L'ALLEU ET LE DOMAINE RURAL PENDANT L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE

 

CHAPITRE XVII. — LES COMMUNAUX DE VILLAGE.

 

 

Il y a toujours eu en France des communaux de village, c'est-à-dire des bois ou des pâquis dont les paysans avaient la jouissance en commun. Ils apparaissent très nettement dans les textes du douzième et du treizième siècle ; on les aperçoit déjà dans ceux de l'époque mérovingienne. Il importe d'examiner avec attention la nature de ces communaux. Des idées fort inexactes ont cours sur ce sujet. Beaucoup d'esprits modernes se sont figuré que ces communaux étaient une propriété collective des villageois, qu'ils avaient leur origine dans une antique communauté du sol, qu'ils étaient le faible reste de la propriété que les paysans avaient exercée sur l'ensemble des terres, et que les seigneurs féodaux en les dépouillant et en les asservissant leur avaient au moins laissé quelques terres vagues et quelques bois. Tout cela est de pure imagination[1].

Cherchons dans les documents du cinquième, du sixième, du septième siècle ; nous n'y trouverons jamais que les paysans aient la propriété collective d'aucune terre. Ni la Loi salique, ni la Loi ripuaire, ni la Loi des Burgundes ne font allusion à un fait qui eût donné lieu à beaucoup de dispositions législatives, et dont aucun code n'aurait pu se dispenser de parler. Les chartes mérovingiennes mentionnent très souvent les bois et les pâquis, silvæ, pascua ; mais toujours ces bois et pâquis sont enfermés dans les domaines. Us ne sont pas à côté, en dehors. Ils appartiennent toujours au propriétaire de chaque domaine. Lorsque ce propriétaire donne ou lègue sa terre, il déclare donner et léguer ses forêts et ses pâquis. Il les lègue au même titre que ses champs et ses vignes. Je lègue ou je donne telle villa, comprenant maisons, champs, vignes, prairies, pâquis, forêts, serfs et colons, avec toutes appartenances et dépendances. Telle est la formule deux cents fois répétée ; elle ne marque pas qu'il y ait la moindre différence entre la forêt et la vigne au point de vue du propriétaire. On peut même faire une autre remarque. Nous avons dit plus haut que le propriétaire avait partagé son domaine en deux pour en mettre une part en tenure ; or nos polyptyques montrent que la forêt était toujours comprise dans le dominicum. Elle n'appartenait donc pas en propre aux paysans[2]. Un autre fait est encore bien significatif. Nous voyons plusieurs fois qu'un petit bois est compris dans le manse d'un colon ou d'un serf. Par exemple, le colon Leudo occupe 16 bonniers de terre arable et 1 bonnier de forêt ; de même le colon Vincuinus et plusieurs autres[3] ; un lide tient 1 bonnier et demi de bois taillis, concidæ[4]. Si quelques tenanciers ont ainsi la tenure d'un petit bois, tandis que leurs voisins n'en ont pas, c'est que les bois ne sont pas en commun.

Ajoutons que ces paysans étaient ou dos colons ou des serfs et qu'ils ne pouvaient pas être propriétaires. Enfin les paysans d'un domaine ne formaient pas entre eux une communauté : la tenure était individuelle ; les redevances et charges l'étaient aussi, et aucun lien légal n'existait entre ces tenanciers. La communauté du village, universitas villanorum, n'apparaîtra que plus tard. Dès que ces paysans ne pouvaient pas être propriétaires et qu'ils ne formaient pas entre eux une commune, il est clair qu'ils ne pouvaient exercer aucun droit de propriété commune sur aucune partie de la terre de leur maître.

C'est donc ailleurs qu'il faut chercher l'origine et la nature des communaux : c'est dans la constitution intime du domaine et de la tenure, telle que nous l'avons étudiée.

Nous avons vu que le propriétaire avait fait de son domaine deux parts, dont l'une avait été distribuée en lots de tenure. Il n'eût guère été pratique de diviser en petits lots sa forêt et ses pâquis. Cela n'eût pas été commode pour les paysans eux-mêmes. D'ailleurs le grand propriétaire romain avait eu le goût de la chassé ; le propriétaire franc, qui le remplaça quelquefois, avait le même goût. Pour ces raisons diverses la forêt resta dans la part dominicale et les pâquis furent dans l'indivision.

