date qui y est inscrite. Nous nous en servirons, mais comme s'il était un acte du VIIe siècle, et nous y chercherons ce qu'était l'immunité, non pas au temps de Clovis, mais deux siècles après lui.

Nous ne parlons pas du diplôme que Clovis aurait donné au monastère de Saint-Pierre-le-Vif de Sens[9] ; il est universellement regardé comme apocryphe. Une lettre du même roi, dont l'authenticité est généralement admise, nous montre Clovis donnant un domaine à Euspice et à Maximin, et assurant en même temps à ce domaine une exemption perpétuelle des impôts[10]. Ce n'est pas encore là l'immunité complète, telle que nous la verrons tout à l'heure ; mais ce qui est assez curieux, c'est que nous possédons en même temps deux diplômes relatifs à la même concession et attribués au même prince[11], qui sont plus longs que la lettre originale, et où les privilèges de l'immunité sont bien plus étendus. Le monastère n'est plus seulement exempté des impôts ; il est affranchi de toute autorité civile et ecclésiastique. Ne pouvons-nous pas croire que ces diplômes sont des copies postérieures dans lesquelles les successeurs des premiers concessionnaires ont inséré ce qu'ils ont pu ? La concession se serait ainsi développée de copie en copie.

Des fils et des petits-fils de Clovis nous possédons quatre diplômes qui touchent à notre sujet : deux de Childebert Ier et un de Chilpéric en faveur du monastère d'Anisola[12], et un de Clotaire Ier qui confirme celui que Clovis avait accordé au monastère de Réomé. Ces actes passent généralement pour authentiques, sauf quelques points de forme. Mais nous devons faire observer qu'ils sont plutôt des diplômes de mainbour que des diplômes d'immunité, bien que la clause essentielle de l'immunité s'y trouve comprise. Nous pourrons nous en servir ; mais ils ne suffiraient pas à nous éclairer. Ainsi, depuis Clovis jusqu'à la fin du Vie siècle, les documents sont peu nombreux, peu précis et peu sûrs. Ils laissent bien voir que l'immunité existait déjà, mais ils ne permettent pas d'affirmer qu'elle allât plus loin que l'exemption des impôts.

Cette dernière remarque est confirmée par la lecture de Flodoard ; ce chroniqueur écrivait au Xe siècle ; mais il avait dans les mains des diplômes qui remontaient beaucoup plus haut. Or, quand il parle de l'immunité accordée par Clovis à l'église de Reims, il est visible qu'il n'y voit qu'une exemption des impôts[13]. Il en est de même quand il parle du diplôme accordé à la même église par Childebert II[14], et ce n'est que plus tard, en parlant d'un évêque du VIIe siècle, qu'il décrit une immunité plus étendue.

Dès le VIIe siècle, en effet, les diplômes abondent, et l'immunité s'y présente dans son développement complet et avec tous les caractères qu'elle conservera pendant six siècles.

Un grand nombre de ces diplômes sont attribués à Dagobert Ier ; nous citerons seulement celui de 627 en faveur de l'église de Worms[15], celui de 652 pour l'église de Trèves[16], celui de 655 pour les matricularii de l'abbaye de Saint-Denis[17], celui de 655 en faveur du monastère de Rebais dans le diocèse de Meaux[18], celui que le même prince a donné à l'abbaye de Saint-Denis entre 631 et 637[19].

Nous trouvons ensuite deux diplômes de Clovis II, l'un pour le monastère de Saint-Maur, l'autre pour le monastère de Saint-Denis[20], deux diplômes de Clotaire III en faveur de l'abbaye de Corbie[21], quatre de Childéric II pour les monastères de Sénones, de Montier-en-Der, de Saint-Grégoire en Alsace, et pour l'église de Spire[22] ; cinq de Thierry III pour les monastères d'Anisola, de Saint-Denis, de Saint-Bertin, d'Ebersmunster en Alsace, de Montier-en-Der[23] ; deux de Clovis HI pour Anisola et pour Saint-Bertin[24] ; deux de Childebert III, dont le texte original se trouve aux Archives nationales, l'un en faveur du monastère de Saint-Maur[25], l'autre en faveur de celui de Tussonval[26] ; quatre du même prince en faveur de Saint-Serge d'Angers, des églises de Vienne et du Mans[27], et d'un couvent de femmes à Argenteuil[28] ; deux de Dagobert III en faveur du monastère d'Anisola et de l'église du Mans[29] ; un de Chilpéric II en faveur de l'abbaye de Saint-Denis, dont l'original se trouve aux Archives[30] ; un autre du même prince en faveur du monastère de Saint-Bertin[31] ; quatre de Thierry IV pour Saint-Bertin, pour Anisola, pour le couvent de Maurmunster, près de Saverne, et pour celui de Murbach[32] ; un de Childéric III pour Saint-Bertin[33] ; et enfin un de Pépin, agissant encore comme maire du palais, en faveur de l'église de Mâcon[34].

Tous ces diplômes ne sont pas d'une authenticité également certaine. Pour un très petit nombre seulement, nous possédons les originaux ; pour quelques autres, des copies du ixe ou du xc siècle. Le plus grand nombre s'est trouvé dans des cartulaires d'époque postérieure, où ils ont pu être altérés par les copistes. Mais quand même nous ne posséderions que les deux diplômes originaux de Childebert III et celui de Chilpéric II qui sont aux Archives nationales, ce serait assez de ces trois documents irréfutables pour nous faire connaître l'immunité mérovingienne. Or les autres diplômes ressemblent fort à ces trois-là et contiennent presque toujours les mêmes clauses. On peut contester certaines dates et certaines signatures ; on peut soupçonner çà et là quelques lignes ; mais tous ces diplômes forment un ensemble dont la valeur historique n'est pas contestable[35].

L'énumération que nous venons de faire donne lieu à une autre remarque. Ce grand nombre de diplômes d'immunité qui ont échappé à la destruction permet de juger de la multitude de concessions de cette nature qui ont été obtenues des rois mérovingiens. Tous les rois semblent en avoir accordé. L'immunité ne date pas de la décadence des Mérovingiens ; elle est à peu près aussi ancienne que la monarchie franque. Elle n'a pas été arrachée à la faiblesse de quelques princes : c'est de Dagobert Ier, c'est-à-dire du plus puissant et du plus absolu des rois, que nous avons le plus grand nombre de diplômes. En un mot, la concession d'immunité n'est pas un acte exceptionnel et anormal ; c'est un acte très ordinaire et très régulier dans l'administration mérovingienne.

Il y a lieu de penser qu'il en existait des formules officielles et des modèles constants, comme pour tous les autres actes, dans les bureaux du palais, scrinia palatii. Nous le reconnaissons à l'unité de style de presque tous ces diplômes. Qu'ils soient écrits en Austrasie ou en Neustrie, c'est toujours le même langage, la même phraséologie soignée et arrêtée, c'est surtout le même fond.

Nous n'avons pas ce formulaire de la chancellerie royale. Mais le moine Marculfe a composé, au vne siècle, un recueil des formules qui étaient employées, soit au tribunal du palais, soit dans les tribunaux des comtes, in palatio aut in pago. Parmi les premières, il en insère six qui sont des formules d'immunité[36]. Ces formules, que Marculfe a copiées sur un grand nombre d'actes, ont la même valeur que les diplômes eux-mêmes dont elles sont l'image, et elles se trouvent en effet conformes, dans tous leurs traits essentiels, aux diplômes royaux que nous citions tout à l'heure.

Tels sont nos documents. Insuffisants pour le vie siècle, ils sont pour le vue très nombreux. Ils sont, dans leur ensemble, authentiques et presque officiels. Toutefois nous devons faire observer que tous ces documents sont d'une seule nature et d'une seule sorte. Or l'historien n'est vraiment maître d'un sujet que lorsqu'il possède sur ce sujet des documents de nature diverse. Il lui faut des sources divergentes et parfois opposées. Cela est surtout vrai pour celui qui étudie les institutions ; il a besoin de documents qui le renseignent sur l'état légal, et d'autres documents qui lui laissent voir l'état réel, avec toutes les diversités et les nuances de l'application. Voyez quelles idées fausses quelques-uns se font de la société franque quand ils la jugent d'après les seuls textes législatifs. Si l'on veut connaître les différentes faces d'une même société, d'une même institution, il faut faire sortir la lumière des documents les plus contradictoires. C'est pourquoi nous voudrions posséder, côté des diplômes et des formules qui nous présentent les formes légales de l'immunité, quelques phrases d'historiens ou d'annalistes, quelques lettres, quelques anecdotes qui nous fissent voir ce qu'elle était dans la pratique. C'est l'absence de textes de cette nature qui fait la difficulté du sujet et la limite de notre étude[37].

 

2° [DES CAUSES QUI ONT PU CRÉER L'IMMUNITÉ].

 

Avant d'entrer dans l'étude directe de l'immunité, il est utile de jeter un coup d'œil sur le gouvernement des rois francs et leur administration. On y verra au milieu de quelles circonstances l'immunité s'est produite, et l'on y discernera peut-être les causes qui l'ont engendrée.

Le gouvernement des successeurs de Clovis était la monarchie absolue. La royauté était héréditaire et se partageait entre les fils comme un domaine. Les nombreux écrits qui dépeignent la vie du temps ne nous montrent jamais rien qui ressemble à des assemblées nationales. Nous y voyons souvent des guerriers réunis, mais nous n'y voyons jamais un peuple qui délibère. La royauté franque était sans limites légales.

Le roi réunissait dans ses mains tous les pouvoirs. Il était le juge suprême de tous les hommes du royaume, sans distinction de races. Entouré de hauts fonctionnaires du palais, il vidait les procès et punissait les crimes. Il condamnait à la prison, à la confiscation des biens, à la mort. On le voit même assez souvent frapper de mort un accusé, gaulois ou franc, sans aucune forme de jugement, et aucune protestation n'indique qu'on crût qu'il outrepassait son droit. Soit que, comme Chilpéric, il multipliât les condamnations afin de s'enrichir par la confiscation des biens des condamnés, soit que, comme Dagobert, il jugeât avec tant d'équité qu'il frappait les grands de terreur et remplissait les pauvres de joie, dans l'un et l'autre cas il était le grand juge du royaume[38].

Il percevait des impôts et en fixait lui-même le chiffre[39], sans que nous voyions jamais qu'un peuple fût consulté sur cette matière. Il commandait l'armée et ordonnait à son gré les levées militaires. Tous les sujets, sans distinction de races, prenaient les armes sur son ordre et se portaient où il voulait[40]. Il faisait à son gré la guerre ou la paix, obligé sans doute de plaire à ses guerriers et surtout de satisfaire leur cupidité, mais n'ayant jamais à consulter une nation ou une assemblée sur la guerre à entreprendre ou le traité à conclure.

Telle fut la royauté mérovingienne jusqu'à la fin. Même sous les rois que depuis on a appelés, à tort ou à raison, les rois fainéants, la royauté ne fut pas moins absolue. Il y eut plus de désordres, plus d'ambitions autour du trône, plus de révoltes ; il n'y eut pas plus de liberté. On fit et l'on défit des rois dans des guerres civiles ; nul ne paraît avoir songé à fonder des institutions libres ou à amoindrir légalement la royauté.

Pour se faire obéir dans les provinces, cette royauté avait à sa disposition tout un corps administratif qu'elle tenait de l'Empire romain. Loin de le supprimer, elle le développa. Elle augmenta le nombre des agents du pouvoir. Elle eut ses duces et ses comites, à peu près comme l'Empire ; elle eut de plus des vicarii, des tribuni, des centenarii[41]. Cela fit un réseau qui couvrit tout le royaume et qui rendit la royauté présente dans les moindres cantons. Les ducs et les comtes étaient nommés par le roi et pouvaient être révoqués par lui[42]. Les vicaires, tribuns et centeniers paraissent avoir été nommés par les comtes, dont ils étaient les délégués[43]. Les ducs et les comtes recevaient directement les ordres du roi ; les vicaires et centeniers recevaient les ordres du comte. Tous représentaient l'autorité royale vis-à-vis des populations.

Le terme général dont on désignait les membres de cette vaste hiérarchie administrative, était, celui de judices. Ce terme venait de l'Empire romain, où il avait désigné les gouverneurs des provinces. Il resta usité dans toute la période mérovingienne. Quand nous rencontrons le mot judex dans les lois ou dans les textes historiques, il ne faut pas croire qu'il s'agisse simplement d'un magistrat de l'ordre judiciaire, moins encore d'un homme privé qui serait investi temporairement du droit de juger. Le judex est un duc, un comte, un vicarius ou un centenier, c'est-à-dire un agent de l'administration[44]. Les textes l'appellent souvent judex publicus, ce qui ne signifie pas autre chose que juge royal ou agent royal. Les rois disent indifféremment judices publici ou judices nostri. Les mêmes hommes sont désignés par les mots agentes nostri, nos agents, les agents du roi, de même que les évêques ont leurs agents ou intendants, agentes episcoporum, de même que les riches propriétaires ont leurs agents qui administrent leurs domaines, agentes potentum. Ces termes, appliqués aux ducs, comtes et centeniers mérovingiens, correspondent, exactement à l'expression d'officiers du roi qu'employait le XVIIe siècle. Dans notre langue actuelle, le mot qui s'approche le plus pour le sens du terme judices de la langue mérovingienne, est celui de fonctionnaires.

Ces hommes étaient chargés d'administrer les cités et les cantons, au nom du roi et pour son service. Ce qu'on entendait alors par administration, ce n'était pas le soin de veiller sur les intérêts moraux ou matériels des populations, d'entretenir des routes ou des écoles. L'administration, judiciaria potestas[45], comprenait la police, la justice, la perception des impôts, la levée et le commandement des soldats[46]. Tout cela était réuni dans les mains du même fonctionnaire. Dans la circonscription que le roi lui confiait, il était à la fois l'administrateur, le juge, le receveur des impôts et le chef militaire. Dans chacune de ces attributions, il agissait à sa guise et comme maître, n'ayant de comptes à rendre qu'au roi. Les documents ne montrent jamais qu'il existât à côté de lui aucun pouvoir légal pour restreindre son autorité ou contrôler ses actes. Nous apercevons bien que dans la pratique il avait besoin de ménager les grands propriétaires du canton et surtout les évêques ; mais nous n'apercevons jamais qu'il y eût rien à côté de lui qui ressemblât à une assemblée provinciale ou cantonale. Contre ses actes arbitraires, la population n'avait qu'une ressource, le recours au roi ; mais on conçoit que cette ressource ne fût permise qu'aux plus grands et aux plus riches ; d'autant plus qu'une foule d'exemples nous donnent à penser que, pour obtenir d'être jugé par le roi, il fallait avant toute chose lui offrir des présents[47]. Le duc, le comte, le centenier pouvait donc être un petit tyran local. Il pouvait, opprimer comme juge, opprimer comme receveur des impôts, opprimer comme chef militaire[48]. L'omnipotence du comte était d'autant plus grande que tous les fonctionnaires intérieurs étaient choisis par lui et par conséquent à sa dévotion. C'est ce qui ressort bien de cette prescription du roi Gontran qui défend aux comtes de choisir pour vicaires ou de déléguer dans les diverses parties du comté des hommes qui, par vénalité, soient de connivence avec les malfaiteurs[49].

Quant aux comtes eux-mêmes, leur cupidité était pour ainsi dire excusable. Ils avaient acheté, le plus souvent, leur fonction au roi[50]. Comme d'ailleurs ils ne recevaient aucun traitement, et qu'ils n'avaient, pour s'enrichir et pour entretenir leur nombreuse suite, qu'une part des amendes judiciaires et des produits fiscaux, ils avaient intérêt à ce que la justice lût très sévère, les impôts très lourds, le service militaire [Fès rigoureux. Tous les abus de pouvoir étaient pour eux des profits.

On peut voir dans Grégoire de Tours une série de traits qui montrent l'avidité et la violence de presque tous ces personnages, à qui les évêques seuls osaient tenir tête[51]. Nous avons une lettre d'un évêque qui redoute pour ses terres et pour ses esclaves les déprédations des fonctionnaires[52]. Ce que les rois eux-mêmes pensaient d'eux, nous pouvons le lire dans leurs ordonnances. Clotaire Ier parle du comte qui condamne injustement[53]. Gontran croit nécessaire de prescrire à ses comtes de ne rendre que de justes jugements, et il craint que leurs vicaires ne prêtent la main aux criminels et ne s'enrichissent de dépouilles injustes[54]. Un autre roi menace de la peine de mort les fonctionnaires qui, par cupidité, relâcheraient les coupables[55]. Dans leurs diplômes, on voit sans cesse les rois défendre à leurs agents de dérober[56], d'usurper la terre d'autrui[57], de susciter d'injustes procès[58]. D'après ce que les rois pensaient de leurs propres officiers, nous pouvons juger ce qu'en pensaient les peuples.

En résumé, puissance absolue et illimitée du roi dans le royaume, du fonctionnaire dans sa circonscription, nulle borne légale ni pour l'un ni pour l'autre, nul droit assuré aux populations contre leurs gouvernants à tout degré, le fonctionnaire apparaissant aux hommes, non comme un protecteur, mais comme un spoliateur qui ne peut s'enrichir qu'à leurs dépens, voilà les faits qui précèdent et entourent l'immunité, qui peut-être l'engendrent. C'est de ce milieu qu'elle surgit. Nous reconnaîtrons, en effet, dans la suite de cette étude, que ce privilège personnel ne pouvait naître que dans un régime où les libertés publiques faisaient défaut.

 

3° [DES CARACTÈRES DE L'IMMUNITÉ].

 

Le plus sûr moyen de nous faire une idée exacte de l'immunité est d'analyser l'un des documents qui la définissent de la façon la plus complète. Prenons la formule qui, dans le recueil de Marculfe, porte le n° 5. On peut la regarder comme le type le plus usité de ce genre de concession au VIIe siècle.

En voici d'abord le préambule : Nous croyons donner à notre autorité royale toute sa grandeur, si nous accordons, d'une intention bienveillante, aux églises — ou à toute personne — les bienfaits qui leur 'conviennent, et si, avec l'aide de Dieu, nous en faisons un écrit qui assure la durée de nos faveurs. Nous faisons donc savoir à Votre Zèle que, sur la demande de l'homme apostolique, seigneur un tel, évêque de telle église, nous lui avons accordé, en vue de notre récompense éternelle, la faveur suivante[59]. Ce préambule n'est pas sans importance, et il faut l'étudier presque mot par mot.

Nous croyons. C'est manifestement le roi qui parle. Tous nos diplômes, en effet, commencent par le nom du roi et par ses deux titres officiels, Rex Francorum, vir illuster. Il est digne de remarque que tous les diplômes d'immunité émanent du roi directement, et du roi seul. Jamais l'immunité n'est accordée par un duc ni par un comte. Elle est exclusivement un acte royal. Il n'est jamais dit non plus qu'elle soit concédée sur l'initiative ou le conseil d'un de ces hauts fonctionnaires. Le consentement des grands de la cour, qui semble nécessaire pour d'autres actes, n'est jamais mentionné dans ceux-ci[60]. Le roi est le seul auteur de la concession.

Nous remarquons, en second lieu, que cette concession se produit toujours sous la forme d'un acte officiel. Elle ne se fait pas verbalement ou par simple lettre. L'acte est une véritable ordonnance royale. On l'appelle une auctoritas ou un præceptum[61]. Ne supposons pas que cet acte soit rédigé par l'évêque intéressé, apporté tout fait par lui, présenté par lui à la signature royale. Il est rédigé dans les bureaux du palais, et présenté au roi par le référendaire, qui y appose son nom comme pour en conserver la responsabilité[62]. Puis il est signé du roi et scellé de l'anneau royal comme tout autre décret[63].

