LA GAULE ROMAINE

LIVRE SECOND. — L'EMPIRE ROMAIN

(Du règne d'Auguste à la fin du troisième siècle)

 

CHAPITRE V.

 

 

LA CITÉ GAULOISE SOUS L'EMPIRE ROMAIN.

 

Avant la domination romaine on avait compté dans la Gaule environ 80 peuples ; on en compta à peu près autant dans la Gaule soumise à Rome[1]. Si l'on compare, géographiquement, aux temps de l'indépendance ceux de la domination romaine, on remarque quelques changements ; mais ils sont surtout dans le Midi, c'est-à-dire dans la Narbonnaise. Le peuple des Allobroges est devenu la cité de Vienne. Le peuple des Volques Tectosages a formé les cités de Toulouse, de Narbonne, de Carcassonne, de Béziers. Le peuple des Volques Arécomiques est devenu la cité de Nîmes. La [presque totalité] de ces cités s'appellent des colonies romaines[2] ; les unes ont reçu un petit nombre de colons italiens qui se sont bien vite fondus dans la masse des indigènes ; les autres, sans qu'aucun colon y ait été envoyé, ont reçu la qualification de colonie comme un titre et comme la marque de droits municipaux qui leur étaient accordés.

En même temps quelques villes nouvelles étaient fondées dans la vallée du Rhin : Augusta Rauracorum (Augst, près de Bâle), Breucomagus Tribocorum (Brumath), Nemetes (Spire), Mogontiacum (Mayence), Juliacum (Juliers), Colonia Claudia Àgrippina (Cologne), Colonia Ulpia Trajana (Xanten), Confluentes (Coblentz), et quelques autres.

Mais si nous mettons à part la Narbonnaise et les bords du Rhin, si nous prenons les Trois Provinces des Gaules, c'est-à-dire l'Aquitaine, la Lugdunaise et la Belgique, lesquelles forment les quatre cinquièmes du pays, nous n'y apercevons aucun changement notable. Strabon y compte 60 peuples, ce qui est à peu près le même chiffre qu'avant la conquête[3]. Un peu plus tard. Tacite en compte 64, apparemment parce qu'il ajoute quelques cités nouvellement formées dans la région du Rhin[4]. Un siècle après, le géographe Ptolémée énumère dans cette région 64 peuples[5].

Ce qui est surtout digne de remarque, c'est que ce sont les mêmes peuples qu'au temps de l'indépendance. Tous ceux que César a énumérés, les Trévires, les Nerviens, les Atrébates, les Ambiens, les Tongres, les Véromanduens, les Rèmes, les Bellovaques, les Médiomatrices, les Lingons, les Séquanes, se retrouvent dans la Belgique romaine[6]. Ceux qu'il avait nommés dans la Celtique, les Eduens, les Ségusiaves, les Sénons, les Parisiens, les Carnutes, les Turons, les Ëburovices, les Calètes, les Cénomans, les Namnètes, les Vénètes, les Lexoviens, se retrouvent dans la province Lugdunaise[7]. Les Pictons, les Santons, les Bituriges de Bordeaux et les Bituriges de Bourges, les Pétrocores, les Lémovices, les Arvernes, les Cadurques, les Cabales, les Ausques, les Butènes, que César avait eus pour alliés ou pour ennemis, existent encore sons les Romains et composent l'Aquitaine[8]. Vous retrouvez tous ces mêmes noms dans la liste de Pline, dans celle de Ptolémée, et dans les inscriptions.

Il est visible d'après cela que Rome n'a pas brisé les corps politiques qu'elle avait trouvés établis. Elle a laissé à chacun d'eux son ancien nom[9] ; elle lui a laissé son territoire et son étendue. Elle n'a même pas pris la peine de couper en deux les plus forts, ceux qui, comme les Arvernes, l'avaient tenue quelque temps en échec.

Les cités de la Gaule romaine ne furent pas autre chose que ces anciens peuples. Ce que l'on appelait une cité était bien plus qu'une ville et que sa banlieue ; c'était, géographiquement, un territoire où l'on trouvait une capitale, plusieurs pagi, quelques petites villes, un certain nombre de villages, vici, et un nombre incalculable de propriétés rurales ; c'était, politiquement, un corps organisé, qui se souvenait d'avoir été un Etat souverain. On voit déjà par là que le régime municipal dont nous allons parler était fort différent de ce qu'on appelle aujourd'hui du même nom.

Pour étudier ce régime municipal avec quelque exactitude, il faut faire d'abord une distinction. On doit mettre d'un côté les cités dites colonies romaines et celles qu'on appelait de droit latin[10], et de l'autre les cités qui n'avaient pas ces qualifications.

Ce qui distingue les cités dites colonies, c'est moins d'avoir reçu quelques colons de sang italien que d'avoir reçu de Rome leur constitution. Les inscriptions nous ont conservé les chartes municipales de plusieurs villes d'Italie et d'Espagne[11]. Ces chartes sont des lois faites par le pouvoir central à l'usage des villes. D'ailleurs, le trait commun à toutes ces chartes est qu'elles constituaient les cités à l'image de l'ancienne République romaine[12]. Le peuple de la cité, partagé en tribus ou en curies, se réunissait dans ses comices et élisait chaque année ses magistrats[13]. Les magistrats suprêmes étaient le plus souvent au nombre de deux, comme les anciens consuls de Rome ; on les appelait duumvirs. Ils avaient aussi, comme les anciens consuls, les pouvoirs administratif, judiciaire, et militaire[14]. Tous les cinq ans [ils prenaient] le titre de duumviri quinquennales, [et] remplissaient les fonctions de l'ancien censeur. Au-dessous d'eux se trouvaient deux édiles, chargés de la surveillance des voies publiques et des marchés, du soin des fêtes et du culte. Des questeurs faisaient les opérations financières, telles que locations, baux, enchères publiques. Un sénat, comme dans l'ancienne République, avait la direction générale et la préparation de tout ce qui devait être décidé par le peuple. On l'appelait ordinairement du nom de curie et ses membres du nom de décurions. Il était composé, ainsi qu'à Rome, de ceux qui avaient exercé les magistratures et de ceux que le quinquennalis inscrivait sur l’album[15]. Il est curieux que le gouvernement impérial ait ainsi donné aux cités une constitution qui, loin d'être conforme à lui-même, restait toute républicaine.

Quoique aucune des chartes municipales des villes de Gaule qualifiées colonies ne nous soit parvenue, nous pouvons penser qu'elles ressemblaient pour le fond à celles qui ont été conservées en Espagne et en Italie. Ce qui confirme pleinement cette opinion, c'est que tous les éléments essentiels de ces chartes se retrouvent dans les inscriptions qui concernent les colonies romaines de Gaule. A Narbonne, nous voyons le peuple faisant une loi[16]. A Lyon nous voyons la curie, curia, ordo[17]. Les décurions nous apparaissent dans une série d'inscriptions de Nîmes, de Narbonne, d'Arles, de Cologne [et de beaucoup d'autres cités[18]]. Nous apercevons des duumvirs à Narbonne, à Vienne, à Lyon, à Cologne, et des quattuorviri à Nîmes[19] ; des édiles à Cologne, à Lyon, à Vienne, à Nîmes, à Aix[20] ; des questeurs à Narbonne et à Arles[21]. [Nous ne citons que les plus importantes colonies.]

