L'ALLEU ET LE DOMAINE RURAL PENDANT L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE

 

INTRODUCTION.

 

 

Nous avons étudié jusqu'ici les institutions politiques de la Gaule sous l'empire romain et sous les rois Francs. La suite des temps ne tardera pas à nous montrer le régime féodal. Mais pour comprendre les institutions de ce régime, et pour savoir comment elles se sont formées, il est nécessaire de porter d'abord notre étude sur l'état de la propriété foncière. En tout temps et en tout pays, la manière dont le sol était possédé a été l'un des principaux éléments de l'organisme social et politique. Cette vérité frappe moins les esprits d'aujourd'hui, parce que depuis quatre siècles nos sociétés sont devenues plus complexes. L'historien à venir qui, dans quelques siècles d'ici, voudra connaître nos institutions actuelles, devra étudier beaucoup d'autres choses que notre propriété rurale. Il devra se rendre compte de ce qu'était chez nous une usine, et de la population qui y travaillait. Il s'efforcera de comprendre notre Bourse, nos compagnies financières, notre journalisme et tous ses dessous. Il lui faudra suivre l'histoire de l'argent autant que celle de la terre, celle des machines autant que celle des hommes. L'histoire de la science et de toutes les professions qui s'y rattachent aura pour lui une importance considérable. Nos opinions vraies ou fausses et toutes nos agitations d'esprit auront pour lui une grande valeur. Pour comprendre nos mouvements politiques, il n'aura pas à s'occuper seulement de la classe qui possède le sol, il faudra qu'il regarde les deux classes qui ne possèdent pas, l'une qui est la catégorie des professions dites libérales, l'autre qui est la classe ouvrière, et il cherchera à mesurer l'influence de l'une et de l'autre sur les affaires publiques.

Rien de semblable dans les anciennes sociétés. Pour les peuples qui ont vécu avant le quinzième siècle, le domaine rural a été l'organe, sinon unique, au moins le plus puissant, de la vie sociale. Presque tout venait de la terre ; presque tout se rapportait à elle. C'est là que s'exécutait presque tout le travail social ; là s'élaboraient la richesse et la force ; là tendaient les convoitises, et de là venait la force. C'est dans l'intérieur de ce domaine rural que se rencontraient les diverses classes des hommes. C'est pour la terre et à cause d'elle que surgissaient les grandes inégalités.

Nous allons donc chercher quel fut l'état du sol dans les premiers siècles du moyen âge ; comment et à quel titre il était possédé ; quelle idée les hommes se faisaient de la propriété, et quels droits ils y attachaient ; par qui il était possédé ; si c'étaient les mêmes hommes qui possédaient et qui cultivaient ; ce qu'étaient les tenanciers, et quels droits le propriétaire avait sur eux. La nature de la propriété, les divers modes de tenure, les relations entre cette propriété et ces tenures, voilà ce que nous avons besoin de connaître pour comprendre la vie de ces générations, et pour comprendre même leurs institutions politiques.

Ce n'est donc pas ici un objet de pure curiosité. Aussi puis-je dire que ceux qui confondent la curiosité avec l'histoire se font de l'histoire une idée bien fausse. L'histoire n'est pas l'accumulation des événements de toute nature qui se sont produits dans le passé. Elle est la science des sociétés humaines. Son objet est de savoir comment ces sociétés ont été constituées. Elle cherche par quelles forces elles ont été gouvernées, c'est-à-dire quelles forces ont maintenu la cohésion et l'unité de chacune d'elles. Elle étudie les organes dont elles ont vécu, c'està-dire leur droit, leur économie publique, leurs habitudes d'esprit, leurs habitudes matérielles, toute leur conception de l'existence. Chacune de ces sociétés fut un être vivant ; l'historien doit en décrire la vie. On a inventé depuis quelques années le mot sociologie. Le mot histoire avait le même sens et disait la même chose, du moins pour ceux qui l'entendaient bien. L'histoire est la science des faits sociaux, c'est-à-dire la sociologie même.

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Voici les principaux documents où nous pouvons trouver les vérités que nous cherchons :

Lex Salica, éditions Pardessus, 1845 ; Behrend, 1874 ; Holder, 1879-1880 ; Hessels, 1880.

Lex Ripuaria, édition Sohm, 1883.

Lex Burgundionum, édition Bluhme, dans les Monumenta Germaniœ, Leges, t. III, ou édition Binding dans les Fontes rerum Bernensium, t. I, 1880.

Lex Romana Wisigothorum, édition Hænel, in-folio, 1849.

Lex Romana Burgundionum, édition Bluhme, édit. Binding.

Lex Wisigothorum, dans le recueil de Canciani, t. IV ; dans le recueil de Walter, t. 1er.

