LA MONARCHIE FRANQUE

 

CHAPITRE X. — L'ADMINISTRATION PROVINCIALE.

 

 

Nous avons étudié jusqu'ici le gouvernement central, c'est-à-dire la royauté et le Palais. Il faut chercher maintenant comment cette royauté exerçait son action sur les populations, c'est-à-dire comment elle les administrait. Le mode d'administration est une des choses les plus importantes à étudier dans toute société ; car c'est par là qu'un gouvernement touche aux sujets et pénètre dans la vie des hommes.

 

1° LES CIRCONSCRIPTIONS ADMINISTRATIVES DE L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE.

 

Avant de montrer ce qu'était l'administrateur mérovingien, il convient de voir quelle était la circonscription administrative. Les rois francs trouvèrent en Gaule un système de cadres administratifs que les Romains y avaient établi et auquel les populations étaient habituées. Nous allons rappeler quel était ce système, afin de voir ensuite si les rois francs y ont changé quelque chose.

La Gaule romaine, avant les invasions, faisait partie d'une circonscription plus grande qu'elle, et que l'on appelait la Préfecture des Gaules. Elle était partagée elle-même en provinces, vastes ressorts, dont le nombre n'était que de dix-sept pour la Gaule entière. Chaque province était divisée en cités, civitates, circonscriptions assez vastes encore qui correspondaient aux diocèses ecclésiastiques et dont le nombre était de cent douze[1]. Le territoire de chaque cité comprenait un nombre indéterminé de cantons ou pagi[2], et de villages, vici. Ces cantons et ces villages, tout en ayant des chefs locaux, ne formaient pas des circonscriptions indépendantes au regard du pouvoir central ; ils étaient partie intégrante de la cité. L'union de la ville et de la campagne en une même cité était l'un des traits essentiels du système romain.

La préfecture des Gaules avait disparu avant l'arrivée des Francs. Les provinces, comme grandes circonscriptions administratives, disparurent de même, presque partout, avant Clovis. Du moins on ne trouve plus, dans la seconde moitié du cinquième siècle, ni præsides ni rectores en Gaule, si l'on excepte quelques pays du Midi. C'est ce qui explique que le mot provincia ait perdu son sens propre dans la langue des Mérovingiens. Chez Grégoire de Tours, il a le sens vague de pays, et devient synonyme de région[3] ; ce n'est que dans la langue ecclésiastique qu'il conserve sa signification précise d'autrefois. Les noms anciens des provinces, tels que Belgica prima, Lugdunensis prima, tombent en désuétude. Ils sont remplacés par des noms de régions. Tantôt ces noms sont empruntés aux peuples nouveaux venus, comme Francia, Burgundia, Britannia ; tantôt ils représentent seulement une idée géographique, comme Neustria, Austria ; parfois les noms anciens ont subsisté, comme Aquitania, Provincia. Le terme de Gallia reste fort employé ; mais il n'a plus qu'un sens géographique.

Les Francs ne trouvèrent donc en Gaule d'autres divisions administratives que les cités. Ils les conservèrent. Dans les textes mérovingiens, les civitates sont maintes fois indiquées comme divisions officielles du territoire. On y voit que chaque royaume se partage en cités. Les rois eux-mêmes parlent des cités qu'ils possèdent. L'un d'eux dit, en parlant de ses ennemis : Ils veulent m'enlever mon royaume et se partager entre eux mes cités[4]. Gontran fait Childebert son héritier, et il ajoute : Toutefois je donnerai deux ou trois cités à Clotaire[5]. Voici un acte officiel, dont nous avons le texte ; c'est le traité d'Andelot ; il y est parlé de la cité de Paris avec tout son territoire et sa population ; il y est parlé des cités de Senlis, de Meaux, de Tours, de Poitiers, d'Avranches, de Limoges, de Bordeaux, de Cahors, d'Albi[6]. Ce sont les mêmes cités qu'au quatrième siècle.

Les cités qui ont toujours pour capitale une assez grande ville portent les mêmes noms qu'avant l'arrivée des Francs ; elles ont, sauf de rares exceptions, la même étendue. Il est arrivé avec le temps, et pour des motifs divers, que plusieurs d'entre elles ont été partagées en deux[7], en sorte que le nombre total a pu augmenter de quelques unités ; mais on peut dire qu'en général les civitates sont demeurées sous la domination franque ce qu'elles avaient été sous l'empire romain.

Deux faits capitaux sont à noter ici : c'est d'abord que les rois francs conservèrent la division administrative en cités et ne créèrent pas un système nouveau de répartition du territoire ; c'est ensuite que, dans chaque cité, l'union entre la ville et la campagne n'a pas disparu. Celte union, qui aurait pu paraître artificielle et trop savante pour des Barbares, a subsisté tout entière. Les Francs n'ont pas décomposé la civitas. Ils n'ont pas détaché de la ville le territoire rural[8]. Quelques historiens modernes ont pensé que l'invasion germanique avait eu pour effet de séparer la campagne de la ville, et de faire prédominer la première. Toute cette théorie, dont on ne trouve pas d'indices dans les textes, ne repose sur aucun fait. Elle est au contraire démentie par ce fait certain et indéniable que la cité a subsisté comme circonscription administrative, que la ville chef-lieu est restée le centre de territoire, et que c'est cette ville qui a été la résidence des fonctionnaires francs.

Les documents de l'époque mérovingienne mentionnent souvent, en même temps que les civitates, des pagi. Mais il faut d'abord se convaincre que ces pagi ou cantons ne sont pas de création franque. Ce sont les anciens pagi gaulois et gallo-romains. Sous les empereurs, ces pagi n'avaient pas été des divisions officielles de l'administration impériale. Ils ne furent pas non plus des divisions officielles sous les rois francs.

Il est utile d'observer, dans les textes, l'emploi du terme pagus ; nous pourrons y trouver des enseignements précieux. Une première chose frappe, c'est qu'il prend à cette époque deux significations très distinctes. Grégoire de Tours, par exemple, l'applique très souvent à un canton, à une fraction du territoire d'une cité ; c'est alors l'ancien pagus gaulois ou romain[9]. Mais d'autres fois, et très souvent aussi, il l'applique à tout le territoire d'une cité ; quand il dit pagus Turonicus, il entend toute la cité de Tours ; son pagus Suessionicus est toute la civitas Suessionum ; de même quand il dit pagus Pictavensis, pagus Remensis, pagus Tolosanus, pagus Tornacensis, il veut parler non de petits cantons, mais des grandes cités de Reims, de Poitiers, de Toulouse, de Tournai[10]. La même remarque peut se faire dans les chartes des particuliers. Tantôt elles signalent des pagi qui ne sont que des fractions de cités[11]. Tantôt et plus souvent elles comprennent sous le nom de pagus toute une cité ; elles disent par exemple pagus Arvemicus, pagus Lemovicus, pagus Lingonicus ; ce sont les grandes cités d'Auvergne, de Limoges, de Langres[12]. Il en est de même dans les formules d'actes. Le formulaire d'Auvergne appelle l'Auvergne pagus Arvernicus[13], et le formulaire de Bourges désigne tout le territoire de cette cité par l'expression pagus Bituricus[14]. Ainsi l'on constate que le mot pagus, sans perdre sa signification ancienne de canton, a pris une signification nouvelle et est devenu synonyme de civitas. Si maintenant on observe les diplômes royaux et les actes émanés de la chancellerie mérovingienne, on y peut noter que le mot pagus qui est fréquent, est presque toujours employé dans sa signification la plus large. Il n'est pas appliqué à de simples cantons, mais à des cités : pagus Cenomannicus, pagus Lingonicus, pagus Pictavensis, pagus Bituricus, pagus Ambianensis, pagus Turonensis[15], etc. Quelle conclusion devons-nous tirer de ces remarques ? Il est visible que, dans le langage ordinaire et encore plus dans le langage officiel, le pagus s'est confondu avec la grande civitas[16]. Le pagus-canton subsiste encore dans la langue du peuple et dans les habitudes des campagnes ; officiellement et administrativement il n'existe plus que le pagus-cité. Cela confirme ce que nous disions plus haut, que la cité est la vraie et unique division administrative des rois francs. Aussi voyons-nous que, dans le diplôme de nomination d'un comte, ils appellent pagus tout le ressort qu'il administre ; or le comte, ainsi que nous le verrons, administre une cité et non pas un canton[17].

Nous trouvons dans quelques textes une subdivision territoriale, qui est appelée condita. Mais elle n'existe que dans quelques provinces de l'ouest de la Gaule. Elle n'est mentionnée que dans les formulaires d'Angers et de Tours. La situation d'un domaine y est indiquée par des expressions comme celles-ci : une villa située en tel pagus, dans telle condita, et portant tel nom[18]. Or ces formules, mises en recueil probablement au sixième siècle, reproduisent des usages et des termes plus anciens et peut-être antérieurs aux invasions. Nous n'avons d'ailleurs aucun renseignement sur la nature et l'étendue de ces conditæ[19]. Ce qu'on peut dire avec certitude, c'est que nous ne les rencontrons que dans une petite région de l'Ouest et qu'elles ne sont mentionnées dans aucun acte officiel, dans aucun diplôme émané de la chancellerie mérovingienne. Elles ont été une division populaire dans une région ; elles n'ont pas été une division officielle et administrative[20].

Existait-il aussi des subdivisions territoriales nommées centaines, centenæ ? Cela ne fait-pas question pour certains érudits ; ils posent même l'existence des centaines comme un axiome pour ainsi dire nécessaire de la constitution franque. L'étude des textes m'inspire quelques doutes. Je ne trouve mention de centena dans aucune charte du sixième ou du septième siècle. Jamais les formules de ce temps n'indiquent la situation d'un domaine par l'expression in centena illa[21]. Les Lois franques ne parlent pas de centaines[22]. Les chroniqueurs n'emploient jamais ce terme. Toutefois il existe deux capitulaires que des copistes du neuvième siècle nous ont conservés en les mettant sous le nom d'un roi Clotaire et d'un roi Childebert[23]. Tous les deux contiennent le mot centaines ; et ce sont ces deux édits qui ont fait, croire à l'existence de centaines administratives. Mais il faudrait examiner si ces centaines sont vraiment des divisions territoriales. Clotaire dit : Nous avons décrété que des centaines seraient établies pour poursuivre les malfaiteurs[24]. De tels termes visent une mesure de police et n'ont aucun rapport avec une nouvelle division géographique du territoire[25]. Le roi dit simplement qu'il veut qu'il se forme des centaines pour rechercher et prendre les criminels. Ces centaines sont des groupes d'hommes et non pas des circonscriptions. S'agit-il de troupes de police ? Ne s'agit-il pas plutôt d'associations de propriétaires assurant l'ordre public par un système de poursuite en commun et une sorte d'assistance mutuelle contre le vol ? On ne saurait le dire avec certitude en présence du vague des expressions ; mais l'hypothèse la moins vraisemblable de toutes serait que le roi eût voulu parler ici de circonscriptions administratives. Nous ne sommes pas sûrs d'ailleurs que cet édit du roi ait été exécuté, et que les centaines se soient faites comme il avait décrété qu'elles se fissent.

Les vraies centaines territoriales n'apparaissent pas avant le huitième siècle[26]. Sans doute on ne peut pas affirmer qu'il n'y en ait eu plus tôt dans quelques provinces. Comme nous pensons que les centaines se sont formées peu à peu et à la longue, par une habitude insensible des populations plutôt que par un acte du gouvernement, il est probable qu'avant d'être une institution régulière et générale, ce qui n'eut lieu qu'au temps de Charlemagne, les centaines se constituèrent ici ou là, suivant les besoins particuliers de telle ou telle province. En tout cas, elles ne furent pas une institution régulière avant le huitième siècle[27].

Nous ne pouvons pas suivre les érudits allemands dans leurs systèmes. Ils supposent le royaume mérovingien divisé administrativement et judiciairement en petits cantons, pagi, qu'ils appellent volontiers du nom germanique de gau, et chaque canton subdivisé lui-même en centaines, qu'ils se plaisent à appeler Hundertschaft[28]. Les textes ne nous présentent rien de semblable, et tout ce beau système est de pure imagination. Mais l'histoire est une science ; l'imagination, la logique, les idées préconçues n'ont rien à y voir.

Il est étrangement téméraire d'identifier le pagus mérovingien avec le gau germanique, et d'introduire de force la centaine pour avoir un analogue de la Hundertschaft qu'on croit voir dans la Germanie de Tacite. Les érudits allemands qui font ces théories montrent par là qu'ils ont l'esprit dominé par la pensée de faire prévaloir dans notre histoire les vieilles institutions de la Germanie ; et les érudits français qui marchent à leur suite laissent voir qu'ils ont peu de sens critique et qu'ils ne lisent pas les textes. Le pagus de la Gaule mérovingienne n'a aucun rapport avec le gau germanique, puisqu'il est ou l'ancien pagus romain ou la civitas elle-même. Quant à faire venir la centena de la vieille centaine des Germains, cela repose sur une double erreur ; car, premièrement, Tacite ne parle nulle part d'une organisation des Germains en centaines[29] ; et deuxièmement, les centaines n'ont existé en Gaule qu'au huitième siècle.

Si nous nous en tenons aux textes, actes privés, diplômes royaux, nous ne trouvons qu'une seule division administrative, c'est la division en cités. La langue changeante de cette époque les appelle d'abord civitates, ensuite pagi, plus tard comitatus. Sous ces noms divers, qui sont incontestablement synonymes, c'est toujours la même étendue territoriale, le même ressort d'action de l'administrateur. Celte division toute romaine avait été conservée avec soin par l'Eglise dans ses diocèses. Les populations s'y étaient faites. Les rois n'ont eu qu'à la prendre.

Ce qui est surtout digne de remarque, c'est que les rois francs n'ont pas établi à l'usage des hommes de race germanique une division administrative particulière. Comme il y avait deux races, il aurait pu arriver qu'il y eût aussi deux systèmes de circonscriptions territoriales. Les documents montrent qu'il n'en fut rien. Il n'y eut pas des cités pour les Domains et des pagi pour les Francs. Germains et Domains furent réunis dans les mêmes cités, dans les mêmes pagi. Quand il se forma des centaines, on ne vit pas des centaines franques et des centaines romaines. Les hommes de toute race furent confondus dans chaque circonscription[30].

 

2° LES COMTES DES CITÉS.

 

Clovis et ses successeurs n'eurent pas à imaginer une nouvelle façon de gouverner les hommes. Ils n'eurent pas non plus à introduire un système apporté de la vieille Germanie. Ce qu'ils trouvèrent établi en Gaule, ils le conservèrent. Le principe romain était de faire administrer les provinces par des fonctionnaires envoyés par l'autorité centrale. Les rois francs adoptèrent tout de suite ce principe. Leurs provinces ne furent pas administrées par des chefs élus par la population ; elles le furent par des délégués du pouvoir royal.

L'empire romain avait gouverné ses sujets avec un très petit nombre de fonctionnaires. On doit noter toutefois que ce nombre avait été s'augmentant avec le temps. Au lieu de quatre gouverneurs de provinces qu'il y avait pour toute la Gaule au commencement de l'Empire, il y en avait dix-sept au quatrième siècle. Ce nombre s'accrut encore au cinquième. Nous voyons, en effet, l'Empire placer ses fonctionnaires, non plus seulement à la tête des provinciæ, mais dans de simples civitates[31]. Tandis que les gouverneurs de provinces avaient le titre de præsides, rectores, ou consulares, les gouverneurs de cités avaient le titre de comtes, comites. Nous connaissons pour la Gaule, avant l'arrivée des Germains, un comte de Marseille[32] ; et nous pouvons penser qu'il y en avait plusieurs autres. Salvien signale comme un fait assez ordinaire l'existence de fonctionnaires qui administrent de simples cités : il les appelle du terme vague de chefs ; il est assez vraisemblable qu'il a en vue des comtes[33]. On trouve aussi hors de la Gaule des comtes qui administrent des cités, et parmi les formules de diplômes qu'a recueillies Cassiodore il y en a une qui concerne précisément la nomination des comtes de cités. Cela permet de croire que cette nouvelle institution, sans être générale, n'était pas rare. On entrevoit qu'au moment même où survinrent les invasions germaniques, l'Empire opérait une réforme administrative qui consistait à placer dans chaque cité un comte, c'est-à-dire un délégué du pouvoir central.

Celle réforme commencée par l'Empire fut continuée et achevée par les rois germains. Avant les Mérovingiens, les rois burgundes eurent des comtes[34] ; on connaît l'un d'eux, le Romain Grégorius, qui administra la cité d'Autun pendant quarante ans, entre les années 465 et 505 environ[35]. Les rois wisigoths avaient aussi des comtes de cité[36]. Pour ce qui est des Francs, nous constatons l'existence de comtes administrant les cités dès le temps des fils de Clovis[37], et nous pouvons admettre sans trop de témérité que celle organisation, datait de Clovis lui-même.

Ce qu'était le comte mérovingien, Grégoire de Tours nous le montre très nettement dans ses nombreux récits, au moins pour le sixième siècle. La première vérité qui s'en dégage est qu'il y avait un comte pour chaque cité, et que ce comte, résidant d'ordinaire au chef-lieu, en administrait tout le territoire. C'est ainsi que Grégoire de Tours nous montre un comte dans la cité d'Auvergne[38], un autre dans celle d'Auxerre[39]. Il cite les comtes de Poitiers, d'Angoulême, de Tours, de Rouen, de Saintes, de Meaux, d'Orléans, de Bourges, d'Angers, de Bordeaux, de Limoges, du Gévaudan, d'Autun, de Chalon, de Tournai. Nous pouvons induire de tous ces exemples que la liste des comtes correspondait à la liste des cités[40]. Quelquefois, il est vrai, nous voyons un comte mérovingien résider dans une ville qui n'avait pas été une cité romaine. Cela vient de ce que, avec le temps, quelques villes sont devenues cités, soit parce qu'elles ont acquis une grande importance, soit par suite de partage entre deux rois. Si nous voyons un comte à Châteaudun, qui n'était qu'un simple castrum[41], c'est que cette ville a été détachée de la cité de Chartres[42]. Pour la même raison nous trouvons un comte à Melun. Le principe est toujours qu'il y ait un comte pour chaque cité. Ce comte gouverne la cité entière, ville et territoire. La ville principale est sa résidence la plus ordinaire et son chef-lieu ; de là son autorité s'étend sur les petites villes, castra, et les villages qui en dépendent[43].