Mais il ne faut pas perdre de vue que les cités que nous venons d'énumérer n'étaient qu'une petite partie de la Gaule. Toutes les autres étaient formées d'anciens peuples gaulois. Or aucun de ces peuples entrant dans l'Empire ne reçut du gouvernement romain une constitution municipale.

Les uns furent qualifiés libres ou alliés, ce qui signifiait tout au moins qu'ils ne recevaient de Rome aucune loi. Les autres étaient déditices, et cela signifiait qu'ils n'avaient aucune loi officiellement reconnue par Rome. Dans l'un et l'autre cas il est visible que le gouvernement central n'eut pas à leur donner de constitutions. Ainsi l'origine du régime municipal gaulois, pour la grande majorité du pays, doit être cherchée dans les habitudes et les traditions de l'ancienne Gaule, modifiées apparemment par l'exemple des colonies romaines.

Nous avons vu, en effet, que la Gaule avant la conquête avait eu un régime politique dans lequel chaque petit peuple avait été un corps indépendant et s'était gouverné lui-même. Rien de cela ne fut détruit par la conquête. Rome se gardait bien d'enlever aux peuples qu'elle avait soumis leurs organismes propres. Elle ne leur enlevait pas non plus toute liberté. Un siècle et demi après la conquête, il y avait encore quatre peuples gaulois qui étaient appelés, non pas sujets, mais alliés de Rome : c'étaient les Rèmes, les Lingons, les Éduens et les Carnutes[22]. D'autres, au nombre de dix, étaient des peuples libres : c'étaient les Nerviens, les Suessions, les Ulmanètes, les Leuques, les Trévires, les Meldes, les Ségusiaves, les Santons, les Bituriges, les Turons[23]. Les inscriptions marquent que ces cités tenaient à leur qualification d'alliée ou de libre[24]. D'autre part, il nous a été conservé une lettre écrite par le sénat de Rome à la curie de Trêves, au ni, siècle, et cette lettre commence ainsi : Vous êtes et avez toujours été un peuple libre[25].

Il ne faut ni exagérer ni amoindrir la valeur de ces titres. Sans doute ils ne pouvaient pas signifier que ces peuples fussent indépendants de Rome et de l'empereur ; mais ils signifiaient que chacun d'eux conservait ses lois propres, sa juridiction, ses magistratures. Il fallait, à la vérité, obéir aux ordres du prince représenté par son légat ; il fallait payer des impôts, fournir des soldats. Mais, ces obligations une fois remplies, le peuple qui était appelé libre ou allié ne sentait plus l'action du gouvernement central ; les actes de sa vie intérieure étaient libres[26].

Il nous est resté quelques vestiges de la vie municipale de ces cités gauloises pendant les deux premiers siècles. Oh peut constater d'abord que les historiens ne signalent jamais l'existence d'une garnison romaine dans leurs murs. Tacite montre la cité des Eduens levant elle-même des troupes et se chargeant de réprimer une insurrection de paysans[27]. Il montre ailleurs la cité des Rèmes envoyant des députés aux autres peuples gaulois et convoquant dans ses murs un congrès de représentants de la Gaule[28]. L'historien n'ajoute pas qu'un acte si grave ait dépassé les droits d'une cité. Des faits de telle nature supposent le maintien d'un organisme politique assez indépendant et une certaine habitude de la liberté.

Quant aux autres peuples gaulois qui n'avaient ni le titre d'allié ni celui de libre, aucun historien ne nous renseigne sur leur condition. Il est toutefois impossible de ne pas remarquer deux choses : l'une, que Tacite en parlant des cités gauloises ne les sépare jamais en deux catégories différentes ; l'autre, que les inscriptions qui nous viennent des cités non réputées libres, ressemblent de tout point à celles des cités qui ont ce titre : comme celles-ci, elles signalent des magistratures locales et des décrets municipaux. D'ailleurs les délégués des soixante cités gauloises figuraient à titre égal dans la fête du temple d'Auguste et dans les délibérations qui la suivaient. Rien n'autorise donc à croire que les peuples à qui manquent les noms d'alliés ou de libres aient été traités avec beaucoup plus de rigueur que ceux à qui ces titres furent donnés.

La constitution intérieure de ces cités gauloises nous est moins bien connue que celle des colonies dont nous parlions tout à l'heure. Les inscriptions ici sont moins nombreuses, et leurs indications moins précises. Comme nous ne voyons à aucun indice que Rome leur ait donné une constitution municipale, nous pouvons admettre qu'elles gardèrent d'abord le genre de gouvernement qu'elles avaient eu avant la conquête. Il s'y produisit seulement quelques modifications naturelles. Comme le parti démocratique s'était montré hostile aux Romains, il est probable que ce qu'il y avait de démocratique dans la constitution des Etats en disparut. Partout l'autorité fut entre les mains de sénats, c'est-à-dire de corps aristocratiques. Puis, à mesure que les Gaulois se détachèrent du druidisme et adoptèrent les dieux romains, les druides disparurent des conseils des cités et furent remplacés par les pontifes et les flamines de la religion nouvelle.

Un autre changement se laisse entrevoir dans les inscriptions. Aucune d'elles ne nous donne les noms [complets de] [toutes les] magistratures dans les cités des trois provinces. Mais plusieurs portent cette formule qu'un personnage s'est acquitté de toutes les magistratures dans sa cité[29]. Il y avait donc dans ces cités une série de magistratures que l'homme remplissait l'une après l'autre. Or, comme la même formule était usitée dans les colonies du midi de la Gaule[30], où elle signifiait visiblement que le personnage avait obtenu la questure, l'édilité, le duumvirat, nous sommes amené à croire que c'étaient les mêmes magistratures ou des magistratures analogues qui s'étaient établies dans les cités des trois provinces. Il y a donc apparence que le nombre des magistrats s'était augmenté et que les Eduens, par exemple, au lieu d'un vergobret unique, avaient des duumvirs annuels, à l'imitation des colonies romaines.

Nous pouvons donc, en attendant que de nouveaux documents confirment ou modifient notre oi)inion, nous représenter le régime de la cité gauloise de la manière suivante :

Un premier point est que dans cette cité le gouvernement central n'entretenait aucun agent. Il existait un præses pour l'ensemble de la province, c'est-à-dire, par exemple, pour toute la Lugdunaise, qui était un tiers de la Gaule ; il n'existait pas de fonctionnaire dans la cité des Eduens ou dans celle des Arvernes, qui était pourtant plus grande qu'un de nos départements modernes.

Chacun de ces peuples continua à former un Etat. Le langage officiel l'appelait civitas ou respublica[31]. Or ces deux termes, dans la pensée des -hommes, désignaient autre chose que de simples divisions territoriales ; ils présentaient à l'esprit l'idée de véritables corps politiques. Aussi les lirons-nous dans des décrets qui ont été rédigés par ces petits Etats avec une pleine indépendance.

