LA GAULE ROMAINE

LIVRE PREMIER. — LA CONQUÊTE ROMAINE

 

CHAPITRE VI.

 

 

COMMENT LA GAULE FUT CONQUISE PAR CÉSAR[1].

 

De toutes les guerres que Rome entreprit, aucune ne fut plus courte que celle qu'elle fit contre les Gaulois. C'est Tacite qui fait cette remarque[2]. L'Italie, en effet, et l'Espagne luttèrent pendant plusieurs générations d'hommes ; pour soumettre Carthage et même la Grèce, Rome dut faire des prodiges d'énergie ou d'habileté. La Gaule fut conquise en cinq campagnes[3].

On se tromperait beaucoup si l'on se figurait que Rome eût employé toutes ses forces à cette conquête. La vérité est qu'elle ne s'en occupa même pas. Le jour où le sénat conféra à César ce qu'on appelait la province de Gaule citérieure et ultérieure, c'est-à-dire le gouvernement de la Cisalpine et de la Narbonnaise, personne, pas même César, ne pensait à cette guerre. La Province contenait quatre légions, jugées nécessaires à sa défense[4]. Le sénat n'ajouta pas un soldat de plus pour conquérir la Gaule. Rome ne fournit jamais à César ni une légion ni aucune somme d'argent[5]. César fit la guerre de sa seule volonté, à ses frais, et avec ses seules ressources de gouverneur d'une province.

Quelles furent ses forces militaires ? Au début, le jour où il se trouva en présence de 200.000 Helvètes, il avait si peu songé à la guerre, qu'il ne disposait que d'une seule légion[6]. Il fit venir à marches forcées ses trois légions de Cisalpine et en leva deux autres en toute hâte[7]. C'est avec ces six légions qu'il arrêta les Helvètes et vainquit Arioviste. L'année suivante, il leva deux légions nouvelles, puis trois autres quatre ans après[8]. Il n'eut jamais plus de dix légions à la fois[9]. Il ne dit nulle part combien elles comptaient de soldats. A les supposer tout à fait complètes, et leurs auxiliaires également au complet, cela ferait 120.000 hommes. Si on les suppose quelque peu incomplètes, si l'on défalque les morts, les malades, les non-valeurs, les hommes employés aux convois ou à quelque garnison, on jugera que César n'a jamais eu plus de 80.000 combattants.

Que la Gaule ait été conquise depuis les Pyrénées jusqu'au Rhin, cela ne s'explique pas par les seuls talents militaires de César. La supériorité de la civilisation de Rome et de sa discipline a eu sans doute plus de part à ces grands succès que le génie d'un homme, et cependant cette explication est encore insuffisante. Ce qui rend compte de la conquête de la Gaule, c'est l'état intérieur de la Gaule.

Ne jugeons pas ces événements avec nos idées d'aujourd'hui. Transportons-nous au milieu de ce pays et de cette époque. Observons d'abord comment les Gaulois envisagèrent la conquête, sous quelle forme elle se présenta à leur esprit, quels furent leurs sentiments et le cours de leurs pensées en présence du conquérant.

Ils ne virent pas d'abord dans les Romains des ennemis ; les légions entrèrent en Gaule en auxiliaires. Le pays était menacé dans sa sécurité par un déplacement des Helvètes. Contre ce danger il demanda l'appui du proconsul romain qui commandait dans la province voisine[10]. Les Helvètes vaincus, les députés de presque toute la Gaule vinrent féliciter César : Nous comprenons bien, lui dirent-ils, que vous avez agi dans l'intérêt de la Gaule autant que dans l'intérêt de Rome[11].

Débarrassés des Helvètes, les Gaulois retinrent encore César et ses légions. Les députés des différents États le supplièrent, se jetant à ses pieds, les larmes aux yeux, de ne pas les abandonne[12], Ils l'instruisirent alors des divisions et des embarras intérieurs de leur malheureux pays. Quelques années auparavant, deux ligues s'étaient fait la guerre, et l'une d'elles avait appelé les Germains à son aide[13]. Les Suèves d'Arioviste, appelés et sollicités par un parti, avaient donc franchi le Rhin[14]. Ces barbares avaient pris goût au sol fertile et à la richesse des Gaulois[15] ; de jour en jour plus nombreux, ils avaient impartialement rançonné leurs adversaires et leurs alliés. Arioviste occupait en maître le bassin de la Saône, et les Gaulois étaient trop divisés pour pouvoir le repousser. Si César ne les délivrait pas de cette intolérable domination, il ne leur resterait plus, disaient-ils, qu'à quitter eux-mêmes la Gaule et à chercher, loin des Germains, une autre patrie et d'autres terres[16].

César fit ce qu'on lui demandait de faire : il vainquit Arioviste, refoula les bandes germaines au delà du Rhin et affranchit la Gaule d'un maître étranger, La Gaule ressaisit-elle une indépendance déjà perdue ? A la domination d'Arioviste succéda naturellement celle de César. Il ne semble pas que cela ait soulevé, d'abord, aucune protestation. Il ressort même du récit de César qu'à ce premier moment la Gaule lui obéit déjà, sans qu'il lui eût fallu la conquérir.

