LA GAULE ROMAINE

LIVRE SECOND. — L'EMPIRE ROMAIN

(Du règne d'Auguste à la fin du troisième siècle)

 

CHAPITRE III.

 

 

DE L'ADMINISTRATION ROMAINE ET DE LA CENTRALISATION ADMINISTRATIVE.

 

La Gaule était entrée dans l'Empire romain à titre de provincia[1]. Ce mot n'avait pas alors une signification géographique ; il désignait proprement la subordination à l'État romain[2]. Il impliquait que la Gaule était, en théorie et en droit, un pays sujet[3]. En pratique, cela signifiait que la Gaule allait être gouvernée, non par ses propres lois, non pas davantage par les lois politiques de Rome, mais par l'autorité arbitraire et personnelle d'un gouverneur envoyé de Rome[4]. Telle est l'origine première du système administratif romain.

Auguste partagea la Gaule en quatre provinces : la Narbonnaise, l'Aquitaine, la Lugdunaise et la Belgique[5]. Cette division était assez conforme aux anciennes divisions du pays. Elle laissait même subsister deux des noms anciens[6].

Dans un autre partage que le même empereur fit de toutes les provinces entre lui et le sénat, il mit la Narbonnaise dans la part du sénat, et garda pour lui l'Aquitaine, la Lugdunaise et la Belgique. Théoriquement, la première fut province du peuple romain, et les trois autres furent provinces de César. En pratique, la seule différence fut que la Narbonnaise était gouvernée par un proconsul qui paraissait être nommé par le sénat et agir au nom du peuple romain[7], au lieu que les trois autres avaient pour proconsul l'empereur lui-même, représenté dans chacune d'elles par un lieutenant de l'empereur, legatus Avgusti[8].

Comptons les fonctionnaires employés au gouvernement de chaque province. En Narbonnaise il y avait un proconsul, et à côté de lui était un questeur chargé de percevoir les impôts et revenus du pays[9]. Dans chacune des trois autres provinces il y avait un légat propréteur et à côté de lui un procurateur impérial qui tenait la place du questeur[10]. En outre, deux procurateurs spéciaux étaient chargés de lever certains impôts déterminés, l'impôt sur les héritages et celui de la douane[11]. Cela faisait, pour la Gaule entière, un total de dix fonctionnaires représentant le pouvoir central, dont quatre seulement pour la partie administrative. Chacun d'eux était entouré sans nul doute d'un personnel assez nombreux. Le proconsul avait un lieutenant à qui il pouvait déléguer une partie de ses pouvoirs[12]. Il avait aussi un cortège d'amis qu'on appelait ses comites ou ses contubernales, jeunes gens qui faisaient l'apprentissage du service[13]. Il avait enfin quelques secrétaires ou employés de bureau, cinq ou six licteurs[14] et un plus grand nombre d'appariteurs ou de serviteurs à divers titres. Mais, quelque nombreux que pût être cet entourage, il n'y avait toujours que quatre personnages qui exerçassent le commandement, quatre hommes pour gouverner la Gaule entière[15].

Le gouverneur de province, qu'on l'appelât proconsul ou légat de César[16], possédait ce que le langage romain appelait l’imperium. Cela comprenait tout autre chose que ce que le langage moderne appelle l'autorité administrative. Il avait en mains tous les pouvoirs de l’État[17]. C'était lui qui commandait les troupes, s'il s'en trouvait dans sa province. Il faisait ou dirigeait le recrutement des soldats. Quoiqu'il ne levât pas lui-même les impôts et n'eût pas le maniement des fonds, c'était lui qui avait la direction suprême en matière de finances. Il était surtout un juge. Il possédait d'abord la juridiction volontaire, et c'était devant lui que se faisaient les affranchissements, les émancipations, les adoptions[18]. Il possédait surtout la juridiction contentieuse. Il lui appartenait de punir les crimes[19] ; il avait le droit d'arrêter les coupables, de les frapper, de les mettre à mort[20]. Il prononçait également dans les procès civils[21] ; tout le monde pouvait s'adresser à lui, cela était dit formellement dans les instructions impériales ; et il jugeait par lui-même ou déléguait des juges à sa place[22]. Nous verrons bien qu'il existait d'autres juridictions que la sienne ; mais la sienne seule était légale, et toutes les autres s'inclinaient devant elle, car à lui seul appartenait le jus gladii[23]. Il avait aussi des fonctions de police. Sa charge l'obligeait à purger le pays des malfaiteurs[24]. Il devait aller plus loin que l'ordre matériel. Son devoir était d'empêcher toute exaction illicite, toute spoliation sous forme de vente forcée ou de caution fictive[25]. Par lui nul ne devait faire un gain injuste ni subir un dommage immérité[26], les puissants ne devaient pas opprimer les faibles[27]. Un bon gouverneur veillait à ce que sa province fût paisible et tranquille ; il recherchait les malfaiteurs ; il punissait les sacrilèges, les brigands, les voleurs et ceux qui recelaient les vols[28]. Il ne lui était pas permis de s'absenter de sa province, parce qu'il fallait qu'il y eût toujours quelqu'un pour s'occuper des intérêts des provinciaux[29]. Il devait parcourir le pays, aller au-devant des justiciables et des plaignants. Il parcourait les villes, visitait les prisons[30], examinait les constructions publiques, veillait à leur entretien ou les faisait réparer[31], pouvait même ordonner la reconstruction des maisons privées si elles menaçaient ruine ou offraient un danger[32]. Son pouvoir portait sur toutes choses.

