LA MONARCHIE FRANQUE

 

CHAPITRE XVI. — LE CONVENTUS OU LA RÉUNION GÉNÉRALE DU PEUPLE.

 

 

1° QUE CETTE INSTITUTION N'EXISTAIT PAS ENCORE AU SIXIÈME SIÈCLE.

 

Pour terminer l'étude du régime politique de l'époque mérovingienne, il nous reste à parler d'une institution singulière, que la langue du temps appelait conventus generalis populi, réunion générale du peuple. Il la faut observer de près ; suivant ce que nous trouverons dans les textes, nous devrons dire si elle était une assemblée nationale et souveraine, si elle faisait les lois, si elle dirigeait la politique des rois.

Essayons d'abord d'en voir l'origine et de la placer à sa vraie date. Si nous regardons dans les documents du sixième siècle, nous sommes forcés de constater que cette institution n'y figure jamais. Grégoire de Tours ne la mentionne pas une seule fois. Il avait signalé, au cinquième siècle, au début du règne de Clovis, un champ de Mars, qu'il avait décrit comme une simple revue militaire et une inspection d'armes. A partir de là, il ne parle plus une seule fois de champ de Mars. Or, comme il signale très fréquemment des réunions de troupes en vue d'une guerre, sans signaler en même temps un champ de Mars, on peut conclure de ce silence que l'institution du champ de Mars n'existait plus au sixième siècle. Il nous fait maintes fois et en termes des plus clairs la description d'une armée mérovingienne, et il est parfaitement certain qu'une telle armée n'était jamais consultée et ne se transformait jamais en un champ de Mars. Nous avons vu la nature de ces armées, elle est incompatible avec toute idée d'assemblée politique.

Quant à l'expression de conventus generalis, on ne la trouve pas une seule fois dans les nombreux ouvrages de Grégoire, non plus qu'aucune expression qui en puisse être l'équivalent. Jamais il ne montre la population se transportant en masse auprès du roi. Si une telle coutume avait existé,. Grégoire de Tours, qui décrit si vivement tous les incidents de la vie publique et privée, aurait été amené vingt fois à parler d'elle. Une telle agglomération d'hommes ne pouvait passer inaperçue de lui. Les actes divers dont elle aurait été l'occasion auraient fourni matière à ses récits. Il y a plus : si cette réunion d'hommes avait été dans les usages d'alors telle que nous la verrons très nettement au siècle suivant, Grégoire de Tours en aurait fait partie. Il y aurait été convoqué des premiers, à titre d'évêque. Il n'aurait pu se dispenser d'y venir, et il n'aurait pas manqué de noter ce qu'il y aurait dit ou fait et ce qu'il y aurait vu. Pas un mot de tout cela. Nous pouvons suivre année par année son existence ; nous connaissons chacun de ses déplacements, chacune de ses missions auprès des rois. Jamais nous ne le voyons prendre part à une assemblée générale. Visiblement, cette assemblée n'existait pas encore au sixième siècle.

Dans le demi-siècle qui suit, nous avons la curieuse et importante chronique que l'on met sous le nom de Frédégaire. Pas une seule fois l'auteur ne mentionne un conventus generalis, une réunion du peuple ; ni un champ de Mars. Jamais il ne décrit rien qui ressemble à une assemblée de cette nature.

C'est seulement dans la seconde moitié du septième siècle, à l'année 684, que les textes signalent une réunion générale du peuple. Ce ne sont d'abord que des textes hagiographiques, de peu de précision par conséquent et d'une médiocre autorité. L'auteur de la Vie de saint Ansbert écrit que son personnage fut nommé évêque en un moment où le roi résidait clans sa villa de Clichy et tenait une grande réunion de ses peuples, habens conventum magnum populorum[1]. Nous trouvons aussi cette réunion générale mentionnée dans une charte de 680[2]. A partir de là, elle apparaît comme chose habituelle. La Chronique de Fontenelle, écrite plus tard, parle de l'usage de réunir les peuples des Francs en champ de Mars chaque année[3]. Au huitième siècle un continuateur de Frédégaire[4], au neuvième Eginhard et les Annales de Fulde, décrivent cette assemblée avec une sorte de complaisance et comme un usage constant et régulier[5].

De cela on peut déjà conclure que l'institution n'est pas très ancienne. Elle n'apparaît qu'au septième siècle et va grandissant au huitième. Elle ne date que des derniers temps de la monarchie. On ne dira pas que ce conventus dérive des anciens conventus de l'empire romain ; nous allons voir qu'il ne leur ressemble en rien. On ne dira pas non plus qu'il dérive de la Germanie ; il est séparé de la Germanie par un intervalle de plusieurs siècles ; et aussi verrons-nous bientôt qu'il ne ressemble pas aux assemblées que Tacite décrivait. Nous avons affaire ici à une institution qui s'est formée pendant l'époque mérovingienne. Elle n'a pas été établie brusquement, en un jour, par la volonté d'un législateur ; et c'est pour cela que les textes ne nous disent ni l'auteur ni la date de sa fondation. Elle s'est formée peu à peu, insensiblement, et comme d'elle-même. Pour en apercevoir les premiers germes et la genèse, nous n'avons qu'un moyen : c'est de passer en revue la série des faits d'ordre politique, tels que les documents nous les présentent. C'est là seulement que nous verrons cette institution naître, grandir et s'étendre.

 

2° LES GRANDS ET LE TRAITÉ D'ANDELOT.

 

Si nous ne rencontrons aucun champ de Mars pendant le sixième siècle, aucune réunion de guerriers exerçant quelque semblant de droits politiques, aucun peuple se formant en assemblée, nous trouvons en revanche, autour du roi Franc, des assemblées de grands. En 595, un roi d'Austrasie, Childebert II, promulgue un acte législatif en quatorze articles, et il commence par déclarer qu'il les a préparés alors qu'il traitait les affaires avec ses grands à toutes les calendes de mars[6]. Puis il énonce une série de lois qui ont été résolues dans ces assemblées, tenues successivement à Attigny, à Mæstricht, à Cologne[7]. Nous avons vu dans nos études antérieures quels étaient les hommes que le roi appelait ses optimates. Ce n'était ni un peuple, ni une aristocratie. Les optimales du roi étaient les dignitaires de son Palais. C'est donc avec ses hauts dignitaires, avec ses grands, que le roi traitait les affaires et faisait les lois.

C'était surtout aux calendes de mars qu'avaient lieu les délibérations du roi avec ses grands. L'expression calendes de mars peut rappeler de loin les anciens champs de Mars, mais ne désigne pas la même chose. Il n'y a ici nulle réunion de guerriers. Les calendes de mars sont une simple date. L'expression ne doit pas être prise au sens strict du premier jour du mois. Dans un sens plus large on appelait calendes de mars tous les jours, depuis le 14 février, que l'on désignait par les divers numéros des calendes de mars. Et comme les délibérations ne s'arrêtaient pas nécessairement à un jour fixe, nous pouvons admettre que les calendes de mars étaient un espace de trois ou quatre semaines avant et après le 1er mars. C'est dans cet espace de temps que, chaque année, le roi traitait les affaires avec ses optimates. Nous touchons ici à une habitude que nous verrons se continuer sous les Mérovingiens. D'ordinaire ils donnaient l'automne et l'hiver à la chasse, le printemps et l'été à la guerre. Entre ces deux périodes, ils consacraient quelques semaines au gouvernement, aux choses de la paix, aux jugements importants, à la confection des lois. Ces semaines, et le travail même qui les remplissait, étaient appelés les calendes de mars.

Dans tout ce travail, le roi mérovingien voulait avoir ses grands autour de lui. Ils étaient ses conseillers naturels. Ils ressemblaient à ce qu'on appela plus tard le conseil du roi, à ce qu'on avait appelé auparavant le consistorium de l'empereur.

Cette réunion du roi avec ses grands est plusieurs fois mentionnée par Grégoire de Tours, et l'on peut voir par les exemples qu'il donne, que les rois n'aimaient pas à prendre une décision importante sans avoir ces conseillers auprès d'eux. Un jour que les ambassadeurs de Childebert se présentent inopinément devant Gontran pour lui faire une proposition, Gontran répond qu'il ne décidera rien sur l'heure ; c'est dans la réunion que nous avons l'habitude de tenir que nous décidons toutes choses après avoir discuté ce qu'il faut faire[8]. Ailleurs nous voyons Childebert se réunir avec ses grands en un plaid, et délibérer avec eux sur deux affaires, l'une qui est d'ordre international, l'autre qui est d'ordre judiciaire[9]. Un peu plus tard, le roi Gontran convoque une réunion de même nature à Paris ; cette réunion, que Grégoire appelle du nom de placitum, est composée de quelques évêques que le roi a voulu appeler et surtout de beaucoup de domestici et de comites, c'est-à-dire d'agents royaux[10].

Je rencontre ici, chez les historiens modernes, une opinion dont je suis forcé de montrer l'inexactitude, parce qu'elle a altéré et faussé toute l'histoire mérovingienne. Ils ont supposé une longue lutte entre les grands et les rois, entre l'aristocratie et le pouvoir monarchique. Mais aucun historien de ce temps-là, aucun chroniqueur ne parle d'une semblable lutte. Vous ne trouvez ni dans Grégoire de Tours, ni dans Frédégaire, ni chez les hagiographes, une seule ligne qui y fasse seulement allusion. Voilà des écrivains qui ont dépeint en traits vivants et précis la vie publique du temps. Ils ne disent pas un mot d'une longue querelle qui, au dire des historiens modernes, aurait rempli l'existence de quatre ou cinq générations d'hommes. Ils nous décrivent dans le plus grand détail les luttes des rois entre eux ; ils n'ont pas la moindre mention d'une lutte infiniment plus grave entre les grands et les rois. L'historien ne doit dire que ce qui est dans les documents. Ces grands ou optimates étaient les grands du palais, ou les grands du roi, ses comtes du palais, ses connétables, ses chambellans et ses référendaires. Nul d'entre eux n'était grand par soi-même. Ils n'avaient de grandeur que celle que le roi leur avait conférée et qu'il pouvait leur retirer en les excluant de son palais. Il n'y a qu'à voir, par vingt exemples, comment le roi les traitait, comment il les mettait à mort de sa propre, autorité, comment il les dépouillait de leurs biens et de leur titre[11]. Ces hommes, dont les uns appartenaient  à la race franque et les autres à la race romaine, étaient les serviteurs du roi par intérêt et par profession. Indépendants, ils pouvaient l'être par caractère ; ils pouvaient parler librement et contredire un roi ; mais comment auraient-ils pensé à combattre la royauté ? Ils étaient eux-mêmes l'émanation du pouvoir royal ; ils en étaient l'instrument. Les meilleurs profits de la royauté étaient pour eux. Us étaient inséparables d'elle. Elle ne faisait rien sans eux ; ils n'étaient rien sans elle. On n'aperçoit à aucun signe que ces grands eussent d'autres idées politiques que les rois ; ils n'avaient pas non plus d'autres intérêts. Il est bien vrai que dans les querelles des rois on voit quelques-uns d'entre eux quitter un roi pour un autre ; mais ils sont toujours attachés à un roi. Ils servent toujours la royauté. L'idée d'une longue et implacable lutte entre le corps des grands et les rois est une idée toute moderne, dont on n'aperçoit pas le moindre vestige dans les documents.

Ceux qui ont dit que le traité d'Andelot avait été imposé à la royauté et marquait une victoire des grands, n'avaient pas lu apparemment le texte de ce traité qui nous a été conservé[12]. C'est ce texte qu'il faut étudier. On y remarque tout d'abord que l'acte d'Andelot n'est nullement un traité entre un roi et les grands, et aussi n'a-t-il aucun des caractères d'une charte d'État ; il est une simple convention, pactio, entre deux rois, le roi Gontran et le roi Childebert[13]. Cela est nettement marqué dans le préambule : Au nom du Christ, les très excellents seigneurs Gontran et Childebert rois, ainsi que la glorieuse dame Brunehaut reine, se sont réunis à Andelot par esprit de charité et d'amour, pour mettre fin avec une pleine sagesse à toutes les questions qui avaient pu engendrer querelle entre eux. Et là, en présence d'évêques et de grands, et en présence de Dieu, il a été décidé et convenu entre eux que, tant qu'ils vivraient, ils conserveraient la foi et l'amour l'un envers l'autre en toute pureté et simplicité[14]. Nulle mention d'un accord ou d'un traité avec les grands.

Analysons cet accord entre les deux rois. Il porte d'abord sur une question qui les divisait depuis longtemps, à savoir la possession d'une part de l'ancien royaume de Caribert qu'ils se disputaient. Ils conviennent d'un partage d'après lequel les cités de Paris, de Châteaudun, de Vendôme, d'Etampes, de Chartres, sont adjugées à Gontran, tandis que les cités de Meaux, Senlis, Tours, Poitiers, Avranches, Aire, Conserans, Laburdum et Albi appartiendront à Childebert.

