LA MONARCHIE FRANQUE

 

CONCLUSION.

 

 

Nous remettons à un autre volume l'étude du régime de la propriété durant ces deux siècles. Nous remettons aussi la recherche des causes qui ont amené la chute de la famille mérovingienne. Nous arrêtant ici, après avoir analysé l'une après l'autre toutes les institutions d'ordre politique et tous les organes de ce gouvernement, nous pouvons essayer la synthèse de cet organisme.

L'institution dominante et maîtresse pendant ces deux siècles est manifestement la royauté. Tout lui est subordonné. Il n'existe en face d'elle ni une noblesse indépendante, ni un peuple. Nous ne trouvons ni privilèges de noblesse, ni droit populaire. Rien qui ressemble à une assemblée nationale ne s'aperçoit dans les documents. La seule institution qui ait vigueur est la royauté.

Le Droit ne vient pas tout entier d'elle, parce que le Droit n'est pas chose qui dépende de la volonté des gouvernants ; il a ses racines dans les coutumes d'un long passé et dans des conceptions d'esprit qui ne changent que lentement. Cette royauté peut pourtant quelquefois modifier le Droit, et toute nouvelle loi est son œuvre.

Les organes par lesquels elle agit sont, d'abord le Palais, c'est-à-dire le groupe des ministres, des dignitaires, des bureaux ; ensuite l'ensemble des fonctionnaires, ducs, comtes, vicaires, centeniers, qui se répandent sur tout le pays. Toute administration dérive d'elle. Tous les chefs locaux sont ses agents, nommés, déplacés, révoqués par elle. Nous n'avons aperçu aucun chef élu par les populations. Nous n'avons trouvé non plus aucune assemblée provinciale ou cantonale qui surveille ou limite l'action du fonctionnaire.

Toute justice, à très peu d'exceptions près, émane d'elle. Les jugements sont rendus, au premier degré, par ces mêmes fonctionnaires entourés d'assesseurs, au degré supérieur, par le roi lui-même entouré des dignitaires de son palais. Elle lève des impôts autant qu'elle en peut lever sans nulle intervention d'assemblée. Tous les hommes sont soldats, dès qu'elle exige qu'ils fassent la guerre. L'Église garde son indépendance, à cause de sa nature propre, et pourtant elle se soumet à ce que ses chefs soient choisis par la royauté, et les conciles ne se réunissent qu'avec la permission des rois.

C'est donc le régime monarchique qui gouverne la Gaule. Ce régime vient-il de la Germanie ? Assurément il n'était pas inconnu des Germains ; la race germanique ne paraît avoir eu à aucune époque de son histoire aucune prévention contre lui. Toutefois l'observation du détail nous a montré beaucoup plus d'institutions empruntées à l'empire romain que d'institutions qui aient pu être apportées de la Germanie. Le gouvernement mérovingien est, pour plus des trois quarts, la continuation de celui que l'empire romain avait donné à la Gaule. Les rois francs ont pris le pouvoir, non pas tel que l'exerçaient Auguste et les premiers empereurs, mais tel que les empereurs du quatrième siècle l'avaient constitué. Ils ont la même cour, la même langue de chancellerie, les mêmes bureaux, les mêmes comtes, la même administration avec moins d'ordre, les mêmes impôts avec plus de difficulté dans la perception, et presque la même organisation judiciaire. L'organisme romain n'a pas disparu quand les gouverneurs romains s'en sont allés. La vie publique a été se troublant de plus en plus, mais sans se transformer. Les modifications que chaque siècle y a apportées, sont de celles que les désordres du temps produisent peu à peu, non de celles que créerait en un jour une révolution brusque.

Ainsi l'invasion germanique, qui a éliminé de la Gaule la puissance impériale, n'a pourtant pas fondé un régime nouveau. Elle n'a pas introduit une nouvelle façon de gouverner les hommes, de les administrer, de les juger. D'une part, nous n'apercevons pas qu'elle ait amené avec elle une seule institution de liberté. D'autre part, nous ne voyons pas non plus qu'elle ait introduit un régime féodal. Rien n'est féodal dans le gouvernement des Mérovingiens.

Ce n'est pas que l'on ne puisse constater, et nous le ferons plus tard, que le régime féodal avait déjà quelques-uns de ses germes au milieu de cette société. Ce gouvernement qui n'avait à côté de lui aucune liberté nationale ou populaire, avait en lui-même ou à côté de lui quelques éléments féodaux. Mais ce que nous devons conclure de notre présente étude, c'est qu'il n'existait rien de féodal dans l'ordre politique.

 

FIN DU TROISIÈME VOLUME