Les Gaulois ne voyaient pas dans César et dans les Romains les ennemis de leur race. Le sentiment de la diversité de race était alors un sentiment vague, qui ne mettait dans le cœur des hommes ni amour ni haine. Regardons quelle est la composition de l'armée de César et cherchons, s'il est possible, quel sang coulait dans les veines de ses soldats : nous y trouvons beaucoup moins de Romains que de Gaulois. Les six légions qu'il a levées en vertu de son pouvoir proconsulaire, il n'a pu les lever que dans sa province, c'est-à-dire dans la Gaule cisalpine et dans la Gaule narbonnaise[17]. Toutes les cohortes auxiliaires, qui doublaient ses légions, lui vinrent des mêmes pays. Il a lui-même conservé le souvenir de deux chefs allobroges, qui lui avaient rendu les plus grands services dans les guerres de la Gaule[18]. Son lieutenant Hirtius reconnaît expressément qu'il a soutenu la guerre grâce aux troupes auxiliaires que lui fournissait sa province[19]. Même la Gaule proprement dite, ce pays qu'il conquérait, lui fournit beaucoup de soldats et surtout de cavaliers. Nous voyons dans son armée des troupes de Trévires, d'Atrébates, de Sénons, d'Eduens[20]. C'est avec la cavalerie gauloise qu'il fit la guerre aux Germains ; dans son expédition de Bretagne il emmena 4000 cavaliers gaulois[21]. Les peuples des Pictons et des Santons lui fournirent des vaisseaux[22]. A un moment, les Éduens lui donnèrent toute leur cavalerie et 10.000 fantassins[23].

Les Gaulois n'étaient pas non plus une nation ; ils n'avaient pas plus l'unité politique que l'unité de race. Ils ne possédaient pas un système d'institutions et de mœurs publiques qui fut de nature à former d'eux un seul corps. Ils étaient environ soixante peuples que n'unissait ni un lien fédéral, ni une autorité supérieure, ni même l'idée nettement conçue d'une commune patrie. La seule espèce de patriotisme qu'ils pussent connaître était l'amour du petit État dont chacun d'eux faisait partie. Or ce patriotisme local, qui était en même temps la haine du voisin, pouvait quelquefois conseiller l'alliance avec l'étranger. Depuis près d'un siècle, les Éduens étaient les alliés de Rome, tandis que les Arvernes et les Séquanes appelaient les Germains[24].

Dans l'intérieur même de chaque peuple, les esprits étaient divisés. D'un côté était un parti composé des classes élevées, qui avait une prédilection pour les institutions républicaines et s'efforçait de les conserver. De l'autre, un parti populaire faisait ordinairement cause commune avec les puissants chefs de clientèle et joignait ses efforts aux leurs pour établir une sorte de monarchie. Ces discordes tenaient une grande place dans toutes les existences[25] ; les intérêts, les convoitises, les ambitions, les dévouements s'attachaient au parti plus qu'à la patrie. Il n'est pas douteux que chaque homme n'envisageât l'intervention de l'étranger suivant le bien ou le mal qu'elle devait faire à sa faction. Il en fut toujours ainsi dans toute société divisée en elle-même.

On voit en effet, dans les récits de César, que le général romain trouva dès le premier jour des alliés en Gaule. Jamais il ne cessa d'en avoir. Plusieurs peuples lui restèrent constamment attachés ; ainsi les Rèmes, les Lingons, et, sauf un court moment, les Eduens[26].

Même chez les peuples qui luttèrent le plus contre César, il y eut toujours quelques personnages qui lui furent obstinément attachés. On peut citer l'Arverne Épasnact, le Picton Duratius, le Nervien Vertico, le Trévire Cingétorix[27]. D'autres commencèrent par s'attacher aux Romains, comme l'Eburon Ambiorix, l'Atrébate Commius, l'Eduen Eporédorix, l'Arverne Vercingétorix, et ne firent la guerre à César qu'après avoir été ses amis[28]. Or l'historien romain ne dit jamais que ces amis de l'étranger fussent des hommes vendus. César n'avait pas la peine de les acheter : leur zèle était spontané. Non seulement il n'a pour eux aucun signe de mépris ; mais ce qu'il dit d'eux donne l'idée d'hommes honorables, qui étaient estimés et considérés même de leurs compatriotes. Devons-nous dire que ces hommes fussent des traîtres ? Ils le seraient d'après nos idées ; ils ne l'étaient pas d'après les leurs. Au moins n'y a-t-il pas ici ce genre de trahison qui fait qu'on livre sciemment sa patrie. Ceux qui combattaient Rome et ceux qui la servaient se croyaient peut-être également patriotes ; seulement ils comprenaient d'une manière opposée l'intérêt de la Gaule.

On était pour Rome ou contre Rome suivant la forme de gouvernement qu'on préférait. César indique assez clairement quels sont ses amis et quels sont ses adversaires. Il a toujours contre lui ces hommes qui, étant assez puissants pour lever des armées à leurs irais, visent à la monarchie, et qui savent bien que l'autorité romaine les empêchera d'atteindre ce but[29]. L'Helvète Orgétorix, l'Eduen Dumnorix[30], l'Éburon Ambiorix, le Trévire Indutiomare, l'Arverne Vercingétorix, en un mot tous les chefs de grandes clientèles et tous ceux qui aspirent à la monarchie, sont toujours contre Rome. Il en est de même de tout le parti que César appelle la multitude : soit qu'elle suive l'impulsion de ces chefs, soit qu'elle agisse spontanément, elle se prononce toujours contre les Romains.

Au contraire, les hommes que César appelle les principaux des cités, les hommes honorables, ceux qui composaient presque partout le sénat et qui dirigeaient le gouvernement républicain, étaient naturellement attirés vers l'alliance romaine. 11 n'y a rien là qui doive surprendre : Rome apparaissait à ces hommes comme le modèle du régime qui leur semblait le meilleur pour une société et qu'ils voulaient constituer solidement en Gaule ; elle était encore à cette époque un Etat républicain qu'un sénat gouvernait et où les classes élevées avaient une prépondérance incontestée. Rome, qui allait bientôt perdre ce régime pour elle-même, devait pourtant, ainsi que nous le verrons plus loin, travailler à l'établir et à le consolider pour longtemps dans toutes les provinces, et particulièrement dans la Gaule ; en sorte que les hommes qui souhaitaient le triomphe du gouvernement municipal et des institutions républicaines dans leur pays, et qui espéraient atteindre ce but à la faveur de la suprématie et de l'hégémonie romaine, ne se trompaient pas tout à fait dans leurs calculs.

