L'ALLEU ET LE DOMAINE RURAL PENDANT L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE

 

CHAPITRE PREMIER. — LA VILLA GALLO-ROMAINE.

 

 

Il nous est impossible d'expliquer le régime rural du moyen âge sans présenter d'abord celui qui était en vigueur à la fin de l'empire romain. Il se peut que cela surprenne ceux qui aiment à se figurer le moyen âge comme naissant tout à coup et tout d'une pièce. Cela n'étonnera pas ceux qui sont arrivés par une observation plus complète et plus juste des faits à concevoir la règle de la continuité historique.

D'ailleurs, l'historien doit se demander jusqu'à quel point la propriété franque a différé de la propriété romaine ou lui a ressemblé, et il n'y a que les faits mis en parallèle qui puissent résoudre la question.

Notre point de départ est le quatrième siècle. Nous nous plaçons vers l'année 550. La Gaule fait encore partie de la société romaine ; mais elle est à la veille d'être envahie par les barbares. Il faut constater l'état du sol et la nature delà propriété foncière avant ces invasions.

 

1° LE DROIT DE PROPRIÉTÉ DANS LA SOCIÉTÉ ROMAINE.

 

Le droit romain reconnaissait la propriété privée et individuelle du sol. Il est vrai que dans le droit antique cette pleine propriété avait été le privilège du citoyen romain, dominium ex jure Quiritium ; mais à la date où nous nous plaçons, il y avait longtemps que tous les Gaulois étaient citoyens romains. Pendant deux siècles les jurisconsultes avaient enseigné que la terre provinciale n'était pas objet de pleine propriété. Ils avaient dit que sur ce sol le dominium appartenait, en vertu du droit de conquête, à l'État romain, et que les particuliers n'en pouvaient avoir que la possession et l'usufruit. Mais l'ensemble des faits donne à penser qu'il y avait là une simple théorie de juriste, une fiction légale, plutôt qu'une réalité[1]. En tout cas, cette distinction du sol provincial et du sol italique avait disparu au quatrième siècle[2]. Cela se voit dans les Codes eux-mêmes, qui appliquent le terme de dominium aux propriétés provinciales[3].

Il est important pour nos études ultérieures d'observer les termes par lesquels la langue de ce temps désignait le droit de propriété. Les mots dominium et dominus restaient usités comme au temps où ils s'étaient appliqués spécialement à la propriété quiritaire[4] ; le mot dominatio se trouve déjà dans le Digeste avec le sens de droit de propriété[5]. On employait également les termes proprietas et proprietarius[6]. Il faut surtout noter que les mots possessio et possessor n'avaient plus le sens étroit qu'ils avaient eu dans le droit ancien[7]. La langue usuelle et même la langue des lois appliquaient au mot possessio le sens de pleine propriété, au mot possessor le sens de propriétaire[8]. L'idée de propriété s'exprimait aussi par le mot potestas[9], elle jurisconsulte définissait la pleine propriété par l'expression plena in re potestas[10]. Tous ces termes, dominium, dominatio, proprietas, possessio, potestas se retrouveront au moyen âge.

La propriété foncière au quatrième siècle n'avait plus le caractère religieux qu'elle avait eu dans les vieux âges. On n'adorait plus le dieu Terme. Mais l'usage des termes subsistait. Chaque propriété était bornée par une ligne de limites[11]. La loi permettait encore au propriétaire de contraindre son voisin au bornage, et cette opération appartenait encore aux agrimensores, qui n'étaient plus des prêtres, mais qui étaient en beaucoup de cas des juges[12]. Les limites ainsi tracées étaient inviolables ; si la violation n'était plus réputée sacrilège et punie de mort, elle était réputée délit et punie par la loi.

Ce droit de propriété ne s'appliquait pas seulement aux terres cultivées, mais à toute espèce de terres. Si les modernes font volontiers dériver la propriété du travail, et s'ils aiment à justifier l'appropriation du sol parla fiction d'une longue accumulation de labeurs mis dans ce sol, les jurisconsultes romains n'ont pas eu recours à cette théorie. Pour eux, la propriété était un droit antique et indiscutable qui n'avait pas besoin d'être justifié. Aussi s'appliquait-elle aux terres incultes aussi complètement qu'aux terres cultivées. Les forêts et les pâquis étaient des objets de propriété privée[13].

Elle s'appliquait même aux eaux courantes. Ulpien dit expressément qu'il y a des rivières qui sont du domaine public, et d'autres qui n'en sont pas ; il ajoute que les règles qui régissent la propriété des eaux courantes sont les mêmes qui régissent les fonds de terre[14].

Le droit de propriété ne s'exerçait pas seulement sur la surface du sol. On peut voir dans les Codes romains qu'il s'exerçait sur les carrières, sur les salines, sur les mines. En fait, la plupart des mines appartenaient à l'Etat ; mais il y en avait quelques-unes dans les mains des particuliers, et le Droit reconnaissait expressément cette sorte de propriété[15]. Le maître du sol était légalement le maître de tout ce qui était sous le sol. C'est en vertu de ce principe que les trésors trouvés appartenaient au propriétaire, intégralement s'ils avaient été trouvés par lui-même, par moitié s'ils avaient été trouvés par un autre[16]. Ainsi les Romains comprenaient la propriété comme un droit essentiellement foncier, par lequel le pouvoir de la personne s'implantait dans le sol aussi avant que le besoin et l'intérêt pouvaient aller.

De ce droit de propriété on pouvait détacher quelques attributs. Par exemple, le propriétaire pouvait se dessaisir de l'usufruit et de la jouissance. Il pouvait se dessaisir de la superficie et donner à un tiers, même à perpétuité, la possession superficiaire. Cela ne l'empêchait pas de rester le maître du fonds, dominus fundi.

La construction d'une maison n'entraînait pas un droit sur le sol où elle posait. C'était au contraire le propriétaire du sol qui devenait en droit le propriétaire de la maison bâtie par un autre. Ainsi la propriété du fonds entraînait celle de la surface ; superficies solo cedit, dit le jurisconsulte[17]. Toutes ces règles sont significatives ; on y voit la conception que les Romains se faisaient du droit de propriété foncière et l'extrême puissance qu'ils attachaient à ce droit.

Cette propriété, ou cette attache du sol à la personne humaine, n'avait pas de limites de temps. Elle n'était ni temporaire ni viagère, elle était perpétuelle. L'homme mourait, mais son fils ou son plus proche parent continuait sa personne et par cela seul succédait à la propriété, succedit in dominium[18].

Tous les enfants étant regardés comme ayant droit égal, la terre était également partagée entre eux. On peut saisir dans le plus ancien droit romain la trace d'une règle qui excluait les filles de la succession paternelle. Cette règle était venue d'une conception d'esprit qui attribuait la propriété plutôt à la famille qu'à l'individu, et qui ne permettait pas que la fille en se mariant portât la terre à une autre famille. Mais à l'époque dont nous nous occupons ici, il y avait longtemps que cette règle avait disparu. Au quatrième siècle on ne voyait aucun motif pour que la femme ne fût pas aussi pleinement propriétaire que l'homme.

La terre pouvait aussi se transmettre par testament. Le droit du propriétaire sur elle allait jusqu'à disposer d'elle pour le temps même qui suivait sa mort. Le testament, dégagé des règles antiques, était devenu simple et facile. On pouvait le faire de vive voix devant témoins, ou par écrit, per tabulas. L'autorité publique ne demandait pas autre chose au testateur que de faire connaître clairement sa volonté.

Le propriétaire pouvait aussi, de son vivant, aliéner sa terre. La vente n'était plus soumise, comme aux temps anciens, aux formalités de la mancipatio. La simple tradition, avec la constatation de la volonté de livrer la chose, suffisait[19]. La donation se faisait de la même manière. La terre pouvait aussi être mise en gage et hypothéquée pour garantir le payement d'une dette. En un mot, toutes les façons de disposer du sol étaient permises au propriétaire[20].

Toutes les terres n'appartenaient pas à des particuliers. Les corporations pouvaient posséder le sol. Les temples étaient propriétaires de terres nombreuses[21]. Les villes avaient chacune un domaine[22]. Il y avait enfin le domaine de l'État ou du Prince. Ce qu'il importe de noter, c'est que, pour ces communautés ou pour ces puissances, le droit de propriété ne différait pas essentiellement de ce qu'il était pour les particuliers. L'Etat, les villes, les temples, les corporations jouissaient ou disposaient de leurs terrés suivant toutes les règles .qui régissaient la propriété privée. La vente, la donation, la location s'opéraient sur ces terres comme sur toutes les autres[23]. L'État et le simple citoyen étaient propriétaires de la même façon.

Était-il dans les pratiques et dans le droit des Romains qu'il y eût des terres communes à tous ? Il est certain que les textes signalent des terres qui sont dites ager communis, communia, communiones, pro indiviso, compascua[24]. Si l'on observe ces textes, on voit qu'ils se rapportent tous à trois cas. 1° Il s'agit d'une terre qui est commune à des cohéritiers ou à des associés[25]. 2° Il s'agit d'une forêt ou d'un pâquis que plusieurs propriétaires voisins ont acheté à frais communs pour faire paître leurs troupeaux et qu'ils laissent dans l'indivision[26]. 5° Enfin, il se peut agir de terres vagues qui, au moment de la fondation d'une colonie, ne sont pas entrées dans le partage des terres en propre et ont été données indivisément aux propriétaires de cette colonie[27]. Dans ces trois cas également, les terres dites communes sont en réalité la propriété de quelques personnes déterminées[28] ; dans aucun cas, les terres ne sont communes à tous. L'idée de communisme agraire était absente de l'esprit romain, et rien de pareil ne se voit dans la pratique romaine.

Ici se pose une question que je ne puis pas laisser de côté. On a soutenu que la propriété foncière chez les Romains avait été une pure concession de l'État, une émanation de la propriété publique, et qu'en conséquence l'État s'était réservé toujours une sorte de domaine éminent sur le sol. Les particuliers n'en auraient été propriétaires que sous la réserve des intérêts et des droits de la communauté. Au pouvoir souverain seul, a-t-on dit, appartenait le vrai domaine du sol[29]. La propriété n'était qu'une concession de l'État, dit encore M. Accarias, et l'État retenait le dominium[30]. Que la propriété foncière ait été, à l'origine première, une concession de l'État, c'est une assertion qui n'a jamais été prouvée historiquement ; mais je ne la discuterai pas ici, parce qu'elle ne touche pas à mon sujet. Mais que l'État ait conservé jusqu'au bout un droit supérieur sur les terres des particuliers, qu'il y ait eu ainsi sur le même sol, au-dessus de la propriété de l'individu, la propriété de l'État ou du Prince, c'est ce qu'il importe d'examiner. Car si cela était vrai, il serait possible que la distinction que le moyen âge a faite entre les deux domaines, domaine éminent et domaine utile[31], eût son origine dans les conceptions d'esprit et dans le droit de la société romaine.

Constatons tout d'abord que cette idée n'est jamais exprimée dans les documents anciens. Prenez les ouvrages de Cicéron ou ceux des agronomes, ou encore ceux des agrimensores, vous n'y voyez jamais que la terre possédée en propre, ager privatus, fût soumise à un domaine supérieur de l'État. La théorie de Gaïus sur le dominium de l'État ne s'appliquait qu'au sol provincial et n'a jamais eu d'effet pratique. Dans les codes qui renferment les lois du IIIe, du IVe, du Ve siècle, il n'y a pas une seule ligne qui implique que, sur les terres autres que celles qui étaient la propriété de l'État ou du Prince, l'État ou le Prince s'attribuât une sorte de propriété supérieure. L'expression de cette théorie ne se rencontre dans aucun des monuments du droit romain.

On a cherché des preuves indirectes. On a allégué l'usage et même l'abus des confiscations sous l'empire. Mais la confiscation était une peine ; elle était prononcée, par des juges en vertu de lois déterminées ; elle faisait partie du droit criminel. Commune à tous les peuples anciens, elle n'impliquait nullement que la propriété privée fût subordonnée à celle de l'État.

On a allégué les nombreuses lois agraires de la république et de l'empire. Mais, si l'on regarde de près ce qu'était une loi agraire, on verra que c'était un acte législatif par lequel l'État, précédemment propriétaire de certaines terres, faisait cession de ces terres-là à des particuliers, c'est-à-dire les transformait de propriété de l'État en propriété privée. Or nous avons sur cette sorte d'opération des textes assez longs et assez précis pour être certains qu'en faisant cession de ces terres l'État ne se réservait aucun droit sur elles. Il y fondait, au contraire, la propriété pleine et complète de l'individu sans rien garder pour lui-même.

L'État n'avait jamais le droit de reprendre ces terres, Cherchez dans les codes romains un droit de retrait en faveur de l'État, vous ne le trouverez pas. Vous ne trouverez pas davantage un droit de préemption. Même l'expropriation pour cause d'utilité publique ne fut jamais inscrite dans le Droit. Ce n'est pas qu'elle n'ait été admise en pratique ; mais, à regarder le droit, strict, l'État n'avait pas la faculté de déposséder un propriétaire de son champ, fût-ce dans l'intérêt supérieur du public. Un écrivain qui était contemporain de Trajan et qui connaissait bien les lois sur la matière, puisqu'il était directeur des aqueducs, curator aquarum, Julius Frontinus, affirme que l'État n'a pas le droit de déposséder un particulier même pour le profit commun. Il ajoute que tous les terrains nécessaires pour l'établissement des aqueducs furent achetés ; et il donne même ce détail que, si le propriétaire se refusait à vendre la petite bande de terre qu'on lui demandait, l'État était forcé d'acheter le domaine entier[32]. Il ne dit pas si le propriétaire était tenu de vendre, et ce point de droit ne fut jamais éclairci. Tite-Live rapporte que, les censeurs ayant voulu établir un aqueduc, ils ne le purent pas, par cette seule raison qu'un particulier refusa de laisser passer l'aqueduc sur sa propriété[33]. Nous devons tenir pour constant que ce droit rigoureux du propriétaire ne fut pas toujours respecté. Mais ce qui est digne d'attention, c'est que cette expropriation ne fut jamais formellement écrite dans le Droit[34]. On ne voit pas que le législateur ait jamais dit que l'État pût déposséder un propriétaire en vertu d'un domaine éminent qu'il aurait exercé sur le sol.

Qu'un propriétaire meure, son fils ou son héritier prend sa terre sans avoir rien à demander à l'État. Il est propriétaire à son tour, non par une concession, mais de son plein droit. Je voudrais montrer l'idée qui s'attachait à l'hérédité, et j'en trouve l'expression dans Pline le Jeune. Il montre que l'État avait essayé d'établir un impôt sur les successions, mais qu'il n'avait pas pu soumettre à cet impôt les successions en ligne directe, parce que les héritiers n'auraient pas toléré qu'on entamât des biens auxquels les liens du sang et du culte domestique leur donnaient un droit absolu, des biens qui, même avant le décès du père, leur appartenaient déjà, et dont ils étaient comme en possession dès leur entrée dans la vie[35]. Et il ajoute qu'il eût été monstrueux et impie de placer un impôt entre un père et son fils, et que cette intervention d'un percepteur de l'État était une sorte de sacrilège qui rompait les liens les plus sacrés[36]. Ainsi l'esprit d'un Romain avait de la peine à admettre que l'État pût frapper une succession d'un impôt, loin qu'il admît que l'État eût quelque droit sur cette succession. Nul n'avait besoin du consentement de l'État pour hériter.

Le testament était absolument libre, et aucune autorité publique ne se plaçait à côté de la volonté du testateur. Si les actes de vente et de donation, ainsi que les testaments, étaient d'ordinaire présentés aux magistrats municipaux et inscrits sur les registres des curies, cela n'impliquait pas que l'autorité municipale eût le droit d'autoriser ou de rejeter l'acte ; cette pratique n'avait d'autre objet que de constater publiquement la volonté du propriétaire et d'en garantir l'exécution pour l'avenir.

Nous pouvons donc tenir pour certain qu'il n'existait pas au temps de l'empire un domaine éminent exercé par l'État ou par le Prince sur les terres des particuliers. L'impôt et le service militaire étaient des charges publiques ; ils étaient répartis proportionnellement à la fortune de chacun ; mais ils n'étaient pas des charges essentiellement issues de la propriété ; moins encore étaient-ils, comme on l'a dit, la condition de jouissance et comme la rente de cette propriété[37]. La terre en propre, ager privatus, n'était assujettie ni à des redevances ni à des services ayant le caractère d'une rente foncière.

Cet ensemble de règles juridiques et de conceptions d'esprit paraît être, à première vue, tout l'opposé des institutions qui régneront au moyen âge et semble n'avoir aucun rapport avec elles. Et pourtant, si l'on observe les faits avec attention, si l'on ne se borne pas à regarder la surface des choses, on reconnaîtra que cette conception romaine de la propriété foncière n'a pas disparu. Elle se retrouvera vivante encore et vigoureuse sous les dehors des institutions féodales.

 

2° LE DOMAINE RURAL.

 

Après avoir constaté le droit de propriété sur la terre, il faut voir comment ce droit s'exerçait. Il faut chercher ce qu'était le domaine rural chez les Romains, en quoi il consistait, comment il était cultivé, quelle population y vivait.

La première chose à observer, ce sont les termes de la langue. Le mot propre pour désigner un domaine était, fundus, terme qui contenait en soi l'idée de pleine et absolue propriété. On employait de la même façon le mot prædium. Un bien foncier se désignait aussi par le mot ager ; ce terme, qui avait plusieurs significations assez distinctes, était appliqué le plus souvent à l'ensemble d'une exploitation rurale. Caton appelle ager une propriété de 100, 200, 240 arpents[38]. Varron et Columelle emploient le mot dans le même sens. Pline appelle ses grands domaines des agri[39]. Dans le langage du droit, ager est un domaine[40]. Un ager ne comprenait pas seulement des champs ; Caton parle d'agri qui sont en vignes, en oliviers, en herbages, en forêts. Ulpien nous dit que sur les registres du cadastre chaque ager était décrit, c'est-à-dire que l'on y marquait ce qui était en vignes, ce qui était en céréales, ce qui était en forêts ou en prairies[41]. L'agellus d'Ausone, l'ager de Sidoine comprennent des vignes, des prairies, des forêts. Il faut donc nous déshabituer de traduire ager par un champ, bien qu'on rencontre quelquefois cette signification ; le plus souvent, c'est un domaine. Quant au terme villa, il ne s'appliqua d'abord qu'à la maison qui s'élevait sur le domaine et où le maître habitait ; mais d'assez bonne heure il s'étendit au domaine tout entier[42]. Il en fut de même du mot cortis, qui n'avait d'abord désigné qu'une cour de ferme et qui au cinquième siècle désigna un domaine. Nous voyons un personnage de ce temps-là qui possède plusieurs cortes très riches et de bon produit, contenant bois, eaux et cours d'eau, moulins, pêcheries, chacune cultivée par quelques centaines d'esclaves[43]. Fundus, prædium, ager, villa, cortis, ces termes étaient synonymes, et c'est une chose que nous devons noter pour la suite de nos études.

Un usage essentiellement romain était que chaque domaine rural eût un nom propre. Regardez le titre du Digeste qui est relatif à l'impôt foncier, vous y lirez que sur les registres du cadastre chaque propriété était inscrite par son nom et non pas seulement par le nom du propriétaire[44]. Regardez le titre qui traite du legs et où les jurisconsultes citent quelques clauses testamentaires, vous remarquez qu'un testateur écrivait rarement : la propriété que j'ai en tel lieu ; il écrivait plutôt : ma propriété qui porte tel nom[45]. D'où l'on peut conclure que l'usage le plus habituel était de désigner un domaine, non par la localité où il était situé, mais par le nom qu'il portait. Il est visible aussi que ce nom lui était attaché d'une manière assez constante pour suffire à le désigner clairement.

Les inscriptions donnent lieu à la même remarque. Dans l'une d'elles, qui est du temps de Domitien, un homme fait donation de quatre propriétés : il les appelle, par leur nom : Junianus, Lollianus, Percennianus. Statuleianus[46]. Dans une autre, un personnage parlant d'un aqueduc qu'il a fait construire pour amener de l'eau à sa villa Carvisiana, énumère toutes les propriétés que cet aqueduc traverse : l'Antonianus, le Balbianus, le Phelinianus, le Petronianus, le Volsonianus, le Serranus, le Fundanianus, le Capitonianus, le Scirpinianus[47]. D'autres inscriptions encore nous donnent des listes de propriétés rurales. L'une d'elles présente la longue nomenclature de plus de trois cents immeubles de la petite cité de Véléia en Cisalpine ; chacun d'eux a son nom[48]. Une autre nous donne cinquante-deux noms de terres pour une petite ville de Campanie, et la liste est fort incomplète[49]. Une inscription de Vulccii énumère par leurs noms soixante-deux propriétés rurales[50]. Notons que, parmi ces propriétés, il en est de très petites. On en voit dont la valeur, marquée par l'inscription, ne dépasse pas 15.000, 8.000 sesterces. Elles ont pourtant leur nom propre comme les autres.

Ces noms de terres ne sont presque jamais des noms géographiques. Jamais ils ne sont empruntés à une rivière, à une montagne, à un accident du terrain[51]. Ces noms ne sont même pas pris à l'agriculture ; jamais ils ne sont tirés d'arbres, de plantes, d'animaux. Ils sont toujours, à très peu d'exceptions près, formés par un radical qui est un nom d'homme, auquel on ajoute la désinence d'adjectif qui marque la possession. Par exemple, ces domaines s'appellent Manlianus, Cornelianus, Terentianus, Sempronianus, Postumianensis, Junianus, Lollianus, Clodianus, Properlianus, villa Surdiniana, villa Lucullana, prædium Herennianum[52]. Il est visible d'ailleurs, dans les inscriptions où ils sont cités, que ces noms ne sont pas ceux des propriétaires actuels. Car, à côté du nom de chaque terre, l'inscription porte le nom de celui qui la possède, et les deux noms sont toujours différents[53]. C'est que le nom de la terre vient de plus loin. Il est le nom d'un propriétaire primitif. Il a été donné au domaine par celui qui a constitué ce domaine le premier, par celui qui y a fait les plantations et constructions utiles, par celui qui en a tracé et consacré les limites. Il y a eu comme une sorte de fondation, et, dans les idées anciennes, ce premier propriétaire ressemble quelque peu à un fondateur de ville. Aussi son nom reste-t-il attaché à cette terre. Ce nom subsiste, même quand la terre a passé à une autre famille. Nos inscriptions laissent voir que le propriétaire actuel est rarement le descendant de celui qui a donné le nom. La famille de l'ancien propriétaire n'est plus là, mais son nom est resté. Ce n'est pas qu'aucune loi interdît à un nouveau propriétaire de changer le nom du domaine[54] ; et l'on trouve quelques exemples de cela ; mais ces exemples sont rares ; la persistance du nom ancien est. la règle ordinaire.

Cet usage des noms de terre, qui paraît avoir été fort ancien dans la société romaine, s'est conservé pendant les cinq siècles qu'a duré l'empire. On le retrouve encore au moment où cet empire finit. Les lettres de Symmaque montrent qu'au cinquième siècle chaque domaine a encore un nom propre ! Plus tard, on retrouve la même chose dans les lettres de Grégoire le Grand, dans les chartes de l'église de Ravenne, dans le Liber pontificalis de l'église de Rome. Nous devons faire grande attention à cette habitude qu'avait la société romaine d'attacher à chaque propriété rurale un nom propre. Ce nom donna au domaine une sorte de personnalité. Il en fit un corps bien complet en soi, bien distinct de ce qui n'était pas lui, bien individuel. Nous verrons plus tard les conséquences.