Si nous accordons, d'une intention bienveillante, des bienfaits aux églises. Cette phrase de la formule n'est pas un pur ornement, une élégance de chancellerie. Elle a, à notre avis, une grande importance. Elle signifie que la concession est absolument bénévole de la part du roi. On peut voir, en effet, dans tous les diplômes, que l'immunité n'est jamais présentée comme mi droit des églises. Elle est toujours une faveur, beneficium[64]. Elle émane de la seule bonté du roi, ex nostra indulgentia, ex nostra munificentia[65]. Les rédacteurs des actes multiplient à dessein les expressions qui marquent l'initiative propre du roi et sa volonté d'accorder un bienfait[66]. Souvent le roi donne comme motif de ce bienfait sa piété ou le soin de son salut[67]. Il écrit, par exemple : Pensant au salut de notre âme et à la récompense éternelle, nous avons décidé[68]. Ces phrases sont là, à notre avis, pour signifier que le roi agit de son plein gré, sans pression ni obligation d'aucune sorte, surtout sans aucun motif d'ordre temporel. L'immunité n'est toujours, d'après la formule acceptée de tous, qu'une faveur.

Aussi lisons-nous, deux lignes plus loin, dans la formule de Marculfe : A la demande de tel évêque, nous avons accordé. Il faut bien que ce mot demande ait eu une grande importance, car nous le trouvons dans tous les diplômes[69]. Nous saisissons encore ici l'un des caractères de la concession d'immunité : il faut qu'elle ait été réellement et expressément demandée par le concessionnaire, et le diplôme ne manque pas de constater que cette condition a été remplie[70]. Ainsi Childebert Ier écrit que Cariléphus, premier abbé de Saint-Calais, lui a adressé une demande, postulavit[71]. Dagobert écrit que l'évêque Modoald lui a adressé une prière, deprecatus fuit, ou que l'abbé Aigulfe a supplié sa bonté royale, dementiain regni nostri supplivatit[72]. Au siècle suivant, Chilpéric II se sert encore des mêmes expressions[73]. Quelquefois on ajoute que la demande a été faite humblement[74].

La règle ordinaire était que la demande fût adressée par le pétitionnaire en personne ; ainsi l'évêque ou l'abbé devait se présenter lui-même devant le roi[75]. Pourtant il n'est pas sans exemple que l'évêque ou l'abbé transmît sa demande par des envoyés[76]. Cette obligation de se présenter en solliciteur devant le roi, ou tout au moins de lui envoyer une supplique, me paraît digne d'attention. Menus détails, dira-t-on peut-être, et pures formes ; mais c'est l'ensemble de ces détails et de ces formes qui nous donnera l'explication de l'immunité.

Si nous accordons des bienfaits aux églises — ou à toute personne, aut cui volueris dicere. Ces derniers mois forment dans le texte de Marculfe une parenthèse. Comme il écrit une formule qui doit pouvoir s'appliquer à plusieurs sortes de concessionnaires, il avertit son lecteur ou le praticien pour lequel il écrit que le mot églises devra être remplacé par un autre terme, si ce n'est pas une église qui est, concessionnaire. Cette parenthèse de Marculfe est significative : elle marque que la concession pouvait être faite à des personnes de toute sorte, cui voluerris.

Il est vrai que tous les diplômes d'immunité qui nous sont parvenus des Mérovingiens s'appliquent à des évêchés ou à des monastères. Il n'en faut pas conclure que la concession n'ait jamais élé faite à des laïques. L'Église savait garder ses chartes et les faisait renouveler à chaque génération ; les grandes familles laïques gardaient moins bien les leurs, et d'ailleurs ces familles se sont éteintes. Ce qui prouve que l'immunité pouvait être accordée à d'autres qu'à des clercs, c'est que nous trouvons dans. le recueil de Marculfe la formule de l'immunité accordée à un laïque[77]. L'acte est rédigé avec moins de détails que lorsqu'il s'agit d'une église ; mais les traits essentiels et caractéristiques de l'immunité s'y rencontrent. Nous avons aussi la formule de renouvellement d'immunité en faveur des laïques, ad seculares viros, et nous pouvons remarquer qu'elle est exactement sur le même type que les formules de renouvellement qui concernent l'Église[78]. La différence la plus notable est que le roi donne pour motif de son bienfait, non plus sa piété et le salut de son âme, mais la fidélité du concessionnaire[79].

Quelques autres documents confirment ces deux formules. Dans la Vie de saint Éloi, écrite par un contemporain qui était fort au courant des usages de la cour mérovingienne, nous voyons que l'immunité fut accordée à un domaine de ce personnage alors qu'il était encore laïque[80]. Dans un acte de donation fait par Harégarius et sa femme Truda, nous lisons. que le domaine de ces deux laïques jouissait d'une pleine et entière immunité[81]. Plus tard, au IXe siècle, nous verrons des diplômes d'immunité qui sont accordés, non plus seulement à de grands seigneurs propriétaires, mais à des marchands et même à des Juifs. On doit cloné admettre que l'immunité n'était pas réservée aux églises et aux abbayes. Elle pouvait titre accordée à toute classe de personnes.

Nous faisons savoir à Votre Zèle, noverit Solertia Vestra. Ces mots de la formule de Marculfe sont ceux dont les rois se servaient quand ils s'adressaient à leurs fonctionnaires. Nous retrouverons les mêmes termes Oui des termes analogues dans tous les diplômes. Dans la langue de-ce temps, on disait au roi : Vestra Sublimitas, Vestra Gloria ; aux évêques, Vestra Sanctitas ; aux fonctionnaires du premier rang, Vestra Magnitudo, aux fonctionnaires du second ordre, Vestra Industria, Vestra Solertia, Vestra Utilitas. Ces trois mots de la formule de Marculfe nous indiquent donc que la lettre royale est adressée à des fonctionnaires publics. Cela est d'ailleurs confirmé par les mots non præsumatis qui se trouvent plus loin. Il en est ainsi de tous nos diplômes. La plupart ont encore la phrase initiale que Marculfe a omise : Un tel, roi des Francs, aux ducs, comtes, vicaires, centeniers, et à tous nos agents[82]. Dans les diplômes où cette phrase a été omise par les copistes ou a disparu, on rencontre dans le texte les. mots cognoscat Magnitudo seu Utilitas Vestra, qui indiquent clairement que le roi s'adresse à ses fonctionnaires[83]. Il est digne de remarque que le roi, quand il accorde l'immunité à un personnage, n'adresse jamais. sa lettre à ce personnage. Il parle toujours, comme dans, toute ordonnance royale, aux agents de son administration[84]. Il est vrai que c'est au concessionnaire que l'exemplaire original était remis[85] ; il n'est pas bien sûr que des copies en fussent envoyées aux ducs et aux comtes ; je doute même qu'on en conservât copie dans les archives du roi[86]. Il n'en est pas moins vrai que la concession d'immunité avait toujours la forme, non d'une lettre adressée au privilégié, mais d'un ordre prescrit aux fonctionnaires royaux ; et nous verrons aussi que c'étaient eux que l'acte visait.

Nous avons encore à faire une remarque sur cette phrase de la formule de Marculfe : À la demande de l'homme apostolique, seigneur un tel, évêque de telle église, nous avons accordé la faveur suivante. On reconnaît bien ici que la concession est donnée nommément à l'évêque. Elle s'applique, il est vrai, à toutes les terres et domaines appartenant à son église. Mais ce n'est pas la terre d'église qui obtient l'immunité, c'est l'évêque. Si ces terres deviennent privilégiées, ce n'est pas parce qu'elles sont des biens ecclésiastiques, mais seulement parce que l'évêque, qui en est le propriétaire, légal, a adressé une prière et a sollicité une faveur. Ce Irait ne doit pas être négligé. Nous le rencontrons dans tous nos diplômes sans exception. Dans toute concession d'immunité, nous trouvons un nom propre, nom d'évêque ou d'abbé, et c'est toujours sur ce nom que porte la concession. Il n'y a jamais d'immunité collective. L'immunité n'est jamais accordée à l'ensemble des biens ecclésiastiques[87], ni même à plusieurs églises par le même diplôme, ni à plusieurs monastères à la fois, ni à une classe d'hommes, ni à une race, ni à une région. Elle est toujours accordée à une personne, et il faut toujours que cette personne soit nommée dans l'acte.

L'immunité avait ainsi le caractère d'une faveur tout individuelle. Était-elle viagère ou perpétuelle, c'est cc qu'il est assez difficile d'établir. D'une part, les diplômes sont, remplis d'expressions qui impliquent la perpétuité. Nous voulons que notre bienfait profite à toujours à celle église[88]. Nous voulons que notre décret dure à perpétuité, dans toute la suite des rois qui nous succéderont[89]. Presque toujours, on ajoute au nom de l'évêque les mots et ses successeurs. On écrit encore que les avantages de l'immunité s'étendront aux domaines que l'église ou le monastère acquerra dans l'avenir[90]. Que serait cette clause si la concession ne devait pas durer toujours ?

Mais, d'autre part, la série des diplômes nous montre que l'on faisait renouveler l'acte à chaque génération. Était-ce une obligation stricte, on ne saurait le dire ; c'était certainement un usage. L'immunité accordée au premier fondateur du monastère de Saint-Bertin a été renouvelée huit fois en l'espace d'un siècle[91]. Or les nombreux diplômes confirmatifs que nous possédons, ainsi que les formules qu'en donne Marculfe[92], montrent par leur teneur qu'il ne s'agissait pas d'une pure formalité, que les rois ne se croyaient pas obligés de renouveler la concession, qu'ils exigeaient qu'on leur adressât une nouvelle demande et qu'ils s'exprimaient comme s'ils accordaient une nouvelle faveur[93]. Ainsi l'abbé Bertin eut à demander quatre fois l'immunité, parce qu'il vécut sous quatre rois ; son successeur Erkembod l'obtint une première fois de Chilpéric II en 718, et dut la demander, à trois ans d'intervalle, à Thierry IV ; d'où l'on peut conclure, il ce qu'il semble, que la concession, pour être valable, devait être renouvelée à la mort du roi qui l'avait accordée. Une remarque en sens contraire peut être faite sur les chartes du monastère d'Anisola ; on y voit le même roi, Childebert Ier, accorder successivement deux diplômes d'immunité[94] ; c'est qu'il y a eu deux abbés, Cariléphus d'abord, puis Daumerus. D'où il semble naturel de conclure que le privilège avait besoin d'être renouvelé, non seulement à la mort du roi qui l'avait signé, mais aussi à la mort du concessionnaire qui l'avait reçu.

Ainsi, d'une part, l'acte contient des ternies qui indiquent que la concession est perpétuelle ; d'autre part, on demande sans cesse le renouvellement, de la concession, comme si elle était viagère. Cette contradiction n'étonnera pas ceux qui sont familiers avec l'époque mérovingienne. Ce roi qui accorde veut que son bienfait dure à perpétuité ; mais le roi qui le suit tient à marquer que l'immunité ne dure que parce qu'il la renouvelle. D'après la lettre des diplômes, l'immunité est perpétuelle, d'après la pratique, il semble bien qu'elle soit révocable. Il est vrai que nous ne voyons pas souvent que le roi reprenne la concession faite par ses prédécesseurs[95] ; mais, à voir le soin des évêques et des abbés à faire renouveler les diplômes, on reconnaît que l'idée qui régnait dans les esprits était, qu'il pouvait la reprendre. La raison de cela s'aperçoit bien si l'on fait attention à la teneur des diplômes. Nous n'y lisons pas que la concession ait été accordée parce que les terres sont des terres d'église ; cette raison n'est jamais donnée ; elle a été accordée uniquement parce qu'elles appartiennent à tel évêque ou à tel abbé qui a personnellement demandé la concession. L'immunité est par essence une faveur, un beneficium ; elle vient après une requête, petitio, preces, qui a été personnelle ; il semble naturel aux hommes qu'elle soit personnelle aussi. Que la personne meure, on se demande aussitôt si la faveur se continue ; on doute ; et dans le doute on renouvelle la requête, et le roi renouvelle la faveur. Il n'est pas inutile de signaler ces idées et ces pratiques ; elles sont un des traits caractéristiques des mœurs du temps, et elles ne sont pas sans rapport avec les idées féodales qui commencent déjà à poindre dans les esprits.

Nous en avons fini avec le préambule de la formule de Marculfe. Nous y avons déjà saisi quelques-uns des caractères de l'immunité : 1° elle est un acte exclusivement royal ; 2° elle doit émaner de la libre volonté du roi, que le concessionnaire a dû préalablement solliciter ; 3° elle se produit sous la forme d'une ordonnance, que le roi adresse, non au concessionnaire, mais aux fonctionnaires et agents de son administration ; 4° elle n'est jamais accordée collectivement à un clergé, à une caste, à une classe ; elle est toujours le privilège d'une personne, soit que cette personne représente un évêché ou un monastère, soit qu'il ne s'agisse que d'un individu laïque ; 5° cette concession conserve toujours la forme d'un pur bienfait, et n'est perpétuelle que par le renouvellement qu’on en fait à chaque décès du concédant ou du concessionnaire ; l'immunité ne devient jamais un droit.

Tels sont les caractères, pour ainsi dire extérieurs, de l'immunité. Nous pouvons chercher maintenant quels en étaient les caractères intimes, en quoi elle consistait, de quels privilèges et de quels avantages elle se composait.

 

4° [L'ENTRÉE DU DOMAINE EST INTERDITE AUX FONCTIONNAIRES PAR L'IMMUNITÉ].

 

Voici la suite de la formule donnée par Marculfe[96] : La faveur que nous accordons est telle, que dans les domaines de l'église de cet évêque, tant dans ceux qu'elle possède aujourd'hui que dans ceux que la bonté divine lui fera acquérir dans la suite, aucun fonctionnaire public ne se permette d'entrer, soit pour entendre les procès, soit pour exiger les freda, de quelque source qu'ils viennent, mais que cela appartienne à l'évêque et à ses successeurs en toute propriété. Nous ordonnons en conséquence que ni vous, ni vos subordonnés[97], ni ceux qui viendront après vous, ni aucune personne revêtue d'une fonction publique, vous n'entriez jamais dans les domaines de cette église, en quelque endroit de notre royaume qu'ils soient situés, ni pour entendre les procès, ni pour percevoir les amendes. Nous vous défendons d'oser y exiger le droit de gîte et les prestations, ainsi que d'y saisir des répondants.

Dans cette page où chaque mot a son importance, il y a deux lignes qui dominent tout le reste, et dont il faut parler d'abord : Nous accordons qu'aucun fonctionnaire public ne se permette d'entrer sur ces terres.... Nous vous défendons, à vous, nos agents, de mettre le pied sur ces domaines. C'est ici que se trouve le trait principal et ce qui fait le fond de l'immunité. Toutes les autres clauses peuvent être supprimées ou sous-entendues, et elles le sont en effet dans beaucoup de diplômes ; mais la clause qui interdit aux fonctionnaires l'entrée du domaine se trouve dans tous nos actes. Il n'y a pas d'immunité sans elle.

Cette interdiction est exprimée dans les chartes sous deux formes légèrement différentes. Tantôt le roi emploie la forme indirecte et dit qu'aucun agent de l'ordre administratif, nullus judex publicus, neque quilibet judiciaria potestate accinctus, n'entrera sur les domaines privilégiés[98]. Tantôt il emploie la forme directe, et s'adressant à ses ducs et, à ses comtes, il leur dit : Ni vous ni vos agents, neque vos neque juniores vestri, vous n'entrerez sur ces domaines[99]. Nous trouvons la première forme dans dix-sept de nos diplômes, la seconde dans vingt-deux. Toutes les deux expriment la même chose avec la même netteté et la même force : non præmaudis ingredi ; nullus judex publicus ingredi audeat ; judices publici non habeant introitum[100].

Il arrive quelquefois que le rédacteur du diplôme l'abrège et omette tous les détails que nous avons vus dans la formule de Marculfe. Il se contente alors d'écrire que telle église, tel monastère ou tel laïque, possédera ses domaines en pleine immunité, sans que les officiers royaux y puissent entrer, absque introitu judicurn. Toute l'immunité est comprise dans ces trois mots[101].

Quelques érudits ont pensé que les rois, en accordant l'immunité, renonçaient pour eux-mêmes à tome autorité sur les domaines de l'immuniste. Pour appuyer cette doctrine, on a dit que les diplômes portaient, non pas neque vos neque juniores aut successores vestri, mais neque nos neque juniores aut successores nostri. Il est visible que ce seul changement de trois lettres transforme le sens de la phrase et même du diplôme tout entier. Dans un cas, l'interdiction s'adresse seulement aux agents du roi ; dans l'autre, le roi s'interdit à lui-même l'entrée des terres privilégiées. M. Boutaric, dans un essai trop rapide sur les origines du régime féodal, cite, en effet, une charte où se lisent les mots nos et nostri, et il en conclut que les rois renonçaient à toute autorité[102].

Il est regrettable que M. Boutaric ait choisi pour type de l'immunité la seule charte où les mots nos et nostri se rencontrent, et sans nous avertir qu'elle soit la seule. Dans toutes les autres, ce sont les mots vos et vestri que l'on trouve[103]. D'ailleurs, ce diplôme de Dagobert Ter est suspect ; l'exemplaire qu'on en possède aux Archives nationales n'est qu'une copie, et cette copie n'est pas antérieure au ixe siècle. Ajoutons que, de cette même charte de Dagobert en faveur de l'abbaye de Saint-Denis, nous avons cieux textes légèrement différents ; Pardessus les a insérés tous les deux dans son recueil, en nous prévenant que le premier est suspect et le second plus suspect encore[104]. Or le premier porte neque vos neque successores vestri, et c'est seulement le second qui porte nos et nostri. Quel fond peut-on faire sur un document de si peu d'authenticité, quand tous les autres documents lui sont contraires ? On a aux Archives nationales quatre diplômes d'immunité, qui ne sont pas des copies, mais qui sont, paraît-il, les originaux eux-mêmes[105] ; tous les quatre portent les mots vos et vestri, et ce sont eux aussi que nous lisons dans tous les autres diplômes comme dans les formules de Marculfe[106]. Ce qui est d'ailleurs décisif, c'est que la moitié des diplômes emploient la forme indirecte, nullus judex publicus, ce qui ne permet aucune contestation[107].

Cette discussion pourra paraître peu utile. Pour les hommes de nos jours, il est assez indifférent crue l'interdiction concerne le roi, ou qu'elle concerne les agents du roi ; ce serait la même chose aujourd'hui. C'étaient deux choses fort différentes, et nous le constaterons plus loin, pour les hommes du VIIe ou du VIIIe siècle. Or l'intelligence historique consiste à comprendre ces différences d'idées, et l'exactitude à les signaler.

Le sens de l'immunité n'est donc pas que le roi s'interdit à lui-même l'entrée des domaines du concessionnaire, mais qu'il l'interdit à ses ducs, comtes et autres agents de son administration[108]. Elle a pour effet de soustraire les domaines privilégiés, non pas précisément à l'autorité royale, mais à l'autorité de tous les officiers royaux. C'est contre ceux-ci qu'elle est faite[109]. Assurer l'immuniste contre eux est la grande préoccupation qui paraît régner dans l'esprit des auteurs des diplômes : Nous ne voulons pas, disent-ils, qu'aucun fonctionnaire public soit contraire à ce que nous accordons[110]. Nous ne voulons pas qu'aucun fonctionnaire fasse obstacle ou mette empêchement à notre bienfait[111]. Nous ne voulons pas que cette église ait à redouter aucune oppression, aucun procès injuste, aucune usurpation de la part de nos officiers'[112]. Cela est répété sous toutes les formes. La méfiance du roi à l'égard de ses fonctionnaires perce dans .toutes nos chartes. Pour être plus sûr qu'ils n'opprimeront pas, il leur interdit toute action. Pour être certain qu'ils n'agiront pas, il leur interdit jusqu'à l'accès et l'entrée des maisons, terres, champs et domaines du privilégié. L'immunité ne se borne pas à donner quelque sécurité et quelque droit vis-à-vis du fonctionnaire royal ; elle écarte et exclut le fonctionnaire[113].