Telle était la situation des Gaulois en face de Rome : d'un côté, un parti et des ambitions qui savaient n'avoir rien à espérer d'elle ; de l'autre, un parti qui attendait d'elle son complet triomphe.

Quelques exemples tirés du détail des faits mettront cette vérité en évidence. Dès le début, l'État éduen est gouverné par les classes élevées sous la forme républicaine ; il appelle César. Pourtant César remarque à un C3rtain moment que les Eduens tiennent mal leurs promesses ; il s'informe, et on lui apprend[31] qu'à ce moment même le parti populaire, sous la conduite d'un chef ambitieux, s'agite dans l'Etat, paralyse le gouvernement légal et souffle la haine contre Rome. Chez les Trévires il y a aussi deux partis : l'un, qui se compose des principaux de l'Etat, des classes élevées, de la noblesse, recherche l'amitié de Rome ; l'autre, qui comprend la plèbe avec le puissant chef de bande Indutiomare, est l'ennemi des Romains. Indutiomare l'emporte et, dans une assemblée populaire[32], il fait en même temps condamner à l'exil le chef de la faction adverse et décider la guerre contre Rome. Les hommes des classes élevées sont alors réduits à quitter le pays ; la plèbe et Indutiomare y sont les maîtres[33]. Une victoire de César change la situation ; l'aristocratie revient, reprend le pouvoir et renoue l'alliance avec les Romains[34]. Dans une autre partie de la Gaule, chez les Lexovii, le sénat veut garder l'alliance romaine ; mais le parti populaire s'insurge, massacre les sénateurs et commence aussitôt la guerre[35].

Chaque fois qu'un peuple est vaincu, nous voyons les principaux personnages de ce peuple se présenter devant César, l'assurer qu'ils ont combattu malgré eux et rejeter la responsabilité de la guerre sur la multitude. Cette allégation se renouvelle trop souvent pour qu'elle n'ait pas un fond de vérité ; et César en effet y ajoutait foi[36].

Il y a une parole qui se rencontre souvent dans les Commentaires : Les Gaulois changent aisément de volonté ; ils sont légers et mobiles ; ils aiment les révolutions[37]. C'est que César avait remarqué qu'une déclaration de guerre était ordinairement précédée d'une révolution intérieure. Le pouvoir se déplaçait incessamment, et l'amitié ou la haine d'une cité dépendait du parti qui régnait.

On peut remarquer encore avec quel mépris César parle des armées gauloises qui lui sont opposées. Il les représente presque toujours comme un ramassis de vagabonds, de gens sans aveu, de voleurs et de pillards qui préfèrent la guerre et le brigandage au travail[38]. Or le général romain n'avait aucun intérêt à rabaisser ceux qu'il avait vaincus. Il dit les choses telles qu'il les a vues. Les armées démocratiques de la Gaule lui ont apparu comme une multitude confuse, sans organisation, sans discipline, et qui commandait à ses chefs plus souvent qu'elle ne leur obéissait[39].

Pendant qu'un parti était ouvertement et franchement l'allié des Romains, l'autre ne dissimulait pas sa préférence pour les Germains, On peut remarquer en effet que toutes les fois qu'un peuple gaulois fait la guerre à César, il a commencé par envoyer des députations au delà du Rhin et il a invité les Germains à envahir la Gaule[40].

Chacun était ainsi l'allié de l'étranger ; entre les deux peuples qui convoitaient la Gaule, chaque Gaulois choisissait. Ce n'est pas que l'amour de l'indépendance ne fût au fond des âmes ; mais il était moins fort que les passions et les haines de parti. Il est probable que des deux parts on parlait également de patriotisme ; mais le vrai et pur patriotisme est le privilège des sociétés calmes et bien unies.

Ce fut seulement dans la septième année de son proconsulat que César vit la Gaule presque entière se dresser contre lui. Jusque-là les Arvernes avaient été dans son alliance. C'était un des plus puissants peuples de la Gaule ; au siècle précédent, ils avaient eu un gouvernement monarchique et ils avaient fait la guerre contre les Romains[41] ; vaincus, ils n'avaient pas été assujettis ; Rome leur avait seulement enlevé leur royauté et l'avait remplacée par un gouvernement sénatorial. Depuis ce temps ils étaient restés constamment fidèles à l'alliance romaine ; César ne les avait jamais vus parmi ses adversaires ; leurs principaux citoyens, leurs sénateurs, Vercingétorix lui-même[42], avaient recherché son amitié.

Vercingétorix appartenait à une de ces familles que leur vaste clientèle rendait démesurément puissantes. Son père Celtill avait voulu se faire roi ; mais le sénat de Gergovie avait déjoué ses projets et l'avait mis à mort[43]. Lui-même visait à la royauté. Un jour on le vit réunir ses nombreux clients et s'en faire une armée ; le sénat de sa patrie le frappa d'un arrêt d'expulsion[44]. On put le chasser de Gergovie, mais il n'en fut que plus fort dans la campagne. Il rassembla autour de lui les hommes que César appelle avec dédain des vagabonds et des gens sans aveu, c'est-à-dire les hommes des classes inférieures. A la tète d'une armée ainsi composée, il rentra de force dans la capitale, chassa à leur tour les sénateurs, et se fit proclamer roi[45].

Le changement de gouvernement et la guerre contre Rome étaient, pour ainsi dire, deux choses qui se tenaient et qu'on ne pouvait pas séparer. L'ancien ami de César devint aussitôt son adversaire. Il chercha des alliés ; il en trouva presque partout ; le moment était propice pour une insurrection générale.