Par un second article, les deux rois se font mutuellement legs de leur royaume. Remarquons qu'ils ne disent pas qu'avant de prendre une décision si importante ils aient consulté l'assemblée de leurs sujets. Ils décident souverainement, et entre eux seuls, qu'en cas de mort de l'un d'eux les Austrasiens auront à obéir à Gontran ou les Burgundes à Childebert[15].

Par un troisième article, les deux rois se promettent mutuellement, en cas de mort de l'un d'eux, Childebert de prendre sous sa protection la fille de Gontran, Gontran de prendre sous sa tutelle les fils de Childebert, ainsi que sa sœur et sa veuve.

Une cinquième disposition est relative à l'ancienne dot de Galswinthe, dont Brunehaut était l'héritière, et que Gontran avait gardée en sa possession. Cette dot comprenait les cités de Bordeaux, Limoges, Cahors, Benarnum et Tarbes. Les deux rois décident que la cité de Cahors sera remise sans délai à Brunehaut, et que les autres lui appartiendront au décès de Gontran.

Vient ensuite une clause relative à des hommes qui précédemment avaient quitté l'un des deux rois pour suivre l'autre, en violant leur premier serment. Les deux rois s'engagent à se les rendre l'un à l'autre[16].

Une autre disposition vise les donations faites antérieurement par les rois aux églises ou aux particuliers. Mais notons bien qu'il ne s'agit pas ici de concessions bénéficiales. Il n'y a dans le texte aucun des mots qui s'appliquent aux bénéfices ; tous les termes sont ceux qui dans les diplômes des rois désignent les donations en pleine propriété et à titre perpétuel[17]. Il était arrivé dans les troubles civils que beaucoup de ces donations fussent révoquées ; on conçoit en effet qu'au milieu des guerres entre les deux rois maint donataire ait pu être dépossédé, soit par son propre roi s'il avait cessé de plaire, soit par l'autre roi devenu maître de la province où était sa propriété. Par le traité d'Andelot, les deux rois s'engagent à ne jamais révoquer ces donations et même à restituer celles qui ont été confisquées[18]. Quelques historiens modernes ont supposé qu'il s'agissait ici d'une transformation des bénéfices en donations perpétuelles. Il n'y a rien de pareil dans le texte. Le traité d'Andelot ne dit pas un mot des bénéfices, ni d'une transformation de ces bénéfices en alleux. Il s'agit uniquement de donations perpétuelles, qui étaient dans les usages des rois mérovingiens — nous le constaterons dans des études ultérieures —, mais qui s'étaient trouvées atteintes par l'effet des guerres civiles[19]. Il n'y a pas là cette révolution territoriale que quelques esprits onl imaginée. Remarquons d'ailleurs que, dans cet article comme dans tous les autres, les rois ne s'engagent pas vis-à-vis des grands, mais vis-à-vis l'un de l'autre. C'est que chacun d'eux a surtout à restituer des terres qu'il a prises à des sujets de l'autre.

Par un dernier article les rois s'engagent à ne pas s'enlever l'un à l'autre leurs fidèles[20]. Ce dernier point se rattache à des usages que nous n'avons pas à étudier en ce moment. Qu'il nous suffise d'observer que cette clause était défavorable aux grands, dont elle restreignait la liberté ; ce n'est pas eux qui l'ont introduite dans le traité.

Tel est ce traité d'Andelot. Qu'on lise tout ce texte avec quelque peu d'attention, on n'y trouvera pas une ligne qui marque que les grands aient imposé leur volonté aux rois ; on n'y trouvera pas non plus une seule clause qui soit favorable à une aristocratie. C'est une simple convention entre deux rois. Et ces deux rois disposent souverainement de leurs royaumes, de leurs cités et de leurs hommes.

Il y a toutefois dans le préambule une expression qu'il ne faut pas négliger. Les deux rois déclarent qu'ils traitent entre eux en présence d'évêques et de grands et en présence de Dieu[21]. Cela signifie, d'abord, que chacun d'eux, avant de traiter avec l'autre, a consulté les évêques et les grands qui forment son conseil. Cela signifie, ensuite, que ces évêques et ces grands des deux rois assistent au traité et qu'ils sont témoins, comme Dieu lui-même, des engagements des deux rois. Il est même possible qu'ils aient signé l'acte après le roi, suivant une habitude qui existait même pour les diplômes d'ordre privé[22]. Mais cela ne signifie nullement que le traité d'Andelot ait été conclu, ainsi qu'on l'a dit, par une assemblée étrangère aux deux rois, par une assemblée générale, qui aurait obligé les deux rois à le signer[23]. Les deux rois l'ont conclu spontanément, souverainement, la teneur tout entière du traité en est la preuve ; suivant l'usage, chacun d'eux s'est entouré de ses conseillers, évêques ou grands du Palais. Mais cette union de chaque roi avec ses conseillers est le contraire de ce que serait une aristocratie imposant sa volonté au roi. En tout cas, si nous trouvons ici quelques grands autour des rois, nous ne trouvons pas une assemblée générale, un convenir populi. Cela n'existe pas encore[24].

 

3° L'ÉDIT DE 614.

 

Vingt-sept années se passent durant lesquelles les documents ne signalent aucune querelle entre l'aristocratie et les rois. Nous apercevons bien en Austrasie des haines assez vives entre quelques grands du Palais et la reine Brunehaut ; mais rien n'indique qu'il y ait là autre chose que des rivalités d'influence ou des querelles personnelles. Prétendre que ce fût une lutte entre deux systèmes politiques est une simple hypothèse. Ici encore les historiens modernes ont trop complaisamment arrangé les faits. Pour agrandir ces événements et ces personnages, ils ont transformé des haines individuelles en une lutte de partis et en un noble conflit d'idées. Ils se sont figuré, d'une part, Brunehaut travaillant à établir un régime monarchique, de l'autre une aristocratie luttant pour ses libertés[25]. Mais les contemporains ont-ils dit quelque chose de cela ? Ni Grégoire de Tours, qui a bien connu Brunehaut et qui lui est favorable, ni Frédégaire, qui a reçu ses inspirations des adversaires de la reine, ni les auteurs de la Vie de saint Columban et de celle de saint Didier de Vienne, qui lui sont très hostiles, ne disent qu'elle ait eu des idées politiques nouvelles. Ils ne disent pas non plus que ses ennemis aient eu la pensée d'un régime politique opposé au sien. La vérité est que Brunehaut n'eut pas à introduire la monarchie en Austrasie, parce que cette monarchie y était déjà. Le Palais y était organisé depuis un demi-siècle ; l'administration royale y fonctionnait, l'impôt y était perçu avant l'arrivée de la reine. Quant à une opposition systématique des grands, elle n'apparaît nulle part[26].

Viennent ensuite les événements des années 615 et 614. Ils sont assez clairement racontés par les contemporains pour qu'on s'en tienne à leurs récits sans y rien ajouter[27]. On y remarque d'abord que dans les années précédentes les rois n'avaient jamais cessé de se faire la guerre entre eux. En 596, Clotaire II de Neustrie avait vaincu à Latofao ses deux cousins Théodebert d'Austrasie et Thierry de Bourgogne. En 600, ce sont Théodebert et Thierry qui sont vainqueurs de Clotaire II à Dormelles. Nouvelle guerre en 604. Puis, en 611, Thierry s'unit à Clotaire contre Théodebert ; il envahit le royaume de son frère, et bat une première fois une armée d'Austrasiens, une seconde fois une armée de Thuringiens et de Saxons[28]. Quel est le mobile de ces luttes ? Tous les chroniqueurs en indiquent un seul, et toujours le même, la convoitise personnelle de chaque roi voulant conquérir les Etats de son voisin. Nulle trace d'aucune idée politique. Ce sont luttes d'ambitions qui ne représentent nullement une diversité de conceptions gouvernementales ou un conflit entre régimes opposés. Nous avons constaté plus haut que les deux institutions fondamentales, le Palais et l'administration, étaient les mêmes dans les trois royaumes.

La même lutte entre les rois recommence en 615 ; c'est que Thierry de Bourgogne, dès qu'il est maître de l'Austrasie, veut régner aussi sur la Neustrie. Une brusque maladie l'emporte au moment où le très petit royaume de Neustrie semblait près de disparaître, et il ne laisse que de jeunes enfants. C'est alors Clotaire II qui veut s'emparer de royaumes presque vacants. Il est matériellement trop faible ; mais il noue des intelligences avec quelques grands d'Austrasie et de Bourgogne ; Arnulf, Pépin et d'autres s'entendent secrètement avec lui, et lui ouvrent l'Austrasie[29]. Les deux armées se rencontrent ; mais, la plupart des chefs d'Austrasie et de Bourgogne étant dans le complot, leur armée se débande sans combat et Brunehaut est livrée à Clotaire[30]. Clotaire, ayant grande haine contre Brunehaut, la fait mettre à mort[31]. Tels sont les faits. En tout cela nous voyons des convoitises et des haines, mais nul système politique. Il n'y a pas d'indice que Brunehaut et Clotaire II représentassent deux régimes différents. Il ne nous est pas dit non plus que les grands qui quittèrent Brunehaut pour son ennemi aient eu d'autre visée que leur intérêt personnel. Cette trahison fit la fortune de Pépin, d'Arnulf et de Warnachaire. Warnachaire ne prêta son concours au nouveau roi qu'en recevant de lui la mairie du palais, avec serment de ne jamais être révoqué[32].

Au milieu de ces événements, les documents ne signalent pas une seule assemblée générale qui soit intervenue dans ces sanglantes querelles[33].

L'année 614 serait, suivant plusieurs historiens modernes, la date d'une révolution dans le régime politique du royaume Franc. Suivant eux, une grande assemblée d'évêques et de laïques se serait réunie pour dicter ses volontés au roi Clotaire II, et l'aurait obligé à promulguer un édit qui leur donnât satisfaction. L'assemblée de Paris de 614, dit Waitz, fut très importante ; composée d'ecclésiastiques et de laïques, elle affirma la victoire de l'aristocratie sur la royauté, et, en présentant au roi une série de dispositions qu'il ne put que ratifier, elle assura l'indépendance et les intérêts de cette aristocratie pour l'avenir. Fahlbeck présente la même théorie : Clotaire, dit-il, se soumet sans résistance à signer un acte qui diminue son pouvoir[34]. Mais que l'on vérifie cette théorie dans les documents, on n'y trouvera pas un mot qui la justifie.

Pour que celle théorie eût quelque vérité, il faudrait montrer au moins qu'il y ait. eu en cette année une assemblée générale. Et c'est cela même qu'on ne peut pas montrer. Ni Frédégaire, ni aucun annaliste, ni aucun hagiographe ne mentionne une assemblée en 614. Nous signalent-ils au moins qu'il se soit opéré à celle époque quelque grand changement, que le roi Clotaire ait été de quelque façon humilié et affaibli ? Pas un mot de cela, pas une allusion. Ainsi les historiens modernes ont placé en 614 une révolution; dont il est impossible de trouver la moindre trace dans les documents du temps.

L'erreur est d'autant plus surprenante que nous possédons deux textes très clairs de cette année 614 : l'un est la série des articles d'un concile ; l'autre est un édit du roi. Il suffit de les analyser avec simplicité et mot à mot pour se convaincre qu'il n'y a aucune lutte entre le roi et les grands, et surtout qu'il n'y a aucune victoire des grands sur le roi.

Les évêques se sont réunis, par l'ordre du roi[35]. Ils étaient au nombre de 79 ; leurs séances se sont tenues à Paris, dans l'église de Saint-Pierre[36] ; c'est un concile comme tous ceux de l'époque. Ils ont rédigé quinze articles. Ces quinze articles ne concernent que l'Église et ne contiennent pas un mot sur le gouvernement, On peut encore remarquer que sur ces quinze articles il n'en est pas un seul qui ne se trouve déjà dans des conciles antérieurs, pas un seul qui ait un caractère d'innovation. Ils portent que l'élection des évêques aura lieu conformément aux anciennes règles, sans brigues ni présents de la part des candidats[37] ; que les clercs de chaque diocèse devront une obéissance absolue à leur évêque ; qu'aucun juge séculier ne jugera un clerc sans prévenir d'abord son évêque[38] ; que les affranchis seront défendus en justice par le chef de l'église où ils ont été affranchis[39] ; que les procès entre évêques seront jugés par le métropolitain. Puis vient une série de dispositions sur les réparations d'églises, sur les biens des évêques décédés, sur les abbés et les moines, sur lés veuves et les orphelins, sur les mariages prohibés pour cause de parenté, sur les juifs. Cherchez un article qui soit dirigé contre le pouvoir royal, vous n'en trouvez pas un.

Les actes du concile de 614 sont suivis d'un édit royal, de même que, trente années auparavant, les actes du concile de Mâcon avaient été suivis d'un édit du roi Gontran. C'est que les articles d'un concile n'avaient de valeur légale que si un édit du roi les confirmait.

