LA QUESTION NAPOLITAINE.Le royaume de Naples — en Italie on disait le Royaume sans plus — était le grand rival, l’ennemi traditionnel de la puissance séculière du Saint-Siège. Les deux Etats tendaient l’un et l’autre à l’hégémonie sur l’Italie entière : d'où le conflit. Par surcroît, le Souverain Pontife prétendait à des droits de suzeraineté sur le Royaume, et à en recevoir un tribut, d’autant que les Etats de l’Eglise avaient avec lui une frontière commune. Dans ces circonstances, fatalement, la Cour de Rome devait se trouver en opposition avec la dynastie régnante à Naples. Pour le moment, celle-ci était représentée par les Aragonais : on se tourna vers là France. Le cardinal Giuliano délia Rovere — le futur Jules II — était celui des cardinaux qui poussait le plus vivement Innocent VIII à s’engager dans cette voie, tant et tant qu’il partit en mars 1486 pour la France, avec mission donnée par le pape d’en ramener le prétendant français. Ainsi furent éveillés par le Souverain Pontife dans la pensée du jeune Charles VIII — que les Italiens nommeront, rapport à sa taille, Charles le Petit — des rêves empressés à prendre leur vol. René d’Anjou, comte de Provence, roi de Naples in partibus, dit le bon roi René, était mort le 10 juillet 1480, léguant à son neveu, Charles, comte du Maine, ses droits de suzeraineté sur je royaume de Naples avec réversibilité sur le roi de France en cas de décès. Le comte du Maine mourut le 11 décembre 1481. Ces droits, d’où venaient-ils P Du rude Charles d’Anjou, frère de saint Louis, qui avait été se tailler un royaume dans le sud de l'Italie, royaume dit des Deux-Siciles, Sicile et Naples, dont le pape Clément IV lui donna l’investiture en 1265. Charles d’Anjou fut chassé par le soulèvement des Vêpres Siciliennes (31 mars 1282) renforcées par l’agression victorieuse de Pierre III d’Aragon que les insurgés appelèrent à leur aide. De ce moment les deux maisons, d’Anjou et d’Aragon, régnèrent parallèlement, la première à Naples, la seconde à Palerme. En 1438, un testament de Jeanne II, reine de Naples, souveraine sans enfants, appela en ses Etats notre René d’Anjou, comte de Provence, qui se trouvait en somme l’héritier légitime. René répondit à l’appel ; mais, faute d’argent et de secours suffisants, il dut à sort tour battre en retraite devant un autre Aragonais, Alfonse V, qui contestait l’authenticité du testament de la reine Jeanne (1442). Le bon roi René ne paraît d’ailleurs pas s’en être fait grand tracas. H revint en France où il mena une vie luxueuse, entouré d’artistes et de poètes, artiste lui-même. On ne saurait désirer figure plus heureusement épanouie que celle du roi René, telle que les peintres du temps nous l’ont transmise. Le royaume des Deux-Siciles se trouvait ainsi reconstitué entre les mains d’un prince d’Aragon ; mais à la mort d’Alfonse V le Magnanime, ses Etats italiens furent à nouveau divisés : son frère Jean, qui lui succédait en Aragon, eut la Sicile, et son fils Ferdinand — enfant naturel — eut le royaume de Naples ; cependant que le roi René, qui n’avait pas renoncé à ses droits, les léguait, comme il vient d’être dit, à Charles, comte du Maine, avec retour au roi de France. C’est ainsi que Louis XI se trouva, à la mort du comte du Maine, le 11 décembre 1481, en possession de droits suzerains sur le royaume fondé au xiii 6 siècle par le frère de saint Louis. Ils passèrent à son successeur, Charles VIII, auquel le Saint-Siège imagina d’en rappeler l’existence. La valeur des droits de Charles VIII a été niée par des historiens récents, mais sans fondement. Les testaments de la reine Anne et de René d’Anjou se seraient trouvés en contradiction avec les termes de la bulle de Clément IV, de 1265 ; à quoi l’on répondra que le pape, en donnant l’investiture du duché à Charles d’Anjou, n’avait pas qualité pour rompre les coutumes féodales, et qu’au reste le pape Innocent VIII, qui appelait le roi de France à Naples, avait toute autorité pour modifier les décisions de son prédécesseur. La question est d’ailleurs sans importance. On a dit très justement que jamais Louis XI, en son esprit prudent, pratique, éloigné des entreprises aventureuses, ne se serait hasardé à l’expédition napolitaine, quels que fussent ses droits et les instances pontificales ; mais Charles VIII était jeune, de caractère ardent, avide de renommée, un médiéval encore, et des romans de chevalerie. Et Louis XI n’aurait certainement pas restitué au roi d’Aragon, comme le fit Charles VIII par le traité de Barcelone (19 janvier 1493), le Roussillon et la Cerdagne, qui avaient été mis entre ses mains en gage d’un emprunt de 100.000 écus. Louis XI ne les eût jamais rendus, voire contre remboursement ; Charles VIII les restitua sans denier de retour, pour avoir les mains libres en Italie. Louis XI n’aurait même pas consenti à remettre l’empereur Maximilien en possession de l’Artois et de la Franche-Comté, pour s’assurer sa neutralité bienveillante, bien que ces provinces eussent été données en dot par Maximilien à sa fille Marguerite, fiancée à Charles VIII et que celui-ci renvoya à son père (12 juin 1493) pour épouser Anne de Bretagne. ITALIENS EN FRANCE. FRANÇAIS EN ITALIE.Burckhardt estime que l’intervention de la France en Italie devait se produire, de nécessité, la question napolitaine, puis la question milanaise ne se fussent-elles pas posées. Les communications entre les deux pays s’étaient faites depuis un demi-siècle de plus en plus fréquentes, rapides, agissantes. On vient de voir les foules, dans les villes italiennes, groupées autour des chante-fables français. Les relations entre marchands et banquiers sont devenues nombreuses et actives. Les manieurs d’argent et grands négociants de Gênes, de Lucques, de Florence ont comptoirs et représentants dans les villes de France les plus importantes. Montpellier, Marseille, Bordeaux, Cahors, Paris, voire Nantes et Rouen ont des paroisses peuplées de marchands italiens. (Lucien Romier.) Financièrement, Lyon est devenue une ville italienne et en a pris la physionomie. Sur les bords du Rhône c’est la nation florentine dont l’influence sur le gouvernement du roi se fait plus d’une fois sentir. Les Sauli ont privilège de commercer en Provence, Dauphiné, Bourgogne ; ce sont eux qui financeront la campagne de Charles VIII. Les Capponi obtiennent du roi, en 1490, la permission de faire excommunier leurs débiteurs. L’un d’eux, François Cappone, acquiert les seigneuries d’Ambérieu et de Crèvecœur. L’année même de sa mort, comme la famine sévissait à Lyon, il y