LES ORIGINES DU SYSTÈME FÉODAL

 

CHAPITRE VI. — LE PRÉCAIRE DANS L'ÉTAT MÉROVINGIEN. - LE PRÉCAIRE SUR TERRES D'ÉGLISE.

 

 

Nous n'avions qu'un petit nombre de documents au sujet du précaire sur les terres laïques ; nous en possédons davantage relativement à la même pratique sur les terres d'église. Nous avons d'une part les décrets des conciles, d'autre part vingt-deux formules d'actes et une dizaine de diplômes[1].

On sait que l'Église possédait au VIe siècle des domaines considérables. On se rappelle aussi que ces domaines n'appartenaient pas en commun au corps de l'Église chrétienne ; ils étaient propriété privée de chaque évêché, ou, comme on disait alors, de chaque église, et l'évêque en avait l'administration[2]. Le monastère avait aussi ses biens fonciers administrés par l'abbé.

Tous ces domaines étant cultivés par des paysans, ou serfs ou colons, l'église avait deux manières d'en tirer parti. Pour les uns, elle percevait elle-même les redevances et les fruits ; c'était l'exploitation directe. Pour les autres, elle pouvait ou les louer par contrat de bail à des fermiers ou les concéder en précaire.

L'usage de la location par contrat, qui a été conservé par les églises d'Italie, n'a pas été complètement abandonné par celles de Gaule ; mais il est devenu plus rare. Ce qui a prévalu, c'est l'emploi du précaire. L'Église a usé du précaire sous quatre formes, que nous allons observer successivement.

 

1° PRÉCAIRE AU PROFIT DES CLERCS ET SERVITEURS D'UNE ÉGLISE.

 

La première opération, celle qui dut se présenter d'abord à l'esprit de l'évêque, fut de concéder quelques-uns de ces domaines aux ecclésiastiques qui lui étaient subordonnés[3]. Le concile d'Agde, tenu en 506, mentionne cette pratique et l'autorise[4]. Il est vrai qu'il ne parle d'elle qu'incidemment et dans une courte phrase ; mais si nous analysons cette phrase, nous y reconnaissons le précaire. Salvo jure ecclesiæ, ira usure præstare ne peut pas signifier autre chose. Le mot præstare est, à partir du Ve siècle, le mot propre qui désigne la concession en précaire[5]. Les mots in usum marquent la mesure de la concession, laquelle ne va pas plus loin que le droit d'user. Enfin les mots salvo jure ecclesiæ expriment la condition essentielle du précaire, qui est de laisser intact le droit du propriétaire, et surtout d'empêcher la prescription. La suite des décrets du -même concile montre que le clerc qui a obtenu une concession de cette sorte tient la terre par la permission de l'évêque[6], mais ne peut ni la vendre, ni l'aliéner d'aucune façon[7], qu'il la possède sans jamais en être propriétaire[8], et qu'enfin ce genre de possession ne donne jamais lieu à prescription[9]. Tous ces traits appartiennent au précaire, et n'appartiennent qu'à lui.

C'est la même pratique qui est mentionnée dans cet article du concile d'Orléans de 511 : Si l'évêque, par pure bonté, a concédé des vignes ou des terres à des prêtres, pour les tenir temporairement, quand même cette concession se prolongerait un grand nombre d'années, les droits de son église sur ces biens ne doivent souffrir aucune atteinte, et la loi de la prescription ne peut pas lui être opposée[10]. On notera dans ce passage que les mots par pure bonté ne sont pas mis là par hasard. Ils ont un sens. La bonté du concédant, quand elle ne serait même qu'une fiction, est le trait caractéristique auquel se reconnaît le précaire. En fait, la concession dont il s'agit rémunère un service ; en théorie, il faut qu'elle soit une simple faveur[11].

La nature de cette concession est bien marquée dans un concile de 517. On suppose le cas où un ecclésiastique qui a servi d'abord une église, est promu à l'épiscopat dans une autre église. I1 conservera, dans le premier diocèse, les biens qu'il a achetés, soit en propriété, soit en usufruit, par un acte régulier ; mais ce qu'il a acquis par pure faveur de l'église, ce qu'il tient d'elle en simple don, il le rendra[12]. Le concile de Lyon de 567 parle encore de ces dons de terre qui ne confèrent, qu'un droit d'usage[13] ; il les appelle des faveurs, munificentiæ, terme qui exclut l'idée de contrat et est à la fois l'opposé du fermage et de la vente.

Ces concessions étaient gratuites : il n'y a pas d'indice que les détenteurs eussent à payer aucune redevance. Elles étaient temporaires. Sans mil doute l'église épiscopale reprenait la terre à la mort du concessionnaire[14]. Elle la reprenait si l'ecclésiastique quittait le diocèse[15]. On peut croire qu'elle la reprenait de même si l'ecclésiastique venait à cesser son ministère ou si l'évêque n'était pas satisfait de ses services. Rien n'empêchait le propriétaire de reprendre son bien. La concession était visiblement révocable à la volonté du concédant[16].

Ce précaire donnait lieu, le plus souvent, à une lettre. On l'appelait lettre de prière, epistola precatoria ou precaria. Elle était écrite par le concessionnaire et remise par lui à l'évêque, qui s'en servait comme d'une preuve de propriété et d'un titre contre la prescription[17].

Des concessions semblables pouvaient être faites à des laïques, serviteurs de l'église. C'est ce que marquent le concile d'Orléans de 541[18] et le concile de Lyon de 567[19]. Le concile de Reims de 625 rappelle aussi que tout homme peut obtenir d'une église par précaire un bien qui ne devient pas pour cela sa propriété et sur lequel il ne peut même pas exercer la prescription[20].

Tel est l'un des emplois que l'Église fit du précaire. Sous cette première forme, nous retrouvons exactement l'ancien précaire romain qui dérive d'une prière, qui est accordé par faveur[21], enfin qui est gratuit, révocable à volonté ou tout au plus viager[22]. Il s'est continué pendant tout le moyen âge.

