L'ALLEU ET LE DOMAINE RURAL PENDANT L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE

 

CHAPITRE XI. — DE LA CONDITION DES AFFRANCHIS.

 

 

1° DE L'INFÉRIORITÉ PERMANENTE DES AFFRANCHIS.

 

L'homme qui cessait d'être esclave ne devenait pas pour cela un homme libre. Il restait un affranchi. La situation d'affranchi n'était pas un état momentané par lequel on passait de la servitude à la liberté : c'était un état permanent dans lequel on vivait et l'on mourait. C'était une condition sociale. Regardez toutes les législations qui ont été écrites du Ve au VIIIe siècle, toutes partagent la population en trois grandes classes, celle des hommes libres, celle des affranchis, celle des esclaves.

L'inégalité entre les hommes libres et les affranchis avait été un principe constant dans la société romaine. Cette même distance reste marquée dans la société mérovingienne. L'infériorité de l'affranchi se reconnaît à deux signes : l'un est que l'affranchi n'a pas le droit d'épouser une femme libre[1] ; l'autre est que le wergeld de l'affranchi, c'est-à-dire le prix que la loi assigne à sa personne, n'est jamais égal au wergeld de l'homme libre[2].

Dans la pratique de la société mérovingienne, les rangs n'étaient pas tellement fermés qu'il ne fût assez facile à un esclave même de s'élever de degré en degré jusqu'aux plus hautes fonctions. Il pouvait devenir comte et duc[3] ; il pouvait devenir diacre, prêtre, évêque. Mais sa condition d'affranchi lui restait toujours. La loi mettait une différence entre le comte né libre et le comte qui n'était qu'affranchi ; elle fixait le prix légal du premier à 600 solidi, celui du second à 300, la proportion demeurant la même qu'entre tout homme libre et tout affranchi[4]. De même, l'ecclésiastique qui avait une origine servile, avait un wergeld moindre que l'ecclésiastique né dans la liberté[5]. Toutes ces dispositions ne résultent pas du caprice de tel ou tel législateur ; elles se sont imposées aux législateurs, parce qu'il n'entrait pas dans les esprits qu'un affranchi pût être l'égal d'un homme libre.

 

2° DU PATRONAGE DES AFFRANCHIS.

 

Si l'ancien esclave ne devenait pas l'égal des hommes libres, encore moins devenait-il l'égal de son ancien maître. Sauf deux exceptions que nous verrons lout à l'heure, la règle était que l'affranchissement ne brisait pas le lien de dépendance entre l'esclave et le maître. Il substituait seulement à la servitude le patronage. Ce principe était antique et aussi germain que romain. Il dérivait même d'une idée juste, c'est-à-dire d'une idée conforme à l'état social et aux conceptions d'esprit de ce temps-là. Cette idée était que l'homme qui cessait d'être esclave avait besoin d'un protecteur. En effet, la société politique, en dehors de laquelle il avait jusque-là vécu, ne lui offrait pas un assez sûr appui. Sa liberté récente se fût trouvée fort menacée. Quand on lit les lois du sixième et du septième siècle, on est surpris de voir combien il était facile de s'emparer de la personne d'un homme, de l'emmener comme esclave, de le vendre[6].

Cela était facile pour un homme libre, plus facile encore pour un affranchi. On est frappé du grand nombre de procès qui portaient sur la condition de la personne, c'est-à-dire où le juge avait devant lui deux plaideurs, l'un qui prétendait être homme libre, l'autre qui le revendiquait comme son esclave[7]. Or la liberté était difficile à prouver. L'affranchi n'avait pas d'actes de l'état civil. On lui avait bien remis une lettre d'affranchissement, et cette lettre faisait foi en justice ; mais elle pouvait se perdre ou être dérobée. La procédure ordinaire dans cette sorte de débats consistait à présenter au juge les parents de l'homme contesté ; si ses parents étaient hommes libres, le juge prononçait en faveur de la liberté[8]. Mais précisément l'affranchi n'avait pas de parents libres ; ses parents étaient esclaves, ils formaient donc une présomption contre lui. Ainsi cet affranchi n'avait par lui-même aucun moyen de défense et se trouvait exposé à retomber en servitude[9]. Il était donc nécessaire qu'il y eût quelqu'un pour le défendre, quelqu'un pour se porter garant de son état d'affranchi. Ce devoir incombait à celui-là même qui l'avait fait libre. L'ancien maître avait l'obligation d'être pour lui ce qu'on appelait un auctor[10], c'est-à-dire un répondant, un défenseur dans tous les procès et contre toutes les violences[11].

La langue mérovingienne exprimait le devoir de protection du patron par les termes latins patrocinium, defensio, ou par le terme germanique mundeburd. Mais la protection n'allait pas sans l'autorité. Le patron avait au moins autant de droits sur son affranchi qu'il avait de devoirs. La subordination de l'affranchi était désignée par les termes latins obsequium, libertaticum, ou par le terme germanique litimonium.

C'était donc un principe universellement admis, sauf les exceptions que nous dirons plus loin, que l'affranchi restât soumis à l'ancien maître. Il n'était plus un esclave, mais il demeurait un serviteur. Il continuait à compter dans la familia, c'est-à-dire dans la domesticité du maître. Nous trouvons cette règle dans les actes des conciles ; nous la trouvons aussi dans les lois des Burgundes, des Wisigoths, des Lombards[12]. La Loi des Burgundes ajoute même ce détail significatif : si un esclave, que son maître a vendu à l'étranger, devient libre et rentre dans le pays, il n'y rentre pas comme homme libre et il doit prendre pour patron l'ancien maître qui l’a autrefois vendu[13]. Tant il paraissait impossible que l'affranchi ne fût pas sous la tutelle et l'autorité de quelqu'un.

L'autorité du maître avait pour sanction le droit de replonger l'affranchi dans la servitude. Il est vrai que les conciles avaient obtenu que cette peine ne fût prononcée que par le juge, et seulement en deux cas : le premier, si l'affranchi injuriait ou frappait son patron ; le second, s'il refusait de reconnaître son état d'affranchi[14]. En pratique, l'affranchi était mal protégé par le juge, et sa liberté, vis-à-vis de son maître, était assez précaire. Il est assez visible qu'il était dans cette singulière situation que pour rester homme libre il devait obéir.

A l'autorité du patron sur la personne de l'affranchi s'ajoutaient des droits sur ses biens. Esclave, son pécule avait été légalement la propriété du maître.. En l'affranchissant, le maître avait eu le droit de garder ce pécule. Les chartes et les formules montrent que presque toujours il le lui laissait ; mais la règle était que l'affranchi ne pût ni l'aliéner ni le diminuer. Ce qu'il avait acquis dans la maison du maître ou ce qu'il pouvait acquérir plus tard par son travail, comme artisan, comme commerçant, comme médecin, revenait de plein droit au maître, à moins que celui-ci n'en eût décidé autrement[15]. Il est vrai que si l'affranchi laissait des enfants, nés d'un mariage légitime, l'usage constant voulait qu'ils fussent ses héritiers ; mais s'il ne laissait pas d'enfants, il n'avait pour héritier que son patron.

Cette règle n'est pas une pure invention de la cupidité ; elle s'explique par les idées de l'esprit. On ne concevait pas en effet que l'affranchi, s'il ne laissait pas d'enfants, pût avoir d'autres parents. L'affranchissement, étant comme une sorte de naissance à la vie civile, avait rompu tout lien avec sa famille naturelle. Il n'avait plus aucune parenté légale avec des parents qui restaient esclaves. Il n'était pas possible qu'il eût des oncles, qu'il eût des frères. On considérait même que son patron était son père, puisqu'il l'avait fait naître à la vie civile. Le patron héritait donc de lui comme son plus proche parent. Les lois barbares sont d'accord sur ce point avec les lois romaines. L'une d'elles énonce même ce principe que le patron succède à l'affranchi comme à un parent[16]. Pour assurer au patron cette successibilité, le droit refuse à l'affranchi, en général, la faculté de tester.

Voici une autre conséquence du même principe. En cas de meurtre la peine de mort était remplacée par la composition, c'est-à-dire par une somme payée à la famille de la victime. Or la famille de l'affranchi n'était pas l'ancien esclave qui avait été son père ou son frère suivant la nature. Sa famille était son patron, les fils ou les frères de son patron ; c'était à cette famille que le prix du meurtre était payé.

 

3° EXCEPTION DU DENARIALIS ET DU CIVIS ROMANUS.