Sur les vingt et un articles de l'édit royal, il y en a sept seulement qui correspondent à ceux du concile[40]. Encore faut-il faire attention qu'ils ne les reproduisent pas exactement. Comparez, par exemple, l'article 1er dans les deux rédactions. Dans celle des évêques, il n'est parlé que du droit du métropolitain, de l'élection par le clergé et le peuple. Dans la sienne, le roi ajoute que l'élu ne pourra être institué qu'en vertu d'un ordre du roi et si le roi juge que cet élu est digne de l'épiscopat ; il ajoute encore que le nouvel évêque pourra être pris dans le Palais[41]. Tout, cela signifie que Clotaire II ne renonce à aucune des prétentions que les rois avaient en matière d'élections épiscopales. De même pour l'article 3 : les évêques avaient demandé qu'aucun clerc ne pût se présenter au roi sans la permission de son évêque ; Clotaire II ajoute que si un clerc s'est pourtant présenté devant le roi et a obtenu une lettre de grâce, son évêque devra le recevoir sans lui infliger aucune peine[42]. De même encore pour l'article 4 ; les évêques ont dit que les juges laïques ne pourraient ni arrêter ni condamner aucun clerc ; le roi fait une réserve pour les clercs surpris en flagrant délit. Par contre, il donne plus de force à la défense que les évêques avaient prononcée d'épouser une fille ou une veuve qui aurait fait vœu de religion, car il ajoute qu'il interdit un tel mariage, même au cas où l'homme aurait obtenu du roi par surprise une permission de le contracter[43]. Toutes ces différences, qui sont graves, suffisent à montrer que le roi n'a pas signé aveuglément une ordonnance présentée par les évêques. Il n'est pas vrai de dire que les évêques aient imposé la loi au roi. Aussi n'aperçoit-on pas une seule concession que l'Église lui ait arrachée[44].

Les quatorze autres articles appartiennent à l'ordre civil. Le sixième rappelle le vieux principe du droit romain d'après lequel, à défaut de testament, les parents héritent[45]. Le huitième maintient le système des impôts directs, en faisant une réserve au sujet de quelques récents accroissements sur lesquels le roi fera faire une enquête bienveillante, et corrigera ce qui sera à corriger. Le neuvième maintient les impôts indirects, les péages, tels qu'ils existaient sous les règnes précédents. Le onzième est ainsi conçu : Nous voulons que l'ordre et la discipline règnent toujours dans notre royaume, que toute rébellion et insolence d'hommes malintentionnés soit sévèrement réprimée[46]. Le douzième article est moins aisé à comprendre. Il porte qu'aucun juge d'autres provinces, ou régions ne sera établi en autres lieux. Cette disposition passablement obscure est faiblement éclaircie par ce motif qu'en donne le législateur : afin que si le juge fait quelque mal en quelque matière que ce soit, il restitue sur sa fortune propre ce qu'il aura enlevé sans droit[47]. A première vue, et à ne regarder les mots qu'à la surface, cela a paru clair. On a cru que le roi s'engageait à ne nommer aucun comte d'une province dans une autre, c'est-à-dire à choisir toujours comme comte d'une civitas un homme qui fût domicilié dans cette civitas et qui y fût déjà propriétaire[48]. Et sur cette interprétation on a construit tout-un système, d'après lequel le roi aurait presque renoncé à la nomination des fonctionnaires administratifs, et une féodalité terrienne se serait tout de suite établie. Mais regardez les faits, ils sont absolument opposés à cette théorie. En effet, nous voyons nettement par Frédégaire, par les Gesta, par la Vie de saint Léger, comment les comtes ont été nommés par Clotaire II lui-même et par ses successeurs ; jamais ils n'appartiennent à la province qu'ils administrent ; toujours ils sont nommés par le roi, et ils sortent du Palais ; quelquefois ils sont déplacés et passent d'une province dans une autre. Il n'est donc pas possible que notre article 12 ait le sens qu'on lui a attribué. Ajoutons que cet article, s'il présentait un tel sens, aurait été absolument à l'encontre des intérêts des grands, lesquels n'étaient alors, nous l'avons vu, qu'une sorte de noblesse palatine. Par cet article, l'aristocratie palatine se serait dépossédée elle-même des fonctions de comte et de tous les bénéfices de l'administration provinciale. Or, comme les faits qui vont suivre démontrent le contraire, nous sommes bien obligés de reconnaître que l'interprétation qu'on donne à cet article est inexacte, et qu'à plus forte raison le système qu'on édifie sur cette interprétation est sans fondement.

Il faut lui chercher une autre explication. On peut noter que le terme judex ne signifie pas nécessairement un comte ; il s'applique aussi aux fonctionnaires inférieurs, tels que les vicaires et les centeniers. Nous avons vu plus haut que ces hommes n'étaient pas nommés par le roi : ils l'étaient par le comte. Si c'est d'eux qu'il s'agit ici, l'article se comprend aisément ; le roi qui nomme lui-même les comtes n'a pas à parler de leur nomination ; mais il interdit à ses comtes d'établir des fonctionnaires locaux qui soient étrangers au pays. Ce qui donne une grande vraisemblance à cette explication, c'est que, par l'article 19, le roi impose une règle analogue aux évêques et à tous les grands ; eux aussi, ils ne devront choisir pour leurs judices que des hommes du pays[49]. Ici le mot judices, visiblement, ne signifie pas des comtes ; il désigne les fonctionnaires inférieurs qui régissent les propriétés des évêques et des grands. Les deux articles 12 et 19 se correspondent : ils visent l'un et l'autre à mettre un peu d'ordre dans les provinces ; ils ne permettent plus que les agents qui sont en rapport direct avec la population, soient des étrangers et des inconnus pour elle ; le premier s'applique aux agents nommés par les comtes, le second aux agents nommés par les évêques et les grands sur leurs propres terres. Ni l'un ni l'autre ne visent ni les comtes ni les évêques.. Comtes et évêques continueront à être choisis par le roi, et presque toujours en dehors du pays ou du diocèse à gouverner.

Viennent ensuite trois articles qui sont presque effacés dans les manuscrits et dont la lecture est tout à fait douteuse : l'un rappelle le respect dû à tous les ordres du roi[50] ; un autre paraît être relatif aux immunités, et aussi à la protection que tous fonctionnaires publics doivent aux églises et aux pauvres ; le troisième paraît concerner les tribunaux mixtes où comparaissent les hommes des églises et des grands[51]. En tout cela, rien de nouveau, rien qui ne se trouve déjà dans des lois antérieures.

L'article 16 confirme les donations déjà faites par Clotaire ou par ses prédécesseurs. L'article 17 restitue à ceux qui sont restés fidèles à leur roi légitime, c'est-à-dire à Clotaire, les biens qui leur ont été enlevés dans les guerres civiles des dernières années[52]. L'article 20 réprime les abus que commettaient les agents des comtes et des grands. Les articles 21 et 25 sont relatifs aux forêts des évêques, des particuliers ou du roi, ainsi qu'à la glandée. L'article 22 rappelle les lois qui interdisent de condamner un coupable sans jugement régulier.

Puis vient la formule de clôture. Elle est en tout conforme à l'usage mérovingien. Clotaire II déclare qu'il a pris la présente décision étant en concile avec les évêques et avec ses très grands optimates ou fidèles[53]. Ces mots peuvent-ils signifier que cette décision lui ait été imposée ? En aucune façon. Ils sont d'usage et pour ainsi dire de style dans tous les actes législatifs des Mérovingiens, et ils ont ici la même signification que partout ailleurs. Ils marquent que le roi s'est entouré de son conseil. Ils sont là pour donner plus de force à la volonté royale, non pas pour l'affaiblir. Le roi termine en disant que celui qui osera désobéir à sa présente ordonnance sera puni de mort[54]. Pareille menace termine ordinairement les décrets des Mérovingiens[55].

Tel est l'édit de 614. Il ne contient aucune concession d'ordre politique. Il réprime d'assez nombreux abus ; mais qu'on y regarde de près, il s'agit d'abus commis par les grands. On n'a pas fait assez attention à ce point. Quand le roi rappelle que l'héritage d'un défunt intestat appartient à ses parents, il condamne la tendance des fonctionnaires publics à s'emparer des héritages pour eux-mêmes ; c'est le sens des mots absque contrarietate judicum. Quand il dit qu'il fera une révision des cens et tonlieus, il explique bien qu'il ne supprimera pas les impôts et tonlieus royaux, mais les surtaxes nouvellement établies par les comtes ou les telonarii. Quand il dit qu'il réprimera sévèrement toute rébellion et qu'il fera régner l'ordre et la discipline dans son royaume, ce ne sont pas les grands qui lui dictent cela ; mais plutôt il semble menacer quelques-uns d'entre eux. Les articles qui enjoignent aux comtes, aux évêques et aux grands de choisir pour subordonnés et agents des hommes du pays, alors qu'eux-mêmes n'en sont pas, me paraissent des mesures prises surtout contre les grands et les évêques. Si le roi est sévère pour ses agents, il l'est encore plus pour les agents des évêques et des grands[56]. L'article qui interdit de condamner à mort sans jugement, ne vise certainement pas le tribunal du roi et ne s'adresse qu'aux comtes. Les immunités et les tribunaux mixtes dont il est parlé dans deux articles, sont encore la limitation du pouvoir des comtes, non du pouvoir du roi. Pas une ligne de cet édit n'est une concession de la royauté. Comme plusieurs autres édits des rois mérovingiens, il a pour but de réprimer les abus et excès de pouvoir des fonctionnaires publics. Si l'édit était dirigé contre quelqu'un, ce serait contre les grands et non pas contre le roi. Avec plus de vérité, l'on peut dire qu'il n'est dirigé spécialement contre personne, et qu'il n'est qu'une ordonnance de bonne et sage police.

Cet édit ressemble d'ailleurs trait pour trait à d'autres édits qui nous sont parvenus des rois francs. Comparez-le au Pactus pro tenore pacis de Childebert Ier et de Clotaire Ier, à la constitutio de ce même Clotaire Ier, à l'édit de Gontran de 585, au décret de Childebert II de 595 ; vous reconnaissez les mêmes principes, les mêmes règles, toujours les mêmes formules, souvent les mêmes mots. Le roi parle en 614 exactement comme le roi parlait en 550[57].

Il y a un abîme entre la lecture toute simple et toute littérale de cet édit de 614 et les systèmes qu'on a édifiés sur lui. On est allé jusqu'à dire qu'il était la grande charte arrachée à la royauté par les grands[58]. Elle aurait inauguré une ère de libertés publiques, et marqué la fin de la monarchie franque. Tout cela ne s'appuie pas sur un seul mot. Si cet édit est un changement dans les institutions, cherchez d'abord quelle institution existante il supprime, cherchez ensuite quelle institution nouvelle il crée. Il ne supprime ni l'organisme du Palais, ni l'administration des provinces par des fonctionnaires royaux, ni le système des impôts directs et indirects, ni l'obligation du service militaire. Il ne crée ni une assemblée nationale périodique, ni un système d'assemblées locales, ni l'élection des rois, ni l'élection des comtes, ni un nouveau mode de justice. Il n'introduit aucune liberté ni pour les grands ni poulie peuple. Il ne diminue aucune des prérogatives du roi. Il n'abolit même pas le crimen majestatis, dont les rois se servaient pour frapper les grands et les dépouiller, et dont ils ont continué à se servir.

Pour se convaincre que l'édit de 614 n'a nullement inauguré un nouveau régime, il n'y a qu'à regarder les actes de Clotaire II après cette date. En 615, le chroniqueur nous le montre parcourant une partie de l'Austrasie en justicier sévère ; il remet l'ordre, s'attaque aux hommes injustes et les fait périr par le glaive[59]. En cette même année, il mande auprès de lui le plus grand seigneur de la Burgundie, et, siégeant sur son tribunal avec ses grands, l'ayant reconnu coupable, il donne l'ordre qu'il périsse par le glaive[60]. Plus tard, nous le voyons poursuivre de sa haine Godin, fils de Warnachaire, quoique ce Godin ne puisse être accusé d'aucune révolte ; le roi veut qu'il meure. En vain Godin fuit par tout le royaume, cherche un refuge dans plusieurs églises, invoque tous les saints à son secours ; le roi réussit à le faire tuer, et cela sans aucun jugement ; et loin que les grands s'indignent du meurtre d'un des leurs, ce sont trois des plus grands du royaume qui se sont chargés de tuer celui qui était l'objet de la haine du roi[61]. En 626, il chasse un évêque de sa ville épiscopale ; il fait mettre à mort Boson, fils d'Audolène, et c'est le duc Arnbert qui exécute sa volonté[62]. De même, Dagobert fait tuer un des plus grands d'Austrasie, Chrodoald[63]. Il parcourt la Burgundie, rend la justice personnellement, et frappe de terreur les évêques et les grands[64]. Il fait tuer Brodulf sans aucun motif avouable et trouve trois ducs assez dociles pour se faire les meurtriers de cet homme[65]. Personne ne peut l'empêcher d'augmenter ses trésors aux dépens des églises et des leudes[66]. Il dépouille beaucoup d'hommes de leurs biens contre tout droit et toute justice[67], et ses sujets ne peuvent que gémir de sa méchanceté[68]. Le même prince ordonne des levées militaires sans consulter personne, porte la guerre où il veut, fait des conquêtes ou des traités comme il veut. — Tout cela est-il le fait d'une royauté qui aurait été amoindrie, d'une royauté à laquelle on aurait imposé une charte, d'une royauté que les grands auraient prise en tutelle ? Si la famille mérovingienne s'affaiblit, ce ne fut que plus tard et pour d'autres causes. Les règnes de Clotaire II et de Dagobert Ier, de 615 à 658, sont la période où le pouvoir royal a été le plus fort au dedans, et où l'État Franc s'est le plus étendu au dehors. Cela prouve assez qu'aucune révolution antimonarchique ne s'est accomplie en 614.