Bien qu'il y ait d'autres fonctionnaires au-dessus et au-dessous du comte, le comte était le fonctionnaire principal et pour ainsi dire le fonctionnaire-type de l'époque mérovingienne. Comme la vraie et permanente division territoriale était la cité, la vraie et essentielle fonction administrative était le comté. Mais il est bon d'observer que ce mot comitatus, très employé au sixième siècle, ne désignait pas une circonscription géographique ; c'était le nom d'une fonction, d'une dignité[44]. Quand Grégoire dit comitatus Meldensis, il ne veut pas dire le territoire de Meaux ; il veut dire la fonction de comte dans la cité de Meaux. Comitatus Arvernus signifie la fonction de comte dans la cité d'Auvergne[45]. Dans la langue officielle de la chancellerie mérovingienne, la dignité de comte s'appelle comitatus ou comitiva, et l'exercice de cette fonction s'appelle actio comitivæ[46].

Pour savoir exactement quelle idée le mot comes, que l'on traduit par comte, éveillait dans l'esprit des hommes, nous devons nous rappeler que ce mot tout romain signifiait un compagnon, un suivant, un homme qui fait cortège[47]. Sous l'Empire, il s'était appliqué d'une façon toute spéciale aux compagnons du prince, comites principis, et dans un temps où le service du prince anoblissait, il était devenu un litre de dignité[48]. Cette institution romaine des comites avait été se développant. Au cinquième siècle, il y avait des comites qui exerçaient dans le palais les plus hautes fonctions de l'empire[49] ; d'autres comites formaient le conseil du prince[50] ; et d'autres encore étaient envoyés dans les provinces pour les gouverner[51]. — Sous les rois francs, le mot comes conserva la même signification ; au sens propre, un comes était un compagnon du roi, un homme de sa suite, un serviteur de haut rang parmi ses serviteurs ; et la comitiva était une dignité du palais que le roi conférait à qui il voulait. Il y avait des comtes qui n'exerçaient pas de fonctions et qui, vivant auprès du roi, attendaient ses ordres et exécutaient ses missions[52]. D'autres occupaient les hauts emplois, tels que ceux de comes palatii ou comes stabuli. D'autres enfin étaient envoyés dans les cités pour les régir. Mais il faut bien entendre qu'ils n'étaient pas proprement comtes d'une cité ; ils étaient comtes ou compagnons du roi dans une cité. L'expression comes Turonicus ne signifiait pas comte de Tours, mais comte du roi délégué pour administrer la Touraine. C'est plus tard que le mot comte a pris une autre signification.

Un terme de la langue germanique remplace quelquefois le mot latin comes et le traduit : c'est graf ou grafio[53]. Si l'étymologie du mot comes est certaine, celle du mot graf l'est beaucoup moins. Pourtant les philologues et les érudits qui ont fait des recherches sur ce sujet sont d'accord pour dire qu'il n'est autre que le terme germanique gerefa, qui signifie un homme de la suite, un suivant, un compagnon[54]. Il aurait signifié d'abord un serviteur libre, et ne serait devenu que plus tard le nom d'une dignité. Ainsi les termes comes et graf auraient eu la même histoire. L'idée qui s'y est appliquée d'abord est celle d'attache à un maître ; puis, comme ce maître était le prince, l'idée de commandement par délégation s'y est jointe, et à la fin l'idée d'autorité a prévalu.

Les deux termes étaient synonymes dans la langue de l'époque que nous étudions. Un ancien capitulaire ajouté à la Loi salique les emploie tous les deux à côté l'un de l'autre et comme équivalents[55]. De même dans la Loi ripuaire, si l'on rapproche les titres 51, 55 et 84, on voit que les trois termes judex, comes, graf désignent le même personnage[56]. Dans une formule, le même homme est qualifié, à quelques lignes de distance, comes et graf[57]. Dans la Vie d'Éligius le même Garifredus est nommé successivement comes et grafio[58] ; et Paul Diacre nous dit que les Bavarois appellent grafio ce que, lui, il appelle comes[59]. Que l'on observe les diplômes où le mot grafiones se rencontre, il y tient la place qui est occupée dans d'autres diplômes analogues par le mot comites, et il désigne des gouverneurs de provinces ou de hauts fonctionnaires du Palais[60]. Il est bon d'ajouter que le grafio comme le comte avait le titre de vir inluster[61]. Comtes et grafs sont donc les mêmes personnages ; les deux mots ont le même sens, et c'est même le premier des deux qui est le plus employé par les rois ; il est, au moins pendant cent cinquante ans, le terme officiel de la chancellerie mérovingienne. C'est comes et non pas graf que l'on trouve dans tous les diplômes royaux jusqu'au milieu du septième siècle, et, même après cette date, c'est encore comes qui est de beaucoup le plus employé[62]. C'est le même terme qui se trouve dans les chartes privées, dans les actes de jugement. Les formulaires, non seulement ceux d'Anjou et de Tours, mais même celui de Marculfe et le recueil de Sens ne connaissent que le terme de comes. En tout cas, les deux termes sont visiblement synonymes. Le graf n'est autre que le comte. Il est par conséquent l'administrateur de toute une cité. Les érudits qui l'ont représenté comme un simple chef de village, ont émis une opinion qu'aucun texte ne justifie[63].

Quelques-uns croient volontiers que les comtes mérovingiens sont la continuation des grafen de la vieille Germanie. Mais pour que cette théorie fût vraie, il faudrait qu'on pût montrer qu'il existait des grafen chez les anciens Germains. Réussirait-on à l'établir, il resterait encore à prouver qu'ils avaient le caractère d'administrateurs, royaux, comme l'ont les grafiones de la Loi salique et les comites mérovingiens.

Les comtes ou grafs mérovingiens ne sont jamais des chefs héréditaires. Ils n'appartiennent pas nécessairement à des familles nobles. Presque jamais ils ne sont nés dans le pays qu'ils administrent.

Ils ne sont pas des chefs élus par les populations. Il n'y a pas un seul texte, parmi tant de documents, qui leur attribue un semblable caractère, à aucune époque, ni dans aucune région du royaume franc. La Loi salique elle-même nous présente le graf comme un fonctionnaire royal[64].

Les comtes ou grafs sont toujours nommés par le roi ; ils ne tiennent, leur dignité que de la seule volonté du prince. La population de la cité n'intervient de nulle manière dans le choix de son administrateur. Ce choix se fait toujours dans le Palais[65].

Chaque comte est établi en vertu d'un diplôme royal. L'usage des diplômes de nomination pour chaque fonctionnaire ne vient pas, visiblement, de la Germanie ; mais il s'était établi sous l'Empire[66], et il se continua dans la chancellerie mérovingienne. Ces diplômes s'appelaient des præcepta[67]. Nous avons la formule du diplôme qui était remis au nouveau comte. Elle commence ainsi : La bonté royale mérite surtout des éloges lorsqu'elle sait choisir entre tous les sujets ceux que distinguent leur mérite et leur vigilance. Nous ne devons confier les fonctions publiques qu'à ceux dont la fidélité et le zèle sont éprouvés. Ayant donc une connaissance certaine de ta fidélité et de ton utilité à nous servir, nous le confions la fonction de comte que gérait un tel, ton prédécesseur, dans tel pays[68]. On reconnaît dans ces lignes le style de l'ancienne chancellerie impériale ; c'est à peu près celui des nombreux diplômes dont Cassiodore nous a conservé le libellé. On y reconnaît surtout que la nomination du comte n'a  dépendu que de la volonté du roi et que le roi l'a choisi sans avoir eu à consulter personne ; aussi ne l'a-t-il choisi que pour sa fidélité et son utilité à son service.

La plupart du temps le roi choisit les comtes des cités parmi, les courtisans qui l'entourent. Cette fonction forme en effet l'un des degrés de la carrière palatine. On commence par être échanson, puis on devient référendaire, puis on est envoyé comme comte dans une cité. La plupart des comtes parlent du Palais[69].

Toutefois le roi peut choisir un homme de la province, de la cité même qu'il s'agit de régir. Aucune règle ne limite le choix du roi. Il n'est nullement tenu de prendre le comte parmi les hommes de race franque ou germanique. Il ne faut pas que l'imagination se figure les chefs de guerriers francs se partageant les comtés ; les exemples abondent de comtes qui ne sont pas des guerriers et qui sont de race romaine[70].

Il n'est pas tenu de le prendre dans certaines classes sociales ; nulle condition de naissance n'est imposée. Il peut prendre un comte parmi ses affranchis, parmi ses anciens esclaves. Cela est tellement dans son droit, que la Loi ripuaire signale ce cas comme s'il était tout naturel et assez fréquent[71]. Grégoire de Tours en donne un exemple frappant : Un certain Leudaste, né esclave sur un domaine du roi, attaché aux cuisines royales, plusieurs fois fugitif, réussit à devenir chef des écuries de la reine et trouva moyen de s'enrichir dans cet emploi. À la mort de la reine, il donna force présents au roi pour obtenir le même emploi auprès de lui, et de comte de l'écurie il devint comte de la cité de Tours, où il se montra plus fier, plus hautain, et aussi plus rapace qu'aucun de ses prédécesseurs[72].

Le comte a un triple wergeld, c'est-à-dire que sa valeur d'homme est trois fois plus forte que celle des autres hommes. Ce privilège, il ne le doit pas à sa naissance, il ne le doit même pas à sa dignité d'administrateur, de fonctionnaire, d'homme au pouvoir ; il le doit uniquement à ce qu'il s'est placé sous la dépendance personnelle du roi. Comme tous ceux qui sont dans la truste royale, il acquiert par là une valeur triple de celle que lui donnait sa naissance[73].

Les qualificatifs honorifiques, très usités sous l'empire romain[74], subsistent sous les rois francs. Ils ne s'acquièrent pas par la naissance et ne sont pas héréditaires ; mais ils sont donnés à tous les fonctionnaires du prince et varient suivant les rangs. Les comtes ont celui d'homme illustre, illuster vir[75]. Les rois eux-mêmes, lorsqu'ils leur écrivent, les appellent des mois Magnitudo Tua, Tua Magnificentia ; c'est ainsi que les empereurs avaient parlé à leurs fonctionnaires.

Le comte n'est pas nommé à vie ; il est nommé pour un temps déterminé, peut-être pour une année. S'il veut se maintenir dans ses fonctions, ce qui est toujours possible, il faut qu'il obtienne du roi le renouvellement de sa nomination. Grégoire raconte l'histoire de Pæonius qui était comte d'Auxerre ; voulant faire renouveler ses pouvoirs, il envoya son fils, en lui confiant de nombreux présents à offrir au roi. Le fils offrit les présents, mais en son propre nom et, supplantant son père, obtint l'emploi pour lui-même[76]. Cette anecdote montre que les présents étaient fort appréciés à la cour des Mérovingiens ; les fonctions administratives étaient souvent données au plus offrant[77].

Les comtes, nommés par le roi, pouvaient être révoqués par lui. Il paraît par les récits de Grégoire de Tours que les destitutions n'étaient pas rares. Au siècle suivant, la Chronique de Frédégaire et la Vie de saint Léger nous les montrent plus fréquentes encore[78].

Qu'il y ait eu sous les rois francs une double série d'administrateurs à l'usage des deux races, qu'il y ait eu des chefs pour les Francs et des chefs pour les Romains, c'est ce qui ne se voit nulle part. Nous ne trouvons dans chaque cité qu'un seul comte, et ce comte commande à tous indistinctement. La formule même de nomination porte qu'il gouvernera au nom du roi les hommes de toute race, Francs, Burgundes, Romains, qui vivent dans sa circonscription[79]. Ainsi, un comte franc régit des Romains, et un comte romain régit des Francs. Le système d'administration n'est ni ethnographique ni personnel ; il est, comme sous l'Empire, purement territorial.

Cette même formule de nomination nous montre les attributions du comte. Son premier devoir, y est-il dit, est de garder envers le roi une fidélité, une obéissance inaltérables[80]. Il doit veiller ensuite à ce que toute la population de son ressort vive en paix sous son autorité. Conduis les hommes dans la voie droite, dit le roi, suivant leurs lois et coutumes ; sois le défenseur des veuves et des orphelins ; réprime sévèrement les larrons et malfaiteurs, afin que la population se tienne en ordre et en joie sous ton commandement[81]. Ces phrases pompeuses, qui viennent apparemment de l'Empire, signifient que le comte exerce la police et la justice dans le ressort qui lui est confié. Il est en même temps un collecteur d'impôts ; le diplôme ajoute : que tout ce qui est dû au fisc dans ta circonscription nous soit apporté chaque année par toi-même en personne et déposé dans notre trésor[82].

Les textes abondent où nous voyons l'autorité du comte s'exercer sous diverses formes. Ici il arrête les malfaiteurs, comme une loi précise le lui ordonne[83] ; là il exécute les jugements et procède aux saisies judiciaires[84]. Ailleurs il rend la justice soit à des Francs, soit à des Romains ; il prononce son arrêt, absout ou condamne, et quelquefois préside au supplice[85]. D'autres fois nous voyons le comte porter au roi le produit des impôts et des amendes[86]. Il joint même à toutes ces attributions celle de recruter les soldats de sa circonscription et de les commander ; nous le voyons souvent faire les levées sur l'ordre du roi, conduire les hommes à l'ennemi[87], ou, au retour de la campagne, punir ceux qui ont refusé de servir[88].

Il y a des formules et des diplômes d'une nature particulière qui nous donnent encore une idée des pouvoirs variés des comtes. Ce sont ceux où le roi, par un privilège spécial, soustrait une terre d'église à leur autorité. Il y énumère tout ce qu'il leur interdit : Vous n'entrerez pas dans ce domaine ; vous n'y jugerez pas les procès, vous n'y percevrez pas les amendes judiciaires, vous n'y lèverez aucun tribut, vous n'y ferez aucune réquisition, vous n'y prendrez ni le droit de gîte ni les fournitures à votre usage, vous n'y exercerez de contrainte à l'égard d'aucun homme, vous n'y exigerez pas le ban militaire[89]. On peut juger par les actes qui leur sont ainsi interdits sur quelques domaines immunistes, de tous ceux qu'ils avaient le droit et le devoir de faire dans tout le reste de leur ressort.

Une seule chose paraît avoir été mise en dehors de l'action des comtes, c'est l'administration du domaine royal. Elle était confiée à des agents spéciaux, dont nous parlerons ailleurs.

Sur les procédés administratifs des comtes mérovingiens nos renseignements n'abondent pas. Il en est deux toutefois qui se laissent voir dans nos textes. D'une part, le comte, ayant à régir toute une cité, devait se transporter de sa personne dans les divers cantons du territoire[90] ; dans ces tournées, il rendait la justice, et peut-être aussi il recevait les impôts. D'autre part, il convoquait les populations auprès de lui ; en quelque ressort qu'il se trouvât, il indiquait son plaid, placitum, et les hommes libres de cette circonscription devaient s'y rendre[91]. Les objets de ces réunions étaient fort divers. Quelquefois il s'agissait seulement de rendre la justice ; d'autres fois c'était une convocation militaire ; d'autres fois encore le comte réunissait la population pour lui notifier quelque volonté royale ou pour obliger chacun de ces hommes à prêter serment au nouveau roi. Dans ces réunions, ce n'étaient pas seulement les Francs, c'étaient tous les hommes libres sans distinction de race qui étaient convoqués et qui comparaissaient devant le fonctionnaire du roi[92].

Il n'y a pas d'indices que les comtes aient reçu un traitement de l'État. L'habitude romaine de rétribuer régulièrement les gouverneurs des provinces, pour ne leur laisser aucun prétexte d'exaction, paraît avoir disparu avec l'autorité impériale. Les rois francs, dans les premiers désordres, la laissèrent tomber, et plus tard ils ne purent pas la rétablir. Il appartenait donc au comte de trouver lui-même un bénéfice dans son administration. Plusieurs ressources s'offraient à lui pour entretenir sa nombreuse suite et pour s'enrichir. Il y a apparence que quelques domaines fiscaux étaient laissés à son usage. Ce qui est plus sûr, c'est qu'il gardait le tiers des amendes qu'il prononçait comme juge[93] ; or ces amendes devaient former un chiffre considérable, d'abord parce qu'elles remplaçaient presque toutes les autres peines, ensuite parce que la loi les fixait à un taux très élevé. On peut admettre, sans l'affirmer, qu'il avait aussi une part dans le produit des divers impôts de son comté. Il avait encore le droit de gîte chez l'habitant et il se faisait livrer des fournitures, paratæ, pour lui, pour toute sa suite, pour ses chevaux[94]. A cela il faut ajouter tous les profits injustes, mais à peu près légaux, qu'un fonctionnaire tout-puissant et mal contrôlé pouvait se permettre[95].

 

3° LES DUCS.

 

Nous avons parlé d'abord du comte, parce qu'il est le fonctionnaire le plus régulier, le fonctionnaire principal de l'administration mérovingienne. Ce comte peut d'ailleurs avoir d'autres fonctionnaires au-dessus de lui, comme il y en a qui lui sont subordonnés.