 

Les règles que nous venons d'énoncer souffraient deux exceptions. Il existait deux catégories d'affranchis qui n'étaient pas soumis à des patrons et n'étaient astreints à aucune dépendance.

C’étaient d'abord les hommes affranchis devant le roi par le denier. J'incline à penser que le jet du denier que l'esclave tenait dans sa main et offrait au maître, et que le maître faisait sauter dans la main de l'esclave, était une formalité symbolique par laquelle le maître renonçait à ses droits de patronage. Ce qui est certain, c'est que l'homme affranchi par le denier ne reconnaissait plus l'ancien maître pour son patron. Il ne lui devait rien. Jamais il n'est fait mention de l'obsequium du denarialis. Les sept formules qui nous sont parvenues sur cette sorte d'affranchissement ne contiennent aucune réserve, aucune limite à la liberté. L'affranchi est dégagé de toute obligation ; la lettre royale le dit brièvement, mais nettement[17]. La loi d'ailleurs établit que le patron n'a plus le patronage, puisqu'elle dit qu'il n'a plus aucun droit sur la succession de l'affranchi ; or le droit à la succession est le signe le plus certain du patronage[18].

On peut se demander si, à la suite de cette renonciation faite par le maître, les droits du patronage ne sont pas passés au roi. Sur ce point, il y a lieu de douter. L'article qui dispose que la succession de cet affranchi, à défaut d'enfants, échoit au fisc, ne spécifie pas si c'est à titre de patron que le roi hérite ou s'il ne s'agit ici que de la règle relative à toute succession vacante. De même en cas de meurtre de cet affranchi, on ne sait si c'est à titre de souverain ou à titre de patron que le roi en recevait le prix[19]. Ce prix était, d'après la Loi ripuaire, de 200 solidi[20]. L'élévation de cette somme s'explique, soit parce que ce denarialis serait désormais l'égal des Francs, soit parce qu'il serait en patronage du roi. Mais la Loi salique, dans un article d'ailleurs obscur, ne paraît porter le prix légal du denarialis qu'à cent pièces d'or, ce qui est la moitié du prix d'un Franc[21].

Il faut reconnaître que la condition de cet affranchi nous est fort mal connue. Les écrivains ne parlent jamais de lui. La Loi salique et la Loi ripuaire en disent peu de chose. On a soutenu que le denarialis jouissait d'une liberté si complète qu'il entrait aussitôt dans la nation des Francs[22]. Cette affirmation dépasse les textes. Les mots ut reliqui Ripuarii liber permaneat n'ont pas un sens si absolu ; pareilles expressions se retrouvent en effet dans presque toutes les formules d'affranchissement, même dans celles où il est visible que l'affranchi n'obtient pas la liberté complète[23]. Quant à l'expression bene ingenuus, on la rencontre aussi dans toutes les formules. Le chiffre du wergeld, si l'on adopte celui de la Loi ripuaire, n'est pas encore une preuve suffisante ; car on sait que plusieurs éléments bien divers entraient dans la fixation du wergeld. Enfin, aucune loi ni aucun texte ne marque que cet affranchi, qui pouvait être de race indigène, eût désormais le titre de Franc. Il y a d'ailleurs des signes qui marquent assez qu'il restait inférieur aux hommes nés libres ; on l'appelait un denarialis toute sa vie, et même de père en fils ; un texte législatif parle du denarialis de la troisième génération[24]. Il est douteux qu'il ait eu le droit de tester, et ce qui est certain, c'est qu'à la troisième génération seulement il pouvait se constituer un héritier par adoption[25]. Ce seul trait laisse apercevoir combien on le distinguait encore des vrais hommes libres et des vrais Francs. Mais il se distinguait aussi des autres affranchis en ce qu'if n'avait pas de patron.

Le maître pouvait encore renoncer à ses droits de patronage sans employer la formalité du jet du denier. Il lui suffisait d'indiquer sa renonciation dans une lettre ; il fallait seulement qu'elle fût exprimée dans les termes les plus clairs et les plus indiscutables.

Il écrivait, par exemple, une lettre telle que celle-ci : Dans l'église de Saint-Étienne, en la cité de Bourges, devant l'autel, j'ai affranchi tel et tel esclave, et je les délivre à partir d'aujourd'hui du joug de servitude, conformément à la constitution de l'empereur Constantin. Je veux que ces hommes soient désormais libres et tout à fait ingénus, qu'ils vivent pour eux, qu'ils travaillent pour eux, qu'ils aillent où ils voudront, qu'ils demeurent où ils voudront, qu'ils aient les portes ouvertes. Je veux qu'ils ne doivent à aucun de mes héritiers ou arrière-héritiers aucun service. On n'exigera d'eux ni de leur postérité aucun des devoirs d'affranchi, aucune des obligations dues aux patrons.... Ils auront le droit de faire un testament, et de recevoir aussi des legs de toute sorte de personnes, et comme citoyens romains ils vivront ingénus et tout à fait libres, eux et toute leur postérité[26].

Nous avons une série de formules semblables à celle-là[27]. Nous y voyons nettement que le maître renonce au patronage auquel sa famille aurait droit sur la famille de l'affranchi ; il ne se réserve aucune autorité sur lui, aucun droit sur sa succession. Dans quelques autres, il écrit que cet affranchi pourra, s'il veut, se donner un patron et le choisir lui-même[28].

Ces renonciations ne sont pas particulières aux affranchissements faits dans une église ; on les trouve aussi dans des affranchissements faits par simple lettre. Ainsi le maître écrit : J'affranchis tel esclave et le déclare aussi libre que s'il était né de parents libres. Son pécule lui appartiendra. Il ne devra aucun service à aucun de mes héritiers. Qu'il ait les portes ouvertes, qu'il aille du côté qu'il voudra, aux quatre coins du monde. Qu'il soit citoyen romain[29].

Presque toutes ces formules donnent à cet affranchi le titre de citoyen romain. L'une d'elles dit : Qu'il soit introduit dans l'ordre des citoyens romains[30]. Il est assez évident que ce titre de civis romanus n'avait pas le sens qu'il avait eu sous la république romaine. Aucune idée de droits politiques ne s'y attachait. Ce titre marquait un rang supérieur dans l'affranchissement, et par suite une condition supérieure.

Il ne s'y attachait non plus aucune idée de race, puisqu'on ne s'occupait jamais de la race de l'esclave. Quand on disait qu'un homme était citoyen romain, qu'une femme était citoyenne romaine, on voulait dire, non pas qu'ils fussent de race romaine, mais qu'ils étaient des affranchis. Nous ne devons pas croire non plus que le maître qui affranchissait ainsi son esclave fût un Romain de race. Le Franc ripuaire, dit la Loi, peut faire de son esclave un citoyen romain[31]. Ainsi les lois elles-mêmes reconnaissaient et consacraient ce titre de citoyen romain, qui se conservait depuis des siècles. Il passa de la société romaine à la société mérovingienne. De la Gaule il fut transporté en Germanie ; nous y voyons des formules et des chartes conférer à des affranchis le titre de civis romanus, bien que ni ces maîtres ni ces affranchis ne fussent de race romaine[32].

 

4° DES ODLIGATIONS DES AFFRANCHIS.

 

De ce que nous avons d'assez nombreuses formules sur le denarialis et le civis romanus, il ne faudrait pas conclure que ces deux classes d'affranchis fussent très nombreuses. La plupart des affranchis restaient assujettis au patronage, et l'autorité du maître continuait à peser sur eux. Nous devons partir de ce principe que l'affranchissement n'avait d'autre source et d'autre titre que la volonté du maître. Ce maître était donc libre de déterminer lui-même jusqu'où devait porter son bienfait, c'est-à-dire quels droits il se réservait à lui-même. Ce n'étaient pas les lois qui déterminaient la condition et les devoirs des affranchis. Celait chaque maître qui, le jour de l'affranchissement, fixait quelle serait la mesure de la liberté et la nature des obligations de chaque affranchi.

