LA MONARCHIE FRANQUE

 

CHAPITRE XV. — RAPPORTS AVEC L'ÉGLISE.

 

 

Les Francs n'ont pas introduit en Gaule leur ancienne religion germanique. A peine entrés dans le pays, ils furent chrétiens. Je ne sais s'il faut faire beaucoup de fond sur la légende qui s'est faite de leur conversion par saint Remi. Ce qui est sûr, c'est que les documents, dès le début du sixième siècle, ne nous montrent pas de Francs païens[1]. C'est à peine si quelques Vies de saints autorisent à penser qu'il en était resté quelques-uns dans le pays de Tournai[2] ou de Cologne[3]. Nous voyons aussi quelques anciennes coutumes païennes qui se conservaient dans les campagnes ; mais ce sont de ces coutumes populaires qui persistent chez tous les peuples convertis ; elles ne prouvent donc pas que ces Francs ne fussent pas officiellement chrétiens[4]. Jamais il n'est fait mention d'un prêtre païen, d'un sanctuaire païen, de divinités païennes. Les rois sont des chrétiens convaincus et fervents au point de discuter sur le dogme et de vouloir convertir les juifs[5]. Leur cour est toute chrétienne, et aussi bien en Austrasie qu'en Neustrie[6]. Les grands personnages de race franque donnent des terres aux églises ; plusieurs d'entre eux se font moines et prêtres.

Ces Francs n'étaient pas ariens, comme les Burgundes et les Goths l'avaient été. Ils prirent la croyance qu'ils trouvèrent chez les populations de la Gaule, c'est-à-dire le catholicisme. Il résulta de là que leurs rapports avec le clergé ne furent pas de la nature de ceux qu'on aurait avec un clergé étranger ou hostile. Dès le premier moment, ils furent vis-à-vis de l'Église dans la situation et l'attitude de fidèles. Le clergé gaulois fut leur clergé ; ils lui furent soumis ; ils le vénérèrent, lui obéirent, l'enrichirent. Les plus grands d'entre eux n'eurent pas d'ambition plus haute que de devenir évêques.

Or l'Église ne connaissait pas la distinction des races ; l'un de ses dogmes repoussait un tel concept de l'esprit. Pour elle, Francs et Romains étaient absolument frères. D'autre part, elle n'avait jamais eu un patriotisme tel, qu'elle eût à détester l'étranger et à maudire l'envahisseur. Elle ne sentit elle-même et elle n'entretint au cœur des laïques aucun sentiment de haine contre les nouveaux venus. Elle les accueillit comme siens dès qu'ils eurent sa foi. Elle leur donna accès dans ses monastères, dans son clergé, même dans son épiscopat.

Le christianisme, à ne regarder que son action sur la politique et sur le gouvernement des sociétés, avait introduit quelque chose de très nouveau dans le monde, la séparation de la religion et de l'État. Dans l'antiquité, ces deux choses avaient été étroitement unies. Chaque État ou cité avait eu sa croyance, son culte propre, et même ses dieux. L'empire romain lui-même ne s'était pas détaché de cette tradition ou de cette nécessité. Ce grand État, qui semble d'un caractère si moderne, avait eu pourtant sa religion propre et intime ; c'était la religion de Rome et de l'Auguste : culte dont les modernes peuvent sourire comme de toutes les choses qu'ils ne comprennent plus, mais qui s'explique bien si l'on songe qu'il était dans les traditions de l'humanité de diviniser de quelque manière l'État, de lui incorporer une croyance, de lui attacher un culte.

C'est aussi ce qui explique les persécutions. Les chrétiens furent jugés et condamnés, non parce qu'ils étaient chrétiens, mais parce qu'ils se refusaient à reconnaître cette apothéose de la puissance publique. Les fonctionnaires impériaux les persécutèrent au nom du lien officiel qu'il y avait entre la croyance et l'État. Ce qu'on exigeait d'eux, ce n'était pas précisément qu'ils crussent à Apollon, à Mercure, à Mithra ou à Sérapis, mais qu'ils crussent à l'empire sacré, à la divinité de l'Auguste et de Rome. Les chrétiens luttèrent, sans s'en rendre bien compte, pour la séparation de la croyance et de l'État. Leur triomphe fut le triomphe de ce principe.

Mais alors surgit un autre problème. Entre ces deux choses désormais distinctes le contact était pourtant inévitable ; car l'Église et l'État étaient deux corps qui se composaient des mêmes hommes. Un roi était un fidèle de l'Église, et le peuple se trouvait soumis en même temps à l'Église et au prince. De là vint une complexité dans l'existence privée et dans la vie publique dont les peuples anciens n'avaient pas eu l'idée. L'État était une puissance, l'Église en était une autre, et toutes les deux mêlées, enchaînées, enchevêtrées l'une dans l'autre, sans qu'il fût facile d'assigner à chacune d'elles son terrain propre. La question qui naquit alors fut de savoir si ces deux puissances pourraient vivre tout à fait indépendantes l'une de l'autre, ou, au cas contraire, laquelle des deux aurait le pas sur l'autre. Pour comprendre ce qui va se passer durant l'époque mérovingienne, il est nécessaire d'observer d'abord quelle était la constitution intime de l'Église chrétienne au moment où les Francs entrèrent en contact avec elle.

 

1° ORGANISATION INTÉRIEURE DE L'ÉGLISE AU CINQUIÈME SIÈCLE.

 

L'Église du cinquième siècle n'était plus la primitive Eglise. L'esprit démocratique, la croyance libre et presque personnelle, l'hésitation sur le dogme, tout cela avait disparu. Le dogme était fixé, et l'Église était une société constituée hiérarchiquement. Une première distinction, et la plus radicale, était celle qui séparait les clercs des laïques. Elle n'était pas précisément nouvelle dans le monde. Toutes les religions anciennes avaient mis le prêtre au-dessus du commun des hommes et avaient fait de lui un intermédiaire ou un médiateur entre l'humain et le divin. L'ancienne Grèce et l'ancienne Rome avaient même eu des sacerdoces héréditaires, et d'autres peuples avaient eu des castes sacerdotales. Le christianisme eut d'abord un sacerdoce de nature démocratique. Dans chaque ville, les chrétiens formèrent une communauté, qu'ils appelaient l'assemblée, έκκλησία. Cette petite commune se donna à elle-même ses chefs religieux, qui s'appelèrent, les plus âgés, πρεσβύτεροι. Elle se donna aussi un surveillant, έπίσκοπος. Elle eut enfin quelques fonctionnaires chargés des services matériels du culte ou de l'administration des biens communs ; on les appela serviteurs, διάκονοι. Ainsi furent fondés les ordres majeurs des évêques, des prêtres et des diacres. Il s'y ajoutait des sous-diacres, des lecteurs, des chantres ou psalmistes, des martyraires ou gardiens des reliques, des exorcistes. Tous ces hommes n'étaient d'abord que les élus et les serviteurs de la communauté ; mais peu à peu leur caractère plus sacré, plus voisin de Dieu, les éleva au-dessus d'elle. Ils se présentèrent aux yeux des hommes comme un corps choisi, κλήρος, c'est-à-dire choisi de Dieu ; et tout ce qui n'était pas eux fut seulement une foule, λαός. Voilà le clergé et les laïques[7].

Ce clergé lui-même avait son organisation intime, sa discipline et sa hiérarchie. Il s'était constitué à une époque où régnait l'empire romain, et naturellement il avait pris modèle sur cet empire. L'Église, en effet, ne lui la contre la société civile qu'aussi longtemps qu'elle ne put pas faire autrement ; elle se hâta, dès que cela lui fut possible, de se mettre en accord et en unisson avec elle. L'empire étant divisé en provinces et en cilés, l'Église se partagea aussi en provinces et en cités. La cité, qui était l'unité administrative, devint aussi l'unité ecclésiastique. On ne l'appela pas d'abord un diocèse ; on l'appela une παροικία, une paroisse. Ce terme se retrouve dans le même sens chez les écrivains du sixième siècle, et notamment chez Grégoire de Tours. Il désignait le ressort tout entier de l'évêque, c'est-àdire tout le territoire de la cité ecclésiastique. L'évêque conservait son ancien titre, episcopus ; il y joignit ceux de sacerdos et de pontifex. Or ces deux termes étaient ceux par lesquels on avait désigné jusque-là, dans la religion païenne de l'empire, les grands-prêtres provinciaux. Les évêques prirent leurs titres en prenant leur place[8].

Les attributions de l'évêque étaient nombreuses et d'un ordre élevé. Il veillait au maintien de la croyance et à l'enseignement du dogme. Il administrait les sacrements ; plusieurs, comme la confirmation, la consécration des autels, des églises, des cimetières, ne pouvaient être accomplis que par lui ; presque seul encore il donnait le baptême. C'était lui seul qui, en conférant l'ordination, faisait les prêtres et les diacres. Il administrait les biens temporels de son église, exploitait ou affermait les terres, percevait les revenus, en faisait l'emploi, distribuait les traitements aux clercs de tout ordre. Il possédait enfin une juridiction, obligatoire pour les clercs, facultative pour les laïques. De tels pouvoirs faisaient de lui, à l'égard de tous les clercs du diocèse, un véritable souverain.

Au-dessus des évêques s'élevaient les métropolitains. Le titre d'archevêque ne fut usité en Gaule qu'à partir de la fin du septième siècle[9]. Si le mot métropolitain est grec, le sens en est romain. On remarquera, en effet, que presque tous les termes de l'organisation ecclésiastique sont grecs, mais que cette organisation est toute romaine. Sous l'empire, on appelait métropole celle des cités d'une province qui en était le chef-lieu. Comme cette cité était supérieure administrativement aux autres cités, celui qui en était l'évêque se trouva supérieur aux autres évêques. Ce n'est pas à dire qu'évêques et métropolitains fussent les deux degrés d'un avancement, comme cela se voit de nos jours. On ne passait pas par l'épiscopat pour devenir ensuite métropolitain. Tous étaient évêques avec même titre[10] et mêmes attributions. Seulement, l'évêque de la ville supérieure fut le premier parmi les évêques de la province. Cette prééminence alla se marquant de plus en plus. Elle est déjà bien établie par le concile d'Antioche de 341[11]. On en appelait du jugement de l'évêque à celui du métropolitain. Le métropolitain jugeait les contestations entre les évêques.

Par-dessus les métropolitains, il n'existait pas alors un pouvoir pontifical bien établi. Il semblerait que l'imitation de l'empire romain dût aller jusqu'à l'établissement d'une autorité monarchique dans l'Église. Cela ne se fit pas. Apparemment les empereurs tinrent peu avoir se former à côté d'eux un pareil pouvoir. Il faut songer d'ailleurs qu'à l'époque même où les princes et la société entière se firent chrétiens, il se trouva que l'empire eut deux capitales ; dans l'Occident même, un peu plus tard, Milan et Ravenne furent la résidence du pouvoir. Rome, cessant d'être capitale de l'empire, ne devint pas non plus capitale de l'Église, ni l'évêque de Rome son chef universel. Elle eut du moins pour elle le prestige qui continua de s'attacher à son nom, la légende de Pierre qui lui assurait la prééminence, et surtout l'esprit de suite et l'habileté patiente de ses papes. C'en fut assez pour lui donner, à défaut de l'autorité légale, une autorité morale que nul ne contesta.

Au-dessous de l'épiscopat, il existait alors des chorévêques. Ce terme signifie évêque ou inspecteur de la campagne, χώρας έπίσκοπος. La cité, civitas, qui comprenait une grande ville et un grand territoire où l'on trouvait d'autres villes et beaucoup de villages, était trop étendue pour que l'évêque pût tout inspecter de ses yeux. Résidant dans la ville, il dut avoir une sorte d'évêque du dehors, un évêque pour le territoire rural, que l'on appela visitator, circuitor, ou chorévêque. Ce dignitaire n'était d'ailleurs qu'un subordonné de l'évêque, son délégué, son lieutenant choisi par lui[12]. A partir du septième siècle, le pouvoir des chorévêques parut trop grand ; les conciles s'attachèrent à le réduire[13]. Ils disparurent au dixième siècle.

Les archiprêtres et archidiacres subsistèrent plus longtemps. Il est fait mention des archiprêtres dans les écrivains chrétiens du cinquième siècle[14], ainsi que dans les actes des conciles de Tours, d'Auxerre, de Reims[15]. On ne saurait dire avec précision quelles étaient les attributions de l'archiprêtre. Elles ne paraissent pas avoir été fixées avec rigueur. Elles varièrent suivant les temps, suivant les lieux, peut-être suivant la volonté de chaque évêque. Quelquefois l'archiprêtre était simplement le premier des prêtres du diocèse. D'autres fois il y avait plusieurs archiprêtres ; chacun d'eux était placé au-dessus d'une portion du diocèse, par exemple dans une petite ville, et il l'administrait avec autorité sur les prêtres inférieurs de la circonscription. C'est ainsi que Grégoire de Tours nous montre, dans le diocèse de Langres, un archiprêtre qui régit la ville de Tonnerre[16].

L'archidiacre avait la haute main sur tous les services du culte, sur la discipline des clercs, sur la distribution des revenus et des traitements. L'évêque le choisissait à son gré ; il pouvait le destituer[17], ou tout au moins, en lui laissant son titre, donner sa fonction à un autre[18]. Il paraît que sa fonction était de celles qui exigeaient le plus d'attention et d'intelligence[19]. Comme son rang de diacre le tenait trop loin de l'évêque pour lui porter ombrage, l'évêque ne craignit pas de lui confier un grand pouvoir. Il acquit la juridiction, au nom de l'évêque, sur tous les clercs[20], et eut ainsi une autorité supérieure à celle de l'archiprêtre.

Ce que nous appelons des cures ou des paroisses n'existait pas ou existait peu dans les premiers siècles. Le christianisme avait commencé dans les villes, surtout dans les grandes villes, et il n'avait connu d'abord qu'un organisme urbain. A mesure que se fit la lente conversion des campagnes, il fallut établir des églises rurales. Cela se fit peu à peu. On en voit dès le quatrième siècle[21]. Elles deviennent plus nombreuses au cinquième. Grégoire montre des évêques de Tours créant successivement quelques paroisses dans les bourgs les plus importants de leur diocèse[22], et l'on peut penser que tous les évêques firent comme ceux de Tours[23]. Les prêtres de ces paroisses étaient nommes et délégués par l'évêque ; ils restaient sous sa surveillance, ils dépendaient de lui, non seulement pour la discipline ecclésiastique, mais aussi pour la jouissance des biens temporels ; car il était rare alors que ces paroisses eussent des revenus propres ; l'évêque était seul légalement propriétaire de tous les biens de l'église.

Ce qui était plus nombreux que les paroisses rurales, c'étaient les oratoires des domaines privés. Au cinquième, au sixième, au septième siècle, il existait peu de villages semblables à nos villages modernes, c'est-à-dire peu d'agglomérations de petits proprétaires libres. Le plus souvent, un grand domaine appelé villa, comprenant toute l'étendue qui forme aujourd'hui le territoire d'une commune, appartenait à un seul propriétaire. Il renfermait aussi toute la population d'un village ; mais ces paysans étaient de simples tenanciers, les uns libres, les autres colons ou serfs, tous occupant la terre du maître à charge de redevances et de services[24]. Dans ce domaine ainsi constitué, il se trouvait ordinairement un oratoire[25]. Il appartenait au propriétaire, et il servait aux besoins religieux de tous ses serviteurs et paysans[26]. Le propriétaire était tenu d'attacher à cet oratoire une terre et un revenu suffisants pour l'entretien d'un ecclésiastique[27]. Il devait aussi fournir le prêtre et les clercs, en les prenant ordinairement parmi les hommes de son domaine[28] : mais il ne les choisissait qu'avec l'aveu et l'assentiment de l'évêque[29]. Ces clercs, qui étaient les hommes du propriétaire, n'en étaient pas moins subordonnés à l'évêque pour tout ce qui touchait à la croyance, aux sacrements et à la discipline, et ils étaient placés sous la juridiction de l'archidiacre[30]. C'est de ces oratoires des domaines privés que sont venus les trois quarts de nos cures de villages. De même que le village moderne est dérivé, le plus souvent, d'un ancien domaine, de même l'église paroissiale est dérivée très souvent de la chapelle privée d'un grand propriétaire. C'est une vérité dont il faudra nous souvenir lorsque nous arriverons au régime féodal.

Il reste à dire quelques mots des monastères. La vie solitaire, inconnue dans les premiers temps de l'Église, devint fort en honneur au quatrième siècle, surtout en Orient. Mais la pure solitude fut toujours une exception. Elle était peu goûtée des chefs de l'Église et de tous ceux qui avaient le souci de ses grands intérêts. Il arriva donc de bonne heure que les solitaires se groupèrent entre eux. Les moines devinrent des cénobites. Ces deux mots, moine et cénobite, qui au sens littéral signifient le contraire l'un de l'autre, furent synonymes ; cela tint sans doute à ce que les deux idées s'associaient ; les mêmes hommes étaient cénobites entre eux, puisqu'ils vivaient en communauté, mais ils étaient solitaires à l'égard du monde extérieur. Un monastère et un couvent (conventus) furent une même chose.

En Gaule il y eut toujours fort peu de vrais solitaires ou de reclus, bien que Grégoire de Tours en mentionne quelques-uns. Mais il y eut d'assez bonne heure des solitaires associés en communauté. Les principaux monastères furent : celui que saint Martin fonda vers 560 à Ligugé, près de Poitiers[31], celui de Marmoutiers[32] ; celui de Lérins fondé par saint Honorat ; celui d'Agaune ou de Saint-Maurice établi ou agrandi par le roi burgunde Sigismond, 507-517 ; celui d'Anisola ou Saint-Calais, dans le diocèse du Mans[33] ; celui de SainteCroix, près de Poitiers, fondé par la reine Radegonde vers 558[34]. Saint Benoît ayant établi son ordre au Mont-Cassin en Italie, un de ses disciples, saint Maur, fut envoyé par lui en Gaule et fonda le monastère de Saint-Maur-sur-Loire vers 544. Saint Columban fonda celui de Luxeuil vers 590.

Ce n'étaient pas les évêques, du moins lé plus souvent, qui instituaient les monastères. Ils n'étaient pas fondés non plus en vertu d'une volonté générale de l'Église. Ils naissaient spontanément. Tantôt c'était un riche propriétaire qui par piété bâtissait un couvent sur ses propres terres, lui faisait donation d'un de ses domaines, et souvent le remplissait de ses propres serviteurs et paysans ; c'est l'histoire du monastère de Saint-Yrier, dans le diocèse de Limoges[35]. Tantôt c'était un homme sans fortune qui demandait un domaine au roi pour y réunir des moines ; ainsi furent fondés les monastères de Saint-Mesmin de Mici, de Saint-Calais d'Anisola et beaucoup d'autres. Pour établir un monastère, il fallait d'abord avoir des terres ; il fallait aussi posséder des reliques[36]. Ces deux conditions remplies, il était facile de trouver des hommes pour peupler le monastère : Francs et Romains, libres et serfs, étaient également admis[37].

Les monastères étaient indépendants les uns des autres. Il n'existait pas encore d'ordres monastiques. Chacun d'eux avait ses biens propres. Chacun d'eux avait aussi son chef, revêtu du titre de pater ou d'abbas. Mais il était de règle que tous les monastères d'un diocèse fussent soumis à l'évêque. Les monastères, dit le cinquième concile d'Arles, et la discipline des moines appartiennent à l'évêque du diocèse[38]. Les abbés étaient le plus souvent élus par les moines[39] ; mais l'évêque avait sur ces abbés un droit de juridiction et de coercition[40]. Le principe était que les moines devaient une obéissance absolue à l'abbé, l'abbé à l'évêque[41].

Si nous résumons et embrassons d'un regard tous les traits que nous venons de présenter, nous y reconnaissons deux choses : d'abord, le clergé chrétien forme un puissant organisme à côté et en dehors de l'Etat ; ensuite, dans cet organisme, c'est l'épiscopat qui est l'organe principal et l'autorité maîtresse.

L'Église chrétienne, à cette époque, n'était pas un corps centralisé. Il n'y existait pas de monarchie commune. Rome avait une prééminence, non un pouvoir. La monarchie était dans chaque diocèse. Là l'évêque commandait à tous, et lui-même n'avait à obéir à personne, sauf la déférence due au métropolitain. La société chrétienne était une confédération de cités épiscopales. On sentait vivement le besoin d'unité en matière de doctrine ; cette unité était maintenue, non par un pouvoir suprême, mais par la tenue d'assemblées ou de conciles, les uns régionaux, les autres écuméniques, et qui n'étaient tous, à vrai dire, que des congrès d'évêques. Ce qui résume toute la constitution de l'Église à cette époque, c'est la puissance de l'épiscopat. On peut même noter que, dans la langue du temps, le mot église est rarement employé pour désigner le corps chrétien tout entier ; il désigne le plus souvent un diocèse, c'est-à-dire l'ensemble des fidèles auxquels préside un évêque. Les biens et les terres n'appartiennent pas à l'Église universelle, mais à chaque église épiscopale. L'évêque administre seul les biens, seul il régit tout le clergé, seul il gouverne toutes les âmes. Le christianisme est une fédération de citéséglises, dont chacune est une petite monarchie.

Il faut partir de cette vérité si l'on veut comprendre les rapports que la royauté mérovingienne pourra avoir avec le clergé, surtout avec l'épiscopat.

 

2° LES RÈGLES CANONIQUES EN MATIÈRE D'ÉLECTIONS ÉPISCOPALES.

 

Comme la vraie autorité dans l'Église était l'épiscopat, le mode de nomination des évêques avait une singulière importance. Suivant la manière dont ils seraient choisis, l'Église pouvait devenir un corps aristocratique, ou démocratique, ou même féodal. Le mode d'élection pouvait faire encore, ou que l'Église fût dépendante ou qu'elle fût libre, ou qu'elle dominât l'État ou que l'État la dominât.

On croirait tout d'abord que les règles de l'élection dussent se trouver dans les documents des quatre premiers siècles, dans les écrits des Pères, dans les actes des conciles. Mais si on les cherche, on s'aperçoit bientôt qu'il n'y avait pas alors de règles bien précises sur la matière. C'est une opinion très accréditée que, dans les premiers siècles de l'Église, l'évêque était élu par le peuple de la cité. Cette opinion n'est pas entièrement fausse, mais elle est exagérée ; on peut même dire qu'exprimée en des termes si absolus elle est inexacte. On ne trouve ni dans les Évangiles, ni dans les écrits des Pères, ni dans les actes des premiers conciles, que l'évêque dût être nommé par les suffrages du peuple. Les fondateurs du christianisme n'ont jamais exprimé cette idée, n'ont jamais formulé cette règle.

Il paraît bien que les évêques des premiers temps furent choisis par une sorte de cooptation. Le principe fut que nul ne pût être fait évêque que par un autre évêque. C'est le même principe qui avait régné dans quelques autres religions anciennes ; on avait cru volontiers que le caractère sacré ne pouvait être conféré que par un homme qui possédât déjà en sa personne ce caractère sacré. Le texte qui dut inspirer la coutume, fut probablement celui-ci : C'est l'Esprit-Saint qui vous a établis évêques[42]. Le texte dit l'Esprit-Saint, il ne dit pas le peuple, il ne dit pas la communauté. Le Christ avait institué les apôtres ; les apôtres avaient institué les premiers évêques ; ceux-ci en avaient institué d'autres, et l'Esprit-Saint s'était ainsi transmis. De cette façon chaque évêque avait reçu son caractère sacré d'un autre évêque et pouvait faire remonter la genèse de son sacerdoce à un apôtre dont il tenait la place[43]. En vertu de cette conception de l'esprit, il fallait que chaque nouvel évêque fût consacré par un autre évêque. Telle est la seule règle que l'on trouve établie d'une manière formelle, rigoureuse, incontestée dans les quatre premiers siècles. Plus tard, on a distingué nettement l'élection épiscopale de la consécration ; mais il n'est pas sûr que l'esprit des premiers chrétiens ait fait cette distinction[44].