Il n'est pas douteux, en effet, que les Gaulois n'eussent un attachement très profond pour la patrie et pour l'indépendance ; mais, pendant six années, cet attachement avait été moins fort que leurs dissensions. Il n'est rien de plus efficace pour terminer les luttes intestines que l'assujettissement. Dès que les Gaulois se sentirent conquis, leurs rivalités se turent, leurs volontés se rapprochèrent. Au contact des étrangers qui mettaient garnison dans les villes, qui imposaient des tributs, qui commençaient à exploiter le pays suivant l'usage romain et s'emparaient déjà de tout le commerce[46], le regret, le remords, la honte, la haine, prirent possession des âmes. On avait été divisé dans la résistance, on fut à peu près uni dans la révolte[47].

César remarqua alors avec quelque surprise le merveilleux accord des volontés pour ressaisir l'indépendance. Vercingétorix, déjà roi des Arvernes, se fit accepter comme dictateur suprême par presque tous les peuples de la Gaule[48]. L'important était de donner l'unité au pays. La Gaule devint une grande monarchie pour lutter contre l'étranger. Comme un monarque absolu, Vercingétorix fixait les contingents militaires des cités et leurs contributions de guerre. Aucun pouvoir ne limitait ni ne contrôlait le sien. Juge suprême en même temps que chef d'Etat, il avait le droit de vie et de mort sur tous. Sa volonté était celle d'un maître[49].

L'indépendance nationale fut vaillamment défendue. César rend justice au courage des Gaulois et aux qualités militaires de leur chef ; il laisse pourtant voir qu'il était à peu près impossible qu'ils réussissent. On s'aperçoit à plusieurs traits de son récit que la Gaule n'était pas aussi unanime qu'elle semblait l'être. Plusieurs peuples, tels que les Rèmes et les Lingons, restaient attachés à l'alliance romaine. Ni les Trévires ni les Bellovaques ne voulurent se joindre à Vercingétorix ; aucun des peuples de l'Aquitaine ne figura dans sou armée. Les Eduens envoyèrent d'abord leur contingent à César, et, lorsqu'ils se ravisèrent, ils n'obéirent qu'à contrecœur aux ordres du chef arverne[50]. Chaque peuple gardait ses jalousies.

Une autre cause de division et de faiblesse perçait sous les dehors de l'union. La monarchie démocratique de Vercingétorix soulevait des scrupules et des haines dans beaucoup d'âmes gauloises. Cet homme comptait si peu sur une obéissance volontaire, qu'il exigeait que tous les États gaulois lui livrassent des otages[51]. Il ne régnait qu'à force de se faire craindre. Il prodiguait les supplices. La désobéissance à ses ordres était punie de mort ; la tiédeur et l'hésitation étaient des crimes capitaux ; partout se dressaient des bûchers et des instruments de torture ; un régime de terreur planait sur la Gaule[52].

Ces faits montrent assez clairement que l'union des cœurs n'était pas complète. Beaucoup d'hommes redoutaient également la victoire de Vercingétorix et sa défaite. L'indépendance nationale n'était pas l'unique objet des préoccupations ; on ne voulait pas delà conquête romaine, mais on sentait qu'il existait un autre danger que cette conquête. La monarchie à l'intérieur était aussi odieuse à certaines âmes que la domination de l'étranger, et Ton n'était pas sans inquiétude sur ce que deviendrait la Gaule au lendemain de la délivrance. Les partis avaient fait trêve pour lutter contre l'étranger, mais sous cette trêve ils vivaient encore et conservaient leurs désirs et leurs craintes, leurs passions et leurs rancunes.

Vercingétorix, roi et dictateur, était entouré de toutes les difficultés qui assiègent d'ordinaire les monarques que la démocratie a portés au pouvoir. D'une part, il avait à contenir par des supplices le parti adverse ; d'autre part, il avait à tenir tête aux exigences du sien. Soupçonneux à l'égard de ses adversaires, il était soupçonné par ses partisans. Cette même foule qui l'avait fait roi, dès son premier échec l'accusa de trahison : S'il avait été battu, disait-elle, c'est qu'il s'entendait avec César ; il ne visait qu'à être roi, et sans doute il aimait mieux l'être par la volonté de César que par celle de ses compatriotes[53]. De tels discours montrent à quel point les longues divisions politiques des Gaulois avaient troublé leurs esprits. Dans un pareil état d'âme, vaincre était impossible. Il manquait à Vercingétorix ce qui est la condition du succès dans les grandes guerres : il lui manquait de commander à une nation sans partis. Les divisions qui existent dans une société se reproduisent toujours de quelque façon dans les armées. Elles se traduisent dans l’âme de chaque soldat par l'indécision, l'indiscipline, le doute, la défiance, tout ce qui paralyse le courage ou le rend inutile. Vercingétorix put bien rassembler une armée nombreuse ; mais quelles que fussent son énergie, son habileté, sa valeur personnelle, il ne paraît pas qu'il ait réussi à donner à cette armée l'organisation et la cohésion qui eussent été nécessaires en face des légions romaines. Pendant que les troupes de César lui obéissaient sans jamais murmurer ni douter de lui et que, non contentes d'être braves aux jours de bataille, elles savaient accomplir d'immenses travaux et endurer la faim sans qu'on entendît sortir de leur bouche un seul mot qui fût indigne de la grandeur romaine[54], le roi gaulois était réduit à haranguer ses soldats, à leur rendre compte de ses actes, à leur prouver péniblement qu'il ne les trahissait pas[55]. Les légions de César montrèrent durant huit années de suite ce que pouvait la discipline de l'État romain[56] ; les grandes armées gauloises montrèrent le peu que peuvent les plus brillantes qualités pour sauver un pays quand la discipline sociale et la discipline militaire font défaut. Si le nombre des hommes et leur courage avaient suffi pour être vainqueur, Vercingétorix l'aurait été. Vaincu, il tomba en homme de cœur[57].

Avec lui, la Gaule perdit le peu d'unité qu'il avait pu lui donner ; les résistances partielles se prolongèrent sans succès pendant une campagne encore ; puis tout se soumit[58].