Comme l'usage des actes écrits s'était fort répandu dans l'époque mérovingienne, il fut de règle que chaque lettre d'affranchissement marquât en termes précis la volonté du maître. Le texte de cette lettre devenait la loi de l'affranchi[33]. Ce principe est très nettement exprimé dans les documents de l'époque. La Loi des Wisigoths, par exemple, contient un titre sur les conditions que l'affranchisseur a insérées dans la lettre remise à l'affranchi[34]. Elle ajoute que si les termes n'en sont pas assez clairs, les débats seront portés devant le juge. La Loi des Lombards dit que, comme il existe plusieurs sortes d'affranchissement, il est nécessaire que l'affranchisseur marque dans une lettre comment il veut que son esclave soit libre[35]. Le même législateur écrit un peu plus loin : Tous les affranchis doivent vivre suivant les conditions que les maîtres leur ont faites, c'est-à-dire suivant ce que les maîtres leur ont accordé[36]. La même règle se trouve indiquée dans maintes chartes mérovingiennes dont nous parlerons plus loin. Un testateur, par exemple, rappelle qu'il a affranchi quelques esclaves et qu'ils doivent être libres suivant les termes des lettres qu'il leur a données[37].

Or, quand ces hommes parlaient de liberté, ils n'entendaient pas une liberté vague et théorique ; ils pensaient à des droits civils très nets et précis. Il s'agissait de savoir si l'ancien esclave quitterait ou non son ancien maître, s'il vivrait où il voudrait, s'il garderait ses biens, s'il aurait la faculté d'en acquérir, s'il pourrait transmettre par héritage ou par testament. Voilà ce que chaque lettre d'affranchissement devait déterminer.

Si le maître refusait ces droits à l'esclave, il n'avait pas besoin de le dire ; c'était dans le cas où il les accordait, qu'il devait l'écrire. Car le principe était que l'affranchi ne possédait aucun de ces droits, à moins que le maître n'eût spécifié formellement qu'il les aurait. C'est ainsi que nous devons comprendre, sans nul doute possible, nos nombreuses formules d'affranchissement. Celles qui accordent à l'affranchi la liberté complète, énoncent un par un les divers droits qu'il aura. Celles où nous ne trouvons pas cette énonciation se rapportent toujours à un affranchissement incomplet. Pour que tel ou tel droit ne soit pas conféré à l'affranchi, il suffit que le maître garde le silence sur ce droit. Pour qu'il conserve le patronage, pour soi et pour ses héritiers, c'est assez qu'il n'écrive pas qu'il y renonce.

Les nombreuses formules où nous voyons un maître céder ses droits de patronage à une église ou à un monastère, sont la preuve que ces droits de patronage lui appartiennent ; pour faire cette cession, il a besoin de dire expressément qu'aucun de ses héritiers ou arrière-héritiers ne réclamera aucun service de l'affranchi, parce que ses héritiers et arrière-héritiers auraient droit à ces services à perpétuité, s'il n'en faisait cession à l'église.

Les chartes marquent avec une clarté parfaite cette continuation de la dépendance. Le maître pouvait mettre à la liberté de l'affranchi toutes les limites et toutes les conditions qu'il voulait. Il pouvait stipuler, comme le fait Perpetuus dans son testament, que ses esclaves seraient libres, mais à la condition de servir librement[38]. Cette expression, un peu vague pour nous, signifiait qu'au lieu d'un service d'esclave ils devraient un service d'affranchi ; celui-ci était apparemment plus doux, plus borné, surtout plus honorable que celui-là ; mais l'obéissance aux héritiers du patron n'était pas moins obligatoire.

Un autre testateur, Ansbert, écrit en 696 : Je veux que mes esclaves soient affranchis ; ils devront à ma sœur le service d'affranchis[39]. Une condition qui était quelquefois imposée à l'affranchi était d'entretenir le tombeau du maître, c'est-à-dire d'apporter, au jour anniversaire du décès, quelques cierges et de légères offrandes[40]. Une condition moins douce était que l'affranchi donnât, chaque année, quelques journées de travail à son ancien maître ou à ses héritiers. Le genre de travail était ordinairement celui auquel il avait été voué étant esclave. Je veux qu'ils soient complètement libres, écrit Bertramn, à la condition que, le même service qu'ils m'ont fait, ils le fassent un jour chaque année à mon héritier[41]. Une testatrice décide que son affranchi Gundefrid, qui était apparemment un laboureur, donnera un certain nombre de journées de labour avec ses bœufs[42]. Elle en affranchit un autre, nommé Vualachaire, et lui donne en même temps les bœufs dont il avait le soin étant esclave ; mais il aura la charge des transports du bois[43].

Quelquefois l'affranchi avait à payer à l'ancien maître et à ses héritiers une véritable redevance. Un personnage nommé Abbon rappelle dans son testament que ses parents lui ont laissé des affranchis qui lui payent une rente, impensio, dont il ne dit pas d'ailleurs le chiffre. Il lègue ces affranchis à une église, en spécifiant qu'ils lui payeront la même redevance qu'ils ont payée jusqu'ici à sa famille[44].

On voit ordinairement dans les chartes que le maître qui affranchissait son esclave lui laissait son pécule. Mais ce qui était plus rare, c'est qu'il lui permît d'en disposer. Nous ne voyons jamais, dans les testaments qui nous sont parvenus, que le maître accorde à ses affranchis la faculté de tester. Par son silence, il réservait à sa famille ou à ses héritiers des droits éventuels sur la succession de l'affranchi. Tel affranchi pouvait acquérir des biens ; ils devaient revenir un jour, faute d'enfants, à la famille ou aux héritiers du maître. Il n'est pas douteux que ces successions possibles n'entrassent dans les calculs des testateurs. Le droit de patronage, avec l'hérédité qui en était la suite, était dans la société mérovingienne, comme autrefois dans la société romaine, un des éléments de la fortune des grandes familles. Les affranchis étaient une sorte de propriété ; on les donnait, on les vendait, on les léguait. Le père en mourant les partageait entre ses enfants. Tout testateur avait soin de régler à qui chacun de ses affranchis appartiendrait. Un riche donateur, en 696, fait don de 1400 serfs et en même temps de 500 affranchis qui font service en ce lieu[45]. Maintes fois, enfin, nous voyons des testateurs ou donateurs léguer ou donner une terre avec les tributs des affranchis ou avec ce que valent les affranchis, cum merito libertorum. Ce sont vraisemblablement ces affranchis sujets à redevances que certaines lois appellent des affranchis tributaires.

 

5° QUE LA CONDITION D'AFFRANCHI ÉTAIT HÉRÉDITAIRE.

 

L'hérédité de la condition d'affranchi ne fut jamais une règle de droit. Aussi les lois ne disent-elles jamais, du moins en termes formels et exprès, que les obligations de l'affranchi passent du père aux enfants. Mais cela est marqué dans des actes et des formules, et la même vérité découle implicitement de plusieurs dispositions législatives.

Tel testateur, qui n'oblige ses affranchis qu'à l'entretien de son tombeau et à des offrandes légères, stipule que leur postérité y, sera soumise comme eux[46]. Tel autre, qui leur impose une redevance annuelle, exprime clairement que cette redevance sera payée à perpétuité, soit à ses héritiers, soit à telle personne ou à telle église qu'il désigne. Tu seras libre, dit un maître, à la condition que tu payes telle somme chaque année ; ceux qui naîtront de toi payeront la même somme et jouiront de la même liberté[47]. J'affranchis un esclave, dit un autre, qui payera chaque année deux deniers ; qu'il soit libre à cette condition, lui et toute la race qui naîtra de lui[48].

Abbon écrit dans son testament qu'il possède des affranchis depuis au moins deux générations. Il les lègue à une église, et il stipule qu'ils seront à perpétuité soumis, à cette église comme ils l'étaient à lui-même. Il prévoit le cas où, plus tard, des hommes appartenant à ces familles d'affranchis se montreraient rebelles et ingrats et voudraient échapper au patronage ; il déclare alors que l'église aurait le droit de faire punir ces hommes en s'adressant au juge ; et il ajoute que, si l'un d'eux voulait nier qu'il fût l'affranchi du monastère, on pourrait le ramener en servitude[49]. De telles précautions marquent assez que le patronage et toutes les obligations qu'il impose sont héréditaires.

Nous lisons dans la Loi ripuaire que, si une personne affranchie et une personne née libre s'unissent par mariage, les enfants qui naîtront d'elles tomberont dans l'état d'affranchi[50]. Comment expliquerait-on une pareille loi si la condition d'affranchi n'était pas héréditaire ? La loi dit qu'elle l'est, même dans le cas où un seul des deux parents serait affranchi.