On voit par tout cela que ce pouvoir était à la fois absolu et tutélaire. Les provinciaux n'avaient aucun droit contre lui, du moins aucun droit garanti par une loi formelle. Ce que la langue officielle appelait lex provinciæ ou provinciæ formula n'était pas une charte pour les populations. A l'égard d'elles, le gouverneur était un maître tout-puissant. L'Empire n'effaça pas ce principe, qui avait été celui de la République.

Il y eut pourtant une grande différence entre les gouverneurs de l'époque républicaine et ceux de l'époque impériale. Le proconsul qu'avait envoyé la République romaine n'avait dépendu légalement de personne. Il n'avait dû rendre ses comptes ni aux provinciaux ni même à la République. Il avait gouverné sous sa responsabilité propre ; il avait été un véritable monarque dont l'autorité n'avait connu ni limite ni contrôle régulier[33].

Il n'en fut plus de même sous l'Empire. Ce n'est pas que les idées de liberté et de droit rationnel aient prévalu à cette époque et aient fait imaginer des moyens plus doux de gouvernement ; la suite de ces études nous montrera combien les idées et les théories ont eu peu d'action, dans tous les temps, pour l'amélioration de l'existence humaine. Ce qui fit disparaître le despotisme des proconsuls, ce fut le despotisme impérial.

Lorsque le sénat romain organisa l'Empire, vers l'an 27 avant notre ère, il conféra à Auguste le pouvoir proconsulaire sur la moitié des provinces, et un droit de surveillance sur les gouverneurs de toutes les autres. Cette innovation, dans laquelle quelques esprits ne virent peut-être qu'une atteinte à la liberté, fut le germe d'un nouveau système administratif. Il arriva en effet que les chefs des provinces, au lieu d'être de vrais monarques gouvernant en leur nom propre, ne furent plus que les agents et les lieutenants du prince. Ce fait si simple et en apparence si insignifiant fut ce qui introduisit en Europe la centralisation administrative.

On ne peut guère douter que les peuples n'aient envisagé cette centralisation comme un grand bienfait. Il est fort différent d'être gouverné par un homme qui a un pouvoir personnel ou de l'être par un homme qui n'est que l'agent et le représentant d'un pouvoir éloigné. Ces deux modes d'administration ont leurs avantages et leurs inconvénients ; mais les avantages du second l'emportent à tel point, qu'à presque toutes les époques de l'histoire les populations l'ont préféré. Les hommes aiment d'instinct la centralisation ; il leur plaît de savoir que celui à qui ils obéissent obéit lui-même à un autre. Exposés à être opprimés par celui qui les administre directement, ils aiment à penser qu'une autorité supérieure peut les protéger. Contre les agents du prince, les Gaulois avaient un recours au prince lui-même. Le pouvoir suprême de l'empereur était une garantie contre les petites passions du fonctionnaire, contre son orgueil, ses rancunes ou sa cupidité.

Les gouverneurs ne pouvaient plus se considérer comme des souverains. Ils étaient les agents d'une autorité supérieure. Avant de partir pour leur province, ils recevaient de l'empereur des instructions écrites[34]. Ils lui rendaient compte de tous leurs actes. Sur tous les points douteux ils le consultaient. On peut voir dans les lettres de Pline le Jeune à Trajan[35] un exemple de la correspondance presque quotidienne que chaque gouverneur devait entretenir avec le prince. On y observera toute la distance qui sépare un gouverneur du temps de l'Empire d'un proconsul de la République. On y remarquera combien les provinciaux dépendaient du prince ; mais on y remarquera aussi combien peu ils avaient à redouter les abus de pouvoir de leurs administrateurs.

Dans le régime précédent, la République avait bien essayé de sauver les sujets de l'extrême arbitraire et de l'insatiable avarice des proconsuls ; elle avait créé à cet effet toute une série de tribunaux qui paraissaient devoir être sévères ; en réalité, ce moyen avait été inefficace[36], et il avait été rare que les juges ne fussent pas de connivence avec les accusés. Le régime impérial atteignit le but par un moyen beaucoup plus simple, par la subordination des gouverneurs au pouvoir central.