nourrit, plusieurs mois durant, trois ou quatre mille indigents. Tommaso Guadagni, dit le Magnifique, était seigneur de Beauregard, au comté de Laval, de Verdun en Bourgogne, de Saint-Jean en Forez, de Saint-Victor de la Coste en Languedoc, seigneuries auxquelles il ne tarda pas à joindre Lunel et Galargues (1537). Le roi de France lui avait affermé le sel dans les bassins du Rhône, de la Saône et de l’Isère. Son fils, Tomaso II, fut lieutenant du roi à Lyon et gentilhomme de sa chambre. Manieurs d’argent qui ne faisaient d’ailleurs pas tous figure de gentilshommes, nonobstant les seigneuries et charges de Cour dont ils pouvaient être titulaires. Plus d’un sans doute eût justifié la boutade que L’Estoile adressait à Güanbattista de Gondi : A sa façon on l’eût pris pour un bon marchand de pourceaux, plutôt que pour un gentilhomme. Les Albizzi concoururent à l'équipement des armées de Louis XII et de François Ier . Plusieurs de ces banquiers italiens, établis à Lyon, firent partie de l’échevinage : Roberti degli Albizzi en 1525, Pietro Gabbioni en 1550. L’orateur vénitien Andrea Navagero, passant par Lyon en 1528, laisse de la ville cette description : Elle est bien habitée et bien construite ; mais le plus grand nombre de ceux qui y demeurent sont des étrangers, de pays divers, surtout — quasiment tous — des Italiens. Ils y sont attirés par les foires, par le commerce des marchandises et par celui du change. La plupart des marchands sont des Florentins ou des Génois. Il se tient à Lyon quatre foires par an, où se dépense infiniment d’argent, ce qui fait de cette place la bourse fondamentale pour toute l’Italie. De l’importance et de l’éclat de la nation florentine à Lyon, on a une brillante description en la Magnificence de la superbe entrée de Henri II à Lyon (Lyon, 1549, in-4°). Accompagnés de leurs Pages, nos Florentins chevauchaient des haquenées harnachées de velours et d’or. Sous le règne de François Ier, Lyon eut pour gouverneurs deux Italiens : Teodoro Trivulzio, auquel succéda son oncle Pomponio. Les liens entre familles souveraines et grandes maisons du patriciat ou de l’aristocratie en arrivaient à former, d’un versant des Alpes à l’autre, des mesnies communes, au point que, traitant du grand patriciat florentin, L’Hermite de Soliers peut intituler son livre : la Toscane française (1661). La puissante famille des Orsini, qui commandait à tant de châteaux, forteresses, bourgs et villes, était comme inféodée au parti français. Les Orsini, disaient les Romains, portent sculptés dans le cœur, du jour de leur naissance, le nom et les armes de la couronne de France. Les d’Este, ducs de Ferrare, lui furent traditionnellement attachés, si bien, note Brantôme, que je puis dire que j’ay veu ces grands personnages meilleurs Français, cent fois plus, que plusieurs de la nation mesme. La Maison de France s’alliait avec les Visconti, avec les Médicis ; les Guise avec les d’Este de Ferrare ; les Bourbon et les Nevers avec les Gonzague de Mantoue, et que d’autres noms à citer ! Déjà Jean II avait marié sa fille Isabelle au duc de Milan Jean Galéas, lequel fit épouser, à sa fille Valentine, Louis d’Orléans, frère de Charles VI, qui devint comte d’Asti, et leur fils aîné, Charles, fut père de Louis XII que nous voyons, de France, administrer ses domaines italiens si heureusement que les habitants du comté d’Asti en viennent à se pénétrer de sentiments français. César Borgia porte le nom de César de France ; Laurent de Médicis, il pensieroso de Michel-Ange, épousera Anne de la Tour ; de leur union naîtra Catherine de Médicis. Louis XII prend en sa garde et protection le petit marquis de Montferrat, en bas âge orphelin de père et de mère ; il lui sert de tuteur par vraie bonté et paternelle affection, dit Claude de Seyssel ; il lui fait épouser Mademoiselle d’Alençon. Henri II attribue à la duchesse de Parme les seigneuries de Quercy, Agenais, Villefranche et la sénéchaussée de Rouergue, en compensation de la chose très vilaine et inhumaine faite à son époux Octave Farnèse et à elle-même par Charles-Quint, qui avait confisqué la dot de la duchesse ; et c’est un Parmesan, Girolamo Curtio, qui vient, en fondé de pouvoir de la duchesse de Parme, administrer ces seigneuries. Ce même duché de Parme est convoité par le duc de Ferrare Hercule d’Este, fils de Lucrèce Borgia, qui propose au roi de France, comme la chose du monde la plus naturelle, de relever ce duché de sa couronne ; quant aux Farnèse, pour les amener à renoncer à cette seigneurie qui est leur bien, on leur attribuera le duché de Chartres, apanage de la duchesse de Ferrare, Renée de France. Les choses ne se passent-elles pas, tout uniment, comme si les duchés de Parme, de Chartres, de Ferrare, l'Agenais et le Quercy étaient villes et provinces d’un même pays ? Au fait, le marquis de Saluzzio (Saluces) ne s’avouait-il pas vassal du roi de France ? Ludovico, fils de Federico II, duc de Mantoue, épouse la duchesse Henriette de Nevers. Charles IX érige pour lui en principauté sous le nom de Mantoue, les baronnies de Senonches et de Bresolles (déc. 1566). Il le reconnaît pour duc de Nevers. Ludovico de Mantoue fonda à Nevers les faïenceries lui devaient y avoir une si brillante destinée. Le roi de France assigne au marquis de Brignano des revenus sur la seigneurie de Saint-Symphorien d’Ozon en Dauphiné et lui en attribue le péage ; tandis que le fils du maréchal d’Estouteville possède en Italie les villes de Neni et de Genzano et, dans le royaume de Naples, le comté de Sarno. C’est un capitaine italien, Renzo Orsini, qui défend Marseille, du 19 août au 28 septembre 1524, contre les armées de Charles-Quint que commande un Français, le connétable de Bourbon, et le bon peuple de France le célèbre en ses chansons : O noble seigneur de Rance Nous te remercions De la bonne recueillance Que tu as faite à Bourbon ; A grands coups de canon Aussi d’artillerie Les as tous repoussés Jusques en Italie. Dans le domaine religieux, le spectacle est encore plus convaincant. Archevêques, évêques, abbés, vont et viennent d’une contrée à l’autre, administrant diocèses et monastères, de ci, de là, sans qu’il soit question d’une différence de nationalité. Les exemples à citer — simple nomenclature — pour l’époque qui nous occupe rempliraient plusieurs pages de œ livre. Et le tableau que nous présenteraient le monde militaire, la Cour, les parlements, les universités serait le même. D’Italie venaient grand nombre de nobles seigneurs : condottieres, hommes de guerre, capitaines éprouvés, pour combattre