La loi des Ripuaires est encore plus claire lorsque, parlant de l'affranchi qui appartient à l'église, elle rappelle que lui et sa postérité doivent rester sous l'autorité de cette église et lui payer la redevance de leur état, c'est-à-dire la redevance qui a été fixée par celui qui les a rendus libres et qui est la condition de leur liberté[51]. Or l'église n'avait pas, en matière de patronage, de privilèges particuliers. Ce qui est dit ici des affranchis d'église s'applique à tous les affranchis, ceux-là seuls étant exceptés que leurs maîtres avaient exemptés du patronage en les affranchissant. Il n'est donc pas douteux qu'une famille d'affranchis ne se perpétuât de génération en génération avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que l'affranchisseur avait fixés pour elle.

Il ne faut pas que l'emploi de certains mots fasse illusion. Les textes signalent très fréquemment des hommes qu'ils appellent liberi et même ingenui. On se tromperait beaucoup si l'on croyait, à première vue, qu'il s'agit d'hommes qui sont nés libres. L'étude des textes montre que ces hommes sont souvent de simples affranchis. C'est que la langue de ce temps-là distingue peu le liber du libertus et prend aisément les deux mots l'un pour l'autre[52]. Quant au mot ingenuus, qui n'avait eu dans l'ancienne langue latine qu'une seule signification bien claire et bien arrêtée, il en a deux dans la langue des temps mérovingiens. Quelquefois il se dit de l'homme né libre et appartenant à une famille qui a toujours été libre. D'autres fois il se dit de l'homme qui vient d'être tiré de la servitude[53].

Le savant Pardessus a bien vu que le terme ingenuus s'appliquait souvent à des affranchis ; mais il a cru qu'il ne s'appliquait qu'à ceux d'entre eux qui avaient l'affranchissement supérieur. Les textes n'autorisent pas cette distinction. Dans mainte formule, nous lisons cette phrase, dite par le maître à son esclave : Je veux que tu sois ingénu, bien ingénu, comme si tu étais né de parents ingénus ; cette belle phrase n'empêche pas que nous lisions, quelques lignes plus loin et dans la même formule, que cet affranchi restera soumis à des services et à des redevances héréditaires[54].

Ainsi, dans la même langue, dans le même temps, dans les mêmes pages, le terme ingenuus désignait un homme libre de naissance et désignait aussi un affranchi. Mais la confusion dans les mots n'entraînait pas forcément la confusion dans les faits et dans les conditions sociales, et, bien que la qualification d'ingénu fût prise par tous, les lois et les mœurs maintenaient une énorme distance entre l'ingénu par naissance et l'ingénu par affranchissement.

 

6° DES LITES.

 

Les anciens Germains avaient eu des esclaves et des affranchis. La condition sociale de ces derniers est indiquée par Tacite en quelques mots : ils sont de peu supérieurs aux esclaves[55]. Il ne dit pas de quel nom on les appelait ; mais des annalistes postérieurs nous apprennent que chez les anciens Saxons on les appelait lassi ou luiti ou lidi et que ce nom avait le même sens que le mot latin liberti[56]. Les Germains qui s'établirent en Gaule y transportèrent ces lites et affranchirent des esclaves auxquels ils donnèrent ce nom. Nous retrouvons des lites dans toute la période mérovingienne[57].

Que le lite soit un ancien esclave affranchi, c'est ce qui ressort nettement de deux articles qui se suivent dans la Loi ripuaire : dans le premier, le législateur dit que l'on peut faire d'un esclave un affranchi citoyen romain ; dans le second, il dit qu'on peut aussi en faire un tributaire ou un lite[58]. Le lite est donc, comme le civis romanus, comme le libertus, comme le tributarius, un ancien esclave que son maître a tiré de la servitude.

La Loi salique mentionne aussi le lite, et elle en parle comme d'un homme qui n'est ni libre ni esclave[59]. La Loi des Alamans, celle des Frisons, celle des Saxons, placent le lite à égale distance de l'esclave et de l'homme né libre[60]. Le prix légal du lite est, dans la Loi salique, la moitié de celui de l'homme libre[61]. La Loi ripuaire établit une distinction plus profonde entre l'esclave dont le maître a fait un civis romanus et l'esclave dont il a fait un lite. Le prix légal du premier est de 100 solidi, celui du second n'est que de 36, comme celui de l'affranchi tributaire[62].

Le lite est, comme tous les affranchis que nous avons vus, un homme dépendant, un homme en puissance d'autrui. Les lois montrent qu'il a un maître, dominus[63]. Il peut parfois figurer à l'armée, mais c'est à côté et sous les ordres de son maître, non pas comme homme libre sous le commandement du comte[64], Il doit obéir aux ordres de ce maître à tel point, suivant la Loi des Saxons, qu'il n'est pas responsable des crimes que le maître lui fait commettre, en quoi il est mis sur le même pied que l'esclave[65].

Comme tous les affranchis d'ordre inférieur, le lite n'a pas la faculté de posséder en propre ; le maître a un droit sur ses biens[66]. Aussi voyons-nous que le lite, c'est-à-dire les services et la succession éventuelle du lite, sont vendus et légués, à peu près comme on cède des esclaves[67].

 

7° DE CEUX QU'ON APPELAIT ECCLESIASTICI.

 

Voici encore une catégorie d'affranchis. Le sens du mot ecclesiasticus dans la langue du temps n'était pas celui que nous attachons au mot ecclésiastique. Un membre du clergé à un degré quelconque ne s'appelait pas ecclesiasticus, mais clericus[68]. Celui qu'on appelait homo ecclesiasticus, celle qu'on appelait femina ecclesiastica, étaient d'anciens esclaves ou des descendants d'esclaves, qui restaient, à titre d'affranchis, sous la puissance d'une église et qui lui appartenaient.

Les églises possédaient des serfs, comme tous les propriétaires. Elles pouvaient user à leur égard de tous les modes d'affranchissement. Quelquefois elles faisaient d'eux des denariales ou des cives romani ; le plus souvent, comme les autres maîtres, elles gardaient le patronage sur eux. Le concile d'Agde de 506 prononce que, si un évêque ou un prêtre affranchit des serfs de l'église qui lui' est confiée, ces affranchis resteront sous l'autorité de l'église, et que, s'ils venaient à se rebeller contre cette autorité, ils pourraient être remis en servitude[69]. L'Église faisait donc comme tous les maîtres : en affranchissant ses esclaves, elle ne se dépouillait qu'à moitié ; elle gardait des serviteurs et des sujets.

Il arrivait assez souvent qu'un évêque ou un prêtre affranchît ses esclaves personnels. En ce cas, il stipulait d'ordinaire que leur patronage appartiendrait à son église. L'abbé d'un monastère léguait les siens à son couvent. D'autres fois, c'était un laïque qui avait affranchi ses esclaves et qui, par esprit de piété, transportait son droit de patronage à une église ou à un monastère. Il écrivait comme Widerad : J'affranchis tels et tels esclaves et je prescris qu'ils aient leur patronage auprès du couvent de Saint-Præjectus[70]. D'autres écrivaient : Je veux que cet homme soit libre sous la tutelle et garde de tel saint[71] ; cela signifiait que l'affranchi appartenait désormais au couvent dont le saint était patron. D'autres fois l'affranchisseur disait expressément qu'il cédait son esclave au saint afin qu'il fût homme libre[72]. D'autres fois encore, des hommes qui étaient déjà dans la condition d'affranchis étaient légués par leur patron à une église : Les affranchis que mon père m'a laissés, écrit Arédius, je te les remets, ô saint Martin[73].

Ce serait une erreur de croire que les ecclesiastici fussent toujours des hommes affranchis dans l'église. Nous voyons des esclaves affranchis dans l'église qui sont déclarés cives romani. Par contre, nous trouvons des esclaves qui sont affranchis par simple lettre ou par testament, et qui sont soumis à la condition d'ecclesiasticus. Tout cela dépendait uniquement de la volonté que le maître avait exprimée au moment de l'affranchissement[74].