Mais nous avons vu que chez les Romains le précaire était en beaucoup de cas un accessoire à d'autres actes non désintéressés. C'est ce que nous allons voir aussi dans la pratique de l'Église.

 

2° DU PRÉCAIRE SERVANT AU LOUAGE.

 

L'Église se servait du précaire comme d'une sorte de louage. Nous avons une formule de lettre de prière qui est ainsi conçue : Au seigneur, homme vénérable, le chef de cette église, moi un tel. D'après ma demande, votre volonté a décidé de m'accorder, sous condition de simple usufruit, telle villa qui est à vous, située en tel lieu, avec tous ses revenus, appartenances et dépendances, de telle façon qu'il ne me soit permis ni de la vendre, ni de la donner, ni d'en rien distraire, mais que je puisse, sous le couvert de votre autorité, la tenir et occuper aussi longtemps que votre décision durera[23]. Si nous nous arrêtions ici, nous reconnaîtrions le vrai et pur précaire romain. On commence par exprimer une demande ; on fait entendre que l'acte n'a d'autre source que la volonté du concédant ; on marque que la concession porte sur l'usage et non sur la propriété ; le précariste se reconnaît subordonné, sub vestro prætexto[24], et il énonce formellement que sa concession ne durera qu'autant que durera la volonté du concédant. C'est donc bien ici le précaire des jurisconsultes du IIIe siècle. Mais la suite de la formule présente une innovation : En conséquence je me suis engagé à vous payer une redevance annuelle de telle somme d'argent. Après cette phrase, la lettre reprend : A mon décès, la susdite villa, en son intégrité, avec toutes ses dépendances, avec tout ce que j'aurai élevé sur le sol, reviendra dans vos mains ou celles de vos agents, sans qu'il soit besoin d'en faire tradition et sans attendre aucune sentence de juge. Que nul de mes héritiers n'agisse à l'encontre de cette lettre de prière ; et que la présente lettre conserve à toujours son plein effet comme si elle était renouvelée tous les cinq ans. Toute cette fin, qui aboutit à une stipulation, est absolument romaine et n'est qu'un développement des vieilles formules de lettres précaires. La seule innovation de la formule actuelle consiste en ce qu'au milieu de la lettre s'est introduit l'énoncé d'une redevance annuelle. Encore faut-il remarquer la façon un peu singulière dont il est introduit. Le précariste ne dit pas : Vous m'avez imposé un cens ; il dit : Je me suis imposé à moi-même un cens, censivi me. Il semble que l'énoncé de la redevance se glisse timidement et qu'on craigne d'enlever à l'acte la forme d'une faveur[25].

Le formulaire d'Anjou contient une formule qui, pour le fond des choses, ressemble à la précédente[26].

Dans l'un des formulaires appelés Saliques[27], nous en trouvons une où les conditions du fermage sont. devenues plus précises sans faire disparaître les formes du précaire : Au seigneur et vénérable père en Christ l'abbé de tel monastère, moi un tel, auteur de la présente supplique, je viens à vous'[28]. D'après ma demande votre volonté s'est résolue à me concéder telle terre qui est vôtre, de telle sorte qu'en vertu de votre bienfait, tant. que je vivrai, vous m'accordiez d'en user et de l'exploiter'. Je m'engage envers vous par cette lettre précaire à YOUS payer un cens annuel de tel nombre de deniers. S'il m'arrive d'être en retard pour le payement, je vous en ferai engagement en bonne forme et m'acquitterai, et je ne perdrai pas la terre de mon vivant[29]. Je n'aurai d'ailleurs le droit ni de l'aliéner ni d'en amoindrir la valeur et pourrai seulement en user. A mon décès, vous la reprendrez dans vos mains avec toutes les améliorations et constructions que j'y aurai raites. La présente lettre précaire, sans avoir besoin d'être renouvelée tous les cinq ans, gardera son plein effet. Tout est foncièrement latin dans cette lettre. Les formes du précaire restent soigneusement observées, et la plupart de ces phrases semblent appartenir au plus ancien précaire romain. Deux choses pourtant s'y sont intercalées, d'une part le chiffre de la redevance annuelle, d'autre part la promesse formelle que le concessionnaire ne sera pas évincé.

Voici encore une innovation. Après que le précariste a écrit sa lettre, il obtient que le concédant lui en écrive une à son tour. Pareil usage existait-il dans la société romaine ? Nous n'en voyons pas d'indices clairs[30]. Il nous apparaît avec une grande netteté dans les documents d'âge mérovingien. On en vint donc à rédiger pour l'acte du précaire une double lettre. L'une était celle qui constatait la prière, epistola precatoria ou precaria ; l'autre était celle qui constatait la concession, epistola præstaria[31]. Les deux lettres se correspondaient exactement, contenaient les mêmes conditions et le même chiffre de cens ; les mêmes phrases s'y répétaient[32].

L'epistola præstaria indiquait d'ordinaire le terme de la concession ; elle pouvait être de cinq, de dix, de quinze ans[33] ; elle pouvait être de toute la vie du précariste. On a une prestaire de l'évêque de Paris qui concède une terre de huit arpents et un moulin pour la vie entière d'un mari, de sa femme et de leur premier héritier[34].

On reconnaît en tout cela qu'il y a un véritable louage de terre ; mais toutes les formes du précaire entourent et encadrent ce louage. Par l'énoncé du prix, par la détermination du terme, par la double lettre, cet acte prend toute la régularité d'un contrat. On ne peut pourtant pas dire qu'il y ait là un contrat véritable ; les deux parties ne traitent pas sur un pied d'égalité ; nous n'affirmerions pas non plus que le concédant fût lié par sa præstaria ni que celle-ci fût valable devant des juges. Ce n'est pas ici précisément le louage par contrat, c'est plutôt une sorte de louage par précaire.