Sous ce nom persistant, l'unité du fundus se maintenait à travers les générations. Le changement de fortune du propriétaire n'y changeait presque rien. S'enrichissait-il par l'acquisition du domaine voisin, son domaine ne s'étendait pas pour cela ; l'homme devenait propriétaire de deux domaines, qui restaient distincts. L'inscription de Véléia jette une vive lumière sur ce côté des usages ruraux. Nous y voyons plusieurs propriétaires qui ont groupé deux, trois, quatre et jusqu'à sept fundi ; ces propriétés ne se confondent pourtant pas en un seul domaine : chacune d'elles conserve son nom distinct, ses limites, et pour ainsi dire sa vie propre[55].

Un autre cas se présente. Il peut arriver qu'un propriétaire vende une partie de sa terre[56]. Il peut arriver aussi qu'une succession fasse échoir une terre à plusieurs cohéritiers[57]. Que se passe-t-il alors ? Le domaine sera-t-il brisé et morcelé ? D'une part, le droit romain autorise ce morcellement. Le droit ne contient aucune règle qui oblige à maintenir l'unité du domaine rural ; il permet à l'acheteur de le couper en deux ; il n'oblige jamais les cohéritiers à rester dans l'indivision. Nous ne pouvons donc pas douter que le partage du domaine ancien en deux ou trois domaines nouveaux ne fût possible en. droit. Mais, sur ce point, les usages ruraux étaient assez différents du droit, et cette sorte de division paraît avoir été assez rare. Le plus souvent le domaine gardait son nom unique et son unité, tout en appartenant à plusieurs copropriétaires. Il se formait ainsi, non pas de nouveaux domaines, mais ce qu'on appelait des parts, portiones. Cette dénomination de part restait attachée à la petite propriété qui s'était formée dans la grande. On devenait à tout jamais propriétaire d'une part ; on léguait, on vendait, on louait sa part. Ces expressions, déjà, visibles dans quelques inscriptions de l'époque impériale[58], deviennent surtout fréquentes dans les chartes du sixième et du septième siècle ; on les trouve à tout moment dans les actes de l'église de Ravenne[59] ; nous les verrons aussi dans les actes mérovingiens.

Ainsi se maintenait l'intégrité du domaine.. Le nouveau propriétaire l'était pour une moitié, pour un tiers, pour un quart. L'usage s'établit en Italie de compter par douzièmes. Nous savons que cette manière de diviser les unités était familière aux Romains. Le douzième s'appelait une once, uncia. De même que l'as qui était l'unité de poids, et le pied qui était l'unité de mesure, se partageaient en unciæ, ainsi se partageait le fundus, qui était l'unité de propriété foncière. Dans les testaments, dans les ventes, dans les baux, nous voyons qu'on cédait une uncia, cinq unciæ, dix unciæ d'un fundus. Ces usages et ces expressions ne sont pas dans les lois ; mais ils faisaient partie de la coutume rurale et de la langue vulgaire[60]. On les trouve mentionnés dans la correspondance épistolaire des hommes du cinquième siècle. On les trouve encore dans les chartes et les actes de location du sixième[61]. Or ces chartes et ces baux reproduisent manifestement les formules d'une pratique plus ancienne et toute romaine.

Nous voudrions savoir quelle était l'étendue ordinaire et moyenne du domaine rural des Romains. Cela revient à nous demander si c'était la petite ou la grande propriété qui régnait. Il y a sur ce sujet quelques citations qui sont toujours répétées ; nous commencerons par les rappeler. Tout le monde connaît le passage où Columelle parle de ces grands propriétaires qui possèdent le territoire de tout un peuple et qui ne pourraient pas faire en un jour, même à cheval, le tour de leurs domaines. Tout le monde cite aussi le mot de Pline sur les latifundia qui ont ruiné l'Italie. Il y a encore dans Tacite un mot sur les villæ qui s'étendent à l'infini, et Sénèque affecte de plaindre ces hommes opulents qui ont des domaines aussi vastes que des provinces.

Nous avouerons franchement que ces phrases font peu d'impression sur notre esprit. Celle de Columelle, pour être comprise avec exactitude, doit être replacée au milieu de son contexte. L'écrivain ne se plaint pas du grand nombre des latifundia et ne pense pas à faire une satire contre les grands propriétaires. Il donne à ses lecteurs un conseil pratique, qui est de n'avoir pas de domaines trop étendus ; et la raison de cela est qu'il y faut trop de bras et qu'on risque de s'y ruiner. C'est alors qu'il dit[62] : N'imitez pas ceux qui ont des domaines si vastes qu'ils ne peuvent pas en faire le tour ; ils sont réduits à en laisser une moitié absolument inculte, et encore ne peuvent-ils mettre sur l'autre moitié qu'un mauvais personnel. On se méprend sur. la pensée de l'auteur quand on se sert de sa phrase pour prétendre que la grande propriété régnait en Italie de son temps. Les faits auxquels il fait allusion ne sont visiblement que des exceptions, et il se borne à marquer, en sage agronome, les inconvénients qu'il y aurait s'ils se multipliaient.

Quant à Pline, il est bien vrai qu'il dit que les latifundia ont ruiné l'agriculture italienne[63] ; mais ce qui diminue la portée de cette affirmation, c'est qu'il dit ailleurs que cette même agriculture italienne est très florissante ; il assure même que l'Italie tient le premier rang dans le monde par ses céréales comme par ses vignobles[64]. A peine est-il besoin de dire que la phrase déclamatoire de Sénèque ne doit pas plus être prise au sérieux que les plaisanteries de Pétrone sur les domaines de Trimalcion[65]. Au passage de Tacite[66] nous opposerons un autre passage de Tacite lui-même qui, deux chapitres plus loin, vante la diminution des grandes fortunes, la sagesse de son temps, le retour à la frugalité et à, la simplicité antiques[67]. Il est d'une mauvaise méthode en histoire de se décider sur quelques phrases isolées. Il faut tout lire, et établir une proportion exacte entre les affirmations contradictoires. A côté des brillants écrivains comme Tacite et Sénèque, consultons les modestes auteurs des traités d'arpentage, Siculus Flaccus, Frontin, Hygin. Ils nous diront que le sol de l'Italie est couvert d'une population serrée de petits propriétaires, densitas possessorum[68].

Quelques chiffres précis nous éclaireraient mieux que ces assertions en sens divers. On sait que l'empire romain possédait un cadastre fort complet de la propriété foncière. Il existait dans les archives des villes et dans les bureaux du palais impérial un nombre incalculable de plaques de bronze sur lesquelles était gravé le tableau de toutes les propriétés, avec l'étendue, le plan, les limites de chacune d'elles[69]. Il existait aussi des registres du cens où chaque domaine était inscrit par son nom, avec le nombre d'arpents, la nature du terrain, les variétés de culture, le nombre des cultivateurs qui y étaient employés[70]. Les éléments d'une statistique sérieuse ne manquaient donc pas. Par malheur, tous ces documents ont péri, et il n'en est rien venu jusqu'à nous. Pour trouver quelques chiffres, il faut les chercher à grand'peine chez les écrivains et dans trois ou quatre inscriptions.

Caton et Varron, parlant des domaines ruraux d'une manière générale, donnent des chiffres de 100, 200, 500 arpents. C'est la moyenne propriété. Les mêmes auteurs donnent indirectement la mesure la plus ordinaire du domaine rural, lorsqu'ils disent qu'il faut de douze à dix-huit esclaves pour le cultiver[71]. Nous pouvons juger approximativement l'étendue de la propriété d'Horace, qu'il appelle une petite propriété, agellus ; car nous savons que pour la mettre en valeur il lui fallait un villicus, cinq métayers et huit esclaves, en tout quatorze paires de bras[72].

Dans une inscription qui a été trouvée sur le territoire de Viterbe, et qui date du règne de Trajan, nous voyons qu'un aqueduc de 5 950 pas romains traversait onze propriétés. Si nous essayons un calcul sur ces données fort incomplètes, nous penserons que la longueur moyenne de chacune de ces propriétés était d'environ 800 mètres, et nous conjecturerons qu'elles avaient l'une dans l'autre une superficie d'une soixantaine d'hectares[73]. Les inscriptions de Véléia et des Bæbiani ne signalent aucun domaine dont la valeur dépasse 210.000 sesterces, ce qui suppose 150 ou 200 arpents[74] ; et elles en mentionnent de beaucoup plus petits.

Il existait certainement des domaines plus considérables. Pline le Jeune, dans une de ses lettres, écrit qu'il est sur le point d'acheter une terre et qu'il la payera 5 millions de sesterces[75]. D'après des calculs que je ne puis donner que comme approximatifs, ce prix de vente me fait supposer une terre de 1.500 arpents. Ailleurs, le même écrivain dit qu'il a fait donation à sa ville natale d'une terre que cette même ville afferme 50.000 sesterces. Il ne dit pas quelle est l'étendue de son beau domaine qu'il appelle Tusci ; mais suivez la description qu'il fait des bois giboyeux et des forêts que ce domaine renferme, de sa plaine et de ses collines, de ses champs de blé, de son vignoble, de ses prairies, et vous aurez certainement l'idée d'une grande propriété[76].

Ainsi l'étendue du fundus ou du domaine variait à l'infini. Il y avait alors, comme de nos jours, de petites, de moyennes, de grandes propriétés. Une loi de 385 distingue trois catégories d'hommes : en premier lieu les grands propriétaires, qu'elle appelle potentiores possessores ; en second lieu ceux qu'elle désigne par le nom de curiales ; et enfin les petits propriétaires, minores possessores[77].

On ne peut pourtant méconnaître qu'il y eut dans la société romaine une tendance continue vers la grande propriété. Reprenons, comme exemple, l'inscription de Véléia ; nous y remarquons que, si le nombre des fundi est encore très grand, celui des propriétaires l'est beaucoup moins. Pour 300 propriétés nous ne comptons que 51 propriétaires. Le même homme en a jusqu'à 10 ou 12 dans les mains. Trois d'entre eux possèdent chacun pour plus d'un million de sesterces. Il est donc arrivé, et cela dans l'espace de moins de cent ans, que les cinq sixièmes des petits propriétaires ont disparu ; ils ont vendu ou abandonné leur terre. Quelques-uns sont restés, s'enrichissant de la ruine des autres. Encore entrevoit-on que parmi ces 51 propriétaires il en est quelques-uns, et des plus riches, qui sont des étrangers venus depuis peu. Ils sont des spéculateurs qui ont pris la place des colons du siècle précédent. Nulle société, on le sait, ne spécula autant sur les terres que la société romaine.

Nous observons dans ces mêmes inscriptions que le plus souvent les petits domaines d'un même propriétaire sont situés en divers lieux ; il est peu probable qu'ils doivent jamais se rejoindre. Il arrive pourtant plusieurs fois que les quatre ou cinq fundi d'un même homme sont contigus. En ce cas l'inscription les groupe en une sorte de faisceau, c'est-à-dire que, tout en laissant à chacun d'eux son nom propre, elle fait pourtant de ces quatre ou cinq petits domaines un même corps et ne donne qu'un seul chiffre d'estimation pour l'ensemble. Ce petit détail est significatif. C'est le commencement et l'annonce du moment où ces quatre ou cinq petites propriétés se fondront en une grande. Un siècle après notre inscription de Véléia, le jurisconsulte Papinien signale, comme chose assez fréquente, que plusieurs fundi soient réunis en une seule propriété[78] ; et l'on observe qu'en ce cas chacun d'eux garde son ancien nom, mais tous se subordonnent au plus important d'entre eux. Le même usage se retrouvera plus tard.

Avançons d'un siècle encore, et nous voyons qu'en Italie la grande propriété a fait un nouveau progrès. Un terme nouveau apparaît dans la langue de la vie agricole, le mot massa. Il signifie un groupe de plusieurs domaines ; chacun d'eux a conservé son nom individuel, mais l'ensemble a pris un nom unique, et constitue une nouvelle unité rurale. La massa est le très grand domaine formé de plusieurs domaines moyens[79].

Ces observations donnent à penser que c'est par le groupement insensible et lent des propriétés petites et moyennes que la grande propriété s'est constituée. Elle est venue aussi d'une autre source. On sait qu'au début de la période impériale il se trouvait dans toutes les provinces et même en Italie de grands espaces de terre boisés ou montueux dont le sol était d'une culture difficile. On les appelait des saltus. Ils n'avaient à l'origine presque aucune valeur. Mais cette société romaine était laborieuse ; elle se mit à les cultiver. L'État en garda pour lui un certain nombre et y plaça des colons. Les villes en prirent à leur compte et les affermèrent. Les particuliers en occupèrent et les mirent en valeur. L'inscription de Véléia mentionne treize saltus, qui sont devenus propriétés privées, sans compter ceux qui appartiennent à la ville. Les chiffres d'estimation que l'inscription place à côté de chacun d'eux permet de croire qu'ils sont cultivés. Quatre d'entre eux sont évalués plus de 500.000 sesterces chacun. Or, comme il s'agit ici de mauvaises terres à peine défrichées et qui étaient naguère de nulle valeur, ces chiffres donnent à penser que les quatre saltus étaient fort étendus. Nous ne nous tromperons guère en les comptant comme de grandes propriétés, dont la valeur ira croissant avec le temps. Nous pensons que, parmi les grands domaines de l'époque impériale, il en est beaucoup qui se sont formés de cette façon. C'est le défrichement qui en a été l'origine. Qu'on relise le passage où Columelle parlait de ces vastes espaces dont le propriétaire ne pouvait pas faire le tour à cheval, ou verra d'après sa phrase même qu'il veut parler de saltus et que ces saltus sont encore à moitié en friche. Les propriétaires dont il parle ici sont de grands entrepreneurs de défrichements. Columelle donne à entendre que leur spéculation n'est pas toujours heureuse. Beaucoup se ruinent visiblement, parce qu'ils n'ont pas assez de bras à mettre sur ces grands espaces, et l'agronome prudent conseille de ne pas les imiter[80]. Mais ceux qui réussissaient pouvaient arriver, avec le temps et à force de travail, à constituer d'immenses et magnifiques propriétés. Tel est le saltus qui est décrit par Julius Frontin : Il appartient à un seul propriétaire, et il est pourtant aussi vaste que le territoire d'une ville ; vers le milieu du terrain s'élève la demeure du maître ; à distance et tout autour s'étend une ceinture de petits villages où habite tout un peuple de paysans et qui appartiennent au même maître[81]. Frontin ajoute que les domaines de cette nature se rencontrent assez fréquemment en Italie, plus souvent dans les provinces.

La grande propriété, constituée sous l'empire, a survécu à cet empire. Les lettres de Cassiodore écrites sous la domination des Ostrogoths, les lettres du pape Grégoire le Grand et les actes de l'église de Ravenne écrits au temps de la domination des Lombards, nous montrent que cette grande propriété s'est continuée. Les Germains ne l'ont pas fait disparaître. Au sixième et au septième siècle, nous trouvons encore dans toute l'Italie le domaine rural sous les noms de fundus, villa, ou cortis.

 

3° LE DOMAINE RURAL EN GAULE.

 

Les Gaulois, avant la conquête romaine, n'ignoraient pas la propriété foncière. César, dans les chapitres où il annonce qu'il dira toutes les particularités de la vie gauloise et tous les traits par lesquels ils se distinguent des peuples qu'il connaît, ne signale pas l'absence de. propriété, ce qui serait certainement le trait qui l'aurait le plus frappé[82]. Un peu plus loin il dit en quoi les Germains diffèrent des Gaulois[83], et il signale que les Germains ne pratiquent pas la propriété ; cela implique visiblement que les Gaulois la pratiquent[84]. Il y a enfin un passage où l'historien fait observer que les juges gaulois avaient à vider des procès sur les héritages ou sur les limites ; voilà des procès qui n'existent que dans une société de propriétaires[85]. Il n'est donc pas douteux que le domaine rural ou fundus ne fût déjà dans les habitudes gauloises[86]. Nous ignorons d'ailleurs si la propriété était constituée comme en Italie, si elle y était garantie par une législation aussi claire que le droit romain, si les règles de la succession, du testament, de la vente, y étaient les mêmes que dans la société romaine. César ajoute quelques traits caractéristiques : d'une part est la classe des chevaliers, puissants et riches, et qui visiblement sont riches en terre ; ils entretiennent de nombreux clients, et il est clair qu'ils ne peuvent les entretenir que sur de vastes domaines[87] ; d'autre part est la plèbe, qui est née libre, mais qui, faute de rien posséder, est presque réduite à la condition d'esclave et souvent même se met réellement en servitude dans les mains des riches[88] ; et c'est justement dans les campagnes qu'il y a le plus d'indigents[89]. De pareils traits impliquent que la propriété a encore un caractère aristocratique, qu'elle est dans un petit nombre de mains. On peut conjecturer avec vraisemblance que le régime dominant était celui de la grande propriété. Les Romains n'eurent donc à introduire en Gaule ni le droit de propriété ni le système des grands domaines cultivés par une population servile[90].

Aussi trouvons-nous dans la Gaule du temps de l'empire les mêmes habitudes rurales qu'en Italie. Tacite parle d'un domaine du Gaulois Cruptorix, et il l'appelle du terme de villa. Il signale ailleurs les propriétés et les villæ du Gaulois Civilis[91]. Ce qui fut peut-être le plus nouveau, c'est que chaque villa prit un nom propre, suivant l'usage romain. Conformément à ce même usage, les noms des domaines furent tirés la plupart du temps de noms d'hommes. Ausone cite la villa Pauliacus et la villa Lucaniacus[92]. Sidoine Apollinaire, dans ses lettres, a souvent l'occasion de mentionner ses propriétés ou celles de ses amis. Il en possède une qui s'appelle Avitacus. Un domaine de la famille Syagria s'appelle Taionnacus ; celui de Consentius, ami de Sidoine, s'appelle ager Octavianus ; celui de son parent Apollinaris a nom Voroangus, et celui de son ami Ferréolus s'appelle Prusianus[93]. Dans un testament du cinquième siècle, un personnage lègue la villa Saponaria et la villa Bertiniacus[94]. Plus tard, les chartes écrites en Gaule nous montreront une série de domaines qui ont tous un nom propre ; ils s'appellent, par exemple, Albiniacus, Solemniacensis, Floriacus, Rertiniacus, Latiniacus, Victoriacus, Pauliacus, Juliacus, Attiniacus, Cassiacus, Gaviniacus, Clipiacus ; il y en a plusieurs centaines de cette sorte[95]. Ces noms, que nous trouvons dans des chartes du septième siècle, viennent certainement d'une époque antérieure. C'est sous la domination romaine que les domaines les ont reçus. Ils sont latins, et viennent pour la plupart de noms de famille qui sont romains. Cela ne signifie pas que des familles italiennes soient venues s'emparer du sol. Les Gaulois en devenant romains avaient pris pour eux-mêmes des noms latins, et avaient appliqué leurs nouveaux noms à leurs terres. Quelques-uns avaient conservé un nom gaulois en le latinisant ; aussi trouvons-nous quelques noms de domaines qui ont un radical gaulois sous une forme latine. Dans la suite, tous ces noms de propriétés sont devenus les noms de nos villages de France. On aperçoit aisément la filiation. Les propriétaires primitifs s'étaient appelés Albinus, Solemnis, Florus, Bertinus, Latinus ou Latinius, Victorius, Paulus, Julius, Atinius, Cassius, Gabinius, Clipius ; et c'est pour cela que nos villages s'appellent Aubigny, Solignac, Fleury, Bertignole, Lagny, Vitry, Pouilly, Juilly, Attigny, Chancy, Gagny, Clichy.

Il est difficile de dire quelle était en Gaule l'étendue ordinaire d'un domaine rural. Il faut d'abord mettre à part la Narbonnaise, qui avait été couverte de colonies romaines et où le sol avait été distribué par petits lots. On doit mettre à part aussi quelques territoires du nord-est, voisins de la frontière et où furent fondées des colonies militaires de vétérans ou des colonies de Germains ; ici encore c'est la petite ou la moyenne propriété qui fut constituée, et il n'y a pas apparence qu'elle se soit beaucoup modifiée. Il en fut autrement dans le reste de la Gaule. Ici nulle colonie, nulle constitution factice de propriété. Ou bien les domaines restèrent aux mains de l'ancienne aristocratie devenue romaine, ou bien ils passèrent aux mains d'hommes enrichis. Dans l'un et l'autre cas, on ne voit pas que la terre ait pu être beaucoup morcelée. Il est très vraisemblable qu'il y eut un certain nombre de très petites propriétés ; mais ce qui prévalut, ce fut le grand domaine. La petite propriété fut répandue çà et là sur le sol gaulois, mais n'en occupa qu'une faible partie ; la moyenne et la grande couvrirent presque tout.

Quelques exemples nous sont fournis par la littérature du quatrième et du cinquième siècle. Le poète Ausone décrit une propriété patrimoniale qu'il possède dans le pays de Bazas. Elle est à ses yeux fort petite ; il l'appelle une villula, un herediolum, et il faut toute la modestie de ses goûts pour qu'il s'en contente[96]. Encore voyons-nous qu'il y compte 200 arpents de terre en labour, 100 arpents de vigne, 50 de prés, et 700 de bois[97]. Voilà donc un domaine qui est réputé petit et qui comprend 1.050 arpents ; or s'il est réputé petit, c'est qu'il l'est par comparaison avec beaucoup d'autres. On croirait volontiers qu'une propriété d'un millier d'arpents n'était aux yeux de ces hommes que de la petite propriété.

Les domaines que Sidoine Apollinaire décrit, sans en donner la mesure, paraissent être plus grands. Le Taionnacus comprend des prés, des vignobles, des terres en labour[98]. L'Octavianus renferme des champs, des vignobles, des bois d'oliviers, une plaine, une colline[99]. L'Avitacus s'étend en bois et en prairies, et ses herbages nourrissent force troupeaux[100]. L'écrivain ne nous dit pas quelle est l'étendue du Voroangus et du Prusianus ; mais nous remarquons dans sa description que, les deux domaines étant contigus, la distance qui sépare les deux maisons de maître est trop grande pour qu'on la parcoure à pied ; c'est une courte promenade à cheval. Cela donne l'idée de deux grands domaines[101]. Quelques années plus tard, nous voyons la villa Sparnacus être vendue au prix de 5.000 livres pesant d'argent ; cette somme énorme, surtout en un temps de crise et dans les circonstances où nous voyons qu'elle fut vendue, suppose que cette terre était très vaste[102].

Encore faut-il se garder de l'exagération. Se figurer d'immenses latifundia serait une grande erreur. Qu'une région ou un canton entier appartienne à un seul propriétaire, c'est ce dont on ne trouve d'exemple ni en Gaule, ni en Italie, ni en Espagne. Rien de semblable n'est signalé ni par Sidoine, ni par Salvien, ni par nos chartes. Notre impression générale, à défaut d'affirmation, est que les grands domaines de l'époque romaine ne dépassent guère l'étendue qu'occupe aujourd'hui le territoire d'un village. Beaucoup n'ont que celle de nos petits hameaux. Et au-dessous de ceux-ci il existe encore un bon nombre de propriétés plus petites. Il est aussi une remarque qu'on doit faire. Nous savons par les écrivains du quatrième siècle qu'il s'est formé à celle époque une classe de très riches propriétaires fonciers. C'est un des faits les plus importants et les mieux avérés de cette partie de l'histoire. Or, ces grandes fortunes, sur lesquelles nous avons quelques renseignements, ne se sont pas formées par l'extension à l'infini d'un même domaine. C'est par l'acquisition de nombreux domaines fort éloignés les uns des autres qu'elles se sont constituées. Les plus opulentes familles de cette époque ne possèdent pas un canton entier ou une province ; mais elles possèdent vingt, trente, quarante domaines épars dans plusieurs provinces, quelquefois dans toutes les provinces de l'empire. Ce sont là les patrimonia sparsa per orbem dont parle Ammien Marcellin. Telle est la nature de la fortune terrienne des Anicius, des Symmaque, des Tertullus[103], des Gregorius en Italie[104] ; des Syagrius, des Paulinus, des Ecdicius, des Ferréolus en Gaule[105].