Si l'on entre dans les idées des hommes de ce temps-là, on reconnaît que le patronage d'une église impliquait d'abord pour cette église un devoir de protection. L'affranchisseur exprimait nettement celle pensée : Je veux que tel esclave soit libre, et qu'il soit défendu par telle église[75]. Eligius à affranchi des esclaves et, en mourant, il s'adresse à une église : Je veux que ces affranchis, restant libres, aient votre protection et défense[76]. Un autre écrit : J'affranchis cet homme, et je veux qu'il ait la mainbour et défense du saint, non pour être opprimé, mais pour être défendu[77]. Qu'il sache bien qu'il sera sous la protection de notre église, non pour qu'on lui impose un service, mais pour qu'on le défende[78]. Arédius écrit : Je te remets mes affranchis, ô saint Martin, pour que tu les défendes ; si quelqu'un veut les inquiéter ou exiger d'eux plus de service qu'il n'a été prescrit, protège-les[79]. Un autre dit, s'adressant à l'esclave qu'il rend libre : Tu ne devras ni à mes héritiers ni à personne aucun service, aucune obéissance d'affranchi ; mais, si tu le trouves quelque jour dans la nécessité de défendre ta liberté, tu auras le droit de te faire défendre par l'église[80].

Mais la protection entraînait inévitablement la subordination du protégé. Si les églises défendaient leurs hommes en justice, elles possédaient aussi sur eux un pouvoir judiciaire. C'est ce que la Loi ripuaire reconnaît plus formellement qu'aucune autre législation. Dans un article où elle a spécialement en vue les affranchis qui appartiennent à une église, elle prononce qu'ils ne doivent avoir aucun autre tribunal que celui de celle église[81].

Ce lien de patronage plaçait donc l'homme dans la dépendance de l'évêque ou de l'abbé. Il devenait pour toujours un affranchi d'église, un homme appartenant à l'église, homo ecclesiasticus, ou, comme on disait, un homme du saint, un homme de saint Martin ou un homme de saint Germain[82].

L'église ou le couvent, comme tout patron, héritait de ses affranchis lorsqu'ils mouraient sans enfants. De même en cas de meurtre de cet affranchi, la composition était payée, à défaut d'enfants, à l'église[83].

Le prix légal de l'ecclesiasticus n'était jamais le même que celui de l'homme né libre. On ne doit pas d'ailleurs être surpris que l'église, ayant intérêt à élever le plus possible la valeur d'hommes qui lui appartenaient, ait réussi à faire admettre dans les lois que ses affranchis, comme ceux du roi, auraient un prix supérieur à celui des affranchis ordinaires. L'ecclesiasticus vaut 100 solidi d'après la Loi ripuaire, tandis que le tributarius n'en vaut que 36[84].

Ce qui marque bien que ces hommes étaient pour l'église autant de serviteurs, c'est que l'église ne permettait pas qu'on les fit sortir de son patronage. La Loi ripuaire prononce qu'aucun de ces affranchis ne sera fait denarialis ; la seule raison de cette interdiction, est que l'église perdrait par là un serviteur[85]. De même l'église ne tolérait pas que ses affranchis lui fussent enlevés par d'autres patrons. Il est clair que, d'après tous les principes que nous venons de voir, enlever un affranchi à une église pour le prendre soi-même en patronage était un délit qui ressemblait à un. vol. C'est ce qui explique cet article de la Loi ripuaire : Si quelqu'un prétend prendre en son patronage un affranchi d'église sans le consentement de l'évêque, il payera une composition de 60 solidi, et, de plus, l'affranchi et tous ses biens seront restitués à l'église[86]. La même loi prévoit le cas où un affranchi aura été dérobé pendant assez longtemps ; peut-être même est-il mort sous un autre patron. Il n'importe ; ses enfants, si on les retrouve, seront ramenés et rendus à l'église à qui ils appartiennent[87]. C'est assez dire que la condition d'affranchi d'église est héréditaire.

Ainsi chaque église épiscopale et chaque abbaye avait sur ses domaines, sans compter les esclaves, un nombre incalculable d'affranchis. Hommes de l'église ou du couvent, ils lui devaient certains services et certaines redevances qui étaient marqués pour chacun d'eux dans la lettre d'affranchissement. Un article de la Loi ripuaire décrit nettement la situation de ces affranchis : Eux et tout ce qui naîtra d'eux seront à tout jamais sous le patronage de l'église, et ils devront à cette église la redevance de leur étal et le service d'affranchi[88].

Ces hommes étaient si bien un objet de propriété pour l'église ou le couvent qui les avait en sa garde, qu'un concile décide que, si un évêque affranchit un serf de son église en lui donnant la liberté pleine et complète, c'est-à-dire sans réserver à l'église le patronage de cet affranchi, il devra, en compensation du préjudice qu'il porte à son église ou de la valeur dont il la prive, lui donner deux affranchis de même valeur et de même pécule[89].

 

8° DE CEUX QU'ON APPELAIT HOMINES REGI.

 

Nul ne possédait plus d'esclaves, et par suite plus d'affranchis que le roi. Ces affranchis du roi étaient appelés homines regii, liberti regis ou fiscalini[90]. Il faut nous garder d'abord d'une erreur qui a été commise : ces homines regii ne doivent pas être confondus avec les denariales. Il se peut quelquefois que le roi affranchisse son esclave avec la formalité du denier et par lettre royale. Mais le plus souvent il affranchit comme simple particulier et se réserve tous les droits du patronage. Son ancien esclave reste sous son autorité ; il est un homo regius, c'est-à-dire un homme appartenant au roi.

Nous avons une formule de cette sorte d'affranchissement. Le roi a d'abord écrit à ses domestici, c'est-à-dire aux fonctionnaires préposés à la gestion de ses domaines, une lettre ainsi conçue : Comme la bonté divine nous a fait la grande joie de nous donner un fils, nous vous ordonnons d'affranchir par lettres de vous, dans chacune de nos fermes, trois esclaves de chaque sexe. Puis, le fonctionnaire ayant choisi ceux qu'il juge dignes de l'affranchissement, remet à chacun d'eux une lettre écrite en ces termes : Moi, domesticus du glorieux roi, préposé à ses domaines, à un tel, esclave de la maison royale en telle ferme. D'après l'ordre général que j'ai reçu, je te déclare, par ma présente lettre, affranchi de tout joug de servitude, en sorte que désormais, comme si tu étais né de parents libres, tu mènes la vie d'un homme libre, et que tu ne doives aucun service d'esclave ni à moi ni à ceux qui me succéderont, mais que, en vertu de cette lettre d'affranchissement, tu restes libre tous les jours de ta vie[91].

Il semble à première vue que cette lettre confère une liberté complète et sans réserve. Mais, en matière de textes mérovingiens, il faut se défier des apparences. Le mot ingenuus qui est écrit ici, les expressions comme si tu étais né de parents libres, ne peuvent pas nous faire illusion, puisqu'on les trouve, dans une trentaine de formules ou de testaments, appliqués à des affranchis qui restent formellement dans le patronage et dans la dépendance. Nous devons d'ailleurs partir de ce principe que le maître, lorsqu'il affranchit son esclave, garde l'autorité sur sa personne et des droits sur ses biens, à moins qu'il n'y renonce expressément. S'il veut conserver le patronage, il n'a pas besoin de le dire ; c'est s'il y renonce qu'il doit le déclarer. Il garde tout ce qu'il ne dit pas qu'il abandonne.

Aussi, quand nous lisons une lettre d'affranchissement, devons-nous faire attention, non seulement à ce qui y est énoncé, mais encore et surtout à ce qui y manque. Or, dans cette lettre où un esclave du roi est affranchi, nous ne lisons pas, comme dans celles où l'affranchissement est complet, que l'affranchi aura les portes ouvertes, qu'il pourra aller où il voudra. Cette simple omission signifie que l'esclave restera dans la domesticité du maître, in familia, et vraisemblablement qu'il ne pourra pas quitter la ferme. Nous n'y lisons pas que l'affranchi emportera son pécule, qu'il travaillera pour lui, qu'il pourra faire un testament. Cette omission signifie que le maître, c'est-à-dire le roi, conserve tous les droits que les particuliers possèdent sur les liens de leurs affranchis. Nous n'y lisons pas que le maître renonce au patronage, ou que l'affranchi ne sera soumis à l'obsequium envers aucun patron. C'est la marque que le roi conserve tous les droits que le partage confère.

La Loi ripuaire parle, en effet, de ce patronage du roi sur ses hommes. Si quelqu'un a tiré un homme du roi ou une femme du roi du patronage et mainbour du roi, il payera 60 solidi ; de plus, l'homme ou la femme ainsi que leurs enfants seront ramenés dans la mainbour du roi[92]. Les 60 solidi sont la peine due pour le délit qu'on a commis en enlevant d'une des fermes du roi un homme qui lui appartenait et qui avait cette valeur.