Mais à côté de ce principe, qui était inflexible parce qu'il était d'ordre spirituel, il y avait un fait dont il était impossible de ne pas tenir compte. Dans chaque cité, nous l'avons vu, la communauté ou fraternité chrétienne formait un corps indépendant. La règle spirituelle qui voulait que son évêque tînt son pouvoir sacré d'un autre évêque, aurait eu pour conséquence, si on l'eût appliquée sans aucun tempérament, que toute cité aurait reçu son chef du dehors. C'est apparemment contre une telle conséquence que s'établit une autre règle, à savoir, que la cité fût toujours consultée sur l'homme dont on allait faire son évêque, et qu'avant toute consécration elle donnât son avis. Aucune autorité n'avait le droit ni le pouvoir de lui imposer un chef dont elle ne voulût pas.

Cette double condition pour la nomination des évêques s'aperçoit déjà dans un texte de Clément d'Alexandrie. Il montre l'évêque d'une communauté établi par des évêques du dehors, mais il ajoute que la communauté est consentante[45].

Saint Cyprien est plus explicite. D'une part, il dit très énergiquement que l'évêque est l'élu de Dieu, que c'est Dieu qui l'établit ; telle est la première règle, et elle prime tout[46]. Mais ensuite il formule la seconde. La communauté, dit-il, a le pouvoir de choisir son évêque ou de rejeter celui qui lui est imposé[47]. Aussi faut-il que le nouvel évêque soit choisi en présence du peuple, sous les yeux de tous[48]. Remarquez qu'il ne dit pas par tous, et qu'il ne parle pas de votes émis par le peuple, ni de volonté exprimée par lui. Il dit seulement que le choix doit avoir lieu en présence du peuple, afin que le peuple atteste que l'homme est digne de remplir sa charge[49]. Il ajoute : Voici ce qui se passe en Afrique et dans presque toutes les provinces de l'empire, quand il s'agit d'instituer un évêque ; les évêques de la même province, au moins les plus voisins de la cité à pourvoir, se réunissent dans cette cité, et l'évêque est choisi en présence du peuple[50]. Il est choisi, visiblement, par les évêques ; mais il faut que le peuple soit présent. On ne peut faire aucune institution d'évêque qu'avec l'assistance et le concours moral du peuple[51]. Il y a loin de là à dire que l'élection populaire soit la source du pouvoir épiscopal ; saint Cyprien ne dit rien de pareil ; il explique seulement la nécessité de la présence du peuple par ce motif que le peuple de la ville, d'où l'élu est ordinairement tiré, connaît mieux que les évêques étrangers la conduite et le caractère de l'élu ; il peut en conséquence témoigner de son mérite ou dénoncer son indignité[52]. Le public est là, non pour voter, mais pour porter témoignage. L'auteur termine en disant qu'en Espagne les choses se passent de même ; l'évêque est institué sur la recommandation de la communauté[53], et par le jugement des évêques[54]. Il faut donc pour faire un évêque le concours de deux choses : d'une part l'expression du désir de la population, de l'autre la décision des évêques de la province.

Saint Cyprien ajoute encore un détail caractéristique. L'épiscopat, dit-il, est conféré par le jugement des évêques, non seulement de ceux qui ont été présents, mais aussi des absents qui ont envoyé leurs lettres[55]. Cela implique que pour la désignation de l'élu on a compté les voix des évêques, tandis que saint Cyprien ne dit pas qu'on ait compté celles du peuple. Comme d'ailleurs quelques évêques ont pu donner leur opinion par lettre, cela implique encore que l'opinion des évêques est indépendante de celle du peuple, puisque ces évêques ne connaissaient pas l'opinion du peuple au moment où ils ont écrit. L'opinion des évêques, au moins de ceux qui l'ont donnée par lettre, précède celle du peuple, et celle-ci ne paraît être qu'un assentiment. Nous verrons bientôt ces usages se modifier, mais telle est bien la procédure qu'indique saint Cyprien. La décision des évêques paraît être encore l'élément principal. La participation du peuple est hautement reconnue en principe, mais elle est encore vague et indécise en pratique.

Si nous passons au quatrième siècle, nous lisons dans les actes du concile d'Ancyre de 314 qu'il est possible qu'un homme ait été institué évêque et qu'il ne soit pas reçu comme tel par le diocèse pour lequel on l'a nommé[56]. Il est bien visible ici que l'évêque n'a pas été nommé par le peuple du diocèse, qui au contraire refuse de l'accepter. Il a été nommé par des évêques du dehors. Le principe de la participation du peuple a été oublié. Si la cité accepte l'élu, nulle difficulté ; mais si elle le repousse et lui ferme ses portes, une question de droit' se pose. Les Pères du concile d'Ancyre, appelés à la résoudre, déclarent qu'ils ne connaissent aucune règle qui oblige une cité à recevoir un évêque dont elle ne veut pas.

Si nous cherchons dans les actes du concile de Nicée de 525 les règles relatives à l'élection, nous ne trouvons que ceci : L'évêque doit être institué par tous les évêques de la même province, ou au moins par trois d'entre eux si la distance est trop grande pour qu'il en vienne un plus grand nombre ; mais ceux qui ne peuvent pas venir doivent voter par lettre ; on doit compter les voix des évêques présents et absents ; la ratification ou confirmation de ce qui s'est fait appartient au métropolitain[57]. Ici il n'est pas dit un seul mot du peuple. Il y a un vote, ψήφος, χειροτονία ; mais ce vote n'est qu'entre les évêques. Je crois bien que la présence du peuple est sous-entendue, mais son rôle est bien effacé, puisque le concile ne pense pas à en parler[58].

Le concile de Laodicée, tenu vers 572, prononce expressément que l'évêque doit être institué par le choix du métropolitain et des évêques comprovinciaux[59]. Il ajoute qu'il ne faut pas laisser à la foule le choix du futur évêque[60].

Mais il restait toujours qu'un évêque ne pouvait pas être imposé à une communauté malgré elle. C'est ce que répète, après lé concile d'Ancyre, celui d'Antioche[61]. C'est ce que dit encore expressément le pape Célestin Ier dans une lettre adressée à des évêques de la Gaule en 428 : Qu'aucun évêque ne soit donné à une population malgré elle[62]. Le sens de cette phrase et de tout l'article qui suit n'est pas que le peuple choisisse son évêque. Cela implique plutôt que l'élection vient d'ailleurs, episcopus detur. L'évêque est donné à la cité par le métropolitain et les évêques ; seulement, le pape veut que les évêques tiennent grand compte du désir ou de l'antipathie de cette cité, afin qu'on ne lui donne pas un évêque malgré elle. Aussi le pape ajoute-t-il qu'on devra demander au clergé de la cité, au peuple et à l'ordre des décurions leur assentiment et l'expression de leur désir[63].

Un peu plus tard, en 445, le pape Léon Ier écrit aux évêques de la province Viennoise pour leur rappeler les règles de l'élection. Il ressort de toute sa lettre que ce sont eux qui élisent chaque nouvel évêque. Il leur reproche seulement d'abuser de leur droit en choisissant des évêques qui sont inconnus aux diocèses qu'ils doivent gouverner ; il en résulte que leurs diocèses ne veulent pas d'eux ; ils ne peuvent entrer dans leur ville épiscopale qu'accompagnés de soldats, et ils s'y installent par la force[64]. Cela ne devra plus se renouveler. En cas de vacance d'un siège, le futur évêque doit être demandé par la cité[65]. Il est bien vrai que ce sont les évêques et le métropolitain qui font l'évêque ; mais encore doivent-ils attendre les vœux des citoyens, les témoignages de la population ; ils doivent s'enquérir de l'opinion des citoyens du premier rang, chercher sur qui se porte le choix des clercs : car telle est la coutume de ceux qui connaissent les règles des Pères[66].

En tout cela le pape ne dit pas que l'élection appartienne au peuple ; il ne dit pas qu'on doive le consulter officiellement, ni surtout le faire voter. Il se garde d'expressions si nettes. Des vœux, des témoignages, des opinions, voilà les termes dont il se sert, et s'il emploie le terme un plus peu net de electio, c'est pour l'appliquer seulement aux clercs. La décision appartient toujours aux évêques. La cité peut bien demander son évêque, c'est-à-dire recommander un candidat à la nomination des prélats. Ceux-ci doivent tenir compte de la lettre et des signatures des clercs, du témoignage des principaux habitants, de l'assentiment de la curie, de celui du peuple[67] ; mais ce seront toujours les évêques qui feront la nomination. Le pape termine en disant que de cette façon l'évêque, qui doit être au-dessus de tous, aura été choisi par tous[68]. Mais il faut faire attention que ces mots, venant après tout ce que nous venons de voir, ne signifient nullement qu'il y ait une élection formelle. On voit bien par toute la lettre du pape qu'il n'y a ni scrutin régulièrement ouvert, ni suffrages exactement comptés. Qui est-ce qui nomme ? Ce sont les évêques. Et qui est-ce qui apprécie les vœux et les désirs de la population ? Ce sont encore ces mêmes évêques. Le plus que puisse faire la cité, c'est une demande. Elle n'a aucune décision. Son droit est bien reconnu en théorie, mais il est fort restreint en pratique.

Le concile d'Arles de 452 règle les élections épiscopales d'une manière assez inattendue : Lorsqu'il s'agit d'établir un évêque, trois candidats doivent être désignés par les évêques comprovinciaux ; puis les clercs et les citoyens du diocèse ont la faculté de choisir l'un des trois[69]. C'est précisément le contraire de la règle qui fut établie un peu plus tard dans l'Eglise d'Orient : en cas de vacance d'un siège, la cité présentait une liste de trois personnages, parmi lesquels les évêques et le métropolitain choisissaient[70].

Des faits que nous venons d'exposer il ressort, d'abord, que l'Eglise avait une règle bien arrêtée au sujet de l'action des évêques comprovinciaux, ensuite, qu'elle n'en avait pas de précise au sujet de la participation du peuple. Elle ne variait pas sur ce principe que c'étaient les évêques qui devaient établir le nouvel évêque. Elle acceptait aussi sans hésitation la nécessité théorique de l'assentiment des fidèles ; mais sur l'application de ce second principe elle variait beaucoup et se tenait volontiers dans le vague. Elle n'a jamais eu une règle nettement formulée au sujet de l'élection populaire. Jamais elle n'a constitué un ensemble de procédés par lesquels le droit populaire pût s'exercer avec régularité et efficacité. L'Eglise ne pensa jamais que la prépondérance dût appartenir à la seule supériorité du nombre.

Nous ne voyons jamais que l'Église de cette époque ait reconnu aux empereurs, aux chefs d'État, le droit de choisir les évêques. Elle n'a même pas eu à lutter contre cette ingérence de l'autorité publique, à laquelle personne encore ne songeait. Mais l'Eglise ne voulait pas non plus que ses chefs lui vinssent du peuple. Ni d'en haut, ni d'en bas. L'Église ne voulait pas plus dépendre des caprices de la foule que de la politique des souverains. Sa grande préoccupation au quatrième et au cinquième siècle fut de se faire forte. Elle eût été faible si elle se fût subordonnée aux princes ; elle eût été faible si elle se fût subordonnée au peuple. Son idéal, à cette époque, fut de se constituer, par un système de cooptation, en un grand corps aristocratique.

 

3° DE LA PRATIQUE EN MATIÈRE D'ÉLECTIONS ÉPISCOPALES AVANT LES FRANCS.

 

Les faits ne répondirent pas exactement à cet idéal que l'Église s'était proposé. L'élection populaire se fit une grande place et ne se régla pas toujours au gré de l'Église. Pour comprendre l'histoire de l'épiscopat chrétien, il est bon de jeter les yeux sur quelques sacerdoces païens auxquels cet épiscopat s'est substitué. Parmi les religions d'alors il y en avait une qui avait tous les caractères d'une religion d'Etat : c'était le culte de Rome et de l'Auguste. Au milieu des autres cultes très divers, sans lien entre eux, et rivaux, cette religion officielle était alors la seule qui fût fortement constituée et régulièrement organisée comme un réseau qui couvrait tout l'empire. C'était elle que les premiers chrétiens avaient le plus constamment combattue, et c'était elle qui les avait persécutés. Le long duel pour la domination avait été surtout entre eux et elle. Le christianisme vainqueur prit exactement la place qu'elle avait occupée.

Or ce paganisme officiel avait un clergé, et même une sorte d'épiscopat ; chaque province, chaque cité avait son chef du culte, sous le nom de pontifex ou de sacerdos. Le jour où la cité tout entière devint chrétienne, l'évêque remplaça ce chef du culte, et prit même son titre. Ce fait modifia sensiblement les habitudes de la communauté chrétienne. Elle cessa d'être le petit groupe obscur d'autrefois, le groupe des pauvres et des frères. Elle se confondit avec la cité ; elle en prit l'organisme ; elle eut dans son sein les magistrats municipaux, les curiales, et le corps des honorati. La nouvelle cité ne fut plus aussi démocratique que l'avait été la fraternité chrétienne. Elle ne fut pas non plus aussi aristocratique que l'était devenue la cité impériale du troisième siècle. Les deux éléments se rapprochèrent, se mêlèrent, non sans quelque trouble. Cette cité avait encore des traditions d'élection. Elle y tenait peu quand il s'agissait de magistrats municipaux qui lui devenaient de plus en plus indifférents ; elle y tint beaucoup le jour où il s'agit de son chef religieux auquel s'attachaient les intérêts et les sentiments qui tenaient alors le plus de place dans l'âme humaine. Il se trouvait justement que le chef de l'ancien culte païen, ce même pontifex ou sacerdos auquel l'évêque succédait, avait toujours été élu par la cité[71]. Sa place avait même été le plus haut objet d'ambition des plus grandes familles. Les mêmes habitudes d'élection s'appliquèrent naturellement à l'évêque, comme les mêmes ambitions aspirèrent dès lors à l'épiscopat.

Dans cette nouvelle situation, l'Église chrétienne, sans se transformer, subit des modifications sensibles. C'est ainsi qu'à partir de ce moment l'élection par la cité prit une part plus grande dans l'institution de l'évêque. Il arriva aussi que l'épiscopat devint, comme le sacerdoce de l'époque précédente, l'apanage ordinaire des grandes familles. On peut remarquer que, dans les cent cinquante dernières années de l'empire, l'usage le' plus fréquent fut de conférer l'épiscopat aux membres les plus riches et les plus influents de la cité, souvent aux mêmes hommes qui avaient rempli les hautes charges de l'empire. Mais il arriva en même temps que l'épiscopat fut un objet de brigues et de luttes.

En Gaule surtout, l'intervention de la population dans le choix de ses évêques paraît avoir été fort active. Sulpice Sévère raconte comment saint Martin devint évêque de Tours. Les prélats comprovinciaux, c'est-àdire ceux de la Troisième Lyonnaise dont Tours était la métropole, se réunirent dans la ville et voulurent procéder au choix du nouveau pontife en présence du peuple ; mais ce fut le peuple lui-même qui les obligea à choisir saint Martin[72]. En vain les évêques objectèrentils que Martin était un trop petit personnage, pauvre et mal vêtu, indigne de l'épiscopat[73] ; il fallut le nommer. Nous avons dans ce récit à la fois le droit et le fait. Le droit est que les évêques nomment leur élu moyennant qu'ils aient l'assentiment général ; le fait est que la population impose son choix aux évêques.

Nous lisons de même dans la Vie de saint Germain d'Auxerre qu'en 418 tous les clercs, les nobles, les simples fidèles, ceux de la campagne comme ceux de la ville, furent unanimes à choisir Germain pour évêque[74]. Ici l'hagiographe oublie même de parler des prélats comprovinciaux.

Grégoire de Tours raconte, et d'une manière très vivante, plusieurs élections qui eurent lieu en Gaule avant l'arrivée des Francs. Brice fut nommé évêque de Tours par l'assentiment général des citoyens[75]. Plus tard, ces mêmes citoyens le renversèrent, nommèrent successivement deux autres évêques, Justinianus et Armentarius, et finalement le rétablirent[76]. Dans toutes ces péripéties, les prélats comprovinciaux parurent si peu, que l'historien n'en parle pas. Ailleurs, dans la cité d'Auvergne, le siège épiscopal étant devenu vacant par la mort de Vénérandus, l'historien nous montre les évêques de la province se réunissant dans la ville, un dimanche[77]. Avant de rien prononcer, ils attendent que la foule des citoyens ait marqué son choix. Mais cette foule est partagée entre plusieurs candidats[78] et les évêques n'osent rien décider. Enfin un prêtre nommé Rusticus, qui vient à traverser la foule, est acclamé par tous, on croit voir en lui le choix de Dieu ; on crie de toutes parts : Voilà celui qui est digne de l'épiscopat. Et Rusticus est aussitôt nommé évêque[79].

Sidoine Apollinaire, qui dans ses lettres à ses amis rapporte ce qu'il a sous les yeux, montre bien que le peuple intervenait dans les élections, et qu'il y possédait même l'action prépondérante. Deux exemples surtout sont caractéristiques. L'évêché de Chalon devient vacant en 470 ; aussitôt le métropolitain, qui est l'évêque de Lyon, et les autres évêques comprovinciaux se rendent à Chalon pour procéder à l'élection du successeur[80]. Ils ne commencent pas par le désigner euxmêmes. Ils rassemblent le peuple de la cité. Mais alors ils se trouvent en présence d'une foule très divisée, variæ voluntates. Il y avait eu des brigues, studia privata, et trois compétiteurs se présentaient. Aucun des trois, à vrai dire, n'était digne de l'épiscopat. L'un n'avait pour lui que la noblesse de ses ancêtres ; le second n'avait d'autre mérite que le luxe de sa table et les nombreux amis de sa cuisine ; quant au troisième, il s'était fait des partisans en promettant de leur distribuer l'argent et les terres de l'église. Le métropolitain et les évêques ne voulaient d'aucun de ces trois candidats. Ils se tirèrent de la difficulté par un coup d'audace. Brusquement, sans consulter le peuple, ils portèrent leur choix sur un quatrième personnage qui n'était pas candidat, et ils le déclarèrent évêque. A cette proclamation inattendue, la foule fut d'abord surprise, puis mécontente et furieuse ; mais les évêques tinrent bon ; et comme cette foule était divisée, comme chacun des trois partis se réjouissait de l'échec des deux autres, sa colère tomba bien vite, et elle accepta le choix des évêques. Cette élection, malgré son caractère exceptionnel, laisse bien voir quel est l'usage ordinaire : le peuple de la cité aurait dû indiquer sa préférence aux évêques ; c'est parce que le peuple était trop divisé et les intrigues trop évidentes que les évêques ont fait un acte d'autorité, qui pour cette fois a réussi.

L'autre exemple se présente à Bourges vers 472[81]. Bourges est une ville métropolitaine ; elle est le chef-lieu de la province qu'on appelle Seconde Aquitaine. Or, quand un siège métropolitain devenait vacant, la règle était que les évêques de la province, assistés du métropolitain d'une province voisine, se réunissent dans la ville pour procéder à la nomination. Sidoine Apollinaire, qui est évêque de Clermont, et par conséquent suffragant de Bourges, se rend donc dans cette ville. En même temps il écrit au métropolitain de Sens pour le prier de venir présider à l'élection. Nous avons, sa lettre ; il y rend compte de la situation. Je suis venu à Bourges, écrit-il, appelé par le décret des citoyens[82]. Ces derniers mots nous montrent l'un des premiers actes de la procédure usitée ; c'était la cité elle-même qui, par un décret municipal, avertissait les évêques comprovinciaux de la vacance du siège et les invitait à venir y pourvoir. Sidoine continue : Le peuple est agité et partagé en factions contraires ; les candidats sont nombreux ; peu de titres sérieux et de vrai mérite, beaucoup de fausseté et d'impudence. Il en est qui ne craignent pas d'offrir de l'argent pour obtenir ce poste sacré. L'épiscopat serait mis aux enchères si les vendeurs étaient aussi déterminés que les acheteurs. — Tenez donc, ajoute l'évêque de Clermont à l'archevêque de Sens ; nous ne sommes pas assez nombreux, nous les évêques de la Première Aquitaine, pour instituer le pontife de cette cité ; nous avons besoin de votre présence. Nous vous avons réservé le droit de voler le premier[83] ; nous n'avons encore désigné personne ; nous attendons votre choix. Telle est sa lettre ; nous y voyons tout un côté de la procédure, celui qui concerne l'action des évêques ; il y a entre eux un vote régulier. Si nous n'avions que cette lettre, nous pourrions croire que c'est à eux que l'élection appartient.

Mais voici une autre lettre, écrite quelques jours plus tard, et au sujet de la même affaire[84]. Tel était le nombre des compétiteurs, que tous ces candidats à un seul fauteuil n'auraient pu tenir sur deux bancs. Quant à nous, les évêques, nous ne savions que faire, et nous ne pouvions venir à bout d'une telle difficulté. Par bonheur, le peuple, renonçant à sa première idée, déclara tout à coup qu'il s'en rapportait au jugement des évêques. Quelques candidats réclamèrent ; mais la foule persista dans cette volonté de s'abstenir et elle décida que le choix serait remis à l'évêque de Clermont. Sidoine, en homme d'expérience, ne se contenta pas d'une déclaration verbale. Il se fit remettre en mains, nous dit-il, la pagina decretalis[85], c'est-à-dire la lettre de nomination que la cité devait adresser aux pouvoirs publics, lettre où le nom de l'élu était laissé en blanc pour qu'il l'écrivît lui-même. Il voulut aussi que le peuple s'engageât par serment à reconnaître et à accepter le choix qu'il ferait. Enfin il demanda quelques jours pour réfléchir.

Après ce délai, il convoqua de nouveau le peuple dans l'église de Bourges, et, en présence des évêques, il notifia le choix qu'il avait fait. Il s'était décidé en faveur d'un laïque nommé Simplicius. On sait que l'élévation d'un laïque à l'épiscopat n’était pas défendue par l'Église. Quelques conciles, à la vérité, en avaient parlé comme d'un fait regrettable, mais sans l'interdire formellement[86]. Sidoine n'étonna donc personne en présentant Simplicius. Il fit la longue énumération de ses titres : c'était d'abord la noblesse de sa famille, sa richesse ; c'étaient ensuite les talents d'administrateur dont il avait fait preuve dans sa carrière laïque ; c'étaient enfin ses vertus chrétiennes et la pureté de sa foi. Notons ces trois points ; ils nous montrent les conditions très diverses qui étaient ordinairement requises du nouvel évêque. Il se trouvait d'ailleurs que Simplicius était marié ; ce n'était pas un obstacle. L'Église n'exigeait pas encore le célibat ; si elle interdisait à l'évêque une fois élu de se marier, elle ne défendait pas à l'homme déjà marié d'être élu évêque[87]. Sidoine fit, après l'éloge de Simplicius, l'éloge de sa femme. Enfin il termina son long discours au peuple de Bourges par cette déclaration : Comme vous avez juré de reconnaître et d'accepter mon choix, au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit, Simplicius est celui que je déclare être évêque de cette cité. Vous, suivant le serment que vous avez fait, approuvez mon choix par vos acclamations. C'est ce qui fut fait, et Simplicius occupa le siège épiscopal.

Dans ce récit, c'est encore une élection exceptionnelle et singulière qui nous est racontée ; nous y discernons pourtant quelles étaient les règles générales. La règle canonique était que le nouvel évêque fût institué par d'autres évêques en présence du peuple. La règle laïque était que le peuple indiquât d'abord son choix et que l'évêque fût son élu. Ces deux règles ou ces deux prétentions n'étaient pas toujours faciles à concilier. Si le peuple était d'accord, il est visible que son choix s'imposait aux évêques. Mais s'il était divisé, il pouvait arriver, comme dans l'élection de Chalon, que la sagesse des évêques s'imposât au peuple, ou bien, comme dans l'élection de Bourges, que le peuple eût lui-même assez de sagesse pour s'en remettre à la décision des évêques.