Ici se pose une question : à côté des domaines existait-il des villages, et quel était le rapport entre les deux choses ? Les hommes de nos jours sont habitués à voir le sol rural découpé en villages, et non pas en domaines. Ce que nous appelons un village aujourd'hui est une agglomération d'une cinquantaine ou d'une centaine de familles, non seulement libres, mais propriétaires du sol ; et, s'il s'y rencontre un domaine, il est compris et comme confondu dans l'ensemble. En était-il de même à l'époque où se place notre présente étude ?

Observons d'abord si les Romains se faisaient la même idée que nous du village. Sur ce point, la langue latine, que la Gaule parlait comme l'Italie au temps de l'empire, fournit un renseignement qui n'est pas à négliger. On y peut remarquer qu'elle ne contient pas un seul terme qui réponde exactement à l'idée que le mot village représente aujourd'hui. Le terme pagus désignait une circonscription, une région plus ou moins étendue, mais il ne s'appliquait pas à un corps d'habitations comme sont nos villages. Le terme vicus, à l'opposé, contenait en soi l'idée de constructions agglomérées, mais non pas spécialement celle d'habitations rurales ; car il s'appliquait tout autant à un quartier d'une ville, à une rue, à un carrefour. Il est singulier que la langue latine, qui possédait plusieurs termes pour rendre avec précision l'idée de domaine, n'en ait possédé aucun qui exprimât nettement celle de village. Cela étonnera moins si l'on songe que, même en français, le mot village, avec la signification qui s'y attache aujourd'hui, ne date que de cinq ou six siècles. Il y a eu, on le devine bien, de très graves raisons pour que le langage humain se passât si longtemps de ce terme ou de tout autre terme équivalent.

Le village ne fut jamais dans l'antiquité romaine un groupement officiel et légal. Nous ne voyons pas que l'ager romanus ait été partagé en villages. Caton, Varron, Columelle, dans leurs traités d'agriculture, mentionnent parfois des bourgs qui sont des rendez-vous pour les échanges ou pour les plaisirs, mais ils ne montrent jamais que le domaine rural qu'ils décrivent fasse partie intégrante d'un village ou d'un bourg. Dans l'inscription de Véléia, les trois cents propriétés rurales sont réparties en quatre régions, mais non pas en villages, et elles font toutes partie du territoire de la cité. L'agellus d'Horace paraît dépendre de la petite ville de Varia, mais n'a aucun rapport avec un village. On observe avec quelque surprise dans les livres des arpenteurs romains, ou agrimensores, que ces hommes qui par profession ne s'occupent que de choses rurales, ne décrivent, jamais de villages. Pour eux il n'existe que des villes, des cités, des municipes. Lorsque l'État donnait des terres à ses légionnaires et les transformait en paysans, il ne les établissait pourtant pas dans des villages ; il fondait une ville pour eux, et il distribuait à ces colons le territoire de la ville nouvelle ; en sorte que ces paysans n'étaient pas des villageois, mais des citadins. Ils n'étaient pas membres d'une petite commune rurale, mais citoyens d'une ville. L'absence de villages là où il nous semblerait le plus naturel d'en trouver, est significatif.

Ce n'est pas à dire qu'il n'existât assez souvent des groupes d'habitations rurales qui pouvaient ressembler matériellement à nos villages. On les appelait vici. Le mot revient fréquemment chez les écrivains et dans les lois. Mais il faut faire attention que ce terme s'applique, suivant les cas, à deux choses fort différentes.

D'une part, quand nous lisons dans Cicéron que sa fille Térentia va vendre un vicus qui lui appartient, il faut bien entendre que cette sorte de village est une propriété particulière[106]. Ailleurs, nous voyons un vicus appartenir à une femme qui en est qualifiée propriétaire[107]. C'est que les riches propriétaires qui avaient sur leurs domaines quelques centaines d'esclaves, construisaient pour eux des villages. Julius Frontin décrit un grand domaine, et il y montre plusieurs villages formant une sorte de ceinture autour de la maison du maître ; il est clair que tous sont peuplés de ses esclaves ou de ses colons ; cabanes et hommes appartiennent au maître[108]. Ce ne sont pas des communes rurales ; ce sont des agglomérations de serfs. De tels villages sont comme les membres inférieurs du domaine. Au lieu que le domaine fasse partie de la commune rurale, comme de nos jours, c'est le village qui fait partie du domaine et qui lui est subordonné.

D'autre part, il a existé aussi des villages d'hommes libres. On ne voit pas que l'État en ait jamais fondé ; mais il a pu arriver souvent que plusieurs petits propriétaires aient rapproché leurs demeures et formé un groupe. Les inscriptions montrent des vici. qui sont de petites associations ; les membres sont vicani entre eux ; ils peuvent s'entendre pour des travaux d'utilité générale, avoir une caisse commune, élire une sorte de magistrat entre eux[109]. Mais la loi ne reconnaissait pas à ces groupes une véritable individualité. Le groupe rural était toujours partie intégrante de la cité : Si vous êtes né dans un vicus, dit le jurisconsulte[110], vous êtes réputé natif de la ville dont ce vicus fait partie. Ainsi ce village fait partie de la cité, et il en est de même du domaine ; mais le domaine ne fait pas partie du village. Il est à côté, et indépendant. Le propriétaire du domaine est un citoyen de la ville ; c'est à la ville qu'il paye ses contributions ; c'est dans la ville qu'il exerce les fonctions municipales.

Il existait donc des villages en Gaule ; mais en quel nombre, c'est ce qu'on ne saurait dire. Nous connaissons par leurs noms des milliers de domaines ; nous ne connaissons qu'une soixantaine de villages[111]. Les villages semblent avoir été disséminés au milieu des domaines ; les uns étaient des groupes de petits propriétaires ; les autres, situés sur des routes fréquentées, étaient plutôt des groupes de petits marchands ou d'artisans[112]. Mais les domaines couvraient la plus grande partie du sol. Le village dépendait souvent du domaine ; le domaine ne dépendait jamais du village. La suite de nos études montrera que nos villages modernes sont issus, pour les neuf dixièmes, non d'anciens villages gaulois ou romains, mais d'anciens domaines romains.

 

4° DE LA CULTURE DU DOMAINE CHEZ LES ROMAINS.

 

Le domaine était en général trop grand pour être cultivé par les mains de son propriétaire ; il l'était par des esclaves ou serfs, servi. Le maître était propriétaire de ses esclaves comme de sa terre ; il employait les uns à cultiver l'autre. La troupe d'esclaves qui occupait un domaine s'appelait familia. Ne croyons pas que l'emploi de ce mot impliquât quelque pensée ou morale ou charitable ; ce serait, une erreur : le terme familia, dans l'ancienne langue latine, signifiait un objet possédé, un corps de biens, un ensemble de meubles ou d'immeubles, où l'esclave avait naturellement sa place.

Cette troupe se divisait en deux parties bien distinctes, que la langue appelait familia urbana et familia rustica[113]. La première de ces expressions s'appliquait, non pas à des esclaves vivant dans la ville, mais à ceux des esclaves du domaine qui étaient occupés au service personnel du maître[114]. Ainsi, la maison de campagne pouvait contenir des valets de chambre, des cuisiniers, des cochers, des chasseurs et veneurs comme ceux dont parle Pline, des courriers, des secrétaires, des copistes ; tout cela formait, même à la campagne, la familia urbana[115]. La familia rustica comprenait tous ceux qui étaient occupés à la culture.

Déjà le vieux Caton avait fait le calcul du nombre d'esclaves qui étaient nécessaires à une exploitation rurale. Pour 240 arpents d'oliviers, il avait compté qu'il n'en fallait que treize, Il en voulait seize pour 100 arpents de vigne[116]. Quant aux terres en labour, un autre agronome, Saserna, comptait douze hommes pour 100 arpents[117]. Ces chiffres sont dignes d'attention. Nous ne pensons pas que la culture libre de nos jours emploie autant d'hommes sur la même étendue. Saserna compte quatre jours de travail d'esclave pour labourer un arpent d'environ 28 ares. L'esclave ne fournissait donc pas un travail très intense. Ajoutez à cela que, suivant le même écrivain, il fallait lui accorder treize jours de repos sur quarante-cinq. Quoi qu'il en soit, nous voyons que l'usage ordinaire était que chaque esclave eût à cultiver 6 arpents en vigne ou 8 arpents en labour. Retenons ces chiffres ; nous les retrouverons à une autre époque.

Une expression nous frappe dans les textes anciens. Les esclaves qui cultivent un domaine sont appelés instrumentum fundi. On a traduit cette expression comme si Varron et Columelle voulaient dire que l'esclave fût un instrument dans le sens moderne du mot, c'est-à-dire une sorte d'outil matériel et inanimé. Comment auraient-ils cette pensée, eux qui dans leurs écrits recommandent de traiter l'esclave en homme, d'avoir pour lui, non seulement des ménagements et de la pitié, mais des égards, de la familiarité, et même d'écouter ses avis au sujet de la culture[118] ; eux enfin qui sur quarante-cinq jours lui en laissent treize ? C'est que dans leur langue le mot instrumentai ne signifie pas instrument ; il désigne ce qui garnit le domaine. L'esclave figure naturellement dans la garniture du fonds, puisque sans lui le fonds ne serait pas cultivé. Varron écrit : La garniture d'un domaine est de trois sortes ; elle comprend les outils, les animaux, les esclaves[119]. Les jurisconsultes disent la même chose en d'autres termes. Lorsqu'un testateur léguait un domaine, il pouvait à son choix le léguer garni ou non garni, instructum ou non instructum ; et sans doute il en était de même dans la vente. Lorsqu'un domaine était vendu ou légué garni, les esclaves y étaient nécessairement compris ; ils passaient donc avec la terre au nouveau maître[120].

Au début de la période impériale, nous trouvons dans Columelle une description assez nette de la familia rustica. Elle forme un groupe où personne ne travaille isolément ni librement[121]. On la partage, suivant la nature des travaux, en plusieurs offices ou emplois, qu'on appelle officia ou ministeria[122]. Les uns sont laboureurs, les autres vignerons, les autres bergers[123]. Si le domaine est très grand et les esclaves très nombreux, on les répartit dix par dix, et l'on a ainsi des décuries de laboureurs, des décuries de bergers, des décuries de vignerons. Chaque décurie laboure, moissonne ou vendange en commun[124].

Dans cette troupe d'esclaves ruraux on compte des ouvriers. Il y a, en effet, des charrues et des voitures à construire ou à réparer. Il y a sans cesse quelques travaux à faire aux bâtiments et aux toitures. Il y a le blé à moudre, le pain à cuire, les vêtements à tisser et à coudre. Le domaine doit avoir en soi tout ce qui est nécessaire à la vie. Il doit autant que possible ne rien acheter au dehors et ne pas appeler d'étrangers. Il est à lui seul un petit monde et doit se suffire à lui-même. Aussi y trouvons-nous des meuniers, des boulangers, des charrons, des maçons, des charpentiers, des forgerons, même des barbiers pour raser les esclaves[125]. Il existe aussi dans le grand domaine un atelier de femmes, gyænceum ; on y tisse les vêtements nécessaires à tout le personnel[126]. Puisque le village libre, ainsi que nous l'avons dit, n'existe pas ou est rare, il faut bien que tous les éléments dépopulation qui vivraient dans un village de nos jours, existent à l'intérieur du domaine rural de l'époque romaine. Mais ces hommes sont de condition servile, et ils appartiennent au propriétaire du sol.

Pour gouverner tout ce monde il faut des chefs. Chaque décurie de laboureurs ou de bergers a son surveillant ou son instructeur, monitor. Les divers métiers ont leurs chefs de travaux, magistri operum[127]. Quelques hommes ont des emplois de confiance. L'un est sommelier, cellarius[128] ; il distribue les vivres et le vin. L'autre est l'économe ; il tient les registres de compte ; on l'appelle dispensator[129]. Tous ces noms resteront ; dans les domaines monastiques du moyen âge nous retrouverons le cellerier et le dépensier. Tous ces chefs sont des esclaves.

Au-dessus d'eux est le villicus. On se trompe fort quand on traduit ce mot par fermier. Il n'y a ici rien qui ressemble au fermage. Le villicus n'a aucun contrat et ne peut pas en avoir ; car il est toujours un esclave[130]. Il ne travaille que pour le maître à qui il doit compte de la vente des récoltes et de tous les profits. Le maître l'a choisi pour commander à ses compagnons d'esclavage, pour diriger leurs travaux, pour les punir en cas de négligence. Il est le bras et l'œil du maître[131]. A côté de lui se trouvent, si le domaine est de grande valeur, deux autres personnages, qu'on appelle l'actor et le procurator[132]. Le premier est ordinairement un régisseur qui gouverne disciplinairement tout ce qui vit dans l'intérieur du domaine. Le second semble être plutôt un mandataire du maître pour les achats, les ventes, les relations du domaine avec le dehors. Ces deux hommes, quelle que fût leur autorité dans le domaine, étaient de simples esclaves. Cela est attesté par les jurisconsultes du Digeste et par nombre d'inscriptions[133]. C'est surtout dans les choses de l'agriculture que l'esprit romain a su mettre la discipline. L'organisation de la légion est admirable ; celle du domaine rural ne l'est pas moins. Tout y était conduit hiérarchiquement ; tout s'y faisait par ordre, avec une obéissance et une comptabilité parfaites. Que les chefs fussent des esclaves comme les autres, cela n'amollissait pas la discipline. D'une part, le propriétaire était sûr de l'obéissance des chefs, lesquels n'ayant aucun droit civil et ne pouvant rien acquérir pour eux-mêmes, étaient absolument à sa discrétion. D'autre part, les Romains savaient par expérience que l'autorité sur les esclaves n'est jamais plus ponctuellement exercée que par d'autres esclaves. Les maîtres eussent été peut-être moins durs, surtout moins clairvoyants. Pline le Jeune écrit qu'il est un maître fort indulgent ; ses villici et ses actores l'étaient sans doute moins que lui, et par eux l'ordre sévère se maintenait. Encore au cinquième siècle, avec le grand adoucissement des mœurs dans la population libre, les esclaves tremblaient de peur devant l'actor et le silentiarius qui les accablait de punitions et de coups ; c'est Salvien qui le dit, et il ajoute : ils sont terrifiés par ces surveillants, qui sont pourtant des esclaves comme eux, et contre leur dureté ils vont chercher un refuge auprès du maître[134].

Ce qui caractérise surtout ce mode de culture par des mains serviles, et ce qui en fait le principal vice, c'est que le cultivateur ne tirait aucun profit personnel de son labeur. Jamais il ne travaillait pour soi. Il ne travaillait même pas isolément. Il faisait partie d'un groupe, d'une décurie ; il allait avec elle, chaque matin, sur telle partie du terrain que le chef lui indiquait ; avec elle, il allait le lendemain sur une autre partie. Il n'y avait dans son travail ni intérêt ni personnalité. Nourri et vêtu, recevant chaque jour sa part réglementaire de farine et de vin, et à chaque saison son vêtement, il n'avait rien à gagner ni rien à perdre. Il ne connaissait même pas cette sorte d'attachement que notre paysan éprouve pour le morceau de terre qu'il cultive ; car il ne cultivait pas deux jours de suite le même morceau de terre. Ce qu'il avait semé, c'était un autre esclave qui le moissonnait. Son travail était sans récompense, comme il était sans amour. Nous pouvons bien penser que ce travail forcé était lâche, mou, maladroit, souvent à refaire et stérile. L'esclave coûtait peu au maître, mais il lui rapportait peu. Cet esclave n'avait pas non plus sa demeure à lui, sa cabane. Il ne connaissait que la demeure commune. Ce n'était pas seulement la liberté qui lui manquait, c'était le chez-soi.

 

5° LA TENURE SERVILE.

 

Après l'esclavage rural que nous venons de décrire, est venu le servage de la glèbe. Le caractère essentiel et précis qui a distingué l'un de l'autre est que, tandis que les esclaves ruraux travaillaient en troupe sur toute la terre dû maître, le serf a travaillé isolément sur un lot de tenure et en a eu les profits sous des conditions déterminées.

Ce genre de servage, qui devait prévaloir au moyen âge, n'était pas inconnu de l'antiquité. Il était en pleine vigueur chez les Germains. Quelques sociétés encore plus anciennes l'avaient pratiqué. Les ilotes de Sparte, les pénestes de la Thessalie, les clérotes de la Crète, peut-être les thètes de l'Attique avant Solon, avaient été des serfs de la glèbe. En effet, ils avaient cultivé la terre de père en fils ; placés chacun sur un lot distinct, ils n'avaient pu être ni vendus ni séparés de leur terre, et n'avaient eu d'autre obligation que dé rendre au maître une forte partie de la récolte. Ce sont bien là les traits auxquels on reconnaît des tenanciers serfs. Par leur condition sociale ils étaient esclaves, par leur occupation héréditaire ils étaient tenanciers du sol. On voit poindre ce servage dans la société romaine, mais très tard. Rien de pareil dans l'ancienne histoire de Rome. La situation des clients primitifs ne ressemblait eu rien au servage ; ils étaient légalement hommes libres, et c'est à la famille, non à la terre, qu'ils étaient attachés. Dans tout ce qu'on sait du vieux droit romain, on ne trouve aucune disposition qui puisse s'appliquer au servage de la terre. Rome ne connaissait légalement qu'une sorte d'esclavage, celui qui enchaînait l'homme à la personne du maître et le mettait à sa discrétion. C'est un fait digne d'être noté que les Romains, à mesure qu'ils conquéraient le monde, n'y aient pas établi le servage à leur profit comme avaient fait d'autres peuples conquérants. On sait qu'ils s'emparèrent de la plus grande partie des terres des vaincus ; on sait aussi qu'ils furent fort embarrassés de ces immenses territoires et ne surent souvent comment les mettre en valeur. Ils ne pensèrent pourtant pas à les faire cultiver par les anciens habitants sous condition de servage. C'est seulement plus tard, au temps de l'empire, que le servage commence à apparaître chez eux. Encore n'est-il jamais une condition légale. Aucune loi, aucune mesure de l'autorité publique, aucun règlement d'ensemble ne l'institue. Les lois ne le reconnaissent même pas ; vous ne trouvez ni au Digeste ni dans les Codes aucun article qui le régisse. Il n'est pas une institution, il est à peine une pratique.

On supposerait à première vue qu'il s'est introduit dans l'empire avec l'entrée d'une nouvelle population servile. Si l'on pouvait constater, en effet, que des multitudes de serfs germains ont été amenées dans l'empire, et si l'apparition du servage coïncidait brusquement avec leur arrivée, on aurait trouvé la date exacte et la vraie source du servage en Italie et en Gaule. Mais cette constatation ne peut pas être faite. Au contraire, s'il est une vérité qui se dégage de l'état des documents et de leur silence même, c'est que ce servage ne s'est pas produit à une date précise, ni par l'effet de l'entrée d'une population nouvelle. Remontez de génération en génération, vous n'en trouverez pas une où le servage surgisse tout à coup. Il s'est formé lentement, obscurément, sans que personne l'ait pour ainsi dire remarqué. Il est venu d'une légère modification dans les usages ruraux. Un propriétaire avait jusque-là fait cultiver son domaine par sa troupe d'esclaves ; il a permis à un de ces esclaves de travailler isolément ; il lui a accordé, au lieu de labourer ici ou là sous les ordres du villicus, de labourer un même champ d'année en année et toute sa vie. Il lui a confié ce petit champ, lui permettant et lui enjoignant tout à la fois de le cultiver à ses risques et profits. Par là, cette parcelle du domaine s'est changée en une tenure, et cet esclave s'est changé en un serf de la glèbe.

Cette obscure transformation date de très loin, et il est impossible de dire à quelle époque elle a commencé. Déjà au temps où Varron écrivait son traité d'agriculture, on voyait quelquefois le propriétaire concéder aux plus laborieux de ses esclaves un pécule ; or il ressort de ce passage de l'écrivain que ce pécule ne consistait pas en argent, mais en un petit troupeau et en un coin de terre[135]. Accordez cela à vos bons serviteurs, dit-il aux maîtres ; ils en seront plus attachés à votre domaine[136]. Voilà peut-être le germe de la tenure servile et de l'attache à la glèbe.

La tenure servile apparaît un peu plus nettement chez les jurisconsultes du deuxième et du troisième siècle. Il leur arrive plusieurs fois de mentionner un esclave qui cultive un champ à son compte en payant une redevance à son maître, comme ferait un fermier[137]. Ulpien appelle même cet esclave un quasi-fermier. Il ne peut pas être un fermier véritable, parce qu'aucun contrat de location n'est possible entre le maître et son esclave ; mais il ressemble matériellement au fermier, puisqu'il cultive un champ et qu'il en a la récolte en payant au maître une part convenue. Le jurisconsulte Paul signale aussi l'esclave qui travaille à la terre pour son compte et qui paye au propriétaire une rente déterminée à l'avance[138]. Cervidius Scævola montre un esclave qui a eu un champ à cultiver et qui, au moment de la mort de son maître, est en retard pour le payement de la redevance[139]. Un autre jurisconsulte signale comme chose assez ordinaire qu'un propriétaire loue à un esclave une terre à cultiver et lui donne en même temps des bœufs de labour[140]. Il ne se peut agir visiblement d'un louage régulier et formel ; le droit ne l'admettrait pas. C'est une convention purement verbale et qui ne serait d'aucune valeur en justice si une contestation surgissait entre ce maître et cet esclave.

Ce n'en est pas moins une sorte de contrat tacite, et il se maintiendra aisément, car il est dans l'intérêt des deux hommes. L'esclave aime mieux travailler pour lui et pour le maître à la fois que de travailler pour le maître seul, comme il faisait auparavant. Quant au maître, il trouve aussi son profit : il est sûr que cette parcelle de terre lui produira quelque revenu, puisqu'il y a un homme qui a intérêt à ce qu'elle en produise. Quoi de, plus avantageux que ce quasi-fermier qui est un esclave ? Avec lui nul procès possible, et l'éviction toujours facile. Le prix de fermage était ce que le maître voulait. Remarquez même qu'il pouvait se montrer indulgent sans y rien perdre ; il pouvait faire à son esclave les conditions les plus douces, n'exiger qu'une redevance légère, lui permettre de vivre heureux et presque de s'enrichir ; car tout ce que l'esclave acquérait était acquis pour le maître. A la mort de cet esclave, le maître reprenait en sa main, d'une part le champ amélioré par le travail, d'autre part les meubles et l'argent de son esclave. Le maître avait pu être bon pour son esclave sans qu'il lui en coûtât rien.

Telle est, si nous ne nous trompons, l'origine première du servage de la glèbe chez les Romains. Il se greffe en quelque sorte sur l'esclavage antérieur. Il est l'ancien esclavage qui se continue avec une seule modification. Le serf est le même homme que l'ancien esclave ; mais, au lieu de travailler en troupe, il travaille sur un champ particulier et suivant des conditions qui lui sont personnelles. Ce servage ne débute pas tout à coup comme institution générale ; il n'est encore qu'un fait individuel. Il se produit d'abord sur un domaine, puis sur un autre, et peu à peu sur tous. Il ne s'établit pas sur le domaine tout entier, mais seulement sur une partie du domaine. Le maître ne transforme pas d'un seul coup tous ses esclaves en tenanciers ; en effet, nous verrons plus loin qu'il est toujours resté sur chaque domaine un bon nombre d'esclaves travaillant en commun suivant la règle ancienne. C'est tel ou tel esclave qui, individuellement, a été changé en tenancier serf par la volonté du maître.

