LES ORIGINES DU SYSTÈME FÉODAL

 

CHAPITRE III. — QUE LE SYSTÈME BÉNÉFICIAIRE NE S'EST ÉTABLI NI IMMÉDIATEMENT APRÈS LA CONQUÊTE FRANQUE, NI PAR L'EFFET DE CONCESSIONS ROYALES.

 

 

1° DES DONATIONS.

 

Nous n'avons trouvé le bénéfice militaire ni dans l'empire romain, ni dans l'ancienne Germanie. Il faut chercher s'il s'est produit au moment des invasions et par le seul effet de la conquête. Beaucoup d'historiens modernes ont professé que les rois francs, se trouvant maîtres des terres, les ont distribuées à leurs guerriers, et qu'au lieu de les leur donner en toute propriété, ils les leur ont concédées en bénéfice, c'est-à-dire pour un temps, et à charge de service militaire. Ainsi serait né le régime bénéficiaire, origine du régime féodal. C'est cc qu'il faut vérifier dans les textes, en nous plaçant le plus près possible de l'établissement des Francs, c'est-à-dire dans la première moitié de la période mérovingienne.

Quand on étudie les documents d'une époque, l'esprit doit être attentif à deux choses : d'abord à voir ce qui y est, ensuite à se rendre compte de ce qui n'y est pas. Parmi les textes du Ve et du VIe siècle qui doivent nous montrer comment les Francs se sont établis en Gaule, il est une chose que nous ne rencontrons jamais : c'est que ces hommes se soient emparés des terres des habitants. Nous savons, au contraire, que beaucoup de Romains sont restés riches, et riches en terres[1].

On pourrait supposer, à la vérité, que les terres laissées aux mains des anciens habitants aient été soumises à des conditions d'infériorité à l'égard des rois et des chefs francs, et que le bénéfice ait pu venir de là. Mais c'est encore une chose que l'on n'aperçoit jamais dans les documents. Au contraire, si nous regardons les testaments ou les donations de ces propriétaires romains, nous reconnaissons bien que leurs terres ne sont grevées d'aucunes redevances, d'aucuns services ; elles ne sont subordonnées à aucun domaine éminent, ni au profit du roi, ni au profit de la nation franque. Il est visible que le Romain les possède sans être astreint à rien qui ressemble au relief, sans être menacé d'aucune reprise. Il les transmet à ses enfants de plein droit. Il les lègue à qui il veut. Il en dispose à son gré par vente, échange, donation. Il n'y a donc pas lieu de croire que, sur les terres romaines, les vainqueurs aient remplacé le plein droit de propriété par la possession bénéficiaire. Ni le bénéfice ni la vassalité ne sont venus par cette voie.

Nous avons vu ce qu'était l'alleu à l'époque mérovingienne. Le mot alleu, alode dans la langue du temps, signifiait proprement héritage, et par suite propriété patrimoniale. La femme possédait par alleu aussi bien que l'homme, le prêtre et le marchand aussi bien que le guerrier, le Romain aussi bien que le Franc. Car l'alleu n'est pas autre chose que le plein droit de propriété.

Or cette propriété pleine et entière n'a subi aucun amoindrissement à la suite de l'arrivée des Germains[2]. Elle persiste et dure à travers toute l'époque mérovingienne. Elle fait le fond de toutes les chartes. Dans un acte de 526, nous voyons Harégaire et sa femme Truda faire donation d'un grand domaine et des esclaves qui le cultivent ; s'ils peuvent en faire donation, c'est, visiblement qu'ils en ont la pleine propriété[3]. Dans une charte de 545, Ansémund dispose de ses terres, et il déclare qu'il les tient jure hereditario2. En .575, une femme nommée Bethta fait un acte où elle énumère les terres qu'elle a héritées de son fils Ermenfred[4]. En 579, Godin et sa femme Lantrude font une donation de biens fonciers[5]. En 587, Girard et sa femme Gimberge font donation de deux villæ[6]. Bertramn lègue plus de vingt domaines, dont les uns lui viennent d'héritage, les autres d'achat, et quelques-uns de donation[7] ; et il les lègue à son gré à des églises ou à des parents. Vers 620, la terre de Clamecy est vendue par ses propriétaires, les héritiers de Godinus[8]. En 631, Theudilane, Maurus et Audégisile se partagent une succession qui consiste en terres[9]. En 652, Ermembert et. sa femme Erménoara font, donation de trois domaines qu'ils possédaient par héritage de leurs parents, ex alode parentum[10]. En 648, Adroald, grand propriétaire dans le pays de Thérouenne, fait une donation de terres qu'il tient d'héritage, hereditatis suæ, proprietatis suæ ; et il en fait donation avec cette formule, que nous retrouvons dans beaucoup d'autres actes : ut teneatis, habeatis, et quibus volueritis relinquatis[11]. Il est ainsi hors de doute que le droit de propriété est resté en vigueur après les invasions. Il n'a été ni supprimé ni restreint. Aucune Modification n'a été apportée à son principe, aucune condition à son exercice, aucune limite à ses applications. Ce n'est donc pas par un amoindrissement du droit de propriété que la possession bénéficiaire et féodale s'est trouvée établie.

 

2° LES DONATIONS ROYALES.

 

Le plus grand propriétaire était le roi. Lorsque Clovis a pris pour lui l'autorité romaine, il a pris aussi les terres qui formaient le domaine impérial.

Ce fait est attesté par une série de diplômes où nous voyons les successeurs de Clovis, en même temps qu'ils font donation de terres, déclarer que ces terres font partie du fisc, ex fisco nostro. Le terme fiscus, dans la langue de l'empire, avait désigné, non seulement le trésor, mais aussi le domaine des empereurs[12]. Les rois francs continuèrent à l'employer. Ils écrivirent qu'ils donnaient une terre de leur fisc, terram fisci nostri[13] ; ou bien ils dirent que le nouvel acquéreur posséderait une terre comme elle avait été jusque-là possédée par leur fisc[14]. Même le nom de fisc s'attacha à chacune de ces terres, et chacune d'elles fut appelée un fiscus[15]. L'emploi si fréquent de ce terme, qui passait. ainsi des diplômes impériaux[16] aux diplômes mérovingiens, implique que les terres du fisc impérial sont passées de même aux mains des rois francs.

Aucun texte ne montre d'ailleurs que ces terres soient devenues la possession commune de la nation franque. Elles ont été visiblement la propriété personnelle des rois. Aussi voyons-nous ces rois les donner, les échancrer, les vendre, les aliéner librement[17]. Ils exercent sur elles les droits complets d'un propriétaire, et ils les exercent de la même façon que les empereurs.

Il faut chercher si ce n'est pas sur ces terres du domaine royal que le système bénéficiaire s'est d'abord établi. Beaucoup d'historiens modernes ont, en effet, supposé que les rois avaient dû les distribuer à leurs guerriers sous la condition de service militaire, et avec faculté de les reprendre à volonté ; de là serait venu, suivant eux, l'usage des bénéfices.

La première chose qu'on remarque en observant les textes, c'est qu'ils ne font jamais mention d'une distribution générale de ces terres. Un acte collectif, qui les aurait réparties entre les chefs ou les soldats de toute une armée, ne se voit nulle part. Les documents du règne de Clovis ne signalent pas cet acte ; les documents postérieurs ne le rappellent jamais ; il n'y est fait aucune allusion clans aucune des chartes postérieures. Une distribution originaire à la masse des guerriers, ou seulement à tous leurs chefs, est une hypothèse que rien n appuie.

On remarquera encore, en observant les chartes du VIe et du VIIe siècle, qu'elles ne signalent jamais une distribution collective de ces terres. Il n'y a donc pas d'indice qu'un tel acte ait jamais été dans les usages des Mérovingiens. Toutes les concessions ont un caractère essentiellement individuel. Les rois n'ont jamais procédé que par donations particulières, chacune d'elles portant sur une seule terre et au profit d'un seul homme. Ce caractère se reconnaît même dans les donations aux églises ; chacune d'elles est faite en faveur d'un seul monastère ou d'un seul évêché, le plus souvent même sous le nom de tel abbé ou de tel évêque. Nous devons donc écarter l'idée d'un vaste ensemble de bénéfices militaires créé en un jour, au lendemain de la conquête, ou à toute autre époque.

Voyons d'ailleurs, par la teneur des chartes, la nature de ces concessions, et observons si la terre y est donnée en propre ou n'y est concédée qu'en bénéfice.

Nous possédons beaucoup de chartes par lesquelles un roi donne une terre à une église ou à un monastère. Elles comportent toujours une donation en propre et à perpétuité. Les termes en sont d'une entière clarté. Il est dit, par exemple, que la terre appartiendra à l'abbé et à ses successeurs à toujours, et qu'ils pourront faire d'elle ce qu'ils voudront. Aucune condition n'est énoncée, aucune charge, aucun service. Toute possibilité de retour au roi est exclue.

Il est vrai que ces chartes n'ont peut-être pas .une valeur absolue pour la recherche que nous faisons. On peut supposer en effet que c'est parce que la donation concerne l'Église qu'elle est faite en termes si complets. Il se pourrait que l'Église eût réussi à se faire donner en propre ce que les laïques n'auraient obtenu qu'en bénéfice. C'est donc sur les dons faits aux laïques et aux simples particuliers que nos recherches doivent porter. Nos documents seront moins nombreux, mais peut-être produiront-ils une lumière plus vive.