Il y avait d'ailleurs en tout cela beaucoup d'indécision, d'imprévu, de contradiction. Ces récits nous parlent du peuple ; mais nous voudrions savoir avec précision ce qu'il faut entendre par ce mot. Il est vrai que plusieurs textes décomposent ce peuple en trois parties, clerus, ordo, plebs ; c'est le clergé d'abord, c'est ensuite l'ordre des décurions ou l'aristocratie municipale, c'est enfin la foule des hommes libres. Est-ce à dire pourtant que nous ayons devant les yeux une réunion tout à 'fait démocratique, une assemblée générale de la population ? Il y a quelques raisons d'en douter. On sait que dans la langue indécise de ce temps toute réunion s'appelait peuple. Le vrai peuple de la civitas, ville et campagne, aurait, formé une assemblée infiniment nombreuse. Où se serait-elle tenue ? D'après les exemples que nous connaissons, la réunion avait lieu dans une église. Mais les églises, surtout celles de ce temps-là, ne pouvaient pas contenir toute la population d'une civitas. Nous devons donc penser qu'il s'en fallait de beaucoup que tout le peuple fût présent. Il est impossible de savoir avec exactitude quelle était la composition d'une telle assemblée. Nous ne pouvons dire combien il y avait d'hommes du clerus, combien de l'ordo, combien de la plebs, ni quelle était la proportion entre les clercs et les laïques, entre les laïques riches et ceux des classes inférieures. Il n'y avait pas de règles sur ce sujet.

Il n'y en avait pas non plus sur la manière dont cette assemblée pouvait exprimer sa volonté. On ne volait certainement pas par écrit ; nous n'apercevons même pas qu'on votât par main levée. Il est parlé d'acclamations, jamais de vote ; jamais il n'est dit qu'on ait. compté les voix du peuple. Or un peuple qui possède le droit d'élire, sans avoir en même temps des procédés réguliers d'élection, ne possède rien. De là ces surprises dont nous venons de voir deux exemples frappants.

Lors donc que nous lisons que l'évêque est élu par le peuple de la cité, il faut bien se garder de prendre celle expression dans le sens que le mot élection présente à nos esprits modernes. Il n'y a là ni un vrai peuple, ni une élection véritable. La réunion se compose surtout des prêtres, des diacres, des clerici, puis des principaux habitants, des plus zélés parmi les fidèles ; on y voit même des femmes, de celles surtout qui se sont vouées à l'église[88]. Tous s'assemblaient dans un lieu sacré et sous les yeux des évêques. Ils pouvaient acclamer tel ou tel candidat, et c'étaient les évêques qui interprétaient et mesuraient leurs acclamations.

En tout cas, et si les évêques se trouvaient quelquefois plus faibles que le peuple, il leur restait la consécration, c'est-à-dire ce qui faisait réellement l'évêque. Sur ce point, nulle indécision ; la règle canonique était certaine, ferme, inflexible. Il résultait de là que, si les prélats ne pouvaient guère instituer un évêque malgré le peuple, le peuple pouvait encore moins s'en donner un malgré les prélats.

Ce mode de nomination à double face, avec ses incertitudes et ses contradictions, produisait les résultats les plus divers. Quelquefois l'élu était un saint ecclésiastique. D'autres fois il était un clerc ambitieux. Parfois encore le choix se portail sur un laïque riche. Mais il était rare que la cité fût d'accord pour faire son choix. Les convoitises étaient ardentes, les intrigues sans scrupules. Les mêmes passions qui s'étaient manifestées autrefois dans la poursuite des magistratures municipales ou des hautes fonctions de l'empire, se portaient maintenant à la recherche de ces magistratures religieuses qui étaient devenues plus brillantes et plus puissantes que toutes les dignités laïques.

 

4° LES ÉLECTIONS ÉPISCOPALES DANS L'ÉTAT FRANC.

 

Les rois francs trouvèrent en Gaule un épiscopat déjà fortement constitué, puissant sur les âmes, étroitement lié à l'organisme de la cité, plus vénéré et plus influent que les magistratures municipales ; il était indépendant vis-à-vis du pouvoir impérial, qui mettait rarement la main dans ses affaires ; il n'avait enfin d'autres difficultés que celles qui lui venaient parfois du peuple, soit que le caprice de la foule prétendît choisir le nouvel évêque, soit qu'un autre caprice de la même foule prétendît destituer l'évêque élu[89].

Les nouveaux maîtres du pays n'eurent aucun esprit d'hostilité contre cet épiscopal. Clovis, avant même d'être chrétien, traitait avec les évêques ; chrétien, il affecta de les consulter. Entre eux et lui il se fil un échange de services[90] ; surtout il les enrichit d'une partie des terres que ses victoires lui avaient données. On n'aperçoit pas que ni lui ni ses fils aient eu une politique dirigée contre l'épiscopat. Ici, comme en toutes choses, ils laissèrent subsister ce qui avait par soi-même la force de vivre.

Nous allons voir pourtant une innovation assez grave se produire : c'est que l'Église va se lier à la monarchie franque bien plus étroitement qu'elle ne s'était liée à l'empire ; et la royauté, s'emparant à peu près de l'élection des évêques, dominera l'épiscopat ou paraîtra le dominer. Tel est le fait que nous avons à observer et à étudier, en nous servant des actes des conciles, des récits de Grégoire de Tours, de ceux des hagiographes, enfin de quelques formules et diplômes.

Cela ne se fit pas tout de suite après la conquête. Il s'est tenu en Gaule un assez bon nombre de conciles au sixième siècle. Les actes de celui d'Orléans de 511 ne contiennent aucun article sur le sujet qui nous occupe. Dans ceux du second concile d'Orléans de 555, nous lisons que le métropolitain doit être choisi par le clergé et par le peuple et institué par les évêques comprovinciaux[91]. C'est le maintien des règles du siècle précédent. Cela est encore mieux marqué, cinq ans plus tard, par le troisième concile d'Orléans : Le métropolitain doit être choisi par les évêques de la même province, avec l'adhésion du clergé et du peuple de la cité ; pour le simple évêque, on doit chercher le choix et la volonté du clergé et du peuple, ainsi que l'adhésion du métropolitain[92].

Mais dans le cinquième concile d'Orléans, de 549, nous rencontrons quelque chose de nouveau : Que nul n'obtienne la dignité épiscopale à prix d'argent ; que l'évêque soit, avec la volonté du roi, suivant le choix du clergé et du peuple, consacré par le métropolitain et les autres évêques de la province[93]. Ce qui est important ici, c'est cette intervention de la volonté royale. D'ailleurs, quand les Pères du concile parlent ainsi, ils ne veulent pas dire que le roi nommera les évêques ; ils entendent seulement qu'aux deux règles de la consécration par le métropolitain et du choix par le peuple s'ajoutera désormais une troisième condition, l'assentiment du roi. Ils acceptent qu'on ne puisse pas être nommé évêque malgré lui ; ils n'accordent pas encore davantage.

Il semble même que l'Église essaye bientôt de retirer la concession qu'elle a faite. Le concile de Paris de 557 prononce que les règles anciennes seront remises en pratique, et il explique cela en disant : Que nul ne soit établi évêque malgré la cité ; celui-là doit être évêque que le choix spontané du peuple et du clergé est allé chercher, non pas celui qui est imposé par le commandement du roi ou contre la volonté des évêques de la province ; si un homme usurpe la dignité d'évêque en vertu d'un ordre royal, que les autres évêques ne le reçoivent pas[94].

Ce qui se passe au concile de 614 est encore plus significatif. D'une part, les évêques écrivent : Au décès d'un évêque, on devra instituer à sa place celui qui aura été choisi par le métropolitain, par les évêques, par le clergé et le peuple de la cité[95]. Ils ne mentionnent même pas la volonté du roi. Mais, d'autre part, ces vœux des conciles ne deviennent des lois que si le roi les transforme en édits, et c'est ce que fait ici Clotaire II ; or comparez l'article du concile à l'article correspondant de l'édit royal, et vous voyez que le roi a modifié le texte : Au décès d'un évêque, son successeur sera choisi par les évêques de la province, par le clergé et le peuple de la cité, et, si l'élu nous semble digne, il sera, en vertu d'un ordre royal, institué évêque[96]. Le concile avait oublié le droit dû roi ; l'édit se hâte de le rétablir. Nul ne sera institué évêque sans un ordre du roi. Le roi ajoute même que les hommes du Palais, c'est-à-dire ses chapelains et même ses courtisans, pourront être élus et ordonnés pour le mérite de leur personne et de leur foi[97].

Légalement, le pouvoir royal entrait en partage dans la nomination des évêques. Il faut voir ce qu'était la pratique.

Voici d'abord une élection qui eut lieu en 515, c'est-à-dire peu de temps après la constitution de l'État Franc. Le fait se passe en Auvergne, c'est-à-dire au milieu d'une population qui est toute romaine, mais qui obéit au roi d'Austrasie. L'évêque Eufrasius étant mort, le peuple choisit Quintianus[98] ; mais un autre Arverne, riche et de grande famille, se rendit en hâte auprès du roi, se présenta comme s'il était l'élu, lui offrit force présents, et obtint du roi Thierry l'épiscopat[99]. Ce qui me frappe d'abord en ce récit, c'est qu'il était obligatoire, même pour celui que la population entière avait choisi, d'obtenir le consentement du roi. Quintianus ne s'étant pas assez hâté, ce fut Apollinaris qui arriva le premier, et c'est à lui que le roi donna l'évêché. Les présents l'avaient sans doute empêché de voir la fraude. Il ne se produisit aucune protestation dans la cité ; elle accepta pour évêque, au lieu de celui qu'elle avait élu, celui que le roi désignait.

Ce même Apollinaris mourut quatre mois plus tard ; cette fois le roi exigea que Quintianus fût évêque. Il donna l'ordre d'instituer Quintianus et de lui donner le gouvernement de l'église d'Auvergne[100]. Aussitôt des envoyés du roi arrivèrent en Arvernie, convoquèrent les évêques comprovinciaux et le peuple, et placèrent Quintianus sur le siège épiscopal[101]. Cette fois, s'il y a eu vraiment une élection, elle a eu lieu devant les envoyés du roi, et les électeurs savaient à l'avance qui ils devaient élire.

Un autre récit, beaucoup plus court, n'est pas moins caractéristique. En 527, en Austrasie, l'évêque de Trèves étant mort, le roi ordonna que Nicétius fût élevé à l'épiscopat ; le peuple fit l'élection en l'absence du personnage ; le roi rédigea le décret de nomination, et c'est alors seulement que Nicétius se dirigea vers Trèves pour se faire consacrer par les évêques[102]. Il y a ici quatre actes successifs : la volonté du roi vient d'abord, puis l'élection par le peuple, ensuite un diplôme royal ou décret de nomination, et enfin la consécration par les évêques. Deux de ces actes émanent du roi, et ce sont les plus importants.

En 552, le siège d'Auvergne devient vacant ; Gallus y est nommé par la faveur du roi[103]. Ces mots de Grégoire de Tours ne sont pas un blâme dans sa bouche, car il est le neveu de saint Gall et son admirateur ; Grégoire ne pense aucunement que la faveur du roi amoindrisse le personnage.

Vingt années plus tard, le même siège redevient vacant ; mais il se trouve que le roi d'Austrasie est un enfant, Théodebald, et l'on essaye de faire l'élection sans lui. Le clergé de la cité se prononce en faveur d'un vieux prêtre nommé Caton[104], et il semble que le peuple soit pour lui. Alors les évêques comprovinciaux, réunis dans la ville, disent à Caton : Nous voyons bien que la plus grande partie du peuple porte son choix sur toi ; nous allons donc procéder à la consécration[105]. Mais les prélats sentent bien qu'une manière d'agir si hâtive est contraire aux règles nouvelles, car ils ajoutent : Le roi est un enfant ; nous n'avons pas besoin de nous adresser à lui ; d'ailleurs nous répondons de tout ; si l'on attaque ta nomination, nous prendrons ta défense auprès des grands du roi ; si tu encours quelque amende, nous te la rembourserons de nos propres biens[106]. Un tel langage montre assez qu'il n'était pas très sûr de négliger la prérogative royale. C'est ce que comprit le prêtre Caton ; il ne voulut pas devoir sa nomination à une surprise, et il préféra attendre que le roi se fût prononcé[107]. Mais, dans l'intervalle, l'archidiacre Cautinus le devança auprès du roi ; il courut à Metz et y apporta le premier la nouvelle que le siège d'Auvergne était vacant. Sur cela, le roi et ses grands convoquèrent à Metz les évêques de la province de Bourges : violation formelle des règles canoniques, qui exigeaient que la réunion des évêques comprovinciaux eût lieu dans la cité qu'il fallait pourvoir. Puis, soit que ces évêques eussent perdu la mémoire de ce qu'ils venaient de faire en Auvergne, soit que le gouvernement imposât sa volonté, ce fut Cautinus qui fut nommé. Les envoyés de Caton arrivèrent trop tard ; Cautinus était déjà évêque[108].

Clotaire Ier agit comme les rois d'Austrasie. Le siège de Tours étant vacant, il voulut que ce même Caton, fort inconnu dans cette ville, en devînt évêque. Les députés du clergé de Tours se rendirent donc en hâte auprès de Caton et lui firent connaître la volonté du roi. Comme Caton se montrait hésitant, ils lui dirent : Ce n'est pas par notre volonté que nous t'appelons à être évêque, c'est par un ordre exprès du roi[109]. Caton refusa pourtant[110]. Alors le clergé et les citoyens de Tours, libres d'agir, procédèrent à une élection suivant les règles anciennes, et leur accord se porta sur un prêtre nommé Eufronius[111]. Mais ils ne se crurent pas dispensés de soumettre leur choix au roi, et leurs députés lui portèrent la lettre qu'on appelait suggestio, par laquelle ils lui demandaient de leur accorder Eufronius comme évêque[112]. Le roi reçut la députation, prit en main la lettre, mais, ayant lu le nom d'Eufronius, il s'écria : Ce n'est pas celui-là que j'avais ordonné de nommer ; pourquoi n'a-t-on pas obéi à mon ordre ?[113] Les gens de Tours répondirent que Caton avait refusé. Alors le roi se fit donner quelques renseignements sur Eufronius ; satisfait de ce qu'on lui apprit, il confirma l'élection, et donna un décret pour qu'Eufronius fût institué.

Ce même roi Clotaire nomma évêque de Saintes un certain Émérius. Les règles canoniques ne furent pas observées, et nous ne voyons même pas qu'il y ail eu un semblant d'élection. Un simple décret royal enjoignit de consacrer Émérius, et le métropolitain ne fut ni consulté, ni même présent à la cérémonie[114]. Aucune protestation ne se fit entendre tant que vécut Clotaire Ier. Ce ne fut qu'après sa mort qu'on essaya de repousser l'élu du roi. Le métropolitain de Bordeaux, réunissant les évêques de sa province, déclara Émérius déchu de l'épiscopat. Il fit procéder à une élection régulière dans la ville de Saintes, et l'accord se fit sur le nom d'un prêtre nommé Héraclius. Un acte de l'élection fut rédigé ; cet acte s'appelait un consensus ; signé des prêtres, il fut porté par l'élu lui-même au nouveau roi Caribert pour obtenir sa sanction[115]. On reconnaissait donc tout au moins la nécessité de l'assentiment royal. Biais le roi reçut fort mal le nouvel élu : Penses-tu donc, lui dit-il, que le roi Clotaire n'ait pas laissé de fils ? T'imagines-tu que nous ne maintiendrons pas les actes de notre père, et que je souffrirai que ces gens-là dépouillent de l'épiscopat celui que sa volonté avait choisi pour évêque ? Et, chassant le prêtre humilié, il envoya des gens qui rétablirent Émérius dans la chaire épiscopale ; il condamna même le métropolitain de Bordeaux à une amende de mille pièces d'or. Sur tout cela Grégoire de Tours fait cette seule réflexion : Il punit ainsi l'oubli des droits du roi[116].

Nous pourrions citer d'autres exemples pareils, pris clans Grégoire de Tours. Les hagiographes présentent des faits de même nature. La volonté royale y paraît toujours en même temps que l'élection, quelquefois avant elle. Dans la cité de Vaison, il ne suffit pas à Quinidius d'être désiré unanimement par le clergé et par le peuple ; il fallut encore que ce vœu et cette demande du peuple fussent portés au roi Childebert et qu'il les confirmât par un décret signé de lui et de ses grands[117]. Celle fois, la volonté royale n'est venue qu'après ; ici, elle précède tout : L'évêque de Chartres étant mort, Dieu, qui tient le cœur des rois dans sa main, inspira à Childebert la pensée de faire un décret pour que Léobin fût élu évêque ; le peuple entier adhéra à cette élection, s'écriant d'une seule voix que c'était le choix du roi et de Dieu[118].

Le siège d'Angers étant vacant, un grand nombre de citoyens se réunirent et déclarèrent qu'ils choisissaient Licinius pour être leur évêque. Voilà l'élection ; mais elle ne suffisait pas. L'hagiographe ajoute qu'il fallut que les grands du palais soutinssent auprès du roi la présentation faite par le peuple, et que ce ne fut qu'après une enquête el de bons témoignages que la demande de la cité fut ratifiée par le roi Clotaire II et que le peuple obtint ce qu'il désirait. Licinius devint donc évêque d'Angers par l'ordre du roi[119]. Ailleurs, la ville de Bourges est divisée en deux partis ; chaque parti envoie au roi son candidat avec une lettre de consensus, c'est-à-dire comme si chacun d'eux était l'élu de tous. C'est le roi qui prononce entre eux suivant sa volonté[120]. L'évêque de Rouen étant mort en 689, les citoyens envoient une demande au roi Thierry ; et avec sa permission et par son décret ils élisent Ansbert[121]. Ailleurs, c'est le comte de la cité qui harangue l'assemblée des citoyens et leur conseille de demander au roi qu'il leur donne Præjectus pour évêque.. Sur cela, les citoyens élisent bien vite Præjectus, envoient leur lettre au roi, et obtiennent un décret qui leur accorde l'évêque qu'ils demandent[122]. Saint Bonitus avait été désigné à l'avance par son prédécesseur avec l'accord de la cité ; un rapport est adressé au Palais pour obtenir le décret royal, et le consensus du peuple est confirmé par un ordre du roi[123].

Toute cette procédure complexe, qui est indiquée assez nettement par les écrivains, est encore mieux marquée dans les formules du temps. Le recueil de Marculfe contient un spécimen de la lettre que le peuple d'une cité adressait au roi : A très pieux et excellent seigneur le roi, nous, vos serviteurs et vos solliciteurs. Comme l'évêque de notre cité, de sainte mémoire, a quitté ce monde, afin que les brebis ne restent pas sans pasteur, nous vous demandons humblement de daigner établir pour son successeur sur le siège épiscopal Un Tel (ici le nom de l'élu), en qui résident une haute distinction, une naissance parfaitement libre, une élégance brillante, et les vertus de chasteté, de charité, de richesse de cœur. En foi de quoi nous avons signé, cet acte de consensus[124]. Voici maintenant la réponse du roi, c'est-à-dire le décret par lequel il nomme l'évêque et ordonne au métropolitain de le consacrer. Tel roi à Tel évêque homme apostolique. De tous les soins de notre gouvernement aucun n'est plus digne de nous occuper que celui qui consiste à confier la dignité épiscopale aux meilleurs, en vue du salut des âmes. Ayant donc appris que l'évêque Un Tel, de sainte mémoire, a été rappelé à Dieu, nous nous sommes occupé avec sollicitude, de concert avec les évêques et les grands de notre Palais, de lui donner un successeur, et nous avons décidé de confier la dignité pontificale de cette cité à Un Tel, qui se recommande à nous par une conduite éprouvée, par la noblesse de sa naissance, par la pureté de ses mœurs, par sa prudence et son honorabilité. En conséquence nous vous ordonnons, ainsi qu'à vos suffragants, de procéder à la bénédiction et consécration de ce nouvel évêque, afin qu'il gouverne l'église qui lui est confiée par la volonté de Dieu[125]. Dans ce diplôme officiel, le roi ne prend même pas la peine de mentionner l'élection populaire ; sa volonté semble décider seule. Le métropolitain même n'est pas libre ; il doit accomplir la consécration sur l'ordre du roi[126].

En résumé, on voit comment se faisait la nomination des évêques dans la monarchie mérovingienne. La vieille règle canonique qui voulait que l'évêque ne fût institué que par la consécration du métropolitain, restait théoriquement hors d'atteinte ; seulement, c'était le roi qui donnait au métropolitain l'ordre de consacrer. L'autre règle qui voulait que le clergé et le peuple de la cité fussent consultés et indiquassent leur choix, restait écrite dans les canons de l'Église et n'était pas contestée officiellement par l'État ; on l'appliquait même assez souvent ; seulement cette élection pouvait avoir lieu après que le roi avait désigné l'homme de son choix ; et, si elle se faisait sans cette désignation, elle n'aboutissait qu'à une sorte de présentation dont le roi était juge. La lettre d'accord, consensus, lui était envoyée[127]. Cette lettre n'était au fond qu'une simple suggestio, une proposition, moins encore, une demande, petitio, une supplique, preces[128]. Le roi pouvait à son gré l'accepter ou la rejeter[129]. C'était proprement son decretum qui faisait l'évêque.

Aussi remarquons-nous que Grégoire de Tours ne parle presque jamais d'un évêque sans dire qu'il a été nommé par le roi. Ommatius fut institué évêque de Tours par l'ordre du roi Clodomir[130]. Pascentius fut évêque de Poitiers par l'ordre du roi Caribert[131]. Jovinus reçut du roi son diplôme de nomination d'évêque[132]. Clotaire Ier donna l'évêché du Mans à Dumnolus pour le récompenser des services qu'il avait reçus de lui dans ses querelles avec son frère[133]. Nonnichius devint évêque de Nantes par le commandement du roi[134]. Sulpicius fut choisi évêque de Bourges par la faveur du roi Gontran ; et Grégoire de Tours ne dit pas cela par blâme, car il explique que Sulpicius était le meilleur des candidats en présence[135]. A Vienne, Virus fut évêque par le choix du roi Gontran[136]. La cité de Bordeaux par son consensus demandait pour évêque le diacre Waddon ; c'est à Gundégisile que le roi donna l'évêché[137]. En Burgundie, un pauvre homme qui avait donné asile à Brunehaut dans sa chaumière, fut nommé d'emblée évêque d'Auxerre[138].

Ceux qui croient volontiers à une antipathie des deux races, supposeront peut-être que la politique des rois francs visa à mettre des Germains à la tête des évêchés, et que ce fut pour empêcher la population romaine de nommer toujours des évêques de sa race qu'ils s'emparèrent du droit de nomination. Ce serait une erreur. Outre que Grégoire de Tours n'a pas un seul mot qui attribue aux rois une telle politique, nous voyons, par les nombreux exemples qu'il donne, que ces rois nommaient plus souvent des évêques romains que des évêques francs. Dans les compétitions qui nous sont fréquemment signalées, il n'y a pas un seul indice que la question de race ait été pour quelque chose. Nous voyons parfois des familles rivales, mais il se trouve qu'elles appartiennent à la même race, le plus souvent à la race romaine[139]. Il est manifeste que les rois n'éprouvent aucune répugnance à nommer des Romains. Ils s'enquièrent volontiers de la naissance du candidat, mais ce n'est pas pour savoir s'il est Romain ou Franc, c'est pour s'assurer s'il est d'une famille parfaitement libre et ingénue[140] ; ils paraissent même tenir beaucoup à ce qu'il soit d'une famille riche et noble. S'ils apprennent, par exemple, que le candidat appartient aux Gregorii, c'est une très bonne famille, diront-ils, il aura l'évêché[141]. C'est ainsi que nous voyons au sixième siècle le siège de Limoges occupé successivement par deux membres de la riche famille Ruricia, branche des Anicii, et celui de Bordeaux par deux Léontius[142]. De même encore, Gontran, ayant à pourvoir au siège de Bourges, choisit parmi plusieurs candidats celui qui est. de la plus haute famille, un Sulpicius[143].