 

3° LE PRÉCAIRE ASSOCIÉ À LA VENTE ET À LA DONATION.

 

Ailleurs, le précaire s'associait et s'ajoutait à la vente. Sur ce point l'Église ne fit que continuer des pratiques qui avaient été usitées dans toute la société romaine.

La loi romaine n'avait pas permis que la vente et le précaire fussent simultanés[35]. De même à l'époque mérovingienne les deux actes étaient distincts et successifs. Le vendeur commençait par écrire l'acte de vente : Je certifie que je vous ai vendu, non par vente fictive, mais réellement et sans nulle contrainte, tel domaine qui m'appartenait par héritage de mes parents, et qui comprenait terres, maisons, esclaves et paysans libres ; je l'ai transféré de mon droit en votre droit, de ma propriété en votre propriété, je vous en ai fait tradition et vous ai mis en possession. Pour quoi j'ai reçu de vous le prix convenu de tel nombre de sous d'or de titre et de poids ; dès aujourd'hui la terre est à vous et vous pouvez en faire tout ce que vous voudrez[36]. Puis, après quelque intervalle, le vendeur se présentait de nouveau devant l'abbé et lui remettait une lettre ainsi conçue : Je suis venu vers vous, vous apportant une prière[37]. Vous ayant vendu cette terre, je vous ai ensuite adressé une supplique afin que vous me la concédiez pour en avoir l'usage autant que je vivrai ; et vous avez fait cela ; en conséquence je vous fais cette lettre précaire qui est signée de moi et de plusieurs hommes honorables, et je vous la remets, vous promettant de vous payer chaque  année tel nombre de deniers, le jour de la fête du saint ; si je tarde à vous payer ce prix au jour convenu, je me constituerai votre débiteur suivant la loi, et je tiendrai cette terre et en userai ma vie durant en vertu de votre concession ; je ne pourrai d'ailleurs ni vendre, ni donner, ni détériorer, et je ne pourrai m'arroger la propriété de cette terre ni la comprendre dans ma succession[38].

Les formules ne nous disent pas quels motifs ont déterminé ce propriétaire à se transformer, pour quelque somme d'argent, en un fermier précariste.[39] Dans l'ancien droit romain l'emprunteur vendait sa terre au créancier et la reprenait en précaire. L'Église ne nous a pas laissé de formules qui retracent d'une manière précise la même opération ; mais on pensera peut-être que beaucoup de ces ventes suivies de précaire étaient de sa part une sorte de prêt. Ses règles lui interdisaient l'usure ; et l'opération dont nous parlons ne ressemblait à l'usure que par les résultats. D'autres faisaient donation de leurs biens à titre gratuit et les reprenaient en précaire.

On pourrait croire à première vue que cette sorte de donation était la même chose que le droit romain appelait la donation avec réserve d'usufruit. Ce serait une erreur. Les deux sortes d'actes se faisaient au VIIe siècle, et ils ne se ressemblaient pas. La donation avec réserve d'usufruit se faisait, conformément au principe accepté par le droit romain[40], par une lettre unique qui était conçue ainsi : Je donne à perpétuité cette terre et la fais passer de mon droit au vôtre, de telle sorte toutefois que tant que je vivrai j'en aie l'usage et la possession[41]. Ou bien encore : Je fais donation de cette terre, en retenant l'usufruit, et de telle sorte qu'à ma mort le monastère en prenne possession[42]. Le précaire était tout autre chose.

Le donateur commençait par faire un acte de donation, suivant une formule qui ne contenait ni mention d'usufruit ni réserve d'aucune sorte. Sa renonciation était complète[43]. Puis il se présentait de nouveau devant l'évêque ou l'abbé et demandait que la même terre lui fût concédée en jouissance. Il écrivait une lettre, dans laquelle il pouvait bien rappeler que c'était lui qui avait fait don de la terre, mais où il ne pouvait pas dire que ce don lui créât le moindre droit. Sa sollicitation avait les mêmes formes et la même humilité que s'il n'eût pas été donateur[44]. Il écrivait sa precaria ou lettre de prière en ces termes : Il est constant que je vous ai fait cession entière de telle villa située en tel lieu. Mais, ensuite, je vous ai adressé une demande et votre bonté m'a accordé qu'il me soit permis de garder cette même villa de mon vivant et durant la vie de ma femme, pour en user et jouir des fruits[45]. En foi de quoi je vous remets cette lettre précaire pour bien établir que, si longue que puisse être notre possession, elle ne portera aucune atteinte à votre droit ; nous n'aurons que l'usage ; la terre avec les améliorations que nous y aurons faites, vous reviendra à notre décès, quand même la présente lettre de prière ne serait pas renouvelée tous les cinq ans[46].

Ainsi, même dans le cas où elle avait affaire au donateur, l'église se faisait écrire une lettre de prière, une precatoria ou precaria[47], par laquelle le donateur se mettait à sa discrétion. Elle devait s'en servir, au besoin, pour faire constater son droit. Nous avons, aux Archives nationales, deux actes de jugement où nous voyons qu'un procès a surgi entre une église et un laïque au sujet de domaines qui avaient été donnés, puis repris en précaire. L'affaire fut portée devant le tribunal du roi. L'évêque produisit la lettre précaire, et gagna son procès[48].

Souvent cette sorte de précaire était constituée pour la vie entière du donateur, et cela était dit dans l'acte. Ainsi le précaire, sans ressembler à la réserve d'usufruit, produisait les mêmes effets. On arrivait à l'usufruit par le précaire[49].

Quelquefois la lettre portait que la concession s'étendrait aux fils, quelquefois même aux petits-fils du donateur[50]. Il pouvait encore arriver, mais les exemples que nous en avons ne sont que du ixe siècle, que la concession dût se continuer à perpétuité dans la famille du donateur, pourvu que ce fût en ligne directe. Un cens annuel était la condition ordinaire de cette jouissance[51].