Parmi les diplômes attribués à Clovis, il n'en est que deux en qui l'on puisse avoir quelque confiance[18]. Par l'un, le roi fait donation d'une terre à deux hommes nommés Euspicius et Maximinus ; par l'autre, il donne des terres à un personnage nommé Joannès. Dans le premier, la concession royale est énoncée en ces termes : Nous vous concédons le domaine de Micy, qui est de notre fisc... nous vous le donnons à perpétuité[19]. Dans le second, le roi écrit que celui à qui il donne les terres les aura à titre perpétuel héréditairement[20]. Ces termes sont ceux d'une pleine et complète propriété, non ceux d'une concession bénéficiaire. — Il est bien vrai que ces chartes ne sont pas d'une authenticité certaine ; mais, si les chartes sont douteuses, les donations qui y sont contenues ne le sont pas. D'une part, elles sont confirmées par les Vies de saint Mesmin et de saint Jean de Réomé qui les relatent[21]. D'autre part, il est incontestable que les domaines indiqués dans les deux chartes ont été donnés à ces trois personnages, qui les ont à leur tour donnés aux monastères qu'ils ont fondés ; 'et cela implique visiblement que la donation primitive avait bien les caractères qui sont indiqués dans nos deux chartes. Ainsi les seuls actes de donation qu'on puisse citer de Clovis nous le montrent donnant des terres en propriété, et non pas en bénéfice[22].

[L'auteur de la Vie d'Eusicius raconte que Childebert Ier, au retour d'une expédition militaire, décide de récompenser les soldats qui l'avaient suivi. L'un d'eux, Wulfinus, pria le roi de lui donner un domaine, honor, que le fisc possédait sur les bords du Cher. Childebert. le lui accorda ; mais Wulfinus, peu après, le céda à un monastère[23].] L'hagiographe qui nous a transmis ce fait n'est pas un contemporain ; nous ne pouvons donc pas accepter avec sûreté tous les détails de son récit. Quand il appelle un domaine honor, il se sert d'un terme de son époque, non de l'époque dont il parle. Il est du lx' siècle, et il emploie la langue de son temps. Il n'en est pas moins vrai qu'il ressort de son récit un fait qu'il n'a pas inventé, à savoir qu'un roi franc, au retour d'une guerre, récompense les chefs de son armée par des dons de terres, et que ces terres leur sont si bien données en propre, qu'ils peuvent en faire cession à un monastère.

Une vie de saint que l'on croit avoir été écrite, sous sa première forme, au VIe siècle[24], parle d'une donation royale, et elle en parle en ces termes : Le roi Théodebert donna une terre du fisc nommée Le Bois avec toutes les villæ et les revenus qui en dépendaient ; et appelant Amobald, chef de ceux qui écrivaient les diplômes royaux, il lui ordonna d'écrire un acte de donation de ces biens, et de le sceller de l'anneau royal[25]. On voit ici qu'il s'agit d'une pleine donation et qu'aucune des conditions inhérentes au bénéfice n'est indiquée. On voit aussi que ces donations étaient consignées dans des diplômes ; ce fut l'usage constant de l'époque mérovingienne[26].

Prenons le testament de Bertramn. Ce personnage, avant d'être évêque du Mans, avait été un laïque[27] très mêlé aux affaires et l'un des fidèles du jeune roi Clotaire II[28]. Aussi avait-il reçu de lui plusieurs dons de terre. Nous pouvons donc voir par son exemple de quelle nature étaient les dons que les rois faisaient à leurs fidèles. Il mentionne un de ses domaines, la villa Bonalpha, que le seigneur roi Clotaire m'a donnée pour me récompenser de la fidélité que je lui avais gardée[29]. Or cette terre ne lui a pas été concédée en simple bénéfice ; car, d'une part, il l'appelle terre de ma propriété, villam juris mei[30] ; d'autre part, il en dispose par legs, ce qu'on ne pourrait jamais faire d'un bénéfice. Dans le même testament il mentionne un autre domaine que le roi Clotaire m'a donné, alors que j'étais laïque[31], et plus loin, quatre domaines encore que le roi m'a donnés intégralement par chartes signées de sa main[32]. Or toutes ces terres données par le roi à un fidèle lui ont été données sans conditions d'aucune sorte et en pleine propriété, puisque ce fidèle les lègue à qui il veut.

À partir de Dagobert, nos chartes sont plus nombreuses, et plus souvent aussi nous pouvons saisir le vrai caractère des donations royales. Eligius, alors qu'il était laïque et fonctionnaire du Palais, a reçu du roi le domaine de Solignac ; plus tard, il fait cession du même domaine à des moines en ces termes : Je vous cède et je transporte de mon droit en votre droit, de ma propriété en votre propriété, la terre de Solignac que je tiens de la générosité du roi, et, renonçant à mon droit de propriété, je vous la cède à titre perpétuel[33]. Il emploie ainsi les termes les plus énergiques que le droit romain ait jamais employés pour désigner le plein droit du propriétaire ; il répète deux fois le mot dominium. Or il me semble que par les termes de la donation d'Eligius, on peut deviner ceux qui étaient écrits dans la donation du roi. S'il cède un plein droit de propriété sur la terre, c'est que le plein droit de propriété lui avait été donné par la lettre royale.

Dans un acte de 655, le même roi rappelle qu'il a précédemment fait don d'un domaine à trois frères qui le servaient dans le Palais ; il ne rappelle pas qu'il ait mis aucune condition à son présent ni qu'il ait exigé aucun service ; sans aucun doute il avait donné la terre en toute propriété, puisque les trois frères à leur tour peuvent faire donation du même domaine[34]. Dans un acte de la même année, Palladius rappelle qu'il a reçu du roi trois beaux domaines, tres agros nobilissimos[35]. Il ne les a pas reçus sous condition de service militaire, puisqu'il est devenu évêque et ne les a pas perdus. Il ne les a pas reçus à titre viager, puisqu'il peut en faire donation à son église.

Par une charte de 640, un certain Blidegisile déclare que le roi lui a autrefois donné un domaine dans le pays de Paris, et il transfère très librement ce domaine à un monastère[36]. Par un acte de 650, Grimoald dit qu'il a reçu du roi la villa Germiniacus et il en fait à son tour donation perpétuelle. Il s'exprime ainsi : Je vous cède cette villa à perpétuité, de façon que vous la teniez et possédiez et ayez le plein pouvoir d'en faire ce que vous voudrez[37]. C'est la formule ordinaire des donations en propre ou des ventes[38], et si Grimoald l'emploie, c'est apparemment que le roi l'a d'abord employée à son égard.

Voici un acte de 657 qui est fait par une femme nommée Adalsinda. On y lit qu'un domaine a été donné par le roi à son père Amalgaire, qu'elle a hérité de ce domaine, et qu'elle en fait donation. On voit bien que le roi n'avait pas donné la terre à charge de service guerrier, puisque cette terre était passée par héritage à la fille. Et l'on voit aussi qu'il ne l'avait pas donnée titre viager, puisque la fille qui en avait hérité pouvait encore en faire donation[39].

Voilà donc une série d'actes où les rois donnent leurs terres sans conditions, à titre perpétuel, en pleine propriété. Nous n'avons au contraire aucun acte où les rois concèdent une terre sous conditions, à charge de service, en viager.

Sans doute il se pourrait que toutes les chartes relatives aux concessions bénéficiaires eussent disparu, tandis qu'il ne nous serait resté que celles qui conter vent des donations complètes. Cela est possible assurément. Mais ce qui est certain, c'est que les chartes nous montrent des donations en propre et ne nous montrent pas de concessions royales en bénéfice. On remarquera même que cette sorte de concession n'est jamais ni rappelée ni signalée, fût-ce par voie d'allusion, dans les cent cinquante années qui suivent l'établissement des Francs. La concession bénéficiaire sera mentionnée maintes fois à partir du VIIIe siècle, et en termes très clairs. Semblable mention ne se rencontre ni au VIe ni dans la première moitié du VIIe siècle. Nous ne rencontrons pas une fois la condition du service militaire ni la clause de révocabilité.

Marculfe a recueilli au VIIe siècle les formules d'actes qu'il savait être en usage chez les rois mérovingiens. Dans ce recueil, il y a une formule pour les dons de terres que les rois faisaient aux églises. On n'est pas surpris qu'il s'agisse ici de donations en pleine propriété[40]. Mais il y en a une autre qui vise précisément les dons que les rois faisaient à leurs fidèles, c'est-à-dire à leurs guerriers, à leurs courtisans, à leurs administrateurs ou aux serviteurs de leur Palais. Elle est conçue ainsi : C'est à bon droit que les dons de notre largesse élèvent ceux qui ont servi avec zèle depuis leur jeunesse nos parents et nous[41]. Nous avons donc accordé à tel personnage, de notre pleine volonté, telle villa située en tel pays, avec tous ses revenus et toutes ses limites, sans nulle réserve, telle qu'elle a été possédée et l'est encore par notre fisc[42]. Nous décidons par le présent acte royal que le susdit recevra cette villa avec toutes ses dépendances, à perpétuité, en sorte qu'il la tienne et possède par droit de propriété, jure proprietario, qu'il la transmette à ses enfants, en vertu de notre don, ou qu'il la lègue à qui il voudra, et qu'enfin tout ce qu'il voudra faire de cette villa il ait par notre volonté tout pouvoir de le faire[43]. En foi de quoi nous avons signé de notre main le présent acte. Telle était donc la formule ordinaire des dons des rois à leurs fidèles. On y voit dans les termes les plus clairs que les rois donnent leurs terres sans conditions, sans réserve, et pour toujours.