Le territoire de la cité se partageait ordinairement en cantons qu'on appelait pagi. Ces subdivisions, qui avaient déjà existé dans la Gaule indépendante[32], ont été si universellement usitées et si vivaces, que nous les retrouverons dans toutes les parties de la Gaule après la chute de l'Empire romain. Ils apparaissent déjà dans les inscriptions du temps de cet Empire[33]. Ils avaient des chefs que l'on appelait magistri ; mais nous ne savons pas bien s'ils les élisaient eux-mêmes ou si ces chefs leur étaient donnés par la cité. Quelles étaient les relations entre le pagus et la cité, c'est ce qu'il est impossible de dire sûrement. En droit, le pagus dépendait de la cité et n'en était qu'une partie[34]. En pratique, on ne sait pas par quels procédés ni dans quelle mesure cette supériorité de la cité s'appliquait. Les historiens modernes ont professé que la ville dominait les campagnes. Ils ont émis cette théorie que le principe du régime municipal romain était la subordination des campagnes aux villes. Cette théorie ne s'appuie sur aucun fait. Elle vient d'une confusion qu'on a faite entre les termes de ville et de cité, urbs et civitas. La cité avait sans nul doute un chef-lieu, urbs, mais elle comprenait tout le territoire. Les pagi n'étaient pas soumis à la civitas, ils en faisaient partie. Les habitants du chef-lieu n'avaient pas plus de droits ni d'autres droits que les propriétaires des campagnes. C'étaient les riches, les grands propriétaires ruraux, qui exerçaient les magistratures de la cité, et ils les exerçaient sur toute la cité indistinctement. Le trait essentiel du régime municipal romain était l'union de la campagne et de la ville.

Les documents connus jusqu'à ce jour ne nous montrent pas de comices populaires dans les cités gauloises[35]. On peut admettre qu'il en exista, surtout dans les deux premiers siècles ; mais on ne saurait dire comment ils étaient composés. Se figurer une assemblée de tous les hommes libres votant indistinctement serait téméraire.

Ce qui se voit mieux, c'est que chacune de ces cités avait un conseil dirigeant que l'on appelait son sénat, son ordre des décurions, sa curie[36]. Les inscriptions donnent souvent à ce conseil l'épithète de très grand, très saint, splendidissimus, sanctissimus ordo[37]. La liste des décurions était dressée tous les cinq ans par le quinquennalis, qui devait y faire entrer tous les anciens magistrats de la cité, et les membres étaient inscrits sur cette liste suivant le rang que leur donnaient les magistratures qu'ils avaient exercées[38]. C'était ce conseil qui délibérait sur tous les intérêts du petit Etat[39]. Il examinait les comptes de finances. Souvent il s'érigeait en tribunal pour recevoir les appels des magistrats[40]. Il rédigeait des décrets qui avaient force de loi pour tous les membres de la cité. Beaucoup d'inscriptions nous sont parvenues avec la mention ex decreto decurionum[41].

La cité avait ses magistratures, que la langue du temps appelait honores. Ces honneurs formaient une série dont il fallait gravir les divers échelons. Arrivé au terme de sa carrière, un personnage pouvait dire qu'il avait rempli tous les honneurs dans sa cité, omnibus honoribus fanctus[42]. On commençait par être questeur, puis édiie, puis duumvir et flamine de la cité.

Les duumvirs avaient en mains ce que le langage moderne appelle le pouvoir exécutif, et étaient comme des chefs de république[43]. C'étaient eux qui convoquaient cl présidaient la curie. Ils proposaient les décrets, les faisaient voter, et les exécutaient. Ils possédaient en même temps l'autorité judiciaire avec un droit de coercition sur tous les membres de la cité[44]. Ils géraient aussi les intérêts financiers, affermaient les terres publiques, mettaient en adjudication la construction des édifices. Les contrats et les donations, l'adoption et l'affranchissement s'accomplissaient devant eux et recevaient d'eux le caractère d'actes authentiques[45]. Tous les cinq ans, ces duumvirs ajoutaient à leur titre ordinaire celui de quinquennaux, et ils remplissaient alors les fonctions si importantes qu'avaient eues autrefois les censeurs de Rome ; ils faisaient le recensement, évaluaient les for-lunes, répartissaient les impôts, fixaient à chaque citoyen son rang, et dressaient la liste des décurions et sénateurs[46].

Au-dessous des duumvirs, la cité avait deux édiles, qui avaient la police des marchés et des rues, et un questeur, qui avait le maniement des fonds publics[47]. Puis venaient des fonctionnaires inférieurs, les curatores annonæ, les curatores viarum, les scribæ[48], et enfin tout un personnel d'affranchis et d'esclaves publics, liberti, servi publici. Notons bien, d'ailleurs, que la liste des magistratures et leurs noms n'étaient pas les mêmes dans toutes les cités. Jamais l'uniformité ne régna dans ce régime municipal de l'Empire romain.

Quelque doute qu'il puisse y avoir, en l'absence de documents suffisants, sur la nature et les attributions de ces magistrats, comme sur leur mode précis de nomination, une chose du moins paraît bien certaine : durant les deux premiers siècles, la cité gauloise, la grande cité comme était celle des Arvernes, celle des Éduens ou celle des Séquanes, eut un corps de magistrats et de chefs qui ne lui étaient pas envoyés par le gouvernement impérial, mais qu'elle nommait elle-même[49]. C'était à elle aussi qu'à l'expiration de leur charge ils rendaient leurs comptes. C'était vis-à-vis d'elle, et non du pouvoir central, qu'ils étaient responsables de leurs actes.

Non seulement cette cité ne recevait pas de garnison romaine, mais elle avait ses soldais à elle, sa petite armée pour la police locale[50]. Les villes avaient des fortifications[51].

Chaque cité possédait sa fortune publique, qui consistait en édifices, en terres[52], en capitaux, en contributions. Elle pouvait recevoir des donations et des legs[53]. Elle administrait elle-même cette fortune[54]. Elle affermait ses terres et plaçait ses capitaux à intérêts[55]. Elle avait ses contributions propres, telles que octrois, droits sur les marchés, droits de passage aux ponts et sur les routes[56].

Elle avait aussi ses dépenses propres. Elle devait entretenir ses fortifications, ses rues, son forum, ses basiliques, ses temples, ses bains publics et son théâtre, ses routes et ses ponts[57]. Elle fondait des écoles et elle en nommait les maîtres[58], comme elle nommait ses médecins[59].

Elle nommait aussi ses prêtres, ses flamines, ses pontifes[60]. Elle avait même ses dieux à elle. Nous avons vu que l’autorité monarchique divinisée était l'objet d'un culte ; il y avait aussi un culte municipal. A chaque cité gauloise présidait un Génie qui recevait l'adoration des hommes[61]. Elle avait ses autels, son culte local, ses fêtes. Les spectacles tenaient une grande place dans la vie de cette cité ; c'est qu'ils étaient chose sacrée. Une idée religieuse s'y attachait encore. Le peuple tout entier y assistait, chacun suivant son rang, les magistrats et les décurions aux places d'honneur[62], et la cité regardait, à la fois recueillie et joyeuse, ces jeux offerts à ses divinités[63].