Cette sorte d'acte où se combinent la donation et l'usufruit s'explique souvent par un sentiment de piété qui ne va pas cependant jusqu'à se dépouiller de son vivant : c'est une générosité qui n'est pas un abandon. La religion et peut-être aussi le besoin de sécurité et le désir de protection ont dû souvent porter les petits propriétaires 'd donner à l'Église des terres qu'ils recevaient ensuite d'elle sous condition de cens. Beaucoup de censives ont pu venir de là[52].

 

4° DU PRÉCAIRE CONCÉDÉ EN ÉCHANGE DE LA NUE PROPRIÉTÉ D'UNE TERRE.

 

Il existait encore une autre application du précaire. Nous avons affaire ici à un acte assez complexe, qui réunit les formes de la donation et du précaire, et qui au fond n'est qu'un marché. Il consiste en ce qu'un propriétaire obtient d'une église la jouissance d'une terre et lui abandonne en retour la nue propriété de la terre qui est à lui. Il tient alors les deux terres en précaire, et l'église est propriétaire de l'une et de l'autre. C'est une spéculation où chacune des deux parties gagne ou croit gagner quelque chose. Un propriétaire de 100 arpents jouira sa vie durant de 200 arpents ; il double sa culture et son aisance ; mais à son décès l'église aura doublé sa propriété.

Cette sorte d'opération se trouve déjà décrite dans une. loi romaine de 470. Les empereurs, dans cette loi visiblement inspirée et dictée par l'Église elle-même, interdisent à ceux qui administrent ses biens de les vendre ou de les aliéner d'aucune façon. Ils les autorisent seulement à concéder des terres à celui qui en sollicite la possession temporaire et l'usage en vertu de sa seule demande[53]. Ces premiers mots désignent suffisamment le précaire. Et ils ajoutent : Il sera fait un acte écrit qui indiquera ce que le concessionnaire donne en retour du bienfait que l'église accorde, et il sera bien entendu qu'à sa mort il laissera à l'église, non seulement la terre qu'il en a reçue, mais une autre terre de même étendue et de même valeur en pleine propriété, avec ses esclaves et ses colons[54]. Cette loi n'a probablement pas été connue en Gaule ; mais elle ne faisait que constater et sanctionner une pratique déjà universelle dans l'Église. Aussi retrouvons-nous cette pratique, en Gaule, au VIe et au VIIe siècle. Ce qui est curieux, ce n'est pas qu'un marché de cette sorte ait été fréquent, c'est qu'il se soit conclu sous la forme de précaire.

Voici l'une des formules qui étaient usitées pour cette sorte d'acte : Au seigneur, homme apostolique, l'évêque un tel, moi un tel, et ma femme. D'après notre demande, votre bonté a eu pour agréable de nous permettre de jouir de cette terre notre vie durant. Et nous, en retour de cette jouissance et aussi pour le salut de notre âme, nous vous faisons donation, à vous et à vos successeurs, pour le temps qui suivra notre mort, de tel domaine situé en tel lieu[55]. Tant que nous vivrons, nous aurons la possession en usufruit de l'une et de l'autre terre, et après notre décès, sans nulle contestation de nos héritiers, vous et vos agents reprendrez en votre pouvoir les deux terres. Il ne sera pas nécessaire de renouveler, suivant l'usage, la lettre précaire ; la présente lettre suffira et elle aura son plein effet pour toujours[56]. Quelquefois un cens annuel était la condition de cette double tenure[57].

A cette lettre du précariste correspondait une lettre de concession écrite par l'évêque[58] : D'après votre demande, nous vous avons permis de cultiver cette terre, et vous en retour vous avez donné à l'église tel domaine de votre propriété, pour le temps qui suivra votre mort. En conséquence nous vous écrivons cette lettre prestaire afin que vous conserviez votre vie durant les deux terres, sans préjudice des droits de l'église, et qu'après votre mort, suivant ce que contient votre lettre en forme de précaire, les deux terres reviennent à nous ou à nos successeurs. Il est clair qu'en ce cas le concédant s'engageait d'une manière formelle à ne pas reprendre la terre avant le terme fixé[59].

On reconnaît combien cette opération s'éloigne du vrai precarium romain. C'est en réalité un pacte par lequel l'Église concède un usufruit pour avoir en retour une nue propriété. Pourtant cela continue à s'appeler un précaire[60], et l'acte se constitue, non par un contrat véritable, mais par une lettre de précaire qu'accompagne, il est vrai, une lettre de concession.

Il n'est pas douteux que le plus grand profit de cette convention ne fût pour celle des deux parties qui ne mourait pas. L'Église acquit ainsi beaucoup de biens fonciers[61]. On comprend qu'un hagiographe ait dit de l'église de Verdun qu'elle augmenta considérablement ses domaines par l'usage du précaire[62]. [L'auteur de la Vie de Didier de Cahors est tout aussi expressif lorsqu'il nous dit que le saint évêque acquit beaucoup de terres pour son église, sans dépouiller personne, mais grâce à ses bienfaits et à ses achats. C'est du précaire qu'il s'agit[63]. Le précaire a donc été, de l'aveu même des écrivains, une des causes principales de l'enrichissement croissant des églises. N'oublions pas que l'usage n'en cessera jamais sur les terres d'église.] Nous en avons vu les règles dans une loi. de 470 ; nous les retrouverons dans un capitulaire de Charles le Chauve, dans des diplômes de la fin du ixe siècle[64].

Tels sont les divers emplois que l'Église a faits du précaire sur ses domaines. En premier lieu, elle a concédé des terres en précaire à des membres du clergé, à des serviteurs, à des laïques qu'elle voulait s'attacher ; ce fut la continuation du pur précaire romain, c'est-à-dire du précaire gratuit et révocable à volonté. En second lieu, elle s'en est servie comme d'une sorte de louage de terre, et il a suffi d'introduire dans l'ancienne formule de lettre précaire une ligne indiquant le chiffre de la redevance annuelle. Puis l'Église s'est encore servie du précaire, ainsi qu'on faisait au temps des Romains, pour en faire l'accessoire d'une vente : ce que nous appellerions une acquisition de nue propriété s'est fait sous forme de précaire. Elle a fait. de même pour la donation, et il est arrivé ainsi que l'ancienne donation romaine avec réserve d'usufruit a été remplacée peu à peu par une pleine donation suivie de précaire. En dernier lieu l'Église a combiné le précaire d'une terre à elle avec la donation de nue propriété d'une autre terre et a doublé ainsi son domaine.