Quelques mois après, le conquérant quittait la Gaule, emmenant son armée[59]. La Gaule ne remua pas[60]. Elle leva des soldats, mais ce fut pour les donner à César. Elle servit son vainqueur dans la guerre civile. Au début de cette guerre, Cicéron écrivait : César est bien fort en auxiliaires gaulois ; les Gaulois lui promettent 10.000 fantassins et 6.000 cavaliers entretenus à leurs frais pendant dix ans[61]. César, faisant le compte de ses soldats romains, ajoute qu'il avait un nombre égal de Gaulois ; il les avait enrôlés en choisissant chez chaque peuple l'élite des hommes[62]. Étant en Espagne, il vit venir à lui un nouveau renfort de 6000 Gaulois[63]. Il se fit une légion composée exclusivement de Gaulois, la légion de l'Alouette, et il l'instruisit à la romaine[64]. Il compta jusqu'à 10.000 cavaliers gaulois dans son armée[65].

 

 

 



[1] Nous ne raconterons pas les premières conquêtes des Romains en Gaule, celles qui eurent lieu de 125 à 122 avant notre ère et qui eurent pour effet la soumission de la province appelée depuis Narbonnaise. Les principales sources pour qui voudrait étudier ce sujet sont : 1° l’Epitomé de Tite Live, liv. 61 ; 2° les Acta triumphalia capitolina, qui rapportent les triomphes de Sextius Calvinus sur les Ligures, les Voconces et les Sallyes, de Q. Fabius Maximus sur les Allobroges et les Arvernes, celui de Domitius Ahénobarbus sur les Arvernes ; Corpus inscriptionum latinarum, I, p. 460 ; 5° Strabon, IV, 1-2 ; 4° Florus, I, 37. — Ammien Marcellin, XV, 12, résume ainsi les faits : Hæ regiones paulatim levi sudore sub imperium venere romanum, primo tentatæ per Fulvium, deinde prœliis parvis quassatæ per Sextium, ad ultimum per Fabium Maximum domitæ. — Florus explique la facilité de cette conquête : contre les Sallyes, Rome eut l'appui de Massilia ; contre les Allobroges et les Arvernes, elle eut les Eduens. — Rappelons que les Romains fondèrent Aquæ Sextiæ en 122 (Tite Live, Epitomé, Cf. Strabon, IV, 1), et Narbo Martius en 118 (Velléius, I, 15 ; Cicéron, Pro Fonteio, 4 ; Pro Cluentio, 51.

[2] Tacite, Annales, XI, 24 : Si cuncta bella recenseas, nullum breviore spatio quam adversus Gallos confectum. — Tacite met ces paroles dans la bouche de l'empereur Claude ; mais Claude, dont le vrai discours nous a été conservé, s'exprimait autrement : Gallia Comata, in qua, si quis intuetur quod bello per decem annos exercuerunt divum Julium, idem opponat centum annorum immobilem fidem.

[3] On compte ordinairement huit campagnes, et il est très vrai que César est resté huit années en Gaule. Mais il faut déduire, visiblement, la première année (an 58 av. J.-C), où il n'a fait que repousser la migration des Helvètes et a délivré la Gaule du Germain Arioviste ; cette année ne doit certainement pas compter pour une campagne contre les Gaulois. On peut déduire aussi la quatrième et la cinquième année, oîi il a combattu les Germains et les habitants de l'île de Bretagne. Les seules campagnes où il ait réellement fait la guerre aux Gaulois sont : celle de 57 av. J.-G., où il a surtout combattu les Belges, celle de 56, où il a soumis les Vénètes et les Aquitains, celle de 53, où il a vaincu les Trévires et les Éburons, celle de 52, où il a eu affaire à Vercingétorix, et enfin celle de 51, où il a écrasé les Bellovaques, les Trévires et les Carduques.

[4] Appien, Guerres civiles, II, 13 ; Dion Cassius, XXXVIII, 8. De ces quatre légions, une était en Narbonnaise, trois en Cisalpine, celles-ci cantonnées près de l'Adriatique, quæ circum Aquileiam hiemahant, César, I, 10. — M. Desjardins (t. II, p. 355) dit que le sénat lui donna sep légions, mais c'est qu'il préfère un texte d'Orose (VI, 7) à ceux d'Appius et de Dion Cassius. D'ailleurs, si l'on rapproche les chapitres 8 et 10 du livre Ier de César, on voit bien que le sénat ne lui a donné que quatre légions, puisque, après en avoir levé lui-même deux nouvelles, il n'en a encore que six.

[5] Dion Cassius, XLIV, 42 : Mτε δναμιν ξιχρεων μτε χρματα ατρκη παρ´ μν λαβν.

[6] César, I, 7 : Erat omnino in Gallia ulteriore (la Narbonnaise) legio una. — I, 8 : Interea ea legione quam secum habebat.

[7] César, I, 10 : Ipse in Italiain (c'est-à-dire en Cisalpine) magnis itineribus contendit, ducisque ibi legiones conscribit, et très quæ circum Aquileiam hiemabant ex hibernis educit.

[8] César, II, 2 ; VI, 1 ; VI, 32.

[9] Il a six légions dans la campagne de 58 (I, 10 et I, 49) ; il en a huit dans celles de 57-54 (II, 8 ; II, 19 ; V, 8) ; il en a dix dans celles de 55 et 52 (VI, 41 ; VII, 34 ; VII, 90). — L'énumération des légions dont, il donne les numéros en différents endroits de son livre, en y comprenant les deux que lui avaient prêtées Pompée, donne un total de onze ; mais il faut croire ou que l'une d'elles avait été licenciée, ou que l'une d'elles était restée dans la Province. Jamais on ne lui en voit plus de dix.