Au-dessus du comte sont ceux qu'on appelle ducs, duces ; leur nom est romain, et nous ne voyons dans aucun document qu'on leur ait donné un nom germanique. Il est vrai que, sous l'empire romain, les ducs étaient presque exclusivement des chefs militaires ; ils commandaient à des soldats, tout en administrant le territoire que leurs soldats occupaient. L'institution se continua sous les rois francs ; les premiers ducs que nous voyons chez les Mérovingiens sont aussi des chefs militaires[96]. Mais elle se modifia assez rapidement, et ils devinrent de bonne heure des gouverneurs de provinces. Déjà les Wisigoths avaient eu en Gaule des ducs de cette nature[97]. Nous en trouvons chez les Mérovingiens au sixième siècle[98]. Au septième, les ducs sont tellement analogues aux comtes, qu'il n'y a pour les uns et pour les autres qu'une seule formule de nomination, et que le même diplôme leur attribue à tous une autorité de même nature et de même étendue[99].

Dans la hiérarchie le titre de duc est supérieur à celui de comte[100]. Un duc gouverne en général plusieurs comtés. Grégoire de Tours mentionne un duc qui est à la tête des cités d'Auvergne, de Rodez et d'Uzès à la fois[101] ; un autre qui régit Tours et Poitiers[102]. Un troisième a sous ses ordres toutes les cités du sud de la Garonne[103]. Un quatrième est revêtu des pouvoirs de duc sur les cités d'Angers, de Rennes et plusieurs autres[104]. Un autre encore est duc de Champagne[105]. Nous voyons ailleurs un duc à qui le roi avait confié plusieurs cités entre la Seine et la Loire[106]. Un autre régissait toutes les populations entre les Alpes et le Jura[107].

Les ducs n'étaient donc pas rares ; mais il ne faudrait pas conclure de là que le royaume franc fût régulièrement divisé en duchés, comme la Gaule romaine l'avait été en provinces. On remarquera d'abord que les duchés mérovingiens, là où ils existent, ne correspondent pas aux provinciæ romaines. Puis on devra noter que ce qu'on appelait ducatus n'était pas une circonscription géographique ; c'était le nom d'une dignité ou d'une fonction[108]. Il y avait des ducs qui restaient dans le Palais auprès du roi[109], comme d'autres remplissaient des ambassades, commandaient des armées, ou administraient des provinces. Enfin, les fonctions de duc n'étaient ni permanentes ni générales pour tout le royaume. Beaucoup de comtes n'avaient pas de duc au-dessus d'eux et traitaient directement avec le roi[110]. Quand le roi nommait un duc, c'est qu'il avait une raison particulière de placer un homme au-dessus de plusieurs comtes et de grouper plusieurs cités sous un chef d'une grande autorité ; mais c'était une mesure transitoire. Quand cessait la raison qui avait fait établir le duc, le duc disparaissait et n'était pas remplacé. Quelquefois les comtes protestaient contre la nomination d'un duc au-dessus d'eux, et ils pouvaient obtenir son rappel[111].

Quelques hauts fonctionnaires, en Provence et en Burgundie, conservaient les titres tout romains de recteur ou de patrice. D'ailleurs leurs attributions ne différaient pas de celles des ducs ou des comtes[112].

Comtes, ducs, recteurs, patrices, tous ces personnages avaient, chacun dans son ressort, des pouvoirs semblables. La formule de nomination était la même pour tous et énumérait les mêmes fonctions. Patrices, ducs, comtes, tous réunissaient dans leurs mains l'autorité de l'administrateur, celle du juge, et celle du chef militaire[113].

 

4° LES VICARII, CENTENARII, ETC.

 

Au-dessous du comte et dans sa circonscription, nous trouvons des personnages qui sont revêtus d'une certaine autorité et qui portent les titres romains de vicarius, de tribunus, de centenarius. Ce sont des fonctionnaires subalternes. Le comte régit une très vaste cité et il y cumule des attributions qui dépassent visiblement les forces d'un seul homme. Il est naturel qu'il ait à ses ordres des agents, des aides, des collaborateurs.

Le vicarius est le lieutenant du comte et au besoin tient sa place. Il semble bien que dans toute cité importante il y ait eu un vicaire. A Tours, par exemple, le comte Eunomius avait pour vicaire un certain Injuriosus, lequel, suivant Grégoire, aurait servi ses intérêts jusqu'à commettre deux assassinats[114]. Plus tard, un autre comte de la même cité avait un vicaire nommé Animodus[115]. Il faut bien entendre que le mot vicarius signifiait vicaire du comte, et non pas vicaire du roi ; les textes ne permettent pas de s'y tromper[116]. Tantôt le vicaire se tient à côté du comte, et fait une partie de son travail ; nous le voyons, par exemple, être un de ses assesseurs dans un jugement et être chargé par son chef d'exécuter l'arrêt rendu[117]. Quelquefois il remplace le comte pour le jugement lui-même, et l'arrêt qu'il prononce a la même force que si le comte l'eût prononcé[118]. Tantôt nous le voyons hors de la présence du comte, et il administre séparément une partie du ressort ; le comte lui donne d'ailleurs ses instructions[119]. Dans un cas comme dans l'autre il est. un simple agent du comte[120]. Est-il nommé par le roi ? Nous en doutons beaucoup. Nous ne trouvons pas un seul exemple de cette nomination. Nous avons la formule de nomination des comtes, nous n'avons pas celle de la nomination des vicaires. Tout au contraire, un édit du roi Gontran implique que c'est le comte qui nomme son vicaire[121]. La manière dont le comte écrit à son subordonné montre dans quel état de dépendance il le tient : Aie bien soin qu'il n'y ait de ta part aucune négligence dans l'exécution de nos ordres et fais tous tes efforts pour mériter nos bonnes grâces[122]. Les rois s'occupent rarement des vicaires ; les vicaires ne figurent pas parmi les fonctionnaires auxquels les diplômes royaux sont adressés[123]. Sans aucun doute, ils sont des agents du pouvoir royal, mais ils le sont par l'intermédiaire du comte.

Il est difficile de savoir ce qu'était le personnage qualifié tribunus[124]. Ce terme, au temps de l'Empire, s'appliquait tantôt à des chefs de soldats, tantôt à des fonctionnaires de l'ordre civil[125]. Dans les textes mérovingiens, le tribun apparaît le plus souvent comme le chef d'une petite troupe de soldats ; il est chargé de maintenir l'ordre dans le pays ; à ce titre, il a la garde des prisons[126], et c'est lui qui exécute les sentences capitales[127]. D'autres fois, le tribunus a le caractère d'un administrateur civil, sans que nous apercevions nettement quelles sont ses attributions[128]. Il exécute les ordres du pouvoir ; au besoin, il se charge de la levée des impôts et en porte les produits au Palais[129].

Les centeniers ont eu plus d'importance et un plus long avenir ; mais leurs commencements sont fort obscurs[130]. A notre avis, le mot centenarius a désigné d'abord un grade, un rang dans la hiérarchie, comme le mot comes, avant d'être le nom d'un chef de territoire. Ce terme centenarius existait déjà dans la Gaule avant la chute de l'Empire. Végèce nous apprend qu'il avait remplacé dans l'armée celui de centurio, et il désignait par conséquent un chef d'une centaine d'hommes[131]. Or nous savons que les noms des grades militaires étaient souvent appliqués aux hommes du service civil, lequel était aussi une militia. Dès 315 nous trouvons des centenarii auprès des fonctionnaires impériaux ; ils paraissent être des agents secondaires ; une seule de leurs attributions est mentionnée, c'est celle de saisir les biens des débiteurs du fisc[132]. Nous retrouvons des centenarii sous les Mérovingiens, sans que nous puissions dire s'ils viennent de cette origine ou de quelque autre[133]. Leurs attributions sont assez indécises. Quelquefois le mot centenarius se rencontre comme un simple titre de dignité, sans qu'aucune fonction soit indiquée[134]. C'est ainsi que dans deux chartes nous trouvons la signature d'hommes qui sont qualifiés centeniers[135]. D'autres fois, nous voyons des centeniers qui sont chargés de la police d'un canton et dont la fonction principale est de poursuivre et d'arrêter les malfaiteurs[136]. Ailleurs on les voit exercer des fonctions de justice dans leur petit ressort. Ils paraissent être chargés aussi du soin de lever les impôts[137]. Enfin, mais un peu plus tard, ils paraissent être de véritables chefs de centaines territoriales, et chacun d'eux exerce dans sa petite circonscription des pouvoirs analogues à ceux du comte dans la cité[138].

Si, pour éclaircir ces obscurités par la méthode comparative, nous jetons les yeux sur les autres Etats contemporains de l'État Franc, nous voyons que le mot centenarius a désigné d'abord un grade militaire, et que ce centenier, chef de cent hommes en temps de guerre, rentré dans ses foyers est resté chef civil. Il est possible que les choses se soient passées de même dans l'État Franc[139].

A côté du centenarius nous rencontrons un personnage qui porte un nom d'apparence germanique : c'est le tunginus. Il paraît être fort semblable au centenier, et peut-être les deux ne sont-ils qu'un seul personnage[140]. Du reste on ne rencontre ce terme que dans un seul document, qui est la Loi salique. Il semble inconnu à tous les écrivains de l'époque mérovingienne. On ne le trouve pas dans les diplômes. S'il est d'origine germanique, il ne s'est pas conservé dans les dialectes allemands. Il paraît avoir été peu usité et a disparu de bonne heure.

Sur tous ces points nous restons dans une certaine réserve, et nous préférons le doute aux affirmations téméraires et systématiques de l'érudition allemande. Elle attribue aux Mérovingiens un système bien régulier de petites circonscriptions rurales. Nous ne voyons de bien régulier que la cité comme division administrative et le comte comme administrateur. Le reste est indécis dans les textes et l'était vraisemblablement dans la pratique[141]. Les vicaires, les tribuns, les centeniers n'ont probablement pas été institués par un acte de l'autorité publique. Ils se sont établis, ici ou là, suivant les besoins de chaque pays et suivant le goût de chaque comte. Ils sont insensiblement devenus des agents nécessaires, parce que le comte avait des occupations trop diverses. Il était trop souvent absent, puisqu'il devait se rendre auprès du roi, au printemps pour chaque campagne, à l'automne pour chaque conventus. Ainsi la situation de ces agents inférieurs, qu'aucune loi n'avait déterminée, se fixa, et leurs attributions s'étendirent ; mais tout cela n'acquit régularité et uniformité qu'au temps des Carolingiens[142].

Une opinion qu'il faut surtout écarter parce qu'elle est contraire aux textes, est que ces centenarii fussent des chefs, populaires[143]. Il n'y a pas un document, il n'y a pas un fait historique qui leur attribue ce caractère. Les centeniers, comme les vicaires, étaient des officiers de l'État, c'est-à-dire des membres d'une hiérarchie administrative qui n'avait qu'à exécuter les ordres du roi[144].

Ce n'était pourtant pas le roi qui nommait les centeniers. Ils n'étaient pas plus les élus du roi que les élus de la population. De même que le roi nommait le comte, le comte choisissait et nommait ses vicaires et ses centeniers. C'est ce qui est clairement indiqué dans un édit du roi Gontran ; il recommande aux comtes de bien choisir leurs vicaires et tous autres qu'ils envoient dans les différentes parties de la région qui leur est confiée[145]. Les centeniers ne sont jamais désignés comme chefs du peuple. On ne dit ni les centeniers du peuple, ni les centeniers du roi ; on dit les centeniers du comte[146]. On les appelle ses ministri, ses serviteurs, ou d'un terme plus usité en ce temps, ses juniores, ses inférieurs, ses subalternes[147].

Ainsi le roi gouverne le royaume par ses comtes, et chaque comte administre son ressort avec l'aide de vicaires et de centeniers. Le roi ne nomme que les ducs et les comtes. Les comtes cherchent et choisissent leurs agents inférieurs. Le roi se contente de rappeler parfois aux comtes qu'ils sont responsables de la conduite de leurs subordonnés.

 

5° PAS D'ASSEMBLÉES LOCALES.

 

Ducs et comtes du roi, vicaires et centeniers des comtes, tout cela formait un réseau de fonctionnaires publics qui couvrait tout le royaume. Le terme général dont on désignait les membres de cette hiérarchie était celui de judices. L'emploi de ce mot est très fréquent dans les textes mérovingiens, aussi bien chez les écrivains que dans les lois et les diplômes. Quand nous le rencontrons, nous ne devons pas croire qu'il s'agisse seulement d'un magistrat de l'ordre judiciaire, encore moins d'un simple particulier qui serait revêtu momentanément du droit de juger. La signification du mot dans ces centaines d'exemples est toujours la même : il désigne un fonctionnaire de l'État[148]. Dans les derniers siècles de l'empire romain, le mot était appliqué aux gouverneurs de provinces[149] ; il conserve le même sens sous les Francs, et s'applique aux ducs, aux comtes, puis par extension aux vicaires et aux centeniers[150]. Les hommes étaient habitués depuis longtemps à cette expression. Elle désignait pour eux l'homme qui, outre l'autorité judiciaire, exerçait tous les pouvoirs. C'est ainsi que les mots judiciaria potestas, dans la langue du temps, signifiait toute fonction publique, et en particulier celle du comte[151].

Au mot judex on ajoutait souvent l'épithète publicus ; ce second terme signifie proprement de l'État, et, comme l'État et le roi se confondent, il signifie du roi. Cette expression judex publicus existait déjà sous l'Empire pour désigner le fonctionnaire impérial, le gouverneur de province[152]. Les rois francs la prirent pour désigner leurs fonctionnaires[153]. L'emploi de l'épithète publicus devint plus nécessaire à mesure qu'il a existé d'autres agents et d'autres juges que ceux du roi, c'est-à-dire des juges privés, judices privati, et des juges d'Église, judices ecclesiastici[154].

Quelquefois l'adjectif publicus est remplacé par fiscalis, et l'homme qu'on appelle judex fiscalis est le fonctionnaire royal par excellence, c'est-à-dire le comte[155]. C'est que, comme on ne connaît pas d'autre fisc que celui du roi, le mot fiscalis a pris le sens de royal[156].

Ces mêmes fonctionnaires sont souvent appelés par les rois dans leurs diplômes agentes nostri, nos agents[157]. De même que les évêques et les grands propriétaires ont leurs agents pour administrer leurs domaines et gouverner le nombreux personnel qui les habite[158], de même le roi a ses agents pour régir les différentes parties de son royaume. Comme ces hommes sont des agentes, leur fonction s'appelle actio[159].

Tous ces personnages, depuis le duc jusqu'au centenier, étaient les représentants de l'autorité royale, et leur mission était de la rendre partout présente. Ils étaient les instruments du roi, les exécuteurs de toutes ses volontés, les collecteurs de ses impôts et de ses amendes, les organes de sa justice, les chefs de ses soldats. Je ne sais si dans la pratique leur obéissance à ses ordres était parfaite ; mais en principe ce devoir d'obéissance était absolu[160]. On peut voir comme les rois leur parlent d'un ton de maître. Si l'un de nos fonctionnaires, dit Childebert Ier, ose s'écarter de notre présent décret, qu'il sache bien qu'il court péril de mort[161]. Gontran, s'adressant à ses ducs, leur dit : Si vous dédaignez mes ordres, la hache fera tomber votre tête[162]. Chilpéric, en envoyant ses instructions à ses comtes, les faisait suivre de cette menace : Si quelqu'un de vous néglige d'exécuter mes ordres, il aura les yeux crevés[163]. Les fonctionnaires qui agiront mal, dit encore Gontran, seront rigoureusement punis par nous[164]. Et au siècle suivant, le biographe de saint Léger nous dit que le roi envoyait ses ordres aux comtes, et ceux qui n'obéissaient pas étaient privés de leurs fonctions, quelquefois même punis de mort[165].

Outre les fonctionnaires à poste fixe, les rois francs avaient des envoyés qui parcouraient les provinces. L'institution des missi, que Charlemagne a régularisée, n'était pas inconnue des Mérovingiens. Les documents signalent des envoyés, qu'ils appellent missi regales, missi de latere régis, missi de palatio, missi discurrentes[166]. Ils ne ressemblent pas tout à fait à ceux qu'on verra sous les Carolingiens ; ils ne partent pas du Palais chaque année à époque fixe pour inspecter toutes les provinces. L'institution est encore indécise, flottante, intermittente. Le missus mérovingien n'est délégué qu'en cas de besoin et pour un objet spécial. Tantôt il s'agit de réprimer une émeute[167] ou d'arrêter un personnage puissant[168]. Tantôt il s'agit simplement de faire prêter par la population le serment dû au nouveau roi[169]. Quelquefois c'est une décision judiciaire que le roi n'a pas pu rendre en personne et pour laquelle il s'est fait représenter[170]. Il peut arriver aussi que le roi ait reçu des plaintes contre un comte ; il envoie un délégué pour s'assurer des faits et destituer le fonctionnaire[171]. Dans ces divers cas, le représentant du roi était armé de pouvoirs illimités.

A côté de ces agents royaux de tout rang et de toute nature, les documents ne mentionnent jamais d'assemblées délibérantes. De même qu'il n'y a pas d'assemblée générale qui représente le peuple du royaume, il n'y a pas non plus d'assemblées provinciales où la population discute ses intérêts locaux. On aperçoit bien que le comte dans sa circonscription avait à ménageries grands, les riches, et surtout l'évêque ; il était inévitable qu'il s'entourât d'eux et qu'il les consultât ; mais ce qu'on n'aperçoit jamais, c'est qu'il y eût en face de lui une assemblée régulièrement constituée pour l'aider à administrer ou pour contrôler ses actes. Il n'y a plus trace de ces assemblées provinciales que les derniers empereurs avaient essayé de raviver et qui déjà disparaissaient d'elles-mêmes sans que les Francs eussent besoin de les supprimer. Dans les cités mêmes, nous ne trouvons pas d'assemblées municipales délibérant sur les affaires publiques. Les curies d'autrefois existent encore, avec leurs honorati, leurs defensores, mais elles n'ont guère d'autres attributions légales que celle de recevoir les actes des particuliers et de les enregistrer[172]. Quant à des assemblées d'hommes de race franque, les documents n'en montrent aucune.