Du jour, en effet, où tous les pouvoirs eurent été remis au prince, sa maison, que l'on ne tarda pas à appeler le Palais, palatium, devint le centre de toute l'administration de l'Empire. Là se trouvait un nombreux personnel, et des bureaux furent tout de suite organisés. Cela était si nouveau, que ni sénateurs, ni chevaliers, ni citoyens, ni hommes libres n'eurent l'idée d'en faire partie, ou qu'on n'eut pas d'abord l'idée de les employer. Mais, de même que dans l'aristocratie romaine chaque grande maison avait ses secrétaires et ses copistes, qui étaient des esclaves ou des affranchis du maître, de même la maison impériale trouva, parmi ses esclaves et ses affranchis, un nombreux personnel de secrétaires, de commis, de gardiens d'archives[37]. Ce furent là les bureaux des cent premières années de l'Empire. Plus tard, des citoyens libres et même des chevaliers tureni admis dans les plus hauts emplois[38].

Ces bureaux du palais portaient le nom général d'officia[39]. Ils étaient au nombre de cinq, que l'on appelait a libellis, ab epistolis, a rationibus, a memoria, a cognitionibus[40]. Chacun d'eux avait à sa tête un chef ou directeur qu'on appela princeps ou magister officii, sous lui un sous-chef ou adjutor, un premier employé ou proximus, et une série de scriniarii ou tabularii.

Le bureau a libellis recevait toutes les lettres qui étaient adressées à l'empereur de toutes les parties de l'Empire, soit par les fonctionnaires, soit par les particuliers[41]. Il faisait un examen préliminaire de chacune de ces lettres, et le chef du bureau les mettait sous les yeux de l'empereur avec son propre rapport[42]. Le bureau ab epistolis rédigeait les réponses du prince[43]. Nous n'avons pas de renseignements précis sur les attributions du bureau a memoria, et ce n'est qu'une conjecture de dire qu'il fut une sorte de bureau d'archives où l'on pût retrouver et consulter les actes antérieurs[44]. Le bureau a rationibus était celui où tous les comptes financiers de Rome et des provinces étaient portés. Ils y étaient examinés et vérifiés[45]. Le bureau a cognitionibus était celui qui recevait les nombreuses demandes de jugement qui étaient adressées à l'empereur, et qui faisait sur chacun de ces procès une enquête préliminaire[46].

L'institution de ces bureaux fut une chose toute nouvelle dont Rome ni aucun pays de l'Europe n'avait encore d'exemple. Elle put surprendre les hommes. Ce qui les surprit surtout, ce fut de voir les actes ou les comptes d'un gouverneur de province, qui était sénateur et de grande famille, être examinés au fond d'un bureau par un humble affranchi. De là l'aigreur et le mépris de Tacite[47] ; et nous devons croire que quelques-uns de ces hommes méritèrent le mépris. Mais Pline le Jeune parle d'eux avec plus de considération[48], et le poète Stace, qui à la vérité n'est pas un sénateur, leur rend pleine justice ; il a connu personnellement plusieurs de ces chefs de bureau, l’ab epistolis Abascantus, l'a rationibus Claudius Etruscus, et il les dépeint comme des hommes honnêtes et laborieux[49]. Aux générations suivantes, nous voyons siéger dans ces bureaux un Papinien et un Ulpien[50].

Par ces bureaux les actes et les comptes des fonctionnaires étaient contrôlés presque jour par jour[51]. Toute affaire de quelque importance était examinée. Les gouverneurs consultaient le prince sur tous les points douteux[52]. Les villes et les provinces correspondaient aussi, par ces bureaux, avec le prince. Si, par exemple, une province se croyait trop chargée d'impôts[53], elle écrivait au prince, sûre, sinon d'obtenir le dégrèvement, du moins de voir ses intérêts examinés en dehors du gouverneur. Si un particulier se croyait lésé en justice, il écrivait au prince et savait qu'il y avait dans les bureaux du palais quelques jurisconsultes obscurs qui étudieraient son affaire et peut-être en proposeraient au prince la révision[54]. Les bureaux furent tout-puissants, mais les gouverneurs cessèrent de l'être.

Tous les monuments historiques sont d'accord pour montrer que cette centralisation fut favorable aux provinces. Tibère veillait, nous dit Tacite, à ce que de nouvelles charges ne leur fussent pas imposées, et à ce que les anciennes ne fussent pas aggravées par l'avarice et la cruauté des fonctionnaires[55]. Les historiens rendent la même justice à presque tous les empereurs : Domitien, dit Suétone, s'appliqua à maintenir dans le devoir les chefs des provinces et les contraignit à être intègres et justes[56]. Hadrien, dit le biographe de ce prince, visita tout l'Empire, et quand il rencontra des gouverneurs coupables, il les frappa des peines les plus sévères et même du dernier supplice[57]. Cette rigueur à l'égard des fonctionnaires est restée la règle traditionnelle de l'Empire ; on la retrouve à chaque page des codes impériaux. Elle ne fit pas disparaître absolument les abus et les iniquités ; mais elle fit qu'ils ne furent que l'exception. Les inscriptions confirment à cet égard ce qu'enseignent les historiens ; elles montrent que les provinces se regardaient en général comme bien administrées et qu'elles en étaient reconnaissantes au prince[58]. Leur prospérité durant trois siècles est hors de doute, et elle serait inconciliable avec une mauvaise administration.