Pour ce qui est de la constitution des manses, nous avons constaté que chacun d'eux se composait, le plus souvent, de plusieurs sortes de terres. Il était ordinaire que chaque tenancier eût une assez grande terre en labour, une petite vigne et un petit pré. Il semble bien que le principe qui présida à cette distribution fut que chaque tenancier pût se suffire à lui-même et eût tout le nécessaire. Ses terres arables lui donnaient son grain, ses légumes, le lin pour ses vêtements ; sa petite vigne lui donnait sa boisson ; son pré lui fournissait son lait. Pourtant ce n'était pas tout : il fallait encore qu'il eût quelques moutons et. quelques porcs ; il avait besoin aussi de bois, soit pour se chauffer, soit pour réparer sa cabane et son étable. Il était naturel et pour ainsi dire inévitable que les pâquis et la forêt du propriétaire servissent, au moins en partie, à satisfaire ces besoins évidents.

Visiblement, les paysans n'avaient aucun droit sur cette forêt et ces pâquis, mais le propriétaire pouvait leur en concéder la jouissance, en fixant d'ailleurs les limites de cette jouissance et en y mettant des conditions.

Comment se fit d'abord cette concession ? Fut-elle gratuite, ou le propriétaire s'en fit-il payer le prix ? Il est probable que les formes les plus diverses se produisirent. Les documents du troisième au cinquième siècle ne nous disent rien sur ce point. Pour toute cette constitution intime du domaine, les faits primordiaux nous échappent ; nous n'avons de chartes qu'à partir du septième siècle, de polyptyques qu'à partir du neuvième, et, si nous pouvons entrevoir les faits primitifs, c'est seulement en vertu de la loi d'immutabilité que nous savons avoir été en vigueur en ces matières.

Prenons le registre de Saint-Germain ; nous remarquons que, dans les domaines de Palaiseau, Verrières et plusieurs autres, tous les tenanciers payent chacun quatre deniers pro ligneritia, de même qu'ils payent un autre droit pro pastione. La ligneritia ne peut être que la faculté de prendre du bois dans la forêt du maître, comme la pastio ne peut être que le droit de faire paître quelques animaux sur sa terre. Le propriétaire a donc permis de prendre du bois, non pas à la volonté de chacun, mais dans une certaine mesure ; non pas toute espèce de bois, mais seulement le bois mort et ce qu'on a appelé plus tard le mort-bois, c'est-à-dire les arbustes et les arbres ne portant pas fruits utiles. Cette concession, les tenanciers la lui ont payée ; tantôt le prix était en argent, comme à Palaiseau et à Verrières, tantôt il était en nature et consistait en ce que chaque tenancier coupât aussi pour le maître une ou plusieurs charretées de bois[5].

Il en est de même de la paisson, pastio ou pascuarium ; on appelait ainsi la permission donnée aux tenanciers d'envoyer quelques animaux, et surtout des porcs, dans les bois du propriétaire, pendant les trois mois de la glandée. Cela est déjà mentionné dans la Loi des Bavarois. Les colons avaient un droit de pâture ; seulement ils le payaient par une redevance annuelle[6]. Dans la plupart des domaines de Saint-Germain, les tenanciers ont cette faculté ; mais ils la payent d'une redevance annuelle de deux muids de vin, quelquefois de quatre muids, quelquefois de quatre deniers[7]. Dans deux domaines, cette redevance pour la paisson n'est pas mentionnée. Il n'en faut pas conclure que la paisson fût refusée aux paysans ; mais peut-être était-elle gratuite, ou le prix en était-il confondu avec celui de la tenure. .