sous les étendards fleurdelisés. Gianjacopo Trivulzio, élevé à la dignité de maréchal de France, combattit à Agnadel, à Novarre, à Marignan. En cette bataille-de Marignan, une partie de l’armée française, les contingents basques et gascons étaient sous les ordres de Pietro Navarro. Giovanni Carraccioli, prince d’Amalfi — le prince de Melphes, disent les textes français — fut également maréchal de France. Il exerça son commandement en Provence contre les Impériaux. C’est le marquis de Mantoue, Francesco II qui, en 1503, commandait généralement les armées françaises en Italie. Un agent du duc de Toscane Cosme de Médicis, envoyait à son maître (1542) une longue liste des capitaines italiens servant dans les armées de François Ier ; parmi eux des noms appartenant aux plus grandes familles : Guidobaldo, duc d’Urbin, le comte délia Mirandole, le gouverneur de Mondovi, vingt autres. Il en va de même dans la marine. Un Florentin, Giovanni Verazzano, dirigea, en 1524, l’expédition qui prit possession de Terre-Neuve au nom du roi de France. Un autre Florentin, Baccio Martelli, devint dans la marine française, lieutenant général des galères. On sait les services éclatants que le Génois Andrea Doria rendit aux armes françaises, sa défense de Marseille en 1524, sa victoire du 28 avril 1528, dans la baie de Naples sur les flottes de Charles-Quint. Le comte Virginio Orsini Dell’Anguillara est, sous François Ier, capitaine général des armées françaises des mers du Levant. Cristoforo di Lubiano a mission de défendre en 1533, comme capitaine des galères, les côtes de Provence. Filippo Altovinetti, avec le titre de capitaine des galères, est gouverneur de Marseille. L’échevinage marseillais, en corps, tint à servir de parrain à l’une de ses filles qu’il prénomma Marseille, joli prénom que la jeune fille, qui devait mourir en la fleur de ses vingt ans, illustra en de gracieuses poésies italiennes et françaises. A la Cour de France et dans le gouvernement, les Italiens, à l’époque qui nous intéresse, jouent le rôle le plus important. Le Milanais Galeazzo di San Severino est qualifié par René de Maulde, historien de Louis XII, de premier ministre de France. Louis XII lui donna le beau château de Meung-sur-Yèvre, où Jeanne d’Arc et Charles VII séjournaient quand la glorieuse enfant, contrairement à la volonté du roi, se sépara de lui pour remonter vers le Nord, combattre Anglais et Bourguignons, derniers combats où elle devait trouver la captivité, puis la mort. Galeazzo était à Pavie, où la bataille fut engagée contrairement aux avis pressants qu’il donnait au roi. Il y fut tué, les armes à la main, s’efforçant de protéger contre les assaillants François Ier qui le sceut bien dire après, note Brantôme. Henri II et son frère aîné, le duc de Bretagne, furent élevés à l’italienne plutôt qu’à la française. Leur précepteur, l’humaniste Teocrano, les accompagna en Espagne quand ils s’y rendirent en otages de leur père. Quant aux Italiens qui occupèrent des charges à la Cour de France, depuis le règne de Charles VIII jusqu’à celui de Henri II : écuyers, gentilshommes de la Chambre, maîtres d’hôtel, valets de chambre, l’énumération, comme celle des prélats dont il a été question ci-dessus, en exigerait plusieurs pages. Notre diplomatie comptait beaucoup d’Italiens qui mettaient à son service leurs qualités de finesse, de souplesse, de dissimulation. C’est un Véronais, Ludovico Canossa, qui prépare les voies à l’alliance entre Louis XII et Henry VIII. Le 16 septembre 1524, François Ier charge le comte la renaissance de Carpi, Alberto Pio, de négocier en son nom les trêves entre Charles-Quint et Henry VIII ; le chevalier Piero Salviati est ambassadeur de Franco auprès du Grand-Turc. Ces diplomates et d’autres de leurs compatriotes rompus aux finesses de la politique italienne... contribuèrent à créer chez nous cette grande école diplomatique qui, seule, devait rendre possible l’exécution des projets de Richelieu et de Louis XIV (Emile Picot). Il serait superflu de noter l’immense action des artistes italiens en France à la fin du XVe et commencement du XVIe siècle. Il est plus utile de rappeler avec André Michel que ce mouvement ne demeura pas unilatéral. Entre l’Italie et la France, il y eut une réciprocité d’influence, bien plus qu’un seul courant portant du Sud au Nord un idéal et un art tout formés. De même pour les études : tandis qu’un Italien, Girolamo Aleandro — Jérôme Aléandre — était élu recteur de l’Université parisienne (18 mars 1513) et qu’Alfonse le Magnanime envoyait la jeunesse de Naples faire ses études à Paris, Arnaud du Ferrier, président des enquêtes au parlement de Paris, donnait des leçons publiques aux écoles de Padoue, le Toulousain Jean de Coras professait à l’Université de Ferrare ; des Français y enseignaient : J.-Fr. Du Soleil, les mathématiques ; J.-J. Orgeat la poésie. Paul Viallard donne un cours sur les lettres antiques à l’Université de Pise, puis à Rome ; Jean de Monluc, plus tard évêque de Valence, enseigne la théologie au collège de la Sapiensa à Rome, Marc-Antoine Moret y professe les humanités. Depuis le début du XIVe siècle, l’Université de Pavio fut peuplée non seulement d’étudiants mais de maîtres français. Les dignités auxquelles parvinrent les étudiants français de l’Université de Pavie témoignent de l’importance du rôle qu’ils y jouèrent : y furent élus par leurs camarades recteurs des juristes ou des artistes notamment le Provençal Jacques Maure en 1423, le Picard François Breuille en 1447, le Bourguignon Pierre de Clerval en 1460, Jean de Luxembourg en 1461, Jean Trodon en 1487, le Lyonnais Gervais de Cayla en 1518, le Savoyard Louis de Rions en 1542. De leur côté, les Italiens étaient très nombreux en France dans les places les plus élevées de l’enseignement. Outre Girolamo Aleandro, recteur de l’Université de Paris, voici au Collège royal, qui deviendra le Collège de France, jusqu’à quatre professeurs italiens : Agagio Guidacerio et Paolo Paridisi dit Canossa y enseignent l'hébreu, Francesco Vimercati la philosophie et Guido Guidi la médecine. Girolamo Acellini dit Balbi donnait à Paris des cours de littérature antique et de droit avec grande affluence d’auditeurs. Il se sentait assez d’autorité pour attaquer publiquement, en une réunion solennelle de l’Université (14 mars 1485) un des plus célèbres professeurs de ce temps, Guillaume Tardif. Par tant de points de contact où sentiments et intérêts se mêlaient les uns aux autres, les affaires italiennes devenaient des affaires françaises. Il n’avait laquais, note