Les applications du précaire se sont donc multipliées et diversifiées avec le temps. Mais il ne faut pas perdre de vue que c'est toujours le même précaire. Il a conservé toutes ses formes anciennes. Toujours nous y trouvons, quel que soit l'objet auquel on le fait servir, la prière ou la demande de l'une des deux parties, la pure volonté ou la bonté ou le bienfait de l'autre. La distinction reste toujours aussi nettement marquée entre la propriété qui reste entière au concédant, et la possession, l'usage, l'usufruit, l'exploitation[65] qui est accordée au concessionnaire. Cette possession reste toujours temporaire ; elle n'est plus dans tous les cas révocable à volonté ; le terme en est déterminé. Elle dure le plus souvent autant que la vie du concessionnaire ; elle peut se prolonger durant deux et même trois générations ; mais elle aura toujours une fin, et le domaine ne peut manquer de rentrer dans les mains de son propriétaire[66]. Cette possession n'est pas seulement temporaire, elle est aussi conditionnelle, et le plus souvent un cens annuel y est marqué. [Le précariste a pu améliorer la terre qui lui a été confiée, y faire des constructions nouvelles : il n'a droit à aucune indemnité.]

Le précaire n'a pu prendre un tel développement, devenir une pratique si fréquente, se mêler à tant d'actes divers, qu'en se consolidant et s'entourant de garanties plus sûres. Le vague de l'ancien precarium ne convenait plus aux nouveaux développements du précaire. L'usage de la double lettre s'est ainsi établi. Ce n'est pas que le précaire soit devenu_ un contrat. Le terme de contrat ne lui est jamais appliqué ; on continue à l'appeler une faveur. La double lettre elle-même n'a pas la forme exacte d'un contrat. Mais, avec les habitudes d'ordre de l'Église, il n'est pas étonnant que le précaire ait reçu d'elle des règles de plus en plus claires et précises. Avec elle, il prend les allures d'un quasi-contrat. Le concessionnaire, qui est souvent un fermier, souvent un Vendeur, souvent même un donateur, consent bien à faire l'acte de précaire suivant les formes humbles qui sont établies pour cet acte ; mais encore veut-il savoir exactement jusqu'où il s'engage ; il marque cette limite dans sa lettre, et l'Église elle-même, dans la lettre qu'elle lui donne en retour, prend quelques engagements envers lui. Le précaire devient, ainsi, en beaucoup de cas, sinon un véritable contrat, du moins une convention très régulière et soumise à des règles précises[67].

Ces modifications que le temps, la pratique, l'esprit d'ordre ont introduites dans le précaire, ne devaient pas être négligées. Mais il reste digne d'attention que les formes essentielles de l'acte n'ont pas changé. C'est le même précaire romain. Il s'est continué après l'Empire dans toute l'époque mérovingienne, en se modifiant comme toute pratique peut se modifier avec le temps. Il a été appliqué sur les terres des laïques, et peut-être encore plus sur les terres de l'Église[68]. Il s'est étendu à toutes choses. La rémunération des serviteurs s'est laite par le précaire ; le louage, l'usufruit, l'acquisition de nue propriété se sont faits par le précaire. Ainsi le précaire s'est associé aux actes les plus divers, et a pénétré de mille façons dans les habitudes des hommes. Or il n'est pas bien certain que les modifications qui y ont été admises en aient beaucoup altéré l'esprit, c'est-à-dire aient changé les idées que les hommes y attachaient. Il est vraisemblable que le généreux donateur à qui l'ôn avait fait écrire une humble lettre de prière, se considérait comme un pur précariste et se croyait obligé à tous les devoirs et à toute la soumission que les termes de la lettre impliquaient. Le précaire, malgré ses modifications, a continué à produire les mêmes effets. Il a assujetti ou au moins subordonné le précariste au concédant. Il a surtout multiplié à l'infini les terres soumises à un domaine éminent, et les hommes sujets d'un propriétaire.

On devra toutefois remarquer qu'aucune des formules de précaire qui nous sont parvenues ne mentionne que le concessionnaire fût astreint à des services personnels, ni surtout, à un service militaire.

 

 

 



[1] Archives nationales, Tardif, n° 14 et 32 ; Diplomata. Pardessus, n° 429, 488, 489, 509, 547, 557, 558 ; et additamenta, n° 27, 42, 47.

[2] Concile d'Orléans, 511, c. 15 : De his quæ parochiis (parochia est dans le langage du temps le terme qui désigne le diocèse) in terris, mancipiis fideles obtulerint, antiquorum canonum statuta serventur ut omnia in episcopi potestate consistant.

[3] Une lettre du pape Gélase, de 494, se prononce coutre les concessions de cette sorte et recommande plutôt la location des terres (voir Decretum, causa XII, quest. 2, § 25 ; Corpus juris canonici, édit. de 1687, p. 259) ; mais il n'est pas probable que l'interdiction ait été absolue, ni qu'elle ait prévalu en Gaule. D'ailleurs, huit ans plus lard, le pape Symmaque parle des mêmes concessions comme étant parfaitement licites (Decretum, causa XVI, quest. 1, § 61, ibidem, p. 269).

[4] Concile d'Agile, Simond, I, 163 ; Mansi, VIII, 525. — Il est vrai que le concile réserve cette autorisation aux domaines les moins considérables, minusculas res.