Ces hommes, sortis de la servitude, restaient donc dans la dépendance. Ils étaient assujettis, non pas au roi comme souverain, mais au roi comme simple particulier et comme maître. Affranchis du roi, ils n'étaient pas membres de la nation, ils restaient membres de la domesticité.

Le roi exerçait sur eux tous les droits qu'un patron avait sur ses affranchis. Il héritait d'eux à défaut d'enfants, et il avait une sorte de droit de propriété sur les objets meubles ou immeubles qu'ils possédaient[93]. Il les gouvernait dans chaque villa par ses actores, et au-dessus d'eux par les préposés au domaine.

Comme d'ailleurs, dans cette société mérovingienne, tout ce qui appartenait au roi était réputé supérieur à ce qui appartenait aux simples particuliers, ces affranchis du roi eurent naturellement une situation privilégiée au milieu des autres affranchis. Leur prix légal était le même que celui de l'homme qui avait reçu l'affranchissement complet et avait été déclaré civis romanus.

 

CONCLUSION.

 

On a pu compter, dans ce qui précède, les différentes sortes d'affranchis : le denarialis, qui est complètement homme libre et exempt du patronage ; le civis romanus, qui peut aller où il veut, qui n'a pas de patron, qui possède en propre et peut tester ; le simple affranchi, qui reste soumis à son ancien maître et qui, de père en fils, doit le service et l'obéissance ; le lite, qui reste dans une position inférieure et qui continue à avoir un maître ; l'homme d'église, qui subit le patronage et doit des services et des redevances ; enfin l'homme du roi, qui appartient au roi à titre privé et qui descend d'un ancien esclave[94].

On voudrait savoir dans quelle proportion ces différentes classes d'affranchis étaient entre elles. Cela est impossible. On croira aisément que les denariales étaient peu nombreux ; un mode d'affranchissement qui exigeait la présence du roi en personne, devait être assez rare. Le nombre des cives romani a pu être plus grand ; toutefois nous ne devons pas perdre de vue que le maître qui affranchissait ainsi son esclave faisait un véritable sacrifice, se dépouillait ou dépouillait ses héritiers. Il n'était pas dans là nature humaine que ce sacrifice fût très fréquent. Ce qui le fut, c'est que le maître, par un sentiment de pitié, renonçât au patronage pour le transférer à une église ; mais cela ne faisait que des ecclesiastici.

Nous inclinons à croire que l'usage des affranchissements fit peu d'hommes libres et peu de propriétaires du sol. Ce qu'il produisit, ce fut une classe intermédiaire entre la servitude et la liberté. Il améliora l'existence de plusieurs millions de familles esclaves, mais il n'augmenta guère le nombre des familles indépendantes. Il ne fit ni des citoyens, ni des membres du corps politique, ni des sujets du souverain. Il fit des hommes sujets d'un autre homme, des familles sujettes héréditairement d'une famille, d'une église, d'un couvent. C'est par là qu'il a contribué à.la structure de cette société qui deviendra la société féodale.

 

 

 



[1] Ou du moins la personne libre tombait dans la condition d'affranchi (Lex Salica, XIII, 8 ; XIV, 7 ; Lex Ripuaria, LVIII, 11 ; Lex Wisigothorum, III, 2).

[2] Lex Ripuaria, LX1, 1-2 : Si quis servum suum libertum fecerit et civem romanum..., qui eum interfecerit 100 solidis mulletur. — Lex dicta Chamavorum, 3-5. — Lex Wisigothorum, VIII, 4, 16. — Dans la Loi des Bavarois, le wergeld du libre est de 160 sous, celui de l'affranchi de 40, celui de l'esclave de 20 (III, 15 ; IV, 11 ; V, 18 ; VII, 1 et 10). — Dans la Loi des Alamans, la composition du libre est de 160 sous, celle de l'affranchi de 80, celle de l'esclave de 40.

[3] C'est ce que montre la Loi ripuaire, LIII, 2. — Grégoire de Tours (Hist., V, 49) en donne un exemple.

[4] Lex Ripuaria, LIII, 1-2 : Si quis... comitem... interfecerit, ter ducenos solidos multetur. Quod si regius puer vel ex tabulario ad eum gradum ascenderit, 500 solidos mulletur. — Lex dicta Chamavorum, 7 : Si contes occisus fuerit, in ires weregeldos SICUT SUA NATIVITAS EST componere faciat.

[5] Lex Ripuaria, codices B, XXXVIII, 5 : Si quis clericum interfecerit, JUXTA QUOD NATIVITAS EJUS FUERIT, ila componatur : si servus (c'est-à-dire s'il est né serf), sicut servum ; si regius aut ecclesiasticus (s'il est né affranchi du roi ou d'une église), sicut alius regius aut ecclesiasticus ; si lilus, sicut lilum ; si liber, sicut alium ingenuum cuni 200 solidis componat. — Le même article dans les codices A est visiblement altéré ; car il ne serait pas possible que l'ingénu clerc n'eût qu'un prix de 100 solidi quand le prix de l'ingénu laïque était de 200. — Cf. Caroli magni epistola ad Pippinum, Bouquet, V, 629 : Si presbyter natus est liber, tripla compositione secundum legem suam fiat compositus (c'est-à-dire trois fois son prix de naissance, soit 600 sous) ; si autem presbyier servus natus fuerit, secundum illius nativitatem tripla compositione solvatur (c'est-à-dire trois fois 50 solidi d'après la Loi salique). — Nous trouvons la même règle dans la Loi des Alamans, XV, XVI ; elle est appliquée même aux évêques, XI, édit. Lehmann, p. 77 ; XI, 1, éd. Pertz, p. 49 : Si quis episcopum aliquam injuriant fecerit..., omnia tripliciter componantur sicut ceteri parentes ejus compositionem habebant. — De même encore dans la Loi des Bavarois, I, 8 et 9 : Si quis ministros ecclesiæ... occiderit, componat hoc dupliciter sicut soient componi parentes ejus... Monachi dupliciter componantur secundum genealogiam suam. — La règle que nous indiquons est donc bien démontrée, et elle a été observée jusqu'à Charlemagne.

[6] Lex Salica, XXXIX, 2 et 5 : Si quis ingenuum plagiaverit (plusieurs manuscrits ajoutent et vendiderit). — Lex Ripuaria, XVI : Si quis ingenuum extra solum vendiderit. — Lex Alamannorum, XLVI : Si quis liberum vendiderit. — Lex Baiuwariorum, XV, 5 : Si quis ingenuum vendiderit. — Edictum Theodorici, 78 : Qui ingenuum plagiando vendiderit.

[7] Lex Ripuaria, LXVII, 5 : Pro ingenuilate certare. — Ibidem, LVII, 2 et 5. — Lex Wisigothorum, V, 5-7. — Lex Baiuwariorum, XVI, 11. — Lex romana Burg., XLIV.

[8] Formulæ Lindenbrogianæ, 21 ; Senonenses, 2 et 5 ; Merkelianæ, 28.

[9] Cette crainte est exprimée dans beaucoup de formules d'affranchissement. Andegavenses, 25 : Si quis contra hanc ingenuitalem agere conaverit. — Marculfe, II, 52 : Si quælibet persona contra hanc ingenuilatem tuant venire conaverit aut te in servilio inclinare volueril, divina ullio illum prosequatur. — Senonicæ, 1. — Lindenbrogianæ, 9. — Merkelianæ, 14.

[10] Lex Ripuaria, LVII, 2 : Si auctorem habuerit, auclor eum adducat. — LVIII, 6 : Si auctorem suum, qui eum ingenuum dimisit, non invenerit... domino restituatur.

[11] Les idées que nous énonçons ici sont clairement exprimées dans les formules et les chartes. Marculfe, II, 52 : Si tibi nécessitas ad luam ingenuitatem defensandam contigerit. — Merkelianæ, 14 : Pro tua ingenuitale defensanda. — Bituricenses, 8 : Non ad affligendum, sed ad defensandum. — Testamentum Aredii : Quos liberos fecimus tibi defensandos commendamus. — Testamentum Wideradi : Eorum patrocinia et defensionem constituimus.

[12] Quatrième concile de Tolède, c. 70 ; sixième concile de Tolède, c. 9. — Lex Burgundionum, LVII. — Lex Wisigothorum, V, 7, 15. — Lex Langobardorum, Liutprand, 69.

[13] Lex Burgundionum, CVII, édit. Pertz, p. 575, dans Walter, 2e addit. ; p. 549 : Ut libertus sit... non alterius patrocinium nisi domini illius qui eum vendidit, se habiturum esse cognoscat.