L'Empire romain ne se départit jamais de l'observation de quelques règles administratives. — La première était que les fonctions ne fussent jamais vénales : l'habitude de mettre en vente et de donner à ferme les offices et les pouvoirs publics, habitude que nous verrons paraître à d'autres époques de l'histoire, fut toujours réprouvée de l'Empire romain. Un de ces princes disait fort justement : Je ne souffrirai jamais qu'on achète les fonctions, d'abord parce qu'il est inévitable que celui qui a acheté revende, ensuite parce que je ne saurais punir le fonctionnaire qui aurait payé sa charge[59]. — La seconde règle était que toutes les fonctions fussent temporaires : le gouverneur de province savait qu'il n'était nommé que pour un petit nombre d'années[60] ; il ne pouvait espérer de se perpétuer dans sa dignité ou de faire de sa province un petit royaume. Il résulta de là que l'Empire fut toujours obéi de ses fonctionnaires et qu'il n'eut jamais à soutenir contre eux cette sorte de lutte à laquelle s'usèrent les forces de plusieurs dynasties de rois. — La troisième règle était que les gouverneurs de provinces reçussent un traitement fixe et des fournitures dont la valeur était déterminée par la loi[61]. Il ne leur était pas permis de tirer de leur charge un bénéfice personnel, et l'on peut voir dans les codes toutes les précautions minutieuses que le pouvoir prenait pour garantir les peuples contre leur avidité et surtout contre celle de leurs subalternes[62]. Le fonctionnaire n'avait le droit ni d'entrer dans aucune opération commerciale, ni d'acheter un fonds de terre ; il lui était interdit de recevoir des présents. Il levait l’impôt, mais il n'en fixait pas le chiffre, et toute somme perçue par lui indûment devait être restituée au quadruple. Les exactions des employés subalternes étaient frappées des peines les plus sévères. Le gouverneur, après l'expiration de ses pouvoirs, était tenu de demeurer cinquante jours dans sa province, afin de répondre à toutes les réclamations que ses administrés pouvaient porter contre lui.

Il est difficile de dire jusqu'à quel point l'observation de ces trois règles assura la régularité et l'équité de l'administration ; mais on verra, dans la suite de ces études, qu'elles ont disparu avec l'Empire romain ; on observera à quels désordres cette disparition livra la société ; on pourra calculer ce qu'il y eut alors d'iniquité et d'oppression ; et par le mal que fit l'absence de ces règles, on pourra se faire une idée du bien qu'elles avaient pu produire.

Il en fut de même de la centralisation ; à supposer que les documents de ce temps-là ne nous démontrent pas avec une pleine certitude que les peuples l'aient aimée, les documents des âges suivants prouveront qu'après l'avoir perdue ils ne cessèrent pas de la regretter.

 

 

 



[1] Suétone, César, 25 : Galliam... in provinciæ formam redegit. — Sur le sens de cette expression, cf. cette phrase du même écrivain : Achaiam, Lyciam, Rhodum, libertate adempta, in provinciarum formam redegit (Suétone, Vespasien, 8).

[2] On peut remarquer que Dion Cassius, qui écrit en grec, traduit toujours provinciæ par τό ύπήκοον.

[3] Une question fort délicate est soulevée par le titre de libre ou d'allié qui fut laissé à plusieurs peuples gaulois. En droit, ces peuples ne devaient pas faire partie de la provincia, c'est-à-dire n'obéissaient pas au proconsul. Suétone donne à entendre que ce droit fut respecté dans la première organisation faite par César : Galliam, præter socias ac bene meritas civitates, in provinciæ formam redegit. Mais dans la nouvelle organisation faite par Auguste en l'an 27, nous ne voyons pas que celte distinction ait été conservée. Nous pouvons remarquer au contraire que le jour où les Trois Provinces élevèrent un temple à Rome et à Auguste, tous les peuples gaulois au nombre de soixante figurèrent au même titre dans cet acte de sujétion. Nous notons encore qu'au début du règne de Tibère la cité des Éduens, qui avait le litre d'alliée, était soumis à l'impôt comme les autres cités (Tacite, Annales, III, 40). Tout cela nous amène à penser que, si quelques cités furent d'abord placées en dehors de la subordination romaine, cela dura peu. Les termes de fédérés ou de libres furent plutôt des titres honorifiques que des marques d'indépendance.

[4] Primitivement, le mot provincia s'est dit de toute mission confiée par le sénat ou parle peuple à un citoyen avec pleins pouvoirs. Il se disait, par exemple, de la mission de faire une guerre et de combattre un peuple ennemi : Bellum adversus Æquos Fabio provincia data est (Tite Live, III, 2) ; Sicinio Volsci, Aquilio Hernici, qui in armis erant, provincia evenit (ibidem, II, 40) ; decrevere Patres ut alteri consulum Italia bellumque cum Hannibale provincia esset (ibidem, XXVI, 28). — Plus fard, ce terme s'appliqua plus particulièrement aux missions confiées hors de l'Italie aux proconsuls. Il désigna donc, non le pays lui-même, mais la délégation donnée à un proconsul de gouverner ce pays, Aussi la langue grecque traduisait-elle provincia par έπαρχία. C'est seulement sous l'Empire et pas tout à fait au début que le mot a pris une signification géographique.