Montaigne, qui ne pust dire nouvelles de Florence et de Ferrare. A ce qui concernait l’Italie, les Français ne pouvaient plus demeurer indifférents, à quoi contribuèrent encore les innombrables fuoricisti — en français du temps forussis — immigrés en France. Fait d’une haute importance auquel Lucien Romier, en ses précieux volumes sur les Origines des guerres de religion, a consacré des pages d’une nouveauté lumineuse. Ces forussis étaient les bannis des cités, principautés et républiques italiennes : tel Dante, le gibelin exilé par les guelfes de Florence à la fin du XIIIe siècle. Il va sans dire qu’il s’agissait d’ailleurs rarement d’écrivains ou de savants, mais de membres des familles patriciennes, ennemies de la mesnie au pouvoir. On a vu avec quelle rigueur Cosme de Médicis les traitait. Parmi eux se rencontraient souvent des hommes de grande énergie, prêts aux coups de main audacieux, d’un caractère violent et que leur haine de ceux qui les tenaient loin de la patrie remplissait de fureur. On voyait dans leurs rangs de$ financiers, des faillis, des hommes de loi, parfois des prélats vêtus de pourpre, titulaires de grandes abbayes ou d’évêchés ; victimes de ces luttes sans merci qui jetaient en Italie la moitié d’une cité contre l’autre moitié : blancs contre noirs, guelfes contre gibelins, Orsini contre Colonna et Savelli, Santa-Croco contre Délia Valle à Rome ; Albizzi, Strozzi, Pazzi contre Médicis à Florence. L’énergie des caractères et la violence des passions forment un des traits marquants de la Renaissance. Comme lo frère du pape Jules III exprimait des doutes sur l’opportunité de la lutte armée soutenue contre le duc de Toscane, un vieux marchand banni de Florence, un vieillard, Bindo Altoviti, répondait en frémissant : — J’envoie à la guerre mon fils, qui est laïque, et, s’il périt, j’enverrai l’autre, qui est archevêque de Florence, et moi-même j’irai mourir pour ma patrie. Les forussis italiens se répandaient en France, mêlés aux diverses classes de la société qu’ils animaient de leurs sentiments, de leur passion, de leurs haines. A la Cour de Henri II ils vont jouer un rôle de grande importance. Les principaux étaient des Florentins, leurs chefs les deux frères Strozzi, Piero et Leone. Henri II leur témoignera grande estime et amitié. Le 20 juillet 1554, il élèvera Piero, l’aîné, à la dignité de maréchal de France, tandis qu’il confiera au second, Leone, le commandement de ses flottes avec le titre de capitaine général des galères. Notre Brantôme range Piero Strozzi parmi ses capitaines illustres. Hélas ! écrit-il, ce brave seigneur a bien brouillé et despendu tous ses grans moyens au service de nos rois ; car, de plus de 500.000 écus qu’il avait vaillans quand il vint à leur service, il est mort ni ayant pas laissé à son fils vaillant 20.000 écus. Et ce, sans avoir grande récompense ni bienfait de nos rois, car il n’estoit point importun ni demandant. Il avait le cœur fort noble, généreux et splendide. La famille Strozzi possédait à Lyon une banque dont les rois de France tirèrent beaucoup d’argent. Le duc Cosme de Toscane redoutait les deux frères, Piero et Leone, au point d’entretenir en France un espion à seule fin de les suivre en leurs faits et gestes. Il chercha à faire assassiner l’aîné. Piero Strozzi s'enferma dans Metz avec le grand duc de Guise, lors du siège fameux, ainsi que d’autres bannis italiens. Ils se distinguèrent par leur entrain, leur bravoure et furent d’un utile secours à leur glorieux chef. Ce fut l’agent de Piero Strozzi qui apporta au roi, le 7 janvier 1553, la nouvelle du triomphe. En 1558, à la reconquête de Calais, ce sont deux forussis napolitains, Giulio Brancaccio et un nommé Vespasiano, serviteur du prince de Salerne qui, dans l’assaut suprême, parviennent les premiers à la crête des remparts pour y planter l’étendard du roi. Piero Strozzi sera tué en 1558 au siège de Thionville, d’une arquebusade dans le sein gauche, tandis que, une main à son épaule, il parlait au duc de Guise. Au sujet des Napolitains et des Milanais, qui venaient ainsi se ranger sous la bannière de nos rois, Brantôme dit encore : Ils quittaient leur pays et leurs maisons et venaient mourir de faim en France, ainsi que j’ai vu les princes de Salerne, les ducs de Somme, d’Atria, le comte de Gaiazzo et le seigneur Julio Brancazzo et une infinité d’autres, que j’ai vus en notre Cour faisant à tout le monde plus de pitié que d’envie et qui mouraient quasi de faim comme mourut le prince de Salerne, ne laissant après soi pour se faire enterrer, comme je vis. Ce prince de Salerne — Antonello di San Severino — avait été un de ceux qui, avec le cardinal Giuliano Delta Rovere, le futur Jules II, poussèrent le plus vivement le jeune Charles VIII à entreprendre sa campagne d’Italie. Il fit son entrée dans Naples conquise, immédiatement à la suite du roi, leurs chevaux tête à queue. Tous les Italiens au service de la France ne furent d’ailleurs pas des héros. Il en est qui nous trahirent ; quelques-uns profitèrent de la situation qu’ils avaient acquise parmi les gens du roi pour se transformer en agents, voire en espions de Charles-Quint. * * *Il nous a paru utile de donner ce rapide aperçu de la pénétration des Italiens en France à l’époque de la Renaissance. Ces faits sont à considérer, non seulement au point de vue du caractère des guerres d’Italie, mais au point de vue même de l’histoire des arts. Et, pour revenir aux guerres d’Italie, on voit qu’il ne suffit pas de les expliquer par les fumées d’une vaine gloire séduisant la jeunesse d’un Charles VIII ou l’âme chevaleresque d’un François Ier, en y ajoutant même le mirage enchanteur des chefs-d’œuvre de la Renaissance sur les rives de l’Arno et. sur les bords du Tibre : considérons l’enchevêtrement de sentiments et d’intérêts où se mêlent les deux pays : mille et mille tentacules qui agriffent les deux nations l’une à l’autre et leur font réciproquement partager, tout au moins dans les classes dirigeantes, sentiments et intérêts ultramontains. CHARLES VIII ET ANNE DE BRETAGNE.Charles VIII fut donc appelé en Italie par le pape Innocent VUL qui lui remémorait ses droits sur la couronne de Naples ; instances qui furent renouvelées, après la mort d’innocent, par son successeur Alexandre VI qui lui envoya, dès le début de son pontificat, le cardinal Giovanni Batta Savelli, pour l’engager à la conquête du royaume. Le tyran milanais Ludovic le More, le pressait de son côté. Ludovic le More — ainsi nommé de son teint basané — s’était emparé du trône occupé par son jeune neveu Jean-Galéas Sforza. Ce dernier avait succédé, en 1476, âgé de huit ans, à son père Galéas-Marie, duc de Milan. Dans la suite, il avait épousé Isabelle d’Aragon, fille de Ferdinand roi de Naples, et celui-ci voulait rétablir son gendre sur le trône qui lui appartenait. Ludovic le More unissait donc ses efforts à ceux du pape contre un prince, Ferdinand d’Aragon, dont la puissance pouvait le contraindre à restituer une couronne à son légitime possesseur. Enfin les forussis