Il faut avouer que le choix des rois était souvent déterminé par les présents qu'on leur offrait. Apollinaire fut nommé par le roi évêque d'Auvergne, oblatis muneribus[144]. C'était l'usage que le candidat élu par le peuple, lorsqu'il portait au roi l'acte de consensus, portât en même temps des présents[145]. Le roi Gontran peut bien protester, pour une fois, que ce n'est pas sa coutume de vendre l'épiscopat : tout le monde le croit si peu, que tout le monde lui fait des présents pour obtenir cette dignité[146]. Et bien souvent, en effet, sinon toujours, c'est par des présents qu'un candidat emportait la place[147]. En vain les papes se plaignirent-ils dans leurs lettres aux princes francs que l'épiscopat fût donné à prix d'argent[148]. La simonie, dit un hagiographe du septième siècle, pullule dans le royaume des Francs[149]. Un autre, quand le roi nomme des évêques, le représente infecté du poison de la cupidité et se portant toujours du côté de la plus grosse somme d'argent[150].

Si, en dehors du caprice et de la cupidité, on peut entrevoir chez ces rois une visée politique, ce fut uniquement celle de placer dans les évêchés leurs amis, leurs courtisans, leurs fonctionnaires[151]. Pour quelques prêtres qui n'eurent de recommandation auprès d'eux que leur vertu ou leur science, nous trouvons un bien plus grand nombre qui étaient des laïques et qui n'avaient mérité l'épiscopat que par des services militaires ou administratifs. Grégorius, évêque de Langres, est un ancien comte d'Autun[152]. Baudinus, évêque de Tours, a été domesticus de Clotaire Ier[153]. Jovinus, évêque d'Uzès, a d'abord été recteur de Provence[154]. Badégisile, évêque du Mans, a été maire de la maison du roi[155]. Innocentius, évêque de Rodez, a été comte du Gévaudan[156]. Nicétius a été comte de la cité d'Acqs avant d'être évêque de la même cité[157]. Eusébius, que le roi fil évêque de Paris, n'était qu'un négociant, et l'historien ne dit pas par quel mérite il avait déterminé le choix du roi[158]. Carietto, officier de Gontran, reçut l'évêché de Genève pour avoir dénoncé la trahison de Mummolus[159]. Licérius, qui fut évêque d'Arles, avait été référendaire du roi Gontran[160], comme Charimer, évêque de Verdun, avait été référendaire de Childebert[161]. Gundégisile était comte de Saintes lorsque le roi le fit évêque de Bordeaux[162]. Marachaire fut successivement comte et évêque d'Angoulême[163].

Le roi Clotaire II, dans son édit de 614, écrivit expressément qu'il avait le droit de conférer l'épiscopat à des dignitaires du Palais, à la seule condition qu'ils en fussent dignes par leur conduite et par la connaissance de la doctrine[164]. Aussi le Palais fournit-il beaucoup d'évêques, et même de saints évêques. Saint Didier de Cahors avait été trésorier ; saint Éloi de Noyon avait été maître des monnaies, saint Ouen de Rouen chancelier, et saint Arnoul chef du Palais ; saint Bonitus avait été successivement échanson, référendaire et gouverneur d'une province[165]. Ainsi l'épiscopat devenait la récompense des fonctionnaires royaux. Grégoire de Tours avait déjà fait cette remarque qu'au temps de Chilpéric peu de clercs parvenaient à l'épiscopat[166]. Telle fut la toute-puissance des rois en matière d'élections épiscopales. Ils voulurent aussi avoir la haute main sur la tenue des conciles. Ces grandes assemblées auraient été plus fortes que la royauté, si la royauté n'y avait pris garde. Les Mérovingiens eurent soin qu'aucun concile ne pût se réunir sans leur autorisation. Nous avons une lettre de Sigebert II qui, apprenant que les évêques veulent se réunir sans se soumettre à cette règle, se hâte de leur écrire : Nous avons appris que vous vous prépariez à vous rassembler aux calendes de septembre ; comme ce projet n'a pas été d'abord porté à notre connaissance, nous décidons que cette assemblée n'aura pas lieu et qu'aucun synode d'évêques de notre royaume ne se tiendra aux calendes de septembre. Plus tard, au temps que nous jugerons convenable, si l'on nous en fait la demande à l'avance, et si nous voyons que cela soit utile à l'Église ou à l'État, nous ne refuserons pas à un concile la permission de s'assembler. Pour celle fois, nous vous interdisons de vous rendre à la réunion projetée[167]. Voilà comment Sigebert II, qui se trouve être le plus dévot des rois mérovingiens, écrit aux évêques et défend son droit royal.

Beaucoup de conciles se sont tenus à cette époque, mais toujours par l'autorisation ou par l'ordre des rois. Les actes mêmes des conciles en font foi. Regardez le concile de 511 ; les évêques font précéder leurs articles d'une lettre ainsi conçue : A notre seigneur le glorieux roi Clovis, nous les évêques réunis par son ordre. Mû par votre zèle pour la religion catholique, vous avez ordonné aux évêques de s'occuper des choses nécessaires pour répondre à la consultation de votre volonté, sur les sujets que vous nous avez indiqués ; voici les réponses que nous vous présentons, souhaitant que, si nos décisions vous paraissent droites et sont approuvées par votre jugement, l'avis des évêques soit confirmé par l'autorité d'un si grand roi[168]. Suivent trente et un articles qui sont des réponses aux questions posées par le roi. Non seulement c'est le roi qui a convoqué le concile, mais il semble même que ce soit lui qui ait réglé les sujets de délibération.

De même, dans les actes du concile d'Orléans de 555, du concile d'Auvergne de 555, du concile d'Orléans de 549, du concile de Paris de 557, du concile de Mâcon de 581, du concile de Valence de 584, du concile de Paris de 614, les évêques ne manquent pas de déclarer qu'ils se sont réunis avec l'autorisation du roi, sur son ordre, sur sa convocation expresse[169].

Grégoire de Tours, qui, comme évêque, connaissait bien les règles en vigueur, donne à entendre que c'est en vertu d'un ordre royal que les évêques s'assemblaient dans la ville que le roi leur désignait[170].

Il n'est guère douteux que dans ces assemblées la liberté des délibérations ne fût complète. Mais ces conciles ne faisaient pas de lois. Leurs articles étaient présentés à l'autorité royale et n'acquéraient une valeur légale que s'ils étaient approuvés et confirmés par elle[171].

Toutes ces règles n'ont pas d'ailleurs été imaginées par les rois francs. Elles avaient été déjà établies par les empereurs[172]. Les Mérovingiens n'eurent qu'à les conserver, et les évêques s'y plièrent sans peine.

Il est donc vrai de dire que la royauté franque a voulu gouverner l'Église aussi bien que la société civile. Il ne faut sans doute pas tenir grand compte d'un caprice de Chilpéric qui prétendit se faire juge des questions de dogme et de foi[173]. C'est là une exception sans portée. Mais ce qui fut un principe général, ce fut que l'Église n'échappât pas plus qu'aucune autre classe de la société à l'autorité royale. Ces rois dotaient les monastères, enrichissaient les évêchés, mais ils voulaient régner sur l'Église. Nous allons chercher, en observant d'autres faits, s'ils y réussirent autant qu'ils le souhaitèrent.

 

5° LA PUISSANCE DE L'ÉPISCOPAT.

 

Les rois francs, uniquement occupés à s'emparer de la nomination des évêques, ne pensèrent pas à arrêter les grands progrès de l'épiscopat.

Les causes de la puissance croissante du corps épiscopat sont nombreuses et diverses. La première doit être cherchée dans l'état des âmes. Tout homme, à cette époque, était un croyant. La croyance, pour la masse des laïques, n'était ni très étendue ni très élevée, peu réfléchie, nullement abstraite ni métaphysique ; elle n'en avait que plus de force sur l'esprit et sur la volonté. Elle se résumait en ceci, que la plus grande affaire de chacun en ce monde était de se préparer une place dans un autre monde. Intérêts privés et intérêts publics, personnalité, famille, cité, État, tout s'inclinait et cédait devant cette conception de l'esprit. Dès qu'un tel but était assigné à l'existence, l'Église devenait nécessairement toute-puissante ; car c'était elle qui, par ses actes sacramentaux, par ses prières, par l'intercession de ses saints, assurait l'autre vie. Elle disposait de la destinée éternelle de chaque homme. Aussi n'avait-elle pas à retenir ses fidèles par la contrainte, par la persuasion, ou par de molles concessions. Personne n'osait penser à se détacher d'elle. Être écarté d'elle, fût-ce momentanément, était la peine la plus terrible, et pour rentrer dans son sein on subissait les pénitences les plus rigoureuses. Un esprit moderne est d'abord porté à croire que l'effet le plus redouté de l'excommunication était d'être mis à l'écart de la société civile. Mais lisez les actes des conciles et les récits des hagiographes ou de Grégoire de Tours, et vous y voyez que, dans la pensée des hommes de ce temps-là, le châtiment horrible et insupportable était de perdre sa place au temple, son droit à la prière, et sa part de l'hostie consacrée. Grégoire de Tours nous montre des personnages aussi criminels qu'on puisse l'être, aussi passionnés, aussi cupides, aussi chargés de fautes qu'on l'ait été à aucune époque ; mais tous ces grands scélérats restent d'ardents chrétiens ; leur plus grande crainte est d'être séparés de l'Église ; leur plus ardent désir est de communier avec les autres[174]. Si l'Église les écarte, ils se soumettront à tout pour être réconciliés[175]. On pouvait se passer de sens moral, on ne pouvait se passer des prières et des actes de l'Église. L'Église tenait l'homme par ses fautes mêmes. Elle seule pouvait effacer le remords et régénérer l'âme. Elle régnait sur la vie de chaque jour. Il n'y avait de fêtes qu'en elle. L'éclat de ses cérémonies saisissait l'imagination. Rien alors d'austère ni de sec ; avec ses tentures, ses lumières, ses fleurs, ses parfums, le culte charmait les sens. Sa messe était un drame ; ses hymnes, chantées par tous et dont la langue était encore comprise, formaient tout le théâtre et toute la musique du temps. Ses grandes solennités de Noël et de Pâques étaient les deux plus grandes joies de l'existence humaine.

Nulle tiédeur n'était possible. La population donnait plus de zèle et de foi qu'on ne lui en demandait. La crédulité n'avait pas de limites. C'était trop peu de croire à Dieu et au Christ, on voulait croire aux saints. Or ce culte des saints tenait l'âme encore plus étroitement que le culte du Dieu suprême n'eût pu faire. C'était une religion fort grossière et matérielle. Un jour, saint Colomban apprend qu'on a volé son bien dans le moment même où il était en prières au tombeau de saint Martin ; il retourne à ce tombeau et s'adressant au saint : Crois-tu donc que je sois venu prier sur tes reliques pour qu'on me vole mon bien. Et le saint se crut tenu de faire découvrir le voleur et de faire restituer les objets dérobés[176]. Un vol avait été commis dans l'église de Sainte-Colombe à Paris ; Éloi court au sanctuaire et dit : Écoute bien ce que j'ai à te dire, sainte Colombe ; si tu ne me fais pas rapporter ici ce qui a été volé, je ferai fermer la porte de ton église avec des tas d'épines, et il n'y aura plus de culte pour toi. Le lendemain, les objets volés étaient rapportés[177]. Chaque saint avait une puissance surhumaine, et il devait la mettre au service de ses adorateurs. Le culte était un marché. Donnant donnant. Mais notons bien que, plus une religion est grossière, plus elle a d'empire sur l'âme grossière de la masse du genre humain. Gardez-vous d'épurer l'idée religieuse si vous voulez qu'elle règne dans les couches profondes. Il y avait le christianisme de quelques grands esprits ; mais il y avait en même temps le christianisme de la foule, au niveau d'esprit des plus humbles, au niveau de caractère des plus intéressés. Peu d'idéal, mais beaucoup de reliques. Ce n'était pas tant l'âme du saint qu'on invoquait ; pour que la prière fût efficace, il était bon de la faire sur son corps, sur son tombeau, ou tout au moins sur quelque châsse contenant un fragment de ses os[178]. Il n'y avait pas de lieu vraiment sacré sans quelque corps[179], et c'était du saint tombeau qu'émanaient tous les miracles[180]. Les fidèles faisaient de longs voyages pour visiter les corps saints. Rien n'était plus précieux ni plus recherché que des reliques[181]. On peut voir par de nombreuses anecdotes du temps quels efforts, quels sacrifices on faisait pour s'en procurer. On voit des villes se disputer le corps d'un saint comme le plus grand des trésors[182]. C'est que ce corps guérira les malades, défendra l'église et la ville. Nous avons vu plus haut que, dans la justice du temps, c'était le corps saint qui sauvait l'innocent et frappait le coupable. L'Église n'avait pas le glaive ; mais combien ces reliques étaient plus fortes que le glaive ! Les plus intrépides tremblaient devant elles. Nous voyons les hommes les plus hardis, si on les met en présence de reliques et si leur conscience n'est pas absolument pure, se troubler, s'agenouiller, faire tous les aveux, quelquefois tomber à la renverse et expirer, frappés par le saint ou frappés par leur propre terreur. Pour opérer des miracles, il n'était besoin ni de la toute-puissance de Dieu ni des efforts des prêtres. Remarquez de quelle nature sont les innombrables miracles de cette époque : malades guéris, coupables châtiés, innocents sauvés, toujours ils sont de ceux que l'âme peut opérer elle-même, ou par sa foi ou par sapeur.

Ne disons pas que cette disposition des âmes fût surtout propre aux Germains. Ne parlons pas de société plus jeune, plus naïve, plus facile à duper. Tout cela serait démenti par l'étude des textes : Francs et Romains avaient la même intensité de foi, la même propension à croire, la même ingénuité d'esprit, la même soumission aveugle.

Dans cette Église si puissante, ce qu'il y avait de plus puissant, c'était l'évêque. Suivant les idées de ces hommes, l'évêque n'était pas seulement un chef du culte, un administrateur, un dignitaire, il était un être sacré. Du jour où il avait reçu la consécration d'un autre évêque, il était devenu un successeur des apôtres, un apôtre lui-même, ou tout au moins, comme l'appelait la langue du temps, un homme apostolique, vir apostolicus[183]. Il semblait tenir la place du Christ. Il était l'intermédiaire entre Dieu et l'homme. C'étaient ses prières qui, exaucées de Dieu, assuraient le salut du peuple[184]. Les actes sacramentaux ne pouvaient s'opérer que par sa main ; longtemps il fut seul à conférer le baptême et, si quelques prêtres le conférèrent ensuite, ce fut par sa délégation. C'était donc par lui qu'on était admis dans la sainte société qui sauvait les âmes. Par lui aussi on pouvait en être exclu ; l'arme terrible de l'excommunication était dans sa main. Il disposait donc du bonheur de l'homme dans cette vie et dans l'autre. Plus bienfaisant et plus redoutable que tous les rois de la terre, le tout de l'homme était acquis par ses mérites ou perdu par ses rigueurs[185].

Aussi l'évêque était-il un être sacré ; de son vivant même, les populations le regardaient comme un saint, et la foi qu'elles avaient en lui, lui faisait accomplir des miracles. Voyez la Vie de saint Germain, évêque de Paris (555-566) : c'est à lui que tous les malades demandent leur guérison, quoique cette société ne manque pas de médecins. Un personnage nommé Ulfus, mourant, se fait transporter à ses pieds et exige qu'il le guérisse par un miracle ; car visiblement il le peut ; s'il ne le fait pas, c'est qu'il ne veut pas : Si tu ne me guéris, ma mort retombera sur toi, le roi et ma famille l'en demanderont compte ; et l'évêque le guérit[186]. Il en guérit beaucoup d'autres. Recevoir de sa main un signe de croix, toucher son vêtement, boire l'eau que présente sa main, posséder une paille d'un tit sur lequel il s'est reposé, boire une infusion d'un papier portant son écriture, voilà ce qu'on croit qui guérit[187]. Si l'évêque ne faisait pas de miracles de son vivant, on était presque assuré, tant l'usage était ordinaire, qu'il en ferait après sa mort.

C'est dans cet état des âmes que l'épiscopat a poussé les fortes racines de sa puissance. Mais ce qui fut bien remarquable, c'est qu'en même temps il ne se détacha pas du monde. Il ne se confina pas dans son caractère sacré, dans sa sphère surhumaine. Il voulut être de la société qui vivait et agissait. Et dans cette société il voulut être puissant. Dans l'intérêt même de sa religion, il prétendit posséder la force, et il eut une merveilleuse intelligence des conditions qui sont requises dans l'humanité pour être fort.

Il commença par se rendre maître absolu dans son église. Il ne lui suffit pas que tout le clergé du diocèse lui fût subordonné en principe ; il le plia à l'obéissance. L'évêque seul donnait l'ordination, d'où il résultait que nul n'était prêtre que par lui. Or il prit soin d'assez bonne heure que nul ne pût être ordonné prêtre que dans le diocèse où il était né ou de l'aveu de son évêque. Les prêtres n'étaient que ses délégués ; ils n'avaient de saint chrême que celui qu'ils avaient reçu de ses mains, et il fallait lui en demander chaque année. A côté de cette dépendance spirituelle, il y avait la surveillance des actes de discipline ou de conduite. L'évêque avait un droit de juridiction et de coercition sur tous ses prêtres. Un prêtre ne pouvait sortir de sa paroisse sans la permission de son évêque, ni du diocèse sans une lettre de lui[188]. Il fallait surtout l'autorisation de l'évêque pour qu'un prêtre se permît de comparaître devant un juge laïque ou osât se présenter devant le roi[189]. Il était presque impossible à l'inférieur de porter une plainte contre son supérieur. Même poulies intérêts les plus matériels, les prêtres se trouvaient sous la main de l'évêque ; car ils ne recevaient de l'Étal aucun traitement et n'avaient presque jamais de dotation. C'était l'évêque qui rétribuait tout son clergé[190], donnant à chacun suivant le rang qu'il occupait, et aussi suivant sa propre volonté. Le partage fixe des menses n'existait pas d'abord et ne s'opéra que peu à peu dans la période mérovingienne. L'évêque était ainsi par tous les côtés le maître de son clergé. On peut donc dire que le clergé d'un diocèse formait une société absolument monarchique. Les forces ne s'éparpillaient, ne se contrariaient pas, mais plutôt se doublaient par la discipline. Concentrées dans une seule main, mues par une seule volonté, elles pouvaient agir sur le dehors avec la plus grande intensité de puissance.

En même temps l'épiscopat se préoccupa d'être riche, comme du plus sûr moyen d'agir sur les hommes d'une manière continue. Nous avons vu ailleurs que dans la société de l'empire romain le principal élément de force était la propriété foncière. Sous le despotisme plus apparent que réel d'un seul homme, c'était la classe des grands propriétaires qui gouvernait la société. Nous verrons dans nos études ultérieures que l'entrée des Germains n'a pas beaucoup modifié cette situation. Dans des siècles où la terre avait tout pouvoir, l'épiscopat voulut avoir la terre. Au lieu de se perdre dans un idéal de pauvreté et d'abnégation, il tint à compter parmi les grands propriétaires du pays[191]. Aussitôt que l'Église fut reconnue, elle se fit assurer par le législateur le droit de recevoir des legs[192], celui d'acquérir à titre d'achat ou de donation[193]. Quand les barbares furent les maîtres, elle se fit reconnaître les mêmes droits dans leurs codes[194].

Les donations furent nombreuses. Elles avaient leur source dans l'état des esprits et des âmes. Ici encore l'Église n'avait pas d'efforts à faire. Il ne lui était pas nécessaire d'assiéger le lit des mourants. Dès que l'homme croyait fermement à un bonheur à venir qui devait être une récompense, l'idée lui venait spontanément d'employer tout ou partie de ses biens à se procurer ce bonheur. Le mourant calculait que le salut de son âme valait bien une terre. Il supputait ses fautes, et il les payait d'une partie de sa fortune. Nos générations modernes ont des délicatesses de sens moral qui étaient inconnues en ce temps-là. Nous avons peine à comprendre qu'une faute se rachète par de l'argent ou de la terre. Cette idée était tout à fait familière aux hommes de celle époque. Regardez en quel style sont rédigées presque toutes ces donations. Le donateur déclare qu'il veut racheter son âme, qu'il donne une terre en vue de son salut, pour la rémission de ses péchés, pour obtenir l'éternelle rétribution[195]. On voit par là que, dans la pensée de ces hommes, la donation n'était pas gratuite. Elle était un échange, un don contre un don ; donnez, était-il dit, et il vous sera donné, date et dabitur[196]. Proprement, c'était l'échange d'un bien terrestre contre un bonheur céleste : Dono vobis parva pro magnis, terrena pro cœlestibus[197]. N'oublions pas non plus que ces hommes entendaient faire leur donation, non à un prêtre, mais à un saint, c'est-à-dire au saint particulièrement honoré dans le diocèse ou qui avait son tombeau dans la basilique[198]. C'était le saint qu'ils faisaient propriétaire. Souvent la charte portait que les revenus devaient être employés au luminaire du saint, c'est-à-dire à l'éclat de son culte. Par là, le saint était tenu d'intercéder auprès de Dieu pour son donateur ; le clergé était tenu aussi d'inscrire le donateur sur le registre de ses prières. Ainsi le mourant, en donnant un immeuble, s'assurait une sorte de rente perpétuelle de prières ici-bas, d'intercession-là-haut.

On peut distinguer trois classes de donateurs : les évêques, les rois, les particuliers. Il paraît certain qu'une très grande part des richesses des églises leur est venue des évêques eux-mêmes. Ils commencèrent par décider dans leurs conciles que tout ce qu'ils acquéraient pendant la durée de leur épiscopat devait être laissé à leur église et que chacun d'eux ne pourrait léguer à ses parents que ses biens patrimoniaux[199]. Telle était la règle stricte, le minimum d'obligation. Mais cela était ordinairement dépassé dans la pratique. Nous voyons en effet beaucoup d'évêques léguer à leur église leurs biens propres et patrimoniaux. C'est ce que Grégoire a noté pour beaucoup d'évêques de Tours. Perpétuus, dit-il, était d'une famille sénatoriale ; très riche, il possédait des domaines dans beaucoup de diocèses ; il légua à chacun d'eux les terres qu'il possédait dans le ressort, et laissa en particulier de grandes richesses à l'église de Tours[200]. L'évêque Vérus laissa ses biens aux églises[201]. Dinifius laissa le meilleur de ses biens à son église[202]. Ommatius, de famille sénatoriale, très riche en terres, distribua ses biens par testament à plusieurs églises[203]. L'évêque Francilio, de famille sénatoriale, et sa femme Clara, grands propriétaires de biens-fonds, laissèrent presque toutes leurs terres à la basilique de Saint-Martin[204]. Nous possédons les testaments de saint Rémi, de Césaire d'Arles, d'Elaphius de Châlons, de Dumnolus du Mans, de Désidérius de Cahors, d'Annemundus de Lyon, de Palladius d'Auxerre, de Bertramn du Mans, d'Amandus de Mæstricht, de Vigilius d'Auxerre, de Léodger d'Autun, et plusieurs autres. On peut juger par ces testaments qui nous sont parvenus de la grande fortune territoriale que chaque génération d'évêques laissa à son église. On s'explique aussi par là la propension qu'avaient les églises, lorsqu'elles pouvaient choisir elles-mêmes leurs prélats, à se donner des évêques de riche famille. Un évêque riche enrichissait l'église, et l'on pouvait dire de lui : Tu as épousé ton église, et la riche dot que tu lui. as apportée la met dans l'abondance[205]. Avec le régime de grande propriété qui régnait alors, la fortune léguée par un évêque pouvait être énorme. On peut compter dans le testament de l'évêque Bertramn trente-cinq domaines donnés par lui à l'église du Mans[206] ; saint Didier en lègue trente à l'église de Cahors[207]. Un abbé de Saint-Aniane lègue à son monastère dix-huit domaines, dont chacun comprend maisons, champs, vignes, prés, forêts[208]. A ces grandes donations des prélats il faut ajouter les donations plus modestes, mais innombrables, de la foule anonyme des prêtres, des diacres, des moines.