[14] Lex Burgundionum, XL, 1. — Lex Wisigothorum, V, 7, 9 et 10. — Concile d'Arles de 452, c. 54. — Abbon écrit dans son testament que si ses affranchis, qu'il lègue à une église, reniaient un jour leur condition et leurs devoirs d'affranchis, in pristino servitio revertantur.

[15] Ce droit du maître ressort des nombreuses formules où nous voyons le maître renoncer à son droit par sa seule volonté. Voyez d'ailleurs Lex Wisigothorum, V, 7, 13-14.

[16] Lex Langobardorum, Rotharis, 225 : Patronus liberto succedit quasi parenti suo. Cf. ibidem, 224.

[17] Marculfe, I, 22 ; Senonicæ, 12.

[18] Lex Ripuaria, LVII, 4 : Si homo dinariatus absque liberis discesserit, non alium nisi fiscum nostrum habeat heredem. — Cf. Lex Langob., Rotharis, 224 : Si amund mortuus fuerit, curtis regia Mi succédat, non patronus aut heredes patroni.

[19] Capitulaire de 801-813, a. 4, édit. Borétius, p. 158 : De denarialibus, ut si quis eos occiderit, régi componatur.

[20] Lex Ripuaria, LXII, 2.

[21] Lex Salica, XXVI : Si quis alienum litum extra consilium domim sui anle regem per dinarium dimiserit, solidos centum. Mais cette amende n'était peut-être que le prix du dommage causé au maître qui perdait un affranchi.

[22] Guérard, Polyptyque d'Irminon, prolégomènes, p. 574.

[23] Voyez la Merkeliana 14, où les termes les plus énergiques sont employés pour désigner la pleine liberté et où la dernière ligne prononce que cet affranchi sera en patronage et payera une redevance. Voyez aussi la Sangallensis 16, où des affranchis sont déclarés aussi libres que s'ils étaient nés des plus nobles Alamans, et où ces mêmes affranchis sont. à jamais tributaires d'un couvent. Voyez encore une Augiensis (Zeumer, p. 560).

[24] Capitulaire de 805, a. 9, Borétius, p. 118 : Homo denarialis non ante hæredilare in suam agnationem poleril quant usque ad tertiam generationent perveniat.

[25] C'est le vrai sens des mots hereditare ad suam agnationem. Ces mots ont été mal compris ; on a cru qu'ils signifiaient que le denarialis ne pouvait hériter de son père qu'à la troisième génération, ce qui est absurde. Hereditare, dans la langue du temps, ne signifie pas hériter ; il signifie faire un héritier et est synonyme de heredem facere. L'erreur n'aurait pas été commise si l'on avait regardé l'article qui précède immédiatement celui-ci et où se trouvent précisément les mots heredem sibi facere. Hereditare in agnationem est une expression analogue à adoptare in familiam.

[26] Formulæ Bituricenses, 9, Rozière, n° 62.

[27] Arvernenses, 5. — Turonenses, 12. — Senonicæ, appendix, 5, Zeumer, p. 210. — Senonenses, 9. — Merkelianæ, 15 et 44. — Lindenbrogianæ, 10. — Sangallenses, 6.

[28] Voyez, par exemple, la Turonensi.

[29] Formulæ salicæ Merkelianæ, 15.

[30] Formulæ Arvernenses, 4.

[31] Lex Ripuaria, LXI, 1.

[32] Formulée Augienses, B, 42, Zeumer, p. 565. — Sangallenses, 6, Zeumer, p. 582. — La formula imperialis 55 se rapporte à un acte passé dans la ville de Mæstricht.

[33] Cette lettre d'affranchissement est appelée dans les textes epistola libertatis, libertatis testamentum, testamentuin ingenuitatis, caria manumissionis, epistola absolutionis.

[34] Lex Wisigothorum, V, 7, 14 : De conditionibus a manumissore in scriptura manumissi conscriptis.

[35] Lex Langobardorum, Rotharis, 224 : Hæc sunt quatuor genera manumissionum... Necesse est ut qualiter liberum thingaverit, ipsa manumissio in cartula libertatis commemoratur.

[36] C'est le sens de l'article 226 de Rotharis, qui a été quelquefois mal compris : Omnes liberti qui a dominis suis libertatem meruerint, legibus dominorum et benefactoribus suis vivere debeant secundum qualiter a dominis suis propriis eis concessum fuerit.

[37] Sicut epistolæ eorum edocent (Diplomata, I, 215). — Secundum quod eorum epistolæ loquuntur (Diplomata, n° 415, Pardessus, II, 212). — Marculfe, II, 17 : Juxta quod epistolæ continent. — Edictum Chlotarii, 614, art. 7 : Juxta textus cartarum ingenuitatis.

[38] Diplomata, n° 49, I, p. 24 : Volo liberos liberasque esse..., ita tamen ut libere serviant.

[39] Testamentum Ansberti, Diplomata, n° 457 : De mancipiis, volo ut ingenui esse debeant et ut pro ingenuis, germana mea dum advivet, in suum debeanl adesse obsequium.

[40] Testamentum Bertramni, Diplomata, I, p. 214 : Ut relaxentur a servitio et ipsis tam de sepultura mea quam de luminario et de cineribus meis sit cura uque ad ultimum diem eorum. — Marculfe, II, 17 : Oblata vel luminaria ad sepulcra nostra tam ipsi quam proles corum implere sludeant. — Marculfe, II, 54 : Oblata mea, ubi meum requiescit corpusculum, vel luminaria annis singulis debeat procurare.

[41] Testamentum Bertramni, I, p. 215 : Ut ministerium quale egerint, unusquisque annis singulis prædicta die observent.

[42] Testamentum Erminetrudis, Diplomata, II, 257.

[43] Testamentum Erminetrudis, Diplomata, II, 257 : Vualacharium... ingenuum esse ca conditione jubeo ut ligna ad oblata faciendum ministrare procuret.

[44] Testamentum Abbonis, Diplomata, t. II, 571 et 575. — De même dans le Codex Wissemburgensis, n° 58, un certain Ribald affranchit des esclaves et les donne à un monastère ; ils auront la protection du couvent, et pour cette protection ils payeront annuellement 4 deniers.

[45] Testamentum Ephibii, Diplomata, II, 241.

[46] Tam ipsi quam proles eorum, Marculfe, II, 17. — De même dans le testament de Bertramn, I, p. 215 : Et hoc observent quod et patres eorum.

[47] Formulæ Augienses, B, 21.

[48] Formules, édition de Rozière, n° 69 : Denarios duos persolvat, sicque (à cette condition) ingenuus sit tant ipse quam omnis procreatio ex co ortura.

[49] Testamentum Abbonis, Diplomata, t. II, p. 575.

[50] Lex Ripuaria, LVIII, 11 : Generatio eorum semper ad inferiora declinetur.

[51] Lex Ripuaria, LVIII, 1 (codices B) : Tam ipse quam omnis procrcatio ejus... omnem redditum status aut servitium tabularii ecclesæ reddant.

[52] Les exemples sont innombrables. Citons seulement le testament d'Arédius. (Diplomata, I, 158), où les mots liberi nostri ne peuvent s'appliquer qu'à des affranchis ; le testament de Rufina (t. II, p. 241) : Trado liberos qui obsequium faciunt quingentos.

[53] Voici quelques exemples entre beaucoup. Testamentum Remigii, t. I, p. 84 : Servos quos INGENUOS relaxavimus. — Dans Grégoire de Tours, Hist., VIII, 41, un esclave dit à son maître : Promissum habui ut INGENUUS fierem. — Les formules d'affranchissement portent presque toutes servum illum volo ut INGENUUS sit. Le mot ingenuitas est fréquemment employé pour désigner l'affranchissement. Dans les actes de vente et de donation, on cède une terre cum hominibus tam INGENUIS quam servis, et dans ces phrases il ne se peut pas que ingenuis désigne des hommes nés libres.

[54] Voyez, par exemple, la Sangallensis 16.

[55] Tacite, Germanie, 25 : Liberti non mullum supra servos sunt.

[56] Nithard, IV, 2 : Sunt qui lazzi illorum lingua dicuntur, latina vero lingua hoc sunt... serviles.

[57] Lex Salica, XXVI. — Lex Ripuaria, LX1I, 1. — Lex Alamannorum, XCV. — Diplôme de Charles Martel de 722, dans les Diplomata, t. II, p. 554. — Charta Pippini de 706 (ibidem, II, p. 275).