 

5° [DE LA DÉFENSE DE JUGER CONTENUE DANS L'IMMUNITÉ].

 

Après avoir signalé le point capital de la formule d'immunité, nous reprenons dans le détail l'analyse de cette formule. Nous y verrons quels étaient les pouvoirs d'un officier du roi, et quelle était l'étendue d'une immunité qui consistait à être soustrait à ces pouvoirs.

Le fonctionnaire public, est-il dit, n'entrera sur aucun des domaines de l'immuniste pour entendre les procès. Voilà le point qui est marqué le premier dans les formules et dans tous les diplômes. Les expressions employées sont très claires ; la formule dit ad causas audiendas[114], et plus loin elle emploie comme synonymes les mots ad audiendas altercationes. La première des deux expressions était la plus usitée ; nous la trouvons dans vingt-cinq de nos diplômes[115]. Deux autres emploient les mots ad judicandum, ad agendum[116], qui sont visiblement synonymes. Il y en a trois qui expriment la même idée par le mot condemnare[117].

On sait par une série d'autres documents que les ducs et les comtes, représentants du roi, ainsi que leurs subordonnés, vicaires et centeniers, rendaient la justice aussi bien au civil qu'au criminel[118]. C'est l'exercice de ce pouvoir judiciaire qui leur est interdit par la charte d'immunité.

Ici se pose naturellement une question : Est-il possible que l'immunité exempte le concessionnaire de toute juridiction et fasse disparaître pour lui toute justice publique ? Quelques érudits ont reculé devant cette conclusion, qui choque en effet toutes les idées modernes. Tout récemment, M. Prost a essayé de ce passage de nos diplômes une autre explication[119]. Suivant lui, l'expression audire causas ne signifie pas juger ; elle signifie seulement écouter les débats ; elle s'applique à un comte ou à un centenier qui tiendrait les plaids, et qui présiderait un tribunal populaire dont il ne ferait .qu'exécuter la décision. Partant de là, M. Prost croit que la charte d'immunité interdit seulement au comte de tenir le plaid, c'est-à-dire de réunir le peuple dans l'intérieur des domaines privilégiés ; elle ne lui interdit pas de réunir le plaid en dehors et à côté de ces domaines et d'y appeler l'immuniste ou ses hommes pour juger leurs procès et punir leurs délits. D'après cette interprétation, la juridiction du comte resterait entière ; seulement elle ne s'exercerait qu'à distance. Tout le privilège se bornerait à n'avoir pas le juge chez soi.

Les textes ne justifient Pas cette interprétation. Les diplômes et les formules n'ont pas un mot qui implique que les habitants du domaine devront se rendre au tribunal du comte. Non seulement cela n'est jamais dit, mais nous verrons tout à l'heure certaines clauses de nos diplômes qui empêchent le comte d'appeler devant lui les hommes du domaine. A quoi eût-il servi d'ailleurs à l'immuniste d'être exempté d'avoir le juge chez lui, s'il eût été tenu d'aller se présenter devant ce même juge et de lui amener ses hommes ?

Nous ferons remarquer aussi que, dans la langue mérovingienne, l'expression audire causas signifie juger. Elle se dit de celui qui, après avoir entendu les débats, décide et prononce. Les textes ne laissent aucun doute sur ce point[120]. Aussi nos diplômes emploient-ils quelquefois comme terme synonyme le mot judicare ou le mot condenmare.

Observons enfin que nos formules et nos diplômes d'immunité ne parlent pas une seule fois de plaids. Ils ne disent pas au comte : Vous ne réunirez pas le peuple. Ils ne disent pas au peuple : Vous ne vous assemblerez pas. Ils disent, s'adressant au comte : Ni vous ni vos agents, vous n'entrerez pour juger sur ces domaines. Toutes ces chartes, qui pourtant appartiennent à tous les règnes et à toutes les provinces de l'État franc, n'ont pas un seul mot sur le plaid populaire. Elles ne le connaissent pas. Le seul juge qu'elles connaissent est le comte, ou bien son vicaire et ses centeniers.

C'est donc ce droit de juger, et de juger seul, qui est enlevé an comte par l'immunité. Flodoard, qui avait sous les yeux les vieux diplômes accordés à l'église de Reims, exprime cette clause de la manière la plus nette quand il dit qu'ils interdisaient aux fonctionnaires royaux d'entrer sur les terres de cette église et de faire des jugements, judicia facere[121].

Mais il faut nous demander s'il s'agit de toute espèce de jugements. Remarquons d'abord que, si la juridiction du comte est supprimée, celle du roi ne l'est pas. On conçoit en effet que, lorsque l'évêque, l'abbé ou le simple laïque s'est présenté devant le prince et lui a demandé, plus ou moins humblement, l'immunité, il ne lui demandait certainement pas d'être exempté de sa justice. Ni le solliciteur ni le roi n'entendaient qu'il fût question de cela. L'évêque demandait au roi d'être soustrait à l'autorité du comte ; rien de plus. Si le roi avait renoncé à son propre droit de justice, il l'aurait écrit dans la charte, comme il y écrit quelquefois qu'il renonce à l'impôt. Il ne parle, au contraire, que de la juridiction du comte et des subordonnés du comte, neque vos neque juniores vestri. Mais il ne s'interdit pas à lui-même d'entrer sur la terre de l'immuniste pour le juger, lui ou ses hommes. Encore moins s'interdit-il d'appeler l'immuniste ou ses hommes devant son propre tribunal, le tribunal du palais.

Aussi voyons-nous dans Grégoire de Tours et Frédégaire que des évêques et des abbés étaient jugés par le roi ou portaient leurs procès devant lui. Cette vérité apparaît encore mieux dans la série des diplômes judiciaires. Nous avons aussi des formules mérovingiennes où nous voyons un évêque mandé au tribunal du roi[122] ; plus que cela : un évêque, si l'un de ses clercs est accusé d'un délit et refuse satisfaction, est tenu à le faire conduire de force au tribunal royal[123]. Il faut donc admettre que le maintien de la juridiction royale était sous-entendu dans les chartes d'immunité, et, si l'on ne prenait pas la peine de l'exprimer, c'est qu'il n'entrait dans l'esprit de personne de supprimer cette juridiction[124].

Il y a même plusieurs diplômes où l'on voit que la justice de l'État est expressément maintenue. Le roi s'exprime ainsi : S'il s'élève contre le monastère ou contre les hommes de l'abbé quelque procès dont le jugement par le comte ou par ses subordonnés serait trop préjudiciable au monastère, le procès sera porté devant nous, et c'est par nous que la sentence sera rendue[125]. On voit bien dans ce texte que la juridiction même du comte n'était pas absolument supprimée. Si un procès était intenté au monastère immuniste, c'était le comte qui était d'abord saisi de l'affaire. Il en était le juge naturel, à moins que le monastère, alléguant que cela lui était. trop préjudiciable, ne voulût porter l'affaire devant le roi. L'abbé n'échappait donc pas à la justice publique ; son privilège se bornait à être jugé, s'il le voulait, par le roi au lieu de l'être par le comte.

Il faut nous tenir au texte littéral des diplômes. Ils ne disent pas : Le juge royal ne jugera jamais ni l'abbé ni ses hommes. Cette manière de s'exprimer ne se rencontre jamais. Ils disent, ce qui n'est pas la même chose : Le juge royal n'entrera 'pas dans les domaines de l'abbé ou de l'évêque pour rendre la justice. Ne dépassons pas nos textes ; ils ne parlent que de la justice qui serait à rendre dans l'intérieur du domaine. Ils ne veulent pas dire que l'immuniste et ses hommes échappent, pour toutes sortes de procès et de délits, à la justice du comte[126]. Si un étranger porte plainte contre l'évêque ou contre un de ses hommes, si un procès s'élève, si, par exemple, il y a contestation entre un laïque et l'évêque pour la possession d'une terre[127], ou si un laïque se plaint qu'un clerc de l'évêque ait fait violence à un de ses serfs[128], le débat est porté devant le comte ou devant le roi. Ainsi, les textes marquent bien que, dans tout conflit entre un homme du domaine et un étranger, la juridiction publique subsiste. Dès lors, quels peuvent. être les cas où cette juridiction disparaît ? A quelles affaires pense le rédacteur du diplôme quand il dit que le juge royal n'entrera pas dans le domaine pour les juger ? Il nous semble que ce sont les affaires où les deux parties appartiennent également au domaine privilégié ; il ne se peut agir que des procès issus sur le domaine lui-même ou des délits qui y ont été commis.

On sait bien qu'il existait sur chacun de ces grands domaines toute une population mêlée de serfs, d'affranchis, d'hommes libres. On ne doutera pas que, dans cette population d'origine diverse, d'intérêts inégaux et discordants, il n'y eût des procès, des conflits, des délits et des crimes. C'est le jugement de toutes ces affaires intérieures qui, suivant nous, est interdit au comte. A cela se réduit, si nous ne nous trompons, le privilège de l'immuniste en matière de justice ; mais nous montrerons plus loin la grande importance de ce privilège et les conséquences qu'il a produites.

 

6° [DÉFENSE DE PERCEVOIR LES FREDA ET DE SAISIR DES RÉPONDANTS].

 

A la défense de juger, l'immunité ajoute l'interdiction de percevoir les freda[129]. On sait que presque tous les jugements aboutissaient à un fredum[130]. Notre mot amende rend imparfaitement ce mot de la langue mérovingienne ; car il y a grande apparence que l'idée qui s'y attachait s'éloignait assez de celle que notre esprit moderne attache au mot amende. Les hommes considéraient que, dans tout crime ou délit, il y avait deux personnes lésées, la victime d'abord, ensuite le roi, dont le criminel avait enfreint la volonté et violé les lois. Il fallait donc composer avec le roi comme avec la famille de la victime. Il y avait ainsi deux compositions en quelque sorte, l'une payée à la victime, l'autre payée au roi. C'est cette seconde partie de la composition que l'on appelait fredum. Grégoire de Tours indique nettement que c'est ainsi que le fredum était compris par les hommes de son temps[131]. Même dans beaucoup de procès civils, l'intervention du magistrat donnait lieu au payement d'un fredum[132]. Dans la pratique ordinaire, il semble bien que le fredum était le prix dont le juge, c'est-à-dire le roi ou le comte, faisait payer sa juridiction[133]. Ce revenu faisait partie du droit de justice, et nous pouvons même penser que, pour beaucoup de fonctionnaires, il en était la partie principale. En ôtant. au comte le droit de juger sur les domaines privilégiés, il semble qu'il ne fût pas nécessaire d'ajouter qu'on lui enlevait du même coup le droit d'y percevoir les freda ; pourtant les rédacteurs des diplômes n'ont. pas jugé inutile d'avertir le fonctionnaire que ce n'était pas seulement la justice qui lui était enlevée, mais aussi les profits de la justice[134].

La charte d'immunité défend aussi au fonctionnaire royal de saisir des répondants, tollere fidejussores[135]. Pour comprendre le sens de cette interdiction, il est nécessaire de jeter un coup d'œil sur quelques procédés de la police judiciaire des Mérovingiens.

Quand un homme était accusé d'un crime ou d'un délit que le comte devait juger dans son mallus, il pouvait rester libre jusqu'au jour du jugement, à la condition de fournir des répondants, si fidejussores habuerit[136]. Les répondants d'un accusé étaient garants de sa comparution en justice[137]. Quand le jour du jugement était arrivé, il était d'usage, sinon de règle, qu'ils le conduisissent eux-mêmes au tribunal du comte[138].

Il en était de même quand il s'agissait du tribunal du roi. L'homme qui était sommé d'y comparaître pouvait rester libre jusqu'au jour fixé, en donnant des répondants, datis fidejussoribus[139] ; puis, au jour du jugement, il était amené devant le roi par ces répondants eux-mêmes[140].

L'importance de ces répondants se devine bien si l'on songe que les crimes et les délits étaient punis, le plus souvent, par la composition et le fredum. Presque toute justice se résolvait en argent. D'après ces usages et d'après les conceptions que les hommes se faisaient de la justice, l'accusé était regardé préventivement comme un débiteur. Il suivait de là que les répondants étaient regardés comme les cautions d'une dette. Si l'accusé s'échappait avant le jugement, ils étaient responsables sur leurs biens propres. C'est pour cela apparemment qu'ils se chargeaient de conduire le prévenu au tribunal du comte et même au tribunal du roi, fallait-il traverser la Gaule entière. Leur intérêt, propre les y engageait.

Il faut remarquer que, si l'accusé possédait des biens fonciers d'une valeur suffisante, on n'exigeait pas qu'il présentât des fidejussores ; on l'exigeait s'il n'avait, pas de biens fonciers ou s'il en possédait trop peu[141] Cette règle nous .montre assez clairement l'idée qu'on se faisait. du fidejussor ; c'était un homme qui offrait sa propre fortune en garantie pour un accusé dont la fortune était insuffisante.

Le fidejussor ne répondait pas seulement de la présence de l'accusé au tribunal ; il répondait aussi de l'exécution du jugement, c'est-à-dire du payement intégral de la composition et de l'amende[142]. C'est pour cela qu'on voulait que ces répondants fussent credibiles, idonei, firmissimi[143]. Par ces épithètes nous devons entendre, non la moralité des répondants, mais leur solvabilité. On tenait à ce qu'ils fussent cautions solvables.

Gardons-nous bien d'attribuer aux hommes de ce temps des idées qu'ils n'avaient pas. En pratiquant la fidejussio, ils ne songeaient pas à assurer la liberté ; ils n'avaient pas dans l'esprit de supprimer l'emprisonnement préventif, dont nous savons qu'ils usaient largement. Es ne voyaient en elle qu'une assurance de payement. Aussi était-elle pratiquée dans l'intérêt de l'administration, et non pas dans l'intérêt des accusés. Grâce à ces répondants, l'accusé se voyait entouré de surveillants qui étaient intéressés à ce qu'il ne s'échappât pas, et qui ne manquaient guère de mettre la main sur sa personne pour sauver leurs propres biens. Les répondants, de leur côté, avaient une lourde charge : ils se voyaient obligés à de nombreuses démarches, à des pertes de temps, à des dépenses, surtout s'il fallait aller jusqu'au roi ; et, ce qui était pis encore, ils étaient menacés, en cas de condamnation, d'avoir à payer pour le condamné. Si l'on songe à quel taux exorbitant les rois mérovingiens portèrent les compositions et les freda, on devinera qu'il était fort dangereux d'être fidejussor. L'administration seule se trouvait bien de cette pratique ; car elle était sûre que les prévenus seraient bien gardés, sûre aussi que ses freda lui seraient intégralement payés.

Le moyen était bon ; le gouvernement mérovingien en abusa. Non seulement il permit aux accusés d'offrir des répondants volontaires afin de rester libres, mais il en vint à obliger des hommes à être répondants malgré eux et malgré les accusés. Ce fait étrange s'aperçoit à la lecture de quelques textes. Ainsi, nous voyons dans Grégoire de Tours un duc arrêter un évêque et le faire conduire immédiatement devant le roi ; et en même temps ce duc cherche lui-même et requiert des fidejussores[144]. Il ne se peut agir ici de cautions volontaires que l'évêque offrirait pour rester libre ; car il n'est pas libre, et tout au contraire on le mène au roi sous bonne garde[145]. Il s'agit de cautions que l'autorité choisit elle-même pour répondre sur leurs biens de tout ce que le jugement pourra prononcer contre l'évêque. Ailleurs, nous voyons un envoyé du roi qui arrête deux accusés en prenant des fidejussores et qui les envoie au tribunal du roi[146]. Une autre fois, c'est un évêque que l'on veut obliger à comparaître à ce même tribunal ; un envoyé du palais prend des fidejussores qui, de l'Auvergne, amènent l'évêque jusqu'à Trèves[147]. On reconnaît dans ces exemples que le fidejussor n'est plus ce répondant que l'accusé présentait pour rester libre ; il est au contraire un homme choisi par l'autorité pour amener l'accusé au jugement et assurer l'exécution de l'arrêt.

De même dans une formule mérovingienne, nous voyons que le roi prescrit à un évêque, dans le cas où un clerc de son église serait coupable d'un délit, de l'envoyer au tribunal du roi per fidejussores positos, c'est-à-dire par des répondants, qui ne sont pas choisis assurément par l'accusé, mais qui lui sont assignés[148]. Dans une autre formule, le roi prescrit à ses comtes de faire justice d'un coupable ; et si vous ne pouvez faire justice, saisissez des fidejussores et faites-le conduire devant notre tribunal'[149]. Ailleurs encore le roi dit à ses comtes : Si un brigand poursuivi dans un comté se réfugie dans un autre comté, le comte, dans le ressort duquel il s'est réfugié, le contraindra per fidejussores à revenir dans le comté où il doit être jugé'[150].

Ainsi l'usage s'est établi de saisir des fidejussores. Ces répondants font une sorte d'office de police, et même quelque chose de plus, puisqu'ils répondent de la pleine exécution de la sentence. L'autorité publique, ayant affaire à un accusé, ne se contente pas de s'emparer de .sa personne ; elle met la main sur des répondants, afin d'être bien certaine que ni l'accusé ni l'amende ne lui échapperont.

C'est là ce que nos diplômes appellent tollere fidejussores. Il y a sur cette pratique un texte qui, bien qu'il soit postérieur à l'époque qui nous occupe, mérite d'être cité. On y voit des évêques se plaindre d'une coutume oppressive qui s'est établie : les comtes et juges royaux obligent par force les prêtres à venir à leurs plaids ; ils les saisissent comme répondants, aussi bien que s'ils étaient des laïques[151]. On devine aisément ce qu'il y avait de cruel pour des hommes qui étaient occupés ou de leur sacerdoce, ou de leur travail, ou de leur culture, à être ainsi mis en réquisition et enlevés à leur foyer, pour arrêter un accusé, pour le garder, pour le conduire au tribunal ; on devine surtout quelles pouvaient être les conséquences de cette responsabilité, et combien d'hommes elle conduisait à la ruine. L'immunité, en interdisant au fonctionnaire royal de saisir des répondants dans l'intérieur du domaine, accordait clone un privilège précieux.

Mais voici la conséquence. Cette saisie des répondants était le principal moyen de police judiciaire. Supprimez-la, il n'y a plus de justice. Le comte ne pourra plus obliger l'habitant du domaine privilégié à comparaître à son tribunal. S'il prononce un jugement contre cet homme, il n'aura plus la garantie du payement de l'amende. Ainsi, la clause qui défend au comte de saisir des répondants équivaut pour lui à la défense de juger. Déjà on lui a interdit de faire aucun acte judiciaire dans les limites du domaine privilégié ; maintenant on lui ôte le moyen d'appeler à lui les hommes de ce domaine et de les juger dans son plaid, à moins qu'ils n'y viennent volontairement.

Quelques diplômes ajoutent encore une interdiction qui est formulée en ces termes : Neque ad homines distringendos[152]. Ce mot distringere, dans la langue mérovingienne, s'entend de toute espèce de contrainte, aussi bien de la contrainte par corps[153] que de la contrainte par saisie des biens[154]. Il désigne spécialement la contrainte pour exécution des arrêts de justice[155]. C'est tout cela qui est interdit à l'officier royal. Par conséquent, si l'un des hommes de l'immunité est accusé d'un crime ou d'un délit, le comte ne pourra ni se saisir de sa personne ni mettre la main sur ses biens. Il n'aura donc pas le moyen d'exécuter son jugement.

En résumé, grâce à cette série de précautions que le roi prend contre son propre agent, celui-ci n'a plus aucune juridiction sur les hommes du- domaine privilégié, et toute action judiciaire sur eux lui est devenue impossible.

 

7° [DE L'ABANDON DES IMPÔTS].

 

Nous arrivons à une autre série de privilèges, qui se présentent encore, comme les précédents, sous la forme d'interdictions adressées par le roi à ses propres officiers.