En résumé, la cité sur son vaste territoire était constituée comme un véritable État. Nous ne voulons pas dire par là qu'elle fût indépendante. Se la représenter comme une communauté libre sous la simple suzeraineté de l'Empire est exagéré et peu exact. Elle devait obéir à tous les ordres du gouvernement impérial. Elle ouvrait ses portes au proconsul toutes les fois qu'il voulait la visiter[64], et nous verrons plus loin que presque tous ses actes étaient soumis à l'approbation du gouverneur de la province. Mais ce que nous devons noter ici, c'est d'abord que le gouvernement impérial n'avait pas un agent toujours présent dans la cité ; c'est ensuite que cette cité avait un organisme complet et une vie propre. Elle possédait son sénat dirigeant, son corps de magistrats, sa juridiction, sa police, son trésor, ses biens meubles et immeubles, sa fortune publique, ses écoles, son clergé et son haut sacerdoce. Rien de tout cela ne lui venait du dehors : magistrats, professeurs, prêtres, elle trouvait tout en elle-même. Sans doute elle n'était pas un État libre ; elle était du moins un État.

 

 

 



[1] M. Ern. Desjardins (Géographie de la Gaule, t. III) arrive au chiffre de 89 cités, dont 22 en Narbonnaise, 17 en Aquitaine, 23 en Lugdunaise, 14 en Belgique, 10 dans les deux Germanies. Nous nous écartons un peu de lui, surtout en ce qui concerne cette dernière région.

[2]  [On trouve vingt-deux cités en Narbonnaise] qui, dans Pline, [Ptolémée] ou dans les inscriptions ont la qualification de colonia [et le nombre total des cités de la province n'a pas dû être de beaucoup supérieur à ce chiffre]. Ce sont : Vicuna, Nemausus, Narbo, Tolosa, Carcasso, Bæterræ, Ruscino, Valentia, Avennio, Arausio, Cavellio, Arelate, Aquæ Sextiæ, Julia Meminorum (l'ancienne Carpentoracle, dont le nom est resté, Carpentras), [Dea Vocontiorum, Sextantio], Julia Reiorum (Riez), Apta Julia, [Forum Julii, Fréjus], Luteva (Lodève). — [Dinia ; le nombre de ces colonies pourra d'ailleurs s'augmenter, cf. Corpus, XII, n° 6037 a.] Il faut ajouter Lugdunum et un peu plus tard quelques cités détachées de la cité [des Helvètes], colonia Equestris (Nyon), colonia Aventicum (Avenches). — Remarquons les vrais noms, les noms officiels de ces cités. Narbonne s'appelle colonia Julia Paterna Claudia Narbo Martius (Orelli, n° 2489 ; Wilmanns, n° 104, 2194 ; Henzen, n° 5232) ; Aix s'appelle colonia Julia Augusta Aquæ Sextiæ (Wilmanns, n° 2215 ; Herzog, n° 356) ; Lyon s'appelle colonia Claudia Copia Augusta Lugdunum (Wilmanns, n° 2210, 2228, 2232) ; Orange s'appelle colonia Firma Julia Secundanorum Arausio (Wilmanns, n° 2210) ; Arles s'appelle colonia Julia Paterna Arelate (Orelli, n° 200 et 202) ; Apt s'appelle colonia Julia Apta (ibidem, n° 197, 200 ; Henzen, n°5210) ; Nyon s'appelle colonia Julia Equestris (Orelli, n° 307, 311) ; Avenches s'appelle colonia Pia Flavia Constans Emerita (ibidem, n° 363 et 364). [Cf. Corpus, XII, p. 939.] Ainsi il eu fut des villes comme des hommes. De même que l'homme qui devenait citoyen romain prenait le nom de celui à qui il devait la cité, de même la ville prenait le nom de celui qui la fondait. [Toute cette question des colonies de la Narbonnaise a été reprise et renouvelée par M. Hirschfeld.]

[3] Strabon, IV, 3, 2. Cela résulte du rapprochement des mots π πντων κοιν τν Γαλατν (la Narbonnaise non comprise) et τν θνν ξκοντα τν ριθμν. Strabon s'appuie ici sur l'inscription officielle gravée dans le temple de Lyon.

[4] Tacite, Annales, III, 44 : Quatuor et sexaginta civitates Galliarum.

[5] Ptolémée, édit. Ch. Müller, dans la collection Didot, liv. II, c. 8, 9, 10, p. 200 à 229. Le chiffre de 64 me paraît plus exact que celui que donne M. Desjardins. La difficulté vient de ce qu'on ne distingue pas toujours dans ce texte de Ptolémée les peuples et les villes. Pourtant le géographe s'exprime clairement ; il donne d'abord le nom du peuple, et il ajoute les noms des villes, qui sont quelquefois au nombre de deux et de trois pour chaque peuple. En faisant attention à ce point, on compte 17 peuples dans l'Aquitaine, 25 dans la Lugdunaise, et 22 peuples dans la Belgique ; total 64. Il faut noter que Ptolémée ne fait pas des deux Germanies deux provinces distinctes. En effet, il commence par dire que la Gaule entière est partagée en quatre provinces, l'Aquitaine, la Lugdunaise, la Belgique et la Narbonnaise (II, 7, p. 206) ; puis c'est dans la Belgique qu'il place la Germanie Inférieure et la Germanie Supérieure ; même, il les intercale entre les Médiomatrices et les Leuci d'une part, les Lingons et les Séquanes de l'autre, ceux-ci faisant partie visiblement de la Belgique, et non pas de la Germanie ; voir Pline, Histoire naturelle, IV, 17, 106.

[6] Voici la liste complète des cités de la Belgique, d'après Ptolémée : Atrebalii, Bellovaci, Ambiani, Morini (capitale Tervanna), Tungri (cap. Atuatucum), Menapii, Sunanecti, Viromandui, Vessones, Remi, Treveri, Mediomatrices, Leuci (capitale Tullum), Lingones, Sequani, Helvetii, Batavi, Nemetes, Vangiones, Triboci, Raurici. — L'énumération de Pline est un peu différente : Texuandri, Menapii, Morini, Oromarsaci, Britanni, Ambiani, Bellovaci, Bassi, Atrebates, Nervii, Veromandui, Suessiones, Ulmanetes, Tungri, Leuci, Treveri, Lingones, Remi, Mediomatrici, Sequani, Raurici, Helvetii..., Nemetes, Triboci, Vangiones..., Batavi. — [L'orthographe de plusieurs de ces noms est douteuse, nous étant arrivée assez corrompue par les manuscrits. Voir en dernier lieu l’Atlas de la France, de M. Longnon.]

[7] Voici la liste complète des cités de la Lugdunaise, d'après Ptolémée : Caletæ (cap. Juliobona, Lillebonne), Lexovii, Venelli, Viducassii, Osismii, Veneti, Samnitæ, Diablintes, Arvii, Veliocassii (cap. Rotomagus, Rouen), Andecavi, Cenomani, Namnetæ, Abrincatui, Eburoviri, Redones, Senones, Carnuti, Parisii, Tricassi, Turoni, Sevusiavi, Meldæ, Vadicasii, Ædui.