[10] César, I, 11 : Ædui legatos ad Cæsarem mittunt rogatum auxilium (contra Helvetios). Suivant Dion Cassius, XXXVIII, 32, les Séquanes auraient joint leur demande à celle des Éduens. César était alors en Narbonnaise et il ne paraît pas que, jusqu'à ce moment, il eût pensé à autre chose qu'à empêcher les Helvètes de passer par la Province romaine.

[11] César, I, 30 : Bello Helvetiorum confedo, totius fere Galliæ legati ad Cœsarem convenerunt : intelligere sese (dicebant) eam rem non minus ex usu terræ Galliæ quam populi romani accidisse.

[12] César, I, 31 : Eo concilio dimisso, proncipes civitatum ad Cæsarem reverterunt, petierumque uti de sua omniumque salute cum eo agere liceret. Sesc omnes flentes Cæsari ad pedes projecerunt. — I, 32 : Magno fletu auxilium a Cæsare petere cœperunt.

[13] César, I, 51 : Gallias totius factiones esse duas... factum esse uti ab Arvernis Sequanisque Germani mercede arcesserentur.

[14] César, I, 44 : Ariovistum transisse Rhenum, non sua sponte, sed arcessitum a Gallis... Non nisi rogatus venit.

[15] César, I, 51 : Quum agros et cultum et copias Gallorum homines feri ac barbari adamassent.

[16] César, I, 31 : Nisi si quid in Cæsare populoque romano sit auxilii... domo emigrent, aliud domicilium, alias sedes, remotas a Germanis, petant.

Il n'est pas douteux qu'Arioviste ne se regardât comme un maître : In sua Gallia (César, I, 34) ; provinciom suum hanc esse Galliam (I, 44).

[17] César le dit lui-même, I, 10 : Ipse in Italiam contendit, duasqve ibi legiones conscribit. Ici, in Italiam doit s'entendre de la Cisalpine (comme II, 35 ; V, I ; VI, 44), car il n'avait pas le droit de sortir de sa province et l'on sait bien qu'il n'en sortit pas ; d'ailleurs, un peu plus loin, 1, 24 ; il parle de ces mêmes légions : Duas legiones quas in Gallia citeriore proxime conscripserat. — Les deux qu'il leva l'année suivante furent aussi composées de Cisalpins : Duas legiones in Gallia citeriore novus conscripsit (II, 2). De même encore en 54 : Unam legionem quam proxime trans Padum conscripserat (V, 24). Notez même que les deux légions que Pompée lui prêta en 53 étaient composées de Cisalpins : Quos ex Cisalpina Gallia sacramento rogavisset (VI, 1). De même encore en 52, il fait une levée dans sa province, delectum tota provincia habuit (VII, 1) ; cf. VIII, 54 : Legionem confectam ex delectu provinciæ Cœsaris. — La Narbonnaise lui fournit beaucoup de soldats. I, 8 : Mililibus qui ex Provincia convenerant. III, 20 : Multis viris fortibus Tolosa et Narbone..... his regionibus nominatim evocatis. VII, 1 : Delectum tota Provincia habere instituit. VII, 15 : Prœsidia cohortium duo et viginli ex ipsa coacla provincia. — La Province lui fournit aussi des marins pour combattre les Vénètes (III, 9).

[18] César, De bello civili, III, 59 : Allobroges duo fratres, quorum opera Cæsar omnibus gallicis bellis optima fortissimaque erat usus.

[19] César (Hirtius), VIII, 47 : (Bellum) sustinuit fidelitate atque auxiliis provinciæ illius.

[20] César, II, 24 : Equites Treveri qui auxilii causa ab civitate ad Cœsarum missi venerant. De même les Sénons, VI, 5, et les Atrébates, VI, 6. — Ailleurs nous le voyons fixer aux cités le contingent de cavalerie qu'elles doivent fournir, equites imperat civitatibus, VI, 4.

[21] César. IV, 6 ; V, 5.

[22] César, III, 11.

[23] César, VII, 54, 57-40 ; cf. II, 5 et 10 ; VIII, 5.

[24] Strabon, IV, 5, 2 : Αδουοι κα συγγενες ωμαων νομζοντο κα πρτοι τν τατ προσλθον πρς τν φιλαν. Σηκοανο, δ πρς Γερμανος προσεχρουν πολλκις, κοινωνοντες ατος.

[25] César, VI, 11 : Pæne in singulis domibus factiones sunt.

[26] Pour les Rèmes, César, VII, 63 ; VIII, 6-12 ; pour les Lingons, VII, 63 ; VIII, 11 ; pour les Éduens, ils furent toujours fidèles jusqu'au moment où leur vergobret Convictolitavis reçut de l'argent de Vercingétorix pour abandonner César ; VII, 37 : Sollicitatus ab Arvernis pecunia ; leur défection ne dura que quelques semaines.

[27] César, VIII, 44 ; V, 45 ; VI, 8 ; VIII, 26 : Duratius, qui perpetuo in amicilia manserat Romanorum. — VIII, 44 : Epasnactus Arvernus, amicissimus populo romano.

[28] Sur Ambiorix. Dion Cassius, XL, 6 ; sur Commius, IV, 21 ; sur Eporédorix, César, VII, 39 et 55 ; sur Vercingétorix, Dion Cassius, XL, 41.

[29] César, II, 1 : A potentioribus atque iis qui ad conducendos homines facultates habebant uulgo regna occupabantur; qui minus facile eam rem imperio nostro consequi poterant. — Il n'y a pas contradiction entre cette théorie générale de César et quelques cas particuliers où nous le voyons établir un roi chez tel ou tel peuple (V, 25 ; V, 54).

[30] César, I, 18 : Dumnorix, magna apud plebem gratia, cupidum rerum nouarum...  imperio populi Romani, de regno desperare. Cf. V, 6 et 7.

[31] César, I, 17 et 18.