Ni vous ni les agents sous vos ordres, vous ne vous permettrez de prendre gîte dans les maisons ou sur les terres de cette église[156]. On sait qu'au temps de l'Empire romain les fonctionnaires et soldats en voyage avaient le droit de gîte chez les particuliers[157]. Les chefs barbares n'étaient pas pour renoncer à cet avantage. Ils n'eurent pas à l'instituer ; ils n'eurent qu'à laisser leurs officiers en continuer la pratique. La Loi des Ripuaires prononce l'énorme amende de 60 solidi contre celui qui aura refusé sa maison à un envoyé du roi, à moins qu'une immunité royale ne l'ait déchargé de cette obligation[158].

Au droit de gîte se joignait presque toujours ce que nos dipllômes appellent panax, littéralement le repas préparé, ou plutôt toutes les fournitures nécessaires au repas[159]. Or nous devons bien penser qu'à cette époque un envoyé du roi, un missus, un duc, un comte, ne voyageait pas seul. Il avait sa suite d'agents subalternes et de soldats. Il fallait nourrir tous ces hommes, les défrayer de tout, nourrir aussi leurs chevaux et souvent leur en fournir. Nous savons par une formule de Mar-cuire que le gouvernement essaya d'établir une sorte de tarif. Tout envoyé du roi devait être porteur d'une lettre qui marquait ce qu'on devait lui fournir chaque jour, tel nombre de pains blancs, tant de mesures de vin, tant de livres de viande de bœuf et de porc, tant d'agneaux, tant, de poulets et de faisans, telle quantité d'huile, de miel, de poivre et d'épices, tel nombre enfin, de voitures de foin pour ses chevaux[160]. Nous doutons un peu qu'un tarif régulier ait été appliqué. Le puissant fonctionnaire était à peu près le maître de prendre, ce qu'il voulait. Grégoire de Tours nous montre un duc arrivant en Anjou avec une suite nombreuse, cum magna, potentia ; il ruine les habitants en leur prenant tout ce qu'il trouve, grains, fourrages, vins, et le reste ; et il interprète son droit de gîte de telle façon que, pour peu que les clefs se fassent attendre, il brise les portes[161]. Ces déprédations légales se renouvelaient à chaque visite d'un missus, au passage de chaque ambassadeur, à chaque tournée administrative ou judiciaire du comte ou du vicaire. On peut remarquer dans Grégoire de Tours que les fonctionnaires mérovingiens se déplaçaient bien souvent. Chaque déplacement leur donnait le droit de vivre aux dépens des populations. C'était peut-être, avec les amendes, le plus clair des revenus de leur emploi[162].

On comprend donc que ceux qui demandaient aux rois des chartes d'immunité aient tenu à y faire inscrire l'exemption du droit de gîte et des prestations. C'était s'affranchir de frais, de gênes, d'abus de toute sorte. Toutefois il ne doit pas nous échapper que ce droit de gîte et ces prestations, suivant les idées et les pratiques du temps, faisaient partie des impôts publics. Les faire disparaître sur les terres privilégiées, ce n'était pas seulement écarter un abus, c'était abolir, sur ces terres, une des formes des contributions d'État.

Les rois ne gardèrent pas mieux les autres impôts. Nul de nos officiers n'entrera sur ces terres pour y faire aucune réquisition[163], pour y lever aucune des redevances auxquelles le fisc royal avait pu jusqu'ici avoir droit[164]. Nos diplômes sont très clairs sur ce point. Quelques-uns emploient l'expression functiones publices qui, depuis plusieurs siècles, désignait les contributions publiques[165]. D'autres emploient le mot tribula ou le mot inferenda qui avaient le même sens[166]. La plupart, sans désigner les impôts par leurs noms, se servent d'une périphrase très nette et qui ne prête à aucun malentendu : Tout ce qui avait pu jusqu'à présent revenir au fisc royal ; tout ce que nos fonctionnaires avaient perçu jusqu'ici ; tout ce qu'il avait été d'usage de rendre à notre fisc[167]. Ainsi, ce que le roi interdit à ses agents, ce ne sont pas seulement les perceptions abusives et arbitraires, c'est la perception des véritables impôts publies, des impôts les plus réguliers.

Encore faut-il faire attention que les chartes d'immunité n'abolissent pas précisément ces impôts Elles ne disent pas que les terres privilégiées n'en payeront plus. Elles disent seulement que le fonctionnaire royal n'entrera plus sur ces terres pour les percevoir.

Qui donc lèvera désormais ces contributions ? Cela est sous-entendu dans la plupart des chartes, et exprimé formellement dans quelques-unes ; ce sera le grand propriétaire, c'est-à-dire l'évêque ou l'abbé, par ses agents. Que l'évêque ou ses agents lèvent les 200 solidi d'inferenda et 200 autres solidi d'auram pagense qui revenaient à notre fisc du fait de cette villa et de ces curtes[168].

Quelquefois les rédacteurs des actes prennent soin de stipuler que le produit de l'impôt ainsi perçu sera porté au trésor public. Nous lisons dans un diplôme de 705 : Le vénérable homme Théodebert, abbé du monastère de Saint-Serge, est venu en notre présence et nous a fait savoir que les curies appartenant à cette basilique, à savoir les domaines appelés Marentius, Silviliacus, Taunucus, Noviliacus, Sénona et Généhonnus, rendaient au fisc, chaque année, à titre d'inferenda, six solidi et six autres solidi à titre d'aurum pagense ; mais notre aïeul Clovis et notre père Thierry ont accordé au monastère par lettres signées de leur main qu'aucun fonctionnaire public n'entrât dans ces curies pour y faire aucune perception ; et ils ont voulu que cette contribution mi portée chaque année au trésor public par l'abbé ou par ceux qu'il en chargerait. Nous renouvelons cette faveur, et voulons qu'aucun de vous ni de vos subordonnés ne se permette de rien percevoir de ce qui était dû à notre fisc, mais que les douze solidi soient, portés à notre trésor par l'abbé ou par son envoyé[169].

Quand cette clause se trouve dans un diplôme, il est visible que la terre privilégiée n'est pas exemptée de l'impôt. L'impôt public subsiste ; seulement, au lieu d'être perçu par le fonctionnaire du roi, il est perçu par le grand propriétaire, qui en verse le produit aux mains du roi.

Mais cette clause, qui a pu être fréquente, se rencontre rarement dans les diplômes qui nous ont été conservés. Elle a disparu et a été remplacée par une clause absolument contraire, qui est conçue en des termes tels que ceux-ci : Tout ce que notre fisc avait coutume de percevoir sur leurs hommes et sur tous ceux qui habitent leurs terres, nous, par notre bonté, nous le remettons et concédons aux moines, afin que cela serve à l'entretien du saint lieu[170]. Il est clair qu'ici l'État fait réellement abandon de l'impôt. Seulement, il importe de remarquer que cet abandon de l'impôt n'est pas général. La clause qui le constate ne se trouve pas dans la majorité des diplômes[171]. Là où elle se trouve, elle est placée à la fin de l'acte, et elle semble une addition. Elle n'est pas de l'essence de l'immunité ; elle s'ajoute à l'immunité. Par l'immunité proprement dite, le roi a écarté seulement le percepteur royal en se réservant le produit net de l'impôt. Puis, par une faveur distincte et peut-être postérieure, il a fait don au monastère de ce produit de l'impôt.

Tenons pour certain que les rois francs n'ont aboli volontairement aucune des contributions que le gouvernement romain avait instituées. Mais il leur est souvent arrivé d'abandonner, par une faveur toute personnelle, les fruits de l'impôt à un évêque, à un abbé, même à un laïque. Nous avons un diplôme par lequel un roi décide que les habitants de deux villages, lesquels avaient jusqu'alors payé au fisc les freda et les functiones, les payeront désormais à l'abbé d'un monastère voisin[172]. Il y a lieu de penser que cette sorte de concession n'a pas été rare.

On fit de même pour les impôts indirects. Le tonlieu romain était passé aux mains des rois francs[173], ainsi que les droits de passage, qui étaient compris sous les noms de transitas publicus, de rotaticum, de pontaticum. Rien de tout cela ne disparut du nouveau royaume ; mais les rois en firent des dons par une série de faveurs particulières. Il faut d'ailleurs, au sujet de ces impôts indirects, distinguer trois sortes de concessions. Quelquefois le roi se contente de dire que ses officiers n'entreront pas sur les domaines privilégiés pour y lever le tonlieu[174], ce qui implique la suppression de cet impôt dans l'intérieur des domaines de l'immuniste. D'autres fois, le roi exempte l'immuniste et tous ses hommes, agents ou serviteurs, de payer aucun tonlieu ni aucun droit de passage, pour eux ni pour leurs marchandises, dans tout le royaume[175]. Ici le privilège est beaucoup plus important, et l'on peut deviner à quelles conséquences il conduisait ; le monastère immuniste pouvait devenir une sorte de grand commerçant privilégié. D'autres fois enfin, le roi fait don à un monastère ou à une église du droit de percevoir à son profit le tonlieu et tous les droits de passage qui sont maintenus sur une rivière, sur une route ou sur un pont[176]. En ce cas, l'impôt subsiste, mais il devient la propriété particulière d'une église ou d'un couvent.

Ainsi, la concession d'immunité, sans être précisément l'abandon des impôts publics, a abouti naturellement à cet abandon. Il n'est pas besoin de dire qu'elle a porté le désordre dans toute l'administration financière que les rois avaient héritée de l'Empire romain.

 

8° [DES RAPPORTS ENTRE LA MAINBOUR ET L'IMMUNITÉ].

 

On a reconnu, dans ce quï précède, que l'immunité n'était pas précisément l'abandon de l'autorité royale. Ce qu'elle supprimait, c'était l'autorité administrative. La royauté gardait, au moins en principe, tous ses droits ; elle renonçait seulement à les faire exercer par ses agents. Dans aucune de nos chartes, le roi ne fait le sacrifice de sa juridiction ; là même où il fait don de l'impôt par faveur spéciale, il ne dit pas qu'il n'ait pas le droit de lever l'impôt et qu'il ne le lèvera jamais. Pas un mot n'implique que le concessionnaire, affranchi de l'obéissance envers le comte, soit affranchi de l'obéissance au roi. Nous avons un diplôme de 632, dans lequel le roi, après avoir énuméré les privilèges qu'il accorde, ajoute : Nous voulons que l'évêque possède ses domaines en pleine immunité, paisiblement et sans nul obstacle, et qu'il obéisse fidèlement à notre autorité[177]. Ces derniers mots semblent comme la condition même du privilège. Il est vrai que nous ne trouvons cette condition littéralement exprimée que dans un seul des diplômes mérovingiens[178], mais elle était contenue implicitement dans les autres. Qu'on lise, en effet, ces diplômes, qu'on en observe le style et le ton, on y reconnaîtra bien que la royauté, loin de s'effacer, s'affirme. Le concessionnaire n'y est qu'un humble solliciteur et le diplôme commence toujours par rappeler sa prière, petitio, preces. Puis la suite marque bien que l'immunité n'est pas un droit ; elle est une faveur, beneficium ; le roi l'accorde par pure bonté, ex indulgentia sua. En l'accordant à un évêque ou à un abbé, le roi n'entend pas cesser d'être roi à son égard. S'il s'agit d'un laïque, la faveur n'est accordée qu'en considération de sa fidélité, ex respectu fidei suæ[179] ; chacun comprend par ces mots que, pour que la faveur dure, il faudra que la fidélité se continue. Ni le roi, qui donne l'immunité, n'a conscience qu'il amoindrisse ses droits ; ni le concessionnaire n'a l'idée qu'il s'affranchisse du roi. Cela est si vrai, qu'à chaque décès on renouvelle l'humble demande.

Dire que les rois renonçaient par l'immunité à régner sur une partie de leurs sujets, c'est parler suivant nos idées modernes. De nos jours, en effet, s'il était possible qu'un souverain accordât des concessions de cette nature, chacun des concessionnaires deviendrait aussitôt indépendant du prince et de tout pouvoir social. Mais les hommes du vne siècle avaient dans l'esprit des idées que nous n'avons plus ; ils concevaient, en dehors de tout système administratif, une façon de gouverner l'homme directement, individuellement, sans intermédiaire d'agents et sans action de lois générales.

Le principe sur lequel reposait ce mode de gouvernement était ce qu'en langue germanique on appelait mundebour ou mainbour, ce qu'en langue latine on appelait protection, tuitio, defensio. Un homme demandait au roi de le prendre sous sa mainbour ou défense ; le roi l'acceptait, suscipiebat[180] ; dès lors un lien personnel se trouvait établi entre le roi et cet homme. L'autorité royale ne disparaissait pas ; elle changeait seulement de nature. Elle ne s'appelait plus autorité, mais protection. L'obéissance ne s'appelait plus sujétion, mais fidélité. Ne pensons pas d'ailleurs que l'autorité et l'obéissance fussent amoindries ; elles étaient plutôt fortifiées, ou du moins on le croyait ; car l'autorité s'exerçait directement, l'obéissance se donnait sans intermédiaire, et ni l'une ni l'autre n'avaient de limites légales.

Ces idées étaient-elles germaniques ou romaines, on ne saurait le dire ; car, d'une part, on ne peut les constater ni dans ce qu'on sait de l'ancienne Germanie ni dans ce qu'on sait de l'Empire romain ; et, d'autre part, on les voit régner, au VIIe siècle, aussi bien chez l'une que chez l'autre race. Il est possible qu'elles soient venues à l'esprit des hommes à la suite du désordre général qui accompagna les invasions. Elles grandirent à mesure que l'autorité publique s'affaiblit. Elles prirent de la force dans les interminables guerres civiles des princes mérovingiens.

Elles se répandirent bien vite dans tous les esprits. Nous les constatons d'abord chez les rois eux-mêmes. Il ne paraît pas que les princes francs aient bien compris le système administratif des Romains ; ils le laissèrent debout, comme tout le reste : ils en usèrent comme d'un moyen commode de lever les impôts, de brider les populations et de récompenser leurs fidèles ; mais il ne semble pas qu'ils en aient jamais apprécié les avantages politiques. Ils furent toujours en défiance à son égard, et la manière même dont ils distribuaient les fonctions administratives marque le peu de cas qu'ils faisaient du système. Sans réflexion, ils travaillèrent contre leur propre administration et firent tout ce qu'il fallait pour qu'elle tombât. Ils inclinaient, sans s'en rendre bien compte, vers une autre forme de gouvernement, dans laquelle il n'y aurait plus d'administration.

Les populations pensaient de même. L'agent administratif, duc, comte, centenier, leur apparaissait comme un maître, un maître tout proche et présent, le maître qu'on déteste. Elles le voyaient, s'enrichir à leurs dépens, n'être payé que de ce qu'il leur enlevait. Forcément, il abusait de son pouvoir comme juge, il abusait de son pouvoir comme percepteur des impôts. Il n'y avait pas à attendre de lui une protection, parce que presque jamais il n'avait intérêt à protéger. Au contraire, le roi était loin ; le mal qu'il pouvait faire était moindre, était plus rare, et en tout cas se voyait moins. La pensée de se faire protéger par lui contre l'agent administratif venait naturellement. Il était doux de pouvoir opposer au duc ou au comte la lettre de mainbour qu'on tenait du roi. Ainsi les hommes croyaient trouver un grand profit à supprimer l'intermédiaire administratif ; ils croyaient devenir plus libres en dépendant directement du roi.

L'Église partageait ces idées, qui se trouvaient conformes à ses intérêts. Sans doute les rois lui faisaient sentir leur autorité, parfois même d'une main assez lourde ; mais elle avait bien plus à souffrir de l'autorité toujours présente et toujours active du comte. Le grand intérêt du moment était que l'évêque fût le mai tre dans sa cité, l'abbé dans son couvent et sur les vastes terres qui en dépendaient. Or c'était précisément cette indépendance locale que le comte leur contestait[181]. Il était et serait toujours un concurrent. Il fallait le supprimer ou le réduire à l'inaction. En s'attachant directement au roi, l'évêque ou l'abbé aurait sans doute à obéir encore, mais du moins il serait obéi chez sôi, et c'était ra conquête la plus urgente.

A ces idées, vagues chez les uns, claires chez les autres, l'immunité répondait admirablement. Détruire d'un seul coup tout le corps administratif, nul n'aurait osé y songer. Créer un gouvernement où les honnies auraient été liés au roi directement par le contrat de fidélité, était une révolution impossible à faire d'un seul coup. Mais supprimer, sur tel ou tel domaine désigné, l'autorité de l'administrateur et lui substituer l'autorité directe du roi, cela paraissait naturel et était toujours possible. C'est ce qui fut fait par l'immunité. En effet, le diplôme de concession interdisait l'entrée du domaine au fonctionnaire et à ses agents ; il lui défendait d'agir comme juge, comme receveur d'impôts, comme administrateur. Bès lors l'immuniste n'avait plus personne entre le roi et lui ; il se trouvait tout naturellement rattaché au roi sans intermédiaire. Or ce lien personnel, d'après les habitudes du temps, devenait presque inévitablement un lien de mainbour C'est ce que l'observation des textes va nous montrer.

On a vu[182] qu'en dehors des chartes qui conféraient l'immunité, il y avait des chartes par lesquelles les rois accordaient spécialement leur mainbour ou protection. Il est assez probable qu'à l'origine la mainbour et l'immunité n'étaient pas la même chose ; mais elles se ressemblaient beaucoup. Prenons comme exemple la charte de mainbour accordée par Childebert Ier au monastère d'Anisola ; nous y voyons le roi déclarer que l'abbé Daumérus lui a demandé de le recevoir, lui et tous ceux qui dépendent de lui, sous la parole de sa protection et dans sa mainbour ; le roi exauce cette demande, et, comme conséquence, il dit à ses fonctionnaires : Ni vous ni vos agents ni vos successeurs ni les envoyés de notre palais vous ne serez assez téméraires pour troubler le repos de l'abbé ni des hommes qui dépendent de lui ; vous ne prononcerez aucune condamnation contre eux, vous ne lèverez pas l'impôt sur eux, vous ne diminuerez en quoi que ce soit leur avoir[183]. Voilà une charte de mainbour qui entraîne après elle l'immunité. Clotaire Ier, dans un diplôme en faveur du monastère de Réomé, écrit qu'il reçoit l'abbé Silvester sous son immunité et défense[184]. Voilà encore une charte où la mainbour et l'immunité sont associées. Le diplôme, qui est attribué à Clovis et que nous croyons postérieur à ce prince, marque très nettement cette réunion de deux choses originairement diverses : La terre que nous accordons à Jean, nous et nos successeurs la tiendrons en notre défense, protection et immunité, et elle ne sera soumise à aucune dignité séculière[185], c'est-à-dire à aucun agent royal.

Au VIIIe siècle, un diplôme est conçu ainsi : L'abbé Maurus nous a demandé que lui et tous les hommes et biens du monastère fussent reçus par nous sous notre mainbour et défense. Sachez que nous lui avons accordé ce qu'il demandait. En conséquence, ni vous ni vos gens vous n'agirez contrairement aux intérêts de l'abbé ni de ses hommes, vous ne prononcerez aucune condamnation contre eux, vous n'enlèverez rien de leurs biens ; mais ils vivront avec le privilège d'immunité et sous notre mainbour[186].

Est-ce la mainbour qui a entraîné l'immunité ? Est-ce l'immunité qui a entraîné la mainbour ? On ne saurait dire laquelle a précédé et a provoqué l'autre. Ce qui est certain, c'est qiielles sont à peu près inséparables. La mainbour royale soustrait la personne du concessionnaire à l'autorité des agents royaux. L'immunité soustrait les terres du concessionnaire à l'autorité de ces mêmes agents. Entre ces deux actes si semblables l'un à l'autre, qui émanent du même roi, qui sont accordés à la même personne, qui sont rédigés en termes analogues et qui écartent les mêmes fonctionnaires, la confusion s'est bientôt faite. De là les expressions singulières que l'on remarque dans beaucoup de diplômes. Au lieu de dire : Nous accordons l'immunité, le roi dit : Nous accordons la protection de notre immunité[187], nous recevons ce monastère sous la défense de notre immunité[188]. Les deux expressions sont associées, parce que les deux choses sont confondues.