Quelques érudits modernes ont voulu qu'il y ait eu au moins des assemblées de canton ou de centaine se réunissant sous la présidence du centenier[173]. C'est une assertion qu'on a souvent répétée, mais dont on n'a apporté aucune preuve. Il n'y a pas un texte, pas un fait, pas une anecdote qui l'appuie. De ce que nous voyons fréquemment le comte, parcourant son ressort, convoquer la population et l'obliger à se grouper autour de lui, il ne faut pas conclure qu'il y ait là une assemblée qui délibère. C'est qu'il s'agit ou bien de réunir les hommes valides pour une expédition militaire ordonnée par le roi, ou bien de donner lecture aux habitants d'une loi nouvelle en exigeant leur assentiment, ou bien encore de notifier aux hommes l'avènement d'un nouveau roi et de les obliger à lui prêter serment. Ces réunions, que le comte convoque quand il veut et où il veut, ne ressemblent pas à ce que seraient des assemblées délibérantes. Jamais nous ne voyons qu'on y discute, qu'on y vole. La population est là pour entendre le comte, pour recevoir ses ordres ou ceux du roi[174].

Pour affirmer, comme, on l'a fait, qu'il y eût des assemblées de centaine, il faudrait en trouver au moins une qui se réunît à jour fixe et de son plein droit, qui délibérât sur quelque objet, qui émît un avis, qui imposât au comte ou au centenier quelque volonté. Ni les lois, ni les chartes, ni les nombreuses biographies du temps ne mentionnent cela une seule fois. Le mot malus, que l'on rencontre dans les documents, a prêté à toutes les théories par la manière arbitraire dont on l'a traduit. Il suffisait d'observer tous les passages où il se trouve pour reconnaître qu'il n'a pas une seule fois le sens d'assemblée politique.

Le fonctionnaire royal n'avait donc à côté de lui aucun pouvoir légal, et il ne voyait au-dessus de lui que le roi. S'il commettait un abus de pouvoir, le roi seul pouvait le réprimer ou le punir. Aussi voyons-nous par les récits du temps qu'en cas d'oppression ou de malversation les hommes n'ont d'autre ressource que de s'adresser au roi[175]. Le duc, le comte, le missus ne sont responsables qu'au roi ; le vicaire et le centenier ne le sont qu'au comte. Qu'on regarde comment agissent la plupart des comtes dont Grégoire de Tours rapporte la conduite ; il est visible qu'ils jugent à leur guise, bien ou mal suivant leur conscience[176], qu'ils prononcent les amendes qu'ils veulent, qu'ils confisquent pour l'État ou pour eux-mêmes les terres qu'il leur convient de confisquer[177], qu'ils exigent les impôts à leur gré et qu'ils font les levées de soldats comme ils veulent. Jamais la population n'est consultée ni n'intervient d'aucune façon. Comme le roi est un souverain absolu dans le royaume, ainsi le duc, le comte, le vicaire, le centenier sont armés d'une autorité qui n'a pas de limites légales.

Mais cette autorité, ils la tiennent du roi. Ils ne l'exercent qu'à titre d'agents et de mandataires. Le lien qui les rattache au roi est le même qui rattachait les præsides romains au pouvoir central. Les ducs et comtes mérovingiens ne sont pas des vassaux, ils sont des fonctionnaires. Il n'y a encore en eux rien de féodal.

 

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Il n'est pas inutile d'observer que le système d'administration a été le même, à peu de différences près, dans les divers royaumes germaniques qui ont pris la place de l'empire romain. Rien ne serait plus faux que de s'imaginer que l'Etat Franc ait été seul de son espèce et ait eu un organisme tout à fait à part[178].

Chez les Burgundes, la division administrative est en civitates ou pagi, et chacune de ces circonscriptions est régie par un comte[179], lequel peut indifféremment être un Romain ou un Burgunde. Il exerce dans sa cité tous les pouvoirs, y compris le pouvoir judiciaire[180].

En Italie, les rois ostrogoths n'ont pas touché à la division en provinces et en cités. La province est gouvernée par un fonctionnaire qui porte quelquefois le titre de duc, quelquefois celui de recteur, correcteur, ou consularis, comme au temps de l'Empire[181]. La cité est administrée par un autre fonctionnaire royal, qui s'appelle comes. Nous avons la formule du diplôme que le roi lui remet en le nommant[182]. Cette formule, sauf la prolixité, ressemble pour le fond à la formule mérovingienne. Nous y voyons que le comte est un juge de la population[183], et qu'il en est aussi, sauf exceptions, le chef militaire[184]. Nous y notons surtout, comme en Gaule, que son premier devoir est d'exécuter tous les ordres du roi[185]. Quant à la population, elle n'a qu'à obéir au chef que le roi lui envoie[186]. Il n'y a encore ni vicaires du comte ni centeniers, pas plus qu'on n'en voit en Gaule à la même époque.

Le royaume des Wisigoths se partage aussi en provincial et en civitates ; ces provinces et ces cités sont, à très peu de chose près, les mêmes qu'au temps de l'Empire. La province est régie par un duc, la cité par un comte[187]. Ce duc et ce comte sont des fonctionnaires que le roi nomme, que le roi peut révoquer et punir. Il n'est question ni de chefs élus par la population ni d'assemblées locales. Dans le code des Wisigoths, qui est du septième siècle, nous trouvons toute une hiérarchie d'agents inférieurs qui portent les noms de tiuphadi, vicarii comitis, centenarii[188]. Tous ces subordonnés du comte ont pour principale attribution la justice ; tous aussi sont des chefs militaires ; ils font la levée des soldais et les conduisent à l'ennemi[189]. On remarque un article de loi qui décide que les fonctionnaires de tout degré, ducs, comtes, vicaires, centeniers, ont droit au titre de judices[190].

Les Lombards eux-mêmes n'ont pas apporté en Italie un régime tellement nouveau qu'ils n'aient conservé le système administratif établi. Chez eux la province est gouvernée par un duc ; la cité est régie par un personnage dont les lois lombardes parlent souvent, et qu'elles appellent judex plutôt que comes[191]. Judex est le nom dont la langue de toute l'Europe occidentale à cette époque appelle le fonctionnaire royal[192]. Ces judices des Lombards sont, en effet, des administrateurs des cités et même des chefs militaires en même temps qu'ils sont des juges[193]. Il est visible d'ailleurs qu'ils sont des agents royaux ; nommés par le roi[194], ils peuvent être révoqués par lui[195]. D'assemblées locales il n'y a aucune trace, pas plus pour la population lombarde que pour la population italienne. En résumé, chez les Burgundes, chez les Goths, chez les Lombards, aussi bien que chez les Francs, toute l'administration était dans les mains des agents du prince.

 

 

 



[1] Notitia dignitatum et administrationum imperii, édit. Bœcking, 1853 ; édit. Seeck, 1876. — Notitia provinciarum vel civitatum Galliæ, dans Bouquet, I, 122, et II, 8. — Voyez Longnon, Géographie de la Gaule au sixième siècle, p. 2, et Brambach, Notitia prov. et civit. Galliæ, 1868.

[2] La Gaule avait ses pagi avant la conquête romaine ; César, De bello gall., I, 12 ; I, 27 ; VI, 11.— Pline cite quelques pagi gaulois au temps de l'empire, Hist. nat., III, 17 ; V, 17 ; XI, 42. — Les inscriptions en mentionnent plusieurs. Ausone, Lettres, XXIII, v. 95 : Totque mea in Novero sibi proxima prædia pago. — Voyez Longnon, p. 26, et Deloche, Étude sur la géographie historique de la Gaule, dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, Savants étrangers, t. IV, p. 375-380.

[3] Grégoire, IV, 48 : Theodebertus Lemovicinum, Cadurcinum, vel reliquas illorum provincias pervadit.

[4] Grégoire, VII, 6 : ut, me a regno depulso, civitates meas inier se dividerent.

[5] Grégoire, LX, 20 : Dabo Chlotario duas aut tres civitates. Notez qu'ici Grégoire rapporte des paroles qui lui ont été dites à lui-même par le roi Gontran. — Pour marquer les territoires qui appartiennent à tel ou tel roi, Grégoire dit toujours civitates : VI, 12 : cunctas civitates quæ in parte illa ad regem Guntchramnum aspiciebant ; VII, 7 : exigentes sacramenta per civitates quæ ad Chilpericum adspexerant.

[6] Grégoire, IX, 20 : tertiam portionem de Parisiensi civitate cum terminis populo suo.... Civitates Meldis et duas partes de Silvanectis ; Turonis, Pictavis, Abrincatas, Vico Julii, Consorannis, Lapurdo et Albige... De civitatibus vero Burdegala, Lemovica, Cadurcus, Benarno et Begorra...

[7] L'empire romain avait déjà vu, au troisième et au quatrième siècle, cette tendance de villes devenues importantes à se détacher des anciennes cités et à former des cités séparées. C'est pour cela que le nombre des civitales gauloises s'était élevé, sous l'Empire, de 80 à 102. Le même mouvement se continua sous les rois francs, mais sans altérer l'ensemble du système.

[8] Dans la langue de l'époque mérovingienne, la civitas est quelquefois désignée par les mots territorium ou terminus. Grégoire de Tours dit territorium Tricassinum, territorium Augustodunense, urbis Cenomannis territorium. Il dit aussi : terminus Turonicus, terminus Pictavus, terminus Lemovicinus. — L'évêque Bertramn, dans son testament, emploie le mot territorium : territorium Burdegalense, territorium Cenomannicum. — Tous ces termes sont synonymes ; cependant celui de civitas reste longtemps le terme officiel. — Déjà aussi on se sert de termes qui sont devenus les noms de nos provinces ; on dit Lemovicinum, le Limousin (Grégoire, VII, 10) ; Tolosanum, le pays de Toulouse (VIII, 59) ; Turonicum, la Touraine (VI, 31) ; Pictavum, le Poitou (X, 21).

[9] Il a visiblement le sens de fraction de cité dans les exemples suivants. Grégoire, De gloria confess., 1 : Nobiliacensis pagus urbis Turonicæ. — Hist., IX, 19 : Vosagensem territorii Biturigi pagum. — De gloria martyrum, I, 48 : Brivatensis pagi in Arverno territorio. — Mirac. S. Martini, II, 48 : pagus Carnotensis qui in Andegavo territorio habetur. — Ibidem, II, 13 : Ex Turonica civitate de pago traits Ligerim. — Grégoire mentionne aussi d'autres petits pagi, le pagus Berravensis (Hist., VI, 12) ; le pagus Iciodorensis, qu'il appelle aussi vicus (comparez Hist., VI, 12, et De gloria confess., 50) ; le pagus Balbiacensis (Mirac. S. Martini, II, 16) ; le pagus Lipidiacensis (Vitæ Patrum, XIII, 3).

[10] Grégoire, VI, 54 : Chilperico egresso de Parisius ut in pago Suessionico accederet. — Ibidem, VIII, 50 in fine : ex pago Tholosano maximam partem depopulatus est. — Vitæ Patrum, IV, 2 : pagus Remensis. — Mirac. S. Martini, IV, 26 : pagus Pictavensis. — De gloria confess., 17 : pagus Turonicus. — Hist., V, 49 (50) : in pago Tornacensi. — Notons que dans la langue mérovingienne le mot pagus devient un terme assez vague ; il prend toutes les acceptions diverses que nous donnons aujourd'hui au mot pays. Il se dit d'un village, il se dit d'une province. Quelquefois même Grégoire l'emploie dans le sens de la campagne par opposition à la ville ; exemples : Hist., V, 14 et VIII, 18. Même sens dans quelques diplômes, Pardessus n° 247.

[11] Pardessus n° 257 : in pago Kalense ; c'est le canton de Chelles. — N° 177 : in pago Alavodiense. — N° 514 : in pago Amavorum. N° 540 : in pago Bedense. — N° 256 : pagus Latiscencis.

[12] Pardessus n° 177 : in pago Arvernico, in pago Lemovico, in pago Miglidunense. — N° 196 : in pago Lugdunense. — N° 256 : in pago Lingonico. — N° 273 : pagus Autissiodorensis, pagus Tricassinus, pagus Betoricus. — N° 257 : in pago Parisiaco.

[13] Formulæ Arvernenses, n° 6 : in pago Arvernico, in vico illo.

[14] Formulæ Bituricenses, n° 7 et 15 : in pago Biturico, in vicarias illas. La plupart du temps, les formules disent seulement : in pago illo, dans tel pagus ; c'est au rédacteur de l'acte à mettre le nom.

[15] Pardessus n° 103 : in pagis Lugdunensi, Viennensi, Gratianopolitano, Genevensi. — N° 117 et 155 : in pago Cenomannico. — N° 162 : In pago Milidunense. — N° 259 : in pago Pictavensi, in Turonico pago. — N° 265 : in pago Biturico. — N° 268 : in pago Stampensi (Etampes était devenu le chef-lieu d'un comté). — N° 269 : in pago Parisiaco. — N° 271 : in pago Aurelianensi. — N° 284 : in pago Belvacensi. — N° 289 : in pago Turonensi. — N° 291 : in pago Parisiaco. — N° 516 : in pago Remense. — N° 556 : in pago Ambianense, in pago Atrebatense. — Toutefois comme il n'y a rien d'absolu, nous trouvons dans un diplôme de 665 le pagus Etariacensis qui n'est qu'une fraction de la cité de Langres (Pardessus, n° 544, t. II, p. 152). Un diplôme, n° 285, mentionne aussi le pagus Velcassinus.

[16] Ce qui a fait que le mot pagus s'est substitué à civitas, c'est que ce dernier terme a pris à cette époque une signification plus restreinte : l'usage l'a appliqué, non plus à l'ensemble du territoire, mais à la ville cheflieu. Exemples : Diplomata, Pardessus n° 247 : neque intra civitatem Parisius neque ad foras in ipso pago. — Formulæ Senonicæ, 16 : tam infra civitatem quant et a foris in ipso pago. — Civitas a le sens de urbs dans le testament de Bertramn (Diplomata, Pardessus, t. I, p. 200, 204, 207). Notons toutefois que le mot ne s'applique qu'aux villes qui sont chefs-lieux de cités. — Marculfe, II, 20 : infra muros civitatis illius. — II y a tant de désordre dans cette langue mérovingienne que urbs est quelquefois employé avec le sens de civitas, même par Grégoire de Tours, De gloria confess., 7 : Nobiliacensis pagus urbis Turonicæ. — Ibidem, 22 : ad castrum Cainonense (Chinon) urbis Turonicæ.

[17] Formules de Marculfe, I, 8 : Ideo tibi actionem comitiæ... in pago illo quem antecessor tuus visus est egisse, tibi commisimus. — Dans la formule tam in pago quant in palatio, que nous trouvons dans Marculfe, præfatio, dans le formulaire d'Anjou, n° 52, et dans le formulaire de Sens, n° 15, in pago signifie in comitatu, dans le ressort du comte, et comme le ressort du comte est la même chose que l'ancienne civitas, ainsi que nous le verrons, in pago est synonyme de in civitate. — Avec les habitudes de redondance du style mérovingien, nous trouvons fréquemment l'expression pagos vel civitates. Frédégaire, Chron., 24 : Bertoaldum per pagos et civitates fiscum in quirendum dirigunt. — Supplem. ad Marculfum, Zeumer, p. 112 : In nullis civitatibus aut pagis. De même Frédégaire dit, ch. 57 : pagum Tolosanum, Cathorcinum, Agennensem, Santonicum ; chacun de ces pagi est une civitas.

[18] Formulæ Turonenses, n° 1B : in pago illo, in condita illa. N° 4 : villa juris mei nuncupante illa, sitam in pago illo, in condita illa. N° 5 : rem proprietatis meæ sitam in pago illo, in condita illa, in loco nuncupante illo. De même dans les n° 6, 7 et 57. — Formulæ Andegavenses, n° 38 : vicinos circa manentes de ipsa condita. — Cf. Formulæ Lindenbrogianæ, n° 26, Rozière n° 520 : res nostras quæ sunt in pago illo, in condita illa, in loco qui vocatur sic. — Ibidem, n° 25, Rozière n° 541 : in pago illo, in conditas et fines illas. — Une charte de 718, relative au Cotentin, porte : in pago Constantino, in condeda Quasnacense (Pardessus, t. II, p. 450).

[19] M. Sohm pense que la condita est d'origine celtique, et qu'elle est analogue à la centena (Reichs und Gerichts Verfassung, p. 196).

[20] Cette vieille division du pagus en conditæ s'est conservée quelque temps dans l'ouest de la Gaule ; on la retrouve dans le pays du Mans, où un canton s'appelle condita Diablintica, aujourd'hui Jublains (Vita Dumnoli, c. 8, Bollandistes, 16 mai ; cette Vie paraît avoir été écrite au commencement du septième siècle) ; on connaît encore la condita Sagonnensis (Vita Rigomeri, c. 4, Bollandistes, 24 août) et la condita Noviacensis, toutes deux dans le diocèse du Mans (Gesta Aldrici, c. 56). La condita se rencontre aussi en Bretagne (voyez Courson, Cartulaire de Redon, p. 644, 687, 688), et dans le Cotentin (Pardessus, Diplomata, t. II, p. 450). On peut voir aussi dans un acte de 774 la condita Labrocensis et la condita Siliacensis, toutes les deux dans le pays du Mans (Sickel, Regesta Caroli, n° 22).

[21] La première formule où je trouve in pago illo, in centena illa, est dans le recueil des Bignonianæ, n° 29 ; mais ce recueil n'est que du huitième siècle (voyez Zeumer, p. 227-228). Puis l'expression se trouve dans les Merkelianæ, n° 1, 2, 5, 5, 6, etc. ; mais ce recueil est d'époque carolingienne. — Il est possible que les centaines se soient formées peu à peu au septième et surtout au huitième siècle. Elles ne sont, en tout cas, mentionnées ni dans les formules d'Anjou, ni dans celles de Tours, ni dans celles de Bourges, ni dans celles de Sens, ni dans le recueil de Marculfe. On trouve la mention d'une centaine dans la Chroniqne de Fontenelle.