[8] Ptolémée compte dans l'Aquitaine : Pictones, Santones, Bituriges Vivisci, Tarbelli, Lemovici, Cadurci, Petrocori, Biturides Cubi, Nitiobriges (capitale Aginnum), Vasalii (le Bazadais), Gabali (le Gévaudan), Datii, Auscii, Arverni, Velauni, Ruteni, Convenæ.

[9] Nous avons vu plus haut que quelques villes prirent des noms nouveaux, mais que les noms des peuples et des cités ne changèrent pas.

[10] Pline, Histoire naturelle, III, 4, 31-36 : Ruscino Latinorum... Oppidum latinum Antipolis... Oppida latina Aquæ Sextiæ, Avennio, Apta Julia. — Strabon, IV, 2, 2 : Δεδκασι Λτιον ο ωμαοι κουιτανν τισι, καθπερ Ασκοις. — IV, 1, 12 : Νμαυσος... χουσα τ καλομενον Λτιον, στε τος ξιωθντας γορανομας κα ταμιεας ν Νεμασ ωμαους πρχειν.

[11] Lex Julia municipalis, de l'an 46 ou 45 av. J.-C, dans le Corpus inscriptionum latinarum, t. I, p. 120 ; Orelli, n° 3676. — Lex Salpensana et Lex Malacitana, rédigées sous le règne de Domitien, dans le Corpus inscriptionum latinarum, t. Il, n° 1965 et 1964 ; Henzen, n° 7421 ; Giraud, Antiqui juris romani vestigia. — Lex Coloniæ Juliæ Genetivæ, dans le Corpus inscriptionum latinarum, II, p. 191.

[12] Aulu-Gelle, XVI, 13 : Jura institutaque omnia populi romani habent.

[13] Lex Malacitana, LIII. — Lex Coloniæ Genetivæ, CI. — Cf. pour des villes d'Afrique, L. Renier, Inscriptions de l’Algérie, n° 91 [Wilmanns, n° 2360] et 3287.

[14] Lex Malacitana, LXV. — Lex Coloniæ Genetivæ, CXXXII.

[15] Voir, par exemple, l’album de Canusium, dressé en l'année 225, dans Orelli, n° 5721 [et Wilmanns, n° 1850]. En tête sont les duumviri quinquennales de l'année ; puis viennent trente et un patrons de la cité, viri clarissimi [et huit patrons, qui ne sont que equites Romani], puis les sept citoyens anciens quinquennales, et quatre allecti inter quinquennalicios, puis [vingt-neuf] anciens duumviri, dix-neuf ædilicii, neuf quæstoricii, trente-deux décurions qui n'ont pas été magistrats, enfin vingt-cinq prætextati.

[16] Wilmanns, n° 104, Lebègue, p. 117 [Corpus, XII, p. 550]. — De même chez les Voconces, Wilmanns, n° 2216 [Corpus, XII, n° 1580] : Ex consensu et postulatione populi. — De même à Lyon, ibidem, n° 2224.

[17] Wilmanns, n° 2216 [Corpus, XII, n° 1585] : Adlecto in curiam Lugudunensium... a splendidissimo ordine eorum. — N° 2224 : Suffragio sanctissimi ordinis. — N° 120 : Locus datus decreta dccurionum. — Henzen, n° 7009 : Allecto in amplissimum ordinem.

[18] Décurions à Narbonne, Wilmanns, n° 104 [Corpus, XII, p. 530] ; à Nîmes, Herzog, n° 225 [ibidem, n° 3316] ; à Lyon, Allmer, n° 524 ; à Arles, Wilmanns, n° 2741 [ibidem, n° 314] ; à Genève, ibidem, n° 2724 [Corpus, XII, n° 2610. L'existence de décurions à Genève n'est point certaine] ; à Cologne, ibidem, n° 2255 et 2284. — [Corpus, XII, p. 959.]

[19] Duumviri à Narbonne, Wilmanns. n° 2195 [Corpus, XII, n° 4406], à Lyon, ibidem, n° 2225 ; à Vienne, ibidem, n° 2255 et 2244 [Corpus, XII, n° 1902] ; à Nyon, ibidem, n° 2246 a [Corpus, XII, n° 2606 et 2607] ; à Cologne, ibidem, n° 2285. — A Nîmes ce sont des quattuorviri, ibidem, n° 2200, 2201, 2205 [Corpus, XII, p. 582).

[20] Wilmanns, n° 2206 ; Orelli, n° 2215, 4025 ; Henzen, n° 5232 ; Herzog, n° 268 ; Inscriptiones helveticæ, n° 120 ; Brambach, n° 549 [Corpus, XII, p. 940 et les préfaces aux diverses cités].

[21] Henzen, n° 5232 ; Herzog, n° 268, 530 ; Wilmanns, n° 2207 [Corpus, XII, p. 940].

[22] Les Rèmes et les Lingons avaient toujours été fidèles à Rome, les Éduens avaient combattu César dans la dernière campagne ; les Carnutes avaient toujours combattu contre lui.

[23] Pline, Histoire naturelle, IV, 17-19, 105-108 : In Gallia... Nervii liberi, Suessiones liberi, Ulmanetes liberi [Silvanectes ?]... Leuci liberi, Treveri liberi antea, Lingones fœderati, Remi fœderati...., Ædui fœderati, Carnuli fœderati, Meldi liberi, Secusiani [?] liberi..., Santones liberi..., Bituriges liberi qui Cubi appellantur..., Arverni liberi. — Trêves reçut plus tard le titre de colonie ; Tacite, Histoires, IV, 62 ; Wilmanns, n° 2281. [De même, Langres, la cité des Séquanes, etc.]

[24] La cité de Reims est qualifiée fœderata dans des inscriptions du temps de Trajan (Allmer, n° 68 ; Henzen, n° 5212 ; Wilmanns, n° 2246 d, 2246 c) [Corpus, XII, n° 1869 et 1855]. — De même la cité de Tours est qualifiée civitas Turonum libera (Revue archéologique, t. XIII, p. 66). — On trouve aussi civitas Vellavorum libera (Henzen, n° 5221).

[25] Vopiscus, Florianus, 18, édit. Peter, t. II, p. 183 : Alia epistula : Senatus amplissimus curiæ Treverorum. Ut estis liberi et semper fuistis, lætari vos credimus ; creandi principis jndicium ad senatum redit....