La condition légale de cet homme n'était pas modifiée. En droit, il restait un esclave. Aucun article du Digeste, aucune loi des Codes ne lui fait une situation spéciale. Le maître, en le plaçant sur une parcelle de son domaine, ne l'avait nullement affranchi. Il ne lui avait conféré aucun droit, n'avait renoncé à aucune partie de son pouvoir sur lui-même. Cet esclave n'avait pas plus que l'esclave ordinaire la protection des lois et des tribunaux. N'étant pas homme libre, il n'avait aucun recours contre le maître. Si ce maître lui reprenait son champ, il n'avait aucun moyen de lui résister. Esclave, il ne pouvait prétendre à aucun droit sur le sol. La terre qu'il occupait et cultivait restait sans conteste la terre du maître. A sa mort, il est hors de doute que le maître la reprenait, comme il reprenait tout pécule. On sait bien que les enfants de l'esclave n'héritaient pas de lui ; comment auraient-ils songé à hériter d'une terre qui n'était même pas à lui ? Mais en même, temps le maître dut s'apercevoir que cette parcelle de terre était bien cultivée, vigoureusement labourée, que les animaux y étaient bien entretenus, qu'il n'y avait pas de gaspillage dans les récoltes. La petite redevance qu'il en tirait était un profit sûr, et dépassait peut-être ce que l'exploitation directe lui eût donné. L'esclave travaillait plus ; la terre et le propriétaire s'en trouvaient mieux. Les plus sûrs progrès sont ceux que les divers intérêts s'accordent à accomplir en commun. Il arriva donc naturellement que le maître, sans y être forcé par aucune loi, laissa la terre aux mains du même esclave toute sa vie, et qu'après sa mort il la laissa encore aux mains de ses enfants. La tenure servile acquit ainsi quelque permanence.

Ni les lois ni le gouvernement n'avaient à s'occuper de faits qui se cachaient dans l'intérieur des domaines. Pourtant, lorsque ces faits se furent multipliés et que ces situations se furent fixées par un long usage, l'autorité publique fut amenée à en tenir compte. On sait qu'il fut fait un grand effort, à la fin du troisième siècle, pour arriver à une répartition plus égale de l'impôt foncier, et peut-être aussi pour lui faire produire davantage. Les auteurs des nouveaux cadastres, trouvant sur les champs beaucoup d'esclaves à demeure, imaginèrent de faire de ces cultivateurs un élément d'appréciation du revenu foncier, et ils en vinrent naturellement à les inscrire sur les registres du cadastre. De là ces serfs ascrits dont il est parlé souvent dans les codes. Peut-être cette mesure aggrava-t-elle leurs charges pécuniaires ; en revanche elle affermit leur situation et leur donna une plus grande sécurité. Les inscrire sur les registres de l'impôt, c'était reconnaître légalement leur condition. C'était leur fournir une sorte de titre d'occupation sur la terre. C'était presque interdire au maître de les déposséder, ou lui rendre l'éviction plus difficile. Insensiblement le législateur alla plus loin : il interdit au maître de vendre ces esclaves, à moins qu'il ne vendît en même temps la terre qu'ils occupaient[141]. Ce n'était pas précisément défendre au maître de leur enlever leurs tenures ; mais c'était lui enlever le principal intérêt qu'il aurait eu parfois à les leur reprendre. Par là cet esclave fut réellement attaché à un lot de terre. Il le fut en ce double sens qu'il ne dut jamais quitter son champ et que son maître ne put guère lui enlever ce même champ. Dire que cet esclave acquit par là des droits sur la terre serait trop dire. Mais il s'établit une pratique par laquelle une famille d'esclaves vécut pendant plusieurs générations sur une même glèbe. L'usage et les mœurs firent que ces hommes ne furent plus regardés comme les esclaves du maître, mais comme les serfs de la terre.

N'oublions pas d'ailleurs que ce ne fut pas toute la classe servile qui passa d'un coup dans cette nouvelle condition ; ce n'en fut qu'une très petite partie. A côté des serfs à tenure que le code théodosien appelle serfs casés[142] ou serfs ayant un domicile individuel, il y eut encore les esclaves qui continuaient à travailler par groupes sur l'ensemble du domaine et à habiter en commun dans la maison du maître. Il est impossible de dire dans quelle proportion numérique ces deux catégories d'hommes étaient entre elles. Il nous paraît certain que les serfs casés ne furent, au temps de l'empire romain, qu'une faible minorité. C'est plus tard qu'ils sont devenus nombreux, et plus tard encore qu'ils ont fait disparaître l'autre forme de l'esclavage. Le germe s'est formé dans la société romaine ; il se développera dans la société mérovingienne.

 

6° LA TENURE D'AFFRANCHI.

 

C'est ici l'un des points les plus obscurs de notre sujet, et nous ne pouvons pourtant pas le laisser de côté. Il s'agit de la condition des affranchis ruraux.

Nous avons étudié ailleurs[143] la nature et les effets de l'affranchissement chez les Romains. Nous avons constaté qu'il dépendait uniquement de la volonté du maître, que le maître pouvait y mettre toutes les conditions et réserves qu'il voulait, que l'affranchi ne devenait jamais un homme complètement libre, qu'il restait assujetti à son ancien maître, et qu'il lui devait, non seulement du respect, mais des journées de travail et au moins une part dans sa succession. Nous avons vu aussi que les obligations de l'affranchi variaient suivant le mode d'affranchissement, et que pour cela on avait distingué les affranchis en trois catégories, auxquelles l'usage avait donné les noms de romains, latins et déditices.

Cette classe des affranchis était très nombreuse ; Tacite fait entendre que dans la ville de Rome elle l'emportait beaucoup sur la population née dans la liberté, et nous pouvons penser sans trop de témérité qu'il en était de même dans l'Italie et les provinces. Nous n'avons pas à nous occuper ici de ceux qui vivaient et travaillaient dans les villes ; mais nous voudrions savoir quelle était la destinée de ceux qui restaient dans les campagnes. Malheureusement, les écrivains ne nous parlent guère que des affranchis des villes ; les jurisconsultes, lorsqu'ils cherchent des exemples, citent plus volontiers l'affranchi orfèvre, ou médecin, ou pédagogue, ou marchand, que l'affranchi laboureur. Les choses rurales sont toujours celles dont la littérature s'occupe le moins.

Quelques passages, comme échappés aux écrivains, laissent pourtant apercevoir que les affranchis étaient nombreux dans les campagnes. Nous voyons, par exemple, dans Tite-Live que Rome, faisant une levée de paysans pour armer une flotte, remplit vingt-cinq quinquérèmes d'hommes qui étaient de la classe des affranchis citoyens romains[144]. César nous montre, au début de la guerre civile, Domitius se faisant une petite flotte en armant des affranchis de ses domaines d'Étrurie. Voilà donc un propriétaire qui avait des centaines et peut-être des milliers d'affranchis sur ses terres. L'empereur Auguste, en un moment où il manquait de soldats, ordonna aux propriétaires de donner pour le service militaire un certain nombre de leurs affranchis[145]. Pendant tout l'empire, les armées romaines se sont recrutées, en grande partie, d'hommes qui n'étaient pas nés libres. Le corps des vigiles, corps d'élite qui avait la garde de Rome, était formé d'affranchis latins. Les légions, il est vrai, devaient être composées d'hommes libres ; mais les cohortes auxiliaires étaient pleines d'hommes qui ne recevaient les droits complets du citoyen que comme récompense de seize ans de bon service militaire. Au quatrième, au cinquième siècle, la population libre, de plus en plus réduite en nombre, ne fournissait que quelques corps d'élite et les officiers des autres troupes ; mais la masse des soldats venait d'ailleurs. Observez la conscription telle que l'empire l'établit alors ; elle pèse surtout sur les paysans, elle exclut la plupart des professions urbaines ; et parmi ces paysans, elle exclut encore les esclaves : en sorte qu'il est visible qu'elle ne reçoit guère que les affranchis ruraux[146].

Ces faits montrent bien que les affranchis ruraux étaient nombreux ; mais quelle était leur condition ? La phrase relative à l'enrôlement des affranchis par Auguste prouve qu'ils étaient dans la dépendance des propriétaires. En effet, il ne les enrôla pas directement lui-même, il ne leur enjoignit pas de venir donner leurs noms comme faisaient les citoyens romains ; il dut s'adresser à leurs propriétaires. Il obligea chacun de ces maîtres, suivant le chiffre de sa fortune, à donner un certain nombre de ses affranchis. Cela implique que ces hommes étaient moins sujets de l'État que sujets d'un maître. De même au quatrième siècle, quand l'empire ordonne une levée de paysans, c'est aux propriétaires qu'il envoie ses ordres et il fixe à chacun d'eux le nombre d'hommes qu'il doit fournir. Ce mode de conscription est celui qui est usité dans les pays où les paysans appartiennent à des seigneurs. Nous arrivons ainsi à penser que les affranchis composaient un des éléments de la population d'un grand domaine, et qu'ils y vivaient comme sujets du propriétaire du sol.

Pouvons-nous aller plus loin, et essayerons-nous de voir quelle était leur situation spéciale dans l'intérieur du domaine ? C'est ici qu'il faudrait que l'antiquité nous eût laissé plus de renseignements. Exerçaient-ils les fonctions d'intendant du domaine, de villicus, de procurator, et à ce titre dirigeaient-ils l'exploitation ? Cette hypothèse doit être écartée. Le villicus et le procurator n'étaient pas des affranchis, mais des esclaves. Il ne semble pas que les Romains aient jamais eu l'habitude de faire commander leurs esclaves par leurs affranchis. Ces affranchis du domaine, laboureurs pour la plupart, travaillaient-ils en commun dans le groupe servile ? Cette hypothèse encore est difficile à admettre. La demi-indépendance de l'affranchi le mettait certainement au-dessus d'un travail impersonnel au milieu des esclaves. Il ne reste plus qu'une supposition à faire, c'est que le maître qui l'avait affranchi lui ait donné en même temps un petit lot de culture et ait fait de lui un tenancier. Mais c'est ici un point obscur qui ne sera jamais éclairci. Les seuls documents qui seraient de nature à nous renseigner, c'est-à-dire les polyptyques, les livres du cadastre, les registres de propriété, ont tous péri. Mais, deux siècles après l'empire romain, des documents de cette sorte ont été conservés ; ils sont certainement de même nature que ceux de l'époque impériale et ils en conservent la tradition ; or ces documents nous montreront des affranchis qui sont tenanciers de père en fils et depuis plusieurs générations.

 

7° LES TENURES DES FERMIERS.

 

Le travail servile n'était pas le seul mode d'exploitation d'un domaine. Il y eut toujours dans la société romaine beaucoup d'hommes libres qui, ne possédant aucune part de sol, ne demandaient qu'à vivre en cultivant le sol d'autrui ; et il y eut aussi des lois qui obligèrent les propriétaires à employer des bras d'hommes libres sur leurs domaines. Varron écrit que les terres sont cultivées, partie par des esclaves, partie par des hommes libres[147], et nous voyons la même chose dans Columelle. Cette culture libre se présentait surtout sous la forme du louage de terre. Il nous faut observer ce louage, dans le droit d'abord, dans la pratique ensuite[148].

En droit le louage était un contrat. On l'appelait proprement locatio-conductio[149]. Si l'on employait ainsi deux termes à la fois, c'est parce que l'esprit romain voyait là deux actes, deux rôles, deux personnages égaux en droit. Il y avait un bailleur et un preneur. Du côté du bailleur l'acte était une locatio ; il était une conductio du côté du preneur. Le premier plaçait sa terre dans les mains d'un autre ; le second faisait valoir cette terre. Un tel contrat supposait deux personnes de condition libre. Il n'y avait jamais contrat avec un esclave ; le louage ou fermage n'existait donc pas pour lui.

Ce louage était un contrat bilatéral. Il obligeait également les deux parties. Toute violation du pacte donnait lieu à une action en justice, actio locati pour le bailleur, actio conducti pour le preneur. Il ne pouvait être résilié que par l'accord des deux parties, ou par suite de la violation d'une clause par l'une d'elles.

La teneur de chaque contrat s'appelait lex, lex locationis, lex conductionis[150]. Il pouvait s'y trouver des clauses très variables ; mais il y en avait deux qui étaient essentielles et nécessaires. Par l'une, le propriétaire s'engageait à assurer la jouissance ; par l'autre, le fermier s'engageait à payer le prix annuel de cette jouissance. Ce prix s'appelait merces et chacun des payements successifs s'appelait pensio[151].

Le contrat était en général temporaire, bien que la loi n'exigeât pas qu'une limite de temps fût fixée. Ordinairement le terme auquel chaque partie devait reprendre sa liberté, était marqué dans l'acte. Les jurisconsultes mentionnent toujours des baux de cinq ans, in quinquennium, et nous voyons aussi dans les lettres de Pline que c'était pour cinq ans qu'il louait ses terres[152]. Cela ne prouve pas qu'il n'y eût jamais de baux plus longs ; mais le bail de cinq ans était sans nul doute le plus habituel, au moins dans les premiers siècles de l'empire. Ce ne fut guère qu'à partir du quatrième siècle que l'on préféra les baux à long terme.

La tacite reconduction était d'ailleurs admise. Si, à l'expiration du terme, le fermier restait sur le sol de l'aveu du propriétaire, cet accord des deux volontés impliquait un renouvellement de la convention première. Cette nouvelle location n'avait, il est vrai, d'effet que pour un an ; mais elle pouvait se renouveler, d'année en année, indéfiniment[153].

Il est digne d'attention que le contrat de louage, à la différence de certaines conventions que nous verrons plus tard, n'avait pas un caractère personnel, c'est-à-dire que l'effet n'en était pas attaché à la personne des contractants. Aussi n'était-il pas rompu par la mort. Si le preneur mourait, le bail passait, intact et sous les mêmes conditions, à son héritier[154]. Il en était de même, à plus forte raison, en cas de mort du bailleur. De même encore si le propriétaire vendait le domaine, cette vente ne rompait pas le contrat à l'égard du fermier, dont le bail se continuait avec le nouveau propriétaire[155].

Le fermier n'était attaché à la terre que jusqu'au terme de son contrat. Qu'il puisse ensuite quitter la terre, dit le jurisconsulte, cela ne fait doute pour personne[156]. Le propriétaire n'a pas le droit de retenir un fermier malgré lui, ni à plus forte raison le fils de son fermier[157]. Ce fermier reste toujours un homme libre ; sa culture ne le subordonne pas légalement au propriétaire. Notre fermier, dit un jurisconsulte, n'est pas en notre puissance[158]. Entré libre sur la terre, il en sortira libre, dès que son contrat sera expiré.

Le nom légal du fermier était conductor, et ce nom se trouve dans plusieurs inscriptions et dans les lois[159]. Mais le nom usuel dont il était appelé dans la langue vulgaire, était colonus. Ce terme, qui d'ailleurs ne signifie pas autre chose que cultivateur, est appliqué aux fermiers libres, même par les jurisconsultes, depuis le premier siècle jusqu'au troisième[160].

Tel était le louage de terre dans le Droit. Pour ce qui est de la pratique, nous devons observer certains traits qui ne sont pas sans importance. Lorsque Caton, Varron, Columelle décrivent l'exploitation du domaine, ils ne le montrent jamais exploité par un seul fermier ; toujours ils le montrent administré par un villicus qui est un esclave du maître et qui n'a aucun contrat de louage. Tel est l'usage ordinaire. Où sont donc les fermiers, les coloni ? Horace nous décrit la propriété que Mécène lui a donnée ; nous y voyons qu'elle est régie par son villicus, et qu'il s'y trouve huit esclaves[161] ; mais nous y voyons en même temps cinq hommes qu'il qualifie du titre de boni patres et qui ont chacun un foyer[162]. Il est visible que ceux-ci ne sont pas des esclaves. Jamais esclave ne serait qualifié père, même en poésie, et jamais on ne dirait de lui qu'il a un foyer. Ils sont hommes libres et citoyens. Chacun d'eux est sur la terre d'Horace comme cultivateur libre : a-t-il un contrat en bonne forme ? je ne sais ; mais il est certainement un fermier, et, moyennant une rente, il a les profils de ce qu'il cultive. Voilà les fermiers de l'époque romaine, non pas fermiers du domaine entier, mais fermiers de petits lots qu'ils cultivent de leurs bras et avec les bras de leur famille[163].

Cet exemple est confirmé par d'autres. Pline est sur le point d'acheter un domaine, et il écrit que cette terre est dans les mains de petits fermiers très pauvres[164]. Les jurisconsultes du Digeste citent une clause habituelle des testaments ; on lègue tel domaine avec l'arriéré des fermiers. Il y a donc d'ordinaire plusieurs petits fermiers sur un seul domaine, et il s'y trouve aussi des esclaves, et un villicus pour régir l'ensemble.

Nous sommes frappé de voir combien la loi romaine traite le fermier en être faible et inférieur. D'une part, elle a si peu de confiance en ses moyens, qu'elle veut que tout ce qu'il a serve de gage au propriétaire[165]. D'autre part, elle le protège à la façon des faibles ; les jurisconsultes recommandent au propriétaire d'user d'indulgence envers lui, et, pour peu que la récolte soit mauvaise, de lui accorder un dégrèvement de fermage[166]. Ils parlent sans cesse de fermiers qui n'ont pas pu s'acquitter, et il semble que dans le legs ou dans la vente d'un domaine il fallût toujours tenir compte de l'arriéré des fermiers.

Columelle conseille aussi de ménager les fermiers ; ne soyez pas trop rigoureux s'ils ne vous apportent pas leur argent aux jours fixés[167]. Aussi Columelle place-t-il ces hommes fort près des esclaves, comme s'il n'y avait pas, à part la dignité d'hommes libres, une grande différence entre les uns et les autres. Les fermiers de Pline sont aussi de fort petites gens, toujours endettés et besogneux. Il parle de fermiers à qui le propriétaire a infligé la saisie des gages, et plusieurs fois ; aussi sont-ils dans une extrême misère ; ils sont incapables de cultiver, n'ayant plus ni outils, ni animaux[168].

Nous devons donc penser que dans la pratique la plus ordinaire des Romains le fermage n'est qu'une situation secondaire. Les fermiers sont subordonnés au villicus, au procurator, à l'actor, qui sont pourtant des esclaves. Ils ne sont pas les régisseurs du domaine, les maîtres temporaires du sol ; ils ne sont qu'en sous-ordre. Ce sont de petits tenanciers. Ils occupent des parcelles de la terre du maître à côté d'esclaves qui en cultivent une autre partie ; et le domaine se partage en cultures serviles et cultures libres, sans qu'on puisse dire qu'il y ait une grande différence entre les deux sortes de cultures.

Le contrat de louage a été pratiqué dans toute la période impériale. On le trouve encore mentionné dans des lois des années 400 et 411[169]. Il en est question dans des lettres et dans des écrits du cinquième siècle[170]. Il a donc pu passer de la société romaine à la société du moyen âge et aux sociétés modernes. Mais il est bon de remarquer que le fermage des derniers temps de l'empire était d'un usage relativement rare et s'appliquait surtout aux grandes terres du domaine impérial ou de l'Église. Quant à la petite tenure libre que nous avons constatée chez Varron et chez Pline, elle s'était peu à peu effacée, probablement par suite de la misère des petits fermiers, et, sans disparaître absolument, elle avait presque partout fait place à une autre pratique dont nous allons parler.

 

8° LES TENURES DES COLONS.

 

Ce qui prit la place du petit fermage, ce fut le colonat. L'historien qui veut connaître cette institution fait une première remarque : elle ne porte pas un nom particulier, et ce nouveau colon n'est pas appelé autrement que l'ancien fermier, colonus. Ainsi la langue des peuples a successivement appelé du même terme, d'abord le cultivateur qui était un fermier libre, puis le cultivateur qui était attaché au sol. Ce n'est pas une chose insignifiante que ces deux conditions si différentes et qui succédaient l'une à l'autre aient été désignées par le même nom. On ne supposera pas que les peuples soient convenus, quelque jour, de changer le sens du mot ; les mots sont ce qu'on change le moins dans une société. C'est plutôt le cultivateur qui, en gardant son nom, a changé de condition. Il avait été libre de quitter la terre, il a cessé de l'être ; mais on lui a laissé sa dénomination de colon, et ce mot ancien s'est appliqué à une situation nouvelle.

Ne pensons pas d'ailleurs que cette transformation se soit faite par une loi ; on chercherait en vain une telle loi dans les codes romains. Elle n'a pas été édictée par un gouvernement ; le gouvernement impérial n'eut jamais ni la volonté ni la force d'opérer une pareille révolution, qui d'ailleurs ne pouvait lui servir en rien. Le changement du fermier en colon a été graduel, insensible, longtemps invisible. Il ne s'est pas opéré par masses, mais par individus. Il s'est accompli sur une série de familles avant d'apparaître dans la société. Le terrain de cette révolution a été l'intérieur de chaque domaine rural. C'est même pour cela que nous la connaissons si peu. Aucun historien du temps n'a eu à parler d'elle. Ce n'est qu'à de rares et obscurs indices que nous pouvons l'entrevoir et l'étudier[171].

Le colon n'était pas un serf. Ceux qui ont confondu le colonat avec le servage de la glèbe ont été induits en erreur par quelques apparentes analogies et par une phrase du Code Justinien inexactement traduite[172]. Les lois romaines distinguent toujours, et en termes fort nets, le colon de l'esclave. Maintes fois ce colon est qualifié d'homme libre[173]. Aussi possède-t-il ce qu'un esclave n'aurait jamais, une famille et des droits civils. A l'opposé de l'esclave, il hérite de son père, et ses enfants héritent de lui[174]. Il peut posséder en propre. Sa tenure, bien entendu, n'est jamais sa propriété ; mais, en dehors de sa tenure, aucune loi ne l'empêche d'être propriétaire d'un immeuble[175]. Il peut tester en toute liberté pour ce qui est à lui. Enfin il a la protection des lois et le droit de se présenter en justice. Il peut plaider même contre son maître[176]. Nous avons un rescrit d'Honorius qui s'étonne que le colon ait un tel droit, et qui ne peut pourtant pas le lui ôter tout à fait[177].

Sur un point le colon n'est pas libre : il ne doit ni quitter sa terre, ni cesser de la cultiver. Les lois disent qu'il ne peut s'éloigner de cette terre un seul jour[178]. Par là, il semble qu'il appartienne à son champ, et qu'il en soit comme l'esclave[179]. Il est bien vrai que, juridiquement, le colonat n'est pas une servitude ; il n'est pas une condition inhérente à la personne ; mais s'il n'est pas une servitude, il est un lien : nexus colonarius, dit le législateur[180]. Voilà la vraie définition du colonat : il est un lien ; et notons que ce lien n'est pas entre un homme et un maître, mais entre un homme et une terre. Sans la terre il n'y aurait pas de colon. Sans la terre, cet homme serait aussi libre que tout autre citoyen.

Il faut surtout se convaincre que le lien que le colon a contracté avec la terre est aussi bien à son avantage qu'à son détriment. Il ne doit pas quitter cette terre ; mais en compensation la jouissance de cette terre lui est assurée. Le propriétaire n'a pas plus le droit d'évincer un colon que celui-ci n'a le droit de laisser la terre. Prenez toutes les lois sur ce sujet ; elles impliquent que le cultivateur aura toujours sa terre et que le propriétaire ne la lui enlèvera pas. Mais en retour le propriétaire exige qu'il reste ; fugitif, il le poursuit, il le reprend, il le ramène par la force. En résumé, le lien entre la terre et l'homme ne peut être brisé ni par le colon ni par le maître.

Nous apercevons, il est vrai, dans quelques lois qu'il n'est pas sans exemple que ce lien soit rompu ; nous voyons des colons qui deviennent soldats[181], d'autres qui deviennent prêtres. Mais il faut, pour que ce changement soit légitime, que le maître l'ait autorisé[182]. Le lien ne peut être brisé que par l'accord de volonté des deux hommes.