[32] César, V, 56 : In eo concilio (Indtitiomarus) Cingetorigem hostem judicat bonaque ejus publicat. Il s'agit ici d'un concilium armatum, c'est-à-dire d'une réunion de tous les guerriers ; cela est fort différent de quelques assemblées que César appelle comitia, populus, et qui paraissent bien plus aristocratiques.

[33] Au chapitre 5 du livre V de César, le parti qui est favorable à Rome est désigné par les mots nobilitas et principes, l'autre parti par celui de plebs.

[34] César, VI, 8.

[35] César, III, 17 : Aulerci Lexoviique, senatu suo interfecto quod auctores belli esse nolebant, portas clauserunt seque cum Viriduvice conjunxernat.

[36] César, II, 13 et 14 ; V, 27 ; VI, 13 ; VII, 45.

[37] César, III, 10 : Omnes Gallos novis rebus studere. — IV, 5 : In consiliis capiendis mobiles, novis plerumque rebus student. — V, 54 : Tantum voluntatum commutationem.

[38] César, III, 17 : Multitudo undique ex Gallia perditoriun hominum latronumque quos spes prædandi studiumque bellandi ab aqeicultura et quotidiano labore revocabat. — V, 55 : Indutiomarus copias cogere, exules damnatosque tota Gallia allicere. — VII, 4 : Habet dilectum egentium ac perditorum. — Hirtius, De bello gallico, VIII, 30 : Collectis perditis hominibus, servis ad libertatem vocatis, exulibus omnium civitatum adscitis, receptis latrociniis.

[39] César, III, 18 ; VII, 20. — Il y a dans le De bello civili, I, 51, un passage sur l'indiscipline ordinaire des années gauloises ; l'auteur parle d'un renfort qu'il avait fait venir de la Gaule : Venerant eo sagittarii ex Rutenis, equites ex Gallia cum multis carris magnisque impedimentis, ut fert Gallica consuetudo ; erant præterea cujusque generis hominum milia circiter sex cum servis liberisque ; sed nullus ordo, nullum imperium certum, cum suo quisque consilio uteretur.

[40] De bello gallico, II, 11 : Germani a Belgis arcessiti. — IV, 6 : Hissas legationes a nonnullis civitatibus ad Germanos, invitatosque eos uti ab Rheno discederent omniaque quœ postulassent ab se fore parata. — V, 2 : Germanos transrhenanos sollicitare. — V, 27 : Magnam manum Germanorum conductum Rhenum transisse. — V, 55 : Treveri et Indutiomarus nullum tempus intermiserunt quia trans Rhenum légatis mitlerent, civitates sollicilarenl, pecunias pollicercntur. — VI, 2 : Germanos sollicitant. — VI, 8 et 9 : Germani qui auxilio ventebant. — Cf. Dion Cassius, XL, 31. — On se tromperait, d'ailleurs, si l'on croyait que ces Germains eussent une haine particulière contre Rome ; c'était la solde ou l'espoir du pillage qui les attirait en Gaule : Germani mercede arcessebantur, I, 51 ; conductam manum, V, 27 ; pecuniam polliceri, VI, 2. Ils n'éprouvaient aucun scrupule à rançonner les Gaulois ; un jour que César avait déclaré qu'il livrait au pillage le territoire des Éburons, il vint une foule de Germains pour prendre part à la curée. — Vercingétorix n'avait pas de Germains dans son armée ; César gardait alors avec soin la ligue du Rhin, et c'était lui, à son tour, qui prenait des Germains à sa solde (VII, 13, 60, 67).

[41] Strabon, IV, 2, 3 ; Appien, Bellum gallicum, 12 ; Tite-Live, Epitome, 61 ; César, I, 45 ; Corpus inscriptionum latinanun, t. I, p. 460.

[42] Dion Cassius, XL, 41 : ν φιλίᾳ ποτ τ Κασαρι γεγνει.

[43] César, VII, 4 : Quod regnum appetebat, ab civitate erat interfectus.

[44] César, VII, 4 : Vercingetorix, summæ potentiæ adulescens, cuius pater principatum Galliæ totius obtinuerat et ob eam causam, quod regnum appetebat, ab civitate erat interfectus, convocatis suis clientibus facile incendit. Cognito eius consilio ad arma concurritur. Prohibetur ab Gobannitione, patruo suo, reliquisque principibus... expellitur ex oppido Gergovia.

[45] César, VII, 4 : Expellitur ex oppido Gergovia... In agris habet dilectum egentium ac perditorum. Hac coacta manu, quoscumque adit ex civitate ad suam sententiam perducit ; hortatur ut communis libertatis causa arma capiant, magnisque coactis copiis adversarios suos a quibus paulo ante erat ejectus expellit ex civitate. Rex ab suis appellatur. — Plutarque donne aussi à Vercingétorix la qualification de βασιλες (Vie de César, c. 27).

[46] César, VII, 5 ; VII, 42.

[47] On a supposé que le clergé druidique avait à ce moment prêché la guerre sainte. La chose est possible ; toutefois, ni César ni aucun écrivain n'en parlent. César n'indique nulle part que les druides lui fussent particulièrement hostiles. Que le signal de l'insurrection soit parti du pays des Carnutes, cela ne prouve pas que ce signal ait été donné par les druides. Le serment prêté sur les enseignes militaires, suivant un usage commun à beaucoup d'anciens peuples, ne suppose pas l'intervention du clergé.

[48] César, VII, 4 : Omnium consensu ad eum defectur imperium. Plus tard cette dictature lui fut renouvelée par une assemblée un peu tumultuaire ; César raconte comment il y fit intervenir inopinément la multitude. Il y avait apparemment un parti aristocratique qui eût désiré un autre chef (César, VII, 63).

[49] César, VII, 4.