[26] Il faut bien entendre que les mots liberi, socii, fœderati, n'avaient pas dans la langue des Romains un sens absolu. Quand les Romains voulaient définir ces termes, ils devaient reconnaître que chacun d'eux avait des significations diverses. Voir d'abord Tite Live essayant de définir le fœdus ou la societas, XXXIV, 57 : Tria genera fœderum : unum quum bello victis dicerentur leges ; alterum, quum pares bello fœdere æquo in pacem venirent ; tertium, quum qui nunquam hostes fuerunt ad amiciliam socioli fœdere jaugendam cocant. — Il est clair que les Carnutes qui avaient été bello victi n'avaient pas reçu de César le fœdus æquum. Il y avait un fœdus qui entrainait des obligations à l'égard de Rome, et qui était compatible avec la sujétion. C'est encore ce que dit Tite Live, XLI, 6 : Ut in ditione populi romani civitates sociæ sint. — Pour l'Empire, nous trouvons au Digeste ce qu'il faut entendre par populi liberi ou fœderali ; Digeste, XLIX, 15, 7 : Populus liber... aut fœderatus est, sive æquo fœdere in amiciliam venit sive fœdere comprehensum est ut is populus alterius populi majestatem comiter conservaret. Hoc adjicitur ut intelligatur alterum populum superiorem esse, non ut intelligatur alterum non esse liberum. Le jurisconsulte ajoute que les membres de ces cités alliées sont justiciables des magistrats romains : Fiunt apud nos rei ex civitatibus fœderatis, et in eos damnatos animadvertimus.

[27] Tacite, Histoires, II, 61 : Gravissima civitas... electa juventute... fanaticam multitudinem disjecit.

[28] Tacite, Histoires, IV, 67-68 : Remi... per Gallias edixere ut missis legatis in commune consultarent.

[29] Omnibus honoribus apud suos functus, ou officiis et honoribus omnibus functus, ou encore omnibus honoribus municipalibus in patria functus. Nous trouvons cette formule appliquée à un Éduen (Aug. Bernard, le Temple d’Auguste, p. 55), à un Suession (Wilmanns, n° 2218), à un Véromanduen (idem, n° 2219), à un Nervien (idem, n° 2222), à un Carduque (Aug. Bernard, p. 68), à un Tricasse (idem, p. 62), à un Carnute (idem, p. 55), à deux Sénons (Julliot, Monuments du musée de Sens, n° 16 et n° 43).

[30] Wilmanns, n° 2204, pour Narbonne. — Henzen, n° 6468, pour Lyon. — Herzog, n° 326, pour Arles. — Cf. Orelli-Henzen, n° 2296, 2762, 3704, 7016, 2017 [Corpus. XII, n° 5256, 549 ; 4554, 4395 ; 5176, 5187, 52.-.0, 5275, 5286, 5289, 5507].

[31] Civitas Remorum (Wilmanns, n° 1082). — Civitas Senonum (Julliot, Monuments du musée de Sens, n° 1). — Civitas Veliocassium (Wilmanns, n° 2240). — Civitas Equestrium (Inscriptiones helveticæ, n° 115). — Civitas Sequanorum (Aug. Bernard, le Temple d'Auguste, p. 80). — Civitas Biturigum Viviscorum (Jullian, Inscriptions de Bordeaux, n° 1). — Cives Remi (Orelli, n° 1977). — Civis Lingonus (Renier, dans la Revue archéologique, t. XI, p. 415). — Civis Senonius (ibidem, p. 420). — Civi Bellovaco (Allmer, n° 334). — Respublica Nemausensis [Corpus, XII, p. 955]. — Respublica Viennensium (Allmer, n° 107) [Corpus, XII, n° 1895]. — Respublica Narbonensium (Henzen, n° 6484). — Curator reipublicæ civitatis Venetum (L. Renier, Mélanges d'épigraphie, p. 45) — Dans le Digeste, le terme respublica s'applique toujours aux cités ; voir, par exemple, ce texte de Papinien, L, 1, 13 : Qui reipublicæ negotia gessit.

[32] César, De bello gallico, I, 12 ; VI, 11 : In Gallia... in omnibus pagis partibusque. Il cite aussi, VII, 64, les pagi Arvernorum.

[33] A ne parler que de la Gaule, nous avons [notamment] une inscription d’un pagus de Narbonne (Herzog, n° 78), une d'un pagus Lucretius du territoire d'Arles (Orelli, n° 202), une d'un pagus Vordensis en Provence (Orelli, n° 197) [Corpus, XII, n° 594, 1114, 5570 ; cf. p. 930], une d'un vicus d'Aoste (Allmer, n° 221) [Corpus, XII, n° 2395], une du vicus d'Aix-les-Bains (Allmer, n° 235) [Corpus, XII, n° 2461], une d'un vicus [de Belginum] (Henzen, n° 5258), une du pagus Condatium (Wilmanns, n° 2225), enfin une inscription qui marque que la cité des Helvètes resta partagée en quatre pagi (Mommsen, Inscriptiones helveticæ, n° 192). — D'après Strabon, IV, 1, 12, la cité de Nîmes comptait 24 pagi. Tacite parle des pagi des Éduens, sans en indiquer le nombre (Histoires, II, 61). Dans la civitas de Trêves, nous connaissons les vici Ambiatinus (Suétone, Caligula, 8), Belginum (Henzen, n° 5258), Voclanni (idem, n° 5237). Nous avons une inscription des vicani Marosallenses, dépendant des Médiomatrices (idem, n° 5214).

[34] Voir la définition qu'en donne Isidore de Séville, qui écrivait au VIIe siècle, mais qui se servait de sources anciennes : Vici et castella et pagi ii sunt qui nulla dignitate civitatis ornantur, sed vulgari hominum conventu incoluntur et propter parvitatem sui majoribus civitatibus attribuuntur. — En droit, le vicus ne compte pas. Qui ex vico ortus est, eam patriam intelligitur habere cui reipublicæ vicus ille respondet (Ulpien, au Digeste, L, 1, 50).

[35] Nous exceptons toujours les colonies et les villes de droit latin. On y trouve des traces de comices populaires, au moins durant le Ier siècle ; ainsi, à Arles (Herzog, n° 325) [Corpus, XII, n° 697]. Pour les villes latines en général, les Lois de Salpensa et de Malaga attestent l'existence de comices. Il n'en est plus de même pour les cités des Trois Gaules. Des expressions telles que Sequani publice (A. Bernard, p. 54), ou cives Remi (Orelli, n° 1977) n'impliquent pas précisément une assemblée du peuple. Ce sont des expressions synonymes de civitas Sequanorum, civitas Remorum, l'État séquane, l'État des Rèmes. — L'expression ex postulatione populi que l'on trouve quelquefois au sujet de la nomination d'un magistrat, montre bien que, si parfois l'on tient compte de l'opinion du peuple, du moins ce n'est pas au peuple que la nomination appartient.