 

4° LA NATURE DE CONVENTUS GENERALIS AU SEPTIÈME SIÈCLE.

 

Pour comprendre avec exactitude les faits qui vont suivre, il faut d'abord écarter de notre esprit quelques idées toutes modernes. Nous sommes habitués, depuis trois ou quatre générations d'hommes, à considérer toute espèce d'assemblée comme l'adversaire naturel du pouvoir royal. Nous avons peine à penser que la royauté convoque des assemblées sans y être contrainte. Nous n'imaginons pas que ces assemblées une fois réunies ne s'appliquent pas à combattre ou au moins à limiter la royauté. Ces idées modernes ne sont pas applicables aux temps dont nous parlons. Il faut donc les éloigner de notre esprit et observer simplement les documents et les chroniques. Nous y verrons comment l'assemblée générale s'est formée peu à peu, naturellement, sans conflit, et aussi sans nul esprit d'opposition.

Si nous cherchons une véritable assemblée générale, un conventus generalis, sous Clotaire II, sous Dagobert Ier, sous Clovis II et Clotaire III, nous n'en trouvons pas. Nous constatons qu'en 616 un traité est conclu avec les Lombards sans qu'aucune assemblée intervienne[69]. Quand Clotaire II fait son fils roi d'Austrasie, nous ne voyons pas qu'il ait convoqué un peuple[70]. Quelques années après, quand le père et le fils ont un débat au sujet des limites des deux royaumes, ce n'est pas une assemblée générale qui tranche ce débat, ce sont douze arbitres choisis par les deux rois[71].

Mais ce que nous voyons plusieurs fois durant ces trois règnes, ce sont des réunions aristocratiques. En 616, tous les évêques et grands de Burgundie sont appelés à Bonneuil. En 626, les mêmes personnages sont réunis à Troyes. En 627, les évêques et tous les grands, tant de Neustrie que de Burgundie, s'assemblent à Clichy. En 628, une réunion pareille a lieu à Soissons. En 632, réunion des évêques et grands de l'Austrasie à Metz. En 641, les seigneurs, les évêques, les ducs et tous les grands de Burgundie sont réunis à Orléans, et une assemblée pareille a lieu en 642 à Autun[72]. Ce sont autant d'assemblées de grands, non pas des assemblées populaires. Le mot populus n'apparaît pas encore.

Nous devons remarquer aussi, dans tous ces exemples, qu'aucune de ces réunions ne s'est formée que par un ordre formel du roi, ni ailleurs que dans le lieu que le roi lui a indiqué[73]. Ce ne sont pas des réunions contre la royauté ; nulle apparence de révolte ni même d'opposition. Le roi a convoqué chacune d'elles pour s'occuper des affaires publiques avec ses conseillers. C'est la suite et comme la continuation de ces conseils d'optimates que nous avons vus autour du roi au siècle précédent.

Il y a pourtant ici un changement. Au siècle précédent, le roi n'avait auprès de lui que ses optimates, c'est-à-dire les plus hauts dignitaires de son palais avec quelques évêques spécialement appelés. Ici ce sont tous les grands du royaume et tous les évêques qui sont réunis. Ce n'est plus le Palais seul qui prend part aux affaires. Les grands du septième siècle forment un corps bien plus nombreux que les optimales du sixième. Leur assemblée peut s'appeler une assemblée générale, conventus generalis, puisqu'on y vient de toutes les parties du royaume.

Mais quels sont ces grands ? Le chroniqueur les appelle de divers noms : duces, proceres, primates ; ces termes ont une signification bien précise : les ducs, à cette époque, sont encore incontestablement des fonctionnaires royaux ; ils sont nommés par le roi, administrent en son nom, et peuvent être révoqués par lui. Les proceres et les primates sont les grands du roi, les dignitaires et hauts fonctionnaires royaux. Quelquefois le chroniqueur, qui est bourguignon, emploie les termes leudes et farones ; mais ces leudes sont les hommes du roi, ses fidèles et serviteurs spéciaux, et le mot farones n'a pas d'autre sens[74]. Tous ces leudes et farones ne sont peut-être pas d'un rang aussi élevé que ceux qu'on appelle proceres ; mais tous, à des degrés inégaux, dépendent du roi ; ils sont ou ses fonctionnaires ou ses bénéficiaires ; ils lui doivent leur situation et leur fortune. Le chroniqueur cite un certain nombre de membres de ces assemblées et nous dit leur nom et leur qualité ; qui trouvons-nous ? D'abord les maires du palais Warnachaire, Flaochat, Erchihoald ; un gouverneur du palais, Ermenaire ; le comte du palais Berthaire ; l'optimate Ægyna, le patrice Willibad, les ducs Amalgaire et Chramnelène, le duc Vandelbert, le comte Gyson, le domesticus Ermenric, enfin tous les ducs de Burgundie, tous les ducs de Neustrie[75]. Ainsi les hommes que nous connaissons dans ces assemblées sont tous des fonctionnaires royaux. Nous ne voyons pas un homme qui soit indépendant du roi. Nous n'apercevons pas un homme qui soit un grand autrement que par une fonction royale. Bien n'indique la présence de grands propriétaires locaux, ni d'une classe riche ou noble par elle-même. Cette assemblée ne diffère de l'ancien conseil des optimates que par le nombre de ses membres ; elle n'en diffère pas par nature.

Au lieu de quelques évêques, elle renferme tous les évêques. Ce n'est pas qu'ils possèdent un droit constitutionnel d'en faire partie ; mais le roi les a appelés. Il les a convoqués au même titre que les ducs et les comtes, pour travailler ensemble et concourir aux mêmes actes. Rien ne paraissait plus naturel. Ces évêques, nous l'avons vu, étaient devenus des chefs de peuples ; ils étaient des juges et des administrateurs. Chacun d'eux était le souverain de plusieurs milliers de sujets dans son diocèse. Par là ils ressemblaient aux comtes et pouvaient être convoqués aussi bien qu'eux.

S'ils avaient été élus par le clergé et par le peuple, s'ils avaient formé une corporation en dehors de l'État, il est probable que le roi ne les eût pas appelés. Mais ils étaient nommés par le roi ; en ce point ils ressemblaient aux comtes, et par ce côté ils paraissaient être des fonctionnaires royaux. Le roi n'éprouvait donc aucun scrupule à les appeler auprès de lui, comme ses conseillers obligés. Beaucoup d'entre eux sortaient du Palais ; ils avaient été référendaires ou comtes. Ils avaient donné des preuves de leur attachement à la royauté et de leur expérience des affaires. La nomination des évêques par le roi avait produit ce résultat que l'épiscopat, au lieu de former un corps à part, avait été rattaché à la société politique et ne faisait qu'un avec l'Etat. Pour toutes ces raisons, on ne s'étonnait pas de voir les évêques figurer dans les assemblées générales.

Mais à côté de ces grands et de ces évêques nous apercevons encore dans ces assemblées un troisième élément. Il est bien vrai que le roi n'a convoqué que les évêques et les grands ; mais d'autres hommes sont Tenus. Reprenons les récits de l'écrivain contemporain. En 627, Clotaire II a réuni les grands à Clichy ; deux de ces grands ont une querelle et l'un est tué par les gens de l'autre ; alors un grand carnage aurait suivi, si le roi ne s'était interposé. Le meurtrier, qui était un optimate, ayant avec lui un grand nombre de combattants, alla se poster sur les hauteurs de Montmartre[76] ; un autre avait aussi avec lui une armée et voulait se ruer sur le premier. Pour empêcher une bataille, le roi s'adressa à plusieurs chefs bourguignons, qui avaient aussi des soldats avec eux, et leur fit promettre qu'ils combattraient celui des deux adversaires qui attaquerait l'autre le premier. Grâce à cette mesure, il n'y eut pas de bataille[77]. — Plus tard, en 642, une assemblée de grands et d'évêques a été convoquée à Autun ; mais il se trouve qu'une haine profonde sépare deux de ces grands, le maire Flaochat et le patrice Willibad. Chacun est à la tête d'une troupe. Chacun a aussi des amis, comtes ou évêques, qui ont des soldats derrière eux. L'assemblée se partage en deux armées ennemies, et il s'engage une bataille sanglante. Ce n'est pas que des idées politiques divisent ces hommes. Ni les uns, ni les autres ne combattent la royauté, ni ne la servent. Ils s'égorgent pour satisfaire la haine de deux chefs[78].

De tels faits marquent nettement la physionomie des assemblées. Elles ne sont, en principe et par la nature même de la convocation, que la réunion des grands du roi et de ses évêques. Mais chacun de ces grands et de ces évêques est accompagné d'une suite. Le duc a derrière lui ses comtes ; le comte a derrière lui ses centeniers et beaucoup de ses administrés, la plupart en armes. L'évêque a quelques-uns de ses ecclésiastiques, et un plus grand nombre de ses laïques, qui peuvent être armés aussi. Chacun, pour sa sûreté ou pour la dignité de sa personne, a amené le plus d'hommes qu'il a pu. Le roi ne convoquait que les comtes et les évêques ; mais c'est presque tout le comté qui est venu avec le comte, c'est presque tout le diocèse qui est venu avec l'évêque.

Aussi cette réunion peut-elle s'appeler la réunion générale des populations, conventus generalis populorum. Nous ne savons pas si cette expression eut d'abord un caractère officiel ; ce n'est pas dans les textes officiels que nous la rencontrons. Mais elle était si naturelle, elle venait si bien à l'esprit dès qu'on avait sous les yeux cette grande agglomération d'hommes, que la langue des écrivains l'emploie à partir du dernier quart du septième siècle. Un hagiographe veut-il rapporter qu'en 684 Ansbert a été nommé évêque par le roi en son conseil, il dira que le roi tenait alors la réunion générale des populations.

Quelques documents appellent cette assemblée un champ de Mars. Mais j'ai ici quelque doute. D'abord, aucun des documents écrits au septième siècle ne lui donne ce nom. Ensuite, aucun écrivain ne dit. que celle assemblée se tînt au mois de mars ; au contraire, les réunions dont la date nous est connue se sont tenues au mois au mai[79]. Enfin ces réunions, telles que les décrit l'historien contemporain, n'ont jamais un caractère militaire et ne sont jamais convoquées en vue d'une guerre. C'est seulement l'annaliste de Fulde, celui de Fontenelle et celui de Lorsch, qui, écrivant au temps des Carolingiens, ont attribué à ces assemblées le nom de champ de Mars[80]. Or nous devons faire attention qu'entre l'époque dont nous nous occupons ici et l'époque carolingienne il s'est écoulé une soixantaine d'années, qui sont remplies par l'histoire des maires de la famille des Pépins. Durant cette période une modification grave a été apportée à l'assemblée générale : elle est devenue une institution militaire, et, comme les guerres furent alors presque annuelles, l'assemblée ne fut presque pas autre chose que la réunion des guerriers en vue d'une campagne à entreprendre. Elle fut alors convoquée au mois de mars, et, soit à cause de cette date, soit à cause de son objet, la vieille expression de champ de Mars revint en usage. Quand les annalistes de Fulde, de Fontenelle, de Lorsch parlaient des assemblées mérovingiennes, c'était surtout ces dernières assemblées qu'ils connaissaient, les seules apparemment dont on eût gardé le souvenir[81]. Mais celles du septième siècle n'avaient pas le même caractère, et nous ne pensons pas pouvoir leur attribuer le nom de champ de Mars que les contemporains ne leur donnent pas. Le conventus generalis du septième siècle n'était pas l'armée du roi, quoiqu'il s'y trouvât beaucoup de troupes armées. Il n'était pas convoqué en vue d'une guerre. Il ne se portait pas immédiatement contre l'ennemi comme on le verra dans l'âge suivant. C'est une réunion toute pacifique, convoquée en vue d'affaires intérieures. Elle se compose, non pas précisément de la population directement appelée, mais des grands et des évêques amenant chacun leur suite avec soi.

On voit bien, par la suite des faits, comment s'est formée cette grande assemblée. Elle est née de l'assemblée générale des grands, qui elle-même était née du conseil des optimales. Pourquoi le peuple y figure-t-il ? Ce n'est pas que le peuple ait exigé cela des rois ; nulle trace d'aucune revendication démocratique durant ces siècles-là. Ce n'est pas non plus que les rois aient imaginé de faire surgir cette démocratie pour l'opposer aux grands ; nul indice d'une politique pareille. Ce sont les grands eux-mêmes qui, individuellement, ont amené le peuple derrière soi. En sorte que ce conventus generalis populorum n'est pas autre chose que l'extension et le développement naturel de l'assemblée des grands.