Viennent ensuite les donations des riches laïques. Nous pouvons juger qu'elles furent nombreuses, et souvent considérables. Nous avons les chartes de donation de Harégaire et de sa femme Truda, de Godinus et de sa femme, de Girart et de sa femme, de Théodétrude, de Vandemir, d'Ermentrude, d'Engelwara, de plusieurs autres[209]. Grégoire de Tours loue un certain Gundulfe d'avoir donné de son vivant tous ses biens à saint Martin[210]. Le poète Fortunat vante la générosité du duc Launebode en faveur des saints. Les Vies de saints sont remplies de pareilles donations[211], ainsi que les annales des monastères[212]. Saint Didier, dit son biographe, augmenta de beaucoup les richesses de l'église de Cahors : il sut attirer à lui beaucoup d'hommes de la haute classe, beaucoup de la classe moyenne, et par eux son église acquit un grand nombre de domaines. Des propriétaires nommés Paulus, Agilénus, Dido, Badigenus, Sévérus, Matrigésilus, Nicasius, Dadinus, Abulna, Abremundus, Félix, Gaurélredes, Oronlia, Nicétia, Afrania, et beaucoup d'autres, donnèrent spontanément leurs biens à l'église. Une dame de famille sénatoriale, Robila, lui donna à elle seule quatre domaines, qui s'appellent les villæ Venestria, Vinestri, Lingius et Mauringius[213]. Quelquefois la donation se faisait sous forme de vente. Par exemple, Nizézius et sa femme Irmentrude, en 680, déclarent vendre à un monastère vingt-sept domaines entiers dont ils donnent les noms ; ils ont reçu le prix convenu de 900 pièces d'or, mais ils rendent aussitôt cette même somme à l'abbé pour le remède de leur âme[214].

Les rois étant les plus riches propriétaires du pays furent naturellement les plus généreux donateurs. Nous savons les dons de terre faits par Clovis à Saint-Remi, à Saint-Martin, à Saint-Hilaire de Poitiers[215], ceux de Childebert Ier à l'église de Paris, ceux mêmes de Chilpéric[216], ceux de Gontran à beaucoup d'églises et particulièrement à Saint-Marcel de Chalon[217]. Ce que Dagobert donna de propriétés à la basilique de Saint-Denis, en plusieurs provinces, est merveilleux[218]. Clovis II fit comme lui, et Sigebert II en Austrasie[219]. La régente Bathilde donna au monastère de Jumièges une grande forêt et de nombreux pâturages, à celui de Corbie un grand domaine et beaucoup d'argent, à celui de Luxeuil plusieurs grandes terres, à l'église de Paris de nombreux domaines[220]. Il serait long d'énumérer toutes les donations que nous trouvons dans ceux des diplômes qui nous sont parvenus[221]. Ce qu'il importe de remarquer, c'est qu'il s'agit toujours de donations à titre complet et perpétuel. Nul cloute n'est possible, puisqu'on lit dans tous ces diplômes des phrases comme celle-ci[222] : Nous donnons à perpétuité telle terre, afin que l'évêque et ses successeurs la tiennent et possèdent à toujours avec le droit de la donner, de l'échanger, d'en faire tout ce qu'ils voudront. De concession temporaire ou conditionnelle à titre de bénéfice il n'est jamais question[223]. Pour que ces richesses immobilières allassent toujours en augmentant, sans diminution possible, l'Église s'était interdit la faculté d'aliéner. Le quatrième concile de Cartilage, de l'année 598, défend à l'évêque de rien distraire du domaine de l'église sans une absolue nécessité[224]. Le concile d'Agde, de 506, déclare tout d'abord que l'évêque ne peut ni vendre, ni aliéner par aucune sorte de contrat ; si une nécessité absolue l'obligeait à quelque vente, il ne pourrait la faire qu'avec l'approbation de trois autres évêques de la même province[225]. Ce que l'évêque pouvait faire, c'était de concéder la terre en usufruit, de manière que son droit de propriété restât hors d'atteinte. On peut dire, sauf de très rares exceptions, que la propriété foncière, une fois dans les mains de l'Église, n'en sortait plus. La vente, la donation, le testament existaient en sa faveur ; mais de sa part il n'y avait plus ni vente, ni donation, ni testament.

Quand nous voyons que des terres sont données à l'Église, cela ne signifie pas qu'elles appartiennent désormais au vaste corps de l'Église universelle. L'Église universelle n'était pas une personne civile et ne pouvait pas posséder. Ces donations sont toujours faites à une église, c'est-à-dire à un diocèse, ou bien à un monastère. Une église pouvait posséder des terres en dehors même de son ressort territorial. Par exemple, l'église de Lyon possédait des domaines dans l'Arvernie[226]. L'église de Paris était propriétaire de terres en Provence[227]. Le monastère de Saint-Denis avait des domaines dans la Brie, dans le Vexin, dans l'Amiénois, dans le Beauvaisis, dans le Maine, dans le Berri, et jusqu'en Angleterre[228]. Saint-Germain des Prés était propriétaire dans le Parisis, dans les pays d'Étampes, de Chartres, d'Orléans, de Blois, de Sens, de Beauvais, de Besançon, en Anjou, en Aquitaine[229].

Quand des terres sont données à une église, il ne faut pas nous figurer qu'elles soient mises en commun entre les ecclésiastiques ou entre les moines. Quelques phrases vagues où le donateur dit qu'il fait ce don en faveur des pauvres, ne doivent pas non plus nous faire supposer que les terres fussent mises en commun entré les pauvres[230]. L'Église chrétienne ne pratiqua jamais la communauté des terres. Elle ne prêcha jamais que le sol dût être indivis. On peut même dire qu'elle n'eut jamais la pensée de cette indivision. Elle conçut la propriété comme tout le monde alors la concevait. Elle n'émit sur la tenure du sol aucune théorie nouvelle, aucune utopie. Avec son esprit pratique, elle ne comprit que la propriété privée, c'est-à-dire chaque terre attachée à une personne humaine. Par suite de cette idée, le vrai propriétaire de toutes les terres d'une église fut l'évêque, et le propriétaire des terres d'un couvent fut l'abbé. C'était l'évêque ou l'abbé qui gérait les domaines, qui passait les actes, qui défendait les droits en justice, et qui jouissait des revenus. Les conciles déclarent expressément que la propriété est toute dans les mains de l'évêque[231].

Il est vrai que les évêques dans leurs conciles s'obligèrent eux-mêmes à faire quatre parts de leurs revenus. Ils ne devaient disposer pour eux-mêmes et leur maison que d'un quart. Un quart devait être donné aux pauvres ; un autre quart servait à l'entretien des ecclésiastiques du diocèse. Le reste devait être employé aux réparations des églises et aux constructions nouvelles. Si l'on compare ce temps au nôtre, on pourra dire que le trésor épiscopal devait fournir ce que nous appelons le budget des cultes, l'assistance publique, et presque tout le budget des travaux publics. Il est certain que les évêques du sixième siècle dépensèrent beaucoup en constructions. Je ne pense pas qu'à aucune autre époque on ait élevé autant d'églises ; et, pour quelques-unes qui furent bâties par les rois, la plupart le furent par les évêques et à leurs frais[232]. Un trait rapporté par Grégoire de Tours nous donne une idée de la bonne gestion de ces finances épiscopales. Un évêque de Tours, après avoir beaucoup construit, laissa dans le trésor de l'église plus de 20.000 pièces d'or[233].

La propriété foncière, constituée comme elle l'était alors, ne donnait pas seulement la terre et ses fruits ; elle donnait aussi des hommes. Chaque domaine contenait une population qui ne pouvait pas s'en détacher ; serfs ou colons, tous les cultivateurs, à peu d'exceptions près, faisaient partie intégrante de la propriété. Posséder trente domaines, c'était posséder la population de trente villages, c'était avoir quinze ou vingt mille sujets. Tous ces hommes obéissaient au propriétaire, non à l'Etat. Par eux, l'évêque était déjà un petit souverain, le chef d'un petit peuple.

Beaucoup d'autres catégories d'hommes venaient d'elles-mêmes se placer sous son autorité.

C'était d'abord la foule de ceux que l'on appelait les clerici[234]. Au-dessous des prêtres, des diacres, des sous-diacres il y avait dans chaque cité épiscopale un nombre indéterminé d'hommes qui étaient rattachés à l'église et. qui avaient quelque chose du caractère sacré. Pourtant la plupart d'entre eux continuaient à vivre dans la société civile. Plutôt serviteurs de l'église qu'ecclésiastiques, ils se mariaient, ils avaient une famille[235]. Beaucoup parmi eux faisaient le commerce et tenaient boutique[236], tout en servant l'église à certains jours. L'empire leur avait accordé plusieurs immunités pécuniaires qui en faisaient des marchands privilégiés ; il les avait surtout exemptés des charges municipales[237]. On ne peut douter que de telles faveurs n'eussent fait rechercher cette situation, et que le nombre de ces clercs ne fût très grand. C'étaient en général de petites gens. L'empire avait eu soin que les curiales, au moins ceux qui avaient quelque fortune, ne pussent entrer dans ce corps[238] ; autrement les curies se seraient vidées et tout l'organisme municipal aurait disparu. Les rois Francs paraissent avoir pris, autant qu'ils purent, la même précaution[239]. Ces clercs formaient donc une petite plèbe inférieure[240], qui se rattachait à l'église. Ils étaient soumis à la juridiction de l'évêque. Les canons de l'Eglise et les lois de l'État voulaient qu'ils ne fussent jugés que par lui[241]. Il avait sur eux un droit de coercition et de punition[242]. Il exerçait ce droit même sur leurs enfants[243]. Ces hommes ne pouvaient renoncer d'eux-mêmes à la cléricature ; mais l'évêque pouvait les en dépouiller en punition d'une faute, et ils perdaient alors tous leurs privilèges[244]. Tous ces hommes étaient réellement les sujets de l'évêque, et comme ils avaient un pied dans l'église et un pied dans la société laïque, l'évêque pouvait tirer d'eux un grand parti.

Après la corporation des clerici venait la multitude des pauvres. Les évêques avaient l'obligation stricte de les nourrir et de les vêtir[245]. Or ces pauvres qui vivaient de l'église, se groupaient naturellement autour d'elle. Il y avait habituellement à côté de chaque église une sorte de corporation de pauvres. Ils étaient inscrits sur le registre de l'église ; ce registre s'appelait matricula ; le même mot s'appliqua à cette réunion de pauvres, on l'appela aussi matricula et ses membres matricularii[246]. Le Saint du lieu les nourrissait, c'est-à-dire que l'église leur donnait des secours réguliers ; en outre, les offrandes des fidèles étaient mises en commun et partagées entre eux[247] ; enfin il arrivait quelquefois qu'un donateur affectât spécialement une terre à leur usage cl ils se trouvaient ainsi avoir des fondations en immeubles[248]. Ces matricularii formaient corps entre eux et avec l'église. L'évêque avait tout pouvoir sur eux. Ils étaient ses hommes. Au besoin ils formaient une petite armée pour le défendre. Cela n'est pas sans exemple. Grégoire de Tours raconte que la basilique de Saint-Martin ayant été violée par un envoyé du roi, les matricularii et les pauvres, armés de pierres et de bâtons, se ruèrent sur les soldats et vengèrent l'injure faite à l'Église[249].

Venait ensuite la classe des affranchis. Ici quelques explications sont nécessaires. L'Église chrétienne n'avait pas d'opinion au sujet des institutions sociales. Jamais par conséquent elle ne combattit l'esclavage. Elle releva l'âme de l'esclave ; elle recommanda au maître d'adoucir sa situation matérielle. Mais jamais elle ne se posa en adversaire de l'institution d'esclavage. Elle reconnut formellement le droit acquis des maîtres. Si un esclave fuyant son maître se réfugiait dans une église, l'Église ne se croyait pas le droit de le garder ; elle le rendait, en intercédant seulement auprès du maître pour qu'il pardonnât[250]. Elle avait elle-même des esclaves, et si elle en affranchit un certain nombre individuellement[251], elle se garda bien de les affranchir en masse, car elle eût rendu ses terres désertes. Biais si elle n'affranchit pas ses serfs, elle fil deux choses qui furent bonnes pour l'humanité. D'abord elle racheta de ses deniers un grand nombre d'esclaves d'autrui. Nous voyons, par exemple, les évêques du concile de 511 s'engager à employer une partie de leurs revenus au rachat des captifs[252], et les récits du temps nous montrent, en effet, de nombreux achats d'esclaves accomplis par les évêques ou les prêtres[253]. Or ils ne les rachetaient pas pour les transporter sur leurs propres terres et les employer à leur usage, mais poulies rendre libres[254]. De beaucoup d'entre eux ils firent des moines[255], de quelques-uns des prêtres[256]. La seconde chose fut que l'Église encouragea les laïques à affranchir leurs esclaves. Elle présenta l'affranchissement comme une œuvre agréable à Dieu et qui rachetait le péché. Il résulta de là que beaucoup de maîtres affranchirent l'esclave pour le salut de leur âme[257]. Ce fut autant de gagné pour la liberté. Mais cela eut encore une autre conséquence. Dès que l'affranchissement devenait une œuvre pie, il était naturel qu'il eût lieu dans l'église. Dès 521, l'empereur Constantin avait autorisé le maître à affranchir son esclave par esprit religieux, dans le sein de l'église, et il avait attaché à ce mode de manumission les mêmes effets légaux qu'aux anciens modes solennels[258]. Le maître conduisait donc son esclave devant l'autel, et, en présence dé l'évêque ou de son représentant, il le faisait libre[259]. Tantôt il rédigeait lui-même la lettre d'affranchissement[260], tantôt il laissait à l'évêque ou à l'archidiacre le soin de l'écrire[261]. Mais dans cet affranchissement pieux il ne devait y avoir ni arrière-pensée ni réserve. Affranchir son esclave en gardant sur lui l'autorité de patron n'eût été qu'à moitié agréable à Dieu. Aussi arriva-t-il par une pente naturelle que, dans cette sorte d'affranchissement, le maître renonça à ses droits de patronage[262]. Ce fut l'église qui les prit. Le maître écrivit dans la charte d'affranchissement que son ancien esclave n'aurait plus aucun devoir envers lui ni envers ses héritiers, et qu'il ne devrait obéir qu'à Dieu et à la basilique du saint[263]. Le mettre sous le patronage de cette église, c'était confier à l'église, c'est-à-dire à l'évêque, le soin de défendre le nouvel homme libre en justice contre toute réclamation[264] ; mais c'était en même temps le soumettre à l'autorité de cette église ; c'était transporter à l'évêque tous les pouvoirs dont l'ancien Droit armait le patron. Nous n'avons pas la formule qui était employée lorsque c'était l'archidiacre qui écrivait la charte d'affranchissement au nom de l'évêque. Mais on ne peut douter qu'en ce cas le futur patronage de l'évêque à l'égard du nouvel affranchi ne fut très nettement marqué. En effet, la Loi franque elle-même reconnaît que cet affranchi sera désormais sous la protection de cette église, qu'il lui devra la redevance annuelle et les services que lui doivent ses affranchis, que ses enfants seront à tout jamais dans la même situation vis-à-vis de la même église ; qu'ils lui devront la même redevance annuelle ; et que tous enfin n'auront d'autre juge que cette même église où ils ont été affranchis[265]. Il est assez visible que tous les affranchis de cette catégorie, et ce fut certainement la plus nombreuse, devenaient les sujets de l'évêque, à perpétuité, de père en fils.

Il faut encore ajouter à tout cela plusieurs séries de personnes libres, qui d'elles-mêmes se donnaient à une église. C'étaient les veuves, qui prenaient le voile et vivaient sous la protection et l'autorité de l'évêque[266] ; c'étaient les malades que le saint de la basilique avait guéris et qui, par reconnaissance, se donnaient corps et biens à ce saint, c'est-à-dire à l'évêque, et devenaient, eux et leur postérité, ses serviteurs et ses tributaires[267]. C'étaient les malades de l'âme, qui, ayant commis un crime, étaient sauvés de la mort par l'intercession de l'évêque ou par un miracle du saint, et qui dès lors appartenaient à l'église, soit comme pénitents, soit comme serviteurs. C'était enfin, la foule des petites gens, des faibles, des timides, qui, dans celle époque troublée, avaient plus de confiance dans la protection d'un évêque que dans celle des lois[268].

Pour toutes ces raisons, les hommes se menaient sous l'autorité d'un évêque. Chef des clercs, propriétaire de milliers de colons, soutien des pauvres, patron des affranchis, appui des faibles, il groupait autour de lui des populations. Les hommes échappaient en foule aux autorités publiques pour se soumettre à l'évêque. Il devenait, qu'il le voulût ou non, le chef d'innombrables sujets. Je ne parie pas seulement d'une sujétion spirituelle, qui s'étendait sur tous, mais d'une sujétion matérielle, vers laquelle beaucoup venaient d'eux-mêmes. L'évêque était un souverain temporel, non pas encore sur un territoire entier, mais sur une foule d'hommes de chaque territoire. Nous n'avons pas de chiffres qui puissent servir de fondement à une statistique ; mais on en est à se demander si, dans une cité, il y avait plus d'hommes qui fussent sujets du roi et de son fonctionnaire, ou s'il y avait plus d'hommes qui fussent sujets de l'évêque.

Revenons maintenant à la nomination des évêques par le roi, et voyons si elle porta préjudice à l'épiscopat. Un premier point à noter, c'est que les documents ne marquent pas que ces évêques nommés par le roi fussent de mauvais évêques. Grégoire de Tours fait, à peu d'exceptions près, leur éloge. Beaucoup d'entre eux sont devenus des saints. Les récits des hagiographes, qui sont ordinairement le reflet des impressions populaires, montrent que la population ne s'étonnait pas de recevoir des évêques de la main des rois. C'était un temps où la foi était la même chez les laïques et chez les clercs, chez les Francs et chez les Romains, et où il n'y avait pas une très grande distance entre les pratiques de l'Eglise et les pratiques du Palais[269]. Il arriva donc que les évêques sortis du Palais ne furent ni plus ni moins vertueux, ni plus ni moins instruits que ceux que le clergé et le peuple auraient pu choisir.

Dès que le nouvel évêque était consacré, le caractère sacerdotal était complet en lui, et l'on n'avait égard ni à son passé ni à la manière dont il avait acquis son siège. Qu'il y eût élection populaire ou nomination royale, l'évêque ne fut jamais considéré ni comme un délégué du peuple ni comme un agent du roi. Ce qu'on voyait en lui, c'était un homme sacré, un successeur des apôtres. Ce caractère primait tout, et faisait bien vite oublier à tous et à lui-même à qui il devait sa nomination.

Aussi cet évêque ne manquait-il ni d'indépendance ni de fierté vis-à-vis du roi. Il est vrai qu'il usait avec lui des formules reçues ; il l'appelait mon seigneur, il disait Votre Gloire[270] ; mais en retour le roi l'appelait Votre Sainteté, et ne lui écrivait jamais sans lui demander ses prières[271]. Il reconnaissait le roi comme souverain sans conteste et sans limites ; mais il régnait sur la conscience de ce même roi. Il lui reprochait hautement ses fautes et le suspendait de la communion[272]. Il n'attendait du roi ni son avancement à venir, ni son traitement annuel. Il avait pu être nommé par le roi, mais il ne pouvait pas être révoqué par lui. Supposez même que l'évêque eût commis une faute, un crime, tel qu'un complot ou une trahison, ce n'était ni le roi ni le tribunal du roi qui le jugeait. Il ne pouvait être jugé que par les évêques[273].

Ainsi, la nomination royale n'amoindrit en rien l'épiscopat. J'incline plutôt à penser que cette nomination, en un temps où l'autorité royale était universellement redoutée et respectée, fut plutôt un élément de force. Car, d'une part, clans ses conflits incessants avec le comte, l'évêque pouvait montrer son diplôme de nomination qui émanait d'une source aussi haute que celui du comte. D'autre part, il est vraisemblable que le clergé et le peuple auraient été moins dociles à l'évêque si l'élection avait toujours dépendu d'eux ; apparemment chaque élection aurait laissé deux partis en présence, et, dans ces divisions, l'autorité de l'évêque eût été compromise ou diminuée. La nomination par un pouvoir étranger et éloigné assurait l'empire de l'évêque sur son clergé et sa cité.

Beaucoup d'évêques, avons-nous dit, sortaient du Palais. Ils avaient passé une partie de leur vie dans les fonctions de référendaire ou de comte. Ce n'était pas un mal, car ils avaient acquis au service du roi ces qualités pratiques qu'ils allaient mettre au service de leur église. Ils connaissaient l'administration, ils avaient l'habitude des affaires, la science du commandement. Ils étaient des hommes de gouvernement et ils allaient le prouver dans leur diocèse. Ajoutez que, sortis du Palais, ils y conservaient des amis, des relations, une influence. Ils pouvaient obtenir aisément pour leur église des faveurs, des immunités, des dons de terre. Il y avait grand avantage pour un diocèse à ce que son évêque lui vînt du Palais. L'hagiographe ne nous trompe peut-être pas quand il nous dit que toute une cité demandait à avoir pour évêque un domestique et conseiller du roi[274]. L'évêque, issu de la cour et qui y revenait, qui siégeait dans les plaids royaux, qui était parfois consulté sur les affaires publiques, se trouvait joindre à sa puissance d'évêque celle de grand du roi.

Tout concourait ainsi à fortifier l'épiscopat. En sorte que dans le même temps où les rois pensaient se l'assujettir, son pouvoir sur les âmes et même sur les existences temporelles grandissait. Il ne luttait pas contre l'État[275]. Il ne protestait pas contre son ingérence. Mais, sans conflit et sans bruit, par un travail intérieur et latent, chaque évêque enracinait et affermissait son autorité au point d'être un petit souverain.

Aussi voyons-nous sans cesse, durant cette époque, les évêques faire acte de souverains temporels. Ils rendent la justice, et la population les voit siéger sur un tribunal aussi souvent pour le moins que les comtes royaux. Les textes les représentent volontiers comme de grands justiciers[276]. Nous avons vu qu'ils construisaient beaucoup d'églises. Ils réparaient même et au besoin relevaient les fortifications des villes[277]. S'il y avait des routes à tracer, des digues à construire contre les inondations, c'était l'évêque qui dirigeait le travail et en faisait les frais[278]. Aucun des intérêts matériels de la cité ne leur était étranger. S'il y avait une réclamation à faire sur l'excès des contributions, c'était l'évêque qui en son nom propre la portait au roi[279]. La ville de Verdun, ruinée par les guerres, a besoin d'un emprunt ; ce n'est pas la curie, c'est l'évêque qui le négocie et c'est lui qui ramène la richesse dans la ville[280]. Au sixième siècle, les évêques usent avec quelque ménagement de leur pouvoir et se contentent de surveiller et de contrecarrer le pouvoir des comtes, surtout en prenant contre eux la défense des faibles[281]. Au septième siècle, ils apparaissent comme de véritables chefs politiques, sans concurrents dans leur cité. Il est visible dans la Vie de saint Léger d'Autun que toute la ville lui obéit. Si elle est assiégée, c'est l'évêque qui dirige la défense. A Metz, au septième siècle, il n'y a pas d'autre chef politique ni d'autre administrateur que l'évêque[282]. Partout les évêques ont réduit à l'impuissance les anciennes magistratures municipales, dont on ne parle même plus. Les rois francs ne les ont ni supprimées, ni affaiblies ; mais tout ce qu'elles avaient d'attributions et de forces s'en est allé du côté de l'évêque. Partout aussi les évêques se sont fait une place à côté des comtes ; ils ont réduit le nombre de leurs justiciables et le terrain de leur action. Ils partagent l'autorité publique avec les fonctionnaires du roi.