napolitains, seigneurs révoltés contre le roi Ferdinand, réfugiés en France,
pressaient Charles VIII de faire valoir ses droits, ainsi que le cardinal
Julien della Rovere ; — le futur Jules II — qui avait fui jusqu’en France
l’hostilité du Souverain Pontife. On attend le roi
comme le Messie, écrit en date du 13 novembre 1494, le ministre du duc
de Ferrare ; un chacun est curieux de choses
nouvelles. La conquête de Naples n’était d’ailleurs, dans la pensée juvénile de Charles VIII — à peine le jeune roi avait-il vingt-quatre ans — qu’un premier échelon vers une gloire plus haute : Naples en son pouvoir, il y trouverait à son désir un point d’appui pour la conquête de Constantinople et la délivrance des lieux saints. Le jeune roi, qui devait mourir à vingt-huit ans, nous est un personnage intéressant. On a de lui plusieurs portraits contemporains, parmi lesquels il en est trois très remarquables par la personnalité si caractérisée qui s’en dégage : l’un est à la Bibliothèque nationale, petite peinture à l’huile sur bois, dans les ais de la reliure du manuscrit latin 1190 ; le second est un buste de facture italienne en terre cuite conservé au Musée du Bargello à Florence, chef-d’œuvre de vie et d’expression ; le troisième est une médaille de Niccolo Fiorentino également à Florence, au Musée des Offices. Images dont la concordance est un témoignage d’exactitude : de grands yeux ouverts, saillant de leurs orbites, d’une expression un peu hagarde ; le nez assez fort, un nez en rostre ; la bouche est très grande, les lèvres sont plates ; sur le buste italien les lèvres sont serrées, ce qui donne au visage un air de décision, effet de l’expédition d’Italie ; mais sur l’image de la Nationale, les lèvres sont légèrement entr’ouvertes et disent la bonté. Le menton est court, imberbe sur le portrait de la Bibliothèque nationale, légèrement pourvu de barbe au buste de Florence. La barbe tirait sur le roux. Des cheveux droits et raides, recouvrant les oreilles, tombent jusque sur les épaules en baguettes de tambour. Evidemment Charles VIII était non seulement de très petite taille, malingre et chétif, le col était court et fléchissait, cuisses et jambes étaient grêles, les jambes trop longues pour les proportions du corps ; de figure il était très laid. C’est l’homme le plus contrefait que j’aie jamais vu, écrit Sebastiano de Talmi, et l’orateur vénitien Zaccario Ccntarini : Le roi a un visage d’une affreuse laideur ; mais en s’animant, la physionomie s’éclairait d’une expression intéressante par la vivacité et l’émotion. La petite Anne de Bretagne, sur ses dix-sept ans, en fut très éprise. Charles VIII était très nerveux, il avait les mouvements saccadés ; il se couvrait de parfum ; mais, comme en beaucoup d’hommes de l’ancien temps, ces parures féminines se mêlaient à une grande vaillance sur les champs de bataille : il en donnera témoignage en la journée de Fornoue. Ajoutez une réelle bonté, une pensée enthousiaste, une âme romantique comme on dira trois siècles plus tard ; il se plaisait à lire les romans de chevalerie ; mais les orateurs italiens le jugeront sévèrement : Assurément, dit le Vénitien, de corps et d’esprit il vaut peu. Au fait, les tromperies, duperies, le machiavélisme des princes, hommes d’Etat et diplomates italiens, le jetteront dans la plus grande stupeur. Il s’écriait en sa naïveté décontenancée : Quelles mauvaises gens que ces Lombards (il entendait ces Italiens), et le pape tout le premier ! ; une autre fois, en apprenant une duperie nouvelle : Quelle honte, et moi qui leur ai toujours tout dit ! On a jugé cette dernière parole puérile ; sur les lèvres d’un jeune prince, elle nous paraît admirable. Le tyran milanais Ludovic le More a tracé un curieux tableau de Charles VIII entouré de ses conseillers. J’ai vu le roi à Asti, entouré des gens de son conseil. Quand il avait quelque question à traiter, l’un se mettait à jouer, un autre faisait la collation, celui-ci à s’occuper d’une chose, celui-là d’une autre. Si quelqu’un parlait, on se rangeait à son avis et l’on ordonnait d’expédier les dépêches en ce sens ; un autre venait-il à prendre la parole, on retirait la décision. Quant aux affaires, écrit de son côté Comines, le roi et ses conseillers s’en déchargeaient entièrement sur quelques courtisans qui, eux, ne Songeaient qu’à prendre et à profiter. La femme du roi Charles, Anne de Bretagne, la petite duchesse en sabots et que le jeune roi épousa alors qu’elle n’avait pas encore seize ans, était, au dire de Brantôme, de taille belle et médiocre ; en réalité, elle était très petite elle aussi, maigrichonnette, avec une poitrine plate et boitait. Elle avait, dit Brantôme, un pied .plus court que l’autre, le moins du monde, car on ne s’en apercevait pas ; on ne s’en apercevait guère car elle en atténuait l’apparence à l’aide d'une semelle très épaisse. On a plusieurs portraits de la reine Anne en miniature ; mais le plus célèbre, celui du miniaturiste tourangeau Jean Bourdichon, ne peut s’appeler un portrait : l’image, toute de convention, ne nous donne aucune idée du modèle. La reine y apparaît, de visage, toute pareille aux saintes et vierges qui l’entourent. Anne de Bretagne était une petite dame très intelligente, de bon sens pratique, assise sur la caisse, pour prendre une expression familière, vigilante, voire trop attentive et active à sauvegarder ses intérêts. Elle était instruite, faisait des vers latins, savait un peu de grec. Elle demeura toute sa vie la fine Bretonne dont parle Brantôme, et plus encore duchesse de Bretagne que reine de France ; adorée de ses Bretons, très populaire parmi le clergé, plus particulièrement le clergé d’Italie à cause de sa dévotion à la Cour de Rome. L’orateur vénitien auprès du roi de France, Zacharie Contarini, écrit à son sujet en septembre 1492 : La reine a dix-sept ans ; elle est petite et maigre de sa personne, visiblement boiteuse, bien qu’elle se serve de patins ; très avisée pour son âge, tant et tant que ce qu’elle s’est mis en tête, il faut qu’elle l’obtienne par souris ou par