Que l'on compare les formules qui concernent spécialement la mainbour à celles qui concernent l'immunité, on sera frappé de la ressemblance. Voici celle que donne Marculfe[189] : Charte de mainbour royale. Nous faisons savoir à Votre Grandeur et à Votre Zèle que, sur la demande de l'évêque un tel, nous l'avons reçu sous le couvert de notre protection avec tous les hommes et biens qui dépendent de lui. En conséquence, nous ordonnons que ni vous ni vos agents vous ne fassiez aucun mal ni n'apportiez aucun trouble à lui ni à ses hommes, et, s'il surgit quelque procès qui ne puisse être jugé sans grand dommage pour lui à votre tribunal, la cause sera réservée pour être jugée devant nous. Cette formule nous offre les mêmes éléments que la formule d'immunité. Ce sont les mêmes formes ; c'est aussi le même fond. La concession consiste dans les deux cas à écarter le fonctionnaire public et à lui interdire toute action. Les deux formules diffèrent par quelques expressions ; les effets sont les mêmes. L'un des actes s'appelle mainbour, l'autre s'appelle immunité ; la protection royale est mieux marquée dans le premier, les privilèges de l'immuniste sont énumérés plus longuement dans le second. En réalité, ils produisent les mêmes conséquences. La charte de mainbour, qui écarte le fonctionnaire, contient virtuellement l'immunité ; et de même la charte d'immunité, par cela seul qu'elle écarte le fonctionnaire, suppose et contient la mainbour royale.

M. Sickel a remarqué fort justement qüe les chartes d'immunité du VIe et du VIIe siècle ne contiennent ni le mot mainbour ni le mot protection, moins encore le mot recommandation, termes qui deviennent de plus en plus fréquents sous les Carolingiens. Ce n'est pas à dire que la confusion ne se soit pas déjà faite au VIIe et peut-être même au VIe siècle. Dans les chartes d'immunité il n'était pas nécessaire de signaler la mainbour royale ; elle était implicitement contenue ; elle résultait de la seule exclusion du fonctionnaire ; elle résultait surtout de l'idée même que le concédant et le concessionnaire se faisaient de la concession. L'immuniste n'échappait au coin te que pour obéir directement au roi. Par conséquent, si l'autorité administrative disparaissait, c'était nécessairement la mainbour royale qui en prenait la place.

 

9° [L'IMMUNITÉ TRANSFORME LE PROPRIÉTAIRE EN MAÎTRE].

 

Peut-être les rois pensaient-ils que l'immunité fortifierait. leur autorité en la rendant plus directe et plus personnelle. Ce qu'elle fortifia surtout, et pour toujours, ce fut l'autorité du grand propriétaire.

On a pu remarquer que l'immunité concernait toujours des propriétaires fonciers. Si un évêque l'obtient, c'est comme étant légalement propriétaire de toutes les maisons, villages et domaines de son église ; or nous savons que la plupart des églises étaient fort riches et qu'elles possédaient de grands domaines, non seulement autour de la cathédrale et dans le diocèse, mais dans d'autres provinces souvent fort éloignées[190]. Un abbé était aussi un propriétaire de biens immenses ; l'abbaye de Saint-Denis avait des terres bien loin du Parisis, en Neustrie, en Bourgogne, en Provence et ailleurs. La richesse territoriale de Saint-Bertin et de Saint-Germain-des-Prés était considérable.

Or, si l'on observe la teneur des diplômes, on reconnaîtra que l'immunité, bien qu'elle soit accordée au nom personnel de l'évêque ou de l'abbé, ne porte jamais sur sa personne, mais porte toujours sur les terres de l'évêché ou du couvent. Le diplôme ne dit pas : Nos comtes respecteront l'évêque, ne le jugeront pas, n'exigeront rien de lui. Il dit : Nos comtes n'entreront pas sur les terres, villages et domaines de cette église, en quelque province de notre royaume qu'ils soient situés, pour y juger ou y lever les impôts. Manifestement, l'immunité vise, non la personne du concessionnaire, mais les terres qu'il possède et surtout la population qui les occupe.

Il existait en effet sur chaque domaine tout un petit peuple. On y trouvait, en premier lieu, des serfs, les uns nés sur le domaine, les autres achetés. Il y avait ensuite les fils d'anciens serfs, aujourd'hui affranchis, qui cultivaient de petits lots de terre moyennant une redevance et quelques corvées dues au propriétaire. Il y avait les colons, qui n'étaient pas des serfs, et qui cultivaient héréditairement la terre du domaine, sans pouvoir s'en détacher[191]. Au-dessus de ces catégories d'hommes, il existait ordinairement sur le domaine quelques hommes libres, ingenui, qui y étaient établis à titre d'habitants, accolæ, ou à titre d'hôtes, hospites, avec la jouissance d'un lot qu'on appelait hospitium[192]. Les uns étaient comme des fermiers de la terre, les autres en étaient de simples habitants, commanentes ; mais tous, entrés libres sur le domaine, y subissaient forcément une sorte de dépendance à l'égard du propriétaire et devenaient ses hommes[193]. Ce n'est pas tout. Les églises et les monastères avaient leurs dévoués ou dévots, devoti, votivi, hommes qui s'étaient, donnés eux-mêmes à l'église ou au saint du couvent, moitié par piété, moitié par intérêt[194]. En livrant leur personne, ils avaient aussi livré leurs biens, dont la propriété appartenait dès lors à l'église ou au couvent, mais dont la jouissance leur était laissée, non sans conditions[195]. D'autres encore avaient contracté avec l'évêque ou l'abbé une sorte de contrat de fidélité ou de recommandation ; on les appelait suscepti, terme qui signifiait qu'ils avaient été acceptés en mainbour ou en protection. Nos chartes les désignent aussi sous les noms de gasindi et d'amici, termes qui marquaient la dépendance volontaire de l'inférieur à l'égard du supérieur qu'il s'était choisi[196]. Les chartes disaient d'eux qu'ils regardaient au monastère, qu'ils espéraient dans le monastère[197] ; cela signifiait qu'ils n'attendaient de protection que de lui et qu'ils ne dépendaient aussi que de lui.

Les chartes que nous citons sont toujours relatives à des églises ou à des couvents ; mais nous savons d'autre part que les laïques aussi avaient sur leurs domaines toute une population de serfs, d'affranchis, d'habitants ou manants à titres divers ; et s'ils étaient puissants, ils avaient derrière eux une suite de suscepti, de gasindi, d'amici[198]. La grande propriété du laïque, de celui que les lois appellent un potens[199], ressemblait trait pour trait à celle de l'évêque ou de l'abbé. On y trouvait réunis une oule d'hommes dans les conditions les plus diverses.

Les relations de ces différentes classes d'hommes avec le propriétaire n'étaient pas encore bien réglées. Les lois n'en parlaient pas, et l'usage ne les avait pas fixées. On ne pouvait dire au juste jusqu'où allait la dépendance de chacun de ces hommes, qui certainement ne devaient pas tous la même obéissance. Pouvaient-ils s'affranchir de cette obéissance en s'éloignant ? Quels droits avaient-ils en échange de leurs obligations ? En cas de faute, de conflit ou de litige, par qui devaient-ils être jugés, par qui punis ? Les lois ne disaient rien. Encore moins réglaient-elles la relation de ces hommes avec la terre qu'ils occupaient à divers titres. Le serf avait ordinairement un champ ; jusqu'à quel point le propriétaire pouvait-il le lui enlever ? Jusqu'où s'étendaient les obligations de l'affranchi, et celles du fils d'affranchi, que la loi proclamait libre et que la pratique maintenait dans la demi-servitude appelée, obsequium[200] ? Avait-il quelque droit sur sa tenure, et sa redevance ou ses corvées pouvaient-elles être augmentées ? Les hôtes n'avaient pas de contrat écrit ; la demeure et la terre leur étaient-elles assurées, et à quelles conditions ? L'incertitude était grande aussi à l'égard des hommes libres qui s'étaient volontairement donnés avec leurs terres, et qui entendaient conserver l'usufruit de ces terres et souvent même les transmettre à leurs enfants. Les règles de la mainbour étaient encore loin d'être définies, et la contradiction des intérêts engendrait souvent des conflits et des hostilités ou sourdes ou violentes. Dans une société qui était toujours en état de guerre par suite des dissensions des rois ou de l'ambition des grands, nous pouvons bien croire que chez les petits, dans l'intérieur du domaine, l'existence n'était ni très paisible ni très régulièrement ordonnée. La plus grande question peut-être du 'me siècle a été le règlement de ces relations diverses. Nul problème plus grave n'occupa les hommes et n'agita leur existence quotidienne que celui de savoir jusqu'où irait l'autorité du grand propriétaire à l'égard des différentes classes d'hommes qui vivaient sur son sol.

Supposez un corps administratif bien constitué, des ducs, des comtes, des centeniers qui soient des représentants fidèles de l'État et qui soient obéis des populations ; il sera presque impossible que le grand propriétaire devienne un maître absolu. Les petits et les faibles trouveront dans le fonctionnaire public un recours et un appui. Les hommes libres n'auront pas besoin d'autre patronage. Les petits propriétaires ne subiront pas la nécessité de se livrer eux et leurs biens. Les fermiers libres et les hôtes auront un contrat régulier et la garantie des lois. Les affranchis et les colons seront armés de quelques droits bien définis. Les serfs eux-mêmes pourront être protégés. Mais voici l'immunité. Elle écarte le fonctionnaire public. Elle lui défend d'entrer. Ce fonctionnaire n'existe plus pour le grand propriétaire. De même, il n'existe plus pour toute la population mêlée qui habite les nombreux domaines de ce grand propriétaire.

Voyons ce qui va se passer pour la justice. Le juge public, disent les diplômes, ne pourra plus entrer sur ces domaines pour juger les procès. Nous avons expliqué plus haut, le sens de cette interdiction. Suivant nous, elle ne soustrait pas le grand propriétaire en personne à la justice de l'État, qui continue à juger ses procès et ses crimes ; elle n'en exempte même pas, d'une manière générale, les hommes du propriétaire qui commettraient des délits en dehors de la propriété ; mais tous les procès qui surgissent dans l'intérieur du domaine, tous les délits qui s'y produisent, échappent, désormais à la justice du comte.

Faisons attention à la nature de ces procès, en nous transportant au milieu de l'état social de cette époque. Il y avait d'abord une série de procès relatifs à l'état civil et à la condition personnelle de l'homme : revendication en esclavage, contestation d'une charte d'affranchissement, litiges dont l'objet était de savoir si un homme était serf, ou affranchi, ou colon, ou né de parents libres[201]. Il y avait ensuite les procès relatifs au mariage ; c'était, la source de nombreux débats dans une société où le mariage était interdit entre personnes de deux classes, et presque interdit entre personnes de deux domaines différents ; dans le premier cas, il pouvait y avoir litige sur la condition des enfants ; dans le second, on pouvait se demander auquel des deux propriétaires les enfants appartenaient. Puis venaient les procès relatifs à la tenure de la terre : d'une part, réclamation du tenancier affranchi ou colon dont on veut augmenter la redevance ou les services, de l'hôte ou du cultivateur libre qui veut quitter la terre et qu'on prétend retenir, ou bien qu'on veut en chasser et qui prétend y rester ; d'autre part, réclamation du propriétaire contre un intendant infidèle, contre un colon qui néglige la terre, contre un affranchi oublieux de ses obligations. Joignez à cela les innombrables querelles qu'entraînait le contrat toujours indécis de la recommandation, les deux parties ne comprenant pas toujours de la même manière la protection et la fidélité. Enfin, il y avait les inévitables discussions qu'engendre la vie rurale, discussions sur le bornage, sur le ban de vendange, sur la garenne, et le reste ; et les contraventions fréquentes, les délits, les rancunes, les crimes de toute sorte que le désordre des temps multipliait et que l'influence de l'Église, peu sévère dans sa morale à cette époque, n'empêchait pas. Or il s'agissait de savoir si tous ces procès et tous ces délits seraient jugés par la justice de l'État ou s'ils le seraient par le propriétaire lui-même.

Cette question, qui occupa sans nul doute la pensée de tous les hommes, fut tranchée par la concession d'immunité en faveur du propriétaire. Car la justice de l'État cessa d'avoir entrée dans l'intérieur du domaine. Elle ne put même pas entendre les débats qui y naissaient.

On a douté que la juridiction, enlevée aux fonctionnaires, soit passée immédiatement au propriétaire, du sol. Il est bien vrai que les diplômes ne le disent pas, mais ils n'avaient pas besoin de le dire. Notons bien, en effet, que c'est toujours le propriétaire qui obtient du roi l'immunité, ce ne sont pas ses hommes ; or, s'il obtient que la justice de l'État ne pénètre pas chez lui, ce n'est pas pour y substituer quelque autre juridiction qui ne serait pas la sienne. Aussi nos diplômes ne font-ils pas la moindre allusion à un tribunal populaire ni à une organisation quelconque de la justice. Le juge public disparu, il ne reste dans l'intérieur du domaine que le propriétaire. Il jugera donc forcément. Quand les hommes ne le voudraient pas, quand lui-même ne le voudrait pas, il se trouvera le seul juge possible. Il jugera donc, ou par lui-même ou par ses agents.

C'est pour cela que nous voyons dès ce moment les évêques, les abbés, et aussi les riches laïques, avoir sur leurs différents domaines des judices qu'ils choisissent eux-mêmes et à qui ils délèguent leur autorité judiciaire. Chaque domaine immuniste eut désormais son judex privatus qui remplaça le judex publicus. Au fonctionnaire du roi se substitua le fonctionnaire ou l'agent du grand propriétaire[202].

Les diplômes marquent aussi que les freda appartenaient désormais au propriétaire[203]. Or ces freda n'étaient, si l'on peut parler ainsi, que le côté pécuniaire de l'œuvre judiciaire. De même que toute juridiction donnait droit à la perception des freda, de même la perception des freda supposait nécessairement la juridiction. Aux yeux des hommes, la possession des freda était comme la preuve matérielle de la possession légitime de la justice[204].

La police du domaine, dans lequel l'autorité publique n'avait plus entrée, appartenait de toute nécessité au propriétaire. Quand le roi écrit dans un diplôme que ses propres agents n'auront plus le droit de saisir aucun des hommes du domaine, ni serf ni libre, il est clair que ce droit, que le propriétaire avait déjà en partie comme maître de ses serfs et patron de ses affranchis, lui appartient désormais sans réserve sur tous les hommes qui habitent sâ terre. Le rapprochement que fait le diplôme entre les libres et les serfs, tam ingenuos quam servientes, est singulièrement significatif.

Voyons maintenant ce qu'il advenait de l'impôt. Les expressions qui sont employées sur ce sujet doivent être observées de près et interprétées littéralement. Le roi ne dit pas : L'évêque ou l'abbé ne payera plus de contributions à notre fisc. Il dit : Nos fonctionnaires n'entreront plus sur les terres de l'évêque ou de l'abbé pour percevoir les contributions sur les hommes, libres ou serfs, qui habitent les terres de cet évêque ou de cet abbé[205]. Ainsi, les impôts dont il s'agit ici sont moins des impôts payés par le propriétaire du sol que des impôts payés par ses hommes, c'est-à-dire par ceux qui habitent et cultivent sa terre. Pour s'expliquer l'importance de cela, il faut se rappeler que depuis le temps de l'Empire romain une série de contributions publiques étaient à la charge, non plus du propriétaire, mais des tenanciers à qui il avait distribué les lots du domaine. L'impôt foncier, au lieu de porter en bloc sur sa tête, s'était réparti et distribué entre ses cultivateurs[206].

Cet impôt était-il supprimé par la charte d'immunité ? Nullement. Les diplômes n'ont pas un mot qui implique que les hommes du domaine, libres, colons ou serfs, soient exemptés du payement des contributions publiques. Ils-en ôtent seulement la perception à l'officier du roi pour la confier expressément, ainsi que nous l'avons vu, au propriétaire du sol. Quelquefois le roi stipule que le propriétaire remettra dans ses mains une somme fixe qui répond à peu près au produit net de l'impôt. D'autres fois, il lui fait don de toutes les sommes perçues ; mais, même en ce cas, les termes de la concession marquent bien que les hommes du domaine ne sont pas exempts : Tout ce que le fisc avait droit de percevoir sur les hommes, libres ou serfs, qui habitent les domaines, nous le remettons et concédons à l'église ou au couvent, pour servir au luminaire ou à l'entretien des moines[207]. Ailleurs, le roi dit en parlant des hommes de deux villages : Tout ce qu'ils rendaient autrefois au fisc, ils le payeront désormais à l'abbé[208]. Il est donc certain que le contribuable continue à payer ; mais il paye au propriétaire. Qu'ensuite ce propriétaire ait à compter avec le roi ou qu'il garde les sommes pour lui, cela importe assez peu à l'homme qui a payé. C'est tout au plus s'il sait si l'argent va au roi ou s'il reste à l'évêque. Dans un cas comme dans l'autre, lui, contribuable, ne connaît ni le roi ni l'État : il ne connaît que le propriétaire, lequel lui apparaît désormais comme le vrai maître de l'impôt.

Il resterait à se demander ce que devenait le service militaire, et il y a ici une assez grande obscurité. On sait que ce service était exigé de tous les hommes non serfs, sans distinction de race. On sait même que les lites d'une part, les hommes de l'Église de l'autre, y étaient assujettis. Avant l'immunité, ils devaient obéir à toute réquisition des ducs et des comtes, et ceux qui refusaient de prendre les armes devaient payer une forte amende, laquelle était appelée hériban comme le service lui-même[209]. En cas d'immunité, les hommes étaient-ils exempts ? Aucun diplôme ne le dit ; mais deux diplômes disent expressément que les fonctionnaires publics ne lèveront plus l'hériban, et que ce sera l'Église qui le lèvera pour son propre usage[210]. Il est visible que, si le comte n'a plus la perception de l'hériban qui représente le service militaire, c'est qu'il n'a plus la levée des soldats, et que, si cette sorte d'impôt est donnée à l'évêque, c'est que la levée des soldats lui appartient aussi. On ne voit pas d'ailleurs comment le comte aurait pu forcer les hommes du domaine à le suivre à la guerre, puisque la charte d'immunité lui enlevait le droit de les saisir, distringere, et lui ôtait tout moyen de les contraindre. Ce qui est, sinon certain, du moins très vraisemblable, c'est que le roi ne dispensait pas ces hommes du service militaire, mais qu'écartant ses propres agents, il laissait au grand propriétaire le soin de faire la levée des hommes et de les lui amener, soit par lui-même en personne, soit par sou représentant.

En résumé, la charte d'immunité n'est jamais faite eu faveur des hommes du domaine ; elle est toujours faite en faveur du propriétaire. Elle ne dispense ces hommes ni d'être jugés, ni de payer des impôts, ni de servir comme soldats. Toutes les charges de la population subsistent. Le seul changement est que le droit de justice, la perception des impôts, la levée des soldats, au lieu d'appartenir aux agents du roi, appartiennent au propriétaire. L'immunité ne touche pas, en principe, à l'autorité royale ; elle ne touche pas non plus à la condition ou aux charges des classes inférieures ; seulement, comme elle fait disparaître le fonctionnaire royal et lui substitue le propriétaire, il résulte de là que tout ce que les classes inférieures avaient eu d'obligations envers l'agent royal est transporté de fait au propriétaire.