[22] La centena n'est mentionnée que dans la lex Alamannorum, 56. Or cette loi n'est pas antérieure au septième siècle.

[23] L'édit de Clotaire, probablement Clotaire 1er, se trouve dans le recueil de Borétius, p. 5, à la suite d'un édit commun à Childebert et à Clotaire. — La Childeberti decretio est dans le même recueil, p. 15-17.

[24] Decretum est ut qui (quia ?) ad vigilias constitutas nocturnas fures non caperent, eo quod per diversa intercedente conludio scelera sua prætermissas custodias exercerent, centenas fierent.

[25] Dans le passage ci-dessus, il est visible que centenæ fierent s'oppose aux vigiliæ nocturnæ qui ont été établies antérieurement. Le roi dit que les vigiliæ nocturnæ n'ont rien produit de bon, et c'est pour cela qu'il décrète la formation de centenæ, decretum est ut centenæ fierent. A une mesure de police reconnue insuffisante, il substitue une autre mesure de police.

[26] Telle est aussi l'opinion de Guérard, Essai sur le système des divisions territoriales, p. 54-57, et Prolégomènes au Polyptyque d'Irminon, p. 43-44. De même Alfred Jacobs, Géographie de Grégoire de Tours, ch. 10.

[27] M. Sohm pense autrement, Reichs und Gerichts Verfassung, p. 6-7, 74, 192, 196. Suivant lui, la centena, comme division administrative et judiciaire, serait aussi ancienne que l'Etat Franc. Il fonde son opinion, non sur des textes, mais sur un raisonnement. Trouvant dans la Loi salique le mot centenarius, il dit qu'en bonne logique centena précède centenarius, et qu'il devait exister des centaines territoriales puisqu'il y avait des centeniers. Le raisonnement a une apparence de justesse qui trompe d'abord. Il est clair que, philologiquement, le mot centena a dû précéder le mot centenarius ; mais, historiquement, ce n'est pas la même chose. Il n'est nullement certain que centenarius signifie le chef d'une localité appelée centena. Ce terme était le nom d'un grade, d'une dignité ; il est analogue à centurio, qu'on trouve quelquefois employé à sa place (Lex Baiuwariorum, II, 5). Les riches propriétaires avaient des centenarii, qui commandaient chacun à une centaine de serviteurs (Vita Germani Grandivallensis, c. 10, Mabillon, Acta SS., II, 515). Les rois ont pu avoir des centenarii et des decani sans que le territoire fût pour cela divisé en centaines et en dizaines. De même il y a eu des comtes bien avant qu'il y eût des comtés. Les comites existent dès l'origine de l'État Franc, et le comitatus n'apparaît comme division territoriale qu'au huitième siècle. C'est le comte qui a fait le comté ; c'est peut-être le centenarius qui a fait la centaine. Le raisonnement de M. Sohm n'a donc aucune justesse. Nous pensons d'ailleurs que dans la science historique c'est sur des textes et non sur des raisonnements qu'on doit s'appuyer. — Ce que nous disons de la centena peut se dire aussi de la vicaria. Voilà un mot que nous ne trouvons ni dans les chartes ni chez les écrivains avant la fin du septième siècle. Le premier exemple s'en trouve dans les Formulæ Bituricenses, n° 15. Nous n'aurons à parler de la vicaria, comme division géographique, qu'à l'époque carolingienne ; et pourtant il y a eu des vicarii dès les Mérovingiens, et nous allons en parler.

[28] Voyez surtout Waitz, Deutsche Verfassungsgeschichte, 3e édition, t. I, p. 138-139, 216-221, 228, et t. II, 2e édition, p. 318-322. — Sohm, Reichs und Gerichts Verfassung, p. 76, 192-196. — On peut voir aussi les affirmations conjecturales de Fahlbeck, La royauté et le droit francs, p. 158 de l'édition française.

[29] Le passage de Tacite où l'érudition subjective de quelques auteurs a voulu voir des centaines territoriales, est celui-ci : centeni ex plebe comites principi adsunt. Quiconque sait traduire avec justesse, traduira : cent compagnons tirés du peuple assistent le princeps. Où peut-on voir là l'existence de centaines géographiques ? C'est pourtant sur ces seuls mois qu'on a construit tout le système.

[30] Nous ne voulons pas dire, assurément, qu'il ne se soit produit, ici ou là, quelques faits particuliers en dehors du système général. Par exemple, nous trouvons quelques cantons où s'établirent des bandes germaines et qui prirent le nom de ces bandes. Mais ce sont là des exceptions rares. J'en vois deux exemples : 1° la Ollinga Saxonia, dont parle Grégoire de Tours, V, 27 ; X, 9, et dont il est fait encore mention dans un acte de 845 (Tardif n° 145) ; 2° la Theiphalia dans le pagus Pictavensis (Grégoire, V, 7 ; Vitæ Patrum, XV, 1). — Sohm en ajoute un troisième : ce serait le pagus Atoariorum ou Atoariensis, qui devrait son nom aux Chattuarii de Tacite ; mais il n'est dit nulle part que les Chattuarii se soient établis en Gaule ; Julien les avait battus sur la rive droite du Rhin (Ammien, XX, 10, 2). Je pense qu'il est trop hardi de faire une identification géographique sur une simple ressemblance de deux mots.

[31] Ainsi Sidoine Apollinaire écrit à un de ses amis nommé Attalus, qui vient d'être mis à la tête de la cité d'Autun : Æduæ civitati te præsidere cœpisse accepi ; Sidoine, Lettres, V, 18 ; édit. Baret, V, 6, ad Attalum. Le terme præsidere ne peut s'appliquer qu'à un fonctionnaire du pouvoir central. Aucun magistrat municipal n'avait le titre de præses.

[32] Sidoine Apollinaire, Lettres, VII, 2 ; édit. Baret, VII, 6, ad Græcum. Il parle d'un jeune homme de ses amis qui, songeant à s'établira Marseille, y fait la connaissance des principaux habitants et notamment du comte de la cité, summatibus et comiti civitatis innotescere. Marseille n'appartenait alors ni aux Goths ni aux Burgundes ; c'était une ville impériale. Une lettre de l'évêque de Toul Auspicius signale un comte de Trêves vers l'an 470 (Patrologie latine, t. LXI, p. 1005).

[33] Salvien, De gubernatione Dei, III, 9, édit. Halm, p. 55 : Templa atque altaria Dei minoris reverentiæ quidam habent quant cujuslibet minimi ac MUNICIPALIS JUDICIS domum. Siquidem intrajanuas, non modo inlustrium potestatum (ce sont les préfets du prétoire), sed etiam præsidum (les gouverneurs de provinces), aut PRÆPOSITORUM (chefs inférieurs, probablement les chefs de cités), non omnes passim intrare præsumunt, nisi quos judex vocarit.

[34] La Loi des Burgundes porte la signature de 52 comites ; les comtes sont mentionnés dans la Præfatio, 2 et 4, et dans les titres XLIX, LXXVI, CVII, 10 et 13, et CVIII, édit. Bluhme, p. 526, 555, 564, 576, 577.

[35] Grégoire de Tours, Vitæ Patrum, VII, 1 : Gregorius, ex senatoribus primis, Augustodunemis civitatis comitatum ambivit ; in comitatu positus regionem illam per 40 annos, justitia comitante, correxit, et tam severus fuit in malefactoribus ut vix ci ullus reorum posset evadere. L'écrivain rapporte ensuite que ce Grégorius, après avoir été comte d'Autun durant 40 années, fut évêque de Langres pendant 55 ans. Il mourut vers 558, à l'âge de 90 ans.

[36] Lex Wisigothorum, I, 12, antiqua ; I, 17 ; I, 25 ; etc. Cf. Lex omana Wisigothorum, præfatio. — Formules wisigothiques, n° 59.

[37] Grégoire de Tours, IV, 15. Mirac. S. Martini, I, 24. Vita Germani a Fortunato, 30.

[38] Grégoire, IV, 15 : Apud Arvernum... Firminum a comitatu urbis abegit et Salustium, Euvodi filium, subrogavit. — On sait que le nom de cette cité n'était pas Clermont, c'était Arvernum, Arverna civitas, ou Arverna urbs, Grégoire employant souvent urbs dans le sens de civitas. — Ibidem, IV, 55 : Firminus qui in hac civitate comes positus fuerat.

[39] Grégoire, IV, 42 : Autissiodorensis urbis comitatum regebat.

[40] Grégoire, V, 24 : in Pictavo civitate Ennodium ex comitatu ad regis præsentiam perduxerunt. — V, 57 (alias 56) : Nanthinus, Ecolismensis comes. — V, 48 : comes Turonis destinatur. — Miracula S. Martini, I, 24 : Alpinus comes Turonicæ civitatis. — VI, 51 : Rotomagensem comitem. — VIII, 22 : Gundegisilum Santonicum comitem. — VI, 45 : Waddo qui Santonicum rexerat comitatum. — VIII, 18 : Guntchramnus rex Theodulfum Andegavis comitem esse decrevit.... Gundobaldus comitatum Meldensem accipiens. — VII, 15 : Willachario Auvelianensi comite. — VII, 58 : Ollone Bilurigum comite. — VIII, 6 : Garacharius comes Burdegalensis. — VIII, 50 : Terentiolus comes urbis Lemovicinæ. — IV, 40 (59) : Palladius comitatum in urbe Gabalitana promeruit. — De gloria martyrum, 54 : Gallus, Cabillonensis urbis comes. — De gloria martyrum, 78 : Gomacharius comes Agathensis urbis.

[41] Grégoire, VII, 29 : regressus ad Dunense castrum, comitem commonet.

[42] Cela paraît s'être fait à la suite du partage des États de Caribert. On a même essayé de faire de Châteaudun une cité ecclésiastique : mais l'essai n'a duré qu'un petit nombre d'années. Voyez Longnon, Géographie de la Gaule, p. 51.

[43] Il ne faut pas se tromper à l'expression comes urbis qui se rencontre quelquefois. Nous avons déjà dit que, dans le désordre de la langue mérovingienne, urbs est souvent employé pour civitas et civitas pour urbs. Quand Grégoire dit qu'un personnage est évêque de Poitiers, urbis Pictavæ episcopus (X, 15), il ne veut pas dire que son diocèse fût réduit à cette ville ; de même quand il dit qu'un homme est comte de la ville de Limoges (VIII, 50), il n'entend pas que son comté soit réduit aux murs de la ville. Dans une formule d'Auvergne, n° 1, les mots urbe Arvernis désignent toute l'ancienne civitas d'Auvergne : Ego commanens urbe Arvernis, in pago illo, in villa illa (Zeumer, p. 28). — Ce sens de urbs est bien visible dans un passage de Grégoire, X, 8, qui dit in confinio supradictarum urbium après avoir dit in confinio termini Arverni, Gabalitani atque Rutheni ; ainsi ce qu'il appelle urbes, c'est l'Auvergne, le Gévaudan et le pays de Rodez. — De même, X, 5 : Cuppa, irrupto urbis Turonicæ termino, pecora diripuit. — Cette confusion dans les termes n'entraînait pas la confusion dans les choses. Les faits que nous verrons montrent bien que le comte administre et parcourt incessamment le territoire entier de l'ancienne cité.

[44] Comitatus dignitatem apud Albigem gessit (Vita Desiderii Cat., 1, Bouquet, III, 527). — Eunomius in comitatum erigitur (Grégoire, V, 48). Grégoire (ibidem) appelle le comitatus de Tours un honor gloriosus. De même Frédégaire (Chron., 15) appelle le ducatus un honor.

[45] Grégoire, VIII, 18 : Gundobaldus comitatum Meldensem super Guerpinum accipiens... Uterque a comitatu morte discessit. — Ibidem : Nicetius a comitatu Arverno amotus, Nicetius destitué de sa fonction de comte en Auvergne. — Le sens du mot comitatus paraît encore mieux dans des phrases comme celles-ci : Firminum a comitatu urbis abegit, le roi déposa Firminus de la dignité de comte de cette ville (Grégoire, IV, 13) ; Palladius comitatum in urbe Gabalitana promeruit, Palladius obtint la dignité de comte dans la cité du Gévaudan (ibid., IV, 40) ; Pæonius hujus urbis comitatum regebat, Péonius exerçait les fonctions de comte de cette ville (ibid., IV, 42) ; Gregorius Augustodunensis civitatis comitatum ambivit, in comitatu autem positus regionem illam correxit, Grégorius sollicita la dignité de comte de la cité d'Autun, et, ayant été élevé à celte dignité, il administra le pays pendant quarante ans (Vitæ Patrum, VII, 1). — Hortensius comitatum urbis illius agens (Vitæ Patrum, IV, 5). — Firminus in hac civitate comitatu potitus fuerat (Hist., IV, 55).

[46] Formules de Marculfe, I, 8 : Carta de comitatu... Ideo tibi actionem comitiæ.. ad agendum commisimus. — On trouve aussi l'expression agere comitivam dans les lettres de Grégoire le Grand, I, 15. — Sur le mot actio dans le sens de gestion d'une fonction, voyez Grégoire, V, 48 (47) : Me ab actione remoto, dit un comte révoqué. — Le mot comitiva pour indiquer la dignité de comes était usité sous l'Empire ; voyez une loi de 592 au Code Justinien, II, 12, 25. — Fortunatus écrit aussi comitivæ præmia (Carm., VII, 16).

[47] Cicéron, ad Atticum, VIII, 1 : Misi hominem de comitibus meis. Il les appelle ailleurs ses ministri, ad Quintum, I, 1, édit. Le Clerc, t. XXI, p. 256, Cf. p. 254. — Juvénal, VIII, 127 : Cohors comitum. — Paul, au Digeste, L, 5,12 : Comites præsidum procuratorumve Cæsaris. Cf. Pline, Hist. nat., IX, 50, 89 ; Pline, Lettres, VI, 22, édit. Keil, p. 167 ; Ulpien, au Digeste, XLVIII, 19, 6 ; et L, 15, 1, § 8.

[48] Hist., II, 65 : Cluvius comitatui principis adjectus. — Suétone, Tibère, 46. — Spartien, Hadrien, 18. — Jules Capitolin, Vérus, 7. — Rutilius Namatianus, vers 505. — Ammien Marcellin, XIX, 15. Voyez surtout le Corpus inscriptionum latinarum, où l'on trouve à tout moment des personnages qui sont qualifiés comites Augusti. Il y avait des rangs parmi ces compagnons du prince : on était comes primi, secundi ou tertii ordinis ; C. I. L., X, 1695, 1696, 1700, 5846, etc.

[49] Comes sacrarum largitionum, comes rei privatæ.

[50] Comites consistorii, Code Justinien, II, 7, 25 ; II, 12, 25 ; Novelles de Théodose II, lit. I, § 7.

[51] Comites per provincias constituti, Code Justinien, I, 40, 5. La Notitia dignitatum mentionne un comes Ægypti, un comes Africæ, un comes Belgicæ, un comes Lugdunensis et d'autres.

[52] Ainsi, dans un acte de jugement, nous trouvons huit comtes qui siègent au tribunal royal ; il n'est pas vraisemblable qu'ils fussent des administrateurs provinciaux (Pardessus n° 451, Pertz n° 66).

[53] Le terme graf ou grafio, graphio, est employé dans la Loi salique, titres 45 et 54 ; dans la Loi ripuaire, titres 84 et 88. Nous ne le voyons pas dans Grégoire de Tours ; mais il est dans la Chronique de Frédégaire, c. 42, 47, 74. Il est aussi dans la Vita Eligii, II, 47, 52, 54. Il n'est pas dans les formulaires les plus anciens ; mais il est dans les Bignonianæ, n° 8. Nous ne le trouvons pas non plus dans les plus anciens diplômes, et il n'apparaît qu'à partir de l'an 640, dans un acte de Clovis II (Pardessus n° 294). Le premier témoin de la donation d'Adroald en faveur de Saint-Bertin, en 645, est qualifié grafio : signum Chuniberti grafionis (Cartulaire de Saint-Bertin, p. 19). Le terme devient plus fréquent au huitième siècle. Diplôme de 722 : Theudericus rex viris inlustribus gravionibus ; diplôme de 745, etc.

[54] Telle est l'opinion de Grimm dans ses Rechts Alterthumer, p. 752 ; de Waitz, Deutsche Verfassungsgeschichte, 2e édition, t. 1, p. 248 ; de Gengler, Rechts Denkmaler, glossarium, p. 826 ; de Sohm, Reichs und Gerichts Verfassung, p. 19.

[55] Lex Salica, édit. Behrend, p. 90 : Judici, hoc est, comiti aut grafioni. — Ibidem, p. 91 : Judex, hoc est, comis aut grafio.

[56] Lex Ripuaria, 51, codices B, 55 : De ed qui grafionem ad res alienas invitat. Si quis judicem fiscalem ad res alienas tollendas invitare præsumpserit. — 55 : Si quis judicem fiscalem quem comitem vocant interfeccrit. Codices B : De eo qui grafionem interfecerit. Si quis judicem fiscalem quem comitem vocant... — 84 : Si quis grafionem ad res alienas injuste tollendas invitaverit. — Au titre 88, la loi semble distinguer le comes et le grafio : Nullus majordomus, domesticus, comes, grafio, cancellarius ; cela tient peut-être à ce que les mêmes personnages pouvaient porter les deux titres, suivant les provinces.

[57] Formulæ Bignonianæ, 8 ; n° 9 dans l'édition Zeumer ; Rozière n° 469 : Cum resedisset inluster vir ille comes in mallo... Postea apud ipsum garafionem qui in ipso mallo residebat....

[58] Vita Eligii, II, 47, 52, 54. — Dans Frédégaire, c. 42, le grafio Ingobaudus est un personnage considérable. — Ibidem, c. 74, les grafiones sont des chefs de soldats, ce qui est justement l'une des attributions des comtes, et ils sont placés à côté dés ducs.