Dans une autre formule, un roi rappelle qu'un de ses prédécesseurs a donné une villa à un fidèle, et qu'en conséquence ce fidèle la possède en plein droit de propriété[44]. Une autre formule nous montre un testateur qui dispose également de tous ses biens, soit qu'il les ait reçus d'héritage, soit qu'il les ait achetés, soit qu'il les tienne de concession royale[45]. Ailleurs, c'est une donation mutuelle entre deux époux, et le mari fait donation de domaines qu'il possède les uns par héritage, les autres par don du roi[46]. Que l'on cherche, au contraire, dans ce recueil de Marculfe ou dans quelque autre, la formule d'une concession royale en bénéfice, on ne la trouvera pas.

Après les chartes et les formules, il faut regarder chez les écrivains. Grégoire de Tours mentionne assez fréquemment des personnages, laïques et serviteurs du roi, qui ont reçu des terres du fisc[47]. Pas une seule fois il ne fait observer que ces terres aient été reçues sous condition de service militaire, ni que la donation fût seulement viagère et révocable. Grégoire, qui connaissait bien les rois francs et leurs fidèles, ne fait aucune allusion à de tels usages, qu'il n'aurait pu ignorer. Les hagiographes mentionnent maintes fois les donations royales ; pas une fois ils ne font allusion à des bénéfices royaux[48].

Si nous jetons les yeux hors de l'État franc, nous ne voyons pas non plus que les autres rois germains aient distribué leurs terres en bénéfices. Les Lois des Mamans, des Bavarois, des Ostrogoths, des Lombards, ne font aucune mention de bénéfices royaux[49]. La Loi des Wisigoths déclare formellement que les terres données par les rois sont la propriété des donataires, que ceux-ci les transmettent à leurs enfants ou à leurs héritiers suivant la loi civile[50], et qu'ils peuvent même les léguer à qui ils veulent ou en disposer par vente[51]. La Loi des Burgondes est surtout instructive en ce qu'elle est contemporaine des premiers temps de la monarchie franque. Le roi Gondebaud déclare que les donations faites par ses parents sont héréditaires[52]. Il observe que, ces donations étant toujours faites par actes écrits, le donataire devra toujours montrer sa charte[53]. Mais il ne fait allusion à aucun service militaire qui serait attaché à ces concessions. Lorsqu'il ajoute que les enfants des donataires devront le servir avec le même zèle qu'ont eu leurs parents, cette recommandation fort naturelle ne ressemble pas à l'obligation spéciale et étroite qui s'est attachée plus tard aux fiefs[54]. Rien en cela n'implique que la concession ait été temporaire et strictement, conditionnelle. D'ailleurs le vrai sens de ce passage de la Loi des Burgondes s'aperçoit nettement si l'on en rapproche le passage du Papianus, c'est-à-dire de la Loi romaine de Burgondie qui lui correspond. La même disposition y est exprimée en ces termes : Quant aux donations faites par les rois, la propriété en passera des donataires à leurs héritiers et ensuite aux héritiers de ceux-ci, suivant la loi[55]. C'est la même règle exactement dans les deux codes faits en Burgondie ; et cela nous montre que les donations royales, qu'elles fussent accordées à des Burgondes ou qu'elles le fussent à des Romains, avaient le même caractère, vérité qui ressortait déjà de l'observation des diverses chartes des rois francs. Les auteurs du Papianus, s'appuyant suivant leur coutume sur une loi romaine, citent ici comme autorité une constitution de l'empereur Honorius sur la perpétuité des donations impériales[56].

Ceci jette un grand jour sur le sujet qui nous occupe. Quand nous voyons les rois francs, ainsi que les rois wisigoths et burgondes, faire des dons de terres à leurs guerriers, aux ecclésiastiques, ou à leurs fonctionnaires, nous sommes d'abord tentés de croire qu'ils agissent suivant mi usage germanique. Il n'est sans doute pas impossible que pareille habitude existât dans l'ancienne Germanie. Mais ce qui est certain, c'est que les rois germains la trouvaient établie en Gaule et pratiquée par le gouvernement auquel ils succédaient. L'Empire avait été propriétaire d'innombrables domaines, et les empereurs les avaient employés souvent à récompenser leurs fonctionnaires, leurs courtisans ou leurs soldats. Rien n'était plus fréquent de la part des princes du IVe siècle que ces donations de terres du domaine. Elles faisaient l'occupation d'un des bureaux importants du Palais[57]. Elles firent aussi l'objet d'un grand nombre d'édits impériaux, dont une partie se retrouve dans les Codes de Théodose II et de Justinien[58]. Si l'on compare ces constitutions impériales aux diplômes des rois francs sur la même matière, on observera de singulières analogies. Les expressions employées sont les mêmes. Une donation impériale s'appelait largitas, munificentia, donatio, beneficium[59] ; les mêmes noms se retrouvent sans cesse dans les actes des rois francs, wisigoths ou burgondes[60]. Obtenir ces donations s'appelait au VIIe siècle merere ex fisco, expression qui était sans doute employée dans la chancellerie impériale[61]. Les donations impériales étaient toujours conférées par actes écrits, annotationes[62] ; celles des rois francs le furent par des præcepta ou des auctoritates. Les formules des donations impériales sont perdues pour nous[63] ; les formules des donations mérovingiennes sont écrites dans une langue toute latine et sont pleines d'expressions qui rappellent la phraséologie usitée sous l'Empire[64]. Les dons des empereurs ne contenaient aucune condition de service militaire ; cette condition n'existe pas davantage dans les dons des rois francs. Les donations des empereurs impliquaient la pleine propriété du donataire ; il est vrai que les empereurs faisaient souvent effort pour les reprendre, mais ils reconnaissaient hautement qu'elles étaient perpétuelles et héréditaires[65]. En passant des empereurs romains aux rois francs, la pratique des donations de terre est. restée la même et a produit les mêmes effets.

On remarquera encore que les empereurs appelaient quelquefois ce genre de donation beneficium, mot qui marquait seulement le bienfait ou la faveur qu'ils conféraient[66]. Le même terme est quelquefois employé par les rois francs au sujet de leurs dons de terre[67]. Il n'a pas d'autre sens que celui de bienfait ou faveur, et il est employé comme synonyme de largitas ou munificentia. Il n'implique en aucune façon que la concession soit viagère ou conditionnelle. L'idée qui s'est, attachée plus tard au mot beneficium n'y est pas encore contenue.

La teneur des chartes mérovingiennes n'implique jamais que ces terres pussent en aucun cas être reprises par les rois. Dans la pratique, nous avons plusieurs exemples où des terres de cette nature ont été reprises. Mais il ne faudrait pas se hâter de conclure de quelques cas particuliers qu'il fût de l'essence de ces concessions d'être révocables. Grégoire de Tours cite deux exemples ; mais dans tous les deux nous devons remarquer que le donataire est poursuivi pour crime de trahison, et que les terres qu'il a reçues du fisc ne lui sont enlevées qu'en vertu d'un jugement. Dans l'un, il s'agit de Gontran Boson, qui a soutenu la cause de l'usurpateur Gondovald et qui est en outre accusé d'un crime de droit commun[68]. Dans l'autre exemple, le comte de l'écurie Sunnégisile et le référendaire Gallomagnus sont accusés de complot contre la vie du roi[69]. Que le roi ressaisit des terres qu'il avait données à ces hommes, cela ne saurait prouver qu'il les leur eût données t titre révocable ou en viager. Nous devons songer, en effet, que les lois franques punissaient les crimes commis contre le roi de la confiscation des biens[70]. Les autres lois barbares prononçaient la même peine[71]. C'est ainsi que, dans le droit impérial, le crime de lèse-majesté avait toujours hg] traîné la confiscation. Or c'est d'un crime de lèse-majesté qu'il s'agit dans les deux faits signalés par Grégoire de Tours[72] ; la confiscation était donc de plein droit. Les terres de Gontran Boson et de Sunnégisile ne leur ont pas été reprises parce que la donation avait été temporaire, mais parce que ces hommes étaient coupables[73]. Cela est tellement vrai, que le fisc s'emparait non seulement des terres données par le roi, mais aussi de leurs terres patrimoniales et de toutes leurs propriétés. Nous avons même plus d'exemples de terres patrimoniales confisquées que nous n'en avons de terres royales[74]. Or il est clair que si le roi pouvait saisir les propriétés patrimoniales d'un coupable ou d'un adversaire, il pouvait à plus forte raison reprendre les biens qu'il lui avait lui-même donnés[75]. Il agissait alors, non en vertu du principe que ces concessions fussent toujours révocables, mais en vertu de son droit de punir. Il ne révoquait pas des bénéfices, il confisquait une fortune. De tels actes n'avaient aucun rapport avec la règle des fiefs ; mais ils étaient conformes au droit romain et au droit des Francs.