larmes. Elle est très jalouse du roi. Dans la vie quotidienne, la reine Anne était simplement mise, costumée en bretonne, la tête couverte d’une coiffe blanche que laissait paraître la cape noire, à la mode encore de sa chère Bretagne ; mais, en représentation, Anne paraissait en reine somptueuse et d’une majesté princière. Elle avait très bonne et belle grâce et majesté, dit Brantôme, pour accueillir et princes et ambassadeurs étrangers et y prenait très grand plaisir, car elle avait belle éloquence pour les entretenir et quelquefois, parmi son parler frariçois, entre-mêloit quelques mots estrangers qu’elle apprenoit de son chevalier d’honneur. Le savoureux historien de tant de belles et honnestes dames ajoute à propos de la reine Anne : Ce fut la première qui commença de dresser la grande cour de dames que nous avons vue depuis ; car elle avoit une très grande suite et de dames et de filles et n’en refusa jamais aucune. Anne de Bretagne et Charles VIII, en princes de la Renaissance, étaient tous deux amateurs d’œuvres d’art, de bibelots. Ils demeuraient ensemble tantôt au château de Plessis-lès-Tours, tantôt en celui d’Amboise, qu’ils avaient ordonnés à leur goût : tapisseries franco-flamandes dont les manufactures étaient l’une des gloires du temps ; en l’une des salles, les murs s’ornaient d’une histoire de Moïse brodée en soie par deux célèbres tapissiers tourangeaux, André Denisot et Guillaume Ménagier. Les chambres formant l’appartement particulier du roi étaient décorées à ses couleurs, de gueule et d’or (rouge et jaune). Le bruit des pas s’amortissait sur des tapis d’Orient. Ce serait grave erreur de se représenter le château de Plessis-lès-Tours comme une résidence sombre et triste. Peut-être le souvenir de Louis XI, du Louis XI de l’histoire populaire au verger riche en pendus, y jette-t-il une ombre légendaire. A le comparer aux palais contemporains, pompeux, massifs, inconfortables de Florence et de Rome, c’était une habitation charmante, gracieuse, œuvre d’architectes français et demeurés français, Jean Duchemin, Jean Thibaut, Jean Regnard, tous trois maîtres de l’œuvre du roi en Touraine. Peu de chose malheureusement en subsiste de nos jours. A Amboise, les goûts militaires du roi s’épanouissaient en une splendide collection d’armes et d’armures, où l’on pouvait admirer en originaux, dont l’authenticité n’était pas misa en doute, la francisque de Clovis, l’épée du roi Dagobert, le glaive de Charlemagne, l’épée de saint Louis, l’épée dont Philippe le Bel avait fait un si magnifique usage à Mons-en-Pévele, et celle dont Jean le Bon — ce qui voulait dire le brave — avait fait non moins bon usage à Poitiers, la hache d’armes de Bertrand du Guesclin ; enfin l’une des armures de Jeanne d’Arc, riche, luxueuse, gorgeron à mailles dorées, doublé de satin rouge. Collection à laquelle Charles VIII joindra, après son retour d’Italie, l’épée dont il se sera si bien servi ù la bataille de Fornoue. (Détails tirés d’un inventaire fait à Amboise, le 22 septembre 1499.) CHARLES VIII EN ITALIE.En vain Anne de Bretagne et la sœur si intelligente, si avisée de Charles VIII, Anne de Beaujeu — la moins folle femme de France disait son père Louis XI — unirent-elles leurs efforts pour détourner le jeune roi de ses rêves italiens : la campagne de Naples fut décidée. Au début de 1494, accompagné de la reine, Charles VIII se rendit à Lyon où se firent les préparatifs de l’expédition : concentration de l’armée, réunion des approvisionnements, aménagement des étapes ; les bagages pour le passage des Alpes étaient ficelés à dos de mulets ; le tout entremêlé de joutes, jeux et tournois. Le vendredi 29 août 1494, Charles VIII entendit la messe, embrassa sa femme et sauta sur son destrier. Le 3 septembre 1494, il franchit la frontière de Savoie à la tête d’une armée espouvantable à voir, dit Brantôme, pleine de gens de sac et de corde, mauvais garnemens échappés de la justice et surtout force marqués de fleurs de. lis sur l’épaule, gaillarde compagnie mais de peu d’obéissance ; 3.600 lances, 6.000 archers bretons, 6.000 arbalétriers, 8.000 arquebusiers, 8.000 piquiers suisses et une nombreuse artillerie. Avec eux, écrit Guichardin, se répandirent en Italie un Incendie et une peste qui changèrent, non seulement les conditions des Etats, mais encore les habitudes du gouvernement et de la guerre. L’Italie se divisait en cinq Etats principaux : Saint-Siège, Naples, Venise, Milan, Florence, dont chacun veillait à ce que l’un ou l’autre ne s’accrût de manière dangereuse pour tous. On tenait compte du moindre changement ; grand tapage à l’acquisition de la plus humble bicoque. Que si finalement il fallait en venir à une lutte armée, les secours étaient si bien balancés, les. troupes si longues à se former, l'artillerie si paresseuse à se mouvoir, que le siège d’un château prenait un été et que la campagne s’achevait avec peu, voire point de sang répandu. Mais par cette arrivée des Français, poursuit Guichardin, tout fut bousculé comme par un ouragan subit : l’équilibre entre puissances italiennes est rompu, entraînant dans sa ruine soin et souci des intérêts communs. Cités, duchés, royaume sont envahis, livrés au désordre, un chacun ne s’occupe plus que de ses intérêts particuliers... Alors naquirent les guerres inopinées et cruelles. Les Etats seront conquis ou perdus en moins de temps qu’il n’en fallait jadis pour s’emparer d’une maison de campagne ; brusques assauts, villes prises, non en quelques mois, mais en un jour, coups de main audacieux et sanglants. De ce jour, les Etats ne seront plus conservés ou perdus, donnés ou enlevés par de patientes négociations, mais en campagne les armes à la main. Le 9 septembre, l’armée française était à Asti, cependant que deux événements importants s’apprêtaient à bouleverser toute l’entreprise. Le roi de Naples, Ferdinand Ier, était mort le 25 janvier 1494, et le jeune Jean-Galéas, dont Ludovic le More avait usurpé la couronne, allait mourir. L’usurpateur, en possession désormais incontestée de son trône, n’aurait plus intérêt à la chute du Napolitain ; de même que le Saint-Siège après le décès de Ferdinand Ier et celui d’innocent VIII. Les deux principaux instigateurs de la campagne de Charles VIII, le pape et le duc de Milan, perdaient motif d’en désirer le succès. Charles VIII se dirigeait avec son armée sur Florence par Pavie et Pise. Depuis 1406, les Pisans étaient assujettis à la suzeraineté des Florentins et ne la supportaient qu’avec impatience. L’arrivée des Français leur parut occasion propice à