Voilà donc le grand point obtenu. Le propriétaire, en dépossédant le fonctionnaire public, est devenu un maître absolu sur ses domaines. Vis-à-vis des hommes, libres ou serfs, qui sont manants sur ses terres, il n'est plus seulement un propriétaire ; il est tout ce qu'avait été le comte : il a dans ses mains tout ce qu'avait eu l'autorité publique. Il est le seul chef et le seul juge, comme le seul protecteur. Les hommes de sa terre ne peuvent plus avoir d'autre gouvernement que le sien. Il est vrai qu'à l'égard du roi il reste un sujet, ou plus exactement un fidèle ; mais chez lui il est un roi.

 

CONCLUSION.

On a souvent rapproché l'immunité mérovingienne de l'immunité qui avait existé dans l'Empire romain. Elles diffèrent par des traits caractéristiques.

Il y avait dans l'Empire romain deux sortes d'humanités qu'il faut d'abord distinguer : les unes collectives, les autres personnelles. Les immunités collectives existaient en vertu des lois ; aussi est-ce dans le recueil des lois impériales que nous les trouvons. Elles appartenaient de plein droit à certaines catégories on classes de personnes : en premier lieu, aux palatini, c'est-à-dire aux fonctionnaires de la cour, aux employés supérieurs des bureaux[211], et aussi à ces agents que le prince envoyait dans les provinces sous le titre de agentes in rebus[212], en second lieu, aux hommes qui exerçaient les professions libérales, médecins, professeurs, architectes, peintres[213] ; enfin, à plusieurs professions industrielles ou commerciales, aux navicularii[214], aux orfèvres, aux géomètres, aux fabricants de machines, et à beaucoup d'autres artisans[215], pour qui elles étaient moins une faveur que la compensation de quelques charges spéciales. Il est assez visible que cette sorte d'immunité ne ressemble en rien à l'immunité mérovingienne. Celle-ci n'est jamais collective. On ne voit pas qu'elle soit jamais accordée à des professions ou à des classes d'hommes, pas même aux grands du palais. Elle est essentiellement personnelle.

L'immunité que les empereurs accordaient était. surtout l'exemption des charges municipales. Elle affranchissait de l'obligation de remplir les honores, c'est-à-dire les fonctions fort coûteuses de la cité[216] ; 2° du payement des impôts municipaux[217] ; 3° de certaines prestations dites sordides, sordida munera, qui étaient des corvées municipales'. On y ajouta l'exemption de quelques charges publiques, comme le logement des soldats, le service militaire, et même le payement de quelques surcroîts d'impôts, tels que la superindiction[218]. Mais pour ce qui est des impôts réguliers, de l'impôt foncier, de la capitation, nous ne voyons pas qu'ils aient jamais été compris dans cette sorte d'immunité. Quant à la justice, l'immunité romaine avait seulement pour effet de soustraire celui qui en était l'objet à la justice municipale ou à la juridiction inférieure des judices pedanei[219]. Elle ne supprimait nullement la justice du præses. Quelques hauts fonctionnaires avaient le privilège de n'être jugés que par le prince ; mais cela même n'a qu'une analogie apparente avec le privilège judiciaire de l'immunité mérovingienne.

Il est vrai qu'en dehors de ces immunités collectives et légales il y a eu, durant toute la période impériale, des immunités personnelles qui émanaient de la pure faveur du prince. C'est sur ce point seulement qu'il pourrait y avoir quelque ressemblance avec l'immunité mérovingienne. Mais ces concessions impériales nous sont fort, peu connues. À peine sont-elles indiquées par quelques textes assez vagues qui n'en disent ni la nature ni les effets[220]. Ce qu'on y peut apercevoir, c'est que ces concessions entraînaient une exemption d'impôts[221] ; mais rien n'autorise à penser que l'immunité impériale supprima t la juridiction du fonctionnaire public ; rien ne permet de croire qu'elle interdît au gouverneur de province d'entrer sur la terre de l'immuniste.

L'immunité mérovingienne n'a donc rien de romain, si ce n'est son nom. Est-ce à dire qu'elle vienne de la Germanie ? Il suffit de lire un de ces diplômes pour reconnaître une série de- traits absolument opposés à ce que nous savons de la Germanie antienne. Elle n'est, suivant toute apparence, ni romaine ni germanique. Il faut la prendre comme un fait qui a surgi dans le désordre du ne siècle et qui, se développant et prenant des formes de plus en plus arrêtées, est devenu au VIIe siècle l'institution que nous avons vue. Nous pouvons, après l'avoir étudiée en détail, en résumer les caractères.

1° L'immunité est une faveur, un beneficium[222]. Elle est accordée par le roi personnellement à un homme qui d'ordinaire s'est présenté en personne. Elle, ne vient qu'à la suite d'une demande ou prière dont mention est faite dans l'acte. Puis cette prière et cette faveur se renouvellent à chaque décès. Tous ces traits, qui semblent de pure forme, nous font pourtant saisir le lien étroit qui unit l'immunité aux autres institutions génératrices de la féodalité. [On a remarqué que les rois francs ont assez rarement pratiqué le bénéfice, et qu'ils en ont usé surtout pour rémunérer leurs fonctionnaires. L'immunité était sans doute le bienfait qu'ils accordaient de préférence à ceux de leurs sujets qu'ils voulaient obliger.]

2° Le privilège d'immunité consiste à affranchir l'évêque, l'abbé ou_ le grand seigneur laïque de l'autorité administrative, soit pour la juridiction, soit pour la levée de l'impôt, soit pour la police locale. Elle ne détruit pas d'une manière générale la hiérarchie des ducs, comtes et centeniers, mais elle soustrait des milliers de domaines à leur autorité.

5° Elle ne supprime pas l'autorité royale, le roi ne renonce nulle part à ses droits, il renonce seulement à les faire exercer par l'intermédiaire de ses agents. Dès lors il arrive que l'autorité royale, qui ne peut plus agir administrativement, prend le caractère d'un patronage direct et personnel ; le sujet n'est plus qu'un fidèle. [L'immunité est une des formes sous lesquelles la royauté accordait sa protection, son patronage.]

4° L'immunité est toujours accordée à un grand propriétaire foncier, évêque, abbé ou seigneur laïque ; elle ne l'est jamais aux hommes qui habitent et cultivent les grands domaines. Elle n'a rien de démocratique : elle est toujours à l'avantage des plus grands. Tous les droits dont la royauté dessaisit ses agents, c'est au grand propriétaire qu'elle les donne, ce n'est pas aux classes inférieures. Comme conséquence naturelle de l'exclusion du fonctionnaire royal, le grand propriétaire devient le juge de tous les hommes qui sont sur ses terres, et la justice publique se change, dans l'intérieur des domaines privilégiés, en justice privée. Les impôts sont perçus par le grand propriétaire, et, soit qu'il les porte au roi, soit qu'il les garde pour lui, ces impôts se transforment, dans la pratique, en contributions privées. Toutes les obligations que les hommes des domaines avaient eues auparavant envers l'État, ils les ont désormais envers le grand propriétaire.

Ainsi l'immunité a modifié les rapports des hommes entre eux, aussi bien ceux des propriétaires vis-à-vis du roi que ceux des classes inférieures vis-à-vis des propriétaires.

C'est par là que l'immunité a été l'une des sources du régime féodal. Durant plusieurs siècles, elle a été un de ces faits mille fois répétés qui modifient insensiblement et à la fin transforment les institutions d'un peuple. En changeant la nature de l'obéissance des grands, et en déplaçant l'obéissance des petits et des faibles, elle a changé la structure du corps social. Elle a contribué, pour sa part, à substituer à la monarchie administrative, que l'Empire avait établie et que les Mérovingiens croyaient continuer, le système nouveau de la fidélité. Que les habitants des domaines deviennent les sujets du grand propriétaire, et que ce grand propriétaire devienne un simple fidèle, voilà les deux traits essentiels qui feront le régime féodal ; or cela se trouva établi, dès le VIIe siècle, non pas partout, mais sur mille points du territoire, par l'immunité.

 

 

 



[1] Concilium Aurelianense, c. 5 (Mansi, VIII, p. 352 ; Labbe, IV, 1405).

[2] Chlolarii constitutio, c. 11 (Pertz, Leges, I, p. 5 ; Borelius, Capitularia, p. 18). Sirmond a attribué cet édit à Clotaire Ier, à cause du mot germani qui se trouve dans ce même article. Waitz et Borétius préfèrent l'attribuer à Clotaire II, et il est vraisemblable qu'ils ont raison. Seulement, la raison qu'ils donnent, à savoir que le grand-père de Clotaire Ier étant païen n'a pu donner d'immunités à des églises, est une de ces raisons a priori qui ont peu de valeur historique. Childéric, sans être chrétien, a bien pu traiter avec des évêques.

[3] Epistola Bauracii, Nivernensis episcopi ad Desiderium (dom Bouquet, IV, 44) — Vita S. Balthildis, 9, dans les Acta Sanctorum ordinis S. Benedicti, II, 780.

[4] Nous nous sommes servis de l'édition de Pardessus, Diplomata, chartæ, epistolæ, leges, 1845-1849, édition qui reste encore la meilleure après la publication des Diplomata par K Pertz, dans les Monumenta Germaniæ, 1872. — Pour les diplômes qui sont aux Archives nationales, le texte en est dans Tardif, Monuments historiques, cartons des rois. Sur plusieurs de ces diplômes il faut lire Th. Sickel, Beitræge zur Diplomatik, dans les comptes rendus des séances de l'Académie de Vienne, juillet 1864, p. 175 et suivantes.

[5] Diplomata, n° 58, t. I, p. 50.

[6] Reomaus, dans le pagus Tornodorensis (cf. Grégoire de Tours, De gloria confessorum, 87). Ce pagus ne faisait pas partie, comme on l'a dit, du royaume des Burgondes ; d'après l'Historia epitomata, c. 19, il était du territoire de Clovis dès 495. Ainsi tombe l'une des objections qu'on a faites contre la sincérité de ce diplôme.

[7] Par exemple, il est inadmissible que Clovis ait compté, les abbates parmi les dignitaires de son temps et les ait mis à côté des évêques. Cf. concile d'Orléans de 511, can. 7 et 19. — Clovis n'a pas pu écrire propter merdant tanti patroni... peculiarem patronum nostrum dominum Johannem, Jean n'étant pas encore un saint au moment où la concession de terre lui était faite. — Le petit monastère de Jean ne possédait pas encore les vicos et les villas dont il est parlé dans l'acte. Les expressions primo subjugationis Gallorum anno sont tout à fait inusitées et elles s'expliquent d'autant moins que Clovis savait parfaitement qu'il n'avait pas conquis la Gaule d'un seul coup ni à une date précise. Voir Junghans, Childéric et Chlodovech, trad. G. Monod, p. 145.

[8] C'est l'opinion de Bréquigny et de Pardessus ; je la crois plus juste et plus sage que celle de Junghans qui rejette absolument ce diplôme comme n'ayant aucune valeur.

[9] Diplomata, édit. Pardessus, n° 64 ; édit. Pertz, Spuria, n° 2. Il contient, à la fin, la formule de pleine immunité.

[10] Diplomata, n° 87. — Il faut observer que cet acte se distingue de tous ceux qui concernent l'immunité, en ce qu'il est sous forme de lettre adressée aux concessionnaires. Il faut ajouter que le mot immunitas ne s'y trouve pas. Enfin, les deux concessionnaires sont placés sous la tuitio d'un évêque, ce qui est contraire à toutes les chartes d'immunité que nous connaissons. Cette lettre ne peut donc pas être prise comme type.

[11] Diplomata, n° 88 et 89.

[12] [M. Julien Havet a récemment attaqué les trois diplômes d'Anisola et les a attribués au IXe siècle, Questions Mérovingiennes, IV, École des Charles, t. XLVIII, 1887.]

[13] Flodoard, Historia ecclesiæ Remensis, II, 2.

[14] Flodoard, Historia ecclesiæ Remensis, II, 2.

[15] Diplomata, ri° 242. L'authenticité en est contestée, sans preuves tout à fait convaincantes, du moins en ce qui concerne le fond. M. Pertz le range parmi les spuria. — On sait que Pardessus a inséré dans son Recueil, et à leur date, les diplômes contestés, et même les diplômes reconnus faux ; et il a eu raison. Un acte altéré, interpolé, remanié, peut être fort utile à l'historien. On peut tirer quelques lumières même d'un acte entièrement contrefait, surtout si l'on peut distinguer à quelle date il a été fabriqué, et à la condition qu'on applique les renseignements qui s'y trouvent, non à la date qui y est inscrite, mais à la date où l'acte a été fait.

[16] Diplomata, n° 238.

[17] Diplomata, n° 268. La signification d'immunité ressort de l'emploi des mots absque introitu judicum que nous expliquerons plus loin.

[18] Diplomata, n° 270. Comparez à ce diplôme, qui accorde l'immunité civile, deux bulles de Jean IV et de Martin Ier qui accordent l'immunité ecclésiastique au même monastère (ibidem, n° 502 et 511).

[19] Nous avons trois textes de ce diplôme : deux dans un cartulaire de Saint-Denis, qui est du XIVe siècle (Bibliothèque nationale, lat., 5415), et un troisième aux Archives nationales, K., 1, 7. Celui-ci est semblable au premier texte du cartulaire ; le second texte du cartulaire est sensiblement différent des deux autres. D'ailleurs, celui qu'on a aux Archives n'est pas l'original, il n'est qu'une copie du IXe siècle. Pardessus, Pertz et Sickel sont d'accord pour penser que le diplôme, dans quelque texte qu'on le lise, est faux. Il faut entendre qu'il est faux dans la forme où il nous est parvenu, c'est-à-dire qu'il est tout au plus une copie altérée d'un diplôme vrai. On a dit que Clovis II était l'auteur de la première immunité accordée à Saint-Denis ; mais cela ne ressort pas des documents. — On trouvera le premier texte du cartulaire dans les Diplomata de Pardessus, n° 282, le deuxième texte au n° 281, et le texte des Archives dans les Monuments historiques de Tardif, p. 7-8.

[20] Diplomata, n° 291 et 322.

[21] Diplomata, n° 336 et 337.

[22] Diplomata, n° 541, 567, 568, et Additamenta, t. II, p. 424.

[23] Diplomata, n° 572, 597, 400, 402, 403. [M. Julien Havet attaque également celui de Thierry III. Pour les autres diplômes d'Anisola que nous citons plus loin, et que M. Havet accepte, voir les textes qu'il en donne, Questions mérovingiennes, p. 217 et suivantes.]

[24] Diplomata, n° 417 et 428.

[25] Archives nationales, K, 5, 123. II a été publié par Bordier, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, 1849, p. 59, et par Tardif, Monuments historiques, cartons des rois, n° 41, p. 54. Il a été inséré dans les Diplomata de K. Pertz, p. 64.

[26] Archives nationales, K, 3, 10 ; Diplomata, édit. Pardessus, n° 456. Ce diplôme confirme un diplôme antérieur de Thierry III.

[27] Diplomata, n° 444, 445, 465.

[28] Diplomata, n° 441. Ce diplôme présente une forme particulière, et l'immunité y est, on le comprend, moins étendue que dans les autres. L'appendice de Marculfe, n° 44 (Rozière, n° 25 ; Zeumer, p. 200-201), présente aussi une immunité accordée à un couvent, de femmes.

[29] Diplomata, n° 482, 486.

[30] Archives nationales, K, 5, 17 ; Tardif, Monuments historiques, p. 58-59 ; Diplomata, n° 495.

[31] Extrait du cartulaire rédigé par le moine Folquin au Xe siècle. Guérard, Cartulaire de Saint-Bertin, p. 27. Ibidem, 507.

[32] Diplomata, n° 515, 522, 531, 542.

[33] Diplomata, n° 570.

[34] Diplomata, n° 568.

[35] Flodoard a eu sous les yeux d'anciens diplômes d'immunité. Il ne les a pas insérés dans son histoire : mais il en a résumé le contenu (Historia ecclesiæ Remensis, II, 2) ; or son résumé concorde pleinement avec les diplômes que nous avons.

[36] Marculfe, I, 3 (Rozière, 1859, n° 16 ; Zeumer, p. 43) ; cette formule porte pour titre EMUNITATE REGIS. — Idem, I, 4 (Rozière, 20 ; Zeumer, p. 44) : CONFIRMATIO DE EMUNITATEM. — Idem, I, 14 (Rozière, n° 147 ; Zeumer, p. 52). — Idem, I, 17 (Rozière, n° 152 ; Zeumer, p. 54) : CONFIRMACIO AD SECULARIUUS VERIS. — La formule I, 16, contient aussi mention d'immunité. La formule I, 2, concerne à la fois l'immunité vis-à-vis de l'évêque et l'immunité vis-à-vis des pouvoirs civils. — Enfin l'Appendix ad Marculfum, 44 (Rozière, n° 25 ; Zeumer, p. 200), [Senonicæ, 55], renferme aussi une concession d'immunité ; mais elle est probablement d'âge carolingien.

[37] Parmi les travaux modernes nous citerons : Pardessus, Loi Salique, p. 588 et suivantes. — Lehuérou, Institutions carolingiennes, p. 245-252. — Roth, Geschichte des Beneficialwesens, 1850, p. 118-119. — Zœpfl, Deutsche Rechtsgeschichte, 1872, t. II, p. 225-228. — Idem, Altherthamer, 1860, t. I, p. 59-54. — Waitz, Deutsche Verfassungsgeschichte, t. II, p. 654-645 de la seconde édition. — Th. Sickel, Beitræge. zur Diplomatik, III, dans les Sitzungsberichte de l'Académie de Vienne, 1864, juillet, p. 175 et suivantes. — Tout récemment, M. Prost a publié dans la Revue historique du droit français et étranger, t. VI, une étude sur l'immunité, étude sérieuse, mais où beaucoup d'affirmations nous paraissent inexactes. Il s'est d'ailleurs peu occupé de la période mérovingienne qui fait l'objet spécial de notre travail.

[38] [Cf. La Monarchie franque.]

[39] [Cf. La Monarchie franque.]

[40] [Cf. La Monarchie franque.]

[41] [Cf. La Monarchie franque.]

[42] [Cf. La Monarchie franque.]

[43] [Cf. La Monarchie franque.]

[44] [Cf. La Monarchie franque.]

[45] Dans la langue mérovingienne, les mots judiciaria potestas s'appliquent à toute fonction publique conférée par le roi (Diplomata, n° 506 et passim).

[46] [Cf. La Monarchie franque.]

[47] Grégoire de Tours, Historia Francorum, IV, 46 ; VIII, 45 ; X, 21. Vita S. Rigomeri, dans dom Bouquet, III, 427.

[48] Il pouvait surtout abuser de l'amende appelée hériban. Voir quelques exemples dans Grégoire de Tours, Historia Francorum, V, 28 ; VII. 42. Cf. Lex Ripuaria, LXV ; Diplomata, t. II, p. 255.

[49] Guntchramai præceptio, dans Borétius, Capitularia, p. 12. Pertz, Leges, I, 5. Cf. capitulaire de 884. Concile de Châlon de 815, c. 21. — Sur la subordination du vicarius au comte, cf. la Monarchie franque.

[50] Grégoire de Tours, Historia Francorum, IV, 42 ; VIII, 18.

[51] Grégoire de Tours, Historia Francorum, III, 16 ; IV, 40 ; V, 48 ; VIII, 45 ; etc.

[52] Epistola Rauracii episcopi ad Desiderium (Bouquet, IV, 44).

[53] Constitutio Chlotarii, 6 (édit. Borétius, p. 19).

[54] Guntramni edictum (Borétius, Capitularia, p. 12).

[55] Decretio Childeberti, art. 7 (édit. Borétius, p. 17).

[56] Diplomata, n° 270.

[57] Diplomata, n° 111, 341, 372, 531.

[58] Diplomata, n° 441.

[59] Marculfe, I, 5.

[60] Quelques actes portent plusieurs signatures d'évêques ou de comtes ; mais ces actes ne sont pas parmi les plus authentiques.