On comprend même que parfois, pour des crimes moindres, le roi ne confisquât pas la fortune entière, et qu'en ce cas il s se contentât de reprendre les biens qu'il avait donnés en laissant à l'homme ses biens patrimoniaux. Grégoire de Tours donne un exemple de cette distinction quand il rapporte que le roi, ayant pardonné à Sunnégisile, lui rendit ses biens propres et ne lui reprit que les terres fiscales[76].

Quelques historiens modernes ont été très frappés de voir qu'à la mort d'un roi le successeur confirmait par de nouvelles lettres les donations du prédécesseur. Ils ont conclu trop vite de là que ces donations étaient essentiellement temporaires. Cette conclusion est exagérée et inexacte. Pour nous faire une idée juste de ces renouvellements de chartes, il suffit de nous mettre sous les yeux le texte de la formule qui y était employée : C'est avec justice que l'autorité royale confirme, en faveur de ceux qui ont été toujours fidèles à nos prédécesseurs et à nous, les dons qui leur ont été faits ou les propriétés de leurs pères[77]. Tel personnage, homme illustre, nous a présenté les chartes des rois précédents qui attestent que tels et tels domaines ont été donnés à ses parents[78] ; et il nous a demandé de confirmer par un diplôme de nous tout l'ensemble de sa fortune, omne corpus facultatis suæ[79], tant ce que lui et ses parents ont obtenu par don royal, que ce qui lui est venu par vente, cession, donation, échange ou toute autre juste cause[80]. Nous le lui accordons volontiers. En conséquence nous ordonnons que tout ce qu'il possède, soit par succession de ses parents, soit comme récompense de ses services, tout ce qui lui vient de don royal ou lui a été acquis par d'autres titres légitimes, terres, maisons, esclaves, ou objets mobiliers, tout cela lui soit pleinement confirmé, de telle sorte qu'il en ait une entière possession et qu'il le transmette à ses enfants et descendants[81].

Il y a dans cette formule deux traits significatifs. En premier lieu, la confirmation porte, non seulement sur les terres données par le roi, mais aussi sur les biens patrimoniaux ou acquis par achat ; les uns et les autres sont confirmés dans les mèmes termes. Cet acte ne prouve donc pas plus la révocabilité des donations qu'il ne prouverait celle des alleux. En second lieu, la formule n'exprime par aucun mot que les terres aient été concédées à titre viager ; tout au contraire, elle déclare qu'elles sont une propriété héréditaire, que le détenteur actuel les a reçues de ses parents[82], et qu'il les laissera il ses descendants. Une autre formule de confirmation dit expressément que le fidèle qui a reçu une terre en don du roi la possède par droit de propriété ; elle ajoute qu'il la laissera à ses enfants, ou la léguera à qui il voudra, et qu'il en fera enfin tout ce qu'il jugera à propos d'en faire[83].

Ces confirmations ne signifient donc pas que les concessions aient été temporaires ou viagères. Aussi n'expriment-elles jamais cette idée. Ce sont des lettres qui se reproduisent à chaque génération, mais qui chaque fois répètent que la donation est perpétuelle. Elles ne ressemblent en rien au relief que nous verrons plus tard ; car elles ne sont pas à vrai dire des renouvellements de la concession. Précisément parce qu'elles s'appliquent à toutes sortes de propriétés, elles n'ont rien de commun avec l'institution bénéficiaire[84].

Elles font partie de cet ensemble d'habitudes qui faisaient intervenir les rois dans tous les actes de la vie privée. Un testateur demandait souvent au roi de confirmer son testament, un donateur sa donation, un acheteur son achat, un héritier sa succession[85]. Nul ne croyait ses droits assurés s'ils n'étaient garantis par une lettre royale. Comme chaque maison riche avait ses archives[86], les hommes semblent avoir mis un empressement singulier à augmenter le nombre de leurs titres. Il n'est, pas impossible d'ailleurs que le gouvernement mérovingien n'ait tiré de là un revenu. Nous devons songer aussi aux désordres des temps, à la puissance absolue de ces rois, surtout de leurs ministres, et au peu de garanties légales que les simples particuliers avaient vis-à-vis d'eux. Nul n'était sûr de garder sa terre, s'il ne pouvait montrer une lettre, non d'un roi mort, mais du roi actuellement vivant. Chacun allait donc, à chaque nouveau règne, implorer cette lettre, non sans la payer apparemment. Les confirmations n'étaient pas une reconnaissance du défaut de droit ; elles étaient une garantie qu'on ajoutait au droit[87]. C'est par une précaution semblable que l'évêque Bertramn, voulant assurer l'exécution de son testament, se munit à l'avance d'une autorisation royale. Ce n'est pas qu'il la demande spécialement pour les biens qu'il tient du roi ; il la demande et l'obtient pour toute sa fortune sans distinction[88]. De tels usages sont des éléments curieux de l'histoire d'une époque ; mais ce serait les comprendre mal que de supposer qu'ils impliquaient l'absence de tout droit d'hérédité[89].

On a dit, que le traité d'Andelot avait accordé aux leudes l'irrévocabilité des bénéfices, ce qui prouverait que les bénéfices royaux avaient été révocables jusqu'alors. Mais le traité d'Andelot, dont Grégoire de Tours nous a donné le texte[90], ne parle pas de bénéfices. Ni ce mot ni aucun terme analogue ne s'y trouve. Il n'y est parlé que des dons des rois. Le terme employé est munificentiæ regum, lequel s'est toujours dit, depuis le IVe siècle jusqu'au VIIe, des donations en pleine propriété[91]. Il n'y est pas dit que ces dons avaient été révocables ; il n'y est pas dit non plus qu'ils cesseront de l'être à partir de ce traité. Il y est dit seulement que ces dons sont une propriété assurée, quisque eum securitate possideat. Remarquons même que cela est dit, non pas de dons récents, mais de dons qui remontent au moins à vingt-six ans et au delà, dons des anciens rois jusqu'à la mort de Clotaire[92]. Voilà donc des terres qui sont déjà dans les mêmes mains depuis plusieurs règnes, et dont la possession se trouve confirmée.

Pourquoi les auteurs du traité d'Andelot ont-ils pris la peine d'y introduire cet article ? Par cette raison bien simple qu'au milieu des guerres civiles qui ont précédé, bien des hommes qui avaient, reçu des dons de l'un ou de l'autre roi avaient trahi ce roi, et que les dons avaient été repris. Il y avait eu une série de confiscations légitimes, auxquelles s'étaient ajoutées beaucoup de spoliations moins justes[93]. Il fallait réparer le mal. Aussi les rois commencent-ils par rendre la sécurité à toute la propriété foncière. Nul de nos sujets, dans l'un ou dans l'autre royaume, ne sera lésé dans ses droits, chacun possédera et reprendra possession des biens qui lui appartiennent[94]. Ils conviennent même de rendre à chacun ce qu'ils ont pu lui enlever sans qu'il y eût délit commis, et de le lui rendre après jugement[95]. Ils disent encore que toutes les donations qui ont été faites par eux, soit aux églises, soit aux fidèles, seront respectées et maintenues[96]. C'est la formule habituelle de confirmation. Elle ne signifie nullement que les-donations faites avaient été jusqu'à cette heure révocables ou viagères.

Ceux qui se représentent le traité d'Andelot comme une concession faite aux leudes, n'en ont pas lu le texte ou l'ont lu légèrement. C'est un simple traité entre les deux rois. Il n'accorde rien aux hommes qu'on appelait leudes[97]. On y chercherait en vain une seule phrase qui visait la constitution du bénéfice. Quand il y est parlé des dons que font les rois sur les terres du fisc, c'est pour présenter ces dons comme naturellement perpétuels[98], et sans faire entendre en aucune manière que ce soit là une innovation. Le traité d'Andelot n'a rien de commun avec le régime bénéficiaire[99].

Ce qui est bien avéré, c'est qu'il y eut beaucoup de révocations arbitraires sous les Mérovingiens, placés qu'ils étaient entre l'avidité de ceux qui demandaient des terres et la tiédeur de ceux qui, les possédant, ne désiraient plus que les conserver.

Les donations furent souvent révoquées : cela ne veut pas dire qu'elles fussent révocables. Les rois ont souvent cherché à reprendre les terres qu'ils avaient données ; mais ils ne les avaient pas données avec la clause qu'ils les reprendraient. Il n'y a pas une ligne dans les documents où il soit dit que ces terres doivent de plein droit revenir aux princes. Quand il leur arrive de ressaisir une terre, ils donnent pour raison que ceux-là sont justement privés des bienfaits qu'ils ont reçus, qui se sont montrés ingrats et infidèles[100]. Ils ne disent pas qu'ils aient le droit de ressaisir ces terres parce qu'ils ne les ont concédées que temporairement ou parce qu'ils se sont réservé un domaine éminent sur elles.