[59] Paulus Warnefridi, Hist. Langobardorum, V, 56 : Cum comite Bajoariorum quem illi gravionem dicunt.

[60] Dans un diplôme de Clovis II, le grafio Ébérulf est un haut personnage ; car c'est à lui personnellement et au duc Wandalbert que le roi s'adresse (Archives nationales, K, 2, 1 ; Tardif n° 9, Pardessus n° 294). — Un diplôme de Clotaire III est adressé à des grafiones qui sont nommés avant, les sénéchaux et le comte du palais (Archives nationales, K, 2, 2 ; Tardif n° 17, Pardessus n° 554). — Un diplôme de Clovis III montre deux grafiones qui siègent au tribunal du roi, après les optimates, avant les sénéchaux, à la place exacte qu'occupent les comites dans les diplômes semblables (Tardif n° 52, Pardessus n° 429). — Un autre diplôme du même roi (Tardif n° 55, Pardessus n° 451) nomme dans le tribunal royal douze évêques, douze optimates, huit comtes, puis huit grafions, ensuite quatre domestici, quatre référendaires, deux sénéchaux ; il semble qu'ici les grafiones soient distincts des comites ; en tout cas ils ont le même rang et on les place les uns à côté des autres avant les domestici et les référendaires ; il est possible que les deux titres fussent également portés, mais ils indiquaient des fonctions semblables.

[61] Vita Eligii, II, 54 : Vir illustris Gaufridus grafio.

[62] Le diplôme de Clotaire Ier (Pardessus, n° 156), qui renferme le mot grafionibus, est faux.

[63] C'est ce que soutient Maurer, Einleitung zur Gesch. der Mark, Hof, Dorf und Stadtverfassung, pages 155 et 159. Il se fonde sur quelques passages où l'on trouve grafio loci, et il suppose que ce mot locus désigne une très petite localité ; mais c'est ne pas connaître la langue mérovingienne : on disait episcopus loci (Grégoire, V, 55 ; premier concile de Mâcon, c. 7, dans Mansi, IX, 955), et locus ici désigne un diocèse entier. On disait aussi amies loci (Grégoire, VII, 29 ; IV, 47), et ici locus désigne tout un comté. La Vita Cæsarii appelle cives loci les habitants de tout le diocèse d'Arles (Mabillon, Acta SS., I, 661). Dans un diplôme que nous possédons en original (Tardif n° 41, Pardessus n° 479), on lit comes pagi Parisiaci, et, quatre lignes plus loin, comes loci Parisiaci. Tant il est vrai que, dans cette langue toujours flottante, locus est souvent synonyme de pagus au sens le plus étendu du mot. — Pour que l'on pût dire que le graf est un chef de village, il faudrait qu'on eût trouvé quelque part grafio vici, grafio centenæ ; c'est ce qu'on ne trouve pas une seule fois. Tous les grafiones qu'on rencontre dans les textes sont 1° des personnages importants, 2° des personnages de l'entourage royal.

[64] Cela ressort du titre LIV, où le graf a un triple wergeld, comme étant attaché au roi ; cela ressort, aussi du titre L, 5, où l'on voit que le graf peut être retenu par le service du roi, ratio dominica.

[65] Grégoire, IV, 40 : Palladius comitatum in urbe Gabalitana, Sigiberto rege impertiente, promeruit. — IV, 42 : Mummolus a rage Guntchramno... comitatum patris ambivit. — VIII, 18 : Guntchramnus Theodulfum Andegavis comitem. esse decrevit.

[66] Sur les codicilli ou chartæ promotionis, voyez Code Justinien, I, 27, 1, § 19. On sait que la plus grande partie de ce formulaire impérial nous a été conservée parmi les Lettres de Cassiodore.

[67] Grégoire, VIII, 18 : Theodulfus comes... recurrens ad regem, iterum præceptum accipiens, comitatum urbis illius rexit.

[68] Marculfe, I, 8 ; Rozière, n° 7 ; Zeumer, p. 47 : Præcipue regalis in hoc perfecte laudatur clementia ut inter cuncto populo bonitas et vigilantia requiratur personarum ; nec facile cuilibet judiciariam convenit committere dignitatem, nisi prius fides seu strenuitas videatur esse probata. Ergo dum et fidem et utilitalem tuam videmur habere compertam, ideo tibi actionem comitiæ, ducatus, aut patriciatus, in pago illo quem antecessor tuus ille usque nunc visus est egisse, tibi ad agendum regendumque commisimus. — Ceux qui sont familiers avec la langue mérovingienne savent que le verbe videri, qui se trouve ici trois fois, n'indique nullement une pure apparence, comme dans la langue de Cicéron, et est synonyme de constat.

[69] Voyez, par exemple, l'histoire de Bonitus : Regis ad aulam processit.. Fit princeps pincernarum... Referendarii officium adeptus est... Erigitur præfecturæ Massiliæ provinciæ (Vita Boniti, c. 5-6, Mabillon, Acta SS., II, 552). — Autres exemples : Siagrius, post diutina palatii ministeria, comitatus dignitatem apud Albigem gessit (Vita Desiderii Cat., 1, Bouquet, III, 527). Licinius, élevé dans le Palais, devient successivement comes stabuli, puis comes Andegavensium (Vita Licinii, Bollandistes, février, II, p. 678 et suiv.).

[70] Si l'on relève les noms des comtes dans Grégoire de Tours, on trouve plus de noms romains que de noms francs. Il ne faudrait pas tirer de là une conclusion exagérée ; Grégoire parle surtout des comtes du Midi et du Centre, et connaît moins ceux du Nord. Il faut observer aussi que la forme germanique ou romaine des noms ne prouve pas forcément la race des personnes. Toutefois nous pouvons affirmer que Grégorius, comte d'Autun, est d'une famille tout à fait romaine (Grégoire de Tours, Vitæ Patrum, VII, 1) ; nous pouvons l'affirmer aussi pour Sallustius, fils d'Evodius, comte d'Auvergne vers l'année 550 (Grég., Hist., IV, 15) ; de même pour Hortensius, qui était même de famille sénatoriale et qui devint comte (Vitæ Patrum, IV, 15) ; de même pour Georgius, qui était citoyen du Velay et qui devint comte d'Auvergne vers 569 (De gloria confessorum, 55). Puis, nous voyons des noms comme Alpinus, Eunomius, Amatus, Albinus, Jovinus, Firminus, Nicetius, Eulalius, Pæonius, Mummolus, Gallus, Dynamius, Innocentius, Terentiolus, nous pouvons bien admettre que la plupart de ces noms, sinon tous, appartiennent à des Romains de race ; et ces Romains sont comtes de Tours, de Limoges, du Gévaudan, d'Auvergne, d'Auxerre, de Chalon, d'Arles, de Marseille.

[71] Lex Ripuaria, 55 : Si quis judicem fiscalem quem comitem vocant interfecerit.... Si puer regius vel ex tabulario ad eum gradum ascenderit. Dans ce passage, puer regius me paraît signifier affranchi du roi plutôt qu'esclave ; le tabularius est un affranchi per tabulas. — Lex Salica, LIV, 2 et 5 : Si quis sacebaronem (aut obgrafionem) qui ingenuus est... Si quis sacebaronem aut obgrafionem qui puer regius fuit.

[72] Grégoire, V, 49 (48) : Leudastes... a fiscalis vinitoris servo nascitur.... Ad servitium arcessitus, culinæ regiæ deputatur.... Ad Marcoweifam reginam fugit, quæ equorum deputat esse custodem.... Comitatum ambit stabulorum.... Cujus (reginæ) post obitum refertus prædis, locum ipsum cum (ab) rege Chariberto, oblatis muneribus, tenere cœpit. Post hæc, comes Turonis destinatur, ibique se honoris gloriosi supercilio jactitat, se exhibet rapacem prædis.... — Leudaste avait dû être affranchi, soit par la reine Marcoweife, soit par le roi.

[73] Lex Salica, LIV : Si quis grafionem occiderit, solidos 600 culpabilis judicetur. — Remarquez que c'est le même taux pour le sacébaron (ibidem), qui est certainement inférieur au comte : ce qui prouve que le wergeld ne se mesure pas sur la hiérarchie des fonctions. — Lex Ripuaria, LUI : Si quis judicem fiscalem, quem comitem vocant, interfecerit, ter ducenis solidis multetur ; si regius puer vel ex tabulario ad eum gradum. ascenderit, 500 solidis multetur.

[74] Code Théodosien, I, 1, 16 ; VIII, 8, 4 ; XII, I, 187 ; XVI, 5, 52, etc. Code Justinien, I, 1, 15 ; III, 1, 15, etc. — Notitia dignitatum, édit. Bœckhing, t. II, p. 9, 17, 57, 41, etc. — Cassiodore, Lettres, I, 4 ; VI, 16. — Corpus inscriptionum latinarum, V. 8120 ; VI, 1656. 1666, 1777 ; VIII, 1412, etc.

[75] Formulæ Andegavenses, n° 32 : Illuster vir ille comes ; n° 50 : Ante viro illusiri illo comite. — Turonenses, n° 26 : Convenit inter inlustrem. virum illum et illum. — Marculfe, I, 2 : Rex inlustribus viris illi comiti vel omnibus agentibus ; I, 9 : Viros inlustres illos et illos ; I, 28 : Ille rex viro inlustri illi comiti. Dans les Diplomata, les comtes figurent au préambule parmi les viri inlustres. Un diplôme est adressé spécialement viro illustri Bertuino comiti (Pardessus n° 540) et un autre inlustribus viris comitibus (n° 541).

[76] Grégoire, IV, 42 : Pæonius hujus municipii (Autissiodorensis) comitatum regebat. Cum ad renovandam actionem munera regi per filium transmisit, ille, datis rebus paternis, comitatum patris ambivit supplantavitque genitorem.

[77] Grégoire de Tours donne de cela un autre exemple, VIII, 18 : Nicetius ducatum a rege expetiit, datis pro eo immensis muneribus.

[78] Grégoire, IV, 15 : Firminum comitatu urbis abegit. — IV, 40 : Remotus a comitatu Palladius. — V, 48 : Audiens Chilpericus quæ faciebat Leudastes... Eunomius in comitatum erigitur Leudastes cernens remotum.... Nunc, inquit Leudasies, me ab actione remoto. — VI, 22 : Chilpericus novos comites ordinat. — VIII, 18 : Nicetius a comitatu Arverno amotus. — Grégoire cite de même plusieurs révocations de ducs, celle d'Ennodius, IX, 7, celle de Lupus, duc de Champagne, IX, 14, et celle du duc Erpon, que le roi Gontran removet ab honore et frappe en outre d'une amende de 700 solidi pour avoir laissé échapper un prisonnier (V, 14). Voyez encore la destitution du patrice Agricola, IV, 24, et celle du recteur de Marseille Jovinus, IV, 44.

[79] Marculfe, I, 8 (Rozière, n° 7, Zeumer, p. 47) : Ut omnis populus ibidem commandites, tam Franci, Romani, Burgundiones, vel reliquas nationes, sub tuo regimine et gubernatione degant.

[80] Marculfe, I, 8 (Rozière, n° 7, Zeumer, p. 47) : Ut semper erga regimini nostro fidem inlibata custodias.

[81] Marculfe, I, 8 (Rozière, n° 7, Zeumer, p. 47) : Et eos recto tramite secundum lege et consuetudine eorum regas, viduis et pupillis defensor appareas, latronum et malefactorum scelera a le severissime reprimantur, ut populi bene viventes sub tuo regimine gaudentes debeant consistera quieti.

[82] Marculfe, I, 8 (Rozière, n° 7, Zeumer, p. 47) : Et quidquid de ipsa actione in fisci ditionibus speratur, per vosmetipsos annis singulis nostris ærariis inferatur.

[83] Decretio Childeberti, art. 8, Borétius, p. 17 : Unusquisque judex (nous verrons plus loin que le mot judex désigne surtout le comte) criminosum latronem ut audierit, ad casam suam ambulet et ipsum ligare faciat. — Grégoire de Tours parle d'un comte qui tant severus atque districtus fuit in malefactoribus ut vix eum ullus reorum posset evadere (Vitæ Patrum, VIII). — Il parle ailleurs du comte Nicétius qui fecit pacem in regione Arverna et in reliquis ordinationis suæ locis (Hist., VIII, 18). — Ibidem, X, 15 : Macconi comiti prolata præceptio in qua jubebatur ut hanc seditionem vi opprimeret.

[84] Lex Salica, LXVIII : Decretio Childeberti, art. 4 et 7. Lex Ripuaria, LI. — Nous voyons par Grégoire de Tours que le comte a la garde des prisonniers et qu'il en est responsable ; V, 21 (20) : Rex eos includi præcepit... judices locorum (c'est-à-dire les comtes) terribiliter commonens ul ipsos cum armatis custodire debeant. Cf. VI, 24, et X, 6.

[85] On peut voir un exemple de cela dans Grégoire, VI, 8. — VIII ; 18 : Gundobaldus, comitatum Meldensem accipiens, causarum actionem agere cœpit. — De gloria confessorum, 101 : Comes urbis, fure invento ac suppliciis dedito, patibulo condemnari præcepit. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

[86] Grégoire, X, 21 : Eunte comite ad regem ut debitum fisco servitium solite deberet inferre. — Cf. Vita Germani, c. 50, Mabillon, Acta SS., I, 258. Voyez un diplôme de 710, Pardessus n° 477, Archives nationales, Tardif n° 44, où on lit : Teloneum... comes de pago Parisiaco... recepit ad partem fisci nostri.

[87] Grégoire, VI, 19 : Rex mittit nuntios comitibus ut collecto exercitu in regnum germani sui irruerent. — VII, 29 : Rex comitem commonet ut ci trecentos viros adjungeret,... cumque comes loci viros istos commoveret (commovere à cette époque est le terme qui signifie lever des soldats, lever une armée). — VII, 12 : Guntchramnus rex comites suos ad comprehendendas civitates direxit. — IV, 50 : Sigibertus Arvernos commoveri præcepit ; erat Firminus comes urbis illius, qui cum ipsis in capite abiit. — Grégoire, VI, 50 ; VII, 15 ; VII, 58, etc. — Frédégaire, Chron., c. 57 : Ebbelinus et Herpinus comites in cxercitu pergunt obviam Alemannis. — Ibidem, 87 : Bobo dux Arvernus et Ænovales comes Sogiuntensis cum pagensibus suis pugnandum porrexerunt. Le même chroniqueur, c. 78, montre une armée où les troupes de chaque comté sont commandées par le comte.

[88] Voyez ce que raconte Grégoire, VII, 12.

[89] Marculfe, I, 5 : Ut neque vos neque juniores vestri in villas... ingredi non præsumatis... ad audiendas altercationes, aut freda de quaslibet causas exigere, nec mansiones aut paratas vel fidejussores tollere. — Ibidem, I, 4 : Ut nullus judex publicus ad causas audiendum vel freda exigendum nec mansiones aut paratas faciendum, nec fidejussores tollendum nec homines de quaslibet causas distringendum nec nullam rcdhibitionem requirendum, ingredere non debeat. — Cf. un grand nombre de diplômes que nous avons cités dans notre étude sur l'immunité mérovingienne, Revue historique, 1885.

[90] Grégoire, VIII, 18 : Gundobaldus, comitatum Meldensem accipiens, causarum actionem agere cœpit. Dum pagum urbis in hoc officio circumiret....

[91] Un exemple de cela nous est donné par une formule de Marculfe, I, 40 ; le roi enjoint aux comtes ut omnes pagenses vestros bannire et locis congruis per civitates, vicos et castella congregare faciatis.

[92] Grégoire, VIII, 18 : Omnes pagenses vestros, tam Francos, Romanos, vel reliquus nationes.

[93] Lex Ripuaria, LXXXIX.

[94] Marculfe, I, 5 ; I, 4.

[95] Nous reviendrons ailleurs sur ces abus de toute sorte, qui nous sont signalés par les documents.

[96] Tels sont, par exemple, le duc Sigivald, que Thierri Ier laissa en Auvergne pro custodia et qui est qualifié dux (Grégoire, III, 15, et V, 12), le duc Helping (Vitæ Patrum, IV, 2), et le duc Gundoald (Grégoire, IV, 47 (48).

[97] Tel est le duc Victorius. Grégoire, II, 20 : Eoricus Gothorum rex Victorium ducem super septem civitates præposuit. — Vitæ Patrum, III, 1 : Victorius dux qui super septem civitates principatum, Eurico Gothorum rege indulgente, susceperat.

[98] Tels sont : Beppolenus (Grégoire, VIII, 42) ; Nicetius (idem, VIII, 18) ; Ennodius (VIII, 26) ; Lupus (VI, 4) ; Waldelenus (Vita Columbani, 22).

[99] Marculfe, I, 8 : Carta de ducatu et patriciatu et comitatu.

[100] Que le titre de duc fût plus élevé que celui de comte, c'est ce que montre Fortunatus, Carmina, VII,.51 : Vive comes cui sint jura regenda ducis ; X, 20 : Rex crescens le crescere cogat ; Qui modo dal comitis, del tibi dona ducis.

[101] Grégoire, VIII, 18 : Nicetius ducatum a rege expetiit, et sic in urbeArverna, Ruthena atque Ucetica dux ordinatus est, vir valde juvenis, sed sensu acutus, fecitque pacem in regione Arverna et in reliquis ordinatis sux locis.

[102] Grégoire, VIII, 26 : Turonicis Pictavis Ennodius dux datus est.

[103] Grégoire, VIII, 18 : Adepta ordinatione ducaius in civitatibus ultra Garonnam.

[104] Grégoire, VIII, 42 : Beppolenus, accepta potestate ducatus super civitates illas... Rhedonicis... Andecavis...

[105] Grégoire, VI, 4 : Lupus, dux Campanensis. IX, 14 : Lupum de Campaniæ ducatu depulsum.

[106] Vita Ragnoberti, c. 2, Bouquet, III, 619 : Dux inter amnis Sequanæatque. Ligeris confinia plures provincias strenue rexit.