[58] Lex Ripuaria, LXI, 1 : Si quis servum suum libertum feceritet civem romanum. — Ibidem, LXII, 1 : Si quis servum suum tributarium aut litum fecerit.

[59] Lex Salica, XXVI : Si quis alienum litum..., si quis alienum servum...

[60] Lex Alamannorum, XCV : Si ingenua..., si lita fuerit..., si ancilla. — Lex Frisionum, I, 11 : Si quis homo, sive nobilis, sive liber, sive litus, sive servus. — Lex Saxonum, II, 1-4.

[61] Cela me paraît ressortir de la Lex Salica, ms. 4404, XXVI : Si quis alienum lilum per denarium dimiserit, 100 solidos.... S'il s'agissait d'un esclave, le prix n'est que de 35 sous. — Pactus pro tendre pacis, art. 8 : Litus medietatem ingenui legem componat.

[62] Comparer dans la Lex Ripuaria les litres LXI et LXII, le premier relatif au civis romanus, le second au litus et au tribularius.

[63] Lex Salica, XXVI : Si quis alienum litum, extra consilium DOMINI SUI...

[64] Lex Salica, XXVI : Litum qui apud dominum in hoste fuerit. Apud dominun signifie cum domino. In hoste, à l'armée.

[65] Lex Saxonum, II, 5 : Litus, si per jussum vel consilium domini sut hominem occiderit, dominus compositionem persolvat. — XI, 1 : Quidquid servus aut litus, jubente domino, perpetraverit, dominus emendet.

[66] Cela ressort de la Lex Salica, XXVIII, 2, Pardessus, p. 295 : Res vero liti legitima domino restituantur.

[67] Diplomata, n° 467 : Donamus villam... cum litis. — N° 521 : Donamus... una cum luitis.

[68] Sur le sens du mot ecclesiasticus, voyez Lex Ripuaria, X, 1 ; X, 2 ; XIV, 1 ; XVIII, 3 ; XIX, 2 ; XX, 2 ; XXII ; LVIII, 1,2,11,15 ; LXV, 2. — Capitularia Caroli magni, IV, 5 ; V, 8 ; V, 210. — Feminæ ecclesiasticæ, Lex Ripuaria, X et XIV. — Dans le testament de saint Rémi (Diplomata, I, p. 86), Albovichus ecclesiasticus homo est visiblement un affranchi.

[69] Concile d'Agde, Mansi, VIII, 555 : Libertos quos sacerdoles, presbyteri vel diaconi de ccclesia sibi commissa facere voluerint, actus ecclesix prosequi jubemus. Quod si facere contempserint, placuit eoz ad proprium reverti servitium.

[70] Diplomata, n° 514 : Libertos nostros.... ad casam S. Præjecti eorum patrocinia et defensionem constituimus.

[71] Andegavenses, 20 ; Bituricenses, 8 ; Merkelianæ, 14.

[72] Formules, édit. de Rozière, n° 69.

[73] Testamentum Aredii, Diplomata, n° 180 : Istos liberos nostros quos nobis genitor noster commendavit, tibi, S. Martine, commendo.

[74] Toutefois la loi Ripuaire semble considérer comme ecclesiastici tous ceux qui ont été affranchis dans une église avec l'intervention de l'évêque ou de l'archidiacre.

[75] Bituricenses, 9 : Se in ecclesia defendat.— Senonicæ, app., 2, 5 : Ab ecclesia defendatur.

[76] Testamentum Eligii, Diplomata, II, p. 11 : De libertis meis... in ingenuilate permaneant et vestram luitionem vel defensionem in omnibus habeant.

[77] Bignonianæ, 2 : Mundeburdem vel defensionem ad basilicam sancli se habere cognoscat, non ad affligendum, sed ad defensandum.

[78] Bituricenses, 8.

[79] Testamentum Aredii : Defensandos commendamus.... si quis eis amplius præter hoc quod cis injunctum est in quolibet inquietare et dominare voluerit, tu, S. Martine, defendas.

[80] Marculfe, II, 32.

[81] C'est le sens des mots non aliubi nisi ad ecclesiam ubi relaxati sunt mallum teneant (Lex Ripuaria, LVIII, 1). On a étrangement interprété ce passage quand, sous l'empire de certaines idées préconçues, on a voulu voir dans ce mallus une assemblée populaire. On n'a pas fait attention que l'église n'avait pas d'assemblées populaires, et qu'en tout cas ces tabularii si humbles n'en auraient pas fait partie. Nous avons établi ailleurs que mallus désigne toute espèce de tribunal. — Il suffit d'ailleurs de rapprocher cet article de la Loi ripuaire du canon 7 du concile de Mâcon de 585 : Liberti... commendali ecclesiis... in cpiscopi tantum judicio defendantur.

[82] Andegavenses, 26 : Apud hominem sancti illius. L'expression est fréquente dans la Polyptyque de Saint-Germain.

[83] Lex Ripuaria, LVIII, 4 : Tabularius qui absque liberis discesserit, nullum alium quam ecclesiam relinqual heredem. — Lex Alamannorum, XVII : Qui ad ecclesiam dimissi sunt liberi, si occidantur, 80 solidis solvatur ecclesix vel filiis ejus.

[84] Lex Ripuaria, X, 1 : Si quis hominem ecclesiasticum interfecerit, 100 solidos.... — De même, LVIII, 5.

[85] Lex Ripuaria, LVIII, 1. — Cela explique une phrase du testament de saint Rémi ; il a affranchi Albovic et a fait de lui un homo ecclesiasticus ; plus tard il veut lui conférer un affranchissement supérieur, ut libertate plenissima fruatur ; il le peut, mais à la condition de donner à sa place un autre affranchi à son église (Diplomata, t. I, p. 86).

[86] Lex Ripuaria, LVIII, 2 : Si quis ecclesiasticum hominem contra episcopum defensare voluerit, 60 solidos et insuper hominem cum omnibus rébus suis ecclesiæ restituat. — Le mot defensare, dans la langue du temps, signifie prendre en patronage ; defensare contra episcopum est synonyme de de mundebunde episcopi abstrahere que l'on trouve un peu plus loin, LVIII, 15.

[87] Lex Ripuaria, LVIII, 15 : Et generatio corum ad mundeburdem ecclesiæ revertatur.

[88] Lex Ripuaria LVIII, 1 (codices B) : Tam ipse quant omnis procreatio ejus... omnem redditum status aut servitium tabularii ecclesiæ reddant.

[89] Quatrième concile d'Orléans, c. 9. — Quatrième concile de Tolède, c. 67 et 68.

[90] Regius homo, dans la Lex Ripuaria, IX ; XI, 3 ; LVIII, 8 ; LXV, 2 ; LXVI, 2. — Regia femina, ibidem, XIV, 1. — Le même homme paraît être appelé puer regis dans la Loi salique, XIII, 7 et LIV, 2.

[91] Marculfe, I, 39 ; II, 52.

[92] Lex Ripuaria, LVIII, 12 et 15 : Si quis hominem regium tabularium tam baronem quam feminam, de mundeburde régis absluterit, 60 solidos....

[93] D'après la Lex romana Burgundionum, tit. III, l'affranchi du roi ne peut tester qu'en léguant au fisc la moitié de sa succession,

[94] Il n'est pas inutile de signaler les deux verbes qui sont le plus usités dans la langue du septième siècle pour marquer la dépendance de l'affranchi. L'un est aspicere : Testamentum Abbonis : Libertos meos qui ad parentes meos aspcxerunt, ad ecclesiam ut aspiciant jubeo. — Testamentum Wideradi : Libertiad ipsa loca sancta debeant spectare. — Formulæ Lindenbrogianæ, 7 et 16 ; Dono mansos tantos cum hominibus ibidem aspicieniibus. — L'autre est pertinere. Les lois lombardes appellent les affranchis homines pertinentes (Liutprand, 87 ; Aistolf, 11). Grégoire de Tours dit que des affranchis ad basilicam S. Martini pertinent (De gloria confess., 101, 105). Saint Rémi écrit de deux de ses affranchis qu'ils doivent pertinere ad Agathimerum, pertinere ad Actium. Les exemples de cela sont très nombreux au huitième et au neuvième siècle. Pertinere a le sens de dépendre d'un autre, appartenir à un autre, ce qui est l'essence de l'affranchi.