Le propriétaire ne peut pas vendre son domaine sans vendre en même temps les colons qui l'habitent[183]. Cela signifie, au fond, qu'en vendant son domaine il assure à ses colons la conservation de leurs tenures sous le nouveau propriétaire. En effet, une autre loi interdit à l'acquéreur d'amener avec lui de nouveaux colons au préjudice des anciens[184].

Le colon est donc inséparable de la terre ; il fait corps avec elle ; Justinien l'appelle membrum terræ. Il peut se marier avec une femme de sa condition[185] ; mais encore faut-il que cette femme soit du même domaine que lui. Règle singulière et qui pourtant s'explique. S'il en était autrement, il y aurait formariage, et l'un des deux conjoints serait nécessairement perdu pour l'un des deux domaines. Cela ne peut se faire que si les deux propriétaires sont d'accord pour le permettre ou pour faire entre eux un échange de personnes. C'est ce qu'on retrouvera au moyen âge et ce qu'on voit déjà sous l'empire romain[186].

Les fils du colon sont nécessairement colons. Ils héritent à la fois des avantages du père et de ses obligations. Ils gardent sa terre de plein droit et forcément.

Regardons le colon dans l'intérieur du domaine rural dont il occupe une parcelle, et cherchons quelle est sa situation. A-t-il un maître, comme l'esclave ? Pas précisément. Remarquez que la loi ne dit pas le maître du colon, elle dit le maître de la terre du colon[187]. Mais il se trouve que la langue latine n'a qu'un seul mot pour signifier propriétaire et maître, dominus. Il en résulte que le colon emploie en parlant au propriétaire du sol le même terme qu'emploie l'esclave. Cet homme n'est pas son maître, mais l'usage est de l'appeler du même nom que s'il l'était. Rien des confusions d'idées peuvent naître de là. L'influence des mots dans les mœurs est incalculable. Il ne faudra pas longtemps pour que ce propriétaire et ce paysan arrivent également à penser que l'un des deux est le maître de l'autre[188].

Il subsiste pourtant une grande différence entre l'esclave et le colon : c'est que le propriétaire ne peut obliger le colon à aucun autre genre de travail qu'à la culture du sol[189]. Il n'a pas le droit de l'attacher à son service personnel ; il ne peut pas l'appliquer à un métier.

Pour son travail agricole, le colon ne fait pas partie d'un groupe qui laboure ou qui moissonne sous les ordres d'un monitor. Nous ne trouvons pas de décuries de colons, comme nous trouvions des décuries d'esclaves. Le colon est seul au labour et seul à la moisson. Il ne transporte pas non plus ses bras et son travail sur telle ou telle partie du domaine qu'un chef lui indique chaque jour. Il a son lot de terre et il le cultive toute l'année. Il laboure, sème et récolte à la même place. Pour la culture, nous n'apercevons pas qu'on lui donne des ordres, qu'on le dirige. Vraisemblablement, il cultive à sa guise et sous sa responsabilité. Il jouit des fruits. Sans doute, il doit au maître une part de sa récolte ; mais le reste est pour lui. Une loi nous montre cet homme vendant lui-même ses produits au marché de la ville voisine[190].

Avait-il toujours le même lot de terre, la même tenure ? Ici une affirmation absolue serait trop hardie. Les lois ne disent jamais que le colon occupe le même champ toute sa vie. Elles n'interdisent jamais au propriétaire de déplacer un colon, c'est-à-dire de lui faire changer de tenure. Il est probable qu'il n'y a pas eu d'abord une règle constante sur ce point. Peut-être les pratiques les plus diverses ont-elles été usitées. N'oublions pas que le colonat n'est pas une institution qui ait été créée et réglée d'un coup par le législateur. Le colonat n'est qu'un ensemble d'usages ruraux, et ces usages pouvaient varier à l'infini. Il a pu se faire que les colons changeassent annuellement ou périodiquement de tenures à la volonté dû maître. Il a pu se faire aussi que sur certains domaines les colons aient cultivé en communauté, se partageant le sol entre eux périodiquement. Tout cela est possible, et sur tant de milliers de cas, ces cas ont pu se produire ; ce n'est pourtant qu'une conjecture.

Ce qui fut sans doute plus fréquent et ce qui paraît assez bien dans les textes, c'est que le colon occupât toute sa vie la même tenure. Nous avons vu en effet que les colons n'étaient pas issus des anciens esclaves ruraux, mais des anciens fermiers. La législation du quatrième et du cinquième siècle montre encore que l'on devient colon par la prescription de trente ans, c'est-à-dire que le fermier libre qui cultive une terre, au bout de trente ans ne peut plus la quitter[191]. Il est visible qu'en ce cas il continuait de cultiver comme colon le même champ qu'il avait cultivé comme libre. Une loi interdit au colon de vendre sa tenure ; cela ne peut s'entendre que d'une tenure constante et individuelle[192]. Une autre loi signale un procès où il y a doute sur le propriétaire, et où le colon paye la redevance de chaque année provisoirement au juge ; cela fait penser à une tenure fixe et presque indépendante du propriétaire[193]. En résumé, quoique les documents ne permettent aucune affirmation décisive, l'impression générale est que le colon occupe ordinairement le même lot de. terre toute sa vie, et nous pouvons penser que le plus souvent c'est encore le même lot de terre que son fils occupe après lui. Le colon est un tenancier perpétuel.

Ses redevances annuelles sont le prix dont il paye la jouissance du sol. Elles sont la suite ou l'équivalent de l'ancien fermage. Ce ne sont pas les lois impériales qui ont fixé ces redevances, pas plus que ce ne sont elles qui ont institué le colonat. Il n'exista même jamais de règles générales au sujet des rentes colonaires. Se figurer tous les colons de l'empire, ou seulement tous les colons d'une province soumis aux mêmes obligations serait une grande erreur. Les obligations variaient d'une terre à une autre. Elles pouvaient même varier, d'un colon à l'autre, sur une même terre. Dans quelques domaines la redevance se payait en argent, dans d'autres en nature[194]. Sur quelques-uns le colon payait à la fois une rente et une part des fruits. Nos documents ne nous renseignent pas sur le chiffre de la rente. La part des fruits s'appelait pars agraria ou agraticum[195] ; c'est le champart du moyen âge. Il pouvait aussi arriver que les colons dussent au propriétaire un nombre déterminé de jours de travail ou de corvée[196]. C'est ce que nous voyons dans une inscription relative à un domaine d'Afrique. Elle marque que les colons de ce domaine devaient six jours de travail par an sur la terre du maître, soit deux jours pour le labour, deux pour les semailles et deux pour la moisson[197] ; ils devaient en outre une part des fruits de leur tenure.

Mais tout cela variait à l'infini, et nous ne pouvons pas affirmer qu'il y eût deux domaines où les obligations du colon fussent exactement semblables. Cette variété venait de ce que chaque propriétaire avait fait à l'origine avec chaque colon des conventions particulières. Quelquefois il avait pu imposer au colon sa volonté ; d'autres fois il n'avait pu trouver de colons pour sa terre qu'en leur faisant les conditions les plus douces. Souvent ces conditions avaient été librement débattues, et le colon les avait acceptées avant d'entrer dans le domaine. Ainsi les obligations des colons étaient aussi variables que les sources mêmes du colonat.

Une seule règle existait : c'était que ces obligations, une fois établies, ne devaient plus changer. Elles demeuraient immuables à jamais. Douces ou rigoureuses, elles se transmettaient de père en fils sans aucune modification. Nous devons bien entendre qu'elles pouvaient être modifiées si les deux parties se mettaient d'accord pour cela. La loi n'a pas besoin de le dire pour que nous le pensions. Mais aucune des deux parties n'avait le moyen d'obliger l'autre à les changer, le colon n'ayant pas la faculté de quitter la terre, le maître n'ayant pas la faculté d'évincer le colon. Il arriva donc naturellement que les conditions primitivement fixées par chaque propriétaire à ses colons se perpétuèrent d'âge en âge. Il se forma ainsi une coutume, non pas coutume générale pour tout l'empire, mais coutume spéciale à chaque domaine, et que l'on appela la coutume de la terre, consuetudo prædii[198].

Je ne vois pas que l'autorité publique intervienne pour empêcher le propriétaire d'adoucir les charges du colon ; mais elle intervient pour l'empêcher de les aggraver. Si un propriétaire, dit le législateur impérial, exige d'un colon plus que ce qui a été accoutumé jusqu'alors, c'est-à-dire plus que ce qui a été exigé de ses pères dans les temps antérieurs, ce colon se présentera devant le juge le plus proche, et ce juge devra, non seulement défendre au propriétaire d'augmenter la redevance coutumière, mais encore faire restituer au colon tout ce qui aura été exigé de lui indûment[199]. La redevance imposée au père, dit un autre empereur, ne pourra pas être augmentée pour le fils ; car nous voulons que les fils, une fois nés sur le domaine, y restent comme en possession, aux mêmes conditions suivant lesquelles leurs pères y ont vécu[200].

L'immutabilité était donc la règle, aussi bien en faveur du colon que contre lui. La conséquence était que les bénéfices du travail étaient presque tout entiers pour l'auteur de ce travail ou pour ses enfants. Qu'un colon améliore le sol par des plantations, par des dessèchements, par des irrigations, ce sont ses enfants qui auront tout le profit. La plus-value du sol est pour le colon. Il n'a pas à craindre que ses charges s'accroissent à mesure que sa terre vaudra davantage. Mais de même, en sens contraire, il peut arriver qu'une terre perde une partie de sa valeur : elle peut se détériorer ou par négligence ou par accident ; la redevance n'en sera probablement pas diminuée, et la famille du colon y restera toujours, sans espoir d'allégement, dans la misère. Les documents ne nous disent pas si les colons furent, en masse, heureux ou malheureux ; mais nous apercevons sans peine qu'il y en eut des deux sortes, et que leur situation fut infiniment inégale. On vit des colons à tous les degrés de l'échelle, depuis le bien-être d'une famille laborieuse et assurée de posséder toujours son champ, jusqu'à l'extrême misère du paysan que son champ ne nourrit plus et qui n'a pas le droit de chercher son pain ailleurs.

 

9° DE LA DIVISION DU DOMAINE EN DEUX PARTS : LA PART DU MAÎTRE ET LES TENURES.

 

Il s'en faut beaucoup que nous puissions connaître l'organisme du domaine romain aussi bien que nous connaîtrons celui du domaine ou de la seigneurie du moyen âge. Nous ne possédons ici ni testaments, ni actes de venté, ni cartulaires, ni polyptyques. Les documents écrits ne manquaient pas. Chaque domaine avait son livre de comptes, calendarium, son livre de raison, rationes[201]. Si quelques-uns de ces livres nous étaient parvenus, nous y verrions les habitants du domaine et leurs emplois divers ; nous trouverions le procurator, l'actor, le villicus, le cellarius ; nous compterions le nombre des esclaves laboureurs, vignerons ou bergers ; nous distinguerions les tenanciers avec le nom de chacun, sa condition sociale, la famille qui l'entoure, et nous saurions l'étendue de sa tenure, la nature de ses obligations, le chiffre de ses redevances ou de ses operæ. Mais rien de cela n'est venu jusqu'à nous. Nous sommes réduits à de rares indices, qui sont épars chez les écrivains ou dans les lois. Quelques vérités du moins s'en dégagent.

Nous avons, dans ce qui précède, compté et observé plusieurs classes différentes de cultivateurs : esclaves travaillant en commun, esclaves à petite tenure, petits fermiers libres, colons liés au sol. On se tromperait si l'on supposait que ces classes se succédant se soient supprimées l'une l'autre. Le fermier libre n'a pas fait disparaître l'esclave, le colon n'a pas fait disparaître complètement les fermiers libres, puisqu'on en trouve encore aux derniers temps de l'empire. Quant à l'esclave gratifié d'une petite tenure, il ne s'est substitué que pour une faible part à la familia cultivant en commun. Toutes ces catégories d'hommes ont vécu ensemble non confondues, mais entremêlées sur les mêmes terres. C'est seulement la proportion numérique entre elles qui a varié aux différents siècles.

Nous ne devons donc pas nous figurer le domaine rural cultivé entièrement par une seule espèce de cultivateurs, d'abord par des esclaves, plus tard par des fermiers libres, plus tard par des colons. Il y a eu de tout cela à la fois sur un même domaine. Cependant le mode d'exploitation était essentiellement différent pour ces différentes classes de cultivateurs. Avec la familia travaillant en commun, c'était l'exploitation directe par le maître, qui seul avait les profits. Avec les petits fermiers libres et même les colons, c'était le système de la tenure avec partage des profits. Ces deux systèmes contradictoires étaient pratiqués en même temps et comme associés sur le même sol. A cause de cela même, le domaine était en général divisé en deux parts : l'une était cultivée directement par le groupe d'esclaves ; l'autre était partagée en tenures et mise aux mains des petits fermiers ou des colons. Cette division du domaine rural en deux parts bien distinctes est une coutume à laquelle l'historien doit faire grande attention ; nous la retrouverons au moyen âge, où elle produira les plus grandes conséquences ; il importe de constater qu'elle a existé déjà dans la société romaine dont la Gaule faisait partie.

Prenons d'abord comme exemple le petit domaine d'Horace. Le poète ne prend pas la peine de le décrire aussi en détail que nous le souhaiterions. Encore montre-t-il d'un trait qu'il contient deux parts bien distinctes. D'un côté, il se trouve cinq fermiers libres qui ont chacun un foyer, c'est-à-dire une maison à eux et visiblement un lot de terre. De l'autre côté, il y a sur ce même domaine huit esclaves qui travaillent sous les ordres d'un villicus ; leur condition est sans doute assez dure, puisque le poète menace plaisamment Davus, esclave citadin, de l'envoyer, lui neuvième, travailler à la culture[202]. Voilà bien les deux parts, l'une distribuée en petites tenures, l'autre exploitée directement. La part réservée comprend sans, doute, outre la maison principale et les jardins qui l'entourent, la forêt de chênes et d'yeuses dont les ombrages charment Horace ; elle comprend aussi quelques terres à blé, ces terres qui lui donnent chaque année leur moisson sans jamais le tromper ; elle renferme enfin apparemment ce petit vignoble dont le vin, si médiocre qu'il soit, est mis en bouteilles par le poète lui-même. La partie distribuée en cinq petites tenures renferme d'autres terres à blé, peut-être aussi quelques pièces de vigne et des prairies, enfin tout ce qui produit ce que les cinq fermiers vont vendre au marché de Varia.

Ce même partage du domaine ressort des textes des jurisconsultes, comme un usage fréquent, sinon universel. Scævola, par exemple, parle du domaine qui a été vendu ou légué avec les pécules des esclaves et l'arriéré des fermiers[203]. C'est donc que ces deux classes d'hommes vivent ensemble sur la même terre ; et comme il est certain qu'elles travaillent différemment, leur présence simultanée implique que le domaine est divisé en deux parts distinctes.

Un fragment d'Ulpien montre comment chaque domaine était inscrit sur les registres de l'impôt. On ne se contentait pas d'indiquer l'étendue ou la valeur de l'ensemble ; on marquait les diverses sortes de culture, combien il s'y trouvait d'arpents en labour, ce que le vignoble comprenait de pieds de vigne, ce que le plant d'oliviers contenait d'arbres, combien il y avait d'arpents de pré, combien d'arpents de pâquis, combien de bois[204]. Nous voyons déjà par ces lignes qu'il était assez ordinaire qu'un domaine renfermât des terres de toute nature. Puis, à côté des terres, on inscrivait les hommes : Le propriétaire doit déclarer ses esclaves, non pas en bloc, mais par catégories, specialiter, en marquant le pays d'origine de chacun d'eux, son âge, son emploi ou sa profession. En troisième lieu, le propriétaire devait faire inscrire les noms dé ceux qui habitaient son domaine comme fermiers ; car le jurisconsulte ajoute : Si le propriétaire a négligé de déclarer un fermier, il est responsable de l'impôt pour cette parcelle[205]. Nous voyons donc, par cette formule habituelle de l'inventaire cadastral, que le propriétaire avait d'ordinaire des esclaves sur une partie de son domaine, des fermiers sur une autre. Ces deux classes d'hommes, qui n'étaient pas confondues sur les registres officiels, ne l'étaient pas non plus sur le sol, et nous pouvons admettre que chacune d'elles avait son terrain à part.

Nous n'en tendons pas par là une division géométrique ; nous ne savons pas si une ligne nettement tracée sépare le domaine en deux. Il est plus vraisemblable que les deux portions s'enchevêtrent l'une dans l'autre, chacune étant composée d'une série de parcelles. Rarement le partage a pu être bien régulier. Le propriétaire a concédé en tenure ce qu'il a voulu, ici ou là ; il a dû se réserver d'abord ce qui était le plus proche de sa maison et tout ce qui était pour l'agrément ; il a pu garder aussi, parmi les terres plus éloignées, ce qui était d'une culture plus facile et d'un revenu plus sûr. Nulle règle ici ; c'est le caprice du maître ou de son régisseur qui a tout décidé.

Je remarque chez un jurisconsulte que la troupe des esclaves chasseurs, venatores, était souvent comptée dans la familia urbana, c'est-à-dire parmi les esclaves attachés au service personnel du maître[206]. On peut conclure de là que les bois et les garennes étaient compris aussi dans la terre réservée. Cela aura des conséquences dans l'avenir.

Ce que ces jurisconsultes nous laissent seulement entrevoir, une inscription du second siècle, écrite par des paysans, nous le montre plus clairement. Lorsque les colons du saltus Burunitanus se plaignent des abus commis à leurs dépens par l'homme qui représente leur propriétaire, ils distinguent deux choses : d'une part, cet homme a augmenté leur champart, partes agrarias, c'est-à-dire la part de fruits qu'ils doivent pour les champs qu'ils détiennent ; d'autre part, il exige d'eux des journées de travail au delà du nombre auquel il a droit ; d'après la lex prædii, ces corvées ne doivent être que de six par an, deux de labour, deux de sarclage et deux de moisson[207]. Ce second point est significatif : il est clair que les six journées de travail qui sont dues par le colon ne s'accomplissent pas sur le lot de terre qu'il occupe. Il les doit, visiblement, sur une partie du domaine que le propriétaire ou son représentant s'est réservée. Ainsi le domaine contient deux parties bien séparées, l'une qui a été distribuée aux colons en tenures, l'autre que le propriétaire a gardée et qu'il exploite pour son propre compte.

Il y a au Code Théodosien une instruction adressée aux fonctionnaires impériaux sur la manière dont ils doivent dresser l'inventaire d'une propriété. Pour ce qui est du terrain, on devra d'abord en indiquer l'étendue, en distinguant ce qui est en vignes, en oliviers, en terres labourées, en prés, en bois. Pour ce qui est des hommes, on inscrira d'abord les esclaves, en distinguant ceux qui sont attachés au service de la personne et ceux qui sont employés à l'exploitation rurale ; ensuite on écrira les esclaves casés et les colons[208]. Il est donc certain que, sur les registres officiels, les serfs à tenure et les colons étaient séparés des esclaves vivant en commun et employés par le maître à l'exploitation directe. Ainsi le propriétaire n'avait pas mis toute sa terre dans les mains des petits tenanciers serfs ou des colons ; il s'en était réservé une part, avec un groupe d'esclaves pour la cultiver.

Quelquefois on avait imaginé d'employer les mêmes colons et les mêmes serfs qui cultivaient librement leurs lots de terre, à cultiver aussi la terre réservée. Nous venons de voir que c'était la règle sur le saltus Burunitanus. Notre inscription montre que chaque colon devait labourer et moissonner, en dehors de son lot, la terre du maître. Ce travail était une partie du loyer de sa tenure. Il payait la jouissance de son lot de terre à la fois par le champart de ce lot et par six jours de travail sur la terre réservée. Nous retrouverons cela comme règle générale dans les époques suivantes.

Pour le serf gratifié d'une petite tenure, j'incline à croire qu'il travaillait aussi sur la partie réservée. C'est du moins ce qu'implique le passage de Varron[209] ; il fait entendre bien clairement que le maître, en concédant à son serf un petit troupeau et une petite terre, ne s'est nullement privé des services que cet esclave lui devait ; il ne lui a même fait cette concession que pour l'attacher davantage au domaine. Il est donc vraisemblable que ce morceau de terre qu'on lui mettait en mains ne le dispensait pas de son travail. Peut-être ne s'occupait-il de sa petite tenure qu'à ses heures perdues ou aux jours de repos, et devait-il au maître la majeure partie de son temps. Il était un tenancier à certains jours, et les autres jours il revenait faire partie de la familia travaillant en commun. Ce fait, qui semble d'abord peu important, a eu au contraire les plus graves conséquences sur l'état social des siècles suivants. Nous pouvons remarquer en effet que le serf de la glèbe, tel que nous le verrons au moyen âge, ne ressemblera ni aux anciens serfs qu'on avait vus en Grèce, ni surtout au serf germain dont Tacite a décrit la condition. Un trait tout spécial le caractérisera : ce même serf qui aura une tenure à soi sera astreint à travailler plusieurs jours par semaine sur la terre que le maître a gardée. Cette condition, particulière au servage du moyen âge, étrangère au, servage germanique, s'explique par la nature de la tenure servile des Romains, qui n'était qu'une petite concession faite à un homme demeurant esclave et qui ne supprimait pas ses obligations natives. Ainsi le servage conserva toujours la marque de l'ancien esclavage romain dont il était issu.

En résumé, le domaine rural était un organisme assez complexe. Il contenait, autant que possible, des terres de toute nature, champs, vignes, prés, forêts. Il renfermait aussi des hommes de toutes les conditions sociales, esclaves sans tenure, esclaves tenanciers, affranchis, colons, hommes libres. Le travail s'y faisait, par deux organes bien distincts, qui étaient, l'un le groupe servile ou familia, l'autre la série des petits tenanciers. Le terrain y était aussi divisé en deux parts, l'une qui était aux mains des tenanciers, l'autre que le propriétaire gardait dans sa main. Il faisait cultiver celle-ci, soit par le groupe servile, soit par les corvées des tenanciers, soit enfin par une combinaison de l'un et de l'autre système. Il y avait en ce dernier cas un groupe servile peu nombreux, auquel venaient s'ajouter les bras des tenanciers dans les moments de l'année où il fallait beaucoup de bras. Le propriétaire tirait ainsi de son domaine un double revenu, d'une part les récoltes et les fruits de la portion réservée, de l'autre les redevances et rentes des tenanciers. Son régisseur ou son intendant, procurator, actor ou villicus, administrait et surveillait les deux portions également ; des tenures, il recevait les redevances ; sur la part réservée, il dirigeait les travaux de tous.

 

10° LE VILLAGE ET LE CHÂTEAU.

 

Ce domaine, qui avait souvent l'étendue d'une de nos communes rurales, était couvert aussi d'autant de constructions qu'il en fallait pour la population et poulies besoins divers d'un village. On comprend qu'aucune description précise n'est possible. Nous voyons seulement qu'on y distinguait trois sortes de constructions bien différentes : 1° la demeure du propriétaire ; 2° les logements des esclaves, avec tout ce qui servait aux besoins généraux de la culture ; 3° les demeures des petits tenanciers.

Au sujet de ces dernières nous savons fort peu de chose ; les écrivains anciens ne les ont jamais décrites. Horace désigne les habitations de ses petits fermiers par les mots cinq foyers, ce qui implique que chacun d'eux a sa demeure distincte ; mais ces foyers sont probablement de fort modestes chaumières. Apulée nous représente un homme qui traverse un riche domaine ; avant d'arriver à la maison du propriétaire, cet homme rencontre un assez grand nombre de petites maisons, que l'auteur appelle casulæ et qui sont vraisemblablement les maisons des colons[210]. Tantôt ces demeures étaient isolées les unes des autres, chacune d'elles étant placée sur le lot de terre que l'homme cultivait. Tantôt elles étaient groupées entre elles et formaient un petit hameau que la langue appelait vicus. Sur les domaines les plus grands on pouvait voir, ainsi que le dit Julius Frontin, une série de ces vici qui faisaient comme une ceinture autour de la villa du maître[211].