[61] Marculfe, I, 5 et I, 4. — Diplômes, de 528, ri° 111, de 637, n° 281, de 661, n° 541, de 685, n° 402, de 546, n° 144, de 655, n° 270, de 682, n° 400, de 716, n° 495, de Childebert III (aux Archives nationales, Tardif, Monuments historiques, n° 41).

[62] Diplôme de Childebert III pour Tussonval ; diplôme du même pour Saint-Maur ; diplôme de Chilpéric II pour Saint-Denis ; diplôme du même pour le même monastère. Archives nationales, K, 5, 10 ; K, 5, 123 ; K, 5, 17 ; K, 5, 18.

[63] Marculfe, I, 3. Cette phrase se retrouve dans presque tous les diplômes.

[64] Ce terme beneficium, qui est dans la formule de Marculfe, se retrouve dans presque tous les diplômes d'immunité (diplômes, de 660, n° 557, de 682, n° 400 de 718, n° 507). Quand le mot beneficium ne se trouve pas, il y a un synonyme ; les termes indulsimus, indultum reviennent sans cesse.

[65] Diplômes de 655, n° 270 et de 661, n° 541, etc.

[66] Diplômes, de 546, n° 144, de 528, n° 111, de 657, n° 281, de 675, n° 568.

[67] Marculfe, I, 5, in fine.

[68] Diplôme de 627, n° 242. — Diplôme de 652, n° 258. — Diplôme de 705, n° 465.

[69] Diplôme de 528, n° 111. — Diplôme de 550, n° 156 ; de 675, n° 568 ; de 685, n°102 ; de 692, ri" 428 ; de 696, n° 456 ; de 721, n° 551. — Diplôme de 652, n° 255. — Diplôme de 657, n° 281 ; de 655, n° 270 ; de 661, n° 341 ; de 716, n° 495. — Diplôme de 661, n° 511.

[70] Diplôme de 696, n° 436, de 697, n° 444, de 673, n° 367.

[71] Diplôme de 525, n° 111.

[72] Diplôme de 652, n° 258. — Diplôme de 657, n° 281. — Diplôme de 674, n° 372.

[73] Diplôme de 716, n° 495.

[74] Diplôme de 657, n° 280, de 638, n° 291.

[75] Diplôme de 658, n° 291, de 691, n° 417, de 705, n° 463, de 721, n° 515, de 745, n° 599.

[76] Diplôme de 546, n° 144, de 562, n° 168, de 692, n° 428.

[77] Marculfe, I, 14. Dans cette formule il s'agit d'une donation de terre avec immunité. L'immunité y est bien marquée.

[78] Marculfe, I, 17. La phrase si petitionibus fidelium remplace la phrase ordinaire si petitionibus sacerdotum. La requête du concessionnaire est mentionnée dans les mêmes termes. La faveur toute bénévole du roi est marquée dans les mêmes formes. L'acte s'appelle aussi une auctoritas.

[79] Marculfe, I, 17. Une autre différence est que l'immunité ne s'étend pas, comme pour les églises, à tous les domaines pli seront acquis à l'avenir.

[80] Vita S. Eligii ab Audœno, I, 15. — De même nous remarquons dans le diplôme 292 que Blidégisile est simple diacre et que c'est comme particulier qu'il reçoit, avec une terre, le privilège d'immunité.

[81] Diplomata, n° 108. — Il y a dans Marculfe une formule de donation de magna re, c'est-à-dire d'un grand domaine, à un monastère ou à une église, et nous y lisons que le donateur, lequel est certainement un laïque, cède sa terre, remota officialium seu publicorem omnium potestate, sub integre emunitate, sicut a me possessa est (Marculfe, II, 1 ; Rozière, n° 571). Cette formule donne à penser que l'immunité accordée à la terre d'un laïque n'était pas rare.

[82] Diplôme de 559, n° 156. — Diplôme de 652, n° 258. — Diplôme de 665, t. II, p. 424. — Quelquefois le roi emploie la formule plus courte omnibus agentibus (diplôme de 660, n° 557 ; de 692, n° 428 ; de 705, n° 465 ; de 712, n°482). — Parfois l'acte royal est adressé à un seul duc ou comte ; c'est que les domaines sur lesquels on accorde l'immunité sont situés dans un seul duché ou comté (diplôme de 655, n° 268 ; de 658, n° 291) ; autrement le roi s'adresse à tous les fonctionnaires du royaume, au moins à tous ceux dans le ressort desquels l'immuniste possède des biens, in quorum actionibus habet (diplôme de 721, n° 515 ; de 745, n° 570). — Souvent le diplôme est adressé aux évêques en même temps qu'aux comtes ; dans ce cas, il s'agit ordinairement de monastères, lesquels avaient à se prémunir autant contre les évêques que contre les officiers du roi.

[83] Diplomata, n° 281, 337, 368, 402, 465, 495, etc.). — n° 268. — n° 336. — n° 557. — Voir encore les n° 144, 400, 441, 463. — Deux ou trois fois ces mots mêmes ont disparu, mais on trouve alors le mot cognoscile, qui ne peut se rapporter qu'aux agents du roi.

[84] Je ne vois d'exception à cette règle que la lettre de Clovis à Euspice et à Maximin (Diplomata, n° 87.) Il y a aussi une lettre de Childebert adressée à l'abbé Ephibius ; mais cette pièce, fort différente de tous nos diplômes, est jugée très suspecte par Pardessus. Sauf ces deux cas, toute, concession d'immunité est adressée aux fonctionnaires royaux.

[85] Diplôme de 497, n° 58. — Diplôme de 745, n° 499.

[86] Si les rois avaient gardé la copie ou la minute, il n'aurait pas été nécessaire que les concessionnaires représentassent l'original à chaque changement de règne, ainsi que nous le voyons dans les diplômes de confirmation.

[87] L'article XI de la Constitutio Chlotarii ne vise que les églises et les clercs qui ont obtenu l'immunité.

[88] Marculfe, I, 5.

[89] Marculfe, I, 14. — Diplomata, n° 400, 436, 441, 486, 4'36, etc. — Marculfe, I, 4. — Diplomata, n° 341, 367, 402, 405, etc.

[90] Marculfe, I, 5. — Diplôme de 675, n° 367. — Cf. n° 258, 270, 281, 405, etc.

[91] Le premier diplôme a été donné par Clovis II ; nous ne l'avons plus, mais il est cité dans un diplôme de 691, di il est dit qu'il en a été donné lecture (voir le Cartulaire de Saint-Bertin, p. 35). Le second diplôme est de 662 ; il est dans les Diplomata, n° 343, et dans Guérard, Cartulaire de Saint-Bertin, p. 20. C'est proprement une autorisation d'échange de terres ; mais la clause d'immunité s'y trouve à la fin. Puis la concession a été renouvelée par Childéric II, dont nous n'avons plus le diplôme, par Thierry III (Diplomata, n° 400 ; Cartulaire, p. 27) ; et elle l'a été successivement par Clovis III, Childebert III, Chilpéric II, Thierry IV et Childéric III (Diplomata, n° 417, 507, 515, 580 ; Cartulaire, p. 31, 42, 47, 51).

[92] Marculfe, I, 4 ; I, 17.

[93] Voir particulièrement les diplômes de 652, n° 258, et de 691, n° 417.

[94] Diplôme de 528, n° 111 ; diplôme de 546, n° 144. — Pardessus croit que les deux diplômes sont authentiques ; Sickel conteste le premier, à cause de quelques mots et de quelques formes qui ne lui paraissent pas être de cette époque (Sickel, Beitræge zur Diplomatik, dans les comptes rendus de l'Académie de Vienne, juillet 1864, p.188). [M. Havet a repris et fortifié les doutes de Sickel dans son étude sur les chartes de Saint-Calais (Anisola). Questions mérovingiennes, IV.]

[95] Je n'en connais d'autre exemple que celui que donne Grégoire de Tours en parlant de Chilpéric (VI, 46). L'ensemble de la phrase indique qu'il s'agit de præceptiones in ecclesias conscriptæ, c'est-à-dire vraisemblablement de diplômes d'immunité.

[96] Marculfe, I, 5.

[97] Nous traduisons ainsi les mots juniores vestri. Dans la langue mérovingienne, senior signifie le supérieur, junior l'inférieur. Juniores s'appliquait particulièrement aux agents inférieurs de l'administration. Voir des exemples dans Diplomata, n° 156, n° 515. — Dans le diplôme n° 402, les mots junioribus vestris sont remplacés par subditis vestris, ce qui signifie littéralement vos subordonnés, les agents sous vos ordres. Nous avons vu en effet plus haut que les vicaires et les centeniers n'étaient que les subordonnés et les agents des comtes. Juniores était donc synonyme de subditi. — Dans Grégoire de Tours, V, 26, les mots junioribus ecclesiæ désignent les serviteurs d'une église, ceux qu'on appelle ailleurs homines ecclesiæ [cf. IX, 6]. De même dans le premier concile de Paris, can. 4.

[98] Diplomata, n° 242, 258, 270, 291, 336, 341, 357, 456, 402, 405, 414, 487, 507, 515, 542, 570, n° 4 des Additamenta. Comparez Marculfe, I, 2.

[99] Diplomata, n° 58, 111, 144, 168, 381, 368, 372, 400, 402, 428, 436, 441, 465, 482, 486, 491, 495, 522, 551, 568, 599. — Les deux formes sont employées concurremment dans la formule de Marculfe et dans plusieurs diplômes, par exemple dans celui de Childebert III pour Saint-Maur-des-Fossés qui est aux Archives nationales.

[100] Diplôme de 661, n° 541. — Appendix ad Marculfum, 44 ; Carta Senonicæ, 55. —Diplôme de 696, n° 456, aux Archives nationales, K, 5, 10. — Par un acte de 659, Clotaire III donne au monastère de Corbie dix domaines (Diplomata, n° 336).

[101] Diplôme de 655, n° 268 ; diplôme de 681, n° 599. — Marculfe, I, 4 ; I, 14 ; I, 17. Quelques diplômes (n° 367 et 405) portent absque interdictu judicum ; il y a apparence que interdictu est pour introitu.

[102] Boutaric, De l'origine et de l'établissement du régime féodal, dans la Revue des questions historiques, 1875, tirage à part, p. 45-50. Le diplôme qu'il cite est celui qui fut donné par Dagobert Ier à l'abbaye de Saint-Denis, entre 651 et 657, dont une copie se trouve aux Archives nationales (K, 1, 7 ; cf. Diplomata, n° 282).

[103] Dans les deux diplômes en faveur de Réomé, tous les deux fort suspects, on trouve les mots nos nostrique successores ; mais il faut noter que la phrase n'est pas la même que dans les antres diplômes ; il s'agit d'une concession de terre, et le roi dit que ni lui ni ses successeurs ne reprendront cette terre : ce n'est pas là l'immunité. De même Clotaire Ier s'interdit le droit de lever des contributions, nec nos nec publici judices requisitiones requiramus. L'immunité n'est pas là. Dans les 40 diplômes et les 4 formules où l'entrée est interdite, ce sont les mots vos et vestri qui se lisent, et ils s'adressent aux ducs et aux comtes. — Il est vrai que dans un diplôme de 660 donné par Clotaire III à l’abbaye de Corbie (n° 337), on lit nos et nostri ; mais il faut faire attention que le verbe de cette phrase est præsumatis ; cette seconde personne du pluriel suppose pour sujet vos et vestri ; il est donc très probable que nos et nostri sont une faute du copiste.

[104] Voir Pardessus, Diplomata, Prolégomènes, p. 55. Il a tiré ces deux copies d'un manuscrit de la Bibliothèque nationale, n° 5415. — K. Pertz range ce diplôme parmi les spuria, et il n'est pas attaqué sur ce point par Sickel dans la critique que ce savant a faite de son édition, Berlin, 1873.

[105] Archives nationales, K, 5, 10 ; K, 5, 423 ; K, 5, 17 ; K, 5, 18. Tardif, Cartons des rois, n° 37, 41, 46, 46.

[106] Comparer d'autres formules analogues, relatives à la mainbour royale, où on lit : Nec vos nec juniores aut successores vestri (Marculfe, I, 24 ; Rozière, 9) ; nullus ex vobis (Lindenbrog, 58 ; Marculfe, Additamenta, 2 ; Rozière, 10) ; neque vos (Lindenbrog, 177 ; Cartæ Senonicæ, 28 ; Rozière, 11) ; nullus ex vobis sine ex junioribus vestris (Rozière, 12 ; Formulæ imperiales, 32) ; jubemus ut nullus vestrum (Rozière, 15 ; Formulæ imperiales, 41) ; concessimus ut neque vos neque juniores atque successores vestros (Appendix ad Marculfum, 51 ; Cartæ Senonicæ, 19 ; Rozière, 58).

[107] Nous avons à faire une remarque sur les mots neque successores vestri. On s'étonne au premier abord que le roi, s'adressant à ses comtes leur dise : Vos successeurs, et cela s'éloigne fort de nos idées. Mais il faut songer : 1° que les fonctionnaires mérovingiens étaient fréquemment déplacés ; 2° qu'ils n'étaient pas solidaires entre eux. Un comte mirait donc pu alléguer que le diplôme ne s'adressait pas à lui, puisqu'il n'était pas comte à la date qui y était inscrite. Cela était surtout vrai quand le diplôme était spécialement adressé à tel duc ou à tel comte désigné par son nom, comme cela est dans plusieurs diplômes. Il était donc de toute nécessité qu'un mot indiquât qu'en cas de changement le successeur serait lié aussi bien que l'était le titulaire actuel.

[108] Flodoard résume cette clause des diplômes qu'il avait sous les yeux, en ces termes : Uti nullus judex publicus in ipsas terras auderet ingredi (Historia ecclesiæ Remensis,  11).

[109] Epistola Rauracii episcopi, dom Bouquet, IV, 44.

[110] Diplôme de 673, n° 368.

[111] Diplomata, n° 417, 486, 507, 515, 570.

[112] Diplomata, n° 270, 341, 599, 111, 441. — Formules, édit. de Rozière, n° 13 ;  Formulæ Imperiales, 41. — Diplôme de 724, n° 531, de 748, n° 599. — Marculfe, I, 2.

[113] L'exclusion est quelquefois prononcée même contre les missi ex palatio discurrentes. Cependant je ne trouve cette exclusion que dans trois diplômes (n° 144, 168, 172). Encore faut-il noter que ces trois diplômes appartiennent au même monastère, celui d'Anisola, et ne forment, en quelque sorte, qu'un seul document. Je voudrais trouver d'autres textes avant d'affirmer que les missi, les missi a latere regis, représentants directs du roi, fussent exclus, comme les comtes et les centeniers, des domaines immunistes. [M. Havet a refait cette remarque et en a tiré une nouvelle preuve contre l'authenticité de ces diplômes, p. 29 et suivantes.] Il n'est pas de notre sujet de parler de l'immunité ecclésiastique par laquelle un monastère était affranchi de l'autorité de l'évêque. Les principaux documents sur ce sujet sont : Bulles des papes Jean IV et Martin Ier ; lettres de Grégoire le Grand, II, 41 ; VIII, 12 ; IX, 3 ; XIII, 8 ; lettre du pape Théodore pour le monastère de Bobbio. Migne, t. LXXXVII, p. 99 ; 2° lettres et chartes d'évêques dans les Diplomata, n° 172, 201, 221, 320, 333, 335, 544, 345, 391, 401, 512 ; 5° lettres ou diplômes des rois, particulièrement pour le monastère de Rebais (n° 270), et pour le monastère de Stavelot (n° 575) ; 4° formules de Marculfe, I, 1 ; I, 2 (Rozière, n° 574 et 575). — Le formulaire de ces immunités ecclésiastiques ressemble en plusieurs points à celui des immunités civiles ; elles consistent essentiellement à écarter l'évêque et à lui interdire l'entrée, sauf certains cas déterminés dans l'acte.

[114] Marculfe, I, 3 (Rozière, n° 16) ; Appendix ad Malculfum, 44 (Cartæ Senanicæ, 35).

[115] Diplomata, édit. Pardessus, n° 58, 242, 258, 270, 281, 291, 336, 341, 367, 405, 417, 428, 456, 482, 486, 487, 495, 507, 515, 522, 542, 568, 570, 590. Joignez-y le diplôme de Childebert III en faveur de Saint-Maur. — Je ne vois l'expression ad audiendas altercationes que dans un diplôme de 715, n° 538, et dans la formule de Marculfe.

[116] Diplôme de 697, n° 414 ; diplôme de 705, n° 465. Les mots ad agendam se trouvent aussi dans la formule de Marculfe, I, 4, et ils y occupent exactement la même place que les mots causas audiendas occupaient dans I, 3.

[117] Diplôme de 546, n° 114 ; de 674, n° 572 ; de 721, n° 551. La même expression se trouve dans la formule de Lindenbrog, 177 (Rozière, n° 91 ; Cartæ Senonicæ, 28).

[118] Grégoire de Tours, Historia Francorum, VIII, 18. — Idem, VIII, 12. — Cf. Fortunat, Carmina, VII, 5. — La Loi des Ripuaires, article LXXXVIII, énumère tous ceux qui rendent la justice : Majordomus, domesticus, comes, gravio. — Exemples de jugements rendus par le comte jugeant directement et prononçant souverainement : Grégoire de Tours, Historia Francorum, IV, 43 ; VI, 8 ; In gloria confessorum,  101 ; In gloria martyrum, 73 ; De virtutibus Martini, III, 55 ; Vitæ patrum, VII, 9. Cf. Vita Walarici dans les Acta Sanctorum ordinis Benedicti, II, 81 ; Vita Amandi, ibidem, II, 714.

[119] Aug. Prost, L'immunité, dans la Nouvelle Revue historique du Droit, mars 1882, p. 157 et suivantes. (M. Prost est revenu sur ce sujet pour défendre sa théorie, et il l'a fait avec énergie et talent, quoique sans nous convaincre. Revue historique, t. XXIV, p. 357 et 558, et surtout son grand article sur La justice privée et l'immunité, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France, 2e série, t. VII, surtout c. 5 et c. 6.]

[120] Ainsi le roi dit en tête de ses arrêts judiciaires : Cum nos ad universorum causas audiendas in palatio nostro resideremus. — Cf. Lex Alamannorum, XLI. — Déjà dans la langue des jurisconsultes romains, causam audire signifiait juger ; on peut voir des exemples de cela au Code Justinien, I, 4, 8 ; I, 4, 13 ; III, 24, 5, etc.

[121] Flodoard, Historia ecclesiæ Remensis, II, 11 (ibidem, II, 17).

[122] Marculfe, I, 26 (Zeumer, p. 59).

[123] Marculfe, I, 27.

[124] Nous pouvons citer comme exemple l'église de Reims, qui, au temps de l'évêque Nivard (650-670), chargeait un de ses prêtres de soutenir ses procès devant le roi ; et pourtant l'église de Reims possédait déjà au moins deux diplômes d'immunité (Flodoard, Historia ecclesiæ Remensis, II, 10).

[125] Diplôme de 562, n° 168 ; de 674, n° 572. — Diplôme de 748, n° 599. — Marculfe, I, 24 (Rozière, n° 9). — Cf. Formules de Lindenbrog, n° 58 (Rosière, n° 10 ; Additamenta Marculfe, 2). — Les diplômes et les formules que nous citons ici concernent plutôt la mainbour que l'immunité ; mais nous verrons plus loin quel lien il y avait entre les deux choses.

[126] [M. Prost, p. 37 et p. 38 de son dernier travail, cite quelques exemples, mais il semble avoir tort d'en conclure que l'immuniste est toujours justiciable des juges publics et tenu de comparaître devant eux, soit pour lui-même, soit pour ses hommes libres et non libres. M. Viollet a remarqué, p. 400 de ses Institutions, qu'il s'agit de fugitifs qui ont pénétré dans le domaine privilégié : on ne saurait penser que l'immunité créa pour lui un droit d'asile. Il faut surtout noter que les textes cités par M. Prost sont fous de l'époque carolingienne.]