 

 

 



[1] Nous avons une constitution de Childebert Ier (Sirmond, I, 500 ; Pardessus, n° 154, Borétius, p. 2) qui défend de conserver des idoles dans sa maison, une autre de Gontran et une de Childebert II qui enjoignent sous des peines sévères d'observer le repos dominical. On se tromperait beaucoup si l'on regardait ces textes comme des indices de paganisme. Ils prouvent au contraire que les rois ne reconnaissaient pas l'existence d'un culte païen. Ils impliquent même que toute la population était chrétienne, bien que quelques-uns eussent conservé individuellement des amulettes païennes et quelques usages de leurs ancêtres. Qu'on lise ces trois textes, on n'y trouvera pas un mot qui signifie qu'il existât encore une religion païenne.

[2] Encore ne faut-il pas croire que Tournai soit resté un pays de paganisme ; Tournai a eu des évêques dès le début du sixième siècle. En 527, Tournai a été le siège d'un synode, et l'on peut remarquer que ce synode n'a pas eu à travailler contre le paganisme, mais contre des hérésies qui troublaient le pays (Labbat, coll. concil. Galliæ, col. 929).

[3] Grégoire cite encore des idoles païennes à Cologne au temps du roi Thierry 1er (Vitæ patrum, VI, 2). — En général, il faut se défier quelque peu des hagiographes, qui prêtent volontiers à leurs héros des conversions de païens ; voyez par exemple Vita Radegundis, II, 2.

[4] On peut voir ces restes de superstitions énumérés dans un sermon attribué à saint Eloi (Vita Eligii, II, 15). L'Église, au moment de la conversion, n'avait pas osé proscrire ces pratiques ; elle l'osa cent ans plus tard.

[5] Grégoire, V, 45 ; VI, 5.

[6] La Decretio Childeberti, art. 2, déclare exclu du Palais quiconque n'obéira pas à son évêque. C'est donc qu'il n'y a aucun païen dans le Palais.

[7] C'est un symptôme assez significatif que le terme peregrinus soit rentré alors en usage ; il ne désigna plus, comme autrefois, ceux qui étaient en dehors de la cité ; il désigna ceux qui étaient en dehors du clergé. Voyez concile d'Agde de 506, art. 7 in fine : Peregrinis vel clericis. Cf. Ibidem, art. 2 : Peregrina communio.

[8] Au sixième siècle, l'évêque est appelé aussi souvent sacerdos qu'episcopus. Grégoire de Tours, passim. Dans le préambule des actes du concile de 511, les évêques se désignent eux-mêmes par le mot sacerdotes.

[9] Je trouve pourtant le terme archiepiscopus dans les canons du concile de Mâcon de 581, art. 6, Sirmond, I, p. 371.

[10] Le vrai titre de celui que nous appelons archevêque était episcopus. Ainsi, dans les actes du concile de Turin de 597, art. 2, les archevêques d'Arles et de Vienne sont appelés episcopi, Sirmond, 1, 28. Pour distinguer, on disait episcopus metropolitanus, ce qui ne signifiait pas autre chose que évêque de la ville métropole. Voyez une lettre du pape Innocent Ier, dans Sirmond, I, 59 ; deuxième concile d'Orléans, 555, art. 7, Sirmond, I, 229.

[11] Cf. concile d'Antioche de 541, c. 9, dans Héfélé, I, 508.

[12] Voyez saint Basile, lettres 181 et 418 ; Athanase, Apologétique ; concile d'Antioche, art. 10 ; concile d'Ancyre, art. 15 ; et pour l'Occident, Isidore de Séville, De officiis ecclesiasticis, II, 6, dans la Patrologie, t. LXXXIII, col. 786, 787.

[13] Deuxième concile de Séville, art. 7.

[14] Saint Jérôme, ad Rusticum ; saint Léon, épître 57, ad Dorum ; Cf. Socrate, Hist. eccles., VI, 9 ; Sozomène, VIII, 12.

[15] Deuxième concile de Tours, a. 567, art. 7 et 19, Sirmond, I, 331 et 335. Concile d'Auxerre, a. 578, art. 45, ibidem, p. 366. Concile de Reims, 650, art. 49, ibidem, p. 485. Concile de Chalon, a. 650, art. 11.

[16] Grégoire, V, 5 : Ternodorensem castrum ut archipresbyter regeret.

[17] Grégoire, IX, 57, parle d'un archidiacre de Soissons qui est destitué par un évêque.

[18] C'est ce que recommande le concile d'Agde de 506, art. 25 : Si officium archidiaconatus implere nequiverit, ille loci sui nomen teneat, et ordinationi ecclesiæ præponatur quem elegerit episcopus.

[19] Cela ressort, 1° de ce que Sidoine Apollinaire, Lettres, IV, 25, dit en parlant d'un archidiacre : In quo gradu mullum retentus propter industriam ; 2° de cet article du concile d'Agde où il est parlé d'archidiacres qui ne peuvent remplir leurs fonctions propter simpliciorem naturam.

[20] Voyez quatrième concile d'Orléans, a. 541 ; concile d'Auxerre, 578, art. 45 ; surtout le concile de Mâcon de 581, art. 8, Sirmond, I, 572. — L'archidiacre avait la surveillance des prisons ; cinquième concile d'Orléans, a. 549, art. 20. — A la mort de l'évêque, il avait la garde et l'administration des biens ; concile de Paris de 614, art. 7. — Sidoine Apollinaire, dans la lettre que nous citons plus haut, appelle la fonction d'archidiacre une potestas en même temps qu'une dignitas. — Sur la juridiction de l'archidiacre au septième siècle, il y a un texte capital dans la Vita Leodegarii ab Ursino, 2, ab anonymo, 1-2.

[21] Sulpice Sévère, Dialogi, I, 4. — Cf. Epistola Innocenta Papæ ad Decentium, 5.

[22] Grégoire, X, 51, 5 : S. Martinus.... invicis Alingaviensi, Solonacensi, Ambaciensi, Condatensi, Tornomagensi, destructis delubris, ecclesias ædificavit. — X, 51, 4 : Briccius instituit ecclesias per vicos Calatonnum, Briccam, Rolomagum, Briotreidem, Cainonem. — Eustochius institua ecclesias per vicos Brixis, Iciodorum, Luccas, Dolus. — X, 51, 6 : Tempore Perpetui ædificatæ sunt ecclesiæ in vicis Evina, Mediconno, Berrao, Vernado. — X, 51, 18 : Tempore Eufronii Tauriaco, Cerata, Orbiniaco vicis ecclesiæ ædificatæ sunt. — X, 51, 19 : In multis locis ecclesias et oratoria dedicavi.

[23] Sidoine Apollinaire parle de rusticæ parochiæ dans le midi de la Gaule ; Epistolæ, VII, 6. — Grégoire de Tours appelle souvent ces paroisses du nom de diœcesis, réservant le mot parochia pour le diocèse ; IV, 13 ; IV, 18 ; V, 5, etc. D'autres fois la paroisse est appelée plebs.

[24] Nous décrirons ces conditions sociales dans un volume suivant.

[25] Loi de 598 au Code Théodosien, XVI, 2, 33 : Ecclesiis quæ in possessionibus, ut assolet, diversorum... sunt constitutæ. C'est ce que le concile d'Epaone de 517, art. 25, appelle oratoria villaria, et le concile d'Agde de 5.06, art. 21, Oratoria in agro, le mot ager signifiant ici propriété rurale, domaine. Cf. concile d'Orléans de 541, art. 26 et 33 : Si quis in agro suo habet diœcesim. Concile de Chalon, 650, art. 14 : oratoria per villas potentum constructa.

[26] Concile d'Agde, de 506, art. 21 : Si quis etiam extra parochias oratorium in agro habere voluerit, ut ibi missas teneat, propter fatigationem familiæ, permittimus. Il n'est sans doute pas nécessaire d'avertir que dans cette phrase le mot familiæ signifie l'ensemble des serviteurs, c'est-à-dire la population du domaine.

[27] Concile d'Orléans de 541, art. 35 : Si quis in agro suo habet diœcesim aut postulat habere, primum terras ei deputet sufficienter....

[28] Concile d'Orléans de 541, art. 35 : Deputet et clericos qui ibidem sua officia impleant.

[29] Concile d'Orléans de 541, art. 7 : Ut in oratoriis domini prædiorum minime contra votum episcopi peregrinos clericos intromittant, nisi quos probatos districtio pontificis observare præceperit.

[30] Concile de Chalon, de 650, art. 14, Sirmond, I, 492. — On exigeait que pour les grandes fêtes de l'année la population se transportât à l'église de la ville ; concile d'Agde de 506, art. 21.

[31] Grégoire, Miracula Martini, IV, 50 : Monasterium Locociagense quo congregatam monachorum catervam locaverat vir beatus.

[32] Sulpice Sévère, Vita Martini, 10.

[33] Il en est fait mention par Grégoire de Tours, V, 14.

[34] Grégoire, III, 7 ; VI, 29 ; IX, 42 ; X, 16 ; Gloria martyrum, 6.

[35] Grégoire, X, 29 : Ex familia propria instituit monachos cœnobiumque fundavit. — Comparer ce que le même écrivain dit de Grégoire le Grand, qui, étant encore simple particulier, fonda sept monastères sur ses propriétés, X, 1. — De même un citoyen d'Angers, Licinius, fonda un monastère in possessione sua (Grégoire, X, 51, 9).

[36] Grégoire, X, 29. Miracula Martyrum, 55, 59. De gloria confessorum, 50. — Souvent c'était le corps du fondateur canonisé qui devenait la principale relique.

[37] Les monastères acceptaient des esclaves, mais esclaves rachetés, ou avec l'autorisation du maître. Grégoire, X, 29 : Aredius ex familia propria tonsuratos instituit monachos. — Vita Bathildis, 9 : Captivos redemit... et in monasteria intromisit. — Vita Eligii, 1, 17 : Usque ad trecentarum numerum, tam ex ancillis suis quam ex nobilibus matronis congregavit. — Vita Bercharii, 14, Mabillon, Acta SS., II, 840 : Pretio suscepit captivas puellas octo quas Deo dicatas ibi manere constituit.

[38] Concile d'Arles de 554, art. 2 : Ut monasteria vel monachorum disciplina ad eum pertineant episcopum in cujus sunt territorio constituta.

[39] Concile d'Arles de 455, Sirmond, I, 121 : Abbatis quem sibi congregatio clegerit.

[40] Concile d'Orléans de 511, art. 19 : Ut abbates pro humilitate reliiosi in episcoporum potestate consistant, et si quid extra regulam fecerint, ab episcopis corrigantur. — Concile d'Orléans de 555 : Abbates qui episcoporum præcepta despiciunt, ad communionem non admittantur. — L'évêque peut faire sortir un abbé de son monastère et l'enfermer comme moine dans un autre ; concile d'Auxerre de 578, art. 25 et 26.

[41] Il n'est pas même permis à l'abbé de se rendre auprès du roi sans la permission de son évêque. Concile d'Orléans de 511, art. 7. — Les choses ont changé à partir du septième siècle. Il y eut alors un entraînement général à affranchir les abbayes des évêques. Les évêques mêmes cédèrent à cet entraînement ; voyez les chartes d'Emmon de Sens, d'Audomer de Thérouenne, de Bertefried d'Amiens, de Nivard de Reims, de Vindicianus de Cambrai ; Pardessus, n° 333, 340, 344, 346, 391.

[42] Actes des Apôtres, XX, 28.

[43] Cette idée est exprimée par Justinien, Code, I, 5, 41, § 1.

[44] Il faut faire attention, en effet, que les textes du quatrième et du cinquième siècle, lorsqu'ils parlent des évêques faisant un nouvel évêque, emploient rarement le mot consecrare, et presque toujours le verbe ordinare. Or ce mot ordinare, dans la langue du temps, n'avait nullement le sens spécial qui s'est attaché depuis au mot ordination. Ordinare était le terme propre et officiel pour signifier qu'on instituait un magistrat. Exemples : Suétone, César, 76 ; Vespasien, 25 ; Domitien, 4 ; Digeste, passim. Ordinare se disait aussi des fonctionnaires que l'empereur nommait, Code Théodosien, I, 9, 1, ou de ceux que les corps municipaux établissaient, Code Théodosien, XI, 7, 20. C'est en ce sens qu'il est employé dans les textes qui concernent les évêques. Quand on dit du métropolitain ordinal episcopum, cela ne veut pas dire qu'il consacre seulement un évêque que d'autres ont choisi ; cela veut dire qu'il l'institue et le fait évêque.

[45] Saint Clément, Epist. ad Corinthios, I, 44, dans l'édition des Pères apostoliques de Héfélé, t. III, p. 116.

[46] Saint Cyprien, édition de 1726, in-folio, p. 68, lettre 52 : Ad hunc locum divinitus eliguntur. Lettre 68, p. 118 : Jubet Deus constitui sacerdotem.... Ibidem, p. 119 : De traditione divina et apostolica observatione.

[47] Saint Cyprien, Lettre 68, p. 118 : Ipsa plebs (plebs est la communauté) habet potestatem vel eligendi dignos sacerdotes, vel indignos recusandi.

[48] Saint Cyprien, p. 118 : Idipsum videmus de divina auctoritate descendere ut sacerdos (nous avons vu que sacerdos est le titre de l'évêque) plebe præsente sub omnium oculis deligatur.

[49] Ut dignus et idoneus publico judicio et testimonio comprobetur.

[50] Saint Cyprien, p. 119 : Apud nos quoque et fere per provincias universas tenetur ut ad ordinationes rite celebrandas ad eam plebem, cui præpositus ordinatur, episcopi ejusdem provinciæ proximi quique conveniant et episcopus deligatur, plebe præsente.

[51] Saint Cyprien, p. 118 : Coram omni synagoga jubet Deus constitui sacerdotem, id est, ostendit ordinationes sacerdotales non nisi sub populi assistentis conscientia fieri oportere.

[52] Saint Cyprien, p. 118 : Ut detegantur malorum crimina vel bonorum merita prædicentur. P. 119 : Plebe præsente, quæ singulorum vitam plenissime novit et cujusque actum de ejus conversatione prospexit.

[53] Saint Cyprien, p. 119 : Universæ fraternitatis suffragio. L'on se tromperait beaucoup si l'on traduisait suffragio par suffrages, comme si l'auteur avait écrit suffrages. Suffragium, surtout au singulier, est un terme très employé sous l'Empire pour indiquer tout autre chose qu'un vote. On le trouve très souvent dans les codes pour désigner la recommandation par laquelle un homme influent appuie un individu auprès du prince pour lui faire obtenir une place ou une faveur.

[54] Saint Cyprien, p. 119 : Et de episcoporum judicio. — Il n'est pas douteux que dans la langue et les habitudes d'esprit de cette époque le mot judicium n'indiquât quelque chose de plus fort que le mot suffragium. Le suffragium est la manifestation d'un désir ; le judicium est la vraie décision.

[55] Saint Cyprien, p. 119 : Episcoporum qui in præsentia venerant et qui de eo ad vos litteras fecerant.

[56] Concile d'Ancyre de 314, art. 18.

[57] Concile de Nicée, art. 4.

[58] A l'article 6, il est dit que si deux ou trois se mettent en opposition avec le vote commun, c'est la majorité qui l'emportera. Ces deux ou trois ne sont pas une partie du peuple, ce sont deux ou trois évêques ; et par cette majorité il faut entendre celle des évêques.

[59] Concile de Laodicée, art. 12.

[60] Concile de Laodicée, art. 13.

[61] Concile d'Antioche de 341, art. 18.

[62] Nullus invitis detur episcopus (Epistola Celestini papæ, dans Sirmond, I, 57, Labbe, IV, 480, Pardessus, Diplomata, n° 9).

[63] Epistola Celestini papæ : Cleri, plebis et ordinis consensus et desiderium requirantur.

[64] Leonis papæ epistola, dans Sirmond, I, 84 : Militaris manus per provincias sequitur sacerdotem ad invadendas ecclesias quæ proprios amiserint sacerdotes. Trahuntur accipiendi, his quibus præficiendi sunt civitatibus ignorati... per vim imponuntur. — On pourrait supposer à première vue que le pape fait allusion à des violences de l'autorité publique, surtout à des violences des rois barbares ; ce serait une erreur. Dans cette lettre écrite par le pape en 445 il n'y a pas un mot qui se rapporte aux rois barbares. L'affaire dont il est question concerne l'archevêque d'Arles Hilarius, et l'évêque de Die, Projectus ; or, on 445, ni Arles ni Die n'avaient cessé d'être villes romaines. La manus militaris dont parle le pape est une petite troupe armée dont ces évêques s'entouraient pour entrer dans un diocèse qui ne voulait pas d'eux. Cela est bien marqué dans une Novelle de Valentinien relative aux mêmes faits, édit. Hænel, p. 174 ; l'empereur reproche au métropolitain d'Arles quod episcopos invitis et repugnantibus civibus ordinavit ; et il ajoute que ces nouveaux évêques, pour pouvoir entrer dans leur cité épiscopale, manum sibi contrahebant armatam.

[65] Leonis papæ epistola : Per pacem petitur.... Sacerdos postuletur.

[66] Leonis papæ epistola, c. 2 : Exspectarentur certe vola civium, testimonia populorum ; quæreretur honoratorum arbitrium, electio clericorum ; quæ in sacerdotum ordinationibus solent ab lus qui noscunt Patrum regulas custodiri.

[67] Leonis papæ epistola : Teneantur subscriptio clericorum, honoratorum testimonium, ordinis consensus et plebis.

[68] Ibidem : Qui præfuturus est omnibus, ab omnibus eligatur. — Cette phrase est souvent citée isolément et à contresens ; il ne faut pas y voir une élection dans le sens que nous donnons aujourd'hui à ce mot.

[69] Concile d'Arles, a. 452, art. 54, Sirmond, I, 110 ; Mansi, VII, 885 : Placuit in ordinatione episcopi hunc ordinem custodiri ut... tres ab episcopis nominentur, de quibus clerici vel (et) cives unum eligendi habeant potestatem. — Le mot nominare, dans la langue de l'Empire, ne signifiait pas ce que nous appelons nommer un magistrat : il signifiait désigner à l'élection, produire un nom et le recommander ; voyez sur cela tous les textes des codes relatifs à l'élection des magistrats municipaux.

[70] Code Justinien, I, 3, 41 (42), proœmium : Quoties in quolibet civitale sedem sacerdotalem (le grec porte ίερατικόν θρόνον, c'est le siège épiscopal) vacare contigerit, ab iis qui in ea civitate habitant decretum fiat de tribus personis de quarum recta fide, vita honesta, reliquisque virtutibus constet, ut ex his qui magis idoneus sit ad episcopatum promoveatur. — Voyez aussi la Novelle 123 (155 dans l'édit. Zachariæ) ; on y observe que les clercs et les primates de la cité désignent trois hommes, et attestent que tous les trois remplissent les conditions canoniques ; puis le métropolitain et les évêques choisissent un des trois.

[71] Pauli Sententiæ, V, 50 ; Code Théodosien, XII, 1, 75 ; XII, 1, 148.

[72] Sulpice Sévère, Vita Martini, 9 : Mirum in modum incredibilis multitudo, non solum ex illo oppido, sed etiam ex vicinis urbibus ad suffragia ferenda convenerat. Una omnium voluntas, eadem sententia Martinum episcopatu esse dignissimum, felicem fore tali ecclesiam sacerdote.

[73] Nonnulli ex episcopis qui ad constituendum antistitem fuerant evocati, repugnabant, dicentes contemptibilem esse personam, indignum esse episcopatu, veste sordidum.

[74] Vita Germani, I, 2, Bollandistes, 31 juillet.

[75] Grégoire, II, 1 : Adeptus consentientibus civibus episcopatus officium.

[76] Grégoire, II, 1 : Hoc ejecto, Justinianum in episcopatu constituunt.... Armentarium in ejus loco constituunt Septimo anno Briccius in cathedram regressus est. — Cf. X, 51, 4 : Briccio crimen adulterii est impactum a civibus Turonicis, expulsoque eo, Justinianum episcopum ordinaverunt.

[77] Grégoire, II, 15 : Residentibus episcopis, die dominica.

[78] Grégoire, II, 15 : Fœda apud cives pro episcopatu intentio vertebatur ; cumque partes inier se divisæ alium aliumque erigere vellent, magna conlisio erat populis.

[79] Grégoire, II, 15 : Subito Rusticus advenit. Quo viso, mulier ait : En ipsum quem elegit Dominus ; hic ordinetur episcopus. Omnis populus clamavit dignum ac justum esse. Qui in cathedra positus, pontificatus honorem populo gaudente suscepit.

[80] Sidoine, Lettres, IV, 25.

[81] Sidoine, Lettres, VII, 5, ad Agrœcium.

[82] Decreto civium petitus.

[83] Decreto civium petitus : Quod ad vestram special prærogativam.

[84] Sidoine, Lettres, VII, 9, ad Perpetuum.

[85] Sidoine, Lettres, VII : Paginæ decretalis oblatu pontificis eligendi mandastis arbitrium.

[86] L'Église admettait qu'un laïque fût nommé évêque à la condition qu'il prit un intervalle de quelques mois pour se faire instruire comme clerc. Novelles de Justinien, 125 ; 5e concile d'Orléans, art. 9, dans Labbe, V, 390 : Nullus ex laicis absque anni conversione præmissa ordinetur episcopus. — Il est bien entendu que le laïque nommé évêque ne demeurait pas laïque. Personne ne songeait à une chose qui aurait produit une immense révolution dans le corps épiscopal. L'Église exigeait que cet homme reçût préalablement la série des ordres sacrés : habemus scriptum in canonibus, dit Grégoire de Tours, VI, 15, non posse quemquam ad episcopatum accedere nisi prius ecclesiasticos gradus regulariter sortiatur. Il cite en effet deux exemples où des laïques nommés évêques reçoivent la cléricature avant de prendre possession de leur siège (V, 57 ; VI, 59).

[87] Voyez d'autres exemples d'évêques mariés dans Grégoire, II, 17, rapproché de II, 18 ; II, 22 ; VIII, 59.

[88] Voyez, par exemple, dans l'élection de Clermont, la mulier velata atque devota Deo qui intervient, s'adresse aux évêques, leur fait des injonctions. Grégoire, II, 13.

[89] Voyez l'histoire de Briccius, évêque de Tours, dans Grégoire, X, 51.

[90] Voyez la lettre écrite par Clovis aux évêques en 507, dans les Diplomata de Pardessus, n° 77. Il leur expose ce qu'il vient de faire dans sa campagne contre les Goths, les mesures qu'il a prises pour protéger les biens ecclésiastiques ; il termine en disant qu'il remet à leur décision le sort de tous ceux des prisonniers qui dépendaient d'une église.

[91] Concile d'Orléans, a. 553, art. 7 : Metropolitanus episcopus a comprovincialibus episcopis, clericis, vel populis electus, congregatis in unum omnibus comprovincialibus episcopis ordinetur.

[92] Concile d'Orléans, a. 558, art. 5 : Metropolitanus a comprovincialibus episcopis, cum consensu cleri vel civium, eligatur ; de comprovincialibus vero episcopis ordinandis, cum consensu metropolitani, cleri et civium electio et voluntas requirantur.

[93] Concile d'Orléans, a. 559, art. 10, Sirmond, I, 280 : Ut nulli liceat episcopatum præmiis adipisci ; sed, cum voluntate regis, juxta electionem cleri ac plebis, a metropolitano cum comprovincialibus pontifex consecretur.

[94] Concile de Paris, a. 557, art. 8, Sirmond, I, 516 : Nullus civibus invitis ordinetur episcopus, nisi (sed) quem populi et clericorum electio plenissima quæsierit, non principis imperio.... Si per ordinationem regiam honoris istius culmen pervadere aliquis præsumpserit, a comprovincialibus loci ipsius recipi non mereatur.