[107] Vita Columbani, c. 22, Mabillon, Acta SS., II, 14 : Erat eo tempore dux quidam Waldelenus qui genies quæ intra Alpium septa et Jurassi saltus arva incolunt regebat. Plus tard, nous trouvons en Burgundie un dux ultrajuranus (Frédégaire, 15 et 43).

[108] Grégoire, IX, 7 : Ennodius cum ducatum urbium Turonicæ atque Pictavæ administraret. — Fortunatus, Carm., II, 8 : Ducatum gerere. — Frédégaire, Chron., 12 : Honor ducatus. — Grégoire, IX, 12 : Nonnulli a primatu ducatus remoti sunt.

[109] Dans les diplômes royaux, surtout dans les actes de jugement du tribunal royal, nous trouvons toujours plusieurs ducs auprès du roi.

[110] La plupart des comtes dont parle Grégoire de Tours sont dans ce cas. Cf. Frédégaire, c. 78 : Comitibus plurimis qui ducem super se non habebant.

[111] Grégoire, IX, 7 : Euntibus comitibus Turonicæ atque Pictavæ urbis ad regem Childebertum, obtinucrunt Ennodium ducem a se removeri.

[112] Grégoire, IV, 44 : Jovino redore Provinciæ. — VIII, 45 : Nicetius rector Massiliensis provinciæ est ordinatus. — Lex Ripuaria, 50 : Ante ducem, patricium, vel regem. — Grégoire, IV, 24 : Gunichramnus rex Celsum patriciatus honore donavit. — IV, 42 : Mummotus a rege Guntchramno patriciatum promeruit. — IX, 22 : Nicetium patricium. — Frédégaire, Chron., 2 : Ægilanem patricium. — Ibidem, 24 : Protadius in pago Ultrajurano patricius ordinatur. — Diplomata, Pardessus n° 588, Tardif n° 21 : Theudericus rex viris inlustribus Audoberto et Rocconi patriciis.

[113] Voyez dans Grégoire, IV, 45, comment le recteur de Provence rend la justice. — Cf. Lex Ripuaria, 50 : Si quis testes ad mallum ante centenarium, vel comitem, seu ante ducem, patricium, vel regem, necesse habuerit. — On ne comprend pas comment M. Fahlbeck a pu soutenir, avec le ton affirmatif qui lui est habituel, que le duc n'était qu'un chef militaire (page 149 de l'édition française). — Grégoire, VIII, 12 : Ad discutiendas causas Ratharius quasi dux dirigitur. Sur ce dernier passage, Waitz se trompe quand il voit dans ce Ratharius un missus regis ; il interprète quasi dux dans le sens de comme s'il était duc. C'est un faux sens, et les traductions françaises de Grégoire de Tours le commettent aussi. Chez Grégoire de Tours, quasi est employé plusieurs fois dans le sens de à titre de ; c'est ainsi que nous dirions : Il a été envoyé à Bordeaux comme préfet. On n'a pas assez remarqué combien la langue de Grégoire de Tours contient déjà de gallicismes.

[114] Grégoire, VII, 25.

[115] Grégoire, X, 5.

[116] Formulæ Bignonianæ, n° 7 : Cum resedisset ille vigarius inluster vir illo comite, c'est-à-dire vicarius illustris viri illius comitis. — N° 15 : Veniens homo alicus ante vicario Muster vir illo comite. Les mots illuster vir ne peuvent pas se rapporter à vicarius ; les vicaires n'avaient pas ce titre. — Voyez de même le vicarius comitis chez les Wisigoths, Lex Wisigothorum, II, 1, 25 ; III, 6, 1 ; VII, 4, 2 ; IX, 2,4. — En Italie, Grégoire le Grand, dans ses Lettres, parle de vicecomites, VIII, 18 : Scripsimus Mauro vicecomiti ; XII, 24 : Augusto vicecomiti.

[117] Formulæ Senonenses, n° 6 (Rozière n° 477) : Ipsi viri decreverunt... et per manu vicarii per jussionem comitis recepit. — Senonenses, 5 (Rozière, 472) : Per jussionem illius comitis, de manu illius vicarii.

[118] C'est ce qu'on voit dans les Formulæ Bignonianæ, n° 7 et 15, et dans les Merkelianæ, n° 29, 50 et 52 (Rozière, 460, 502, 499, 462).

[119] Une formule d'instructions données par le comte à son vicaire se trouve dans les Merkelianæ, n° 51 (Rozière n° 886).

[120] Le terme vicecomes, qui semblerait à première vue être le synonyme exact de vicarius, ne se rencontre pas dans les textes mérovingiens. On le trouve seulement dans la Vita S. Mauri, c. 44, Mabillon, I, 291 : Florus vicecomitis in Andecavensi pago fungebatur. Mais on sait que cette Vie a été remaniée au neuvième siècle.

[121] Edictum Guntramni, dans Borétius, p. 12 : Cuncti itaque judices (c'est-à-dire les comtes) non vicarios instituere vel destinare præsumant qui venalitatem exerceant. — De même, plus tard, Charlemagne enjoindra à ses comtes, si leurs vicaires sont convaincus de mauvaise conduite, de les destituer et d'en nommer de meilleurs, ipsos ejicere et meliores ponere (Pertz, Leges, I, p. 121).

[122] Formulæ Merkelianæ, 51 (Zeumer, p. 259 ; Rozière n° 886) : Indiculum de comite ad vicarium... Propterea has litteras ad le dirigimus ut in nostro comitatu vel in tuo ministerio pleniter ipsas justitias facias, quasi ego ipse, sine ulla ratione vel sine impedimento. Et bene provide ut nullum neglectum exinde habias. Taliter exinde certamen age qualiter gratia nostra velis habere.

[123] La formule ordinaire est : Rex Francorum ducibus, comitibus.... Le mot vicariis ne se trouve que dans des diplômes faux ou d'une authenticité douteuse, tels que les n° 88, 156, 247, 255, 282, 287 du recueil de Pardessus. On ne les trouve pas dans les diplômes authentiques, n° 264, 279, 294, 588. — Il faut faire une exception pour le n° 540 ; il est relatif à la donation d'une terre située dans le pagus de Laon, et, pour cette raison, il est adressé au comte de Laon, Bertuinus, et à son vicaire, Bertolandus, viro inlustri Bertuino comiti et Bertolando vicario.

[124] Grégoire, Miracula S. Martini, I, 40 : Conjux Animi tribuni nomine Mummola.

[125] Il y avait, par exemple, le tribunus stabuli (Ammien, XIV, 10, 8 ; XX, 4, 4 ; XXX, 5, 19) ; les tribuni notarii (Ammien, XXX, 2, 11 ; cf. Zozime, V, 54) ; les tribuni palatini (Notitia dignitatum, éd. Bœcking, Occid., p. 500) ; le tribunus voluptatum (Cassiodore, Lettres, V, 25, et VII, 10). — Il est possible qu'il y ait eu des tribuni dans le palais mérovingien ; c'est du moins le sens que paraissent avoir les vers de Fortunatus, VII, 16 : Theodericus ovans ornavit (te) honore tribunum. Il semble que ce fût un grade inférieur à celui de comes.

[126] Ainsi, l'auteur de la Vita Columbani, c. 54, 55 (Mabillon, Acta SS., II, 20) parle, d'un tribunus militum de la ville de Besançon qui ne paraît guère être chargé que de la garde des prisons. Il obéit d'ailleurs au roi, non aux autorités municipales. Un peu plus loin, c. 56, Brunehaut envoie un autre tribunus militum pour s'emparer de la personne de Columban et le conduire en exil. — Vita Germani a Fortunato, c. 61 et 66.

[127] Dans la Vie de saint Dalmatius (Bouquet, III, 420), c'est un tribunus qui conduit le condamné au gibet : A quodam tribuno reus ad patibulum ducebatur.

[128] Tel est, semble-t-il, le tribunus Bessorum dont Bertramn parle dans son testament (Diplomata, t. I, p. 208) ; tel est aussi le tribunus Arbonensis de la Vita S. Galli, qui gouverne une petite circonscription sous les ordres d'un duc (Pertz, Script., II, p. 12 et 18). Tel est encore ce vir tribunitiæ potestatis dont parle Grégoire de Tours, X, 21. Le testament de saint Remi mentionne un tribunus Friaredus (Diplom., I, 82) ; dans le testament de Bertramn, nous trouvons un Ebolenus tribunus (ibidem, p. 214), et, parmi les signatures d'une charte de 728, il y a celle d'un Eucherius tribunus (ibidem, t. II, p. 555). Une lettre de Didier de Cabors est adressée comitibus, tribunis, defensoribus, centenis et omnibus publica agentibus (Bouquet, IV, 42). Fortunatus, dans la Vie de saint Germain, c. 61, parle d'un Abbo, qu'il qualifie de tribunus, et qui paraît avoir une autorité assez élevée, puisque c'est à lui que le saint s'adresse pour obtenir la grâce d'un prisonnier ; au chap. 66, il parle d'un tribunus civitatis qui semble aussi un fonctionnaire de quelque importance.

[129] Grégoire, De gloria confessorum, c. 41 : Nannenus quidam tribunus ex Arverno de Francia post reddita reginæ tributa revertens.... — Voyez, dans Grégoire, VII, 55, un tribunus Medardus qui est compromis dans des affaires de finances avec le comte et le vicarius de la cité. — Cf. le tribunus fisci dont parle Fortunatus dans la Vita Radegundis, c. 58.

[130] Les centenarii figurent comme fonctionnaires royaux dans un diplôme attribué à Clovis ; mais il faut faire attention que le diplôme est peu authentique (Pardessus n° 88) ; j'en dis autant du diplôme n° 156.

[131] Végèce, II, 8 : Erant centuriones... qui nunc centenarii nominantur. — Idem, II, 15 : Centuriones qui nunc centenarii vocantur.

[132] Code Théodosien, XI, 7, 1 : Ducenarii et centenarii et sexagenarii non prius debent aliquem ex debitoribus convenue quam a tabulario civitatis nominatim breves accipiant debitorum. Voyez les notes de Godefroy sur ce passage.

[133] Ils sont appelés centuriones dans la Loi des Bavarois, II, 5, 1, où ils figurent comme des fonctionnaires subordonnés au comte : Comes ponat ordinationem suam super centuriones et decanos.

[134] Vita Eligii, II, 60 : Bodolenus quidam centenarius, oppidi Noviomagensis colonus.

[135] Charte de l'an 700, Pardessus, t. II, p. 452 : Signum Caroini centenarii. — Charte de 745, ibidem, p. 475 : Signum Austroaldi centenarii. — Les centenarii sont appelés centuriones dans la Vita Salvii et placés à côté des vicarii, des tribuni et des decani regis (Bouquet, III, 647).

[136] Childeberti decretio, c. 9, Borétius, p. 17 : Si quis centenario aut cuilibet judice noluerit ad malefactorem adjuvare... condemnetur.... — Cf. Chlotacharii decretio, Borétius, p. 7 : Centenarii ponantur per quorum fidem atque sollicitudinem pax observetur.... Centenarii licentiam habeant inter communes provincias latrones persequere....

[137] Sohm, Reichs und Gerichts Verfassung, p. 258, 260, 262.

[138] Ce caractère est bien marqué dans la Loi des Alamans, lit. XXXVI (Pertz, Leges, t. III, p. 56) : Conventus fiat in omni centena coram comite aut suo misso et coram centenario.... Wadium donet ad illo centenario qui præest.... Si quis se ipsunt non ostenderit comiti aut centenario. — Cette Loi des Alamans est une œuvre du septième siècle.

[139] Lex Wisigothorum, IX, 2, 1 : De his qui ad bellum.... La hiérarchie est : Comes, thiuphadus, quingentenarius, centenarius, decanus. — Ibidem, IX, 2, 5 : Si quis centenarius dimittens centenam in hoste ad domum suam refugerit, capitali supplicio subjacebit. — Lex Baiuwariorum, II, 5, 1 : In exercitu... comes ponat ordinationem suam super centuriones et decanos.

[140] Lex Salica, XLIV : Qui eam (viduam) voluerit accipere, antequam sibi copulet, ante thunginum aut centenarium, hoc est ut thunginus aut centenarius mallum indicant.... — Ibidem, XLVI : Hoc convenit observare ut ihunginus aut centenarius mallo indicant.... In mallobergo ante teoda aut thunginum. — Ibidem, L : Rogo te, thungine, ut.... — Ibidem, LX : In mallo ante thunginum ambulare debet. — Il est à remarquer que ces quatre articles où paraît le moi thunginus sont ceux qui, par leur contenu, semblent des plus antiques et se rapportent aux plus vieux usages. — Dans les deux premiers articles, les mots thunginus et centenarius semblent rapprochés comme synonymes, la conjonction aut n'indiquant pas une opposition entre les deux ternies. — Reste à savoir si les mots aut centenarius n'ont pas été ajoutés postérieurement pour expliquer tunginus, qui était tombé en désuétude.

[141] Il est bon de noter que les centenarii ne figurent pas à titre officiel dans les diplômes mérovingiens. Ils ne sont pas nommés dans l'en-tête parmi ceux à qui ces diplômes sont adressés. La formule Rex Francorum. ducibus, comitibus, vicariis, centenariis, est carolingienne.

[142] M. Sohm a essayé de prouver que les trois termes vicarius, tribunus, centenarius étaient synonymes (Reichs und Gerichts Verfassung, pages 215-219, 257). Son argumentation est fort ingénieuse, mais elle me laisse quelque doute. Je vois bien dans les textes que, quelquefois, le centenarius est en même temps vicarius, et que, sur tel territoire, une vicaria est la même chose qu'une centena. Mais cela ne me paraît pas suffire pour une affirmation aussi générale et aussi absolue que celle de M. Sohm.

[143] Suivant Waitz, le tunginus était élu par le peuple (Verfassungsgesch., t. II, 2e édition, p. 57 ; 5e édition, p. 97). Schulte pense de même (page 115 de la traduction française). Mais il n'y a pas un seul texte à l'appui de cette affirmation. La Loi salique ne fait aucune allusion à une élection populaire ; elle ne contient ni un mot qui signifie élection, ni un mot qui signifie peuple. Cette théorie est le produit de l'imagination. L'esprit, dominé par ses idées subjectives, met dans les textes ce qui n'y est pas. — Le grand argument que M. Sohm présente pour soutenir que le tunginus doit être élu par le peuple, c'est qu'il n'a pas triple wergeld comme le graf ; mais 1° la Loi salique ne dit pas qu'il n'ait pas triple wergeld, et nous n'en savons rien ; 2° il n'est pas nécessaire que les agents de second ordre aient un triple wergeld comme leur chef. L'absence du triple wergeld prouverait seulement que le tunginus n'était pas un homme de la truste du roi, mais il se peut qu'il ait été un agent du comte.

[144] On a pourtant allégué un texte : c'est l'article 16 du décret attribué à Clotaire Ier, dans Borétius, p. 7. Si vous prenez isolément les deux mois electi centenarii, il vous semblera tout de suite qu'il s'agit de centeniers élus par le peuple. Mais il ne faut jamais isoler deux mots de leur contexte ; c'est le moyen de se tromper sur leur signification. On doit faire attention aux mots in truste, qui indiquent, non la population d'un canton, niais un groupe d'associés. M. Sohm a très justement remarqué (pages 188-189, 241) que les centenarii dont il est question dans ce décret de Clotaire ne sont pas des chefs de canton ; ils sont les membres des centenæ qui sont indiqués à l'article 9 du même édit. Or ces centenæ sont des associations contre le brigandage, que Clotaire a essayé d'instituer, sans que nous sachions s'il y a réussi. Les centenarii, dont il est question dans cet édit n'ont rien de commun avec les centenarii dont nous nous occupons dans le présent chapitre. Ajoutons que, dans l'expression electi centenarii, le mot electi, qui n'est pas suivi de a populo, ne signifie pas nécessairement élus par le peuple. Il peut signifier aussi bien choisis par le comte.

[145] Edictum Gunthramni, Borétius, p. 12 : Non vicarios aut quoscumque de latere suo per regionem sibi commissam instituere vel destinare præsumant qui malis operibus consentiendo venalitatem exerceant.

[146] Capitulaire de 800, c. 4 (Pertz, I, 121, c. 19) : Comites et vicarii eorum. — Capit. de 811, c. 2 (Pertz, I, 168) : Super comites et eorum centenarios. — Capit. de 825, c. 4 : Habeat unusquisque comes vicarios et centenarios suos secum. — Capit. de 884 : Comes præcipiat suis centenariis. Ces textes sont de l'époque carolingienne ; mais le mot centenarius est d'un emploi si rare à l'époque mérovingienne, qu'il n'est pas surprenant que les textes n'indiquent pas ce point particulier. Notons d'ailleurs qu'entre les deux époques on ne voit pas qu'il se soit produit aucun changement dans les rapports entre les centeniers et le comte.

[147] Dans les diplômes d'immunité, le roi dit à ses comtes : Neque vos neque juniores vestri. Juniores signifie les inférieurs et s'applique visiblement aux vicarii, tribuni, centenarii. — Dans les Bignonianæ, n° 24, Rozière n° 717, il est aussi parlé des juniores comitis. — Cf. Concile de Chalon de 815, c. 21 : Ministri comitum quos vicarios et centenarios vocant.

[148] Sur l'emploi du mot judices appliqué aux fonctionnaires en général, les exemples sont nombreux. Grégoire, VI, 46 : In præceptionibus quas Chilpericus rex ad judices pro suis utilitatibus dirigebat.... Il est clair qu'en ce passage judices ne signifie pas ce que nous appelons des juges. — Grégoire, VII, 42 : Edictum a judicibus datum est. — Decretio Childeberti, art. 9 : Si quis centenario aut cuilibet judici noluerit ad malefactorem adjuvare. — Edictum Chlotarii, a. 614, c. 4, Borétius, p. 21 : Ut nullus judicum de quolibet ordine clericum distringere audeat. — Concile d'Auxerre de 578, c. 45 : Quicumque judex aut sæcularis presbytero injuriam inferre præsumpserit. — Concile de Mâcon de 581, c. 7 : Quicumque judex — Dans les actes d'immunité, les mots nullus de judicibus (Pardessus n° 556), ou nullus judex publicus, ou absque introitu judicum (Pardessus n° 268), s'appliquent à tous fonctionnaires publics ; ils correspondent à neque vos neque juniores vestri appliqué aux comtes.