[5] Præstare est synonyme de commodare dans une loi de 422 ; comparez la même loi au Code Théodosien, II, 51, 1, et au Code Justinien, IV, 26. 15 ; des deux textes, l'un porte commodet, l'autre præstet. — Voir aussi le passage que nous avons cité plus haut de Salvien, Ad Ecclesiam, I, 5, édit. Halin, p. 124 ; la chose concédée en précaire est appelée res prœstita (ligne 26), et le concédant est désigné par les mots qui præsidit (ligne 54). — Dans la Loi salique, titre LII, nous lisons : DE RE PRÆSTITA..... Même emploi du mot dans la Loi des Bavarois, I, 1, 1, et dans celle des Wisigoths, X, 1, 15 et 14. — Dans l'Édit de Rotharis, 227, il s'oppose à vendere et il se dit d'une chose qu'on doit rendre à volonté ; la phrase suivante : Ubi rogatus fuisset præstandi, marque bien qu'il s'agit de précaire. — Cf. Liutprand, 157. — De là vient le mot præstaria dont nous parlerons plus loin, et de là vient aussi le sens de notre mot français prêter.

[6] Concile d'Agde, c. 22.

[7] Concile d'Agde, c. 22 ; c. 49. On retrouvera les mêmes expressions dans les lettres de précaire que nous verrons plus loin.

[8] Concile d'Agde, c. 59.

[9] Concile d'Agde, c. 59.

[10] Concile d'Orléans, 511, c. 25, Sirmond, I, 182.

[11] On remarquera aussi que ces précautions qu'on prend contre la prescription sont encore un trait qui caractérise le précaire. Il n'aurait pas été nécessaire de parler de cela s'il se soit agi du fermage ou de l'usufruit, parce que ni l'un ni l'autre ne conféraient la possession. Le précaire était le seul acte qui donne la possession ; aussi fallait-il marquer que cette possession ne donnerait pas lieu à la præscriptio temporis.

[12] Concile d'Epaone (Albon, en Dauphiné), année 517, c. 14, dans Sirmond, I, p. 106, ou dans les Œuvres d'Avitus, édit. Peiper, p. 169. — Les mots munificentia ecclesiæ, que nous retrouverons plus loin, sont comme le signe extérieur qui marque le précaire.

[13] Concile de Lyon, 567, c. 5, Sirmond, I, p. 527. Cela s'oppose à ce qu'il donne en propre, de propriis in proprietatem.

[14] Concile d'Orléans de 511, c. 13 ; concile d'Orléans de 541, c. 18 ; concile d'Arles de 554, c. 6.

[15] Concile d'Epaone, c. 14.

[16] Le concile de Lyon de 567, c. 5, introduit un élément de fixité : il ne veut pas qu'un nouvel évêque retire les concessions faites par un prédécesseur. Mais en cela le concile vise plutôt à empêcher un excès d'arbitraire qu'à supprimer un droit.

[17] Il ne nous est parvenu aucune formule de cette catégorie de precariæ. L'usage en est attesté par un article du concile d'Epaone de 517, qui montre que la rédaction de la lettre n'était pas tout à fait indispensable (Sirmond, Concilia, I, p. 197 ; Peiper, Aviti opera, p. 170). Il est visible que les mots même sans precatoriæ indiquent que l'usage le plus fréquent était de faire écrire ces lettres. Le concile prend des précautions pour le cas où un évêque aurait négligé de les faire écrire. — Cf. concile de Tolède de 638, c. 5. — Quant à l'évêque concédant, il pouvait à son choix faire sa concession verbalement ou la faire par lettre. Concile d'Orléans de 541, c. 18.

[18] Concile d'Orléans, 541, c. 34. — Les mots pro misericordia et le mot possidendum caractérisent le précaire ; nous verrons plus loin qu'il y avait propension à rendre le précaire viager. Nous rappelons que sacerdos signifie un évêque.

[19] Concile de Lyon, 567, c. 5.

[20] Concile de Reims, Sirmond, I, p. 480 ; Mansi, X, p. 591.

[21] On notera que dans tons nos textes l'idée de faveur est exprimée par quelque mot : humanitas (concile de 511), munificentia (concile de 517), misericordia (concile de 541), munificentias (concile de 567), per precariam impetrantur (concile de 625), largitas (concile de 658).

[22] Le précaire viager est mentionné clans le concile d'Orléans de 541, Nous ne trouvons pas ce précaire dans ce qui nous reste des jurisconsultes romains sur ce sujet ; ruais nous savons par Ulpien que le précaire pouvait se constituer pour un temps long. Digeste, XLIII, 26, 8.

[23] Formulæ Turonenses, 7, Rozière, n° 319.

[24] Cf. Turonenses, 37.

[25] Dans des formules ultérieures, l'évêque ne craint plus de dire : Censivimus te, Rozière, n° 520 [Zeumer, p. 491].

[26] Andegavenses, 7 ; Rozière, 522. Elle commence aussi par les mots ad meam petitionem ; l'expression vestra voluntas est remplacée par pietas vestra ; clans la langue du temps, pietas signifie bonté. On remarquera ensuite fecistis beneficium de rem vestra, expression que nous expliquerons plus loin. Les mots quantum decretum restrum manserit n'y sont pas ; mais il n'est pas dit non plus que le précariste aura la terre in diem vitæ suæ. En réalité, aucun terme n'est fixé ; en tout cas, au décès du précariste la terre reviendra il l'église. Le prix est marqué par les mots : Spondeo vobis omnis singulis censo soledus tantum. — L'emploi du mot spondeo donne à supposer que la formule est ancienne.

[27] Formulæ Salicæ Merkelianæ, 5 ; Zeumer, p. 242 ; Rozière, 321.