Cette villa se divisait toujours en deux parties nettement séparées, que la langue distinguait par les expressions villa urbana et villa rustica. La villa urbana, dans un domaine rural, était l'ensemble de constructions que le maître réservait pour lui, pour sa famille, pour ses amis, pour toute sa domesticité personnelle. Quant à la villa rustica, elle était l'ensemble des constructions destinées au logement des esclaves cultivateurs ; là se trouvaient aussi les animaux et tous les objets utiles à la culture.

Varron, Columelle et Vitruve ont décrit cette villa, rustique. Elle devait contenir un nombre suffisant de petites chambres, cellæ, à l'usage des esclaves, et ces chambres devaient être, autant que possible, ouvertes au midi. Pour les esclaves paresseux ou indociles, il y avait l'ergastulum ; c'était le sous-sol. Il devait être éclairé par des fenêtres assez nombreuses pour que l'habitation fût saine, mais assez étroites et assez élevées au-dessus du sol pour que les hommes ne pussent pas s'échapper. A quelques pas de là étaient les étables, qui autant que possible devaient être doubles, pour l'été et pour l'hiver. A côté des étables étaient les petites chambres des bouviers et des bergers. On trouvait ensuite les granges pour le blé et le foin, les celliers au vin, les celliers à l'huile, les greniers pour les fruits. Une cuisine occupait un bâtiment spécial ; elle devait être haute de plafond et assez grande pour servir de lieu de réunion en tout temps à la domesticité. Non loin était le bain des esclaves, qui ne s'y baignaient d'ailleurs qu'aux jours fériés. Le domaine avait naturellement son moulin, son four, son pressoir pour le vin, son pressoir pour l'huile et son colombier. Ajoutez-y, si le domaine était complet, une forge et un atelier de charronnage. Au milieu de tous ces bâtiments s'étendait une large cour ; les Latins l'appelaient chors ; nous la retrouverons au moyen âge avec le même nom légèrement altéré, curtis[212].

A quelque distance est la villa du maître. Ce propriétaire est ordinairement riche et il s'est plu à bâtir. Varron remarquait déjà, non sans chagrin, que ses contemporains accordaient plus de soin à la villa urbaine qu'à la villa rustique. Columelle donne une description de cette villa. Elle renferme des appartements d'été et des appartements d'hiver ; car le maître l'habite ou peut l'habiter en toute saison. Elle a donc double salle à manger et double série de chambres à coucher. Elle renferme de grandes salles de bain, où toute une société peut se baigner à la fois. On y trouve aussi de longues galeries, plus grandes que nos salons, où les amis peuvent se promener en causant. Pline le Jeune, qui possède une dizaine de beaux domaines, décrit deux de ces habitations[213]. Tout ce qu'on peut imaginer de confortable et de luxueux s'y trouve réuni. Nous ne supposerons sans doute pas que toutes les maisons de campagne fussent semblables à celles de Pline ; mais il en existait de plus magnifiques encore que les siennes ; et, du haut en bas de l'échelle, toutes les maisons de campagne tendaient à se rapprocher du type qu'il décrit. Il imitait et on l'imitait. Le luxe des villas était, dans cette société de l'empire romain, la meilleure façon de jouir de la richesse et aussi le moyen le plus louable d'en faire parade. Comme il n'y avait plus d'élections libres, l'argent qu'on ne dépensait plus à acheter les suffrages, on le dépensait à bâtir et à orner ses maisons. Ce qui peut d'ailleurs atténuer les inconvénients d'un régime de grande propriété, c'est que le propriétaire se plaise sur son domaine et qu'il lui rende en améliorations ou en embellissements ce qu'il en retire en profils.

Si de l'Italie nous passons à la Gaule, et de l'époque de Trajan au cinquième siècle, nous y trouvons encore de vastes et magnifiques villas. Sidoine Apollinaire fait un tableau assez net, malgré le vague habituel de son style, de la villa Octaviana, qui appartient à son ami Consentius[214]. Elle offre aux regards des murs élevés et qui ont été construits suivant toutes les règles de l'art. Il s'y trouve des portiques, des thermes d'une grandeur admirable. Sidoine décrit aussi la villa Avitacus[215]. On y arrive par une large et longue avenue qui en est le vestibule. On rencontre d'abord le balneum, c'est-à-dire un ensemble de constructions qui comprend des thermes, une piscine, un frigidarium, une salle de parfums ; c'est tout un grand bâtiment. En sortant de là, on entre dans la maison. L'appartement des femmes se présente d'abord ; il comprend une salle de travail où se tisse la toile. Sidoine nous conduit ensuite à travers de longs portiques soutenus par des colonnes et d'où la vue s'étend sur un beau lac. Puis vient une galerie fermée où beaucoup d'amis peuvent se promener. Elle mène à trois salles à manger. De celles-ci on passe dans une grande salle de repos, diversorium, où l'on peut à son choix dormir, causer, jouer. L'écrivain ne prend pas la peine de décrire les chambres à coucher, ni d'en indiquer même le nombre. Ce qu'il dit des villas de ses amis fait supposer que plusieurs étaient plus brillantes que la sienne. Ces belles demeures, qui ont un moment couvert la Gaule, n'ont pas péri sans laisser bien des traces. On en trouve des vestiges dans toutes les parties du pays, depuis la Méditerranée jusqu'au Rhin et jusqu'au fond de la presqu'île de Bretagne.

Dans la description de la villa Octaviana nous devons remarquer une chapelle. En effet, une loi de 598 signale comme un usage que les grands propriétaires aient une église dans leur propriété[216]. Nous retrouverons cela dans les siècles suivants.

La langue usuelle de l'empire désignait la maison du maître par le mot prætorium. Ce terme se trouve déjà, avec cette signification, dans Suétone et dans Stace[217] ; on le rencontre plusieurs fois chez Ulpien et les jurisconsultes du Digeste[218] ; il devient surtout fréquent chez les auteurs du quatrième siècle, comme Palladius et Symmaque[219]. Or ce mot, par son radical même, indiquait l'idée de commandement, de préséance, d'autorité. Il s'était appliqué, dans un camp romain, à la tente du général ; dans les provinces, au palais du gouverneur. L'histoire d'un mot marque le cours des idées. Nul doute que, dans la pensée des hommes, cette demeure du maître ne fût, à l'égard de toutes les autres constructions éparses sur le domaine, la maison qui commandait. L'appeler prætorium, c'était comme si l'on eût dit la maison seigneuriale.

Un écrivain du temps, Palladius, recommandait de la construire à mi-côte et toujours plus élevée que la villa rustica. Cette villa rustique, avec sa population, avec sa série d'étables et de granges, avec son moulin, son pressoir, ses ateliers, avec tout son nombreux personnel, était plus que ce que nous appelons une ferme : elle formait une sorte de village, qui était la propriété du maître et que remplissaient ses serviteurs. La villa rustica en bas de la colline et la villa urbana à mi-côte, c'étaient déjà le village et le château des époques suivantes.

Il est vrai que ce château du quatrième siècle n'avait pas l'aspect du château du dixième. Les turres dont il est quelquefois parlé, n'étaient pas des tours féodales. On n'y voyait ni fossés, ni enceinte, ni herse, ni créneaux, mais plutôt des avenues et des portiques qui invitaient à entrer. C'est que l'on vivait dans une époque de paix et qu'on se croyait en sûreté. A peine voyons-nous, vers le milieu du cinquième siècle, quelques hommes comme Pontius Leontius fortifier leur villa et l'entourer d'une épaisse muraille que le bélier ne puisse abattre[220]. C'est alors seulement, pour résister aux pillards de l'invasion, qu'on a l'idée de transformer la villa en château fort. Jusque-là, la villa était un château, mais un château des temps paisibles et heureux, un château élégant, somptueux et ouvert.

Là ces grands propriétaires passaient la plus grande partie de leur vie, entourés de leur famille et d'un nombreux cortège d'esclaves, d'affranchis, de clients. Ces hommes, visiblement, aimaient la vie de château ; on n'en saurait douter quand on a lu les lettres de Symmaque[221] ou celles de Sidoine Apollinaire[222]. Ils bâtissaient, ils dirigeaient la culture, ils faisaient des irrigations, ils vivaient au milieu de leurs paysans[223]. Un Syagrius, dans son beau domaine de Taionnac, coupait ses foins et faisait sa vendange[224]. Un Consentius, fils et petit-fils des plus hauts dignitaires de l'empire, est représenté par Sidoine mettant la main à la charrue[225], comme la vieille légende avait représenté Cincinnatus. Les amis d'Ausone[226], ceux de Symmaque sont pour la plupart de grands propriétaires et ils se plaisent à la vie rurale[227]. Des historiens modernes ont dit que la société romaine ou gallo-romaine n'aimait que la vie des villes, et que ce furent les Germains qui enseignèrent à aimer la campagne. Je ne vois pas de quels documents ils ont pu tirer cette théorie. Je crains que ce ne soit là une de ces opinions subjectives et fausses que l'esprit moderne a introduites dans notre histoire. Ce qui est certain, c'est que tous les écrits que nous avons du quatrième et du cinquième siècle dépeignent l'aristocratie romaine comme une classe rurale autant qu'urbaine : elle est urbaine en ce sens qu'elle exerce les magistratures et administre les cités ; elle est rurale par ses intérêts, par la plus grande partie de son existence, par ses goûts.

C'est que, dans ces belles résidences, on menait l'existence de grand seigneur. Paulin de Pella, rappelant dans ses vers le temps de sa jeunesse, décrit la large demeure où se réunissaient toutes les délices de la vie et où se pressait la foule des serviteurs et des clients[228]. C'était à la veille des invasions. La table était élégamment servie, le mobilier brillant, l'argenterie précieuse, les écuries bien garnies, les carrosses commodes. Les plaisirs de la vie de château étaient la causerie, la promenade à cheval ou en voiture, le jeu de paume, les dés, surtout la chasse. La chasse fut toujours un goût romain. Varron parle déjà des vastes garennes, remplies de cerfs et de chevreuils, que les propriétaires réservaient pour leurs plaisirs[229]. Les amis auxquels écrivait Pline partageaient leur temps entre l'étude et la chasse[230]. Lui-même, chasseur médiocre qui emportait un livre et des tablettes, se vante pourtant d'avoir tué un jour trois sangliers[231]. Les jurisconsultes du Digeste mentionnent, parmi les objets qui font ordinairement partie intégrante du domaine, l'équipage de chasse, les veneurs et la meute[232]. Plus tard, Symmaque écrit à son ami Protadius et le raille sur ses chasses qui n'en finissent pas et sur la généalogie de ses chiens[233]. Les Gaulois aussi étaient grands chasseurs. Ils l'avaient été avant César, ils le furent encore après lui. On n'a qu'à voir les mosaïques qui, comme celle de Lillebonne, représentent des scènes de chasse. Regardez les amis de Sidoine : Ecdicius poursuit la bête à travers les bois, passe les rivières à la nage, n'aime que chiens, chevaux et arcs[234]. Il est vrai que le même homme tout à l'heure, à la tête de quelques cavaliers levés sur ses terres, mettra une troupe de Wisigoths en déroute. Voici un autre ami de Sidoine, Polentinus : il excelle à trois choses, cultiver, bâtir, chasser[235]. Vectius, grand personnage et haut fonctionnaire, ne le cède à personne pour élever des chevaux, dresser des chiens, porter des faucons[236]. La chasse était un des droits du propriétaire foncier sur sa terre, et il en usait volontiers. Ainsi, bien des choses que le moyen âge offrira à nos yeux sont plus vieilles que le moyen âge.

 

 

 



[1] Gaïus, Instit., II, 7 : In provinciali solo dominium populi romani est vel Cæsaris ; nos autem possessionem tantum vel usumfructum habere videmur. — Remarquez dans ce texte l'expression habere videmur, et non pas habemus. Remarquez aussi le contexte ; Gaïus ne présente pas cela comme une règle de pratique. Il n'en parle qu'incidemment. Ayant à dire que le sol provincial n'est pas apte à devenir religiosum, il cherche l'explication de cela, et il la trouve ou croit la trouver dans cette théorie que le dominium sur le sol n'appartient pas aux particuliers. La phrase de Gaïus est donc seulement une explication théorique, rien de plus.

[2] Les deux termes subsistaient encore ; des lois de 516 et même de 550 contiennent encore les termes de fundi italici, fundi provinciales ou stipendiarii ; mais ces mêmes lois ont pour objet de faire disparaître toute distinction de fait entre les deux catégories de terres. Voyez Code Théodosien, VIII, 12, 2 ; Code Justinien, V, 15, 15 et VII, 51.

[3] Voyez, par exemple, une loi de 259 au Code Justinien, VIII, 15, 9, où une question de dominium est jugée par le præses provinciæ. Voyez encore une loi de 551, au Code Justinien, III, 19, 2, où le propriétaire d'un prædium in provincia est qualifié dominus. Voyez surtout une constitution de 542, au Code Théodosien, XII, 1, 55, où il est parlé des curiales qui privato dominio possident.

[4] Code Justinien, VII, 25 : Nullam esse differentiam patimur inter dominos Sit plenissimus et legitimus quisque dominus.

[5] Digeste, XXIX, 2, 78 : Frater qui superest, cavere debet ne qua in re plus sua parte dominationem interponeret.

[6] Avec cette nuance que proprietas s'opposait d'ordinaire à usus fructus. Digeste, VII, I, 25 et 72 ; Gaïus, II, 50-55 ; Code Justinien, IV, 19, 4, loi de 222.

[7] Possessio est, ut definit Ælius Gallus, usus quidem agri, non ipse fundus aut ager. Festus, édit. Muller, p. 255. Cf. Digeste, L, 16, 115.

[8] Voyez Macer, au Digeste, II, 8, 15. — Callistrate, au Digeste, XLVII, 9, 7 : A domino possessionis. — Pline le Jeune, sur le point d'acheter une propriété, appelle possessor celui qui la lui vend. (Lettres, III, 19.) — Voyez une loi de 591, au Code Théodosien, XI, 5, 5, où le même homme qui dominium consequitur est appelé ensuite possessor, — Le mot possessio est surtout employé pour désigner le fonds de terre ou le domaine qui est objet de propriété privée. Exemples : Jules Capitolin, Pertinax, 9 : Omnibus possessiones suas reddidit. — Digeste, II, 8, 15, § 7 : Qui possessionem vendidit ; XXXIII, 7, 27 : Coloni ejusdem possessionis. — Code Théodosien, II, 51, 1 : Dominos possessionum ; VI, 5, 1 : Senatoriæ possessiones, expression synonyme de senatorii fundi qui se trouve au paragraphe suivant ; X, 8, 1, loi de 515 : Possessionem donatam cuni adjacentibus et mancipiis et pecoribus et fructibus et omni jure suo. — Code Justinien, XI, 48, 25 : Possessionum domini. — Fragmenta Vaticana, 24 : Possessionem venditam esse. — Corpus inscr. lat., III, n° 5626 : Quæ ara posita est in possessione Vettiani.

[9] Digeste, L, 17, 59 : Heredem quidem potestatis jurisque esse cujus fuit defunctus, constat.

[10] Institutes de Justinien, II, 4, 1, § 4.

[11] Gaïus, IV, 42. Ulpien, XIX, 16. Digeste, XLII, 8, 21 ; XVIII, 1, 18. Code Théodosien, II, 26. Code Justinien, III, 59, 5.

[12] Sur l'actio finium regundorum, Digeste, X, 1 ; Code Théodosien, II, 26 ; Code Justinien, III, 59. — Sur les agrimensores, Digeste, II, 6,1-5 ; Code Théodosien, II, 26, 1 ; Gromatici veteres, édit. Lachmann p. 10 24, etc.

[13] Les textes abondent ; voyez, par exemple, Paul au Digeste, XIII, 7 18 ; Ulpien au Digeste, L, 15, 4 ; Code Théodosien, IX, 42, 7.

[14] Ulpien au Digeste, XLIII, 12, 1 : Flumina quædam publica sunt, quædam non. — Ibidem : Si flumen privation est. — Ibidem : Nihil differt a ceteris locis privatis flumen privatum.

[15] Ulpien, parlant de l'enfant en tutelle, dit qu'il peut avoir dans ses biens lapidicinas vel quæ alia metalla, cretifodinas, argentifodinas (Digeste, XXVII, 9, 5). Ailleurs, parlant de l'usufruitier d'un domaine, il dit qu'il peut exploiter des carrières, des mines d'or, d'argent, de soufre, comme ferait le propriétaire (Digeste, VII, 1, 15, § 5). Voyez encore Digeste, XXIV, 5, 7, § 15-14. — Tacite, Ann., VI, 19 (25) parle d'un Espagnol qui était propriétaire de mines d'or. Cf. Corpus inscriptionum latinarum, II, n° 5280 a.

[16] Code Justinien, X, 15, 1. Code Théodosien, X, 18, 2 et 5 ; la loi première du même titre nous paraît s'appliquer au cas où le trésor a été trouvé dans une terre du fisc, auquel cas l'État a droit à la moitié comme propriétaire ; voyez une constitution d'Hadrien au Digeste, XLIX, 14,5, § 10. Cf. Digeste, XLI, 1, 51 et 65 ; Institutes, II, 1, 59 ; Spartien, Hadrianus, 18.

[17] Gaïus, II, 75 : Id quod in solo nostro ab aliquo ædificatum est, jure naturali nostrum fit, quia superficies solo cedit. — Digeste, XLIII, 18, 2 : Superficianas ædes appellamus quæ in conducto solopositæ sunt ; quarum proprietas et naturali et civili jure ejus est cujus est solum.

[18] Paul, au Digeste, L, 16, 70.

[19] Institutes, II, 1, 40 : Nihil tam convenions est naturali æquitati quam voluntatem domini, volentis rem suam in alium transferre, ratam haberi, et ideo.... prædia quæ in provinciis sunt, ita alienantur.

[20] Code Justinien, IV, 24 ; cf. Gaïus, au Digeste, XX, 1, 4 ; Scævola, au Digeste, XVIII, 1, 81.

[21] Sur les propriétés des temples, voir Ulpien, XXII, 6 : Deos heredes instituere, etc. Digeste, XXXII, 58, § 6 ; XXXIII, 1,20 ; Code Justinien, XI, 70, De prædiis urbanis et rusticis templorum. Gromatici veteres, édit. Lachmann, p. 117.

[22] Lex Malacitana, 65 et 64. Lex de controversia inter Genuates et Viturios, au Corpus inscr. lat., V, n° 7749 ; Wilmans, n° 872. Code Justinien, XI, 71 : De locatione prædiorum civilium. Ulpien, XXIV, 28. Code Théodosien, X, 5,1 ; XV, 1, 8. Ammien Marcellin, XXV, 4. Gromatici veteres, p. 55-56.

[23] Il était fait quelques réserves pour le droit d'aliéner.

[24] Frontin, De conlroversiis agrorum, édit. Lachmann, p. 15 : Ea compascua multis in locis in Italia communia appellantur, quibusdam provinciis pro indiviso.

[25] Digeste, X, 5, De communi dividundo. Code Justinien, III, 37.

[26] Scævola, au Digeste, VIII, 5, 20 : Plures ex municipibus qui diversa prædia possidebant, saltum communem, ut jus compascendi haberent, mercati sunt ; idque etiam a successoribus eorum observatum est.

[27] Frontin, De controv., p. 15 : Est et pascuorum proprietas pertinens ad fundos, sedin commune. — Siculus Flaccus, De conditionibus agrorum, p. 157 : Inscribuntur et compascua quod genus est quasi subsecivorum, sive loca quæ proximi quique vicini.... — Hygin, De limitibus constituendis, p. 201 : Proximis possessoribus datum est in commune, nomine compascuorum. — Hygin, De condit. agrorum, p. 117 : Compascua, quæ pertinerent ad proximos quosque possessores.

[28] Frontin, p. 48 : Certis personis data sunt depascenda. — Aggenus Urbicus, p. 15 : Pascua certis personis data sunt depascenda.

[29] Giraud, Recherches sur le droit de propriété chez les Romains, p. 255, 257, 252 ; Histoire du droit français, t. I, p. 151 : La propriété territoriale n'était chez les anciens qu'une concession du pouvoir, auquel seul appartenait le vrai domaine du sol.

[30] Accarias, Précis du droit romain, 5e édit., t. I, p. 485 et 494 ; 4e édit., p. 516 et 527. L'auteur appuie sa théorie sur un texte mal interprété de Varron, et sur la fiction juridique de l'ager provincialis. Quant au dominium, loin que l'État l'ait retenu pour lui, il est trop visible par tout le droit romain qu'il appartenait aux particuliers.

[31] Nous employons provisoirement ces deux expressions parce qu'elles sont dans la langue ordinaire : la suite de nos études montrera qu'elles ne sont pas tout à fait exactes.

[32] Frontin, De aquæductibus, c. 6 : Majores nostri, admirabili æquitate, ne ea quidem eripuere privatis quæ ad modum publicum pertinebant. Sed cum aquas perducerent, si difficilior possessor in parte vendenda fuerat, pro toto agro pecuniam intulerunt, et post determinata necessaria loca eum agrum vendiderunt.

[33] Tite-Live, XL, 51 : Impedimento operi fuit Licinius Crassus qui per fundum suum duci non est passus. Deux faits analogues sont signalés par Cicéron, De lege agraria, II, 50, et par Suétone, Augustus, 56. Ajoutez un texte d'Ulpien relatif aux carrières (Digeste, VIII, 4, 15) : Si constat in tuo agro lapidicinas esse, invito te, nec privato nec publico nomine quisquam lapidem cædere potest.

[34] Les textes que cite M. Accarias, Code Théodosien, XV, 1,50 et 55, Frontin, De aquæd., 6, ne marquent nullement que le propriétaire pût être exproprié sans son consentement. La question reste donc douteuse.

[35] Pline, Panégyrique de Trajan, 57, édit. Keil, p. 546 : Vicesima (hereditatium) reperta est, tributum tolerabile heredibus duntaxat extraneis, domesticis grave...Non laturi hominesessent destringi aliquid et abradi bonis quæ sanguine, gentilitate, sacrorum societate meruissent, quæque non ut aliéna, sed ut sua semperquepossessa cepissent.

[36] Pline, Panégyrique de Trajan, 57 : Improbe et insolenter ac pæne impie his nominibus (le nom du père et celui du fils) inseri publicanum nec sine piaculo quodam sanctissimas necessitudines intercedente vicesima scindi. — Nous n'avons pas pu rendre dans notre traduction toute l'énergie de ce style ; cette énergie, qui n'est pas habituelle chez Pline, marque quelle était encore la puissance de ces idées dans l'esprit des hommes de son temps.

[37] Cette théorie est encore soutenue par M. Accarias, § 208 ; mais les textes sur lesquels le savant auteur l'appuie ne sont pas exacts. La phrase qu'il attribue à Aggenus Urbicus ne se trouve pas chez cet écrivain. Hygin parle plusieurs fois d'agri vectigales, mais il ne dit pas que toutes les terres fussent de cette condition. Il est clair qu'il y avait beaucoup de terres dont la propriété appartenait à l'État ou aux villes et dont les détenteurs payaient la rente. On peut alléguer aussi un texte de Cicéron, in Verrem, III, 6, où l'on voit que sous la république l'État, souvent propriétaire du sol des vaincus, en faisait payer le vectigal. Mais il n'en est pas moins vrai que de tout temps, et sur tout sous l'empire, il a existé un grand nombre de terres privées, agri privati, dont les propriétaires ne payaient pas le vectigal. Il y avait même une sorte d'incompatibilité entre ager privatus et ager vectigalis, ainsi que le montre la loi relative aux Genuates et aux Viturii : Qui ager privatus Vituriorum est, quem agrum eos vendere heredemque sequi licet, is ager vectigalis ne siet (Corpus inscr. lat., V, 7749 ; Wilmans, 872.)