[95] Concile de Paris, a. 614, art. 1, Sirmond, I, 471 : Ut, decedente episcopo, debeat ordinari quem metropolitanus cum provincialibus suis, clerus vel populus civitatis elegerint.

[96] Edictum Chlotarii, a. 614, Sirmond, I, 475 ; Diplomata, Pardessus, n° 229 ; Borétius, p. 21 : Episcopo decedente, in loco ipsius, qui a metropolitano ordinari debet cum provincialibus, a clero et populo eligatur ; et si persona condigna fuerit, per ordinationem principis ordinetur.

[97] Edictum Chlotarii : Si de palatio eligitur, per meritum personæ et doctrinæ ordinetur.

[98] Grégoire, III, 2 : Cum populus Quintianum elegisset.

[99] Grégoire, III, 2 : Apollinarem ad regem dirigunt ; qui abiens, oblatis multis muneribus, in episcopatu successit.

[100] Grégoire, III, 2 : Cum hæc Theodorico nuntiata fuissent, jussit inibi Quintianum constitui, et omnem ei potestatem ecclesiæ tradi.

[101] Grégoire, III, 2 : Et statim directi nuntii, convocatis pontificibus et populo, eum in cathedram Arvernæ ecclesiæ locaverunt.

[102] Grégoire, Vitæ Patrum, XVII, 1 : Decedente Trevericæ urbis sacerdote, Theodericus Nicetium ad episcopatum jussit accersiri ; cumque, dato consensu populi et decreto regis, ad ordinandum adducebatur.

[103] Grégoire, IV, 5 : Quum Quintianus ab hoc mundo migrasset, sanctus Gallus in ejus cathedram, rege opitulante, substitutus est.

[104] Grégoire, IV, 5 : Cato presbyter continuo a clericis de episcopatu laudes accepit.

[105] Grégoire, IV, 6 : Videmus quia te elegit pars maxima populorum ; veni et benedicentes consecramus te ad episcopaium.

[106] Grégoire, IV, 6 : Rex parvulus est, ei si qua tibi adscribitur culpa, nos suscipientes le sub defensione nostra, cum proceribus et primis regis agemus ne tibi ulla excitetur injuria. In tantum crede ut spondeamus pro te omnia, si damni aliquid supervenerit, de nostris propriis facultatibus id reddituros.

[107] Grégoire est très défavorable à ce vieux prêtre, qui sans doute ne sortait pas comme lui d'une grande famille et qui s'était élevé lentement dans les divers degrés de la cléricature. Il l'accuse d'orgueil. C'est par orgueil, a l'en croire, que Caton aurait refusé la consécration des évêques. Il est certain que Caton se préoccupait du consentement du roi ; cela ressort des paroles que lui dit Cautinus, c. 7 : Tibi beneficium præstabo, ad regem pergam, et episcopatum tibi obtinebo. Caton n'envoya pourtant pas Cautinus vers le roi, parce qu'il se défiait de lui.

[108] Grégoire, IV, 7 : Cautinus... Theodebaldum regem petiit, adnuntians transitum Galli. Quod ille audiens vel qui cum eo erant, convocatis sacerdotibus apud Mettensem civitatem, Cautinus episcopus ordinatur. Cum autem venissent nuntii Catonis, Cautinus jam episcopus erat.

[109] Grégoire, IV, 11 : Clerici Arvernum properarunt ; cum Catoni regis voluntatem patefecissent.... Dicunt : Non nostra le voluntate expetivimus, sed regis præceptione. — Nous avons vu plus haut que præceptum ou præceptio est un ordre écrit.

[110] Suivant Grégoire, il préférait avoir l'évêché d'Auvergne.

[111] Grégoire, IV, 15 : Turonici, facto consensu in Eufronium.

[112] Grégoire, IV, 15 : Ad regem pergunt, dataque suggestione....

[113] Præceperam ut Cato illic ordinaretur ; cur est spreta jussio nostra ?

[114] Grégoire, IV, 26 : Emerium non canonice hoc honore donatum. Decretum enim regis habuerat ut absque metropolitain consilio benediceretur qui non erat præsens.

[115] Grégoire : Consensum fecere in Heraclium presbyterum ; quod subscriptum propriis manibus regi Cariberto per nuncupatum presbyterum transmiserunt.

[116] Et sic principis est ultus injuriam.

[117] Vita Quinidii, c. 6, dans les Bollandistes, février, II, 851 : Nullus de clero, nullus de plebe contradicere.... Votum et petitio populi ad Childebertum regem dirigitur. Accipit ecclesiæ preces ; dat sua auctoritate favorem, proceres ipsius roborant. — Noter les mots petitio et preces pour désigner le résultat de l'élection, qui n'est qu'une simple demande. Quant au mot auctoritas, il désigne un acte écrit, un décret royal ; proceres roborant, les grands signent l'acte suivant l'usage.

[118] Vita Leobini, c. 14, dans Bouquet, III, 451 : Cum de successore varia esset inquisitio, Deus Childeberti regis cor ita inflexit ut de Leobino monacho eligendo regale daret decretum. Universi qui aderant Leobinum non solum a rege, sed a Deo esse electum conclamare cœperunt.... In hac ergo electione cum universus assenliret populus...

[119] Vita Licinii, c. 11-12, Bollandistes, février, II, 679 : Gopiosa multitudo virorum consona voce Licinium pontificem sibi fore eligere disponebant. Optimates vero atque viri illustrissimi qui rectores palatii videbantur, Clotario regi famam beati viri innotescunt, et testimonium perhibent dignum pontificem fieri.... Quovuni petitio effectum obtinuit libenterque impetraverunt..., Cum regis imperio subrogatus est Licinius ut præesset ecclesiæ Andegavensi.

[120] Vita Sulpicii Bituric. episc, c. 15, Bollandistes, janvier, II, 555.

[121] Vita Ansberti, c. 22, Bollandistes, février, II, 552 : Cives missa petitione ad Theodoricum regem, cum ejus permissu et auctoritate Ansbertum elegerunt sibi consecrari antistitem. Quorum electioni congaudens rex, eorum annuens petitioni...

[122] Vita Præjecti, c. 12, Bollandistes, janvier, III, 248 : Genesius comes concionatur ad cives ut Præjectum a rege peterent. Tunc favore vulgi concordante, Præjectum elegerunt antistitem ; decreto etiam regis populi petitionibus annuente, sublimatus in cathedra.

[123] Vita Boniti, c. 5, Bollandistes, janvier, II, 353 : Cum relationem pro auctoritate regia adipiscenda direxissent.... meruerunt ut ex regio jussu ejusque præcepto idem roboraretur consensus.

[124] Marculfe, I, 7 : Consensus civium pro episcopalu. Suggerendo (de là vient que la lettre s'appelait aussi suggestio) piissimo ac præcellentissimo præcellentissimo illi regi Quoniam sanctæ memoriæ vir apostolicus ille, illius urbis episcopus, ab hac luce migravit, ne destitutæ sint oves pastore, in loco ejus suppliciter postulamus ut instituere dignetis... in quo est præspicuitas sublimis, ingenuitas nationis, elegantia refulgens, diligentia castitatis, caritatis locuples.... Hunc consensum decrevimus roborare. — On remarquera que dans cette formule le nom de l'élu laissé en blanc est remplacé par deux qualificatifs : Instituere dignetis inlustrem virum illum aut venerabilem illum. De ces deux qualificatifs, l'un appartient aux laïques, l'autre aux ecclésiastiques. La formule est à deux fins, car une cité peut élire évêque un laïque du Palais, inlustrem virum, aussi bien qu'un clerc, venerabilem virum.

[125] Marculfe, I, 5 : Ille rex viro apostolico illi episcopo. Nihil lam principe dignum est ut, cum a pastorali oberrat plebs destituta presidio, pro salule animarum, personis locis celsioribus pontificalem prespiciat committere committere..... De cujus successore sollicitudinem congruam una cum pontificibus vel proceribus nostris plenius pertractantes decrevimus... quem actio probata commendal et nobilitatis ordo sublimat ac morum probitas vel mansuetudinis et prudentiæ honestas exornat.... Ordinamus ut ipsum benedici vestra industria studeat.... — Voyez aussi la formule n° 6. — Une autre, Zeumer, p. 109, Rozière n° 516, mentionne la petitio cleri et pagensium ; pour le reste elle est semblable aux précédentes.

[126] Nous avons deux diplômes de Dagobert Ier relatifs à l'élection de Désidérius comme évêque de Cahors. On les trouvera soit dans la Vita Desiderii, soit dans les Diplomata, édit. Pardessus, n° 246 et 251. Ils diffèrent beaucoup, pour la rédaction, de la formule de Marculfe ; le fond est le même : c'est le roi qui nomme l'évêque, c'est lui qui ordonne au métropolitain de le consacrer. L'élection est encore signalée dans la Vita Eremberti, Mabillon, Acta SS., II, 605 ; Vita Filiberti, ibidem, II, 818 ; Vita Ansberti, 18 et 22, ibidem, II, 1053 et 1054 ; mais en même temps la volonté du roi est toujours marquée.

[127] Il faut se garder de prendre toujours les termes de la langue mérovingienne dans leur sens littéral. Le mot consensus donne d'abord l'idée d'un vote général ; en réalité, il pouvait être l'œuvre de quelques hommes seulement, et même d'un seul homme. Par exemple, Grégoire, VI, 15, parle d'un évêque qui voulait que son neveu lui succédât ; il rédigea lui-même un consensus et supplia ensuite quelques évêques de le souscrire.

[128] De là des expressions comme celles-ci : Clerici, a pastore destituti, Mundericum expetunt (Grégoire, V, 5) ; Lingonici episcopum flagitantes Pappolum accipiunt (ibidem).

[129] Voici un exemple de rejet d'un consensus, Grégoire, VIII, 22 : Diaconus cum consensu civium ad regem properat, sed nihil oblinuit ; rex data præceptione, jussit Gundegisilum episcopum ordinari.

[130] Grégoire, III, 17 : Ex jussu Chlodomeris regis.

[131] Grégoire, IV, 18 : Ex jussu regis Chariberti.

[132] Grégoire, VI, 7 : Jovinus regium de episcopatu præceptum accipit.

[133] Grégoire, VI, 9.

[134] Grégoire, VI, 15.

[135] Grégoire, VI, 59 : Sulpicius ad sacerdotium, rege favente, præligitur.

[136] Grégoire, VIII, 59 : Virus, rege eligente, substituitur.

[137] Grégoire, VIII, 22.

[138] Fredegarii Chronicon, c. 19.

[139] Exemples : Compétition entre Eufrasius, Avitus et Firminus (Grégoire, IV, 55) ; entre Albinus, Jovinus et Marcellus (Grégoire, VI, 7) ; entre Cautinus et Caton (Grégoire, IV, 7). Cf. Compétition entre Waddo et Gundégisile (Grégoire, VIII, 22).

[140] Voyez Marculfe, I, 7 : Ingenuitas nationis, naissance ingénue.

[141] Grégoire, IV, 15 : Dixerunt eum nepotem esse beati Gregorii ; respondit rex : Prima hæc est et magna generatio ; electio compleatur.

[142] Fortunatus, Carmina, IV, 5 ; I, 15.

[143] Grégoire, VI, 59 : Vir valde nobilis et de primis senatoribus Galliarum. — On peut remarquer dans les œuvres de Fortunatus que tous les évêques à qui il écrit appartiennent à de grandes familles. Lui-même paraît avoir fait exception.

[144] Grégoire, III, 2.

[145] Grégoire, IV, 55 : Plerique intendebant propter episcopatum, offerentes mulla.... Eufrasius susceptas a Judæis species magnas regi nuisit ut episcopatum præmiis obtineret. Les amis de Firminus promettaient au roi 1000 pièces d'or. — VIII, 22 : Waddo cum muneribus et consensu civium ad regem properat. — X, 26 : Eusebius, datis multis muneribus, in episcopatum subrogatus est. — Vita Sulpicii, c. 15 : cum infinitis auri argentique ponderibus regi intulerunt consensum. — Vita Præjecti, 11, Mabillon, III, 248 : episcopatum usurpavit per præmium.

[146] Grégoire, VI, 59 : Cum multi munera offerrent....

[147] Grégoire, VI, 7 : muneribus vicit. — Cf. Grégoire, Vitæ Patrum, V, 3 : Jam tunc germen illud iniquum cœperat fructificare ut sacardotium aut. venderetur a regibus aut compararetur a clericis.

[148] Cum datione pecuniæ, lettres de Grégoire le Grand à Brunehaut, à Théodebert, à Clotaire II, Bouquet, IV, p. 25-28.

[149] Vita Eligii, II, 1.

[150] Vita Sulpicii, c. 12, Bollandistes, 17 janvier : Regem cupiditatis veneno infectum, ad copiosam illatam pecuniam inflexum.

[151] Roth a déjà fait cette remarque, Geschichte des Beneficialwesens, p. 269.

[152] Grégoire, Vitæ Patrum, VII, 1-2. — Fortunatus, Carmina, IV, 2.

[153] Grégoire, Vitæ Patrum, IV, 5 ; cf. X, 51, 16.

[154] Grégoire, Vitæ Patrum, VI, 7.

[155] Grégoire, Vitæ Patrum, VI, 9.

[156] Grégoire, Vitæ Patrum, VI, 57-58.

[157] Grégoire, Vitæ Patrum, VII, 51, et VIII, 20.

[158] Grégoire, X, 26.

[159] Historia epitomata, c. 89.

[160] Grégoire, VIII, 59.

[161] Grégoire, IX, 25 ; de Gloria confessorum, 95.

[162] Grégoire, VIII, 22.

[163] Grégoire, V, 57.

[164] Edictum Chlotarii, 1.

[165] Vita Boniti, Mabillon, Acta SS., III, 90.

[166] Grégoire, VI, 46. — Il est bon de remarquer qu'en Espagne aussi les rois wisigoths s'emparèrent du droit de nommer les évêques. Voyez notamment le concile de Tolède de 681.

[167] La lettre est dans Dom Bouquet, IV, 47, et dans les Diplomata de Pardessus, n° 508.

[168] Concile d'Orléans de 511, Sirmond, I, 177 : Domino Chlodovecho gloriosissimo regi, omnes sacerdotes quos ad concilium venire jussistis. Quia... sacerdotes de rebus necessariis tractaturos in unum colligi jusseritis, secundum voluntatis vestræ consultationem et titulos quos dedistis,... respondemus. — La règle avait été la même sous les rois wisigoths ; les actes du concile d'Agde, 506, sont précédés d'un préambule où nous lisons : Cum ex permissu domni nostri regis synodus convenisset.

[169] Deuxième concile d'Orléans, 555, Sirmond, I, 228 : Cum ex præceptione gloriosissimorum regum in Aurelianensem urbem convenissemus. — Concile d'Auvergne, 555, Sirmond, I, 241 : Cum, consentiente domino nostro gloriosissimo rege Theodeberto, in Arverna urbe sancta synodus convenisset,... qui nobis congregationis tribuerat potestatem. — Le 5e et le 4e concile d'Orléans omettent la mention de l'autorisation royale ; mais elle se retrouve en tête du 5e concile : Cum domnus Childebertus rex in Aurelianensi urbe congregasset in unum sacerdotes. — Le concile de Toul, de 550, se tient aussi jussu Theodobaldi regis, Sirmond, 1, 292. — 5° concile de Paris, 557, Sirmond, I, 501 : Cum ad invitationem domni regis Childeberti venissemus. — 2° concile de Tours, 567, Sirmond, I, 530 : Juxta conniventiam gloriosissimi domni Cariberti regis coadunati. — Concile de Mâcon, 581 : Cum ex evocatione gloriosissimi domni Gunthramni regis, tam pro causis publicis quam pro necessitatibus pauperum nostra mediocritas convenisset. — Concile de Valence, de 584 : Juxta imperium Gunthramni regis. — Concile de Paris de 614 : Cum in urbe Parisius ex evocatione gloriosissimi principis Chlotarii regis in synodali concilio convenissemus.

[170] Grégoire, V, 28 : Synodus acta est ex jussu principis Gunthramni. — V, 21 : Rex Gunthramnus congregari synodum apud urbem Lugdunensem jussit. — VIII, 20 : Ex jussu regis Gunthramni apud Matiscensem urbem collecti sunt. — Fredegarii Chron., 1 : Synodum 40 episcoporum rex fieri præcepit. — Vita Eligii, I, 55 : Quum ex jussu principis concilium sacerdotale apud urbem Aurelianensem congregaretur. — Vita Desiderati, Bollandistes, 8 mai : Rex Childebertus ecclesiarum præsules jussit apud urbem Aurelianensem convenire.

[171] Cette règle est formellement énoncée dans le préambule du concile de 511. — On la voit appliquée en 585 et en 614, et l'on peut noter que le roi modifie en certains points les articles du concile. — Les actes du concile de Bordeaux de 660 sont suivis de la confirmation du roi Childéric II : Per jussionem gloriosi principis Childerici hæc omnia quæ superius habentur inferta in omnibus conservari convenit (Diplomata, édit. Pardessus, t. II. p. 130).

[172] Voyez, dans le recueil de Labbe, les lettres de jussion des sept premiers conciles. — Cf. Socrate, Hist. eccles., I, 5 ; II, 16 ; II, 29 ; Eusèbe, Vita Constantini, IV, 29 et 42 ; voyez aussi la lettre des Pères du concile de Constantinople adressée à Théodose.

[173] Grégoire de Tours, V, 45 (44 dans l'édit. Arndt).

[174] Voyez, entre autres, l'histoire d'Eulalius, Grégoire, X, 8 ; celle de Nanthinus, Grégoire, V, 36. — Sur la gravité de la peine de la suspensio communionis, voyez ibid., V. 57 ; VIII, 40 ; IX, 41, 45 ; Vitæ Patrum, XVII, 2.

[175] La pénitence était chose fort rigoureuse ; voyez à l'article 15 du concile d'Agde de 506 le cilicium in capite, la depositio comæ, la vestimenti mutatio, etc. ; voyer aussi concile d'Epaone de 517, art. 29.

[176] Vita Columbani, c. 44.

[177] Vita Eligii, I, 30.

[178] Grégoire, X, 29 : Construxit templa Dei in honore Sanctorum expetiit que eorum pignora. Cf. Ibidem, IX, 40 ; X, 1 ; Miracula martyrum, 50.

[179] Voyez une lettre de Grégoire le Grand, V, 50.

[180] Grégoire, IV, 56 : Nicetius nunc magna miracula ad tumulum suum exorantibus præstat. — Ibidem, IV, 19 ; V, 22 ; VII, 12 ; VII, 42 ; VIII, 16 ; de Gloria confessorum, 50 et 57 ; Miracula Martini, I, 12, 25, 25, etc. — Fredegarii Chronicon, 22 : Ad sepulcrum illum sanctum miræ virtutes ostenduntur. — Cette vertu attribuée au tombeau d'un saint explique la phrase qui revient si souvent dans les chartes : Ubi ipse pretiosus requiescit in corpore.

[181] Sur l'idée de puissance qui s'attachait aux moindres reliques, voyez deux passages de Grégoire de Tours, VIII, 15, et Gloria martyrum, 84.

[182] Grégoire, Vitæ Patrum, XIII, 5. Vita Eligii, II, 56. Miracula S. Benedicti, I, 16, p. 39, 40.

[183] C'est le titre qu'on donne aux évêques dans tous les diplômes. — La chaire épiscopale était appelée sedes apostolica, Grégoire, IX, 41 et 42.

[184] Concile de Tours, a. 461, c. 1.

[185] Il y a de menus faits que l'histoire ne néglige pourtant pas, parce qu'ils révèlent le fond de pensée des hommes. Un évêque de Tours voit tout son diocèse s'insurger contre lui ; pourquoi ? Parce qu'on le soupçonne de s'être approché d'une femme. Et sur ce seul motif la population le dépose et le chasse (Grégoire, II, 1). Cela signifie que les populations ne veulent pas avoir un évêque qui serait en état de péché ; elles croient que ses prières seraient inefficaces, que ses actes sacramentaux seraient entachés de nullité. C'est ce que dit le concile de Tours de 461, art. 1 : Ut, corporis puritatem servantes (episcopi), pro plebe supplicaturi preces suas ad divinum introire mereantur auditum. Voyez encore, pour l'expression des mêmes idées, une histoire racontée par Grégoire de Tours, VI, 36. Si les populations tenaient tant à la chasteté de leurs évêques, c'est qu'elles attribuaient à leurs mérites et à leurs vertus le salut du diocèse.

[186] Vita Germani a Fortunato, c. 21, édit. Krusch.

[187] Vita Germani a Fortunato, c. 46, 49, 58 ; Cf. c. 27, 55, 54, 44, 61. — Voyez pareilles guérisons dans la Vita Melanii, Bollandistes, janvier, I, 550, et plusieurs autres exemples dans Grégoire de Tours, notamment IX, 4.

[188] Concile de Tours de 461, art. 12. — Concile d'Epaone de 517, art. 6.

[189] Concile d'Angers de 453, art. 1 : Ut contra episcopale judicium clericis non liceat prosilire neque inconsciis sacerdotibus suis sæcularia judicia expetere. — Concile d'Orléans, 511, art. 7 : Abbatibus, presbyteris, sine commendatione episcopi pro petendis beneficiis ad Domnos venire non liceat. — Edictum Chlotarii, 614, art 5 : Si quis clericus, contempto episcopo suo, ad principem ambulare elegerit, non recipiatur.

[190] Concile d'Agde, 506, art. 65 : Clerici omnes qui ecclesiæ deserviunt, stipendia sanctis laboribus debita, secundum servitii sui meritum, a sacerdotibus consequantur. Concile d'Orléans de 511, art. 14 et 15.

[191] Déjà la plupart des sacerdoces païens avaient été propriétaires fonciers. Cf. Code Justinien, VII, 58, 2 ; XI, 61 et 65 ; Hygin dans les Gromatici, p. 117, etc.

[192] Code Théodosien, XVI, 2, 4, loi de 521. Code Justinien, I, 2, 1 et 15.

[193] Code Justinien, I, 2, 14.

[194] Chlotarii Constitutio, Pardessus, n° 165 ; Borétius, p. 19 ; art. 10 : Ut oblationes defunctorum ecclesiis depulatæ nullorum competitionibus auferantur. Art. 15 : Quidquid ecclesiæ... per triginta annos inconcusso jure possedisse probantur, in eorum ditione permaneat. — Lex Alamannorum, I : Si quis liber res suas ad ecclesiam tradere voluerit, nullus habeat licentiam contradicere ei. — Lex Baiuwariorum, I, 1 : Si quis liber dederit res suas ad ecclesiam pro redemptione animæ suæ, licentiam habeat.

[195] Marculfe, II, 4 : Pro remedio animæ meæ et remissione peccatorum nostrorum ; II, 6 : Pro remissione peccatorum, ut veniam delictis meis consequi merear. — Charta Haregarii, Pardessus n° 108 : Pro remedio animæ meæ et remissione peccatorum. — Charta Godini et Lantrudis, n° 186 : Pro ablatione peccatorum nostrorum et pro amore Dei. — Charta Theodetrudis, n° 241 : Ut pro anima laboremus. — Charta Vandemiris, n° 412 : Unde in futurum veniam misericordiæ animis nostris mereamur. — Charta Hedeni, n° 458 : Pro amore Christi et remissione peccatorum et mercede futura. — Diploma Sigismundi, n° 104 : Pro remedio animas mex. — Diploma Gunthramni, n° 191 : Culpis exigentibus. — Lex Baiuwariorum, I, 1 : Pro redemptione animæ suæ. — Marculfe, II, 1 : Ego ille reus flagitiis, sceleribus... pro remissione peccatorum vel pro diluenda meorum mole peccaminum. Ibid., II, 3 : Quia gravamur sarcina peccatorum. — Charta Theodechildis, Pardessus n° 177 : Pro facinorum meorum abluenda discrimina.