Il faut faire attention à la manière dont la valeur de chaque forêt est indiquée dans les polyptyques. On essaye d'abord d'en dire à peu près l'étendue ; elle a une lieue de tour, qui en fait le tour fait deux lieues, évaluation absolument vague et qui ne donne pas l'étendue vraie ; on ne s'est pas donné la peine de calculer cette étendue. Mais ensuite vient un autre chiffre très net, celui des porcs que la forêt peut engraisser. Telle forêt peut engraisser 500 porcs, telle autre 900, telle autre 1.100 ou 1.500, tandis qu'il en est qui ne peuvent engraisser que 200 porcs, que 150, que 50. Ces chiffres si précis, et qu'on lient à inscrire sur les registres, sont l'indice d'une habitude. Visiblement le nombre des porcs que les tenanciers pouvaient envoyer n'était pas illimité. Outre ceux du maître, chacun d'eux en envoyait ou 4 ou 8 ou davantage, mais toujours un nombre déterminé. Cela n'est pas dit dans le polyptyque de Saint-Germain ; mais notre conjecture est confirmée par d'autres documents.

Il n'était pas dans l'usage que le propriétaire mît sa forêt tout entière, surtout si elle était de quelque étendue, à la disposition de ses tenanciers. Très souvent il s'en réservait une partie pour ses besoins personnels ou ses plaisirs. Cela est surtout visible dans le registre de d'abbaye de Prum.. Il y est dit expressément que, dans tel ou tel domaine, une partie de la forêt est en réserve — c'est ce qu'on appelait foreste —, et que l'autre partie est commune[8]. Or par le mot commune on n'entendait certainement pas que cette partie de forêt fût la propriété collective d'un village ; car il n'y a pas ici de villages libres, mais seulement des domaines dont les habitants sont des serfs ou des lides. La forêt n'est commune que parce que le propriétaire en concède la commune jouissance suivant une mesure qu'il fixe lui-même et moyennant une indemnité qui lui est payée. Cette même distinction entre la forêt réservée et la forêt commune se retrouve dans les formules de Saint-Gall : Je donne, y est-il dit, ma villa portant tel nom, telle que mes ancêtres et moi l'avons possédée en plein droit de propriété, c'est-à-dire avec ses maisons, vergers, champs, prairies, forêts communes ou forêts réservées, pâquis, esclaves. Ici encore il est visible que ce qui est appelé forêt commune ne peut pas être la propriété collective de ces esclaves ; il s'agit d'un droit d'usage qui leur est concédé ; aussi le maître, dans cette formule, apparaît-il comme aussi bien propriétaire des forêts communes que des forêts réservées[9]. Un acte de la fin du huitième siècle montre aussi la séparation entre la forêt commune et la forêt qui reste propre au maître[10].

Cette partie du dominicum où l'on concédait des droits d'usage aux tenanciers est appelée du terme de communaux, communia, dans un certain nombre 'de chartes du nord de la Gaule ou de la région du Rhin[11]. Par un acte de 687, Amalfrid et sa femme Childeberta font donation du domaine d'Honulfocurtis au monastère de Sithiu ; suivant le style ordinaire des chartes, il est dit que ce domaine dans toute son intégrité, y compris terres, manses, constructions, esclaves, champs, forêts, prairies, pâquis, moulins, communaux, tout sans nulle exception est donné au monastère[12]. La lecture d'une telle charte ne laisse aucun doute sur la nature de ces communaux. Ils ne sont pas une terre commune à tous, une terre sans maître ; ils sont dans l'intérieur du domaine. Ils ne sont pas non plus la propriété collective des paysans ; car les paysans ici sont des mancipia, des esclaves, qui ne sauraient être propriétaires et qui appartiennent eux-mêmes à Amalfrid et à sa femme au même titre que leurs champs et leurs vignes ; et ceux-ci en font donation au même titre. Seulement, Amalfrid et ses ancêtres avaient concédé que cette partie de leur terre fût commune à leurs serfs pour certains droits d'usage ; et il n'est guère douteux que le nouveau propriétaire ne respecte cette situation.

Nous voyons de même, dans le pays de Flandre, un certain Sigerad vendre à un prêtre toute la portion qu'il a du domaine de Rokasem consistant en prés, champs, esclaves et communia[13]. De même encore dans le pays de Thérouenne une femme nommée Sigeberta vend ce qu'elle possède en terres, manses, champs, forêts, prés, pâquis, communaux[14]. Il est incontestable que celui ou celle qui vend ses communia parmi ses vignes, ses prés, et ses esclaves, est propriétaire de ces communia comme il l'est de ses autres terres et de ses hommes. Nous pourrions citer encore quelques autres actes ; dans l'un d'eux, un donateur déclare qu'il possède ses communia par droit d'hérédité, jure hereditario[15].