[38] Caton, De re rustica, 1 et 10.

[39] Pline, Lettres, III, 19 ; X, 9, édit. Keil. — De même Cicéron parle d'un ager qui est si étendu, qu'on l'a divisé en centuries ; pro Tullio, 5 : Est in eo agro centuria quæ Populonia nominatur.

[40] Paul, au Digeste, XVIII, 1, 40, emploie dans le même article les mots ager et fundus pour désigner un même domaine. — Au Digeste, De significatione verborum, L, 16, 211, il est dit expressément qu'on désigne par le mot ager toutes les terres d'un domaine. Ager est synonyme de fundus au Digeste, XVIII, 1, 40, et de prædium au Code Justinien, VI, 24, 5, loi de 222.

[41] Ulpien, au Digeste, L, 15, 4 : Forma censuali cavetur ut agri sic in censum referantur : arvum quoi jugerum sit... vinca... pratum... pascua... silvæ.

[42] Villa est employé dans le sens ancien par Caton, Varron, Columelle ; par Ulpien, Digeste, VII, 4, 8 : Villa fundi accessio est ; par Pline le Jeune, III, 19. — Mais on le trouve aussi employé dans le sens plus général de domaine. Tacite, Annales, III, 55 : Villarum infinita spatia. — Pline, Hist. nat., XXXII, 25, 42 : Villas ac suburbana. — Digeste, L, 16, 198 : Prædia quæ sunt in villis. — Corpus inscr. lat., X, 1748 : Villa Lucullana. — Stace, Silvæ, II : Villa Surrentina. — Sidoine, Lettres, I, 6, édit. Luetjohann, p. 9 : Excolere villam.

[43] Ainsi un certain Tertullus possédait 18 cortes en Sicile (Vita Placidi, 16-18, dans Mabillon, Acta Sanctorum, I, 52-55). L'écrivain nomme la cortis Mirazanm, la cortis Plazanus, la cortis Calderaria, la cortis Petrosa, etc. — Ibidem : Dédit... cortes bonas valde et magnas cum portubus suis, silvis, aquis, piscariis, molendinis... cum servis septem millibus.

[44] Digeste, L, 15, 4 : Forma censuali cavetur ut agri sic in censum referantur : nomen fundi cujusque, etc.

[45] Digeste, XXXII, 55 : Fundum Trebatianum... Fundum Satrianum dari volo. — Ibidem, 58 : Fundum Cornelianum... Fundum Titianum. — Ibidem, 41 : Fundum Gargilianum legavit. — Ibidem, 78 : Fundo Semproniano cum suis inhabitantibus… Pelo ut fundum meum Campanianum Genesiæ adscribatis. — Ibidem, 91 : Prædia Seiana, prædia Gabiniana do, lego. — XXXIII, 1, 19 : Ex reditu fundi Speratiani. — Ibidem, 52 : Usumfractum fundi Vestigiani lego. — Ibidem, 58 : Fundi Æbutiani reditus dari volo. — XXXIII, 4, 9 : Uxori mex fundum Cornelianum. — Ibidem, 18 : Mævio fundum Seianum ; 19 : Pamphilæ fundum Titianum.... Tyrannæ fundum meum Græcianum ; 27 : Fundum Cornelianum Titio dari volo... Sempronio fundum Cassianum.

[46] Wilmans, Exempla inscr. latin., n° 95 ; Henzen, n° 6085 : Domitius... fundum Junianum, et Lollianum et Percennianum et Statuleianum suos cum suis villis finibusque attribuit.

[47] Corpus inscriptionum latinarum, t. XI, n° 5003. Orelli-Henzen, n° 6654.

[48] On la trouvera dans le recueil de Wilmans, n° 2845, dans le Bulletin de l'Institut archéologique de Rome, 1844, et dans l'ouvrage d'Ern. Desjardins sur les Tables alimentaires.

[49] Tabula Ligurum Bæbianorum, dans Mommsen, Inscr. Neap., n° 1554 ; Wilmans, n° 2844 ; Corpus inscr. lat., IX, n° 1455.

[50] Corpus inscriptionum latinarum, X, n° 407.

[51] Il y a quelques noms tirés de noms de peuples, comme le Laurentianus et le Tuscus de Pline ; mais le cas est rare.

[52] Corpus inscriptionum latinarum, IX, n° 1455, 5845 X n° 407, 444, 1748, 4754, etc.

[53] Par exemple, dans l'inscription de Henzen 6654, la villa Calvisiana appartient à Mummius Niger, l'Antonianus à Varron, le Balbianus à Ulceus Commodus, le Volsonianus à Herennius Polybius, etc. Voyez de même les inscriptions de Véléia et des Bæbiani. Dans le n° 95 de Wilmans, un certain Domitius fait don de quatre fundi dont aucun ne porte son nom.

[54] Le jurisconsulte Pomponius dit formellement que le nom du domaine dépend de la volonté du propriétaire : Nostra destinatione fundorum nomina, non natura, constituuntur, Digeste, XXX, 24, § 3.

[55] Toutefois le droit permet d'agrandir un domaine par l'adjonction de nouveaux champs (Digeste, XXXI, 10).

[56] Digeste, XXX, 1, 8 : Si ex toto fundo legato testator partem alienasset reliquam duntaxat partem deberi.

[57] Digeste, XXX, 54, 6 ; 15. : Si quis ita leget : Titio fundum do, lego ut eum parte habeat. XXX, 116 : Si fundus legatus sit heredi et duobus extraneis. Cf. XXXI, 41.

[58] Wilmans, n° 696 : Partem fundi Pompeiani. — Inscription de Véléia, ibid., n° 1845 : Fundum Licinium pro parte dimidia... coloniam Vellianam pro parte quarta Quæ pars fuit Atti Nepotis. — Cf. Code Justinien, IV, 52, 5.

[59] Fantuzzi, Monumenti Ravennati, p. 4 : Portio in fundo Ariniano. Ibidem, p. 2, 44, 64, etc. — Grégoire le Grand, Lettres, IX, 57 : De portionibus tibi competentibus in Massalena et Samanteria ; XIII, 5 : Portiones tuas in fundo Fulloniaco.

[60] Voyez sur ce point un article de Mommsen, Die italische Bodentheilung, dans l'Hermès, 1884 ; et une étude de M. Ch. Lécrivain sur le partage oncial du fundus romain, dans les Mélanges de l'École de Rome, 1885.

[61] Marini, Papiri diplomatici, n° 89 : Dono quatuor uncias trium fundorum. — Fantuzzi, Monumenti Ravennati, p. 4 : De sex unciis fundi ; p. 5 : Sex unciæ fundi ; p. 64 : De duobus unciis ci scripulis quatuor in fundo Cassiano ; p. 78 : Donatio quam fecit Valeria, id est sex uncias in domibus, mancipiis, montibus, silvis, pascuis, omnibusque quæ ad prxdictas sex uncias pertinent. — Grégoire le Grand, Dialogi, III 21 : Pater nihil aliud ei nisi sex uncias unius possessiunculæ largitus est.

[62] Columelle, I, 3.

[63] Pline, Hist. nat., XVIII, 6, 55 : Latifundia perdidere Italiam, jam vero et provincias.

[64] Pline, Hist. nat., III, 5, 41 : In Italia.... tam fertiles campi.... tanta frugum vitiumque et olearum fertilitas, tam nobilia pecudi vellera.... — Ibidem, XXXVII, 77, 201-202 : Principatum naturæ obtinet Italia.... soli fertilitate, pabuli uberlate ; quidquid est quo carere vita non debeal nusquam est præstantius : fruges, vinum, oleum, vellera, lina. — Voyez pour le détail de l'agriculture italienne les livres XIII XIV, XVI, XVII.

[65] Sénèque, De beneficiis, VII, 50. Pétrone, Satyricon, 55.

[66] Tacite, Annales, III, 55 : Villarum infinita spatia.

[67] Tacite, Annales, III, 55.

[68] Frontin, dans les Gromatici, édit. Lachmann, p. 56. Voyez aussi sur les parcelles en Italie, Siculus Flaccus, De conditione agrorum, ibidem, p. 154 et 155.

[69] Gromatici veteres, édit. Lachmann, p. 45, 46, 47, 48, 51. Frontin, p. 48 : Formæ antiquæ. — Aggenus Urbicus. p. 88 : In tabulariis formæ plurimæ exstant. — Hygin, p. 111, 117, 121 : In ære, id est in formis. — Siculus Flaccus, p. 154 : Fides videatur quæ ærcis tabulis manifestata est ; quod si quis contradicat, ad sanctuarium Cæsaris respici solet ; omnium enim agrorum formas et divisionem et commentarios Principatus in sanctuario habet. Dans la langue du temps sanctuarium Cæsaris est ce que nous appellerions les bureaux de l'administration centrale. — Cf. Digeste, XLVIII, 15, 8 : Qui tabulam æream formam agrorum continentem refixerit vel quid inde immutaverit.

[70] Ulpien, au Digeste, L. 15, 4 : Forma censuali cavetur ut agri sic in censum referantur : nomen fundi cujusque, et quos duos vicinos proximos habeat, et arvum quoi jugerum sit, vinea quoi viles habeat, oliva quot jugerum, etc.

[71] Caton, De re rustica, 1, 10, 11 ; Varron, De re rustica, I, 19.

[72] Horace, Satires, II, 7, 118.

[73] Corpus inscriptionum latinarum, t. XI, n° 3003. Henzen, n° 6634, Le chiffre indiquant la longueur de l'aqueduc est VDCCCCL possus, ce qui ne peut signifier que 5.950 pas romains. Je n'ai pas compris pourquoi M. Garsonnet, dans son Histoire des locations perpétuelles, p. 126, allègue cette inscription comme une preuve de l'existence des latifundia. Il est vrai que dans l'intérêt de sa thèse il change le chiffre de 5.950 pas en celui de 60.000, arbitrairement.

[74] Varron et Columelle évaluent le revenu annuel d'un arpent en labour à 150 sesterces et d'un arpent en pré à 100. Si nous multiplions ce revenu suivant le taux ordinaire de l'intérêt chez les Romains, lequel variait entre 6 et 8 pour 100, nous penserons que la valeur moyenne d'un arpent pouvait être de 2.000 sesterces.

[75] Pline, Lettres, III, 19.

[76] Pline, Lettres, V, 6.

[77] Code Théodosien, XI, 7, 12.

[78] Papinien, au Digeste, XXXIV, 5, 1.

[79] Corpus inscriptionum latinarum, X, 8076 : Conductrix massæ Trapeianæ. — Novelles d'Anthémius, tit. III, Hænel, p. 549 : Cæsiana massa Domninæ illustri feminæ restituatur. — Marini, Papiri diplomatici, n° 82, diplôme de 489 : Certos fundos ex corpore massæ Pyramitanæ ; n° 86, dipl. de 555 : Massa Firmidiana. — Symmaque, X, 41 (28), édit. Seeck, p. 502 : Massa Cæsariana. — Cassiodore, Variarum, V, 12 : Palentianam massam ; XII, 5 : Conductores massarum. — Grégoire le Grand, Lettres, I, 41 ; V, 44 ; IX, 50 ; XIV, 14 : Massam quæ Aquæ Salviæ nuncupatur, cum omnibus fundis suis, id est, Cella Vinaria, Antoniano, villa Pertusa, Cassiano, Corneliano, Thesselata, cum omni jure suo et omnibus ad eam pertinentibus. — Liber pontificalis, in S. Silvestro, édit. Duchesne : Massam Garilianam, præstantem singulis annis solidos quadringentos. — Fantuzzi, Monumenti Ravennati, n° 116, p. 59 : De medietate de massa Ausimana... cum medietate pertinentiis ipsius massæ.

[80] Columelle, I, 5.

[81] Frontin, dans les Gromatici veteres, édit. Lachmann, p. 85.

[82] César, De bello gallico, VI, 18. Remarquez qu'il commence par dire : In reliquis vitæ institutis hoc fere ab reliquis differunt quod.... Puis il mentionne certaines institutions de droit privé, et ne dit pas que la propriété fût inconnue.

[83] César, De bello gallico, VI, 11 : Quo differant inter se hæ nationes.... VI, 22 : Germani multum ab hac consuetudine differunt.

[84] Nec quisquam (apud Germanos) agri modum cerlum aut fines habet proprios.

[85] César, De bello gallico, VI, 15 : Druides... fere de omnibus controversiis constituunt, et, si quod est admissum facinus, si cædes facta, si de hereditate si de fimbus controversia est, iidem decernant.

[86] Nous avons traité ce point plus amplement dans la Revue des questions historiques, avril 1889. Voyez aussi, dans le même sens que nous, une étude de M. Ch. Lécrivain, dans les Annales de la Faculté des lettres de Bordeaux, 1889.

[87] Voyez les nombreux clients de l'Helvète Orgétorix (I, 4) ; Indutiomare peut lever une petite armée parmi ses hommes à lui (V, 5) ; Ambiorix, dans sa vaste demeure entourée de forêts, a assez de serviteurs et de commensaux pour arrêter un moment la cavalerie romaine (VI, 50) ; l'Arverne Vercingétorix trouve assez de clients pour s'en faire une armée.

[88] César, De bello gallico, VI, 15 : Plebs pæne servorum habetur loco... plerique quum aut ære alieno aut magnitudine tributorum aul injuria potentiorum premuntur, sese in servitutem dicant nobilibus.

[89] César, De bello gallico, VII, 4 : In agris egentes.

[90] Nous avons montré ailleurs que les Romains n'avaient pas enlevé leurs terres aux Gaulois ; la prise de possession par l'État n'avait été qu'une fiction juridique, que la Gaule n'avait peut-être pas même connue.

[91] Tacite, Annales, IV, 75 ; Histoires, V, 23.

[92] Ausone, Lettres, V, vers 16 et 56, édit. Schenkt, p. 165.

[93] Sidoine Apollinaire, Lettres, II, 9 (édit. Baret, II, 7) : Voroangus hoc prædionomen est... Prusianus, sic fundus aller nuncupalur. — Ibidem, II, 2 (II, 11) : Avitaci sumus, nomen hoc prædio. — Cf. VIII, 4 et VIII, 8 (VIII, 11 et VIII, 14). — Avitus possédait un domaine appelé Cuticiacus ou prædium Cuticiacense (ibid., III, 1).

[94] Testamentum Perpetui, Diplomata, t. I, p. 24.

[95] On note que les Gaulois adoptèrent volontiers le suffixe acus au lieu du suffixe anus usité en Italie.

[96] Ausone, Idyllia, III : Ausonii villula. Salve herediolum, Majorum régna meorum, Quod proavus, quod avus, quod pater incoluit.... Parvum herediolum, fateor, sed nulla fuit res Parva unquam æquanimis.

[97] Agri bis centum colo jugera ; vinea centum Jugeribus colitur, prataque dimidium ; Silva supra duplum quam prala et vinea et arvum.

[98] Sidoine Apollinaire, Lettres, VIII, 8 (VIII, 14).

[99] Sidoine, Lettres, VIII, 4 (VIII, 11) : Agris aquisque, vinetis atque olivetis, vestibulo, campo, colle amxnissimus. — Le mot vestibulum désigne l'espace qui, à partir de la voie publique, donne accès à la maison.

[100] Sidoine, Lettres, II, 2 (II, 1), in fine : Ager ipse diffusus in silvis, pictus in pratis, pecorosus in pascuis, in pastoribus peculiosus. Plus loin, Sidoine dit que c'est une grandis villa.

[101] Sidoine, Lettres, II, 9 (II, 7) : Inter agros amænissimos, apud humanissimos dominos Ferreolum et Apollinarem, tempus voluptuosissimum exegi. Prædiorum iis jura contermina, domicilia vicina, quibus interjecta gestatio lassat peditem nec sufficit equitaturo. Colles ædibus superiores exercentur vinitori et olivitori.

[102] Testamentum Remigii, dans les Diplomata de Pardessus, I, 85 : Sparnacus villa quam, dalis quinque millibus argenti libris, ab Eulogio comparavi. Ce testament nous a été fourni par Flodoard, lequel vivait au dixième siècle, mais avait en mains les archives encore complètes de l'église de Reims. Cf. Flodoard, Hist. Remensis ecclesiæ, I, 14, in fine : De thesauris ecelesiasticis pretium, quinque millia scilicet argenti libras, Eulogio fertur dedisse ipsamque villam in Ecclesiæ possessionem comparasse. Cet Eulogius, propriétaire de cette villa, était menacé de confiscation et de mort par Clovis pour crime de lèse-majesté.

[103] Ce Tertullus fit donation à saint Benoît de 34 fundi ou villæ situées en Apulie, en Campanie, en Ligurie et près de l'Adriatique ; il donna en outre 18 curies situées en Sicile (Vita Placidi, 16-18, dans Mabillon, Acta SS. I, 52-55).

[104] Grégoire le Grand, editus spectabili senatorum prosapia, hérita de domaines si nombreux, qu'il commença par fonder et doter plusieurs monastères avec une partie de ses biens (Mabillon, Acta SS., I, 387).

[105] Sur la fortune de Paulin de Nole, voyez Ausone, Lettres, XXIII ; comme Paulin a annoncé le désir de se défaire de toutes ses propriétés pour entrer dans l'Église, Ausone lui écrit :

Ne sparsam raplamque domum lacerataque centum

Per dominos veteris Paulini regna fleamus.

[106] Cicéron, Ad familiares, XIV, 1 : Ad me scribis, mea Terentia, te vicum vendituram.

[107] Vita Basilisci, c. 8, Bollandistes, Mars, I, 257 : Domina vici illius, nomme Trajana. — On voit ailleurs un vicus Zatidis (Corpus inscr. lat.).

[108] Julius Frontin, De conditione agrorum, p. 55.

[109] Wilmans, n° 2117 : Vicani vici Aventini patrono suo. — 2247 : Pro salute Augustorum P. Clod. Corn. Primus curator vikanorum Lousonnentium. — 2282 : Vicani Belginates posuerunt, curante G. Velorio Sacrillo quæstore. — Inscriptiones Helvetiæ, n° 149 et 241 : Decreto vicanorum. — Corpus inscr. lat., X, 4850, 4851 : Rufiani vicani quorum ædificia sunt. — V, 5504 et 5505 : Vicanis et habitantibus balneum dederunt. — V, 4488 : Tabernæ cum cenaculis quæ sunt in vico Herculis. — Code Théodosien, VII, 18, 15 : Primates urbium, vicorum, custellorum.

[110] Ulpien, au Digeste, L, 1, 50.

[111] Grégoire de Tours en cite une cinquantaine ; mais on n'est pas bien sûr qu'ils fussent tous des villages de propriétaires libres ; nous reviendrons sur ce point.

[112] Plusieurs de ces bourgs, comme Amboise, Loches, Brioude, sont devenus des villes.

[113] Digeste, XXXI, 65 : Familiam urbanam aul rusticam. Columelle, I, 8 : Servi rustici... servi urbani.

[114] Digeste, L, 16, 166 : Urbana familia et rustica non loco,sed genere distinguitur. — Ibidem, XXXII, 99 : Servi, licet in prædiis rusticis sint, tamen si opus rusticum non faciunt, urbani videntur. — Ibidem, XXXIII, 9, 4, § 5 : Urbica ministeria dicimus et quæ extra urbem nobis ministrare consueverunt. — Paul, au Digeste, XXXIII, 7, 18, § 13 : Villam meam cum mancipiis quæ ibi deputabuntur urbanis et rusticis. — On disait aussi villa urbana (Digeste, XIX, 2, 11, § 4).

[115] Digeste, L, 16, 205 : Qui ad ejus corpus tuendum atque ad ipsius cultum destinati sunt, quo in genere junctores, cubicularii, coci, ministratores, atque alii. — Pline, Lettres, III, 19 : Alrienses, topiarii, fabri atque venatorium instrumentum — Il y avait indécision à l'égard des veneurs : tantôt on les comptait parmi les ministeria urbana (Paul, Sent., III, 6, § 71) ; tantôt dans la familia rustica (Digeste, XXXIII, 7, 12, § 12).

[116] Caton, De re rustica, 10 et 11 ; Varron, De re rustica, I, 18.

[117] Saserna, dans Varron, De re rustica, I, 19.

[118] Columelle, I, 8 : In servis hæc præcepta servanda sunt quæ me custodisse non pœnitet, ut rusticos familiarius alloquerer, et cum comitate domini levari perpetuum laborem eorum intelligerem, nonnunquam etiam jocarer et plus ipsis jocari permitterem. — Varron, I, 17 : Servi... honore aliquo habendi sunt... Minus se putent despici, atque aliquo numero haberi a domino. Studiosiorés fieri liberalius tractando, etc.

[119] Varron, De re rustica, I, 17 : Quibus rebus agri colantur, tres partes instrumenti, genus vocale, et semivocale, et mutum.

[120] Digeste, XXXIII, 7 : De instructo sive instrumenta legato.

[121] Columelle, I, 9 : Ne singuli neque bini sint, quoniam dispersi non facile custodiuntur.

[122] Digeste, XXXI, 65 : Si postea servorum officia vel ministeria mutaverit. — C'est en ce sens que le mot ministeria est employé par Tacite, lorsqu'il dit que chez les Romains la familia se partage en ministeria et qu'il n'en est pas de même chez les Germains, in nostrum morem descriptis per familiam ministeriis (Germanie, 25).

[123] Columelle, I, 9 : Illud censeo ne confundantur opera familiæ sic ut omnes omnia exsequantur... Separandi sunt aratores a vinitoribus. — Paul, au Digeste, XXXIII, 7, 18, distingue les bubulci, les pastores, les putatores, les fossores. — Ajoutez les saltuarii, et les jardiniers appelés topiarii.

[124] Columelle, I, 9 : Classes non majores quam denûm hominum faciendæ, quas decurias appellaverunt antiqui et maxime probaverunt quod is numeri modus in opere commodissime custodiretur.

[125] Ulpien, au Digeste, XXXIÏÏ, 7, 12 : Et pistorem et tonsorem qui familiæ rusticæ causa parati sunt, contineri (in instrumenta fundi) ; item fabrum qui villæ reficiendæ causa paratus sit, et mulieres quæ panem coquant ; item molitores si ad usum rusticum parati sint... et tonsores et fullones. — Digeste, L, 16, 205 : Textores, operarii rustici,. junctores. — Palladius, De re rustica, I, 6 : Ferrarii, lignarii, doliorum cuparumque factures necessario habendi sunt.

[126] Ulpien, au Digeste, XXXIII, 7, 12 : Item lanificas quæ familiam rusticam vestiunt. Cf. sur le gynæceum, Code Théodosien, XVI, 8, 6 ; Code Justinien, IX, 27, 5 ; XI, 7, 5 ; Isidore, Origines, VI, 5, 15.

[127] Columelle, XI, 1 : Magistri singulorum officiorum. — Idem, I, 8 : Operum magistri. — Idem, I, 9 : Magistros operibus oportet prœponere sedulos.

[128] Ulpien, au Digeste, XXXIII, 7, 12, § 9 : Cellarium quoque, id est ideo præpositum ut rationes salvæ sint. — Columelle, XI : Ut cibus et potio sine fraude a cellariis præbeantur.