[5] Strabon, IV, 1 :  Σεβαστς Κασαρ τετραχ διελν τος μν Κλτας τς Ναρβωντιδος παρχας πφηνεν, κυιτανος δ' οσπερ κκενος... τν δ λοιπν διελν δχα τν μν Λουγδον προσρισε μχρι τν νω μερν το Ῥήνου, τν δ τος Βλγαις. — Nous n'avons pas à insister sur certains faits accidentels : par exemple, Auguste confia quelquefois le gouvernement des trois provinces à la fois à un seul homme, à Agrippa, à Tibère, à Drusus, à Germanicus.

[6] Pour être complet, il faut mentionner encore la petite province des Alpes Maritimes, qui était administrée par un procurateur impérial (Wilmanns, n° 1256 et 1271) [Corpus, XII, p. 1 et p. XIII]. — A une date incertaine, probablement sous Tibère, furent créées les deux provinces de Germanie Supérieure et de Germanie Inférieure, le long du Rhin. Elles furent plutôt des territoires militaires que des provinces dans le sens ordinaire du mot. Dans chacune d'elles se trouvait une armée de quatre légions et de troupes auxiliaires. Le commandant de cette armée, legatus pro prætore exercitus Germaniæ superioris (Wilmanns, n° 867 et 1142), exerçait en même temps l'autorité civile sur la bande étroite de territoire où cette armée était cantonnée. Wilmanns, n° 1186 ; Henzen, n° 6501 : C. Popilio.... legato imperatoris Antonini Augusti Pii pro prætore provinciæ Germaniæ superioris et exercitus in ea tendentis. Cf. Tacite, Annales, III, 41 ; [I, 31], etc. ; Histoires, I, 12.

[7] Un proconsul d'Afrique se qualifie de legatus populi romani, Spartien, Septime Sévère, 2.

[8] Henzen, n° 6915 : Meminio..., proconsuli provinciæ Narbonensis. — Ibidem, n° 6454 [Corpus, XII, n° 5163] : C. Æmilio Bereniciano..., proconsuli splendidissimæ provinciæ Narbonensis. — Ibidem, n° 6907 : Senecioni Memmio... legato pro prætore provinciæ Aquitanicæ. — Ibidem, n° 5502 : L. Mario Maximo... legato Augustorum pro prætore provinciæ Belgicæ. — Ibidem, n° 7420 : C. Sabucio..., legato Augusti pro prætore provinciæ Belgicæ. — Dans une autre inscription, ibidem, n° 5449, un personnage est dit avoir été legatus divi Nervæ pro prætore provinciæ Belgicæ. — Orelli, n° 922 : Legatus Augustorum provinciæ Narbonensis. (Augustorum, parce qu'il y avait alors trois empereurs associés, peut-être Carus, Carinus et Numérianus, probablement Sévère, Caracalla et Geta.) — Wilmanns, n° 1164 : C. Julio Cornuto... legato pro prætore divi Trajani provinciæ Ponti, ejusdem legato pro prætore provinciæ Aquitani[cae]. — Le terme général qui désignait les gouverneurs des provinces était præsides (Suétone, Auguste, 25 ; Tibère, 41).

[9] Wilmanns, n° 657 : Quæstori provinciæ Narbonensis ; n° 1213 : Q. Petronio... quæstori provinciæ Narbonensis ; n° 1217.

[10] Souvent il n'y avait qu'un procurateur pour deux provinces. Wilmanns, n° 1274 : Cn. Pompeio Homullo... procuratori Augusti provinciarum duarum Lugndunensis et Aquatanicæ. N° 1257 : C. Julio Celso... procuratori provinciarum Lugudunensis et Aquitanicæ. De même, n° 1205. Henzen, n° 6539 : P. Ælio Agrippino... procuratori provinciæ Belgicæ. Henzen, n° 6816 : Procuratori provinciæ Lugdunensis.

[11] Wilmanns, n° 1201 : Procuratori vicesimæ hereditatium per Gallias Lugdunensem et Belgicam ; n° 1190 : Procuratori Augusti vicesimæ hereditatium provinciarun Narbonensis et Aquilanicas. [Voir là-dessus surtout le livre de Cagnat sur les Impôts indirects, 1882.]

[12] Digeste, I, 16, 2 : Apud legatum proconsulis. — I, 10, 4, § 6 : Proconsul mandare jurisdictionem legato suo post hæc debet nec hoc ante facere. — I, 16, 6 : Solent mandare legatis.... — I, 16, 12 : Legatus mandata sibi jurisdictione judicis dandi jus habet. — Ces textes marquent bien que le légat du proconsul n'est pas son mandataire ; il n'est pas un fonctionnaire nommé directement par le pouvoir. Il ne correspond pas directement avec le pouvoir central ; cela ressort de ce texte, I, 16, 6, § 2 ; Legatos non oportet principem consulere, sed proconsulem necesse. Enfin le principe est nettement exprimé au fr. 13 : Legati proconsulis nihil proprium habent, nisi a proconsule eis mandata fuerit jurisdictio.