[50] César, racontant l'assemblée générale de Bibracte, ajoute : Ab hoc concilio Remi, Lingones, Treveri abfuerunt, illi quod amiciliam Romanorum sequebantur, Treveri quod aberant longius (VII, 65). Quant aux Bellovaques, ils voulaient bien faire la guerre à César, mais seuls et pour leur propre compte, se suo nomine atque arbitrio cum Romanis bellum gesturos dicebant neque cujusquam imperio obtemperaturos (VII, 75). Aucun peuple aquitain n'est nommé dans la liste des confédérés (VII, 75). Quant aux Éduens, on peut voir leurs hésitations et leurs intrigues (VII, .57 à 75), jusqu'à ce que inviti Vercingetorigi parent (VII, 65).

[51] César, VII, 4 : Omnibus civitatibus obsides imperat.

[52] César, VII, 4 et 5 : Summæ diligentiæ summam imperii severitatem addit : magnitudine supplicii dubitantes cogit : majore commisso delicto, igni atque omnibus tormentis necat ; leviore de causa, auribus desectis aut singulis effossis oculis, domum remittit ut magnitudine pœnæ pertrrreant alios. His suppliciis concto exercitu....

[53] César, VII, 20 : Vercingetorix, quum ad suos redisset, proditionis insimulatus quod castra propius Romanos movisset.... Regum Galliæ malle Cæsaris concessu quam ipsorum habere beneficio.

[54] César, VII, 17.

[55] César, VII, 20.

[56] César, VI, 1 : Docuit quid populi romani disciplina posset.

[57] Encore ne faut-il pas accepter les déclarations qu'on a faites sur la grandeur d'âme avec laquelle il se rendit à César. Passons en revue les divers récits de cette scène, dans César, Florus, Plutarque et Dion Cassius, cl essayons d'en dégager la vérité. César dit, VII, 89, que, les Gaulois étant à bout de ressources, Vercingétorix leur conseille de céder à la fortune et de le livrer lui-même, mort ou vif, à César ; on députe au vainqueur ; César pose ces conditions : les Gaulois livreront leurs armes et leurs chefs : alors, les chefs lui sont amenés, Vercingétorix lui est livré, et les armes sont jetées en las à ses pieds. — Florus, III, 10, ajoute deux traits : l'un que Vercingétorix se présenta en suppliant, l'autre qu'il prononça cette parole : Fortem virum, vir fortissime, vicisti. — Plutarque (Vie de César, 27) représente Vercingétorix monté sur son plus beau cheval, paré de ses plus belles armes, caracolant devant César, enfin lui remettant ses armes et se tenant en silence à ses pieds. — Le texte le plus curieux est celui de Dion Cassius, XL, 41 : Il se jeta aux genoux de César et lui pressa les mains sans rien dire ; tous les assistants étaient émus de pitié ; mais César lui reprocha la chose même sur laquelle le Gaulois avait compté pour son salut, c'est-à-dire l'ancienne amitié qui les avait unis ; il lui fit sentir combien, après cette amitié, sa défection avait été odieuse, et il le garda prisonnier.

[58] L'Aquitaine ne fut définitivement conquise que plusieurs années après. Voir Appien, V, 92 ; Dion Cassius, XLVIII, 49 et LIV, 32.

[59] Que César ait ramené de Gaule son armée, c'est ce qui ressort du De bello civili, I, 8, legiones ex hibernis evocat, comparé au De bello gallico, VIII, 54. Cela ressort aussi de plusieurs autres passages où l'auteur montre que les légions de la guerre civile sont les mêmes qui ont combattu à Avaricum et à Alésia (De bello civili, III, 47 et 87 ; De bello africano, 70). On sait d'ailleurs qu'à la fin de la guerre des Gaules, César, qui venait de rendre deux légions à Pompée, n'en avait plus que huit (De bello gallico, VIII, 54) en Gaule ; elles portaient les numéros 7, 8, 9, 10, 11, 12, 15, 14 ; or toutes ces légions, sauf peut-être la onzième, se retrouvent avec leurs numéros dans la guerre civile (De bello civili, I, 7, 15, 18, 46, III, 45, 16, 65, 89 ; De bello africano, 34, 60, 62, 81, 89).

[60] Les seuls Bellovaques tentèrent un soulèvement, qui fut réprimé par Decimus Brutus (Tite Live, Epitomé, 114).

[61] Cicéron, Ad Atticum, IX, 13.

[62] César, De bello civili, I, 39 : Parem ex Gallia numerum, quem ipse paraverat, nominatim ex omnibus civitatibus nobilissimo et fortissimo quoque evocato.

[63] César, De bello civili, I, 51.

[64] Suétone, Vie de César, 24 ; Pline, XI, 37.

[65] Appien, Guerres civiles, II, 49. — Plusieurs m'ont reproché ce chapitre, comme ils m'ont reproché de n'avoir pas parlé de Vercingétorix avec tout l’enthousiasme requis. Je réponds que c'est ici une question de méthode. Ceux qui pensent que l'histoire est un art qui consiste à paraphraser quelques faits convenus, pour en faire profiter leurs opinions ou politiques, ou religieuses, ou patriotiques, sont libres de prétendre que les Gaulois ont dû lutter longtemps et s'insurger incessamment contre la domination étrangère ; ils n'en peuvent pas donner la preuve, mais leur patriotisme exige qu'il en ait été ainsi et leur sens historique est la dupe de leur patriotisme. Ceux qui pensent que l'histoire est une pure science, cherchent simplement à voir la vérité telle qu'elle fut. Le patriotisme est une grande chose ; mais il ne le faut pas mêler à l'histoire du passé ; il ne faut pas le mettre là où il ne fut pas. La science ne doit pas avoir d'autre souci que la recherche du vrai. Nous désapprouvons les historiens allemands qui ont altéré l'histoire pour créer un Arminius légendaire et une Germanie idéale ; nous ne voudrions pas tomber dans une erreur semblable.