Huit formules, c'est-à-dire huit modèles d'actes, mentionnent les communia parmi les parties d'un domaine qui appartiennent en propre à un vendeur ou à un donateur. On lit dans l'une d'elles : Je donne à mes neveux et à ma nièce un bien que je possède en tel canton et qui comprend tel nombre de manses avec constructions, terres, bois, prés, pâquis, communia, esclaves manants et dépendants, en un mot tout ce qui est ma propriété[16]. Dans une autre formule qui se rapporte à une donation mutuelle entre époux, la femme déclare donner à son mari ses biens situés en tel lieu, c'est-à-dire tel nombre de manses, avec maisons, constructions, terres cultivées ou incultes, bois, champs, prés, pâquis, communia, tout intégralement, tout ce qui est sa propriété[17]. Le même terme se retrouve, et toujours employé de la même façon, dans une formule où un homme institue un héritier et lui fait cession de ses terres[18] ; dans quatre autres où un propriétaire fait donation d'un bien foncier à une église[19] ; et enfin dans une charte de composition : où le coupable fait cession à sa victime d'une propriété consistant en manses, hommes manants, terres arables, forêts, champs, prés, pâquis, communaux[20].

Dans tous ces actes il est dit en termes formels et énergiques que ces communaux sont la propriété d'un particulier, mea est possessio vel dominatio ; ils n'appartiennent qu'à lui seul et ne lui sont pas communs avec d'autres hommes libres, puisqu'il les vend par sa seule volonté et sans consulter personne. Les actes disent encore qu'ils sont transférés de la propriété du vendeur ou du donateur dans celle de l'acheteur ou du donataire, de meo jure et dominalione investrum jus et dominationem transfundo. — Nous pouvons affirmer, d'autre part, qu'il n'existe pas un seul acte en sens contraire, pas un où le mot communia ait un autre sens. Jamais on ne le rencontre avec la signification de terre appartenant en commun à un village. Les communia sont toujours dans l'intérieur d'un domaine, et sont vendus, légués, donnés avec ce domaine. Ces ventes ou donations de communaux ne sont jamais faites par une communauté, mais toujours par un homme seul ou par une femme ; toujours aussi les communaux sont vendus ou donnés à une personne seule, soit à un particulier, soit à une femme, soit à l'abbé d'un monastère, jamais à une communauté d'habitants. Nous observons même dans les quatorze actes que nous venons de citer que le domaine en question ne comporte aucune communauté d'habitants, puisque nous y lisons que ce domaine est occupé par des serfs, servi, mancipia, et qu'il n'y a pas place pour une communauté de paysans propriétaires[21].

Tous ces textes montrent assez clairement ce qu'étaient les communaux dans le domaine. Ce n'était pas précisément la même chose que les forêts et les pâquis, puisque les pascua et les silvæ sont nommés à côté des communia ; mais c'était une partie des forêts et des pâquis, la partie que le maître avait voulu rendre commune. Il est bien entendu qu'il ne s'agissait jamais d'une communauté de propriété, mais seulement d'une communauté de jouissance. Il faut rapprocher ces textes de ceux qui nous montrent les serfs ou colons exerçant un droit de pâture ou un droit de couper du bois, soit gratuitement, soit moyennant redevance au propriétaire. Le domaine comprenait ordinairement trois parts. Le propriétaire gardait l'une dans sa main et l'exploitait, à son profit exclusif ; c'était le manse dominical. Il avait mis la seconde entre les mains de petits tenanciers, serfs ou colons ; c'étaient les manses serviles ou ingénuiles. Il restait une troisième part, qui comprenait les terres incultes ou de culture trop difficile ; cette partie, ne pouvant guère être distribuée en tenures, était laissée par le propriétaire à l'usage commun des tenanciers. Tous ses tenanciers en jouissaient suivant certaines règles déterminées par le propriétaire, chacun d'eux pouvant envoyer tel nombre de moulons dans la prairie, tel nombre de porcs à la glandée[22].