[13] Digeste, I, 18, 16.

[14] Digeste, I, 16, 14 : Proconsules non amplius quam sex fascibus utuntur. — Monument de Thorigny : Quinque fascibus.

[15] Il faut ajouter quelques fonctionnaires temporaires, comme les legati ad census. Nous n'avons pas à compter les procuratores patrimonii, qui étaient les administrateurs du domaine privé.

[16] Le nom commun des gouverneurs de provinces était præsides. Digeste, I, 18, 1 : Præsidis nomen générale est eoque et proconsules et legati Csesaris et omnes provincias regentes præsides appellantur.

[17] Paul, au Digeste, I, 18, 3 : Præses provinciœ in suæ provinciæ homines imperium habet. — Ulpien, au Digeste, I, 16, 8 : Majus imperium in ea provincia habet omnibus post principem.

[18] Digeste, I, 46, 2 : Manumitti apud cas possuat tam liberi quam servi et adoption es fieri. — I, 18, 2 : Præses apud se adoptare potest, quemadmodum et emancipare filium et manumittere servum potest.

[19] Digeste, I, 16, 9 ; I, 18, 13 et 21. Ces textes montrent que le gouverneur juge le latrocinium, le sacrilegium, le parricidium, le servus stupratus, la ancilla devirginata, etc.

[20] Digeste, I, 16, 11 : Animadvertendi, cœrcendi, atrociter verberandi (proconsul) jus habet. — I, 18, 6, § 8 : Jus gladii habent et in metallum dandi potestas eis permissa est.

[21] Nous le voyons recevoir les plaintes des patrons contre leurs affranchis, des pères contre leurs enfants, et en général toutes sortes de demandes de jugement : Observare eum oportet ut sit ordo aliquis postulationum, ut omnium desideria audiantur... Advocatos quoque petentibus debebit indulgere, etc. (Ulpien, au Digeste, I, 16, 9). — Plenissimam jurisdictionem proconsul habet ; omnium partes qui Romæ vel quasi magistratus vel extra ordinem jus dicunt, ad ipsum pertinent (ibidem, fragment 7).

[22] Digeste, I, 18, 8 : Sæpe audivi Cæsarem nostrum dicentem hac rescriptione eum qui provinciæ præest adire potes non imponi necessitatem proconsuli vel leqato ejus suscipiendæ cognitionis, sed eum æstimare debere ipse cognoscere an judicem dare debeat.

[23] Son legatus lui-même n'avait pas le droit animadvertendi vel atrociter verberandi, Digeste, I, 16, 11.

[24] In mandatis principum est ut curet malis hominibus provinciam purgare, Digeste, I, 18, 5.

[25] Ulpien, au Digeste, I, 18, 6 : Illicitas exacuones e violentia factas, et extortas metu venditiones et cautiones vel sine pretii numeratione prohibeat præses provinciæ.

[26] Ulpien, au Digeste, I, 18, 6 : Ne quis iniquum lucrum aut damnum sentiat, præses provinciæ prævideat.

[27] Ulpien, au Digeste, I, 18, 6 : Ne potentiores viri humiliores injuriis afficiant, neve defensores eorum calumniosis criminibus insectentur innocentes.

[28] Ulpien, au Digeste, I, 18, 13 : Congruit bono et gravi præsidi curare ut pacata atque quieta provincia sit... ut malis hominibus provincia carent, eosque conquirat... Sacrilogos, latrones, plagiarios, fures conquirere debet et prout quisque deliquerit in eum animadvertere, receptaresque eorum cœrcere.

[29] Digeste, I, 18, 15 : Illud observandum est ne qui provinciam regit fines ejus excedat, nisi voti solvendi causa, dam tamen abnoctare ei non liceat. — I, 16, 10 : Meminisse oportebit usque ad advenium successoris sui omnia debere proconsulem agere, cum utilitas provinciæ exigat esse aliquem per quem negotia sua provinciales explicent.

[30] Digeste, I, 16, 6.

[31] Ulpien, au Digeste, I, 16, 7 : Si in quam civitatem advenerit... ædes sacras et opera publica circumire inspiviendi gratia an sarta tectaque sint vel an refectione indigeant, etc.

[32] Digeste, I, 18, 7 : Præses provinciæ, inspectis ædificiis, dominos eorum causa cognita reficere ea compellat... et deformitati auxilium ferat.

[33] Faisons toutefois cette réserve que, dès le temps de la République, il était permis aux provinciaux d'intenter une accusation à leurs gouverneurs. Tite Live, Épitomé, 47 ; Lex Repetundarum, Corpus inscriptionum latinarum, t. I, p. 51-70 : Cicéron, In Verrem, Pro Flacco.