[196] Testamentum Leodegarii, Pardessus n° 582.

[197] Charta Eligii, Pardessus n° 254. Cf. Diploma Dagoberti, n° 271 : Ut de caducis rebus mercemur æterna.

[198] Formulæ Turonenses, 37, Rozière n° 214 : Reverentia Sancti illius civitatis, ubi ipse pretiosus in corpore requiescit... ad sacrosanctam basilicam Sancti illius dono... ut ad basilicam proficiat in augmentum.

[199] Concile de Carthage de 419, Mansi, IV, 452. — Code Justinien, I, 2, 14, loi de 470. — Concile d'Agde de 506, art. 6 et 48, Sirmond, I, 162, 170 ; Mansi, VIII, 553, — Aussi faisait-on une distinction bien marquée entre les biens propres de l'évêque et les biens de l'église : Grégoire, VII, 27 in fine : res ejus tam proprias quam ecclesiæ.

[200] Grégoire, X, 31, § 6 : Ordinatur Perpetuus, de genere senatorio, dives valde et per mullas civitates habens possessiones Condidit testamentum, et, deputavit per singulas civitates quod possidebat in eis ipsis scilicet ecclesiis, non modicam et Turonicæ tribuens facultatem. — Nous avons un testament de Perpétuus, non original, et pou authentique dans la forme ; je ne vais pourtant pas jusqu'à croire, avec M. Julien Havel, que celle pièce ail été fabriquée au dix-septième siècle. Il est bien vrai qu'elle ne concorde pas de tout point avec ce que dit Grégoire de Tours. Le vrai testament devait être beaucoup plus long, puisqu'il contenait de nombreux legs a diverses églises ; ce que nous avons n'est qu'un extrait concernant l'église de Tours et les parents ou amis du testateur.

[201] Grégoire, X, 31, 8 : Facultates suas ecclesiis... dereliquit.

[202] Grégoire, X, 31, 11 : Ecclesiæ suæ quod fuit melius reliquit.

[203] Grégoire, X, 31, 12 : Duodecimus episcopus Ommatius, de senatoribus Arvernis, valde dives in prædiis... condilo testamento, per ecclesias urbium in quibus possidebat, facultates suas distribuit.

[204] Grégoire, X, 31, 14 : Francilio, ex senatoribus, ordinatur episcopus, habens conjugem Claram nomine..., ambo divites valde in agris, quos maxime S. Martini basilicæ contulerunt.

[205] C'est ce que dit Fortunatus de l'évêque Félix (Carmina, III, 8, v. 50). Ailleurs, il parle de ces évêques qui, étant riches, donnaient beaucoup aux pauvres, plurima pauperibus tribuentes divite censu, IV, 5.

[206] Testamentum Bertramni, dans Pardessus, n° 250.

[207] Vita Desiderii, c. 17, édit. de la Patrologie, t. LXXXVII, p. 254, 255.

[208] Diplomata, édit. Pardessus, n° 558. Cf. les donations de l'abbé Ephinius, n° 454, de l'abbesse Irmina, n° 448.

[209] Diplomata, n° 108, 186, 196, 241, 412, 452, 457, etc.

[210] Grégoire, Miracula Martini, III, 15.

[211] Voyez, entre autres, la Vita Marculfi, c. 18 et 19, dans Bouquet, III, 426 ; la Vita Melanii ; la Vita Agili, c. 4, dans Mabillon, II, 318.

[212] Voyez la liste des donateurs de Fontenelle, dans les Annales Fontanellenses, Bouquet, II, 658.

[213] Vita Desiderii, c. 17.

[214] Diplomata, édit. Pardessus, n° 595.

[215] Vita Remigii ab Hinemaro, dans Bouquet, III, 377 : Baptizaius rex cum gente plurimas possessiones per diversas provincias sancto Remigio tam ipse quam Franci potentes dederunt. Grégoire, II, 57 in fine : multa sanctæ basilicæ S. Martini munera offerens. — Cf. Diplomata, n° 87, 88, 91. — Concile d'Orléans de 511, art. 5 : De agris quos domnus noster rex ecclesiis conferre dignatus est.

[216] Grégoire, V, 55 : Multa postea Chilpericus ecclesiis est largitus.

[217] Fredegarii Chronicon, 1 : Ipsam ecclesiam rebus plurimis ditavit. Cf. Diplomata, Pardessus, n° 191.

[218] Ibidem, 79 : Tantæ opes ab eo et villæ et possessiones per plurima loca ibidem sunt conlatæ ut miraretur a plurimis.

[219] Gesta Dagoberti, 52. Vita Sigiberti, 14.

[220] Vita Balthildis, c. 8.

[221] Voyez dans le recueil de Pardessus les n° 91, 104, 162, 165. 161, 191, 241, 269, 271, 272, 276, etc.

[222] Diplomata, édit. Pardessus, n° 269 : Donamus donatumque in perpetuum esse volumus villam nostram.... — N° 271 : In perpetuum. — N° 280 : Ut tam ipse pontifex quam qui ei successerint perpetualiter habeant. — N° 540 : Ut pontifex habendi, tenendi, dandi, commutandi veo quidquid elegerit faciendi liberam et firmissimam habeat potestatem. — N° 104 : Ut habeant, teneant atque possideant et quidquid exinde facere voluerint libero perfruantur arbitrio. Tardif, n° 1, 2, 7, 15, etc.

[223] Qu'il fût d'usage de faire confirmer à chaque nouveau règne les donations des règnes précédents, cela ne saurait prouver que ces donations fussent temporaires. Ces diplômes renouvelés ne constituaient pas une donation nouvelle, mais une simple confirmation. Or cette confirmation était de règle. Il suffit d'en observer le style pour se convaincre que les rois n'entendaient pas du tout qu'ils eussent le droit de reprendre la terre. Voyez notamment la formule du recueil de Rozière, 154.

[224] Quatrième concile de Cartilage, art. 51, 52, Mansi, III, 955, 954. 969. Héfélé conteste l'existence de ce concile ; mais il admet l'authenticité des canons qui lui sont attribués, et il les regarde comme très anciens — Cf. Epistola Hilarii papæ ad episcopos Galliæ, c. 5, dans Sirmond

[225] Concile d'Agde, a. 506, c. 7, Sirmond, I, 161 ; Mansi, VIII, 325. — De même, dans la Loi des Alamans, XX.

[226] Grégoire de Tours, II, 56.

[227] Diplôme de Childebert Ier, a. 528, dans Tardif n° 1.

[228] Voyez un jugement de Pépin en faveur de l'abbaye, de l'année 751, Archives nationales, Tardif, n° 54. — Cf. Ibidem, n° 88.

[229] Polyptyque de Saint-Germain des Prés, prolégomènes de Guérard, p. 56-58. — C'est ainsi que l'église de Milan avait des propriétés en Sicile (Cassiodore, Lettres, II, 29), et l'église de Rome en Gaule.

[230] Notre observation s'applique même aux terres qui ont été concédées spécialement aux Matricularii, comme nous voyons dans un diplôme de Dagobert, Pardessus n° 268, et dans un autre de Clotaire III, n° 550. Il faut entendre que les revenus de ces terres étaient à l'usage spécial des Matricularii, mais non pas qu'ils en eussent la propriété et la gestion.

[231] Concile d'Orléans, a. 511, art. 14 : Prædiis in episcoporum potestate durantibus ; art. 15 : De his quæ parochiis in terris, vineis, mancipiis atque peculiis quicumque fideles obtulerint, antiquorum canonum statuta serventur ut omnia in episcopi potestate consistant.

[232] Voyez dans Grégoire, X, 51, la série des évêques de Tours : Martinus ecclesias ædificavit.... Briccius basilicam super corpus S. Martini ædificavit... Eustochius ecclesiam condidit... Perpetuus ædificavit basilicam ampliorem... et basilicam S. Petri et basilicam S. Laurentii ipse construxit.... Volusianus basilicam S. Johannis.... Ommatius exaltavit ecclesiam sanctorum Gervasii atque Protasii et basilicam sanctæ Mariæ.... Tempore Euphronii, basilica S. Vincentii ædificata est..., ecclesiæ ædificatæ sunt. Puis Grégoire dit de lui-même : in multis locis ecclesias et oratoria dedicavi. — Il cite ailleurs d'autres évêques grands constructeurs, par exemple Agricola de Chalon : Multa ædificia fecit, domus composuit, ecclesiam fabricavit quam columnis fulcivit, variavit marmore, mosevo depinxit (V, 46). Marachaire d'Angoulême, ecclesias vel ecclesiæ domos erigens et componens, V, 57. Autres exemples, VII, 10 ; de Gloria conf., 66 et 84. — Voyez encore ce que dit le biographe de saint Didier de Cahors : Basilicam quadris lapidibus ædificavit, geminas porticus adjiciens (Vita Desiderii, 17). — On pourrait faire, rien qu'avec les écrits de Fortunatus, une très longue liste des églises, baptistères, palais épiscopaux, couvents, qui s'élevèrent de son temps par les soins et l'argent des évêques. Les Vies de saints sont remplies des mêmes faits.

[233] Grégoire, X, 51, 15-16. Pareille chose ressort de la Vita Desiderii.

[234] Le mot clerici, dans son sens le plus large, se dit de tous les ecclésiastiques sans distinction de rang ; dans son sens plus restreint, il se dit de ceux qui sont au-dessous du sous-diaconat. Voyez Lex Ripuaria, XXXVI, 5, opposé à XXXVI, 6-8.

[235] Code Théodosien, XVI, 2, 14, loi de 557, § 4 : conjugia clericorum ac liberi. — Lettre du pape Innocent Ier, dans Sirmond, I, 31. — Concile, de Tours de 461, art. 4. — Il était seulement défendu aux clerici de se remarier ou d'épouser une veuve.

[236] Code Théodosien, XVI, 2, 10, loi de 555 : Quæstus quos ex tabernis atque ergasteriis colligunt clerici. — Concile d'Orléans de 558, art. 27 : Ut clericus, a diaconatu et supra, pecuniam non commodet ad usuras, neve in exercendis negotiis, ut publici qui ad populi responsum negotiatores observant, turpis lucri cupiditate versetur. Si le concile défend cela aux clercs à partir du diaconat et au-dessus, c'est qu'il le permet aux sous-diacres et au-dessous ; ces clercs inférieurs pouvaient donc prêter à intérêt et faire le commerce. — Le concile d'Arles, de 452, art. 14, avait été plus sévère.

[237] Code Théodosien, XVI, 2, 8 et 9 ; XVI, 2, 56.

[238] Code Théodosien, XVI, 2, 5, 6, 15, 19, 21. Cf. Novelles de Valentinien, tit. III ; le curiale qui se fait clericus doit présenter quelqu'un qui supporte les charges municipales à sa place.

[239] Concile d'Orléans de 511, c. 4 : Ut nullus sæcularium ad clericatus officium nisi regis jussione aut cum judicis voluntate præsumatur. Celle règle fut-elle observée ? C'est ce qu'il est impossible do dire.

[240] On peut voir dans la Loi ripuaire, XXXVI, 5, combien celle classe était mêlée ; d'après les manuscrits du texte B, elle comprenait des esclaves, des hommes du roi, des lites, dos ingénus. D'après les manuscrits du texte A, ces clerici n'auraient eu tous que le wergeld des affranchis.

[241] Code Théodosien, XVI, 2, 41 : Clericos non nisi apud episcopos accusari convenit. XVI, 2, 47 : Clericos episcopali audientiæ reservamus. — Concile d'Arles de 452, art. 51, Sirmond, 1, 107. — Concile de Vannes de 465, art. 9. — Concile de Mâcon de 581, art. 8. — Concile de Reims de 650 (625), art. 6. — Edictum Chlotarii, a. 614, art. 4.

[242] Concile d'Agde de 506, art. 2, Sirmond, I, 162 et 171. 2e concile d'Orléans, art. 14. 3e concile d'Orléans, art. 9 et 19.

[243] Concile d'Orléans de 511, art. 4 : Filii clericorum in episcoporum potestate ac districtione consistant.

[244] Code Théodosien, XVI, 2, 59.

[245] Concile d'Orléans do 511, art. 16 : Episcopus pauperibus vel infirmis qui non possunt suis manibus laborare, victum et vestitum largiatur.

[246] Testamentum Remigii, Pardessus, I, p. 82. Pauperes in matricula positi ante fores ecclesiæ exspectantes stipem. — Grégoire, Miracula Martini, I, 51 : Ad matriculam illam quam Sanctus pascit.

[247] Voyez l'anecdote racontée par Grégoire, Mirac. Martini, I. 51.

[248] Diplomata, édit. Pardessus, n° 268, charte de Dagobert qui fait don d'une villa ad alendos pauperes... ad matricularios S. Dionysii qui ad ipsam basilicam vel infra ejus atrio ad matriculas residere videntur. — Diplôme de Clotaire III, aux Archives nationales, Tardif n° 15, Pardessus n° 550 : Ad matrigolarios sanctæ basilicæ Dionysii. — Charta Ansberti, Pardessus n° 457 : Quatuor matricularios qui ad ipsum oratorium de Leodegario deserviant instituimus ut totum victum atque vestitum de suprascriptis rebus habeant qualiter et alii matricularii qui ad basilicam S. Symphoriani deservire videntur. — Gesta Dagoberti, 29 : Dagobertus et matriculam ibi instituit ut pauperes utriusque sexus... ipsius eleemosynis sustentati, qui vellent, in servitio ecclesiæ permanerent.

[249] Grégoire, VII, 29 : Nonnulli etiam matriculariorum et reliquorum pauperum, pro scelere commisso..., et energumeni ac diversi egeni cum petris et fustibus ad ulciscendam basilicæ violentiam proficiscuntur.

[250] Concile d'Orléans de 511, art. 5.

[251] Il ne faut pas dire, comme on l'a fait récemment, que l'Église n'ait jamais affranchi d'esclaves à elle ; c'est une grande erreur ; voyez concile d'Agde de 506, art. 7 et 49. Flodoard, Hist. Rem. Eccl., II, 4. Ces affranchis restaient d'ailleurs sous la protection et l'autorité de l'Église.

[252] Concile d'Orléans de 511, art. 5 : In redemptionibus captivorum.

[253] Grégoire, VII, 1 in fine. — Vita Germani a Fortunato, c. 72 : Unde sunt contiguæ gentes in testimonium, Hispanus, Scotus, Brito, Vasco, Saxo, Burgundio, cum ad nomen Beati viri concurrerent liberandi jugo servilii. Ailleurs, un esclave nommé Æsarius se réfugie près du saint et se dit maltraité par son maître, supplicans ut quolibet pretio cum de insolentis domini servitio liberaret ; Germain rachète cet homme avec sa femme et son fils pour 80 solidi (Vita Germani, c. 10). — Vita Eligii, c. 10 : Ex diversis gentibus venientes pariter liberabat, Romanorum scilicet, Gallorum atque Britannorum, et Maurorum, sed præcipue ex genere Saxonum. — Vita Licinii, 15 : Licinius captivos redimensVita Albini a Fortunato, c. 9 : Ita se præbuit in redemptione captivorum ut....

[254] Grégoire, VII, 1 : Captivos libertati pristinæ restauravit.

[255] Vita Balthildis, 9 : Captivos redemit et in monasteria intromisit. Vita Bercharii, 14 : Pretio suscepit captivas puellas octo quas Deo dicavit. — Cf. Grégoire, X, 29 : Aredius ex familia instituit monachos.

[256] Formulæ Merkelianæ, 44.

[257] Cette idée est nettement exprimée dans celle formule d'affranchissement, Marculfe, II, 52 : Qui relaxat servilium, mercedem apud Dominum sibi retribuere confidat. Igitur ego et conjux mea pro remedio animæ nostræ vel retributione æterna.... — Ibidem, II, 53 : Pro remissione peccatorum meorum te a vinculo servitutis absolvo. — De même, Formulæ Turonenses, 13, et Andegavenses, 25. — Senonicæ, 1 : Pro peccatis meis minuendis... servum juris mei relaxavi. — Bignonianæ, 2 : Pro Dei intuitu vel pro animæ meæ redemptione. — Lex Ripuaria, LVIII, 1 : Si quis servum suum pro animæ suæ remedio liberare voluerit.

[258] Code Théodosien, IV, 7, 1 : Qui religiosa mente in ecclesiæ gremio servulis suis concesserint libertatem, eamdem eodem jure douasse videantur quo civitas romana solennitatibus decursis dari consuerit.

[259] Lex Ripuaria, LVIII, 1 : Qualiscumque servum suum pro animæ suæ remedio liberare voluerit ut in ecclesia coram presbyteris, diaconibus seu cuncto clero et plebe, in manu episcopi servum tradat. — Formules Turonenses, 12 : In ecclesia Sancti illius, ante cornu altaris.

[260] Formulæ Andegavenses, 25 ; Turonenses, 12 ; Marculfe, II, 52.

[261] Lex Ripuaria, LVIII, 1 : Episcopus archidiacono jubeat ut ei tabulas scribere faciat.

[262] Nous espérons traiter plus complètement ce sujet de l'affranchissement et du patronage dans un autre volume. Nous ne devons en dire ici que ce qui est nécessaire pour expliquer la puissance de l'épiscopat.

[263] Formulæ Andegavenses, 25 : Nullum obsequium heredum ac proheredum meorum te redebere cognoscas, nisi sub defensione sanctæ basilicæ Domni illius præbeas obsequium. — Turonenses, 12 : Nulli debeat servitutis nec libertinitatis obsequium, nisi soli Deo, pro cujus amore ipsum devotus obtuli. — Marculfe, II, 52 : Nulli servitium impendas nec libertinitatis obsequium debeas, nisi soli Deo. — Bignonianæ, 2 : Mundeburdum vel defensionem ad basilicam Sancti illius se habere cognoscat.

[264] Concile d'Orange de 441, c. 7, Mansi, VI, 457. Concile d'Agde de 506, c. 29. Concile de Mâcon de 585, c. 7. Edictum Chlotarii, 614, art. 7.

[265] Lex Ripuaria, LVIII, 1 : Et tam ipse quam et omnis procreatio ejus... sub tuitione ecclesiæ consistant, vel (et) omnem redditum status aut servitium tabularii corum ecclesiæ reddant.... Et non aliubi quam ad ecclesiam nbi relaxati sunt, mallum teneant. Nous avons expliqué plus haut le sens de l'expression mallum tenere.

[266] Concile d'Orange de 441, art. 27 : Viduitatis servandæ professionem coram episcopo in secretario habitam, imposita ab episcopo veste viduali induendam. — Concile de Mâcon de 685, art. 12 : Quoniam provisioni nostræ (ce sont les évêques qui parlent), Deo auctore, causx viduarum sunt commissæ... decernimus ut judices non prius viduas conveniant quam episcopo nuntiarint cujus sub velamine degunt. — Vita Licinii, c. 15 : Licinius episcopus... viduarum præ omnibus curam gerens.

[267] Vita Germani a Fortunato, c. 11 : Destaria sanata... singulis annis tributum vitæ solvit. — Vita Melanii, Bollandistes, janvier, I, 550 : Qui, sanitate recepta, cum omnibus suis, S. Melanii se tradidit obsequiis alque ejus servilio inhæsit. — Ibidem : Qui, cum se per merita Sancti viri intellexisset sanatum, se pontificis tradidit obsequiis ejusque cunctis diebus vitæ suæ se commisit servitio. — Grégoire de Tours, de Gloria confessorum, 101 (105) : Qui cum sanitalem recipiunt, statim se tributarios loco illi faciunt et quotannis tributa solvunt. Comparer Beaumanoir, chap. 45, § 19 : Servitutes de corps si sont venues parce que et tans cha en arière, par grant devotion moult se donoient eux et lor oirs et lor cozes as sains et as saintes.

[268] Nous verrons ailleurs que beaucoup de propriétaires virent un intérêt à donner leur terre à une église en la reprenant comme tenanciers. Cela se rattache à une série de faits que nous étudierons. — C'est ailleurs aussi que nous parlerons des immunités accordées aux terres d'église.

[269] Voyez, par exemple, dans la Chronique de Frédégaire, c. 78, l'anecdote relative au Breton Judicaël et au référendaire Dado. La plupart des hagiographes nous montrent leur personnage vivant dans le Palais sicut elericus, sicut sacerdos.

[270] Voyez Sirmond, Concilia Galliæ, I, 241 : Domino nostro regi ; I, 245 : cultores vestri, episcopi ; I, 258 : Celsitudo Vestra.... Gloria Vestra.

[271] Voyez la lettre de Sigebert citée plus haut : Ut pro nobis orare dignemini.

[272] Voyez un exemple de cela dans Grégoire, Vitæ Patrum, XVII, 2 et 5.

[273] Voyez l'histoire de Prætextatus de Rouen, accusé par le roi de crime contre l'État, Grégoire, V, 19 ; celle d'Egidius de Reims, accusé et convaincu de complot, X, 19 ; celle de l'évêque Chramlin, jugé par le concile de Marly en 677, Diplomata, Pardessus n° 588. L'histoire même de Désidérius, évêque de Vienne, confirme ce que nous disons. Brunehaut ne put le faire mourir qu'après qu'il eut été déposé de l'épiscopat par un synode d'évêques, Frédégaire, Chron., c. 24 et 52.

[274] Vita Arnulfi, dans la Patrologie latine, t. XCV, col. 755.

[275] Grégoire, X, 19 : Episcopi præceptioni regiæ obsistere nequiverunt.

[276] Ibidem, IV, 55 : Avitus, accepto episcopatu, magnum se in omnibus tribuit ; justitiam populis tribuens, pauperibus opem, viduis solatium. — V, 45 : Fuit Mauritio...in judiciis jusius. — L'évêque Mélanius justitiam per populos exercebat (Vita Melanii, Bouquet, III, 595). — Fortunatus, IV, 12 : Justitiam tribuens populis examine recto. — La justice séculière rendue, au nom de l'évêque, par l'archidiacre est bien décrite dans la Vita Leodegarii, ab anonymo æquali, c. 1 : Cum mundanæ legis censuram non ignoraret, sæcularium terribilis judex fuit. — Cf. Præceptio Chlotarii, 6, Borétius, p. 19 : Si judex (le comte) aliquem contra legem injuste damnaverit... ab episcopis castigetur. Ce dernier mot doit être entendu dans le sens d'un jugement d'appel rendu par l'évêque. — Noter ce mot du roi Chilpéric à l'évêque Grégoire : O episcope, justitiam cunctis largiri debes, Grég., V, 19.

[277] Vita Desiderii, c. 9 : Castellum Cadurcum munitione ampliavit ac firmavit..., portas, turres murorum ambitu ac quadratorum lapidum compactione munivit. — Ibidem, c. 17 : Quis dicere valeat quam singulari studio mœnia urbis suo labore struxerit ?

[278] Voyez l'histoire de l'évêque Félix, dans Fortunatus, Carmina, III, 8 ; celle des deux Ruricius, le grand-père et le petit-fils, successivement évêques de Limoges, tous les deux grands constructeurs, ibidem, IV, 5.

[279] Grégoire de Tours, IX, 50. — Vita Aridii, Bouquet, III, 413. — Vita Sulpicii Bituricensis, 24-25, Bollandistes, 17 janvier. — Vita Eligii, I, 32. — Miracula Austregisili, dans Mabillon, Acta SS., II, 69 et 100.

[280] Grégoire de Tours, III, 54.

[281] Grégoire, V, 45 : Defendens pauperes ecclesiæ suæ de manu malorum judicum. — Fortunatus, Vita Albini, 9 : Ita se præbuit in defensione civium ut...

[282] Vita Arnulfi, c. 8 : Urbem ad gubernandum suscepit. — Cf. Grégoire, de Gloria martyrum, I, 55 : Bertramno qui tunc in episcopatu urbem regebat. — Diplomata, Pardessus, II, p. 299 : Oppido Divione quo apostolicus vir Assoricus tenet regimen.