Tels sont les communaux de village, du quatrième au neuvième siècle. Ils se modifieront avec le temps et prendront plus tard un autre aspect, mais nous en avons marqué le vrai point de départ. Ils ne dérivent pas d'une prétendue propriété collective, dont on ne trouve nulle part aucun indice ; ils dérivent d'une jouissance concédée à des tenanciers par un propriétaire[23]. De même que presque tous nos villages sont issus d'anciens domaines, c'est aussi dans l'organisme intime de ces domaines que se trouve l'origine des communaux de village.

 

 

 



[1] M. Armand Rivière a publié en 1856 un bon ouvrage sur les Biens communaux en France, mais il se trouve qu'il ne parle que des biens des villes, et tels qu'ils étaient constitués d'après la législation du Digeste. Les communaux de village ne pouvaient pas exister alors ; ils sont d'une date très postérieure et d'une nature fort différente.

[2] Voyez notamment le Polyptyque de Saint-Germain, II, 1, III, 1 ; IV, 1 ; V, 1 ; VI, 1 ; VII, 5 ; VIII, 1, etc. De même dans le registre de Prum, n° 55, 54, 55, 45, 46, 58, 61, 65, 64, 66, 72, 75, 76.

[3] Polyptyque de Saint-Germain, IX, 58 : Un colon tient 12 bonniers de terre arable et 1 de forêt ; de même, IX, 47, 79, 83, 84. — IX, 46 : Le colon Eutharius tient 16 bonniers de terre et 1 bonnier et demi de silva novella, c'est-à-dire de forêt plantée par lui. — Autres exemples dans le même polyptyque, IX, 135, 156, 158 ; XIII, 2, 5, 17, 18, 19, 27, 45, 46, 55, 87, 95, 94.

[4] Polyptyque de Saint-Germain, IX, 87. — Autres exemples de concidæ aux mains de petits tenanciers, dans le même polyptyque, IX, 88, 89, 91 ; XIII, 1, 9, 57, 76.

[5] Polyptyque de Saint-Germain, IX, 155-155, 158 ; XVIII, 5 et suiv. ; XXV, 5 et suiv. — Le même droit de ligneritia, soit en argent, soit en nature, se retrouve dans le Polyptyque de Saint-Maur.

[6] Lex Baiuwariorum, I, 13 (14).

[7] Polyptyque de Saint-Germain, I, 1 ; II, 2 ; III, 2 ; IV, 2, etc.

[8] Registre de Prum, n° 55, dans Beyer, p. 175 : Silva in Bastiberg forestum ad porcos 200 ; in Tegesceit communis ad porcos 200. De même au n° 62 : Silva in communi ad porcos 100, forestum ad porcos 150 ; n° 66, 82, 85 : Silva communis ad porcos 600. — Codex Wissemburgensis, n° 200 : Et silva in communiis qua possunt saginari porci 200.

[9] Formulæ Sangallenses, 11, Zeumer, p. 385 : Dono villam... sicut ego et progenitores mei per succedentium temporum curricula potestative possedimus, id est domibus, pomariis, molinis, agris, pratis, silvis communibus aut propriis, pascuis, mancipiis, pecoribus.

[10] Dans Kindlinger, Münsterische Beiträge, II, 5 : Est ib isilva communis... silva domini quæ singularis est.

[11] Le mot se rencontre toujours sous la forme communiis (ablatif) ; il n'en faut pas conclure qu'il y ait eu un féminin communiæ. Dans celle langue, communiis est l'ablatif du neutre communia, comme adjacentiis l'est de adjacentia.

[12] Diplomata, Pertz, n° 56, Pardessus, n° 408 : Cum omni integrilale sua in se habente vel pertinente... una cum eorum terris, mansis, casticiis ibidem edificatis, mancipiis, campis, silvis, pratis, pascuis, farinariis, communiis, omnia et cum omnibus ad integrum ad monasterium tansfirmaverunt.

[13] Cartulaire de Saint-Bertin, n° 59 : Ego Sigeradus, venditor,... vendo omnem rem portionis mex in loco Hrokasem, in pago Flandrinse, id est tam terris quam et manso, pratis, campis, mancipiis, communiis, perviis, ivadriscapis, peculiis, mobilibus et immobilibus. — Acte semblable d'un certain Waldbert, ibidem, n° 41.

[14] Cartulaire de Saint-Bertin, n° 45 : Tam terris, mansis, ædificiis, campis, silvis, pratis, pascuis, communiis.