Telle est la genèse de l'assemblée générale ; observons-en maintenant le caractère et les fonctions.

En premier lieu, elle ne se réunit que si le roi la convoque. Il n'y a pas d'exemple qu'elle se soit jamais réunie d'elle-même et spontanément[82]. Se tenait-elle tous les ans ? Quelques écrivains, postérieurs d'un siècle et demi, le disent[83] ; mais il y a lieu de douter. Ni Frédégaire, ni les auteurs de la Vie de saint Léger ne parlent de cette périodicité ; et les assemblées qu'ils mentionnent sont trop peu nombreuses pour que nous pensions qu'il y en ait eu chaque année. Aucune loi n'obligeait le roi à les convoquer.

En second lieu, cette convocation se présente toujours sous la forme d'un ordre. Le roi commande à chaque grand et à chaque évêque de venir vers lui[84]. Cela ne ressemble pas à ce que serait la convocation en masse d'une assemblée. C'est un ordre individuel, adressé personnellement à chacun, et auquel chacun doit se rendre, par obéissance au roi et pour son service.

C'est toujours auprès du roi que se tient la réunion. Nous ne voyons jamais un conventus là où le roi n'est pas. Le lieu de réunion n'est pas déterminé par une règle fixe. On pourrait supposer qu'elle se tenait dans les capitales des trois royaumes, à Paris, à Metz, à Orléans. Il n'en est rien. L'assemblée se tient à l'endroit que le roi indique chaque fois à son gré. Cet endroit n'est presque jamais une ville[85]. Ce n'est pas non plus une plaine consacrée à cet usage. Vous ne trouvez, ni pour l'État Franc tout entier, ni pour chacun des trois royaumes, une plaine qui soit le rendez-vous de l'assemblée. Elle se tient d'ordinaire dans une villa royale, à Bonneuil, à Clichy, à Compiègne. Et il se présente ici une observation qui a son importance : l'assemblée se tient sur la terre privée du roi. Elle n'est pas chez elle, sur terre publique ou sur les champs des sujets, elle est chez le roi.

Quand cette assemblée est réunie, un premier trait de caractère s'en dégage. Elle n'est pas spécialement franque. Aussi l'institution ne vient-elle pas des anciens Francs et n'est-elle pas en relation avec le droit Franc, qui ne la mentionne jamais et n'y fait même pas allusion. Formée au septième siècle, à une époque où les races étaient absolument mêlées, elle comprend des hommes de toute race. Les ducs et comtes peuvent être aussi bien Romains que Francs. Les évêques sont moins souvent Francs que Romains. Quant aux hommes qui suivent chaque évêque ou chaque comte, il est fort douteux qu'ils sachent à quelle race ils appartiennent.

Un autre trait de caractère est que ces réunions, que la langue appelle réunions générales du peuple, ne sont pourtant pas des assemblées populaires. Dans une assemblée populaire tous les membres seraient égaux et figureraient au même titre. Ici les populations ne sont venues que sous les ordres de leurs chefs locaux, comtes ou évêques. Ces hommes ne sont pas venus comme citoyens, mais comme dépendant chacun d'un autre homme. Ils ne figurent pas comme membres de l'État, mais comme cortège d'un évêque, d'un duc, d'un comte. Le roi n'avait convoqué que les chefs ; ce sont les chefs qui ont amené chacun leurs hommes. Ce n'est ici ni une foule en désordre, ni un peuple organisé ; c'est une série de petites troupes dont chacune obéit à l'un des grands et n'a marché que par son ordre. Ce qu'on appelle ici le populus n'est pas un peuple souverain ; c'est une foule inférieure et subordonnée.

Aussi ne joue-t-elle pas le même rôle que les grands. Cette population reste campée dans la plaine qui entoure la demeure royale. Seuls les grands et les évêques entrent dans cette demeure. Or c'est dans l'intérieur de la maison royale, et non pas dans la plaine, que les délibérations ont lieu. Aucun des documents qui parlent de ces assemblées ne nous montre que le peuple ait délibéré sur quelque objet que ce soit. Notez que ce ne peut pas être ici une pure omission des chroniqueurs. Si une telle agglomération d'hommes avait eu à discuter et à délibérer sur les affaires publiques, l'assemblée aurait été si bruyante, si agitée, quelquefois si violente, elle eût produit tant de trouble ou exercé une action si décisive, que les chroniqueurs n'auraient pas pu n'en pas parler. Au contraire, l'assemblée est ordinairement d'un tel calme, d'une telle inertie, que les écrivains ne font pas attention à elle, ne la voient pas. Quand parfois ces petites troupes se mettent en mouvement, ce n'est que pour soutenir les querelles de leurs chefs particuliers, et ces querelles n'ont jamais pour objet les affaires publiques.

C'étaient les grands et les évêques seuls qui étaient en relation avec le roi et traitaient les affaires avec lui, dans l'intérieur de son palais, assez loin de celle foule. Or nous ne devons pas oublier ce qu'étaient ces grands. Ils étaient les dignitaires du palais, les ducs et les comtes des provinces, tous fonctionnaires royaux. Ils pouvaient, à la vérité , faire valoir les intérêts des populations ; mais ils n'étaient ni les élus, ni les mandataires de ces populations. Qu'on se figure un royaume' représenté par ses fonctionnaires et ses administrateurs. Ces hommes n'étaient en principe et en fait que les agents et les serviteurs du roi. Tout le reste de l'année, ils étaient les organes et les instruments de son autorité ; pendant ces deux ou trois semaines, ils étaient son conseil et travaillaient avec lui. La formule de convocation portait qu'ils devaient se rendre auprès du roi, pour traiter des intérêts du roi et du bien du pays[86].

Les évêques aussi étaient, par un côté, des administrateurs de quelques parties du royaume, et ils l'étaient un peu au nom du roi, ou paraissaient l'être, puisqu'ils avaient été choisis et nommés par lui. Cette réunion des ducs et des évêques à côté du roi ne ressemblait donc pas à ce que nous appellerions aujourd'hui une assemblée nationale. Il n'y avait pas là un pouvoir public qui fût indépendant du roi et qui fût placé vis-à-vis de lui pour limiter son action. Il se peut fort bien que dans la réalité le roi ait été plusieurs fois en désaccord avec ses grands, comme tout monarque peut l'être avec son conseil d'Etat. Mais, en principe et dans l'usage normal, le roi et les grands n'étaient pas deux forces en présence ; ils étaient une seule et même force. Ils formaient un seul faisceau, un seul corps ; ils agissaient ensemble et inséparablement. C'est pour cela que nous ne trouvons jamais un acte qui émane directement de ces grands. Tous les actes émanent du roi en conseil de ses grands.

Quelles sont les affaires qui se traitaient dans ces réunions ? Voici celles que signalent les écrivains : En 616, le roi Clotaire II ordonna au maire de Burgundie, à tous les évêques et aux grands du même pays de venir auprès de lui, dans la villa de Bonneuil ; là, il accorda toutes les demandes justes qu'ils lui firent et les confirma par des diplômes[87]. Quelles étaient ces demandes ? Nous l'ignorons. Visaient-elles des intérêts généraux ou simplement des intérêts privés ? Nous ne savons. Il est possible que Clotaire II, qui ne possédait le royaume de Burgundie que depuis deux ans et demi, y ait introduit quelques réformes à la demande de son maire et des grands. Il est possible aussi qu'il ne s'agisse que de confirmation d'anciennes donations, comme nous en voyons à chaque commencement de règne. Quoi qu'il en soit, la manière dont s'exprime le chroniqueur ne permet de croire ni à un conflit entre le roi et ces grands, ni à des concessions d'ordre politique. En tout cas, le chroniqueur ne parle que des grands ; il ne nomme même pas le peuple.

En 626, le roi Clotaire tint une réunion avec les grands de Burgundie à Troyes ; il était soucieux de savoir d'eux s'ils voulaient, Warnachaire étant mort, qu'un autre fût élevé à la même dignité ; mais tous furent unanimes à dire qu'ils ne voulaient pas qu'on choisît un nouveau maire du palais, et ils demandèrent instamment qu'il leur fût permis de traiter directement avec le roi[88]. Cette demande n'était en elle-même ni favorable, ni contraire à la royauté. Nos études antérieures nous ont montré que le maire était le premier serviteur du roi, et que tous les fonctionnaires publics dépendaient de lui. Ici, lès grands de Burgundie préfèrent n'avoir plus au-dessus d'eux ce chef qui s'interposait entre eux et le roi. Ils veulent désormais traiter directement avec le roi, recevoir directement ses faveurs, ses dignités, ses bénéfices, lui rendre leurs comptes à lui-même, en un mot dépendre de lui immédiatement. Il est fort possible que celle pensée fût conforme à la politique de Clotaire II.

L'assemblée des grands à Soissons, en 628, a pour unique objet de reconnaître Dagobert pour roi et de lui prêter le serment d'usage[89]. Dagobert ne réunit les grands et les évêques d'Austrasie, en 652, que pour élever au trône son fils Sigebert encore enfant. Le récit de l'historien ne permet pas de croire que les grands aient usé d'un droit d'élection ; mais le roi prit leur avis ; il leur demanda leur adhésion, et tous la donnèrent[90]. En 655, le même roi veut faire d'avance le partage de ses États et fixer les limites des deux nouveaux royaumes. Pour un acte si grave, ce n'est pas le peuple qu'il convoque ; ce sont seulement les grands d'Austrasie et de Neustrie. Il fait jurer à chacun des deux groupes de respecter à l'avenir le partage qu'il a lui-même établi.

Qu'il ait pris l'avis des grands, qu'il les ait laissés délibérer avec liberté, cela n'est pas très sûr ; car l'historien dit que les Austrasiens furent contraints de jurer bon gré, mal gré. Ces assemblées n'avaient donc pas toujours une liberté complète[91]. En 641, la reine Nanthilde, tutrice de Clovis II, veut rétablir la mairie du palais en Burgundie. Elle amène le petit roi à Orléans, et, en même temps, donne l'ordre aux évêques et grands de Burgundie de se rendre dans celle ville. Là, elle obtient de chacun d'eux que Flaochat soit élevé à la dignité de maire. On sent bien ici que le roi est un enfant et que sa mère n'a aucun pouvoir légal. Nanthilde n'impose pas sa volonté. Elle a déjà choisi Flaochat, mais elle veut avoir l'assentiment de tous les grands. Dire qu'ici les grands aient élu le maire serait beaucoup trop dire ; ce qui est vrai, c'est que chacun d'eux a adhéré individuellement au choix de la reine[92]. En 680 et en 684, deux documents signalent la tenue d'une réunion générale du peuple, mais les seuls actes qu'ils indiquent sont, en 684, la nomination d'un évêque, en 680 la concession d'un privilège à un monastère.

Que devons-nous conclure de tous ces exemples ? D'abord nous ne voyons jamais le roi mettre en délibération un système d'impôts, ou un système administratif, moins encore un régime politique ; tout cela paraît être en dehors et au-dessus des discussions. Mais, s'il y a un nouveau roi, les grands sont appelés à lui faire acte d'adhésion. Pour mettre à leur tête un nouveau maire, le roi veut obtenir leur assentiment. Nous ne doutons pas d'ailleurs que beaucoup d'autres questions, plus secondaires, ne fussent mises en délibération. C'est clans la réunion des grands et en prenant leur avis, que le roi nommait les évêques[93]. C'était là qu'il signait. ses diplômes les plus importants. C'était là enfin qu'il jugeait les procès les plus difficiles ou les crimes intéressant l'Etat. On ne voit pas que les derniers Mérovingiens aient fait beaucoup de lois nouvelles ; mais, s'ils en firent, ce ne fut sans doute qu'au milieu de leurs grands et après avoir pris leur avis.

Au milieu de tout cela on ne voit pas une seule fois l'action du peuple. Il est tout près des délibérations, mais jamais il ne délibère. Aucune question ne lui est soumise. Il reste campé dans la plaine et il attend. Quand le roi a pris toutes ses décisions avec ses grands, il pense alors au peuple qui est là, et il se montre à lui. C'est la séance de clôture, et elle est solennelle. Elle a été décrite par des annalistes, qui écrivaient à la vérité au neuvième siècle[94] ; mais plusieurs traits du tableau qu'ils tracent peuvent se rapporter aux temps qui nous occupent. Sur une estrade qui dominait la foule, on voyait le roi ; assis sur son trône, il se montrait à ses peuples ; à côté de lui se tenait debout son maire du palais, qui était, légalement, l'organe de ses volontés et l'instrument de son pouvoir[95]. Le peuple offrait au roi les dons annuels[96]. Puis le maire, prenant la parole au nom du roi, transmettait ses ordres au peuple, c'est-à-dire lui notifiait ce qu'il aurait à faire cette année-là[97]. C'étaient les décisions prises par le roi avec ses grands dans les réunions des jours précédents qui étaient alors portées à la connaissance du peuple[98]. Il n'avait pas à les discuter ; mais peut-être l'usage était-il qu'il les approuvât par ses acclamations. Le maire indiquait ensuite au peuple s'il aurait à faire campagne ou s'il passerait l'année en paix[99]. Enfin il paraît qu'il était assez dans les habitudes que le roi, ou le maire en son nom, fît une harangue au peuple. Cette harangue avait un caractère moral, non politique ; elle rappelait aux hommes les règles du bon ordre et de la police, le respect dû aux églises et aux faibles, et l'interdiction du rapt ou de quelque autre crime[100]. Après cela, le roi rentrait dans sa demeure ; l'assemblée se séparait, et chaque petite trempe faisait cortège à son chef au retour, comme elle lui avait fait cortège à l'aller.