Tout au contraire, ils reconnaissent plus d'une fois que leurs donations sont perpétuelles ; plus que cela, chaque roi reconnaît que les donations de ses prédécesseurs étaient perpétuelles. C'est le sens de la déclaration de Gontran et de Childebert à Andelot. Clotaire II fit par deux fois une déclaration plus claire encore. Toutes les donations faites par la générosité de nos prédécesseurs, soit à une église, soit à des clercs, soit à des laïques, doivent durer à toujours[101]. Il est possible que dans la pratique il se soit écarté de cette règle, surtout pendant les guerres civiles de 613 ; mais par l'édit de 614 il s'engage à rendre les donations qu'il a reprises : Tout ce que nos prédécesseurs ou nous-même avons accordé et confirmé, doit être maintenu sans nulle atteinte ; ce que nos fidèles et nos leudes ont pu perdre clans les guerres entre les rois leur sera restitué[102].

Ainsi, ce que l'on rencontre dans les textes du vie et du vue siècle, c'est la pleine donation en propre, ce n'est pas la concession temporaire ou conditionnelle. On ne peut sans doute pas aller jusqu'à affirmer que les rois n'aient jamais fait aucune concession de cette nature. De ce qu'on n'en trouve pas d'exemples dans les documents qui nous sont parvenus, il ne suit pas de toute nécessité que la chose ait été impossible. Il suffit de constater que les premiers rois mérovingiens ont donné leurs terres en pleine propriété, et que nous ne les voyons jamais les concéder eu bénéfice. Jamais surtout nous ne les voyons mettre à leurs dons la condition du service militaire.

En résumé, si l'on se place entre le règne de Clovis et le milieu du vue siècle, et si l'on cherche, dans cet espace de cent soixante ans, quel usage les rois ont fait de leurs domaines, on doit, reconnaître qu'ils ne les ont pas fait servir à l'établissement d'un vaste système de bénéfices. Le régime bénéficiaire n'a donc pas été établi aussitôt après la conquête. Il n'est pas du premier âge de la monarchie franque. Il n'est pas sorti tout organisé des relations primitives entre le roi et ses fidèles. Il n'a pas eu sa source première dans le palais des rois, ni son principal terrain dans les domaines royaux. C'est ailleurs que nous devons en chercher l'origine.

 

 

 



[1] [Voir le livre sur l'Alleu.]

[2] [Voir l'Alleu, ch. 5.]

[3] Charta Haregarii, dans les Diplomata, édit. Pardessus, n° 108. La charte est contestée dans sa forme ; niais la donation qui y est contenue ne peut pas l'être, car la terre en question a été certainement donnée au monastère.

[4] N° 179 : Belhta..., locella Soliaco, Mansione, Barsaco seu e Briscino, quam filius suus Ermenfredus moriens dereliquit et ad ipsam legibus obvenit.

[5] N° 186.

[6] N° 196.

[7] N° 230.

[8] N° 273.

[9] N° 253.

[10] N° 256.

[11] N° 312. — De même, Vita S. Germani, dans les Acta SS. Bened., II, p. 477 : Germanus habebat quam plurirna prædia. Et c'était une pleine propriété, puisque l'hagiographe ajoute : Multa largitus est de propriis rebus... De propria facultate fundavit monasterium.

[12] Ulpien, au Digeste, XLIII, 8, 2, § 4 : Loca quæ sunt in fisci patrimonio. — Digeste, XLIX, 14, 5, § 10 : Si in locis fiscalibus. — Code Théodosien, X, 8,4 : Possessiones et domus ad fiscum pertineant. — Digeste, L, 1, 58, § 1 : Prædia fisci.

[13] Diplomata, n° 87 : Quidquid est fisci nostri. — Villam quam fiscus noster tenuit, Marculfe, I, 15 ; Diplomata, n° 540. — Quidquid fiscus noster continet, Diplomata, n° 162. — Quodcumque fiscus noster tenuisse nuscitur, Marculfe, I, 30 ; I, 15.

[14] Sicut hactenus a fisco nostro possessa est, Diplomata, n° 277, 279, 284, 285, 340.

[15] Donamus fiscum, Diplomata, n° 163 ; Fiscum Floriacum, n° 338. — Dedit fiscum regium, V. S. Mauri, 61.

[16] De fisco donandum, Code Théodosien, X, 1, 1. — Possessiones fisci donavimus, Code Théodosien, X, 1, 2.

[17] Voyez, pour l'échange, Marculfe, 1, 50. — Dans une charte nous voyons que le fiscus Floriacus est passé par échange dans les mains de Leodebode, en pleine propriété, et celui-ci le lègue à son tour cum omni jure suo, sicut acto tempore ad fiscum juit possessus, Diplomata, n° 558, t. II, p. 142 et 144.

[18] Ce sont les n° 58 et 87 du recueil de Pardessus. Encore ne disons-nous pas que ces diplômes soient authentiques. Le diplôme en faveur de Joannès de Remué (n° 58) contient des phrases qui ne sont certainement ni de Clovis ni de son époque. S'il est la copie d'un diplôme vrai, comme j'incline à le croire, c'est une copie très altérée et très allongée. Le n° 87, en faveur d'Euspicius et de Maximinus, a toujours été considéré comme vrai, quoiqu'on ne l'eût pas en original. Tout récemment M. Julien navet l'a attaqué, mais sans donner d'autres raisons sinon qu'il est sous forme de lettre, et que cette forme n'a pas été en usage sous les successeurs de Clovis. Cette raison ne m'a pas paru très convaincante. J'ajouterai même que celte forme insolite me semble être plutôt une garantie contre les faussaires. Ceux-ci ont l'habitude d'imiter les formes les plus en vogue. Les faussaires du Xe siècle, à plus forte raison ceux du XVIIe, fabriquant un diplôme, auraient reproduit la formule usuelle. C'est justement ce qu'ils ont fait pour la même donation ; nous en avons un diplôme complètement faux, sous le n° 88 ; or ce diplôme faux imite visiblement les règles ordinaires de la chancellerie mérovingienne. Qu'on lise dans le recueil de Pardessus ces deux diplômes relatifs au même fait, et la fausseté du second fera ressortir le caractère de véracité du premier. Je ne le crois pourtant pas absolument authentique. Je pense que les mots et hi qui vobis in sancto proposito succedent sont une interpolation. J'ai aussi bien des doutes sur les mots absque tributis, naulo et exactione. En résumé, je crois voir ici la copie altérée d'un acte vrai, mais non pas un acte faux.

[19] Miciacum concedimus et quidquid est fisci nostri... in perpetuum donamus.

[20] Ut quantumcunque de nosris fiscis circuisset perpetuo per nostram requiem munificentiam habeat, et quod... nos illi contulimus jure hiereditario tam nos quam nostri successores reges teneant in defensione. Cf. n° 156.

[21] Vita S. Maximini, dans les Acta SS. Bened., I, p. 584 : Euspicius dixit : Domine mi Rex, peto ut agrum Miciacensem ei (Maximino) liberatitas vestra concedat.... Rex annuit. Ideo accilis commentariensibus et notariis publicis sollemnes ordinales algue conscriptx sunt conscriptiones, adhibilis signis algue sigillis. — Cf. la seconde Vie du même saint, ibid., p. 593 : Euspicius rogavit ut pcssessionem quamdam sub nominis vocabulo Miciaco ejus proprio juri concederet.... Prædio impetrato,.. ut huic regio dono perpes maneret memoria, chartæ mandatum est. L'auteur des Miracles de Jean de Réomé, qui vivait au IXe siècle, dit qu'on peut lire dans les archives de son monastère les diplômes royaux conférant des terres à ce personnage. (Acta SS. Bened., I, p 639.)

[22] On fera à ce propos une remarque qui a son intérêt. Les donations ne s'adressent pas à des monastères, mais personnellement à des individus. Ni Euspicius ni Maximinus n'étaient abbés de monastère lorsque Micy leur fut donné.

[23] Vita Eusicii, apud dom Bouquet, t. III, p. 428 : Decrevit unicuique secundum acceptationem personæ servitium remunerare. Igitur Wulfinus ejusdem generis vir nobilissimus REMUNERATIONIS suie præmium, sicut et cirteri, præstolabatur.... Petit sibi dari super Chari fluxium quem rex habebat HONOREM.... Rex illi consensit... Mox Wulfinus ad virum Dei venit et plura de his quæ a rege beneficiis impetraverat, eadem viro Dei largitus est.

[24] Vita S. Mauri, auctore Fausto ipsius socio, interpolatore Odone, dans les Acta SS. Bened., I, p. 274. — Roth me paraît aller trop loin lorsqu'il rejette cette Vie comme à peu près apocryphe. Nous n'avons, à la vérité, que la copie qui en fut faite par Odon de Glanfeuil au IXe siècle : mais Odon déclare l'avoir faite sur un très vieux manuscrit et n'avoir modifié que les expressions pour rendre le style plus correct. Ce manuscrit primitif donnait la Vie écrite par Faustus, lequel parle même en son nom et déclare avoir été le compagnon de saint Maur.

[25] Vita S. Mauri, dans les Acta SS. Bened., c. 52, p. 295.