[28] Formulæ Salicæ Merkelianæ, 5. — Dans beaucoup de formules le concessionnaire se qualifie precator (n° 321, 329, § 2, 349 ; Salicæ Merkelianæ, 5, 35 ; 36) ; d'autres fois, supplex vester (n° 326, Sal., 33) ; ou bien il dit : Supplicantes ad vos accedimus (n° 329, Sal., 34). Dans la Charta Ibboleni (Diplomata, n° 488), qui n'est pas authentique, mais qui a été composée sur le modèle des precariæ authentiques, je pense qu'il faut lire precator ad vobis accedo, et non pas precator.

[29] Nous n'avons sans doute pas besoin de faire remarquer que, dans la langue de nos formules, le mot deberitis n'implique aucune idée d'obligation et n'a dans ces sortes de phrases que le rôle d'un verbe auxiliaire.

[30] Toutefois on pourrait comprendre en ce sens le passage de Gaïus au Digeste, XLIII, 26, 9. Cette epistola dont il est parlé ici paraît être plutôt la lettre du concédant que celle du solliciteur. L'usage de lettres analogues est plusieurs fois signalé au Digeste. Ex. : XXXIX. 5, 52 ; XXXIX, 5, 55.

[31] Rozière, n° 520, 525, 527, 528, j2 [Zeumer, p. 490, 110 4 ; p. 265 ; Paris., 1 ; p. 160, Add. ad Turonenses, 5, p. 99 ; Marculfe, II, 49]. Quelquefois la lettre est appelée commendatitia ; Rozière, n° 321, § 2 ; 329, § 2 ; 342, § 3 ; 349, § 2 [Zeumer, p. 215, n° 6 ; p. 255, n° 55 ; p. 256, n° 22 ; p. 255, n° 57]. Dans les chartes du VIIe siècle, les deux lettres sont également appelées precariæ. Cf. Diplomata, n° 557.

[32] Turonenses, 6 ; Rozière, 532. — Merkelianæ, 33 ; Rozière, 326. — Marculfe, II, 40 ; Rozière, 528, § 2. — Cf. Charta Ibboleni, Diplomata, II, p. 20.

[33] Rozière, n° 520 [Zeumer, p. 400]. L'usage d'indiquer un terme fixe s'était déjà introduit au temps de l'Empire ; voir la loi de 470, Code Justinien, I, 2, 14.

[34] Zeumer, p. 265 ; Rozière, 323 [Formulæ Parisienses, 1].

[35] Papianus, XXXV.

[36] Bignonianæ, 20 ; Zeumer, p. 255 ; Rozière, n° 342, § 1.

[37] Bignonianæ, 21 ; Rozière, 342, § 2.

[38] Rozière, 344 (Turonenses, 54).

[39] Voir Diplomata, additamenta, n° 34, t. II, p. 414, et Zeuss, Trad. Wissemburgenses, n° 226.

[40] Code Théodosien, VIII, 12.

[41] Marculfe, II, 5 ; Rozière, 215 ; Turonenses, 57 ; Rozière, 211 ; Salzburgenses, 5 ; Rozière, 218 ; Diplomata, n° 585, 343 ; ibidem, t. II, p. 431, 439-440, 446 ; Grégoire de Tours, Miracula Martini, IV, 11, p. 288. — Cf. Marini, Papiri diplomatici, 1805, n° 84, année 491 ; n° 88, etc.

[42] Miracula S. Benedicti, III, 4, p. 135-155.

[43] Marculfe, II, 4 ; Rozière, 345, § 1.

[44] Ainsi la præstaria, Rozière, n° 320, est la même suivant que la terre a été donnée par un autre ou par le précariste [Zeumer, p. 190, n° 4]. Voir, par exemple, une charte d'Alsace ou l'on voit que Wolfgunda a donné ses terres au monastère de Wissembourg (Diplomata, t. II, p. 455).

[45] Marculfe, II, 5 ; Rozière, 345, 2.

[46] Cf. Senonicæ, 15 et 32 ; Rozière, 340, 2 ; 339, 2 ; ibidem, 341 [Zeumer, p. 490, n° 5]. Dans cette dernière, il est fait mention d'un cens annuel : Censistis me. — Cf. Lindenbrogianæ, 4 ; Rozière, 316. — Lex Alamannorum, II, 1. On voit qu'il arrivait souvent que cet usufruit fût payé par un cens comme l'eût été une location.

[47] Les manuscrits portent l'un et l'autre mot.

[48] Tardif, n° 14 et 52.

[49] Charta Adalgiseli, dans la Patrologie, t. LXXXVII, col. 1547. — Il y a des exemples de donation et de précaire par un même acte : Traditiones Sangallenses, n° 22 (année 758). — Ibidem, n° 24.

[50] Merkelianæ, 56 ; Rozière, 319 ; Diplomata, n° 513, 514.

[51] Rozière, n° 351 ; Zeumer, p. 352, n° 8.

[52] Cf. Irminon, IX, 264, p. 110. Autre exemple, ibidem, IX, 265, p. 110. Ici la terre, ou du moins une terre équivalente (n° 266), est aux mains des héritiers du donateur. Cf. IX, 268, p. 110. Mais ce n'est pas à dire que cette opération soit d'une manière générale l'origine de la censive, comme le donne à entendre M. Ruelle, Revue historique de droit, 1884, t. I, p. 75.

[53] Code Justinien, 1, 2, 14, loi des empereurs Léon et Anthémius. — On remarquera combien tous ces termes sont caractéristiques du précaire.

[54] Code Justinien, 1, 2, § 9. — Voir aussi Novelles, 7 et 120.

[55] Rozière, 328 ; Marculfe, II, 39.

[56] Rozière, 328 ; Marculfe, II, 39. — Autre formule, Rozière, 326 ; Merkelianæ, 33.

[57] Rozière, 329 ; Merkelianæ, 35, 331, § 2 (Salicæ Lindenbrogianæ, 5 ; d'âge postérieur). Cf. Rozière, 326 ; Merkelianæ, 33.

[58] Rozière, 327 (Zeumer, p. 160) ; ibidem, 329, 2 (Salicæ Merkelianæ, 33).

[59] Voir ce qu'il écrit, par exemple, : Marculfe, II, 40.