Tel est le conventus generalis du septième siècle. Il est hors de doute que cette réunion d'hommes puissants et l'agglomération de cette foule purent être, dans des temps troublés, un élément d'agitation et un moyen de guerre civile, Mais ici nous éludions l'institution dans l'état normal, telle qu'elle a été pratiquée de 616 à 687. Ce conventus n'a aucun caractère dé ce que nous appelons aujourd'hui une assemblée nationale ou une assemblée populaire. Il est une réunion des grands, dont chacun est accompagné d'une suite. Ces ducs et comtes qui sont des agents royaux, ces évêques que le roi a nommés et qu'il connaît, sont convoqués par lui, pour son service. Il les consulte sur certaines affaires difficiles. Il travaille avec eux. Avec eux il discute. Avec eux il juge et fait les lois. Puis il profile de la réunion des populations pour se montrer à elles, pour faire acte de roi, et surtout pour lui notifier ses décisions. Ces assemblées ne sont pas une institution de liberté établie contre les rois. Dérivées de l'ancien conseil des optimales, elles sont le rendez-vous de tous ceux qui ont part au gouvernement avec le roi. Elles sont l'un des organes par lesquels le roi gouverne.

 

 

 



[1] Vita Ansberti, c. 22, Bollandistes, février, II, 552 : Rex (Thierry III, 675-691) in villa Clipiaco morabatur, ubi conventum magnum populorum habens de utilitate et tutela regni tractabat. — Nous ne devons tenir aucun compte des mots in generali conventu qui se lisent à la fin d'un diplôme de Chilpéric, Pardessus n° 190. Ce diplôme n'est qu'une copie ; ceux qui l'admettent comme vrai sont forcés de reconnaître que la formule finale est fausse, ne serait-ce que parce qu'on donne la date de l'Incarnation 606 pour une année du règne de Chilpéric, mort en 584 ; et c'est justement dans cette formule finale que se lisent les mots in generali conventu.

[2] Charta Vindiciani, a. 680, dans Pardessus n° 591 : Noverint omnes fideles quia dominus noster rex Theodoricus in generali placito habito in Compendio palatio in conventu.... Cette charte n'est pas authentique. Elle parait avoir été fabriquée deux ou trois siècles plus tard, pour remplacer l'original perdu. Il ne faut donc pas faire grand fonds sur les expressions qu'elle emploie.

[3] Chronicon Fontanellense, Bouquet, II, 658 : Compendio palatio, calendarum Martiarum die, congregatis Francorum populis in campo Martio, ubi omnibus annis convenire soliti erant. Cette chronique a été rédigée à l'époque carolingienne.

[4] Fredegarii continuatio, a. 754, Bouquet, V, 2 : Evoluto anno, rex ad calendas Martias omnes Francos, sicut mos Francorum est, Bernaco villa publica ad se venire præcepit. Dans cette phrase, les mots omnes Francos désignent tous les hommes libres du royaume, ainsi que nous le constaterons plus loin, sans distinction de race. Les mots sicul mos Francorum est, dans un texte du huitième siècle, ne peuvent signifier que comme c'est l'usage dans le royaume des Francs. Il ne se peut agir de la race franque primitive, qui alors ne se reconnaissait plus.

[5] Einhardi Vita Caroli, 1 : Ad publicum populi sui conventum qui annuatim celebrabatur, ire solebant. — Annales Fuldenses, a. 752. Ann. Laurissenses minores. Ann. Mettenses, Pertz, I, 116, 150.

[6] Decretio Childeberti, Pardessus n° 205, Borétius p. 15 : Cum in Dei nomine nos omnes kalendas Martias de quibuscumque conditionibus cum nostris optimalibus pertractavimus.

[7] Decretio Childeberti, 1 : Attiniaco calendis Martiis convenit ut.... Au lieu de Attiniaco, Borétius écrit Antonaco ; il s'agit alors de la ville d'Andernach. 2 : In sequenti hoc convenit una cum leudibus nostris. 3 : Similiter Trajecti convenit nobis. 4 : Convenit calendis Martiis omnibus nobis adunatis. 8 : Calendis Martiis Coloniæ convenit ut....

[8] Grégoire, VII, 1 : In placito quod habemus, omnia decernimus, tractantes quid oporteat fieri. Le mot placitum signifie proprement conférence, rendez-vous, et, par suite, réunion d'hommes convoqués.

[9] Grégoire, VIII, 21 : Childebertus.... cum suis conjungitur..., ad placitum..., cum proceribus suis convenit. On s'occupe d'abord de l'affaire d'Ingonde, sœur du roi, mariée, à un roi d'Espagne et maltraitée. Brunehaut siège et parle en faveur de sa fille ; mais le roi et les grands goûtent peu son avis. L'autre affaire concerne Gontran Boson, accusé de violation de sépulture.

[10] Grégoire, X, 28 : Rex, commolis (convoqués) episcopis, Ætherio Lugdunensi, Siagrio Augustodunensi, Flavio Cabillonensi, et reliquis quos voluit, Parisius accedere jubet. Fuerunt etiam ad hoc placitum multi tam domestici quam comites.

[11] Voyez dans Grégoire de Tours l'histoire de Sigivald, III, 25 ; celle de Grindion et Cruciolène, V, 19 ; celle d'Ébérulf, VII, 21 et 29 ; celle des fils de Magnachaire, V, 17 ; celle de Gontran Boson, IX, 10 ; celle de Rauching et Bertefried, IX, 9, et Frédégaire, 8 ; celle de Chundo, X, 10. — Voyez, dans Frédégaire, l'histoire d'Egyla, c. 21 ; celle de Wolf, c. 29 ; celle de Godin, c. 54 ; celle d'Uncélène, c. 28, et tant d'autres.

[12] Le roi Gontran montra le texte du traité, exemplar pactionis, à Grégoire de Tours, qui en prit copie ; il l'a inséré dans son Histoire, IX, 20. Il avait donné, quelques chapitres plus haut, IX, 11, le résumé de ce traité. — Voici encore un résumé du même acte dans la Chronique de Frédégaire, c. 7 : Guntramnus se cum Childeberto pacem firmant, dum Andelao conjunxit inibi mater et soror et conjux Childeberti regis pariterque fuerunt, ibique speciale convenientia inter domnum Guntramnum et Ghildebertum fuit conventum ut regnum Gunthramni post ejus discessum Childebertus assumeret. — On voit bien qu'il n'y a là aucun indice ni d'assemblée de grands, ni de concession faite aux grands.

[13] Grégoire, IX, 11 : Rex Guntchramnus cum nepote suo ac reginis pacem firmavit... conscriptis pactionibus, se osculantes, regressus est unusquisque ad civitatem suam. — IX, 20 : Exemplar pactionis.

[14] Cum in Christi nomine præcellentissimi domni Guntchramnus et Childebertus reges, et gloriosissima domna Brunichildis regina, Andelaum caritatis studio convenissent ut omnia quæ inter ipsos scandalum (ce mot, dans la langue du temps, signifie querelle ; Cf. Grégoire, III, 6 ; VI, 10, etc.) poterant generare, pleniori consilio definirent ; id inter eos, mediantibus sacerdotibus atque proceribus, Deo medio, caritatis studio sedit, complacuit atque convenit ut.... fidem et caritatem puram et simplicem sibi debeant conservare.

[15] Cette clause était surtout avantageuse à Childebert, qui avait deux enfants, lesquels écartaient naturellement son oncle. Voici l'article du traité : Ut quem Deus de ipsis regibus superstilem esse præceperit. regnum illius qui absque filiis migraverit, ad se in integritatem jure perpetuo debeat revocare et posteris suis relinquere.

[16] Ut leudes illi qui domno Gunthramno post transitum domni Clotacharii sacramenta primitus præbuerunt, et si postea convincuntur se in parte alia tradidisse, de locis ubi commanere videntur, convenit ut Similiter et qui — Il faut noter que les principaux parmi ces personnages étaient Dynamius, ancien recteur de Provence, et Lupus, ancien duc de Champagne ; tous les deux avaient quitté Childebert pour Gontran ; tous les deux furent ramenés à Childebert (Grégoire, IX, 11). On a donc fait une singulière erreur sur ce texte quand on a imaginé d'y voir une vieille institution franque ; il s'agit de deux fonctionnaires, dont l'un est certainement Romain, et l'autre paraît l'être aussi.

[17] Quidquid antefali reges ecclesiis aut fidelibus suis contulerunt, aut adhuc conferre cum justitia voluerint, stabiliter conservetur.

[18] Et quod exinde fidelibus personis ablatum est, de præsenti recipiat.

[19] Et de eo quod per munificentias præcedentium regum unusquisque usque ad transitum domni Chlotacharii regis possedit, cum securitate possideat. — Le terme munificentia s'applique fréquemment aux donations des rois en propre. Notez que cet article vise des terres possédées avant la mort de Clotaire Ier et par donation des rois précédents ; il s'agit donc de terres données sinon par Clovis, au moins par ses fils, 511-560 ; or le traité d'Andelot est de 587. Ces terres sont donc possédées depuis un temps qui varie entre 27 et 76 ans. Il est visible que cela ne peut se rapporter à des bénéfices. D'ailleurs nous reviendrons plus tard sur cette question, et nous montrerons que les Mérovingiens donnèrent en propre bien plus qu'en bénéfice, et qu'ils ne transformèrent jamais les bénéfices en alleux. Les systèmes qu'on a faits sur cela sont de pure imagination.

[20] Ut nullus alterius leudes nec sollicitet nec venientes excipiat.

[21] Mediantibus sacerdotibus atque proceribus, Deo medio. — Le terme mediantibus, dans la langue du temps, ne contient nullement l'idée que nous mettons aujourd'hui dans le mot médiation ou médiateur. Il signifie simplement étant au milieu, c'est-à-dire étant présents. Mediantibus a le même sens que medio appliqué à Deo, et Deo medio explique le mediantibus sacerdotibus. La formule mediantibus sacerdotibus et proceribus ne signifie pas autre chose que la formule una cum sacerdotibus et proceribus que nous trouvons dans tant de diplômes mérovingiens.

[22] Cela peut se déduire d'exemples analogues. Ainsi, précédemment, Childebert ayant fait une pactio avec Chilpéric, Gontran, qui s'en est procuré le texte, dit aux ambassadeurs de son neveu : Ecce pactiones, ecce manus vestræ suscriptiones quibus hanc conniventiam confirmastis (Grégoire, VII, 6).

[23] C'est ce que dit Waitz : Le traité fut conclu sous la médiation des évêques et des grands laïques, 5e édit., t. II, 2e partie, p. 197 et 252. Mediantibus n'a pas ce sens. — Remarquez que sacerdotibus et proceribus ne signifie pas tous les évêques et tous les grands. La preuve que tous les évêques n'étaient pas là, c'est que Grégoire, qui était pourtant l'un des plus intéressés comme évêque de Tours, n'y était pas. Si l'on avait voulu dire tous les grands, on aurait dit universis proceribus regnorum. Il s'agit donc seulement de quelques grands et de quelques évêques, comme les rois en avaient toujours autour d'eux.

[24] Pourtant M. Waitz soutient (5e édit., t. II, 2e partie, p. 199, note) que le traité d'Andelot a été préparé et fait dans une grande assemblée générale. Ni Grégoire, IX, 11, ni Frédégaire, 7, ni le texte même du traité, ne font mention d'une assemblée générale. Le peuple n'est pas nommé une seule fois.

[25] Ainsi pensent Michelet, Henri Martin, Huguenin, Hist. d'Austrasie ; Lehuërou, Fahlbeck, p. 211.

[26] Le complot de Rauching, Ursio et Bertefried est bien décrit par Grégoire de Tours, qui n'y voit que l'effet d'ambitions personnelles, IX, 9. — On a représenté le maire Protadius comme le type du ministre qui écrase la noblesse pour fortifier le pouvoir royal. L'historien contemporain le présente tout autrement : il abaissait tout ce qui était grand, afin que personne ne fût en état de lui enlever sa fonction de maire et de se mettre à sa place (Frédégaire, 27). Rien ne nous montre que Protadius ait eu dés idées politiques d'un ordre particulier, ni ses ennemis d'autres idées. — Que, plus tard, Brunehaut ait été chassée d'Austrasie par les grands du palais de Théodebert, qu'elle ait ensuite fait une guerre acharnée à ce fils, je vois en tout cela des luttes d'intérêt, d'influence, de passion, mais je ne vois pas une lutte entre deux systèmes politiques.