[26] L'usage de faire un acte écrit pour chaque donation est attesté par Grégoire de Tours, X, 19, t. II, p. 251. Remarquez aussi dans Marculfe, I, 31, les mots cartas precidentium regum, qui indiquent que l'usage des actes écrits, de la part des rois francs, est bien antérieur à l'époque de Marculfe. Voyez aussi Vita S. Maximini, c. 11, qui mentionne les solemnes conscriptiones et les notarii qui les écrivaient. La pratique habituelle de testamenta pour les ventes et donations est attestée par la Loi des Francs Ripuaires, LIX et LXIII, et par la Loi des Burgondes, XLIII La Loi salique fait allusion aux lettres royales qu'on appelait præcepta, XIV, 4. Il est hors de doute que les premiers Mérovingiens eurent une chancellerie organisée ; ce n'est pas eux probablement qui l'avaient organisée : ils l'avaient vraisemblablement empruntée aux bureaux du préfet des Gaules.

[27] Il dit : Dum laicus fui, Diplomata, t. I, p. 199.

[28] Cela ressort des mots : Pro fidei meæ conservatione, p. 198. Et plus loin, p. 205 : Dum nos cum Chlotario rege pro fide nostra detenti fiumus.

[29] Testamentum Bertramni, Diplomata, n° 250, p. 198 : Te, ecelesia Cænomanica, habere volo ac jubeo villam JURIS MEI cujus vocabulunt Bonalpha, sitam in territorio Stapense, quam mihi domnus rex suo munere... pro fidei mea conservatione habere concessit. Il ajoute : Una cum domna Fredegunde, ce qui indique que la donation est de la minorité de Clotaire II, probablement avant que Bertramn fût évêque.

[30] Les mots juris mei, fréquents dans les chartes, s'appliquent toujours à un objet possédé en propre. Exemples : Marculfe, 11, 19, 20, 21, 22 ; Andegavenses, 9 ; Turonenses, 1, 8, 9 ; Rozière, 341 [Zeumer, p. 490]. Diplomata, n° 186, 196, 250, 242, 265, 271, 300. — L'expression était déjà employée dans le droit romain ; ex. : Paul, Sentences, II, 25, 1 ; Code Théodosien, XV, 1 ; II, 26, 1. Elle reste employée dans tous les actes mérovingiens, où nous lisons sans cesse : De meo jure in vestrum dominium trado et tronsfundo.

[31] Testamentum Bertramni, Diplomata, p. 199 : Villa de Nimione in territorio Parisiaco quam mihi domnus Chlotarius rex dedit, dum laicus fui.

[32] Testamentum Bertramni, Diplomata, p. 200 : Villas quas mihi domnus Chlotarius contulit ad integrum, suis præceptionibus manu sua roboratis.

[33] Charta Eligii, Diplomata, n° 254 : Cedo... cessum esse volo ac de meo jure in vestro dominio transfundo agrum Solemniacensem qui mihi ex muni ficentia Dagoberti regis obvenit... et meo subtracto dominio, vesine doniinationi cedo perpetualiter.

[34] Diplomata, n° 270. Le roi confirme, à la vérité, l'acte des trois frères ; nous reviendrons plus loin sur le sens de ces confirmations que les rois font souvent d'actes privés ; elles n'impliquent en aucune façon que le roi ait gardé un domaine éminent sur la terre ; pas un mot de l'acte n'exprime cette idée.

[35] Diplomata, n° 275.

[36] Diplomata, n° 293.

[37] Diplomata, n° 316 : Concedo vobis perpetualiter, ut tenentis, possidentis, vel guidquid inde facere volueritis liberam habeatis potestatem.

[38] Cf. Formulæ Turonenses, 5, 21, 26 ; Marculfe, II, 3 ; II, 11 ; II, 19 ; Bignonianæ, 12 ; Rozière, 228, 229 [Lindenbrogianæ, 7 ; Merkelianæ, 15]

[39] Diplomata, n° 328.

[40] Marculfe, 1, 15, édit. Zeumer, p. 55, Rozière, n° 148 : Per presentem auctoritatem nostram decernemus ut ipso villa ponlifex [aut] illi abba in omni integritate, et ipsi et successsores sui habeant, teneant et possedeanl, val quicquid exinde facire voluerint liberam in omnibus habeant potestatem.

[41] Marculfe, I, 14, § 1, édit. Zeumer, p. 52, Rozière, n° 158 : Merito largitatis nostræ munere sublevantur qui parentibus nostris vel nobis ab aduliscentia instanti famulantur officio. — Cf. Diplomata, n° 540.

[42] Nos inlustri vivo illi prumptissima volontate villa nuncupante illa in pago illo, cum omni merito et termino suo, in integritate, sicut ab illo [nul] a fisco nostro fuit possessa vel moderno tempore possedetur, visi fuimus concessisse. — Nous n'avons plus besoin de dire que, dans la langue du temps, visi fuimus concessisse ne signifie pas autre chose que concessimus.

[43] Quapropter psr presentem auctoritatem decernemus, quod perpetualiter mansurum esse jobemus, ut ipsa villa antedictus vir ille in omni integritate... perpetualiter habeat concessa, ila ut cum jure proprietario habeat, teneat atque possedeat, et suis posteris, ex nostra  largitate, eut cui voluerit ad possedendum relinquat, vel quicquid exinde facire voluerit ex nostro permisso liberam in omnibus habeat potestatem.

[44] Marculfe, I, 17 : Constat villa illa a principe illo memorato illi fuisse concessam, et min ad presens jure proprielario possidere videtur.

[45] Marculfe, II, 17.

[46] Marculfe, I, 12 : Villas illas quas ont munere regio aut de alodo parenlum tenue videtur. — De même, dans une formule postérieure, Rozière, n° 141 [Zeumer, p. 320] : Nos morem parentunt nostrorum sequentes... libuit fideli nostro perpetualiter ad proprium concedere....

[47] Grégoire de Tours, V, 3 : Villas ei rex a fisco indulserat. — VIII, 21 : Res de fisci munere promeruerat. — IX, 38 : Res quas a fisco nteruerant. — X, 19 : Villas per regis chantas emerui. — Il ne faudrait pas que ce mot mereri fit illusion, ni qu'il entrainât l'esprit à supposer qu'il s'agisse ici d'une sorte de contrat entre un roi qui donne et un fidèle qui doit mériter. Il faut faire attention au sens qu'avait le mot mereri, ou plus souvent merere, depuis trois siècles. Il signifiait obtenir, et surtout obtenir de la bonté du prince. C'est dans ce sens qu'il était surtout employé dans la langue du palais impérial et de l'administration ; voyez des exemples au Code Théodosien, I, 2, 8 ; VIII, 9, 1 ; X, 8, 4 ; X, 9, 2 ; XI, 13, 1 ; XI, 22, 5 ; XI, 24, 0, § 8 ; XII, 1, 118 ; et l'Interpretatio, I, 2, 4, etc. L'expression merere ex fisco, qui était sans doute employée dans les actes impériaux, l'est certainement dans les chartes mérovingiennes ; Diplomata, n° 270 : Quod ex nostra largitate meruerunt ; n° 528 : Villa quod genilor noster Antalgarius et Amoloaldus de fisco promeruerunt.

[48] Voir Vita S. Maxirnini, 42, Acta SS. Bened., 1, p. 588 : Prædium quod regali munere ei datum fuerat. — Vita S. Bercharii, ibidem, II, p. 811 — Vita S. Balthildis. 8, ibidem, II, p. 7S0 : Magnam silvam ex fisco dedit. — Vita S. Eligii, I, 15 et 17.

[49] Les Lois des Alamans et des Bavarois mentionnent un genre de beneficium dont nous parlerons plus loin, mais qui n'est pas un bénéfice l'oral et qui est tout l'opposé du bénéfice militaire.

[50] Lex Wisigothorum, V, 2, 2 : Donationes regiie polestctlis quæ in quibuscunque personis collaix sunt, in eorum jure consistant.... In nomine ejus qui hoc promeruit transfusa permanent, ut quidquid de hoc facere voluerit polestatent in omnibus habeat. Si is qui hoc promeruit, jutes-talus discesserit, debi'is secundum legem heredibus res ipsa successionis ondine pertinebit.

[51] Cela résulte des mots si intestatus discesserit, et des mots quidquid facere voluerit potestatem habeat.

[52] Lex Burgundionum, I, 5 : Si quis de populo nostro a parentibus nostris munificentix causa aliquid percepisse dinoscitur, id quod ei conlatunt est etiam ex nostra largitate, ut fuis suis relinquat pnwenti constitutione præstamus.

[53] Lex Burgundionum, I, 4 : Donationum nostrarurn textus ostendant.

[54] Lex Burgundionum, I, 4 : Superest ut posteritas eorum ea devotione et fade deserviat ut augere sibi et servare circa se parentum nostrorum munera cognoscat. — Dans deux autres passages du mine code, il est fait mention des donations royales, munificentiæ (titre LIV, et addit. II, 15, Pertz, p. 577), et toujours sans la moindre allusion à des obligations de service militaire ou à une clause de révocabilité.

[55] Papianus, I, 3 : De donationibus dominorum, proprielas accipienlium etiam circa heredes et proheredes lege firmatur. (Pertz, Leges, III, p. 506). — On sait que le Papianus dans cette première partie, correspond titre pour titre à la Lex Gundobada. La phrase du Papianus, I, 3 a donc le même sens que la phrase de la Loi des Burgondes, I, 3.

[56] Code Théodosien, XI, 20, 4 : Largitates, tam notræ clementiæ, quam retro principum, tenere perpetem firmitatem prircipimus. La loi est de 423.