[129] Digeste, XI, 3, 16 : Dominus servum dispensatorem manumisit, postea rationes ab eo accepit. — Gaïus, III, 160. — Digeste, XLVI, 5, 51 ;L, 16, 166 ; L, 16, 203.— Corpus inscriptionum latinarum, X, 237, 1732, 1919, 1921, 4594, 8059 ; V, 91, 1034, 2883.

[130] Que le villicus fût toujours un esclave, c'est ce qui ressort des textes suivants : Caton, De re rustica, 5 et 142 ; Columelle, I, 8 : De iis præficiatur qui servitutem laboriosam toleraverunt ; Idem, XI, 1 : Villicus ad ministeria sua conservas non adhibeat. — Digeste, XXXIII, 7, 18 ; Code Justinien, VI, 58, 2. — Apulée représente bien le villicus comme un esclave : Servus quidam cui cunctam familiæ tutelam dominus permiserat, quique habebat ex eodem famulitio conservam conjugem (Metam., VIII). — Voyez aussi les inscriptions : Corpus inscrip. latin., en cent endroits. — C'est parce que le villicus est un esclave que Paul (Sent., III, 6, 55) le compte dans l’instrumentum fundi.

[131] Caton, 5 : Villicus, si quis quid deliquerit, pro noxa bono modo vindicet.. Opus rusticum omne curet. — Columelle, I, 8 : Num villicus aut alligaverit quemquam aul revinxerit. — Idem, XI, 1 : Ne crudelius aut remissius agat cum subjectis.

[132] Il est difficile de fixer le sens de ces deux termes. Il y a apparence que la signification n'en a jamais été bien fixe et invariable. Dans Columelle, I, 7, l'actor parait être le même que le villicus ; ailleurs, XII, 3, il semble qu'il y ait plusieurs actores sur un même domaine ; ailleurs encore, I, 6, le procurator semble exercer une surveillance sur le villicus. — Pétrone, c. 50, montre le procurator recevant les comptes pour son maître. — Pline, Lettres, III, 19, distingue nettement le procurator de l'actor, et il donne à entendre que sur un très grand domaine il n'y a qu'un seul procurator, tandis qu'il y a plusieurs actores. — Ausone, Lettres, 22, parle d'un certain Philon qu'il appelle à la fois son procurator et son villicus, et à qui il impute tous les défauts d'un mauvais intendant. — Le procurator fundi ou procurator possessionis est souvent mentionné au Code Théodosien, XVI, 5, 54 ; XVI, 5, 56, etc.

[133] On remarque au Code Théodosien, IV, 11, 6, qu'il est interdit à une femme libre d'épouser un esclave, et la loi cite parmi les esclaves l'admet le procurator, tout en faisant une exception pour les procuratores du domaine impérial. — Paul (Sent., III, 6, 47 et 48) montre que l'actor a un peculium et qu'il est compris dans l'instrumentum fundi. — Pourtant le procurator est quelquefois un homme libre ; Code Théodosien, XVI, 5, 65 : Procurator si sil ingenuus. — L'actor figure souvent dans les inscriptions, et chaque fois c'est un esclave ; Corpus inscr. lat., V, 90, 1035, 1049, 1959, 7473, 8116.

[134] Salvien, De gubernatione Dei, IV, 5, édit. Halm, p. 58 : Pavent actores, pavent silentiarios, pavent procuratores... ab omnibus cæduntur, ab omnibus conteruntur... multi servorum ad dominos suos confugiunt, dum conservos timent. — Comparer, à l'époque précédente, les servi vincti dont parlent Columelle, I, 8, et Pline, Lettres, III, 19, et l'ergastulum, dont il est aussi question dans Columelle, I, 8, dans Juvénal, XIV et VIII, et dans Apulée, Métam., IX. Ni Salvien ni aucun auteur du quatrième et du cinquième siècle ne signalent plus d'esclaves enchaînés.

[135] Varron, De re rustica, II, 17 : Danda opera ut habeanl peculium... ulpeculiare aliquid in fundo pascant. Cf. I, 2 : Peculium servis, quibus domini dant ut pascant. — On sait que le pécule d'esclave pouvait comprendre des immeubles aussi bien que de l'argent et des meubles. Ulpien, au Digeste, XXXIII, 8, 6 : Si peculium legetur (par le maître) et sit in corporibus, puta fundi vel ædes....

[136] Varron, De re rustica, II, 17 : Eo enim sunt conjunctiores fundo.

[137] Ulpien, au Digeste, XXXIII, 7, 12, § 5 : Quæritur an servus qui quasi colonus in agro erat, instrumento legato contineatur. — Dans cette phrase, le mot colonus a le sens qui était le plus fréquent à cette époque, celui de fermier.

[138] Paul, au Digeste, XXXIII, 7, 18, § 4. Il pense surtout à un villicus, lequel était un esclave : Cum de villico quæreretur an instrumento inesset, et dubitaretur, Scævola respondit, si non pensionis certa quantitate, sed fide dominica coleretur, deberi. — Pensio est le terme dont on désignait chaque payement de la merces ou prix de fermage ; le villicus qui travaillait certa pensionis quantitate ressemblait donc à un fermier.

[139] Scævola, au Digeste, XXXIII, 7, 20 : Quæsitum est an Stichus servus qui unum ex his fundis coluit et reliquatus est amplam summum... legatario debeatur.

[140] Alfénus, au Digeste, XV, 3, 16 : Quidam fundum colendum servo suo locavit, et boves ei dederat....

[141] Code Justinien, XI, 48, édit. Kruger (alias, 47) : Quemadmodum originarios absque terra, ita rusticos censitosque servos vendi omnifariam non licet.

[142] Code Théodosien, IX, 42, 7 : Quot sint casarii.

[143] Au tome Ier du présent ouvrage.

[144] Tite-Live, XL, 18 : Ut naves viginti deductæ navalibus sociis civibus romanis qui servitutem servissent, complerentur. — XLII, 27 : Socios navales libertini ordinis in viginti et quinque naves prætor scribere jussus. — Cf. XXIV, 11 : Dati nautæ ab dominis.

[145] Dion Cassius, LV, 51. — Velleius, II, 111 : Viri feminæque ex censu libertinum coactæ dare militem.

[146] Nous avons donné les preuves de ces faits au tome Ier.

[147] Varron, De re rustica, I, 17 : Omnes agri coluntur hominibus servis aut liberis aut utrisque.

[148] Suivant Mommsen, la locatio a commencé par être une pratique de l'État, et n'est passée dans le droit privé que vers la fin de la république ; voyez Zeitschrift der Savigny-Stiftung, 1885, p. 260 et suiv. Mais cette opinion ne me parait pas avoir été suffisamment démontrée. En tout cas il semble bien que le louage de terre ne soit entré qu'assez tard dans la pratique romaine. Il est curieux qu'il se soit présenté d'abord sous la forme d'une vente ; longtemps la locatio s'est appelée vendilio, et le fermier emplor ou redemptor. Festus, édit. Eggor, p. 290 : Venditiones dicebantur olim censorum locationes quod velut fructus-publicarum rerum venibant. — Lex Thoria, passim : locabit, vendet. — Hygin, édit. Lachmann, p. 116 : Emere id est conducere. — Caton, De re rustica, c. 150 : Emptor.

[149] Gaïus, III, 142 ; voyez au Digeste tout le titre XIX, 2, Locati conducti, et au Code Justinien, III, 24, De locatione conductione.

[150] Digeste, XIX, 2, 9 : Si lege locationis denuntiatum sit. XIX, 2, 29 : Lex locationis. XIX, 2, 25 : Secundum legem conductionis. XIX, 2, 50, § 4 : Colonus hac lege villam acceperal ut... Scævola, au Digeste, XIX, 2, 61 : Colonus, quum lege locationis non esset comprehensum ut vineas poneret... Varron, I, 2 et II, 5, mentionne les leges colonicæ. — Dans tous ces exemples le colonus est un fermier.

[151] Gaïus, III, 142 : Nisi merces certa statuta sit, non videtur locatio conductio contrahi ; Cf. Cicéron, in Verrem, III, 50 ; ad Atticum, XV, 17 ; Digeste, XXXIX, 5, 6. Sur le mot pensio, Cicéron, ad Atticum, XI, 25 ; dies pensionis, Digeste, XLIX, 14, 50.

[152] Locare in quinquennium, Ulpien, au Digeste, XIX, 2, 9 ; Paul, au Digeste, XIX, 2, 24. Locare in lustrum, Ulpien, au Digeste, XIX, 2, 9,§ 11. Pline, Lettres, IX, 57. La loi autorisait la location quoad is qui locasset vellet.

[153] Ulpien, au Digeste, XIX, 2, 15, § 11 ; ibidem, 14.

[154] Code Justinien, IV, 65, 9. Sauf exception marquée au contrat, Digeste, XIX, 2, 4.

[155] Gaïus, au Digeste, XIX, 2, 25.

[156] Gaïus, au Digeste, XIX, 2, 25.

[157] Loi de 244, au Code Justinien, IV, 65, 11.

[158] Gaïus, IV, 153 : Colonus nostro juri subjectus non est.

[159] Ulpien, au Digeste, XIX, 2, 14 et 19 ; Paul, au Digeste, XIX, 2, 24. Columelle, III, 15 : Conductor agri.

[160] Colonus est synonyme de conductor dans Ulpien, au Digeste, XIX, 2, 14 et 19 ; Paul, au Digeste, XIX, 2, 24 ; Gaïus, ibidem, 25 ; Alfénus, ibidem, 50, § 4. — Cicéron, in Verrem, III, 22 : Fundus colono locatus. Pline, Lettres, X, 8, édit. Keil. — Il a encore la signification de fermier libre au quatrième siècle : Code Justinien, IV, 65, 27 ; IV, 65,16 ; Institutes, III, 24.

[161] Horace, Satires, II, 7.

[162] Horace, Epîtres, I, 14 :

Habitatum quinque focis et

Quinque bonos solitum Variam dimittere patres.

[163] Cette sorte de coloni est quelquefois mentionnée dans les inscriptions. Inscript. Neapolit., n° 5504 : T. Alfenus Atticus colonus fundi Tironiani quem coluit annis quinquaginta ; n° 2901 : Afranius Felix coluit annis 25 ; n° 2527 : Q. Asteius Diadumenus coluit ann. 55. Orelli, 4644 : 67. Vergilius Martanus colonus agri Cæli Ænei.

[164] Pline, Lettres, X, 8.

[165] Gaïus, IV, 147. Code Justinien, IV, 65, 5. Institutes, IV, 6, 7.

[166] Ulpien, au Digeste, XIX, 2, 15. Cf. Pline, X, 8 : Continuas sterilitates cogunt me de remissionibus cogitare.

[167] Columelle, I, 7.

[168] Pline, Lettres, III, 19.

[169] Code Théodosien, XI, 20, 5 ; XVI, 5, 54, § 5 et 6. — Une loi de 295, au Code Justinien, IV, 65, 24, signale encore le contractus locationis conductionisque.

[170] Paulini Eucharisticon, v. 556 : Conducti agri. — Cf. Symmaque, Lettres, IV, 68 ; IX, 52 : Conductorem rei meæ Siciliensis. — Mais ce sont ici de grands fermiers ; ils ont pris des domaines entiers. C'est la classe dos petits fermiers qui a presque disparu.

[171] Dans nos Recherches sur quelques problèmes d'histoire, pages 1-82, nous avons montré les origines diverses et multiples du colonat. Nous les résumons ici. 1° Beaucoup de colons sont issus de fermiers libres, par ce seul fait que ces fermiers n'ont pas pu payer leurs fermages et ont été retenus sur la terre comme endettés ; voyez sur ce point le texte de Varron, I, 17, sur les obœrati qui cultivent la terre du maître ; celui de Columelle, I, 3, sur des terres qui sont cultivées nexu civium ; voyez surtout les curieuses lettres de Pline, III, 19, et IX, 57. Ces faits, renouvelés d'année en année, ont peu à peu substitué le fermage partiaire sans contrat au fermage avec contrat, et ont peu à peu multiplié une population de cultivateurs que le propriétaire du domaine a pu retenir. — 2° Beaucoup d'hommes sont entrés sur de grandes propriétés, notamment sur les saltus ou encore, sur les domaines du prince, comme cultivateurs sans contrat et sans bail, à la discrétion du puissant propriétaire ; le temps et l'habitude les ont attachés à la terre, avant que la loi proclamât cette attache. — 3° Au troisième et au quatrième siècle, les victoires de l'empire sur les Germains ont amené beaucoup de prisonniers ou de déditices, que l'on a établis sur des terres du fisc, ou que l'on a distribués à des propriétaires, sous la condition d'attache perpétuelle au sol. — 4° Les opérations financières de la fin du troisième siècle et du quatrième ont eu pour effet d'assurer le maintien du colon sur sa tenure par l'inscription sur les registres du cens. -— Pour ce qui est de la Gaule, outre que les mêmes faits s'y sont reproduits exactement comme ailleurs, nous inclinons à penser que le colonat a eu des racines particulières, et qu'il se rattachait à des coutumes antérieures à César ; mais c'est un point dont nous ne pouvons pas faire la démonstration, faute de documents.

[172] Code Justinien, XI, 52, 1, édit. Kruger : Licet conditione videantur ingenui, servi tamen terræ cui nati sunt æstimentur. — On a traduit videantur par ils semblent ; or, dans la langue du quatrième siècle, videri a le sens de être vu, être constant ; on n'a pas fait attention au sens propre du subjonctif existimentur ou dans d'autres manuscrits æstimentur. Le législateur ne dit pas que les colons ne sont pas libres, ni qu'ils sont serfs ; il dit que, quoique par leur condition il soit bien visible qu'ils sont libres, ils doivent pourtant être regardés comme esclaves à l'égard de la terre pour laquelle ils sont nés. Il y a là une sorte de fiction juridique, mais cela ne signifie pas qu'ils soient réellement et légalement esclaves.

[173] Novelles de Valentinien, édit. Hænel, p. 227 : Salva ingenuitate. — Code Théodosien, V, 4, 5 : Nulli liccat eos in serritutem trahere. — Code Justinien, XI, 55, 1 ; XI, 48, 25 : Liberos permanere... esse in perpetuum liberos. — Nous ne voulons pas dire qu'il ne se soit jamais trouvé d'esclaves dans la classe des colons ; cela ne peut pas être affirmé. Il a pu arriver assez souvent qu'un maître fit de son esclave un colon ; il a donc pu exister des colons de condition servile. Il s'en faut beaucoup que le colonat fût cette condition bien arrêtée et immuable qu'on s'imagine. Les plus grandes diversités s'y rencontraient.

[174] Cela ressort du Code Théodosien, V, 10.

[175] Code Théodosien, V, 11, 1 ; XII, 1,55 ; Novelles de Justinien, 128, 14.

[176] Code Justinien, XI, 50, 1.

[177] Code Justinien, XI, 50, 2.

[178] Code Justinien, XI, 48, 15 : Non ab agris momento amoveri.

[179] Code Justinien, XI, 53, 1 : Inserviant terris. Code Théodosien, V, 10, 1 : Debentur solo ; X, 20, 10 : Juri agrorum debita persona.

[180] Novelles de Valentinien, XXX, § 6, édit. Hænel, p. 227 : Filios earum aut colonario nomine aut servos, ita ut illos nexus colonarius teneat, hos conditio servitutis.

[181] Code Théodosien, VII, 5, 6. Cf. Code Justinien, XII, 55, 5 ; celle loi défend au colon de s'offrir au service militaire ultro, c'est-à-dire sans l'aveu de son propriétaire ; c'est dans le même sens qu'une loi lui défend de s'enrôler clanculo (Code Justinien, XI, 68, 5).

[182] Une loi du Code Justinien, I, 5, 16, défend au colon d'entrer dans les ordres invito agri domino, ou encore, I, 5, 56, contra voluntatem dominorum fundorum.

[183] Code Justinien, XI, 48, 7.

[184] Code Justinien, XI, 65, 5.

[185] Le colon ne pouvait pas épouser une esclave, ni l'esclave une colona, ou du moins ce mariage ne produisait pas d'effets légaux. Voyez Code Justinien, XI, 48, 21. — D'autre part, un homme libre ne pouvait pas épouser une colona, c'est-à-dire qu'une telle union n'était pas légalement reconnue ; voyez Code Justinien, XI, 68, 4, et XI, 48, 21 et 24. La novelle de Justinien, XXII, 17, interdit le mariage entre un colon et une femme libre.

[186] Novelles de Valentinien, XXX, § 2 et 5, édit. Hænel, p. 225. Cf. Code Théodosien, V, 10, 1, § 5. Si un mariage s'était accompli entre deux personnes appartenant à deux domaines différents, les enfants étaient partagés, deux tiers au domaine du père, un tiers au domaine de la mère.

[187] Code Théodosien, V, 4, 5 : Opera eorum terrarum domini utantur. — Code Justinien, I, 5,16 : Invito agri domino. I, 5, 56 : Domini possessionum unde (coloni) oriundi sunt... contra voluntatem dominorum fundorum. XI, 48, 5 : Domini prædiorum. XI, 48, 15 : Fundi dominus. XI, 48, 4 : li penes quos fundorum dominia sunt. XI, 48, 20 : Si coloni contra dominos terrx declamaverint. XI, 48, 25 : Possessionum domini in quibus coloni constituti sunt. XI, 50, 2 : Ignorante domino prædii — Une loi de 565, au Code Théodosien, V, 11, 1, appelle le propriétaire. non pas dominus, mais patronus coloni.

[188] Le législateur lui-même finit par faire la confusion ; Justinien dit en parlant de l'esclave et du colon : Cum uterque in domini sui positus sit potestate (Code Justinien, XI, 48, 21 in fine).

[189] Code Justinien, I, 5, 16. : Ruralibus obsequiis fungatur. Cf. Code Théodosien, V, 4, 5 : Nulli liceat eos urbanis obsequiis addicere. Les mots urbana obsequia désignent le service personnel du maître, même à la campagne.

[190] Code Théodosien, XIII, 1, 5, 8, 10.

[191] Code Justinien, XI, 48, 19 et 25.

[192] Code Théodosien, V, 11, 1.

[193] Code Justinien, XI, 48, 20.

[194] Code Justinien, XI, 48, 5 ; XI, 48, 20, § 2.

[195] Code Théodosien, VII, 20, 11 : Agratici nomine. Cf. inscription de Souk-el-Khmis, au Corpus inscr. latin., VIII, n° 10570, 5e colonne : Partes agrarias.

[196] Code Justinien, XI, 53, 1 : Redhibitio operarum.

[197] Au Corpus inscr. lat., VIII, n° 10570, 5e col., 1. 11-15 : Non amplius annuas quam binas aratorias, binas sartorias, binas messorias operas debeamus. 4e col., 1, 5 : Ne plus quam ter binas operas curabunt.

[198] Code Justinien, XI, 48, 5 : Nisi consuetudo prædii hoc exigat. — Ibidem, XI, 48, 23, § 2 : Veterem consuetudinem. — XI, 48, 5 : Adversus consuetudinem.

[199] Loi de Constantin, au Code Justinien, XI, 50, 1. — De même une loi d'Arcadius, Code Just., XI, 50, 2, § 4, marque que le colon a le droit de se plaindre en justice si son propriétaire lui impose une superexactio.

[200] Code Justinien, XI, 48,25 : Caveant possessionum domini... aliquam innovalionem vel violentiam eis inferre Hoc sancimus ut et ipsa soboles semel in fundo nata remaneat in possessione sub iisdem modis iisdemque conditionibus sub quibus genitores ejus manere in fundis definivimus.

[201] Digeste, XXXIV, 5, 1 : Quum rationibus demonstraretur.

[202] Horace, Épîtres, I, 14 ; Satires, II, 7 ; Odes, III, 16, 50.

[203] Digeste, XXXIII, 7, 20 : Fundos cum villicis et cum reliquis colonorum.... Prædia ut instructa sunt cum reliquis colonorum et mancipiis et peculiis et cum actore. XXXIII, 7, 27 : Prædia cum servis qui ibi erunl et reliquis colonorum legavit. Fundum Cornelianum Titio ita lego ut est instructus cum mancipiis et reliquis colonorum dari volo.

[204] Ulpien, au Digeste, L, 15, 4.

[205] Ulpien, au Digeste, L, 15, 4.

[206] Paul, Sent., III, 6, § 71. Cf. Digeste, XXXIII, 7, 12, § 12.

[207] Corpus inscriptionum latinarum, VIII, n° 10570.

[208] Code Justinien, IX, 49, 7. Code Théodosien, IX, 42, 7 : Quot sint casarii vel coloni.

[209] Varron, De re rustica, I, 17.

[210] Apulée, Métamorphoses, VIII : Nec paucis pererratis casulis, ad uamdam villam possessoris beali perveniunt.

[211] Frontin, De Controversiis agrorum, édit. Lachmann, p. 55.

[212] Varron, De re rustica, I, 15 ; Columelle, De re rustica, I, 6 ; Vitruve, VI, 9 ; Palladius, passim.

[213] Pline, Lettres, II, 17, et V, 6.

[214] Sidoine Apollinaire, Lettres, VIII, 4 ; édit. Baret, VIII, 11.

[215] Sidoine Apollinaire, Lettres, II, 2.

[216] Code Théodosien, XVI, 2, 55 : Ecclesiis quæ in possessionibus, ut assolet, diversorum, vicis etiam vel quibuslibet locis sunt constitutæ, clerici non ex alia possessione vel vico, sed ex eo ubi ecclesiam esse constituit, eatenus ordinentur, ut propriæ capitationis onus ac sarcinam recognoscant. — Cela sera répété par plusieurs conciles du cinquième et du sixième siècle.

[217] Suétone, Augustus, 72 ; Caligula, 57 ; Nero, 59. — Stace, Sylvæ, II, V. 84.

[218] Ulpien, au Digeste, VII, 8, 12 ; L, 16, 198. Cf. Digeste, XXXI, 54 ; XXXII, 91 ; VIII, 5, 2.

[219] Palladius, I, 8, 11, 25, 55, etc. Symmaque, 1,4 ; I, 10 : I, 14 ; , 18 ; VI, 9 ; VI, 66.

[220] Sidoine Apollinaire, Carmina, XXII ; édit. Baret, XIX.

[221] Symmaque, Lettres, I, 1, 5, 7, 8, 55, 51, etc.

[222] Sidoine, VIII, 6 ; III, 12 ; VIII, 8, etc.

[223] Inter rusticanos, Sidoine, Lettres, I, 6.

[224] Sidoine, Lettres, éd. Baret, VIII, 14 ; ailleurs, VIII, 8.

[225] Sidoine, Lettres, VIII, 4 : Vomeri incumbis.

[226] Ausone, Lettres, XXIII.

[227] Symmaque, Lettres, I, 2 : Vitam innocuis tenuisti lætus in arvis. Cf. I, 58 ; III, 25. — Voyez aussi le poème de Festus Avienus, dans la collection Lemaire, Poetæ minores, t. V, page 522.

[228] Paulin de Pella, Eucharisticon, v. 205-211, 455-457.

[229] Varron, De re rustica, III, 12 : Leporaria... non solum lepores eo includuntur, sed etiam cervi in jugeribus multis... etiam oves feræ. Varron cite le parc de chasse que Titus Pompeius s'était fait en Cisalpine et qui comprenait 40.000 pas carrés.

[230] Pline, Lettres, II, 8.

[231] Pline, Lettres, I, 6.

[232] Digeste, XXXIII, 7, 12, § 12 ; XXXIII, 7, 22. Cf. Pline, Lettres, III, 19.

[233] Symmaque, Lettres, I, 55 ; IV, 18 ; VII, 18.

[234] Sidoine, Lettres, III, 5.

[235] Sidoine, Lettres, V, 11.

[236] Sidoine, Lettres, IV, 9. — De même un autre ami de Sidoine, nommé Eriphius ; ibidem, V, 17. Voyez encore dans le même écrivain le Panégyrique d'Avitus, vers 188.