[36] On trouve un ordo civitatis Albensium, probablement Alba Helvorum en Narbonnaise (Wilmanns, n° 2230 ; Henzen, n° 7007) [Corpus, XII, p. 336] ; un ordo Vintiensium, de la cité de Vence (Henzen, n° 522S) [ibidem, n° 12] ; un ordo Brigantium [?] (Orelli, n° 1012) [Corpus, XII. n° 57j]; un ordo Viducassium, cité de Vieux (marbre de Thorigny) ; un ordo Redonum, cité de Rennes [Revue historique de droit, 1879, p. 302 ; Antiquaires de France, 1848, p. 84). — L'ordo decurionum ou senatus est d'ailleurs une institution générale de l'Empire (Orelli, n° 3721, 3726, 3728, 3754, 3742, 3782, 3286 ; Henzen, n° 5287 a, 6499, 6994, 6995, 6997, 7020, 7066 ; Wilmanns, n° 1850, 1853, 1858, 2100, 2193, 2205, 2291 ; Corpus inscriptionum latinarum, II, n° 1055, 2026, 4062, 4191, 4202, etc. ; Brambach, n° 1088, 1241, 1035, 2279.) — Ordo et senatus, decurio et senator sont employés comme synonymes ; Lex Julia municipalis : senator decurio conscriptusve. On lit dans Dion Cassius qu'Auguste promit à ses centurions de les faire sénateurs dans leurs villes natales, ς τς βουλς τς ν τας πατρσι καταλξων (Dion, XLIX, 14). — Le mot curia désignait d'abord le lieu où s'assemblait l’ordo (Wilmanns, n° 2083, 2117, 2548) ; il n'a pas tardé à s'appliquer à l'ordo lui-même.

[37] Wilmanns, n° 119 ; Sanclissimus ordo Lugudunensis ; n° 2216 : A splendidissimo ordine. — Cf. Apulée, Florides : Sanctissima curia, en parlant de la curie de Carthage.

[38] Ulpien, au Digeste, De albo scribendo, L, 3,1 : Decuriones in albo ita scriptos esse oportet... eo ordine quo quisque eorum maximo honore in municipio functus est. — Dans les délibérations, ils votaient dans le même ordre (Ulpien, ibidem). — Les membres de la curie étaient rangés sur l’album d'après les magistratures qu'ils avaient exercées ; c'est du moins ce qui peut se conclure de l’album de Canusium qui nous est parvenu (Orelli, n° 5721 ; Wilmanns, n° 1850) et de celui de Thumugas (Ephemeris epigraphica, t. III, p. 77). Ce dernier offre cette particularité que les prêtres de la cité figurent au premier rang. — Nous n'insistons pas sur les modes de convocation et de délibération ; nous n'avons pas de textes particuliers à la Gaule. Une loi [de 416], au Code Théodosien, XII, 12, 15, dit : Universos curiales præcipimus in locum curiæ convenire. Une loi [de 285], au Code Justinien, X, 32, 2, dit : Decurionibus sollemniter in curiam convocatis. Ulpien, au Digeste, L, 9, 5 : Lege municipali cavetur ut ordo non aliter haheatur quam duabus partibus adhibitis. Lex coloniæ Juliæ Genetivæ, XCVII : De majoris partis decurionum per tabellam sententia, cum non minus quinquaginta aderunt.

[39] Ibidem, XIII : Ad decuriones referlo, consulito, decretiim facito.

[40] Lex coloniæ Juliæ Genetivæ, CXXV. Lex Malacitana, LXVI.

[41] Locus datus decreto decurionum (AUmer, n° 126). Locus emptus ex decreto decurionum (idem, n° 127). Ex decreto decurionum de publica pecunia (Lebègue, n° 78). Cf. Wilmanns, n° 2224, 2246, 2205 [Corpus, XII, p. 940]. — Le droit de faire des décrets est signalé plusieurs fois dans le Digeste : Decreta quæ non legitimo decurionum numero facta sunt, non valent (Digeste, L, 9, 2). Quod semel ordo decrevit non oportere rescindi divus Hadrianus rescripsit (ibidem, L, 9, 5). Il n'y a nul indice que ces décrets des décurions dussent être soumis préalablement à l'autorisation du gouverneur de la province. — Il est d'ailleurs bien entendu que ces décrets ne pouvaient toucher à la politique ni contrevenir aux lois générales.

[42] Tib. Cl. Professus Niger omnibus honoribus apud Æduos et Lingones functus (Orelli, n° 2028). De même, chez les Nerviens, chez les Suessions, chez les Veromanduens, chez les Carduques (Wilmanns, n° 2217-2222).

[43] On trouve des duumvirs chez les Séquanes (Orelli, n° 4018), chez les Petrocorii (idem, n° 4019), chez les Morini (Henzen, n° 5211), à Marseille (Orelli, n° 4024) [Corpus, XII, p. 55]. Nous n'avons pas besoin de rappeler qu'ils se trouvent aussi dans les colonies, Lyon, Narbonne, Vienne, Aix, Cologne.

[44] Lex Malacitana, LXV et LXVI ; Lex coloniæ Juliæ Genetivæ, CII. Les duumvirs sont souvent appelés dans les inscriptions duumviri jure dicundo. Ce pouvoir judiciaire est bien marqué dans cette phrase de Siculus Flaccus, Gromatici veteres, édit. Lachmann, p. 155 : Municipiorum magistratibus jus dicendi coercendique est libera potestas. On peut voir d'ailleurs quelles étaient les limites de cette juridiction municipale, dans Paul, au Digeste, L, 1, 28. Cf. Digeste, II, 1, 12 ; XLVII, 10, 13, § 39.

[45] Lex Salpensana, XXVIII. Code Justinien, I, 36, 2.

[46] Pour les villes de Gaule, il n'y a pas d'inscriptions, à ma connaissance, qui mentionnent les quinquennales. Pour la cité des Rèmes seulement nous trouvons un censor (Wilmanns, n° 2246 d, 2246 e ; Herzog, n° 510, 511) [Corpus XII, n°" 1869 et 1855]. Plusieurs érudits ont vu dans ce censor l'analogue du quinquennalis qui apparaît fréquemment dans les inscriptions d'Espagne et d'Italie. J'ai quelque doute sur ce point. On consultera L. Renier, Mélanges d'épigraphie, pages 47 et suiv.

[47] Ici encore nous devons prévenir que les documents qui mentionnent les édiles et des questeurs pour les villes colonies (Narbonne, Wilmanns, n° 2194 ; Vienne, idem, n° 2243 [Corpus, XII, n° 1785] ; Lyon, idem, n° 2224 ; Cologne, idem, n° 2283 [Corpus, XII, p. 940 et 941], ne les mentionnent pas pour les villes des trois provinces. [Il est vrai que les documents épigraphiques sont plus rares. Ils permettent cependant de supposer en toute vraisemblance l'existence de fonctions de ce genre dans la plupart des cités des Trois Gaules et l'analogie complète des institutions municipales dans ces deux groupes de villes.] — Nous ne combattons pas l'opinion reçue au sujet des édiles et des questeurs des cités gauloises ; nous tenons toutefois à faire observer que cette opinion, si probable qu'elle soit, ne s'appuie pas sur des documents certains.

[48] Ces divers fonctionnaires municipaux sont énumérés dans le Digeste, L, 1, 1, 3, 18 : Legatio ad census accipiendum, annonæ cura, cura prædiorum publicorum, cura frumenti comparandi, cura ludorum, divisio annonæ. Un autre jurisconsulte mentionne : l'irénarque qui disciplinæ publicæ et corrigendis moribus præficitur, Vepiscopus chargé des distributions gratuites, le curator qui ad colligendos civilatium publicos reditus eligi solet, les tabularii.