[15] Recueil de Lacomblet, t. I, p. 6. — Voyez encore un acte de 868 dans Beyer, Urkundenbuch, n° 110. — Dans le recueil de Zeuss, au n° 200, nous voyons un certain Lantfrid faire don au monastère d'une silva in communiis qui peut engraisser 200 porcs au temps de la glandée. Il est clair que cette silva in communiis est la propriété personnelle de Lantfrid, puisqu'il en fait donation ; elle n'est en commun qu'avec les paysans du domaine et seulement pour la jouissance.

[16] Formules, dans Zeumer, Lindenbrogianæ 14, dans Rozière, n° 172 : Dono rem meam in pago illo, id est mansos tantos cum edificiis, una cum terris, silvis, campis, pratis, pascuis, communiis, et mancipiis ibidem commanentibus vel aspicientibus, auidquid in ipso loco mea videiur esse possessio vel dominatio. — On sait que dans la langue du temps les mots possessio et dominatio sont ceux qui marquent le plein droit de propriété privée ; vel n'est pas une disjonctive et a le sens de et.

[17] Formules, dans Zeumer, Lindenbrogianæ 15, dans Rozière, n° 251 : Mansos tantos cum domibus, edificiis, curliferis, terris tam cultis quam incultis, silvis, campis, pratis, pascuis, communiis, totum et ad integrum, quidquid sua fuit possessio vel dominatio.

[18] Formules dans Zeumer, Lindenbrogianæ 18, dans Rozière, n° 118 : Terris silvis campis, pratis, pascuis, communiis et mancipiis ibidem commanentibus, quantumeunque mea videtur esse possessio vel dominatio.

[19] Lindenbrogianæ, 1, 2, 4, add. 5 ; Rozière, 200, 202, 331, 346.

[20] Lindenbrogianæ, 16 ; Rozière, n° 242.

[21] Il faut faire attention de ne pas confondre avec ces communia une certaine communio silvæ que nous rencontrons dans d'autres textes. Les chartes qui contiennent l'une s'expriment tout autrement que celles qui contiennent l'autre, et aucune confusion n'est possible. Les communia concernent des tenanciers serfs ; la communio silvæ concerne des propriétaires. Cette communio silvæ se rattache au régime des portiones que nous avons décrit plus haut. Lorsqu'un domaine, par succession ou autrement, s'était partagé, les deux, trois, quatre, dix propriétaires ont chacun, outre une part des terres en culture, une part dans la forêt. Suivant une règle qui était déjà dans la Loi romaine et dans la Loi des Burgundes, et qui est si naturelle qu'on peut croire qu'elle a existé partout, la part dans la forêt est proportionnelle à la part que chacun possède en manses. C'est ce qu'on voit dans beaucoup de chartes de la région rhénane, où quelques utopistes ont voulu voir un partage originel entre paysans libres.

[22] Une charte du recueil de Neugart, n° 462, montre clairement cette situation : Trado...in villa Allenburch, hobas 5 et quidquidad illam pertinet ad unamquamque hobam 10 porcos saginandos in proprietale mea in silva Lotsletin. — Voilà une forêt qui est commune à des tenanciers pour la glandée, mais qui est incontestablement la propriété d'un propriétaire.

[23] Nous avons déjà en 1885, dans nos Recherches sur quelques problèmes d'histoire, attiré l'attention des érudits sur les communia. Nous faisions observer que, dans tous les textes où on les rencontrait, ils faisaient partie d'un domaine et non pas d'un village libre, qu'ils appartenaient toujours au propriétaire du domaine (ou de la portio de domaine), que ce propriétaire les vendait et les donnait librement sans consulter personne, et qu'enfin ce propriétaire déclarait expressément que' ces communia étaient sa propriété.