[57] Scrinium ou primiscrinium beneficiorum. Voir Notitia dignitatum, édit. Bœcking, t. I, p. 44 et 260, t. II, p. 54.

[58] Code Théodosien, X, 8 ; X, 9, 2 ; X, 10, 5 et 6 ; X, 10, 14 ; XI, 20, 1-3 ; Code Justinien, XI, 60 (61).

[59] Quibus possessiones sacra largitate donatæ sunt (Code Justinien, XI, 60 (61), 6). — Largitates nostræ clementiæ (Code Théodosien, XI, 20, 4). Principalis liberalitas (Code Théodosien, X, 8, 2 et 5). — Munificentia principalis (Code Théodosien, X, 10, 15 ; XI, 20, 1 ; XI, 20, 6). — Beneficium principale (Code Théodosien, X, 9, 2 ; X, 10, 14).

[60] Munificentiæ (Lex Burgundionum, I, 5 ; LIV). — Largitas (Ibidem). — Regalis munificentiæ collatio (Lex Wisigothorum, V, 2, 2). — Munificentia, indulgentia, largitas (Diplomata, n" 266, 269, 270, 271, 277, etc.).

[61] Grégoire de Tours, VIII, 22 : Quœcunque de fisco meruit. De même, VIII, 21 ; IX, 58 ; X, 19 ; Pardessus. II, p. 105 [Cf. Code Théodosien, XI, 20, 4].

[62] Annolationes (Code Théodosien, X, 8. 1 ; Code Justinien, X, 10, 2).

[63] Nous en retrouvons du moins quelques indications dans une loi de 313 au Code Théodosien, X, 8, 1 [Code Justinien, X, 10, 2] : Hoc verbo ea vis continebatur quam antea scribebamus : CUM ADJACENTIBUS, ET MANCIPIIS, ET PECORIBUS ET FRUCTIBUS ET ONNI JURE SUO.

[64] Par exemple, les mots integro statu, qui étaient usités dans les annotationes impériales (Code Théodosien, X, 8, 1, loi de 513), se retrouvent sous la forme in integrum. De même la phrase des diplômes impériaux : Cum adjacentibus et mancipiis et pecoribus et fructibus et omni jure suo (Ibidem), se retrouve, un peu allongée, dans toutes les donations mérovingiennes. Le hi quibus pro laboribus suis ac meritis aliquid donaverimus (Code Théodosien, X, 8, 5) est devenu le merito sublevantur, etc., que nous avons cité plus haut, ou le pro fidei suæ respecta, que nous trouvons ailleurs. Le in bene meritos du Code Théodosien, XI, 20, 4, nous reporte au meritis compellentibus de Marculfe, I, 17. Ajoutez une série d'expressions comme celles-ci : Munificentia nostra donamus, ex nostra largitate, ex nostra indulgentia, qui nostra largitate meruerunt, toutes expressions visiblement issues de la chancellerie impériale.

[65] Loi de 340, au Code Théodosien, X, 10, 5 : Donatarum rerum domimum his tradatur quos anteriores tempus imperialis donationis ostendevit. — Loi de 384, Code Justinien, XI, 62 (61), 6 : Hi quibus patrimoniales possessiones vel a nobis vel a parentibus nostris sacra largitate donat sunt, inconcusse possideanl atque ad suos posteros mittant, etc.

[66] Benefci principalis, Code Théodosien, X, 9, 2. — Beneficium e nobis indultran. Code Théodosien, X, 10, 11.

[67] Diplomata, n° 280 : De nostre largitatis beneficio. — N° 340 : Hoc nostre concessionis benificium firmum esse volumus ut pontifex de ipsa dicta villa habendi, tenencli, commulandi habeat potestatem. — Cf. Miracula S. Joannis Reomaensis, c. 10, Acta SS. Bened., I, p. 659 : Beneficia a prædictis regibus præstita per præcepta chartarum quæ osque nunc in archivis monasterii condita sunt.

[68] Grégoire de Tours, VIII, 21 : Cum Guntchramnus (Boso) de his interpellatus nullum responsum dedisset, clam aufugit. Abilatæ sunt ei omnes res quæ in Arverno de fisci munere promeruerat.

[69] Grégoire de Tours, IX, 58. Joignez-y l'affaire de Godin, V, 5, qui avait soutenu l'entreprise de Mérovée contre Chilpéric : Villas quas ei rex a fisco indulserat, abstulit.

[70] Lex Ripuaria, LXIX : Si quis regi in fidelis extiterit, de vita componat et omnes res suæ fisco censeantur. — Marculfe, I, 52 : Dum ille faciente revello et omnes res ejus sub fisci titulum pæcipimus revocare. — Rozière, n° 40 [Zeumer, p. 295] : Dignam subierunt sententiam et res eorum secundum legitimas sanctiones [ailleurs legum sanctionem] fisco nostro sociatæ sunt.

[71] Edictum Rotharis, 1 : Si quis contra animam regis consiliaverit, animæ suæ incurrat periculum et res ejus in fiscentur. — Cf. Lex Alamannorum, XXV ; Lex Baiuwariorum, II, 1 ; Lex Wisigothorum, II, 1, 7.

[72] Voir sur le crimen læsæ majestatis chez les Francs, Grégoire de Tours, V, 25 : Burgolenus et Dodo ob crimen majestattis... res omnes corum fisco cnnlatæ sunt. — X, 19 : Ob crimen lesi majestatis... reum mortia... multa regalibus thesauris suntl inlata. — V, 28 (27) : Additum quod essent rei majestatis et patriæ proditores.

[73] Un autre fait de même nature est signalé dans le testament de Bertramn, p. 198 : Villam quam Vædola coram justitia (regis) reddidit.

[74] Grégoire de Tours, III, 14 : Mundéric ayant essayé d'usurper la royauté, res ejus fisco conlatæ sunt ; ces res ne sont pas des dons faits par les rois, ce sont les biens propres de Mundéric. — V, 5 : Le référendaire Siggo avant trahi Chilpéric, res ejus quas in Sessionico habuerat, Ansoaldus obtinuit ; ici res peut désigner indifféremment des biens patrimoniaux ou des terres qu'il aurait reçues de Chilpéric. — V, 25 : Ennodius est condamné à l'exil et ses biens sont confisqués ; l'historien dit ses biens, facultates ; il ne dit pas des bénéfices. — V, 26 (25) : Les biens de Burgolène et de Dodo sont confisqués, res omnes tam eorum quam patris fisco conlatæ sunt ; ces termes indiquent bien qu'il s'agit de propriétés privées et patrimoniales. — VII, 29 : Ebérulf, accusé d'avoir fait mourir Chilpéric, est mis à mort ; tous ses biens indistinctement sont pris par le fisc, lequel, suivant l'usage, en concède une bonne part à des fidèles ; même ses biens patrimoniaux, qu'on avait d'abord laissés sa veuve, sont saisis par le fisc et distribués, quæ de propriis rebus [ailleurs quod a prioribus] ei relictæ fuerant, suis fidelibus condonavit.

[75] Grégoire de Tours, VIII, 58, in fine.

[76] Grégoire de Tours, VIII, 58, in fine.

[77] Marculfe, I, 51, édit. Zeumer, p. 69. : Merito regalis clementia in illis conlata munera vel proprietate parentum confirmare deliberat, quos cognoscit anteriorum regum... vel nobis fidem integram conservasse....

[78] Cartas precedentium regum nobis promulit recensendas, puliter parentibus suis loca aligna fuisse concessa.

[79] L'expression omne corpus facultatis, signifiant la totalité d'une fortune, est fréquente dans les textes mérovingiens ; voir Andegavenses, 41 ; Marculfe, II, 7 ; on la trouve dans le traité d'Andelot et dans beaucoup de diplômes.

[80] Petiit ut cum de omni corpore facultatis suæ, tam quod regio munere ipse vel parentes sui promeruerunt, quam quod per venditionis, cessionis, donationis, commutationesque titulum... justæ et rationabiliter est conquesitum... per nostrum in ipso deberemus confirmare preceptum.

[81] Precipientes ut quicquid ex successione parentum vel ejus tale, tam quod Inunere regio vel per quodlibet instrumenta cartarum ad eodem juste pervenit, tam ira villabus, mancipiis, ædificiis, accola-bus... per hanc auctoritatum firmatus, cum Dei et nostra gratia, in integrilate hoc valeat possidere et suis posteris derælinquere. — Il y a une autre formule analogue, Marculfe, I, 17.

[82] Quod parentes sui promeruerunt.

[83] Marculfe, I, 17, Rozière, n° 152 : Sicut constat villa illa ab ipso principe illo memorato lui fuisse concessa, et eam jure proprietario possidere vidclur..., ipse et posterilas ejus eam teneant et possedeant et cui voluerint ad passedendem relinquant, vel quicquid exinde facere decreverint, ex nostro permisso libero perfreanter arbitrio.