[149] Code Justinien, I, 22, 6 : Omnes cujuscumque majoris vel minoris administrationis universæ nostræ reipublicæ judices. — Ibidem, I, 24, 2 : Si quis judicum in administratione positus. — Ibidem, I, 24, 4 : Judicibus nostris. — Ibidem, I, 40, 5, 5, 8 : Ne quis judicum in provincia sua.... — Ibidem, I, 40, 15 : Judices qui provincias regunt. — I, 52, 1 : Omnibus judicibus qui per provincias sive militarem sive civilem administrationem gerunt.

[150] Il arrive souvent que le terme judex s'applique spécialement au comte, qui est le vrai fonctionnaire de l'époque. Decretio Childeberti, art. 4 : In cujuslibet judicis pago commissum fuerit ; ici le judex n'est autre que le comte qui régit le pagus. Dans le passage de l'édit de Gontran que nous avons cité plus haut, judices désigne visiblement les comtes ou les ducs, puisqu'ils ont une regio sibi commissa et que d'ailleurs ils choisissent vicaires et autres agents. Dans Grégoire, VI, 8, le même personnage est appelé d'abord judex, puis comes : Ad deprecandum judici... prosternitur ad pedes comitis. Le même écrivain parle d'un judex loci, V, 50, qui ne peut être que le comte de Bourges : Irruentibus Bituricis cum judice loci. Et notez qu'il l'appelle judex alors qu'il remplit une tout autre fonction que celle de juger. Ailleurs, IV, 18, le judex loci est le comte de Tours. Le comte d'Auvergne est appelé judex, IV, 47. Voyez aussi un passage, X, 15, où le comte de Poitiers Macco est qualifié tantôt comes, tantôt judex, tant les deux mots sont synonymes. De même chez Fortunatus, X, 22, le même personnage Galactorius est appelé judex et comes. On trouvera d'autres exemples dans la Vita Albini, 6 ; Vita Emani, 9 ; Vita Fidoli, 18 ; Vita Walarici, 8 ; Vita Desiderii Viennensis, 6 ; Vita Lupi Cabillonensis, 7 ; dans tous ces exemples le judex ou judex civitatis est manifestement le comte. Dans la Formula Turonensis, n° 24, Rozière, 119, le judex provinciæ est le gouverneur du pays, le comte.

[151] Grégoire, Vitæ Patrum, VIII, 5 : Armentarium comitem qui Lugdunensem urbem his diebus potestate judiciaria gubernabat. — Vita Desiderii Cat., 1 : Apud Massiliam judiciariam potestatem exercuit. — Diplomata, Pardessus, n° 258, 270 : Nec aliquis ex judiciaria potestate ; n° 281, 567, 597 : Nec quislibet judiciaria potestate accinctus. Dans les formules d'immunité, Nulla judiciaria potestas præsumat ingredi (Pardessus, n° 541, 545) ; Persona judiciariæ potestatis (Ibidem, n° 291). — Dans la formule de nomination du comte ou du duc, le roi dit : judiciariam convenit committere dignitatem (Marculfe, I, 8). — Marculfe, I, 2 : Nulla judiciaria potesias ibidem præsumat ingredi.

[152] Voyez, par exemple, une loi de 451 au Code Justinien, I, 11, 7, où le judex publicus est appelé quatre lignes plus bas rector provinciæ.

[153] Diplomata, Pardessus n° 258 : Nullus ex publias judicibus. — Que l'on compare entre eux les actes d'immunité, on verra que l'expression nullus publicus des uns correspond à neque vos des autres qui sont adressés aux comtes. — Edictum Chlotarii, a. 614, art. 5 : Judex publicus in audientia publica. Il était même dans les habitudes de l'Église d'appeler judices publici les fonctionnaires royaux. Actes du concile d'Orléans de 540, c. 20 : Judex publicus. — Marculfe, I, 5 : Nulla publica judiciaria potestas. — Le mot publicus est si fréquent dans les textes mérovingiens, que le sens n'en peut pas être douteux.

[154] Voyez les actes des conciles d'Orléans de 540, c. 20, d'Auxerre de 578, c. 45, de Mâcon de 581, c. 7, etc. Voyez aussi la note de Bignon à la suite des Capitulaires de Baluze, t. II, p. 878. — Dans l'Edictum Chlotarii, c. 5, les mots persona publica signifient toute personne dépendante du roi, par opposition aux hommes dépendants de l'Eglise, homines Ecclesiæ.

[155] Lex Ripuaria, LIII : Si quis judicem fiscalem quem comitem vocant interfecerit.... Cf. XXXII, 5, où le même personnage est appelé d'abord comes et deux lignes plus bas judex fiscalis.

[156] C'est ainsi que l'on dit ager fiscalis un domaine du roi (Grégoire, IX, 20), jumenta fiscalia les chevaux du roi (Grégoire, VIII, 40). Carcer fiscalis signifie une prison royale (Vita Eligii, II, 14). Dans la phrase de la Vita Sigiranni, c. 7, Stephanus qui tunc erat rector civitatis sub ditione fisci, ces derniers mots signifient sous l'autorité du roi.

[157] Diplômes des rois, Tardif n° 7, Pardessus n° 264 : Dagobertus rex Francorum... comitibus vel omnibus agentibus præsentibus et futuris. — Pardessus n° 270, Pertz n° 15 : Ducibus, vel omnibus agentibus. — Tardif n° 9, Pardessus n° 279 : Omnibus ageniibus præsentibus et futuris. — Pardessus n° 557, Pertz n° 58 : Chlotarius rex Francorum omnibus agentibus tam præsentibus quant futuris. — Pardessus n° 428, Pertz n° 65 : Chlodoveus omnibus agentibus præsentibus et futuris. — Grégoire de Tours, VI, 19 : Chilpericus mittit nuntios comitibus ducibusque et reliquis agentibus. — Chlotarii præceptio, c. 11 : Agentes publici. — Marculfe, I, 2 : Ille rex illi comiti vel omnibus agentibus. Cf. Andegavenses, 28 : Ante illo agente. Marculfe, Supplementum, n° 1, Zeumer, p. 107 : Omnibus curam publicam agentibus. — Epistola Desiderii (Bouquet, IV, 42) : Omnibus publica vel ecclesiastica agentibus.

[158] Edictum Chlotarii, c. 20. : Agentes episcoporum aut potentum. — Grégoire, VII, 42 : Agens domus illius ; il s'agit de l'agent de l'évêque qui régit un des domaines de Saint-Martin. Grégoire parle ailleurs de l'agent d'un grand propriétaire, lequel se fait tuer pour défendre les intérêts de son maître, IX, 55. — Il est question aussi des agentes des propriétaires dans Marculfe, II, 27 et 28 : Servitium quod vos aut agentes vestri mihi injunxeritis.... Pro vestro aut agentum vestrorum imperio. Les agentes Ecclesiæ sont mentionnés encore dans les Turonenses.

[159] Me ab actione remoto (Grégoire, V, 48). Ad renovandam actionem. (Ibidem, IV, 42). Quidquid de ipsa actione speratur (Marculfe, I, 8).

[160] Cf. Lex Baiuwariorum, II, 9, Pertz, III, p. 286, où l'on voit que les devoirs du duc sont in exercitu ambulare, populum judicare, in omnibus jussionem regis implere.

[161] Childeberti præceptio, c. 18, Borétius, p. 7.

[162] Grégoire, VIII, 50 : Si vos regalia jussa contemnitis, jam debet securis capiti vestro submergi.

[163] Grégoire, VI, 46.

[164] Edictum Gunthramni, Borétius, p. 12.

[165] Vita Leodegarii, c. 8, Bouquet, II, p. 617.

[166] Grégoire, V, 29 : Missis regalibus. — Ibidem : rex dirigens personas de latere suo. — IV, 15 : Misit rex Imnacharium et Scaptarium. primos de latere suo. — Marculfe, I, 20 : Missus de palatio nostro. — Ibidem, I, 25 : Dum nos ad præsens apostolicum virum illum out illustrent virum pro nostris utilitatibus ibi ambulare præcipimus. — Marculfe, I, 40 : Misso nostro quem ex nostro latere direximus. — Marculfi additamentum n° 2, Zeumer, p. 111 : Ille rex omnibus ageniibus seu missis nostris discurrentibus. — Formulæ Senonicæ, 28 : Vicariis, centenariis et missos nostros discurrentes. Ces deux dernières formules sont d'une époque assez tardive. — On lit missos de palatio nostro discurrentes dans deux diplômes de Childebert Ier et de Chilpéric Ier, mais ces deux diplômes ne semblent pas authentiques (Pardessus n° 144 et 168). J'en dirai autant du diplôme de Thierry III, n° 372.

[167] Grégoire, V, 29 : Lemovicinus populus congregatus Marcum referendarium interficere voluit ; unde multum molestus rex, dirigens de latere suo personas, populum supplicis conterruit.

[168] Grégoire, IV, 13 : Misit rex I. et S. de latere suo dicens : Ite et vi abstrahite Firminum de ecclesia.

[169] Marculfe, I, 40 : Præsente misso nostro, inlustri viro illo, quem ex nostro latere illuc pro hoc direximus.

[170] On voit un exemple de cela dans Marculfe, I, 20.

[171] Grégoire, V, 47 : Audiens Chilpericus omnia mala quæ faciebat Leudastis (comte de Tours), Ansovaldum illuc dirigit.

[172] Formulæ Andegavenses, 1 : Anno quarto regni Childeberti regis, cum Andecavis civitate curia publica resideret in foro... Rogo te, defensor, curator, magister militum, vel reliqua curia publica, uti codices publicos patere jubeatis ; etc. — Arvemenses, 1 b : Laudabilis vir defensor et vos honorati... — Ibidem, 2 b : Arvernis apud illum defensorem vel curiam publicam... — Marculfe, II, 57 : In civitate illa, adstante viro illo laudabili defensore et omni curia illius civitatis... Peto ut mihi codices publicos patere jubeatis.

[173] Pardessus. Loi salique, p. 271 et 279. — Schæffier, Gesch. der Reichsverf. Frankreichs, t. 1, p. 592. — Maurer, Gesch. der Allgerm. gerichtsverfahrens, 1824, p. 76. — Waitz, t. II, 2e édition, p. 495 et suiv. — Thudichum, Die Gau und Markverfassung, 1860, p. 82 et suiv. — Sohm, Reichs und Gerichts Verf., p. 285. Toutefois Sohm se sépare des précédents en ce qu'il reconnaît au moins que l'assemblée de centaine, uniquement assemblée judiciaire, n'avait aucun caractère politique.

[174] C'est ce qui est bien visible dans la formule de Marculfe, I, 40. On y lit que le comte réunit les hommes où il veut, locis congruis, sans distinction de race, tam Francos, Romanos, vel reliqua natione degentes, et qu'il les oblige ut debeant fidelitatem promittere et conjurare.

[175] Voyez, par exemple, Grégoire, V, 48, et Marculfe, I, 54.

[176] Voyez dans Grégoire l'exemple du comte Albinus et du comte Leudaste, IV, 44 ; V, 48-50.

[177] Grégoire, VII, 19 : Quum clamor fieret magnus adversus eos qui potentes fuerant cum rege Chilperico quod abstulissent vel villas vel res aliquas de rebus alienis, omnia quæ injuste ablata fuerant rex reddi præcepit. — Ibidem, VII, 22. — Frédégaire, Chron., c. 27. — Miracula S. Martini Vertavensis, 1. — Vita Eligii, I, 20 : Duces met et domestici spatiosas surripiunt villas. Voyez un exemple curieux de ces confiscations ou plutôt de ces spoliations dans Grégoire, VIII, 45.

[178] C'est cette idée fausse qui remplit le livre récent de M. Fahlbeck, La royauté et le droit francs, Lund, 1883. L'auteur suppose toujours que l'organisme de l'Etat Franc est une pure création des rois francs. Pour donner quelque apparence à son système, il a bien soin de ne jamais comparer cet organisme à ce qui existait avant lui en Gaule, et ce qui existait en même temps que lui dans les autres Etats antiques.

[179] Lex Burgundionum, præfatio : Tam Burgundiones romani civitatum aut pagorum comites. — Ibidem : Vel Romanus comes vel Burgundio. — Les édits royaux, comme dans l'Empire, comme plus tard chez les Francs, sont adressés aux fonctionnaires provinciaux, c'est-a-dire aux comtes : Gundobaldus rex Burgundionum omnibus comitibus (Lex Burg., tit. 89). — Un détail de l'ordre administratif nous est donné dans l'article 15 du deuxième additamentum (Pertz, Leges, III, p. 577) : Quicumque aliquem locum munificentiæ petere voluerit, cum litteris comitis sui veniat. — Le comte est aussi, comme chez les Francs, appelé judex : ibidem : ad illum judicem cujus territorio res illa continetur ; ce passage concerne un acte purement administratif et nullement judiciaire.

[180] Lex Burgundionum, 2° additam., art. 10, Pertz, p. 576 : Ut omnes comites in omnibus judiciis justitiam teneant Omnes causas ex legibus judicent. Cf. titre 76, et la præfatio, in fine.

[181] Cassiodore, Lettres, I, 11 ; III, 8 ; III, 27 ; V, 24 ; V, 50 ; VI, 20.

[182] On sait que le recueil connu sous le nom de Lettres de Cassiodore contient une nombreuse série d'actes de la chancellerie des rois ostrogoths. On y trouve six diplômes ou formules qui concernent les comtes des cités, un pour le comte de Marseille (III, 24), trois pour les comtes des grandes cités de Syracuse, Naples et Ravenne (VI, 22 et 25 ; VII, 14), la formule générale de nomination des autres comtes (VII, 26), et enfin la formule de lettre adressée à une cité pour lui notifier la nomination de son chef (VI, 24).

[183] Cassiodore, Lettres, I, 5 : In comitis Annæ judicio controversia est decisa. - III, 54 : Comitem dirigimus... ut curam possit habere justitiæ, minoribus solatium ferat, insolentibus severitatem objiciat, omnes cogat ad justum. — VI, 25 : ldeo ad comitivam le Neapolitanam per illam indictionem adducimus ut civilia negotia œquus trutinator examines.

[184] Cassiodore, Lettres, VI, 22.

[185] Cassiodore, Lettres, VII, 26 : In illa civitate comitivæ honorem tibi largimur ut et cives æquitate regas, et publicarum ordinationum jussiones constanter adimpteas. — Le comte est si bien un fonctionnaire, que le roi termine en lui promenant de l'avancement, ut libi meliora præstemus quando te probabiliter egisse præsentia sentiemus.

[186] Voyez la formule de la lettre adressée aux cités, VII, 27 : Civitatis vestræ comitivam nos illi largitos fuisse noverilis, cui salutberrimam parientiam commodate ut cousis vestris ferat remedium, et jussionibus publicis (c'est-à-dire aux ordres royaux) procuret effectum.

[187] Lex Wisigothorum, II, 1,17 : Dux provinciæ ; II, 1, 25. — Comes civitatis, II, 1, 12. Un comes civitatis figure parmi les signataires du concile de Tolède de 685. Le concile de Narbonne de 589 mentionne aussi les comites civitatum, art. 4, 9, 11, Sirmond, I, 400, 402.

[188] Lex Wisigothorum, II, 1, 25 : Comitem aut vicarium comitis seu thiuphadum. — II, 1, 26 : Dux, comes, vicarius, thiuphadus, millenarius, quingentenarius, centenarius, decanus. — IX, 2, 9 : Dux, comes, thiuphadus vel quislibet commissos populos regens.

[189] Lex Wisigothorum, IX, 2.

[190] Lex Wisigothorum, II, 1, 26.

[191] Lex Langobardorum, Rotharis, 545 : Ducat ad judicem qui in hoc loco ordinatus est. — Qu'il y eût un judex dans chaque civitas, c'est ce qui ressort de cet article 27 des lois de Liutprand : Si quis in aliam civitatem causam habuerit, vadat cum epistola de judice suo ad judicem qui in loco est. — D'autres articles visent les séditions de la civitas contre son judex (Liutprand, 55 ; Ratchis, 10). — Cf. Liutprand, 80 : Ut unusquisque in civitate sua faciat carcerem — Ce fonctionnaire, que les lois appellent judex, l'historien Paul Diacre l'appelle comes (Hist. Langobard., III, 9 ; IV, 51).

[192] Mais dans les lois lombardes le titre de judex paraît réservé spécialement au gouverneur de la civitas. — Le judex a d'ailleurs, comme le comes mérovingien, ses subordonnés. Leur nom est sculdahis ; il peut y en avoir plusieurs dans la même civitas ; Liutprand, 26 : Si homines de subruno judice, de duobus tamen sculdahis.... — Il y a même des centeniers : Judices præcipiant ad sculdahis suos, aut ad centenos, aut ad locopositos (Ratchis, 1).

[193] Les lois parlent surtout d'eux comme juges ; elles font pourtant quelques allusions à leur fonction de recruter les soldats (Ratchis, 4). Voyez encore sur quelques attributions administratives de ce judex, Ratchis, 13.

[194] Lex Langobardorum, Rotharis, 27 : Judex qui in hoc loco ordinatus est a rege.

[195] Le roi Ratchis, dans une de ses lois, dit qu'en cas de faute judicem de illo honore expellimus et per nullos patronos obtinere poterit ut honorem suum von amillat (Ratchis, 1). Cf. Aistulph, 4 : Judex qui hoc facere præsumpserit, honorem suum amittat.