M. Thévenin, dans un article inséré dans les Mélanges Rénier, 1886, a essayé de me contredire, parce que ces faits contredisaient son propre système sur la communauté germanique. Voici comment il s'y est pris : 1° Il a commencé par énumérer tous les textes, que nous citons, et où des propriétaires déclarent vendre les communia qui sont leur propriété ; mais quelle conclusion tirera-t-il de là ? Aucune. Une fois acquitté avec les textes, il n'en parlera plus, il n'en tiendra aucun compte, et il affirmera hardiment, contre tous ces propriétaires, que les communia ne doivent pas être leur propriété ; il n'a ainsi accumulé les textes que pour se mettre contre eux. — 2° A ces textes sur les communia il ajoute une trentaine d'autres textes sur la communio silvæ ; il ne paraît pas s'apercevoir que c'est tout autre chose. La communio silvæ est, en effet, l'indivision de la forêt contenue dans un domaine, lorsque ce domaine s'est trouvé divisé en portiones, c'est-à-dire quand les successions ou les ventes ont établi sur un même domaine deux ou plusieurs propriétaires. Cela n'a aucun rapport avec les communia, mais à l'aide de cette habile confusion M. Thévenin fait quelque illusion au lecteur inattentif. — 3° Il imagine que le mot dominatio, qui est employé dans la plupart de nos textes, signifie autre chose que la propriété. Voilà une affirmation qui a pu séduire quelques lecteurs absolument ignorants des textes ; mais tout homme qui les connaît sait fort bien que dominatio se rencontre un millier dé fois dans les chartes, toujours avec le sens de propriété, sans aucune exception, et aussi bien dans les mains d'une femme que dans celles d'un évêque. C'est un terme synonyme de proprietas, jus, possessio, potestas ; aucun érudit n'en a jamais douté. Pour M. Thévenin, c'est un terme spécial, qui ne s'applique qu'aux communia. Pourtant nous le trouvons dans des centaines de chartes où il n'y a pas de communia. Il soutient que jus et dominatio sont deux choses différentes ; pourtant nous les trouvons presque toujours ensemble et appliqués à un même immeuble. Il veut que dominatio signifie une dépendance d'un centre d'exploitation, ce qui est purement fantaisiste. Qu'il regarde seulement, entre mille exemples, dans le recueil de Pardessus, les n° 179, 186, 250, 254, 300, 361, 365 ; dans le recueil de Zeuss, les n° 10, 15, 42, 52, 56, 59, 151, 176 ; dans le recueil de Neugart, les n° 10, 12, 56, 72, 84, 147, 176 ; dans le Codex Fuldensis, les n° 55, 174, 224,244 ; et qu'il dise s'il peut encore soutenir que dominatio signifie autre chose que le plein droit de propriété privée. Et c'est sur ce contre-sens arbitraire et voulu qu'il construit toute sa théorie. — Il prétend que adjacentia est la même chose que communia, quoiqu'il n'y ait aucun rapport entre les deux choses, et quoique cela soit démenti par un des textes mêmes qu'il cite, la Lindenbrogiana 2, qui énonce les deux choses comme distinctes. Qu'il regarde d'ailleurs le Polyptyque de Saint-Remi, XVII, 1 ; XVIII, 1 ; XIX, 1, etc., et il verra si adjacentia signifie des terres communes. — 4° Arrêté par le mot legitimus, lequel se trouve des milliers de fois dans nos chartes et qui signifie toujours conforme aux lois, il décide que legitimus doit signifier ce qui n'est pas conforme à la loi, ce qui existe en dehors des lois. On ne peut pas traiter la langue avec plus de désinvolture. — Je ne puis insister sur toutes les inexactitudes qu'il y a dans cet article. Il a merveilleusement les dehors de l'érudition ; allez au fond, vous ne trouvez que méprises ou témérités conjecturales. C'est fort bien d'accumuler les textes, mais il faut aussi les comprendre, et surtout ne pas les interpréter à rebours. Il ne faut voir dans les textes que ce qui y est ; mais aussi il faut y voir tout ce qui y est. Or M. Thévenin a certainement lu les textes qu'il cite, mais il n'y a pas vu trois choses : 1° Que chaque particulier déclare expressément que ces communia sont sa propriété ; 2° Que ces communia ne sont jamais situés dans des villages libres, mais toujours dans des domaines ; 3° Que les habitants de ces domaines ne sont pas des paysans libres, mais toujours des serfs, mancipia, ce qui exclut toute possibilité de propriété collective. Je crois que l'effort de M. Thévenin pour se débarrasser de quelques faits qui le gênent, est plus ingénieux qu'érudit.