[27] Fredegarii Chronicon, du chap. 57 au chap. 42. — Cf. Vita Columbani ; Vita Desiderii Viennensis ; Appendix ad Marii Chronicon.

[28] Fredegarii Chronicon, c. 17, 20, 26, 27, 57, 58.

[29] Fredegarii Chronicon, 40 : Chlotarius factione Arnulfi et Pippini vel ceteris proceribus Auster ingreditur.

[30] Fredegarii Chronicon, 41, 42 : Burgundæ farones tam episcopi quam celeri leudes timentes Brunichildem et odium in eam habentes, Warnachario consilium ineuntes.... Chlotarius obviam cum exercitu venit, multos de Austrasiis secum habens, factione Warnacharii, consentientibus Aletheo patricio, Roccone, Sigoaldo, Theudilane ducibus.

[31] Fredegarii Chronicon, 42 : Chlotarius cum odium contra ipsam nimium haberet... jubet eam camello sedentem... ad velocissimum equum caudam ligare.... On voit que c'est Clotaire seul qui ordonne la mort et qui choisit le supplice. Pourtant Waitz dit que Brunehaut fut condamnée par un jugement de l'assemblée des Francs (Waitz, 5e édit., t. II, 2e partie, p. 198). Il y a contre son opinion, non seulement le texte de Frédégaire, mais aussi le continuateur de Marius (Bouquet, 11, 19) et la Vita Columbani, c. 58. Les Gesta Francorum, c. 40, ne disent pas non plus qu'il y ait eu un jugement de l'assemblée franque ; au contraire, ils disent que ce fut le roi qui ordonna la mort, jubente rege ; ils ajoutent seulement que l'armée qui était présente, poussa des acclamations do haine contre Brunehaut. L'auteur de la Vie de saint Didier de Vienne dit que le roi, ayant réuni ses optimales, prononça l'arrêt de mort. Ces optimates sont le tribunal ordinaire du roi ; ils ne sont pas une assemblée du peuple.

[32] Fredegarii Chronicon, 42 in fine : Sacramentum a Chlotario acceptum ne unquam vitæ suæ temporibus degradaretur.

[33] C'est avec surprise que je vois Waitz affirmer qu'il y eut deux assemblées générales, Versammlungen, à cette époque, l'une inter Coleriense et Sointense, l'autre à Seltz (Waitz, 5e édition, t. II, 2e partie, p. 197 et 198). Il cite deux textes de Frédégaire ; mais l'observation attentive de ces deux textes montre qu'il les a interprétés inexactement. C'est qu'il attribue au mot placitum un sens qu'il n'a jamais dans aucun des textes du sixième siècle, celui d'assemblée populaire ; ce terme avait alors, le plus souvent, le sens de convention, conférence, prise de rendez-vous entre deux hommes, surtout entre deux rois. Exemples : Grégoire, VI, 54, où le mot est répété trois fois en ce sens ; VIII, 15 : Placitum fuerat ut Trecas de utroque regno conjungerent, il avait été convenu que des deux royaumes on se réunirait à Troyes. Frédégaire, 85 : Placitus inutituitur, les deux rois conviennent que.... Voici le passage de Frédégaire où Waitz a cru voir une assemblée générale (Chron., 55) : Cum Theudebertus Bilichildem habebat uxorem quam Brunichildis a negotiatoribus mercaverat, et sæpius per legatos Brunichildis (eam) despiceret quod ancilla Brunichildis fuissel, lus et aliis verbis legatis discurrentibus ab invicem vexarentur, placitus inter Colerinse et Sointense fitur ut has duas reginas pro pace inter Theudoricum et Theudebertum conjungerenl conloquendum ; sed Bilichildis consilio Austrasiis ibi venire distulit. La traduction littérale est : Theudebert, roi d'Austrasie, avait épousé Blichilde que Brunehaut avait achetée à des marchands d'esclaves ; Brunehaut, alors en Bourgogne, insultait Blichilde par ses envoyés, lui rappelant qu'elle avait été son esclave ; les deux reines se blessant mutuellement avec de telles paroles par leurs envoyés, il fut convenu que, pour rétablir la paix, un colloque aurait lieu entre les lieux appelés Colorinsis et Sointensis, et que les deux reines s'y réuniraient ad colloquendum : mais, par le conseil des Austrasiens, Blichilde refusa d'y venir. On voit bien qu'il n'est question ici que d'une conférence entre les deux rois et les deux reines, et apparemment quelques grands ; mais il n'est nullement question d'une assemblée, d'une Versammlung. — L'autre texte allégué par Waitz est au chap. 57 de la même chronique : Théodebert ayant envahi une province de Thierry, placitus inter hos duos reges ut Francorum judicio finiretur Saloissa castro instituunt, ibique Theudericus cum decem millia accessit, Theudeberlus vero cum magno exercitu Austrasiorum aggreditur ; les deux rois conviennent de finir la querelle par le jugement des guerriers (sur le sens de l'expression convenue judicium Francorum, voir ce que nous avons dit dans nos Problèmes d'histoire, p. 517-519) près de la ville de Seltz ; ils y arrivèrent, Thierry avec seulement 10.000 guerriers choisis, Théodebert avec une grande armée d'Austrasiens ; Théodebert voulait livrer bataille, mais Thierry, saisi de crainte, traita de la paix. On voit bien qu'il n'y a ici ni assemblée nationale ni aucun jugement ; ce placitum est un rendez-vous de guerre ; le lieu du combat est d'avance fixé à Seltz, et deux armées s'y rendent ; mais l'infériorité numérique de l'une d'elles fait que l'un des deux rois renonce à la bataille et se soumet à tout. — Ainsi, dans le premier exemple, Waitz prend une conférence entre deux rois et deux reines pour une assemblée nationale ; et, dans le second, il prend un rendez-vous de bataille pour une assemblée judiciaire. Il serait bon qu'on observât le sens du mot placitum dans plus de cent cinquante exemples qu'on en a de l'époque mérovingienne ; on éviterait ainsi la singulière erreur qui consiste à traduire légèrement placitum par assemblée. La vérité est que, dans toute la Chronique de Frédégaire, il n'y a pas une seule mention d'un peuple assemblé soit pour juger, soit pour tout autre objet.

[34] Waitz, Verfassungsgeschichte, 5e édition, t. II, 2e partie, p. 215. — Fahlbeck, La royauté et le droit francs, édition française, p. 267. — Cette même théorie avait déjà été soutenue en France par Michelet, Lehuérou et Henri Martin.

[35] Concile de Paris, præfatio : Cum ex evocatione gloriosissimi domni Chlotarii regis in urbe Parisius in synodali concilia convenissemus.

[36] C'est ce que rappelle le concile de Reims de 650, art. 5, Sirmond, p. 480 : Parisiis in generali synodo in basilica sancti Pétri Clotarii regis studio congregata.

[37] Ut decedente episcopo, in loco ipsius ille debeat ordinari quem metropolitanus cum provincialibus suis, clerus vel populus civitatis, absque datione pecuniæ elegerint.

[38] Art. 4 : Ut nullus judicum neque presbyterum neque diaconum vel clericum ullum aut juniores ecclesiæ sine scientia pontificis per se distringat aut damnare præsumat. Quod si fecerit, ab ecclesia sil sequestratus. Cette règle existait depuis près de deux siècles ; Cf. Code Théodosien, XVI, 2, 41 ; XVI, 2, 47 ; Concile d'Orléans de 541, art. 20 ; Concile de Mâcon de 581, art. 7.

[39] Concile de Paris, art. 5. — Cette règle n'est pas nouvelle ; nous la trouvons déjà dans le concile d'Orange de 441, art. 7 : dans le concile d'Agde de 506, art. 29 ; dans le concile de Mâcon de 585, art. 7.

[40] Ce sont les articles 1, 2, 5, 4, 7, 10, 18 : ils correspondent aux articles du concile 1, 2, 5, 4, 5, 15 et 15.

[41] Edictum Chlotarii, édit. Borétius, p. 21.

[42] Edictum Chlotarii : Sipro qualibet causa clericus principem expetierit. et cum principis epistola ad episcopum suum fuerit reversas, excusatus recipiatur. — Cette clause avait dans la pratique une grande importance.

[43] Edictum Chlotarii, art. 18 : Nec per præceptum nostrum Si quis exinde præceptum nullum sortiatur effectum. Il s'agit sans doute d'un ordre obtenu du roi en le trompant sur la qualité de la personne.

[44] L'article qui concerne les juifs semble, à première vue, une diminution des droits du roi, puisqu'il déclare que les juifs ne pourront exercer aucune fonction publique sur les chrétiens ; mais il faut noter que cette interdiction était ancienne ; on la trouve déjà dans une novelle de Valentinien, édit. Hænel, col. 456. On la retrouve dans le concile d'Auvergne de 555, art. 9, Sirmond, p. 245, et dans le concile de Mâcon de 581, art. 15.

[45] Edictum Chlotarii, art. 6 : Cuicunque defuncto, si intestatus decesserit, propinqui absque contrarietate judicum in ejus facultate juxta legem succedant. — La même disposition était déjà dans la Constitutio Chlotarii, art. 2.

[46] Ut pax et disciplina in regno nostro sit perpetua, rebellio vel insolentia malorum hominum severissime reprimatur.

[47] Edictum Chlotarii, 12 : Nullus judex de aliis provinciis aut regionibus in alia loca ordinetur, ut si aliquid mali de quibuslibet conditionibus perpetraverit, de suis propriis rebus exinde quod male abstulerit juxta legis ordinem debeat restaurare.

[48] Cette théorie a été soutenue par Michelet, Henri Martin, Lehuërou, par Waitz implicitement. Fahlbeck s'exprime ainsi, p. 225 : Il est statué par l'article 12 que les hommes riches domiciliés dans la province peuvent seuls être nommés comtes. Cela est loin du texte.

[49] Edictum Chlotarii, 19 : Episcopi vero vel polentas, qui in aliis possident regionibus, judices vel missos discursores de aliis provinciis non instituant, nisi de loco, qui justitiam percipiant et aliis reddant. — On né peut s'empêcher de reconnaître combien les termes de cet article 19 correspondent à ceux de l'article 12.

[50] Præceptiones nostræ in omnibus impleantur.

[51] Edictum Chlotarii, 19, dans Borétius, p. 22.

[52] Quæ unus de fidelibus ac leodibus, suam fidem servando domino legitimo, interregno faciente, visus est perdidisse, generaliter absque ullo incommodo de rebus sibi juste debilis præcipimus revestiri. — Notons qu'il n'est pas parlé ici de bénéfices ; les restitutions dont il s'agit sont des restitutions de propres. Plusieurs passages du testament de Bertramn (Pardessus n° 250) expliquent cet article. Il est visible d'ailleurs que l'article n'est pas dirigé contre le roi, puisqu'il est au contraire en faveur des fidèles du roi.

[53] Edictum Chlotarii, 24 : Quicumque hanc deliberationem quam cum pontificibus vel tam magnis viris optimatibus aut fidelibus nostris in synodali concilio instituimus....

[54] Edictum Chlotarii, 24 : Quicumque... temerare præsumpserit, in ipsum capitali sententia judicetur, qualiter alii non debeant similia perpetrare.

[55] Comparer le Pactus pro tenore pacis, art. 8 : Si quis ex judicibus hunc decretum violare præsumpserit, vitæ periculum se subjacere cognoscat. Voyez aussi les menaces contenues dans l'édit de Gontran de 585.

[56] Edictum Chlotarii, art. 20 : Agentes episcoporum aut potentum per potestatem nullius rei collecta solatia nec auferant nec cujuscunque contemptum per se facere non præsumant.