[34] Dion Cassius, LIII, 15 : Έντολς κα τος πιτρποις κα τος νθυπτοις τος τε ντιστρατγοις δδωσιν, πως π ητος ξωσιν.

[35] Livre X. Il ne faudrait pourtant pas supposer que la Gaule fût traitée par le pouvoir central comme nous voyons que l'était la Bithynie au temps de Pline. L'Empire, qui commandait à tant de peuples de nature diverse, se gardait bien de mettre une uniformité absolue dans son administration.

[36] Tacite le dit lui-même : Invalido legum auxilio (Annales, I, 2).

[37] Tous ceux dont les noms nous sont connus portent des noms d'affranchis : c'est Polybius (Sénèque, Consolatio ad Polybium), Doryphorus (Dion Cassius, LXI, 5), Entellus (idem, LXVII, 15), Epaphroditus (Suétone, Néron, 49). On sait que ces sortes de noms n'étaient jamais portés par des ingénus. Voir aussi dans une inscription (Corpus inscriptionum latinarum, VI, 8614) un Titus Flavius Herméros qui était à la fois Augusti libertus et a libellis.

[38] Spartien, Hadrien, 22 : Ab epistolis et a libellis primus equites romanos habuit. — Les inscriptions mentionnent dès lors plusieurs chevaliers romains qui sont a libellis. Exemple : C. Julio Celso... a libellis ; et censibus (Wilmanns, n° 1257). Papinien et Ulpien furent a libellis (Digeste, XX, 5, 12 ; Spartien, Niger, 7). [Voir sur cette administration impériale les Untersuchungen de Hirschfeld, 1876, p. 201 et s. ; le Conseil des Empereurs, de Cuq, 1884.]

[39] Suétone, Vespasien, 21 ; Domitien, 7 ; Vopiscus, Aurélien, 13. Suétone, qui était ab epistolis, avait écrit, suivant Priscien, un traité De institutione officiorum.

[40] Peut-être y faut-il ajouter un bureau a studiis.

[41] Sénèque, Consolatio ad Polybium, c. 26, marque l'importance de ce bureau : Audienda sunt tot hominum millia, tot disponendi libelli ! tantus rerum ex orbe toto congestus ut possit per ordinem principis animo subjici.

[42] Le chef du bureau fut d'abord qualifié seulement a libellis (Suétone, Néron, 19 ; Henzen, n° 6947 ; Wilmanns, n° 1257). La qualification de principes officiorum est dans Jules Capitolin, Marcus, 8 ; celle de magister libellorum n'apparaît pas, à notre connaissance, avant le IIIe siècle. Corpus inscriptionum latinarum, VI, n° 1628 ; Wilmanns, n° 1223 ; cf. ibidem, n° 110.

[43] Sur les ab espistolis, voir Corpus inscriptionum latinarum, III, n° 5215 ; VI, n° 798, 1607, 1654, 8612 ; VIII, n° 1174. — Spartien dit que Suétone fut magister epistolarum sous Trajan (Spartien, Hadrien, 11).

[44] Quelques personnages qualifiés a memoria sont mentionnés dans les inscriptions. On voit, par exemple, un custos officii a memoria (Corpus inscriptionum latinarum, VI, n° 8813), un magister mémoriæ (Wilmanns, n° 110 ; Trébellius Pollion, Claudius, 7), un a memoria (Corpus inscriptionum latinarum, VI, n° 1596). — Dion Cassius et Hérodien nomment des personnages προεστώς τής μνήμης (Dion, LXXVI, 14 ; Hérodien, IV, 8). Le jurisconsulte Paul fut quelque temps ad memoriam (Spartien, Niger, 7).

[45] Sur la composition du bureau a rationibus on peut voir plusieurs inscriptions. Corpus inscriptionum latinarum, III, n° 348 ; VI, n° 1599, 16-20, 5505, 8425-8429, 8450 ; Wilmanns, n° 2841.

[46] Sur le bureau a cognitionibus, Dion Cassius, LXKVIII, 13 ; Corpus inscriptionum latinarum, II, n° 1085 ; VI, n° 8654 ; VIII, n° 9560.

[47] Tacite. Histoires, I, 76 : Nam et hi malis temporibus partem se reipublicœ faciunt. Cf. Germanie, 25.

[48] Pline, Panégyrique de Trajan, 88 : Tu libertis tuis summum quidem honorem, sed tanquam libertis, habes, abundeque sufficere his credis si probi et frugi existimentur... digni quibus honor omnis præstetur a nobis....

[49] Stace, Silvæ, V, 1 ; III, 3.

[50] Digeste, XX, 5, 12 : Libellos agente Papiniano. — Spartien, Niger, 7 : Quum ad libellas paruisset.

[51] Spartien, Pius, 7 : Rationes omnium provinciarum adprime scivit et vectigalium.