[84] Il est dit clans la Vie de saint Maur que, sur la demande de Florus, le roi Théodebert donna à son neveu Randramn tout ce que Florus avait eu par don royal. Dedit ei per sceptrum regale quod manu gestabat quæcunque Flores patrues ejus ex regali possederat dono. Or il faut remarquer que Florus avait, le même jour, demandé au roi de faire un diplôme par lequel ses propres étaient donnés au monastère, ut præceptum regiæ dignitatis facere juberet super testamentum quod ipse de propriis rebus quas illi loco tradiderat scribere rogaret. Ainsi Florus croit devoir faire intervenir le roi aussi bien pour la donation qu'il fait de ses biens patrimoniaux que pour le transfert de ceux qu'il a reçus par don royal. Ni l'un ni l'autre acte n'impliquent qu'il n'eût pas la propriété pleine des biens. Les deux actes sont proprement des actes de déférence pour le roi ou plutôt encore de précaution pour l'avenir ; mais ni par l'un ni par l'autre il ne reconnaît l'absence de droit. J'ajoute que les expressions quæ possederat dono n'entraînent pas l'idée de bénéfice (Vita S. Mauri, 55, Acta SS. Bened., I, p. 291-292.)

[85] Voir des exemples de cela dans Marculfe, I, 12 ; I, 13 ; I, 20 ; Diplomata, n° 157 et 245 ; Rozière, n° 517 et 518 [Zeumer, p. 289 et p. 459] ; Vita S. Geremari, 7 ; Vita S. Mauri, 53.

[86] Marculfe, I, 54 : Omnia instrumenta earlarum quod ipsi vel parentes sui Itabuerunt, lam quod ex munilicentia regum possedit, quam quod per vendicionis, cessiones, donationes, commulationesque tiluturn !ubait, une coin donio sua incendium concrcmalas esse. — Andegavenses, 35 : Instrumenta cartarum quam plurimas, vindicionis, caucionis, cessionis, donacionis, dotis. — Ibidem, 51. — Arvernenses, 1. — Rozière, 403-414.

[87] C'est ce qui est exprimé par plusieurs documents. Par exemple, la formule de Marculfe, I, 13, nous montre un acte tout privé, entre deux particuliers, qui se passe pourtant devant le roi ; et le roi indique la raison de cela : Quicquid in presentiam nostram agetur vel per manu nostra videtur esse transvulsum, volumus ut maneat in posterum robustissimo jure (Zeumer, p. 51, Rozière, n° 216).

[88] Testamentum Bertramni, Diplomata, t. I, p. 198 : Quia dommus Chlotarius rex suum prieceptum manus suæ jure firmatum mihi dedit ut de propria facultate quod ex parentum successione habeo seu quod munere suo consecutus sunt aut aliunde comparavi, tan pro aninæ meæ remedio quam propinquis meis sen fidelibus meis delegare voluero, liberum utendi tribuit arbitrium.

[89] Il y a une phrase des Gesta Dagoberti, 26, où l'on a cru voir l'indication d'une donation en viager : Landegisilus dum viveret eam villam per præceptum regale promernerat. On a traduit dum viveret par en usufruit sa vie durant. Mais si on lit le chapitre entier, on voit que ces mots ont un autre sens. Le chroniqueur, ayant raconté la mort de Landégisile, ajoute qu'il avait eu de son vivant une donation royale ; or, ce Landégisile étant le frère de la reine Nanthilde, celle-ci, qui était vraisemblablement héritière, Landégisile n'ayant pas d'enfants, demanda au roi la permission de donner cette terre à l'abbaye de Saint-Denis ; ce qui fut fait. Rien, dans ce chapitre, n'indique la règle de la révocabilité des bénéfices. — Nous ne parlerons pas ici de trois diplômes où l'on voit des terres être ramenées au fisc, ad fiscum revocari ; mais ces diplômes ; qui sont des années 677, 688, 695, dépassent la date que nous nous sommes fixée dans le présent chapitre et appartiennent il une autre époque.

[90] Grégoire de Tours, IX, '20. Le roi Gontran lui en avait fait donner lecture : Pactionem ipsam relegi rex corum adstantibus jubet. Il y a apparence que l'évêque de Tours en prit une copie ; il intitule son texte Exemplar pactionis.

[91] Grégoire de Tours, IX, 20. édit, de la Société de l'Histoire de France, t. II, p. 160 ; édit. des Monumenta Germaniæ, p. 577 : Et de id quod per munificentias pl œcedentium requin unusquisque usquetransitum Chlotarii regis possedit, cunz seeurilate possedeat.

[92] La mort de Clotaire Ier est de 561 ; le traité d'Andelot est de 587.

[93] Grégoire de Tours : Si aliquid cuicumque per interregna sine culpa tultum est.

[94] Grégoire de Tours : Quicquid unicuique fidelium in utriusque regno per legem et justiciam redebetur, nullum ei praijudicium pacialur, sed liceat res debetas possedere atque recipere. Pas un mot, dans cette phrase, n'exprime l'idée de bénéfice : il est plus probable qu'il s'agit de biens propres ; les mots per legem impliquent qu'il s'agit du mode de possession établi par la loi, c'est-à–dire de la propriété. C'est aussi le sens des mots res debitas. Le mot fideles, au VIe siècle, signifie tantôt sujets et tantôt fidèles.

[95] Grégoire de Tours : Si aliquid... sine culpa tultum est, audiencia habitat restauretur. — C'est encore de biens propres qu'il s'agit ici. La restitution des anciens dons des rois n'est marquée que dans cette phrase : Et quod exinde fidelibus personis ablatum est, de prresenti recipiat.

[96] Grégoire de Tours : Quidquid antefati reges (dans tout le texte du traité, l'expression antefati ou prœfati reges se rapporte à Childebert II et à Gontran).

[97] Il n'y est parlé des leudes que pour dire que les leudes de Gontran qui l'ont trahi lui seront ramenés, que les leudes de Sigebert qui l'ont abandonné seront de même ramenés des lieux où ils sont et remis aux mains de son fils.

[98] C'est ainsi qu'il est dit que tout ce que la fille de Gontran voudra donner de agris fiscalibus, le sera à perpétuité, perpetuo conservetur. Il est répété plus loin et d'une manière plus générale : Si quid de agris fiscalibus pro arbitrii sui voluntate cuiquam conferre voluerint, fixa stabilitate in perpetuo conservetur nec ullo tempore convellatur.

[99] Comme nous tenons à citer tous les textes, il faut présenter Grégoire de Tours, VIII, 22, où il est dit que Wandelinus, nutritor Childeberti regis, étant mort, quæcumque de fisco mentit, fiscijuribus sunt relata. On a cru ici encore qu'il s'agissait de bénéfices, lesquels à la mort du concessionnaire revenaient naturellement au fisc. Mais cela ne ressort nullement du passage de Grégoire de Tours. Wandelin est nutritor regis, c'est-à-dire quelque chose comme nourricier de l'enfant Childebert ; c'est une charge purement, domestique, à laquelle la jouissance de quelques biens pouvait être attachée. Wandelin n'avait peut-être pas d'enfants : il y avait bien des raisons pour que les biens qu'il tenait du fisc revinssent au fisc après sa mort ; un cas si particulier ne peut pas prouver que les concessions royales fussent en général révocables. — Grégoire de Tours dit encore : Obiit Bodygisilus dux, sed nihil de facultate ejus filiis minuatum est (VIII, 22) ; nous ne savons ce qu'était ce Bodegisile ; cette facultas dont il est parlé ici consiste-t-elle en terres du fisc, que le roi laisserait à ses fils ? Consiste-t-elle en propres, que le roi confirmerait suivant l'usage presque constant de l'époque ? Ou bien encore consiste-t-elle en emplois et dignités que le roi aurait transférés à ses fils ? Ou bien, Grégoire de Tours veut-il dire simplement : Bodegisile mourut dans un fige avancé ; rien de sa grande fortune ne fut perdu pour ses fils ? C'est bien à tort, en tous cas, qu'on a vu dans cette phrase une allusion à l'usage de reprendre les bénéfices royaux. — Il en est de môme de cette autre phrase, IX, 55 : Hortuo [Waddone], filius cils ad regem abiit resque ejus oblenuit. Si on lit tout ce chapitre, on voit bien qu'il n'est pas question de bénéfices ; res signifie les biens, la fortune, et si le fils de Waddon a dû se rendre auprès du roi pour les avoir, c'est parce que Waddon a été tué dans une querelle et en commettant un délit.

[100] Diplomata. n° 586 : Merito beneficia quæ possident amittere videntur qui non solum largitoribus ipsorum beneficiorum ingrati existunt, verum etiam infideles eis esse comprobantur.... Onnes res suas ad no.qrnin fiscum jussimus revocari. — Remarquer que dans cette phrase le mot beneficia ne signifie pas autre chose que bienfait ou faveur. Je pense aussi que infideles a ici le même sens que dans la Loi Ripuaire, LXIX, celui de traitre au roi.

[101] Chlotarii præceptio, c. 12, Borétius, p. 19, Baluze, col. 7 : Quæcunque ecclesiæ vel clericis met quibuslibet personis a prirfalis principibus munificentiæ largitate conlala sunt, ornqi firmitate perdurent.

[102] Chlotarii edictum, c. 16 et 17, Borétius, p. 25 : Quidquid parentes nostri anteriores principes vel nos per justitia visi fuimus concessisæ et confirmasse, in omnibus debeat con firmari. Et quæ usus de fidelibus ac leudibus, interregno faciente, visus est perdidisse, generaliter absque alico incommodo de rebus sibi juste debilis præcipimus revertere.