[60] Appendice au Polyptique d'Irminon, p. 299.

[61] Ce genre de précaire est celui dont nous avons le plus de formules n° 326, 327, 328, 329, 330.

[62] Patrologie latine, t. CXXXI[, col. 514.

[63] Patrologie latine, t. LXXXVII, col. 254.

[64] Baluze, II, 52. Dans un diplôme de 894, nous voyons un homme et une femme donner leur propriété et recevoir en précaire ce même domaine avec quelques autres terres d'église jure usufructuario, Bouquet, IX, p. 465-464. Cf. Polyptyque d'Irminon, XII, 1-5, p. 122-123 : Une femme nominée Ada a fait donation de deux manses formant cinquante bonniers, avec quelques serfs : Pro qua donatione deprecata est deux lots de terre situés dans le voisinage et comprenant quatre-vingts houillers : Soleit inde solidos tres. Autres exemples, ibidem, XII, n° 15, 18, 55, 59 ; Prolégomènes, p. 241, n. 1. Voir encore Regino, liv. I, c. 363, 365.

[65] Excolere.

[66] Même dans le cas d'ailleurs fort rare où la concession est dite perpétuelle ; ce n'est toujours qu'en ligue directe et sous conditions.

[67] On l'appelle pactum (loi de 470), ou encore placitum (Formules). L'expression inter nos convenit se rencontre quelquefois. Mais les mots convenit et conventio étaient déjà dans Celse, Digeste, XLIII, 26, 12.

[68] L'origine romaine du précaire ecclésiastique est reconnue par Laboulaye, Droit de propriété, p. 296 ; Guérard, Prolégomènes, p. 567 ; Pépin Lehalleur, p. 176 ; Demante, Revue historique du droit français, 1860. — Mais, suivant Roth, Feudalitæt, p. 168, et M. Lining, Geschichte des deutschen Kircheurechts, II, p. 710, la precaria ecclésiastique différerait essentiellement du precarium romain. Roth va jusqu'à dire que la précaire du IXe siècle n'a rien de commun avec le precarium romain. Son erreur vient de ce qu'il considère le precarium romain à l'état pur, tel que le définissent les jurisconsultes. S'il l'avait observé dans la pratique, s'il avait remarqué que déjà dans la société romaine le precarium s'associait au louage, à la vente, etc., et qu'il n'était gratuit qu'en apparence, la distance entre le précaire romain et la précaire du moyen âge lui aurait paru moins grande. Nous croyons, pour notre part, qu'elle ne diffère du precarium que par ses applications ; non pas même par toutes ses applications, mais seulement par quelques-unes. Les différences entre l'un et l'autre. sont de la nature de celles que le temps et la pratique peuvent introduire dans toute sorte d'actes ; ce ne sont pas des différences d'essence. D'ailleurs la différence qui frappe entre le precarium du IIIe siècle et celui du VIIe, pourrait bien tenir en grande partie à ce que nous ne connaissons le premier que par les jurisconsultes, tandis que nous connaissons le second par les actes de la pratique. Si nous n'avions sur le précaire du vii' siècle que ce qu'en disent les lois, nous n'aurions qu'une idée très incomplète de ce qu'il était. Et en retour, si nous possédions, du me siècle, une trentaine de formules sur les actes divers où le précaire intervient, nous nous ferions peut-être une idée tout autre du precarium romain. Il est donc possible que l'extrême différence que nous croyons voir entre le précaire des deux époques tienne pour beaucoup à la différence de nos sources d'information. — J'ajoute que ceux qui mettent en parallèle la precaria ecclésiastique et le precarium romain, donnent au mot precaria un sens qu'il n'avait pas. Au VIIe siècle comme au IIIe, l'acte lui-même s'appelait precarium ; precaria n'était qu'un adjectif se rapportant ii la lettre de prière. Le precarium se constituait par une ou par deux lettres, lesquelles s'appelaient precaria et præstaria. La vraie différence entre le precarium et la precaria était celle qu'il y a entre un acte et l'instrument écrit de cet acte. Le sens de ce mot precaria est bien déterminé : 1° par les textes où nous lisons epistola precaria ; 2° par ceux où le mot est écrit precatoria ; 3° par les phrases où le précariste écrit : Precarium vobis emitto (Rozière, 526 ; Merkelianæ, 55), ou emittimus (Rozière, 515, § 2 ; Zeumer, p. 519, n° 5) ; 4° par nombre de formules où l'on voit que la precaria sera renouvelée ; 5° de ce que dans des actes de jugement nous voyons 'que l'un des plaideurs produit et fait lire une precaria (Tardif, 14,52 ; Diplomata, n° 509).Il est vrai qu'avec le temps le sens du mot precaria s'est altéré, et qu'on a confondu la lettre précaire avec l'objet même du précaire. Déjà le mot a deux sens dans la Turonensis, 7. On a dit, par un abus de mot, tenere precariam (Irminon, IX, 269, p. 410), habere in precaria (ibidem, XIV, § 5, p. 161, et XIX, 58, p. 205), ou encore filius meus succedat in ipsam precariam (Rozière, 349, § l ; Merkelianæ, 56), de même qu'on dit habere in præstariam (Saint-Remi, IX, 8). — Plus tard encore, nouvelle altération du sens et confusion des idées ; on lit, dans des formules, que l'évêque déclare concéder une terre per suam precariam ; il appelle precaria la lettre qu'il écrit lui-même, au lieu de l'appeler præstaria. On trouvera des exemples de cela dans Rozière, n° 529, § 2 ; 550, § 2 ; 533, 351, 555, 317, 548, § 2 ; Merkelianæ, 55 ; Sangallenses, 15 ; Augienses, A, 18, 19, 20 ; B, 2, 5, 4, 5) ; mais on remarquera que ces formules ne sont que du re siècle et qu'elles ont été rédigées dans des provinces excentriques de l'État franc, surtout en Alémanie.