[49] Cette règle semble avoir été violée par l'institution de præfecti désignés par l'empereur. Mais il faut observer de près cette pratique pour en voir le vrai sens et le peu de portée. Nous lisons dans la Lex Salpensana, XXIV : Si les décurions ou sénateurs, au nom de la cité, choisissent l'empereur pour duumvir, et si l'empereur accepte cette dignité, le préfet qu'il mettra à sa place exercera les fonctions des duumvirs. C'est qu'il arrivait quelquefois qu'une cité, soit pour flatter le prince, soit pour toute autre raison, déférât à l'empereur sa magistrature suprême. Si l'empereur acceptait, il était duumvir de la cité, et un préfet désigné par lui remplissait la charge à sa place. L'empereur Hadrien fut un de ceux qui acceptèrent le plus souvent le titre de duumvir en Occident, ou celui d'archonte en Grèce. Spartien, Vita Hadriani, 19 : Per latina oppida dictator et ædilis et duumvir fuit, apud Neapolim demarchus, et Athenis archon. Mais on se tromperait si l'on voyait dans ce fait une diminution des libertés municipales. Il s'agissait d'une nomination faite par la cité elle-même, qui avait cru rehausser sa magistrature en en revêtant le prince, c'est-à-dire en faisant du prince nominalement un magistrat municipal. Aussi ne l'était-il que pour un an ; l'année expirée, la cité reprenait le cours de ses élections.

[50] Nous trouvons à Nîmes des præfecti vigilum et armorum (Wilmanns, n° 2198, 2200, 2201, 2202 ; Herzog, n° 121-123) [Corpus, XII, p. 382]. De même à Nyon nous trouvons un præfectus arcendis latrociniis qui commande visiblement une force année [Wilmanns, n° 2248 ; cf. Corpus, XII, n° 1368]. A cela paraît se rattacher l'institution des tribuni militum a populo qui est mentionnée par quelques inscriptions (Wilmanns, n° 1604, 1605, 1894, 1907, 1909 c, 1910, 1920). Le paragraphe CIII de la Lex coloniæ Juliæ Genetivæ porte que les décurions ont le droit d'ordonner l'armement de la population et que les duumvirs exercent en ce cas le commandement militaire.

[51] Cela résulte implicitement de cette phrase de Suétone, [Vie de Galba, 12] : Galba... urbes Galliarum quæ sibi cunctantius accessissent, quasdam etiam murorum destructione nunivit.

[52] La propriété municipale a donné lieu, au moins dans quelques cités, à l'institution de triumviri locorum publicorum persequendorum (Allmer, n° 157, 159 ; Mommsen, Inscriptiones helveticæ, n° 83) [Corpus, XII, p. 958].

[53] Digeste, L, 8, 6.

[54] Au moins avant l'institution des curatores dont nous parlerons plus loin.

[55] Sur la location des terres publiques par baux, voir le titre du Digeste Si ager vectigalis, VI, 3 ; cf. XX, 1, 31. Sur les biens des cités voir le titre du Digeste De administratione rerum ad civitates pertinentium, liv. L, tit. 8.

[56] Henzen, n° 7170. — Digeste, L, 5, 18.

[57] La Lex coloniæ Juliæ Genetivæ règle ainsi le droit de réquisition : Quamcumque munitionem decuriones decreverint, eam munitionem fieri licito, dum ne amplius in annos singulos inque homines singulos puberes operas quinas et in jumenta plaustraria juga singula operas ternas decernant ; eique munitioni ædiles qui tum erunt ex decurimum decreto præsunto.

[58] Code Théodosien, XIII, 3, 5 : Quisquis docere vult, judicio ordinis probatus decretum curialium mereatur, optimorum conspirante consensu.

[59] Digeste, L, 9, 1 : Medicorum intru præfinitum numerum constituendorum arbitrium non præsidi provinciæ commissum est, sed ordini et possessoribus cujusque civitatis ut certi de probilate morum et peritia artis eligant ipsi quibus se liberosque suos in ægritudine committant.

[60] Flamen sacrorum publicorum municipalium (Orelli, n° 2158). — Flamen in civitate Sequanorum (idem, n° 4018). — Sacerdos civitalis Vocontiorum (idem, n° 2552). — Vocontiorum pontifici (idem, n°459). — Sacerdos civitatis Lugdunensis (Henzen, n° 6051, 6052). — Pontifex municipii (Henzen, n° 7048). — Pontifex civitatis Valentiæ, sacerdos civitatis Albensis (Orelli, n° 2552). — Pontifex publicorum sacrificiorum Nemausi (Herzog, n° 120). — Flamen in colonia Equestri (Orelli, n° 255). — [On trouvera la liste des sacerdoces municipaux dans le Corpus, XII, p. 928.] — Cf. Lex coloniæ Juliæ Genetivæ, XCI. — On peut voir aussi sur ces sacerdoces municipaux électifs une curieuse anecdote dans Dion Cassius, LXIX, 3, et d'autres dans Philostrate, Vie des sophistes.

[61] Augusto sacrum et Genio civitatis Biturigum Viviscorum (Jullian, Inscriptions de Bordeaux, n° 1). — Genio Arvernorum (Orelli, n° 193). — Mercurio Arverno (idem, n° 1414). — Deæ Eponæ et Genio Leucorum (Henzen, n° 5250). — Genio coloniæ Helvetiorum (Orelli, n° 367). — Genio Trevirorum (idem, n° 1805). — Deæ Aventise et Genio incolarum (idem, n° 568, 509, 370). — Deæ Aventiæ sacerdos (idem, n° 400). — Deæ Nariæ regionis Arvrensis (Henzen, n° 5005). — Nîmes avait son deus Nemausus (Orelli, n° 2052) [Corpus, XII, n° 5093 et s.]. La cité de Vence avait son Mars Vincius (Orelli, n° 2066) [ibidem, n° 3], celle de Vaison avait son dieu Vasio (Henzen, n° 5019) [ibidem, n° 1336-1338]. Les Ségusiaves avaient leur dea Segusiavorum (Orelli, n° 264) — Jovi Optimo Maximo et Genio municipii nostri (Henzen, n° 5274) — Sur les Génies des cités en dehors de la Gaule, voir Orelli-Henzen, n° 1685, 1688, 1693, 1694, 1943, 7159. Une inscription porte qu'un personnage in theatro posuit statuas duas, genium patriæ nostræ (Henzen, n° 5320).

[62] Fronton, Ad amicos, II, 6 : Decurio... spectaculis sedit.

[63] Plusieurs inscriptions marquent le caractère de ces jeux. Corpus inscriptionum latinarum, II, n° 1665 : Flumen perpetuus... editis scænicis ludis per quatriduum et circensibus, et epulo diviso. — Wilmanns, n° 2404 : Flamini... agonothetæ perpetuo certaminis quinquennalis. — Les jurisconsultes comptent parmi les munia qui incombent aux magistrats ludorum circensium spectacula (Digeste, L, 4, 1, § 2).

[64] Ulpien, au Digeste, I, 16, 7.