[127] C'est le cas spécifié dans la formule de Marculfe, I, 26.

[128] C'est le cas spécifié dans la formule do Marculfe, I, 27.

[129] Marculfe, I, 3 ; idem, I, 4 ; Diplomata, n° 58, 242, 258, 210, 291, 356, 367, 368, 402, 403, 417, 428, 439, 463, 482, 486, 487, 495, 507, 515, 522, 542, et le diplôme de Childebert III en faveur de Saint-Maur.

[130] Marculfe, I, 14 ; I, 17. — Lex Ripuaria, LXXXIX.

[131] Grégoire de Tours, De virtutibus S. Martini, IV, 26. — Idem, Historia Francorum, VI, 95. — Dans la Lex Salica, XIII, fredus n'a pas d'autre sens que celui de composition ; mais c'est qu'il s'agit d'un cas où le roi est la partie lésée, et alors la composition et le fredum se confondent. — Voir sur le fredum la Decretio Chlotarii, article 16, édit. Borétius, p. 7 ; Lex Baiuwariorum, I, 6, 7, 9 ; IX, 14 ; XIII, 2, 5. [Cf. La monarchie franque.]

[132] Cela ressort du titre L de la Lex Salica. Cf. Lex Alamannorum, XXXVI, 5 ; Lex Baiuwariorum, XIII, 2 et XIII, 5. Diplôme de 695, n° 431.

[133] Voir Lex Wisigothorum, II, 1, 25. — Lex Baiuwariorum, II, 15 (Pertz) ou II, 16 (Baluze). — Le fredum parait avoir été, le plus souvent, le tiers de la composition (Lex Salica, L). Cf. capitulaire de 801, c. 24 (Pertz, p. 86). Mais nous ne savons pas quelle était la proportion entre la part du roi et la part du comte. La Loi des Bavarois fixe la part du juge à un neuvième de la composition totale ; celle des Visigoths à un vingtième seulement.

[134] Un diplôme porte injusta freda tollendum (diplôme de 658, n° 291) ; mais je ne trouve le mot injusta dans aucun autre ; et d'ailleurs ce diplôme est très suspect (voir Pardessus, Prolégomènes, p. 75). Nous devons donc penser, conformément à tout l'ensemble des documents, que cc ne sont pas seulement les freda illégaux, mais bien tous les freda qui sont interdits aux fonctionnaires royaux sur les terres d'immunité.

[135] Marculfe, I, 5 ; I, 4 ; Diplomata, 958, 21, 291, 567, 405, 417, 465, 486, 495, 507, 515, 522, 568.

[136] Voir une anecdote racontée par Grégoire de Tours (1V, 45) où l’historien cite, comme contraire à l'usage, qu'un duc ait fait mettre en prison un prévenu qui demandait à rester libre datis fidejussoribus. Il cite ailleurs (VI, 12) une femme quæ, dalis fidejussoribus, Tolosæ dirigitur. — Cf. Capitularia Caroli Calvi, XLV, 3 (Baluze, Capitularia, II, 229).

[137] Pérard, Instrumenta historiæ Burgundicæ, p. 35.

[138] Capitularia Caroli Calvi, XLV, 5.

[139] Grégoire de Tours, Historia Francorum, VIII, 45. — Ibidem, VIII, 7. — Ibidem, VI, 11.

[140] Capitulaire de 793, art. 6, dans Baluze, I, 542). — Capitularia, livre III, art. 54 ; livre VI, art. 219). — Capitularia Caroli Calvi, XIV, 4 ; Baluze, II, 65.

[141] Cela ressort de deux textes un peu postérieurs à l'époque qui nous occupe ; mais la règle est certainement ancienne. Capitularia Caroli Calvi, XXXVI, 25, Baluze, II, 185. — Capitulaire de 819, c. 15 ; Baluze, I, 603.

[142] On a en .effet plusieurs exemples où les fidejussores sont donnés, non pas pour la comparution en justice, mais pour l'exécution de l'arrêt. Ainsi, dans Grégoire de Tours, Historia Francorum, 1X, 8, Childebert dit : Veniat coram nobis et lotis fidejussoribus in præsencia paltrui mei, quicquid illius judicium decreverit, exsequamur. — De même dans le De gloria confessorum, 70 ; si l'évêque donne des fidejussores, c'est pour assurer le payement de l'amende de 500 aurei dont il va être frappé. — La Formule des Turonenses, n° 52 (Rozière, n° 465), nous montre deux accusés pour lesquels la peine de mort est commuée en une composition ; ils donnent immédiatement un fidejussor pour garantir le payement.

[143] Grégoire de Tours, VI, 11. — Capitulaire de 882 ; Baluze, II, 228. — Capitulaire de 882 ; Baluze, II, 289). Cf. Papianus, XI, 3, dans Pertz, Leges, t. III, p. 601.

[144] Grégoire de Tours, Historia Francorum, VIII, 12.

[145] Grégoire de Tours, Historia Francorum, VIII, 12.

[146] Vita S. Rigomeri, dans dont Bouquet, III, 427.

[147] Vita S. Præjecti, c. 10, 11, dans les Acta Sanctorum ordinis Benedicti, II, p. 643-644.

[148] Marculfe, I, 27. — Cf. capitulaire de 756 (Baluze, I, 178).

[149] Marculfe, I, 28. — Cf. Lex Ripuariorum, XXXII, 4. — Præceptum Childeberti I (Borétius, p. 2).

[150] Capitularia Caroli Calvi, XIV, 1, dans Baluze, II, 227.

[151] Diplôme de Charles le Simple dans les Historiens de France, t. IX, p. 479.

[152] Diplomata, n° 242, 258, 291, 417, 507, 515. — Marculfe, I, 4. — Diplôme de Childebert III en faveur de Saint-Maur.

[153] Capitularia, III, 87 ; Baluze, I, 770. — Capitulaire de 756, art. 5 ; Baluze, 1, 178.

[154] Capitulaire de 875, art. 5 ; Baluze, II, 228. — Capitulaire de 812 ; Baluze, I, 547.

[155] Turonenses, 35 ; Rozière, le 445 ; Zeumer, p. 155.

[156] Marculfe, I, 5 ;1 ;4 ; Diplomata, n° 58, 258, 291, 536, 367, 403, 428, 436, 465, 482, 486, 487, 495, 507, 515, 522, 568.

[157] C'est ce qu'on appelait hospitium, ou metatum. Voir Ulpien, au Digeste, L, 4, 5, 513 et 14 ; 1, 16, 4 ; I, 18, 6, § 5 ; L, 5, 10. — Code Théodosien, VII, 8. — Code Justinien, XII, 40 ; XII, 41.

[158] Lex Ripuariorum, LXV. Cf. Capitularia, III, 59, dans Baluze, I, 761.

[159] Marculfe, I, 3 ; I, 4. — Diplôme de Childebert III pour Saint-Maur. — Cf. Diplomata, n° 258, 291, 336, 367, 405, 436, 465, 486, 507, 515, 522.

[160] Marculfe, I, 11. Marculfe ne donne pas les chiffres ; ceux-ci variaient, bien entendu, suivant le rang des personnages. Comparer un capitulaire de 829, dans Baluze, I, 61.

[161] Grégoire de Tours, Historia Francorum, VIII, 42. — Il va sans dire que les rois avaient aussi le droit de gîte et crue leur suite abusait aisément de ce droit ; c'est ce que fait entendre Grégoire de Tours, VI, 51.

[162] Notons bien que, par les termes de ces chartes d'immunité, le ro, enlève le droit de gîte et les prestations à ses fonctionnaires, mais non pas à lui-même.

[163] Diplômes, de 655, n° 270, de 661, n° 541, de 683, n° 402, de 705, n° 463). — Marculfe, I, 4. — Diplômes, de 675, n° 567, de Childebert III pour Saint-Maur. — Voir encore les diplômes n° 402, 405, 417, 495, 507, etc.

[164] Marculfe, I, 5. — Diplôme de Childebert III pour Tussonval.

[165] Diplômes de 675, n° 368 et de 682, n° 400, diplôme attribué à Clovis, n° 58. — Cf. Chlotarii constitutio, c. 11.

[166] Diplomata, n° 144, 168, 372 ; Gesta Dagoberti, 37. Le mot inferenda est encore rare dans les documents mérovingiens.

[167] Diplômes, de 657, n° 281, de 715, n° 486, de 716, n° 495, de 697, n° 444, de 627, n° 242, de 683, n° 402, de 675, n° 567 ; de 683, n° 405.

[168] Diplômes, de 715, n° 486, de 722, n° 522, de 745, n° 568, de 683, n° 402.

[169] Diplôme de Childebert III, n° 465. — Voir de même un diplôme de 715, n° 486. — Voir encore le diplôme de 722, n° 522, cité plus haut.

[170] Marculfe, I, 3 ; 4. Diplôme de 655 en faveur des matricularii de Saint-Denis. — Diplômes, de 655, n° 270, de 661, n° 541, de 682, n° 400, de 685, n° 402. — Voir encore les diplômes n° 242, 281, 557, 456, 444, 495, 542, 568.

[171] L'abandon du jus fisci se trouve nettement exprimé dans 16 de nos diplômes mérovingiens.

[172] Diplôme de 675, n° 368.

[173] Edictum Chlotarii, art. 9.

[174] Diplomata, n° 258, 291, 567, 403. — C'est ici la teloneorum remissio dont parle Flodoard, Historia ecclesiæ Remensis, II, 11.

[175] Diplôme de 660, n° 337. — Diplôme de Thierry III, année 681, aux Archives nationales, K, 2 ; Pardessus, n° 597. — Diplôme de Chilpéric II, pour Saint-Denis, 716, aux Archives nationales, K, 5, 18. Cf. Flodoard, Historia ecclesiæ Remensis, II, 7. — La même immunité a été accordée quelquefois à des laïques. Voir la formule 45 de l'Appendiæ ad Marculfum (Rozière, n° 51 ; Zeumer, p. 201).

[176] Diplôme de 562, n° 167, en faveur de l'église de Tournai. Sur l'authenticité de ce diplôme, qui n'est pas à l'abri du soupçon, voir les Prolégomènes, p. 31. — Cf. diplôme de 651, n° 519. Cf. Vita S. Remacli, c. 20.

[177] Diplôme de Dagobert Ier, n° 258.

[178] Elle est devenue fréquente dans les diplômes carolingiens.

[179] Marculfe, I, 17 ; Rozière, n° 152.

[180] [Voir plus haut, ch. XIII et XIII.]

[181] Sur l'hostilité entre l'évêque et le comte, voir de nombreux exemples dans Grégoire de Tours, III, 16 ; IV, 59 ; V, 47 ; VIII, 20 ; 43, etc.

[182] [Cf. chapitres XIII et XIV.]

[183] Diplôme de 346, n° 141. — Cf. diplôme de 328, n° 111.

[184] Diplomata, n° 136.

[185] Diplomata, n° 58.

[186] Diplôme de 724, n° 531. — Nous devons noter qu'il y a des raisons de croire que ce diplôme n'a été écrit qu'au IXe siècle, après l'incendie du couvent de Maurmunster en 828. Il n'est peut-être qu'une copie faite de mémoire d'un diplôme brùlé. — Cf. diplôme de 748, n° 559, où l'on remarque le mot commendare.

[187] Diplôme de 627, n° 242.

[188] Diplôme de 637, n° 280, de 674, n° 572. — Voir la formule carolingienne, dans l'édition de Rozière, n° 24 [Imperiales, 29]. — Rozière, n° 21 [Imperiales, 28].

[189] Marculfe, I, 24 ; édit. de Rozière, n° 9 ; édit. Zeumer, p. 58. — Cf. Cartæ Senonicæ, 28 (Rozière, 11) ; Additamenta ad Marculfum, 2 (Rozière, 10).

[190] Édit de Clotaire Il, année 614, art. 12. — L'église de Reims, pour citer un exemple, possédait des domaines in Austrasia, Neustria, Burgundia, seu partibus Massiliæ, in Rodonico etiam, Cavalitano, Arvernico, Turonico, Pictavico, Lemovicino (Flodoard, Historia ecclesiæ Remensis, II, 11).

[191] [Cf. le volume sur l'Alleu, ch. XII.]

[192] [Cf. le volume sur l'Alleu.]

[193] Le terme homo a dès le VIe siècle la signification d'homme dépendant. On trouve des exemples de cela dans Cassiodore, Lettres, X, 5 ; Grégoire le Grand, Lettres, III, 57 ; VI, 9. Cf. homo vester dans la formule de Marculfe, I, 27. Voir aussi dans les diplômes, passim, les expressions homines ecclesiæ, homines ejus (id est, episcopi), homines eorum (id est, monachorum), homines monasterii ; et dans l'édition de 614 : Homines ecclesiarum aut potentum (art. 15, édit. Borétius, p. 22). Le mot familia désigne, tantôt les serfs spécialement, tantôt tout cet ensemble d'hommes dépendants et de serviteurs ; exemple : Cum omni familia rebusque monasterii (diplôme de 721, n° 551).

[194] Diplômes n° 281 et n° 495. — Cf. Lex Alamannorum, I. 1 ; concile d'Orléans de 519, c. 7 et de 589, c. 8 ; concile de Mâcon de 585, c. 7 ; de Paris de 611, c. 7. Polyptyque d'Irminon, III, 61, p. 51 ; IV, 51, p. 57 ; X, 47, p. 213 ; XXIV, 112, p. 260.

[195] Diplômes n° 281 et 493. — Cf. Marculfe, II, 6 (Rozière, n° 213) ; II, 5 (Rozière, n° 215) ; Formules de Sirmond 1 et 35 (Rozière, n° 211 et 214) ; Lex Alamannorum, I et II ; Chronicon S. Benigni Divionensis dans dom Bouquet, III, 469. — Voir aussi Flodoard, Historia ecclesiæ Remensis, II, 11, in fine ; Vita Agili, 25 : Vita Aicadri, 26.

[196] Diplômes, de 683, n° 402, de 562, n° 168, de 674, n° 372). — Les mêmes hommes sont quelquefois appelés fideles, par exemple dans le testament de Bertramn. — Sur le sens de amicus, voir une phrase de Grégoire de Tours, Historia Francorum, III, 55, où le même homme est dit amicus et subditus. — Cf. plus haut, ch. 11.

[197] Diplômes, de 539, n° 156, de 546, n° 144, de 562, n° 168, de 674, n° 372.

[198] Voir les testaments de Wandemir, d'Ermintrude, d'Abbon, l'acte de vente de Nizézius, les actes de donation de Codinus, de Théodétrude, de Wulfoald, etc. (Diplomata, n° 185, 241, 412, 452, 475, 559).

[199] Édit de Clotaire II, art. 19 ; art. 20. — c. 12 (Borétius, p. 6).

[200] Sur l'obsequium et le service d'affranchi, on peut voir les testaments de Bertramn, d'Ansbert, d'Erminétrude, d'Abbon (Diplomata, n° 250, 437, 452, 559) et les Formules, édit. de Rozière, n° 93, 98, 99, 100, 129.

[201] Sur ces sortes de procès, voir Lex Ripuariorum, LIII, LVIII, LIX ; Appendix ad Marculfum, I, 2, 3, 4, 5, 52 ; Formules de Lindenbrog, 165, 164, 167, 169. — Ceux qu'on appelle homines calimniati dans le Polyptyque d'Irminon sont des hommes sur la condition desquels il y a litige (Polyptyque, XIX, 56, 57, 48 ; XXIV, 42).

[202] Edictum Chlotarii, art. 19 (Pertz, Leges, I, p. 15 ; Borétius, p. 25). — Le judex immunitatis est cité dans un capitulaire de 779, art. 9 (Baluzee, I, 197 ; Borétius, p. 48) et dans les Capilularia, V, 195 (Baluze, I, 860).

[203] Diplômes, de 635, n° 270, de 691, n° 417, de Childebert III en faveur de Saint-Maur, de 716, n° 515, de 727, n° 542. — Marculfe, I, 5.

[204] Du moins au VIIe et au VIIIe siècle ; plus tard, le mot freda a été employé quelquefois pour désigner des impôts ou exactions d'autre nature.

[205] Diplômes, de 635, n° 270, de 661, n° 541, de 665, dans les Diplomata, Additamenta, t. II, p. 424. — Marculfe, I, 3.

[206] La manière dont cette modification s'opéra dans l'assiette de l'impôt foncier s'aperçoit bien dans une loi de Justinien, au Code, XI, 48, 20, § 5. On y voit que le colonus, outre qu'il payait au propriétaire le reditus terræ, payait en même temps au fisc les functiones publicæ, c'est-à-dire l'impôt public inhérent à cette terre. La Loi de Justinien constate que c'était là une coutume ancienne, more solilo, mais non pas une coutume universelle.

[207] Voir le diplôme de 635, n° 270 ; le diplôme de 665 cité plus haut.

[208] Diplôme de 673, n° 368. — Cf. Vita S. Remigii ab Hincmaro (dom Bouquet, III, p. 577-578).

[209] Grégoire de Tours, Historia Francorum, V, 27 ; VII, 42. — Lex Ripuariorum, LXV, 1. — Cf. diplôme de 695, n° 454.

[210] Diplômes de 665, t. II, p. 424, de 727, n° 542. — Comparez un diplôme qui parait être de 759 et où l'on voit que l'heribannus appartient au propriétaire, laïque ou ecclésiastique (Diplomata, t. Il, p. 464).

[211] Code Théodosien, VI, 35, 1 ; VI, 35, 3.

[212] Code Théodosien, VI, 35, 3, § 5 ; VI, 35, 7.

[213] Code Théodosien, XIII, 3, 1-4 ; XIII, 3, 10-16.

[214] Code Théodosien, XIII, 5, 5 ; XIII, 5, 7. Cf. Lampride, Alexander, 22.

[215] Digeste, livre L, tit. 6.

[216] C'est le sens des mots : Nominationes jubemus esse summotas, de la loi 1 du Code Théodosien, VI, 35. Le sens du mot nominatio est bien marqué dans plusieurs lois du Code Justinien, X, 32, lois 2, 18, 45. Les honores dont il est question dans d'autres endroits sont des fonctions municipales ; voir Code Théodosien, VI, 35, 3.

[217] Ces contributions municipales sont parfois désignées par l'expression functiones publicæ ; voir Code Justinien, X, 32, lois 26, 31, 46.

[218] Code Théodosien, VI, 35, 1. — Ibidem, 5 et 4. — Sur les munera ou munia qui sont des charges municipales, voir Code Justinien, X, 32, lois 46, 49, 50, 58.  Code Théodosien, XIII, 3, 3 ; Paul, au Digeste, L, 5, 10. — Code Théodosien, XIII, 3, 16 ; XIII, 3, 2 ; XIII, 3, 18 et 19. — L'exemption de la superindiction est accordée aux clerici par une loi de 412 (ibidem, XVI, 2, 40).

[219] Code Théodosien, III, 4, 4 ; XIII, 3, 1 ; mais il faut observer qu'il ne s'agit que de la justice municipale : le contexte le marque bien.

[220] Suétone, Auguste, 40 ; Tibère, 49. — Tacite, Histoires, III, 55. — Code de Justinien, X, 42, 5, loi d'Alexandre Sévère ; X, 42, 7, loi de Dioclétien. D'où il résulte que cette immunité n'exemptait jamais des munera patrimonialia (Code Justinien, X, 42, 5). — Cf. ibidem, XI, 48, 9 ; Digeste, livre L, titre 15.

[221] C'est ce qui résulte déjà cité d'un texte de Suétone, Auguste, 40.

[222] [M. Prost, 1886, p. 195, dit que dans cette étude sur l'immunité on est parti de l'idée, peu justifiée, que l'immunité est un bénéfice ; mais on s'est borné à dire ici qu'elle est un beneficium, un bienfait : c'est l'expression dont l'appellent les documents ; et cette conclusion n'a été donnée qu'après l'étude minutieuse des textes. L'historien ne part pas d'une idée ; il y arrive.]