[57] Un point de comparaison qui est surtout curieux est la constitutio Chlotarii de 558-561 ; elle est dans Pardessus n° 165, dans Borétius, p. 18. Ce dernier éditeur l'attribue à Clotaire II. Il est vrai que les deux manuscrits qui la contiennent donnent pour seul titre Chlotarius rex, sans dire quel est ce Clotaire ; or trois Clotaire ont régné. Mais l'article 11 porte une indication très précise : l'auteur parle des églises et des clercs qui avi vel genitoris aut germani nostri immunilatem meruerunt. L'un des deux manuscrits a omis les trois mots aut germani nostri ; mais ce qui prouve qu'il y a une lacune, c'est l'absence du mot nostri, qui serait en tout cas nécessaire avec genitoris. Tous les érudits sont donc d'accord pour admettre les trois mots aut germani nostri. Or le mot germanus est le terme le plus employé à cette époque pour signifier frère ; il est plus fréquent que frater, lequel signifie plus souvent frère en Jésus-Christ. Il résulte de ces mots que le Clotaire qui a fait cet acte législatif est un Clotaire qui avait un frère, un frère ayant régné avant lui, puisqu'il confirme ses concessions. Des trois Clotaire, il n'en est qu'un qui ait eu un frère et qui lui ait succédé : c'est Clotaire Ier, qui, pour une partie au moins du royaume Franc, succéda à son frère Childebert Ier en 558. — On a été embarrassé, il est vrai, par les mots avi nosiri ; le grand-père de Clotaire Ier était Childéric ; on a dit qu'il n'était pas logique que le païen Childéric eût fait des concessions aux églises et aux clercs. C'est là un raisonnement sans valeur ; il est au contraire très conforme à la vraisemblance que Childéric, qui eut beaucoup de relations avec les populations gallo-romaines, ait fait des concessions aux églises. Il n'était pas nécessaire pour cela d'être chrétien. La politique pouvait produire les mêmes effets que la piété. Nous pensons donc, d'accord avec Baluze, Pertz, Pardessus, que cette constitutio est de Clotaire Ier. Or elle ressemble, non pas pour la forme, mais pour le fond, à l'édit de 614 ; plusieurs dispositions sont absolument semblables ; l'esprit et le ton sont les mêmes. — M. Fahlbeck, qui a des raisons de tenir à ce que cette loi soit de Clotaire II, présente un singulier argument. Il dit que germani doit avoir signifié oncle ou cousin et s'applique à Childebert II. Jamais le mot germanus ne signifie autre chose que frère. Le même auteur ajoute que germanus indique la fraternité religieuse, et, cherchant un exemple de cela, il ne cite qu'une phrase où justement germanus ne se trouve pas. Si M. Fahlbeck avait lu les textes de cette époque avant d'édifier son système, il se serait aperçu que frater a très souvent le sens de fraternité morale, mais que germanus ne s'applique qu'à la fraternité du sang.

[58] L'expression était déjà dans Lehuërou. Elle se retrouve dans Fahlbeck, p. 218, qui, avec son abus des idées modernes, appelle cet acte une véritable révolution dans le droit constitutionnel, p. 219.

[59] Fredegarii Chronicon, 45 : Chlotarius cum in Alsacios accesserat, pacem sectans, multos inique agentes gladio trucidavit. — Sur le sens du mot pacem, cf. Edictum Chlotarii, art. 11.

[60] Fredegarii Chronicon, 44 : Chlotarius Masolaco villa cum proceribus residens Aletheum patricium ad se venire præcepit, gladio trucidare jussit.

[61] Il faut voir cette histoire dans Frédégaire, c. 54.

[62] Fredegarii Chronicon, 54.

[63] Fredegarii Chronicon, 52 : Chrodoaldus jussu Dagoberti interpectus est.

[64] Fredegarii Chronicon, 58 : Tanto timore pontificibus et proceribus in regno Burgundiæ consistentibus... adventus Dagoberti concusserat....

[65] Fredegarii Chronicon, 58 : Brodulfum, avunculum Cariberti, interficere jussit, qui ab Amalgario et Arneberto ducibus et Willibado patricio interfectus est.

[66] Fredegarii Chronicon, 60 : Cupiditatis instinctu, super rebus ecclesiarum et leudibus, cum vellet omnibus undique exspoliis novos implere thesauros.

[67] Fredegarii Chronicon, 80 : Facultates plurimorum jussu Dagoberti inlicite fuerant usurpatæ et fisci ditionibus contra justitiam redactæ.

[68] Fredegarii Chronicon, 61 : Cum leudes sui ejus nequitiæ gemerent.

[69] Cela est visible dans le récit très circonstancié de Frédégaire, c. 45. Le roi agit comme il l'entend, il ne paraît prendre conseil que de trois de ses plus intimes conseillers, lesquels avaient reçu de l'argent des Lombards pour l'engager à faire la paix.

[70] Fredegarii Chronicon, 47 : Chlotarius Dagobertum filium suum consortem regni facit eumque super Austrasios regem instituit, retinens sibi quod Ardenna et Vosagus versus Neuster et Burgundiam excludebant. — Les Gesta regum Francorum, écrits plus tard, s'expriment autrement, c. 41 : Austrasii Franci superiores congregati in unum Dagobertum super se regem statuunt. Mais cela est dit de la cérémonie d'installation, non pas de l'acte par lequel Clotaire II fit son fils roi.

[71] Fredegarii Chronicon, c. 55 : Electis a duobus regibus duodecim Francis ut eorum disceptatione hæc finiretur intentio.

[72] Fredegarii Chronicon, c. 44 : Universis pontificibus Burgundiæ seu et Burgundæ faronis. — 54 : Cum proceribus et leudibus Burgundix Trecassis.... — 55 : Cum pontificibus et universis proceribus regni sui tam de Neuster quam de Burgundia Clippiaco....— 56 : Suessionas... omnes pontifices et leudes de regno Burgundiæ.... Neustrasiæ pontifices et proceres. — 75 : Mettis urbem veniens Dagobertus cum consitio pontificum et procerum omnesque primates regni sui.... — 76 : Austrasiorum omnes primates, ponlifices, celerique leudes. — 89 : Omnes seniores, pontifices, duces et primates de regno Burgundiæ. — 90 : Collectis secum pontificibus et ducibus.

[73] Fredegarii Chronicon, 44 : Chlotarius... ad se venire præcipit. — 541 : Clotarius cum proceribus Trecassis conjungitur. — 89 : Nanthildis regina omnes seniores, pontifices, duces ad se venire præcipit. — Cela ressort aussi des chapitres 55, 56, 75, 76. — En 642, l'assemblée est convoquée par le maire au nom du roi, c. 90.

[74] Le terme farones ou Burgundefarones est employé trois fois dans la Chronique de Frédégaire. La signification du mot ressort du rapprochement de plusieurs phrases de cet auteur. 41 : Burgundæ farones tara episcopi quam ceteri leudes ; 44 : Universis pontificibus Burgundix et Burgundæ faronibus ; 56 : Omnes pontifices et leudes de regno Burgundiæ ; 54 : Cum proceribus et leudibus Burgundiæ ; 55 : Universi proceres regni sui.... Chlotarius jubet ad Burgundefarones ; 79 : Omnes leudes de Neuster et Burgundia ; 89 : Omnes seniores, duces et primates de regno Burgundiæ ; 90 : Pontificibus et ducibus de regno Burgundiæ. Si l'on compare entre elles toutes ces phrases, on remarquera que, sous des formes diverses, elles présentent le même sens, elles indiquent les mêmes catégories d'hommes. Or ces hommes sont désignés, dans les unes par le mot farones, dans les autres par le mot leudes, et même par le mot primates. C'est que ces termes à peu près synonymes s'appliquaient aux mêmes hommes ; les farones étaient les grands, les leudes du pays.

[75] Fredegarii Chronicon, c. 89 et 90.

[76] Fredegarii Chronicon, 55 : Ægina in monte Mercuri resedit, plurimam secum habens multitudinem pugnatorum.

[77] Fredegarii Chronicon, 55 : Avunculus Cariberti exercitum colligens super ipsum volebat inruere. Chlotarius ad Burgundefarones jubet ut....

[78] Voyez tout le long récit de Frédégaire, c. 90.

[79] Fredegarii Chronicon, 90 : mense madio. — Charta Vindiciani, Pardessus, t. II, p. 181 et 182 : In generali placito Compendio palatio.... Data kal. Maii, Compendio palatio. — Gesta Dagoberti, 59.

[80] Annales Fuldenses, a. 751 : In Martis campum. — Annales Laurissenses minores, Pertz, I, 116 : in Martis campo. — Cf. Einhardi Vita Caroli, 1. — Chronicon Fontanellense, Bouquet, II, 658 : Compendio palatio, kalendarum Martiarum die, congregatis Francorum populis in campo Martio. — Tous ces écrits sont du neuvième siècle. — Le continuateur de Frédégaire, a. 754, dit seulement ad calendas Martias.

[81] Les mots secundum antiquam consuetudinem des Annales Laurissenses impliquent une époque assez lointaine pour l'annaliste ; mais jusqu'où remontent les souvenirs de ces annalistes ?

[82] La Vita Leodegarii mentionne des grands se réunissant une fois d'eux-mêmes ; mais c'est là un fait de guerre civile, fait exceptionnel et unique ; d'ailleurs cette assemblée n'est pas appelée un conventus generalis.

[83] Annales Fuldenses : Semel in anno. — Einhardi Vita Caroli, 1 ; Chronicon Fontanellense : Omnibus annis.

[84] Ad se venire præcipit (Frédégaire, 54, 89, 90).

[85] Frédégaire parle une fois d'Orléans, une fois d'Autun ; mais il faut entendre auprès d'Orléans, auprès d'Autun, cette foule ne pouvant guère entrer dans une ville.

[86] Frédégaire, 55 : Pro utilitate regia et salute patriæ. Ibidem, 90 : Pro utilitate patriæ tractandum. Vita Ansberti, 22 : De utilitate et tutela regni tractabat. Noter que dans cette phrase le sujet de tractabat n'est pas populus, mais rex ; et personne ne supposera que tutela regni signifie la tutelle du royaume ; Thierry III n'était pas un enfant.

[87] Frédégaire, 44 : Warnacharium majorera domus cum universis pontificibus Burgundiæ seu et Burgundæfarones Bonogilo villa ad se venire præcepit, ibique cunctis illorum justis petitionibus annuens præceptionibus roboravit. — Aucun autre document ne mentionne cette assemblée.

[88] Voici le latin incorrect et obscur de la Chronique de Frédégaire, c. 54 : Chlotarius cum proceribus et leudibus Burgundiæ Trecassis conjungitur, cum eorum esset sollicitus si vellint, decesso jam Warnachario, alium ejus honoris gradum sublimare ; sed omnes unanimiter denegantes nequidquam se velle majorent domus cligere, regis gratiam obnixe petentes cum rege transagere. — Ce passage ne signifie nullement, ainsi qu'on l'a interprété, que le roi invite les grands à élire eux-mêmes leur maire. Il ne reconnaît en aucune façon que la mairie soit élective. Il leur demande s'ils veulent qu'il y ait un maire pour la Burgundie. Sublimare et eligere ne se rapportent pas nécessairement aux grands ; c'est ici l'infinitif impersonnel. La question n'est pas de savoir qui est-ce qui sublimabit ou eliget ; elle est de savoir si l'on élèvera, si l'on choisira un maire. Les grands de Burgundie répondent par la négative.

[89] Fredegarii Chronicon, c. 56.

[90] Fredegarii Chronicon, 75 : Dagobertus Mettis urbem vaniens cum consilio pontificum seu et procerum omnibusque primatibus regni sui consentientibiis, Sigiberlum filium suum regem sublimavit.

[91] Fredegarii Chronicon, 76 : Has pactiones Austrasii terrore Dagoberti coacti vellent nollent firmasse visi sunt.

[92] Fredegarii Chronicon, 89 : Cum Nantechildis cum Chlodoveo rege Aurelianis venisset, ibi omnes seniores pontifices, duces et primates de regno Burgundiæ ad se venire præcepit, ibique cunctos Nantechildis singillatim attrahens, Flaochatus genere francus majordomus in regno Burgundix electione pontificum et ducum a Nantechilde in hunc gradum honoris stabilitur. Tout le contexte montre que Flaochat était précisément celui que Nanthilde voulait avoir pour maire.

[93] Vita Ansberti, 22. De même la Vita Landeberti, c. 5, dans Bouquet, III, 70, montre que d'habitude le roi prenait l'avis des grands pour la nomination des évêques.

[94] Annales Fuldenses, a. 751 ; Einhardi Vita Caroli, 1 ; Annales Laurissenses minores, Pertz, I, 116 ; Annales Mettenses, Pertz, I, 520.

[95] Rex in loco eminente sedens, semel in anno populis visus, stante coram majore domus (Ann. Fuldenses). — Ipse rex sedebat in sella regia... et major domus coram eo (Ann. Laurissenses). — Je laisse de côté quelques traits, tels que babus trahentibus, submissa barbu, traits auxquels se complaisent les annalistes carolingiens, mais qui ne peuvent être vrais de Clotaire II, de Dagobert Ier, de Clovis II, ni même de Clotaire III.

[96] Rex... publica dona solemniter sibi oblata accipiebat (Ann. Fuldenses). — Dona illis regibus a populo offerebantur (Ann. Laurissenses). — Donariis acceptis (Ann. Mettenses).

[97] Majore domus qux deinceps eo anno agenda essent populis adnuntiante (Ann. Fuldenses). — Ann. Laurissenses : Major domus populo præcipiebat quidquid....

[98] Ann. Laurissenses min. : Major domus præcipiebat quidquid a Francis decretum erat. Les mots a Francis désignent visiblement la réunion des grands, franci étant ici, comme dans plusieurs autres exemples, synonyme de optimales. Le maire præcipit populo, ordonne, enjoint, notifie comme règle à la population ce que les grands ont décidé. L'annaliste omet a rege, parce qu'il veut mettre en relief la nullité des rois. ; mais il est clair que dans l'état normal nous devons tenir compte du roi.

[99] Annales Mettenses : Exercitui præcepto dato ut qua die illis denuntiaretur parati essent in partent quam ipse disponeret proficisci.

[100] Annales Mettenses : Verbo pro pace facto (pax signifie l'ordre public, le bon ordre) et pro defensione ecclesiarum ci pupillorum, raptu feminarum interdicto.