[52] On peut voir dans les lettres de Pline que ce gouverneur de Bithynie consulte l’empereur sur toutes sortes de sujets, sur la construction de bains publics ou d'un aqueduc, sur l'institution d'un collegium fabrorum, etc. Il faut bien entendre que cette correspondance entre Pline et Trajan n'est en général qu'une correspondance entre un gouverneur de province et les bureaux. — On peut voir aussi au Digeste combien il était fréquent qu'un gouverneur consultât le prince sur un point douteux de droit civil.

[53] Tacite, Annales, II, 42 : Provinciæ... fessæ oneribus, deminutionem tributi orabant.

[54] Digeste, XXVIII, 5, 93 ; XLIX, 5, 5.

[55] Ne provinciæ novis oneribus turbarentur, utque vetera sine avaritia aut crudelitate maqistratum tolerarent, providebat. Tacite, Annales, IV, 6.

[56] Provinciarum præsidibus cœrcendis tantum curæ adhibuit ut neque modestiores unquam neque justiores exstiterint. Suétone, Domitien, 8.

[57] Circumiens provincias, pvocuratores et præsides pro factis supplicio affecit. Spartien, Hadrianus, 15. — Procuratores suos modeste suscipere tributa jussit ; excedentes modum rationem factorum suorum reddere jussit (Spartien, Pius, 6). Voir encore Vopiscus, Aurélien, 39 ; Dion Cassius, LVI, 27 ; LVII, 22 ; LX, 25.

[58] C. Lœlio Pollioni, legato Angusti proprætore Germaniæ superioris, præsidi integerrimo (Orelli, n° 182). — Wilmanns, n° 1269 : Tiberio Antistio Marciatio... integerrimo abstinentissimoque procuratori trzs provinciæ Galliæ ad aram Cæsarum statuam ponendam censuerunt. — Wilmanns, 1253 a : Julio Festo Hymetio... quod caste in provincia integreque versatus est, quod neque æquitati in cognoscendo neque justitiæ defuerit.... — La reconnaissance des provinces se marquait ordinairement par des statues qu'elles faisaient ériger à leurs frais à leurs gouverneurs. Si ces statues avaient été décernées à des fonctionnaires en exercice, elles n'eussent prouvé peut-être que la servilité et l'adulation ; mais Auguste avait formellement interdit que cet honneur fût accordé à aucun magistrat pendant la durée de ses pouvoirs, et même pendant les soixante jours qui en suivaient l'expiration (Dion Cassius, LVI, 25). L'étude des inscriptions prouve que cette loi fut toujours observée. Voyez L. Renier, Mélanges d'épigraphie, p. 107.

[59] Lampride, Alexandre Sévère, 49. — Nous ne voulons pas dire que la vénalité ne s'exerçât jamais ; nous aurions la preuve du contraire, s'il en était besoin, dans les lois mêmes des empereurs qui l'interdisent (Code Théodosien, II, 29, 1 ; VI, 22, 2 et 5, etc.) ; mais il n'y eut jamais vénalité légale, vénalité au profit du pouvoir, comme cela s'est vu sous d'autres régimes. La vénalité fut un abus plus ou moins rare, ce ne fut jamais une règle.

[60] La durée des pouvoirs d'un proconsul était d'une année ; celle d'un légat variait entre trois et cinq ans. Un même personnage pouvait administrer successivement plusieurs provinces.

[61] Il est fait allusion aux traitements accordés aux gouverneurs de provinces, par Pline, Histoire naturelle, XXXI, 41, 89, et par Tacite, Agricola, 42. Au temps des Sévère, Dion Cassius indique que le traitement du proconsul d'Afrique était de 250.000 drachmes (LXXVIII, 22). Lampride et Pollion énumèrent les fournitures qui étaient accordées aux gouverneurs, exemplo veterum (Alexandre Sévère, 42 ; Claude, 15). Il nous est difficile d'apprécier exactement la valeur de ces fournitures et de ces honoraires (salaria). Si l'on calcule que le gouverneur devait entretenir à ses frais toute une cohors d'employés et de secrétaires, tenir un train de maison luxueux, donner des fêtes et des repas, on jugera que son traitement n'était pas fort au-dessus de ses dépenses. Les dignités publiques n'étaient pas un moyen de faire fortune ; on peut remarquer, au contraire, qu'elles étaient ordinairement conférées à des hommes déjà riches et de grande famille, comme si ceux-là seuls étaient capables de les remplir. C'est se tromper beaucoup que de se figurer les fonctionnaires de l'Empire romain comme une classe besogneuse, faisant métier de pressurer la population, et tout occupée à s'enrichir. Les fonctions (si l'on excepte du moins celles de procurateur) étaient plus honorables que lucratives, et aussi n'étaient-elles exercées que par les hautes classes de la société. C'est ce qu'on peut voir dans Tacite, dans Pline, dans Dion Cassius, dans Ammien, dans Ausone, dans Rutilius, dans Sidoine Apollinaire ; c'est aussi ce que montrent les inscriptions.

[62] Voir surtout le titre 16 du livre Ier du Code Théodosien.