Lex Alamannorum, dans le recueil de Pertz, t. III des Leges ; édition Lehmann, 1888.

Lex Baiuwariorum, dans le recueil de Pertz, t. III des Leges. — Ces deux derniers codes, rédigés sous l'influence des rois Francs et de l'Église, représentent plutôt les usages de l'époque mérovingienne que ceux de l'ancienne Germanie.

Capitularia regum Francorum, édition Borétius, 1881-1885, in-4°.

Acta Conciliorum, édition Sirmond pour la Gaule, collections Labbe et Mansi pour toute l'Église.

Diplomata, chartæ, aliaque instrumenta ad res gallo-francicas spectantia, édition Pardessus, 2 vol. in-fol., 1842-1849. — Le recueil de Diplomata de Pertz ne contient que les actes royaux ; celui de Pardessus contient environ 250 chartes écrites par des particuliers, ventes, donations, testaments, toutes relatives à la propriété foncière.

Archives nationales, Monuments historiques, Cartons des rois, édition Tardif, 1866, in-4°.

Formulæ merovingici ævi. Nous avons les formulaires ou modèles d'actes pour la vente, la donation, l'échange, le testament, l'affranchissement, des pays d'Anjou, d'Auvergne, de Bourges, de Sens, celui qui a été rédigé par Marculfe au septième siècle et qui paraît être le formulaire de Paris, enfin les recueils dits de Bignon, de Merkel, de Lindenbrog. Un peu postérieures, mais encore utiles à consulter, sont les Formulæ imperiales, les formules de Strasbourg, de Reichenau et de Saint-Gall. — Deux collections complètes ont été publiées par E. de Rozière, 3 vol. in-8°, 1859-1871, et par Zeumer, 1 vol. in-4°, 1882.

Polyptyque de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. C'est le registre des domaines de l'abbaye, avec l'indication de chaque manse, le nom et la famille du tenancier, le chiffre des redevances. A la suite sont des fragments des polyptyques de Saint-Maur et de Saint-Berlin. — Deux éditions ont été publiées par Guérard, avec de savants prolégomènes, 1844, 2 vol. in-4°, et par Longnon, 1886.

Polyptyque de l'abbaye de Saint-Remi de Reims, publié par Guérard, 1853. — Ces polyptyques n'ont été écrits qu'au neuvième siècle ; mais on voit bien en les lisant qu'ils ne sont que la constatation d'un état de choses ancien.

Polyptyque de Saint-Victor de Marseille. Il donne l'indication des domaines, des tenures, de l'état des personnes, et des redevances. Il a été rédigé en 814. — On le trouvera à la suite du Cartulaire de Saint-Victor, édition Guérard, 1857, t. II, p. 635 et suiv.

Registre de l'abbaye de Prum. Il donne l'indication des domaines et des redevances. — On le trouvera dans Beyer, Urkundenbuck zur Geschichte der... mittelrheinischen Territorien, 1860, pages 155-200.

Pérard, Pièces curieuses servant à l'histoire de Bourgogne, in-fol., 1654.

Traditiones possessionesque Wizenburgenses, publié par Zeuss, 1842. Ce sont 279 actes de vente ou de donation de terre en faveur du monastère de Wissembourg, entre les années 692 et 861. Suit un polyptyque d'époque postérieure.

Codex Laureshamensis abbatiæ diplomaticus, 2 vol. in-4°, 1768, recueil des actes de vente, de donation, d'échange faits en faveur du monastère de Lorsh.

Codex traditionum Corbeiensium, recueil des chartes de cession de terres (traditiones) faites à l'abbaye, publié par Falke, 1752, in-folio.

Prodromus Historiæ Trevirensis diplomatica et pragmatica, par Hontheim, 1757, 2 vol. in-fol.

Historia Frisingensis, par Meichelbeck, 4 vol. in-fol., dont deux de pièces justificatives, 1724-1729.

Monumenta Boica, 37 vol. in-8°, à partir de 1769.

Neugart, Codex diplomaticus Alemanniæ et Burgundiæ transjuranæ, 2 vol. in-4°, 1791.

Schœpflin, Alsatia diplomatica, 2 vol. in-fol., 1772-1775.

Lacomblet, Urkundenbuch für die Geschichete des Niederrheins, in-4°, 1840.

Codex diplomaticus Fuldensis, par Dronke, 1850.

Urkandenbuch zur Geschichte der mitterheinischen Territorien, publié par Beyer, 1860, recueil de pièces dont plusieurs remontent aux temps mérovingiens, entre autres le testament d'Adalgésile.

Urkundenbuch der Ablei S. Gallen, 2 vol. in-4°, publié par Wartmann, 1865.