se libérer du joug. Ils les accueillirent aux cris de Vive la liberté ! vivent les Français ! A Florence, Pierre de Médicis, fils de Laurent le Magnifique, était détesté. Il était, dit un contemporain, amateur passionné des plaisirs et des dames, très enclin à la colère, mais sans caractère ni portée d’esprit. Comme tous les incapables, il exerçait une autorité faite de brusqueries maladroites. Très effrayé, lui aussi, de l’approche des Français, il conclut avec eux le traité de Sarzane (Sarzana, Toscane) dont l’une des clauses assurait l’indépendance des Pisans. Là-dessus, les Florentins chassèrent Pierre de Médicis (9 novembre 1494) et rétablirent le gouvernement populaire, tout en se résignant, par nécessité, à faire bon visage aux Français. L’entrée de Charles VIII (17 novembre 1494) fut des plus magnifiques. A cette occasion les rues de Florence avaient été nouvellement sablées ; aux fenêtres pendaient tapisseries et tentures. La pluie vint malheureusement momentanément troubler la fête, mettant le clergé en fuite avec ses ornements dorés. Le cortège du roi s’ouvrit par quatre timbaliers qui frappaient sur leurs caisses, grosses comme des tonneaux ; puis venaient fifres et sergents d’armes, les arbalétriers, les archers, les Suisses, les uns armés de leur lourde pertuisane, les autres de leur épée à deux mains, de la taille d’un homme, qu’ils portaient transversalement suspendue au dos, une autre épée, large et courte, fixée sur le ventre ; leurs pantalons collants étaient perpendiculairement rayés rouge et jaune, aux couleurs du roi ; puis les hallebardiers, également aux couleurs du roi. Les gens d’armes, ce qui veut dire les cavaliers, suivaient, chaussés de larges pantoufles en pattes de grenouilles sur étriers en planchettes ; montés sur de gros chevaux, les jambes protégées par des grèves de fer, leurs soubrevestes étincelaient d’or et sur leurs chapeaux de cuir ondoyaient d’amples panaches. Et, flottant au-dessus des têtes, les étendards, les uns aux armes de France ou couleurs du roi, les autres aux emblèmes ou couleurs des diverses compagnies. Suivait la Maison du roi : huit cents gentilshommes en armures resplendissantes, les piquiers vêtus de velours et d’or ; enfin, sous un dais magnifique, Charles VIII sur son beau cheval noir, Savoie, en armure d’or, sertie de perles et de pierreries, un long manteau bleu de roi lui tombant des épaules et couvrant la croupe de sa monture. Il était coiffé d’un chapeau blanc, couronné d’or, que surmontait un panache noir, et tenait militairement la lance sur la cuisse. Le brillant cortège se fermait par les civils, membres du grand Conseil, magistrats et gens de finances. Mais, parmi toute cette magnificence, les cris de la foule et les démonstrations d’amitié les plus italiennes, l'accueil des Florentins demeura méfiant. Ils avaient fait entrer en grand nombre les campagnards des environs : troupes inaptes à tenir en bataille rangée, mais promptes à jouer du couteau dans une ville bondée de monde. Charles VIII obtint que Pierre de Médicis, chassé de Florence, pût y rentrer à titre particulier ; après quoi, suivi de son armée, il se mit en route pour Rome. Et voici qu’il apprend, à sa grande surprise, qu’à la Cour pontificale les conditions se sont brusquement renversées. Le Saint-Siège avait appelé les Français contre les Napolitains ; Alexandre VI, le successeur d’innocent VIII, appelait les Napolitains contre les Français. Assurément au nouveau pape Alfonse ou Ferdinand d’Aragon, installés à Naples, semblaient des voisins incommodes ; mais combien plus menaçante y serait la domination du puissant roi de France. Dans sa terreur, Alexandre VI se fortifiait en son château Saint-Ange, qu’il bourrait d’hommes et de munitions ; il faisait crier au secours dans toutes les cours d’Europe ; il tendait les bras vers le Grand-Turc. Bajazet répondit par des lettres écrites en grec qui tombèrent entre les mains des Français. Charles VIII les fit traduire. On imagine son étonnement, son indignation. Il poursuivit son avance, mais en ennemi. A Viterbe, ses soldats s’emparèrent de la belle Giulia Farnèse, la maîtresse pontificale. Elle fut traitée avec égard, mais en prisonnière. Le Pontife romain dut verser une rançon de 3.000 ducats, cependant qu’il recevait les renforts sollicités du roi de Naples et mettait Rome en état de défense. Il allait jusqu’à faire murer les portes de la ville ; mais le peuple italien ne témoignait d’aucune velléité de le soutenir en sa résistance. Partout où le canon se présentait, écrit un poète, les édifices s’empressaient de lui faire leur révérence. Tristement, le pape dut se résigner à faire bon visage aux conquérants. C’est ainsi que Charles VIH fit une entrée triomphale dans Rome, le 31 décembre 1494, aux cris de Francia ! Colonna ! que la foule poussait sur son passage ; car cette fois c’étaient les Colonna qui acclamaient l’étranger par opposition au pouvoir pontifical qui les avait meurtris. A Florence, Charles VIII avait voulu donner une impression de magnificence ; ici il voulut en imposer par un-déploiement de force et de pouvoir. Ce fut d’abord le défilé de ses redoutables mercenaires suisses et allemands, hauts de taille, armés de leurs longues lances et de leurs épées énormes : ils allaient militairement, au son des fifres et des tambourins, en rangs serrés avec une discipline qui émerveilla les Romains ; puis venaient Gascons et Bretons avec leurs arbalètes, arquebuses, haquebutes à crocs, les Gascons, hardis soldats et dont le débraillement pittoresque faisait contraste avec la prestance guerrière des Germains ; suivait l’escorte nombreuse, bigarrée, enrubannée, enchaînée d’or et d’argent des gentilshommes tenant leurs lourdes masses d’armes ou leurs lances de combat ; le roi enfin en une armure étincelante sous un manteau cramoisi rehaussé d’or, un chapeau blanc couronné d’or. Il chevauchait encadré des robes rouges de six cardinaux. Alexandre VI vint à la rencontre du roi, en cavalier : pourpoint brodé d’or, ceinture à l’espagnole, épée au côté, et la tête sous un toquet incliné sur l’oreille et qui lui donnait l’air du monde le plus gaillard. Sa garde espagnole le suivait bruyamment. Le roi et le Pontife s’accablèrent l’un l’autre de démonstrations d’amitié ; mais quand Charles VIII demanda au pape de lui donner l’investiture du royaume de Naples, comme Clément IV l’avait fait pour Charles d’Anjou, le pape reprit ses déclarations de dévouement et d’amitié avec une telle exubérance et abondance que lorsque Charles VIII — 28 janvier 1495 — quitta Rome avec son armée, que chassait la pénurie des vivres, lesdites déclarations continuaient à se répandre abondamment, mais sans s’accompagner de la moindre investiture. Charles VIII recevait en outre du Pontife romain une bénédiction solennelle, genre de cérémonie en lequel Alexandre VI était d’une incomparable, majesté. Durant son séjour à Rome, le roi de France avait étonné les habitants par sa piété, assistant quotidiennement au service de la messe, à genoux, sans se lever, la tête inclinée, les mains jointes. Dans sa défiance du Souverain Pontife, Charles VIII avait, pris en mains, dès son arrivée, toute la police de la ville. De plus, en quittant Rome, il crut prudent d’emmener en otage le terrible et trop célèbre fils d’Alexandre VI, César Borgia ; mais celui-ci n’était pas oiseau facile à garder. L’ost royal s’arrêta pour camper à Velletri ; déguisé en palefrenier, le fils du pape s’évada de nuit, tandis qu’à Rome le Souverain Pontife accroissait les éléments défensifs du château Saint-Ange, en doublait la garnison et le boudait de munitions de guerre. Sur le trône de Naples, lo successeur de Ferdinand Ier, Alfonse II, était détesté. Nul homme, écrit Comines, n’a été plus cruel, plus vicieux. A l’approche des Français, les Napolitains se soulevèrent. Alfonse abdiqua en faveur de son fils, Ferdinand II, et se réfugia en Sicile (janvier 1495). Le nouveau roi — Ferrandino, comme l’appelaient les Italiens — était un jeune homme de vingt-cinq ans. Les Français se présentèrent aux portes de Naples. La population les acclama. Ferrandino prit la fuite à son tour et, le 22 février 1495, Charles VIII prenait possession de Naples, but de son expédition. Après avoir rapidement, et sans grand effort, étendu son autorité sur le royaume tout entier, il s’agit pour le roi de France de donner à son pouvoir une base assurée et de l’organiser. Les premières mesures furent libérales. Les capitulations napolitaines, qui assuraient aux habitants la jouissance de leurs libertés, leur furent confirmées. Il fut notamment permis aux patriciens et aux riches marchands de continuer à jouir du privilège de l’esclavage ès blancs et ès noirs. L’esclavage, sous le rayonnement de la Renaissance, offrirait le spectacle du monde le plus réjouissant s’il n’en était un des plus tristes ; mais on ne doit pas s’en étonner à une époque où la papauté publiait des bulles qui autorisaient des chrétiens à réduire leurs semblables en servitude et à les vendre comme esclaves. Charles VIII était dans l’enivrement de sa victoire, dans le ravissement de tout ce qu’il voyait : palais, châteaux, jardins et... Napolitaines. Il en écrivait, le 28 mars 1495, à son beau-frère, Pierre de Beaujeu : Vous ne pourriez croire les beaux jardins que j’ai en cette ville. Sur ma foi il me semble qu’il n’y faille que Adam et Eve pour en faire un paradis terrestre, tant ils sont beaux et pleins de bonnes et singulières choses ; et avec ce j’ai trouvé en ce pays les meilleurs peintres pour faire aussi beaux planchiers (plafonds) qu’il est possible, et ne sont planchiers de Beauce, Lyon et d’autres lieux de France en rien approchant de beauté et richesse de ceux d’ici ; pourquoi je m’en fournirai et les mènerai avec moi pour en faire à Amboise. Sans plus tarder, le jeune roi chargea son tapissier, Nicolas Fagot, de mener en France une première compagnie de vingt-deux Italiens, peintres, architectes, brodeurs, ébénistes et orfèvres. Mais une réaction ne tarda pas à se produire. L’armée conquérante, composée de la façon que nous avons dite, s’abandonnait aux pires excès. Monte-San-Giovanni fut pris d’attaque. Tous les défenseurs de la place furent massacrés, jetés dans les fossés, par-dessus les remparts. L’usage du temps permettait, il est vrai, le sac des villes gui avaient résisté à l’assaillant, mais ici les vainqueurs eurent la main lourde. Dans le royaume de Naples, les conquérants ne témoignèrent pas au pays les égards auxquels il aurait eu droit par la manière dont il les avait accueillis. C’était la curée : l’occupation devenait une exploitation. Les places lucratives furent attribuées aux gens du roi. Charles VIII, trop jeune, tout aux plaisirs, aux beaux spectacles qu’il avait sous les yeux, ignorait l’usage que ses gens faisaient de son autorité. Aussi bien, eût-il pu mettre un frein aux abus ? Quelques sages conseillers, qu’il avait fait venir de France, s’y employèrent vainement. Tant et tant que, le mécontentement des Napolitains allait grandissant, tandis qu’en Italie, on s’effrayait de la présence de cet hôte puissant, accompagné d’une brutale soldatesque. Une ligue se forma à l’instigation môme des deux puissances qui avaient mandé Charles VIII : le Souverain Pontife et le duc de Milan. L’acte en fut conclu à Venise, le 25 mars 1495 : contre le roi de France s’unissaient Alexandre VI, Ludovic le More, la république de Venise, Ferdinand le Catholique, la reine Isabelle et l’empereur Maximilien. Le 1er avril, la garde Vaticane attaquait, à Rome, sans motif ni provocation, un détachement de cent cinquante soldats du roi qui s’en retournaient en France : quinze d’entre eux furent tués. Nouvelles qui remplirent Charles VIII de la plus grande colère. Il se voyait trahi, et par ceux-là mêmes qu’il eût été en droit de considérer comme ses plus sûrs alliés. Dans la mobilité de son esprit, la décision du retour fut prise rapidement, mais il voulut encore se donner la satisfaction d’une entrée solennelle à Naples qui serait un éclatant témoignage, à ses propres yeux tout au moins, du triomphe obtenu. Et ce fut une bien belle parade offerte aux Napolitaines qui se pressaient aux fenêtres en toilettes printanières : le roi de France en un somptueux cortège, costumé en empereur d’Orient, couronne en tête, dans les mains le sceptre et le globe, le manteau impérial lui tombant des épaules. En cet accoutrement, il se rendit à la cathédrale où fut célébré un service solennel. Le lendemain, un grand banquet fut offert aux principaux seigneurs et patriciens du pays qui vinrent tous prêter serment de foi et hommage, et avec d’autant plus d’empressement qu’ils savaient dès lors qu’ils ne s’engageaient plus à grand’chose. Le 20 mai 1495 marqua le jour du départ. Le roi laissait à Naples, comme lieutenant, le comte de Montpensier, avec une dizaine de mille hommes ; cependant que les armées de la Ligue étaient déjà entrées en campagne. Le 1er juin, Charles VIII repassait par Rome. Le pape avait fui. A la prière d’ambassadeurs venus au camp français, on évita de traverser Florence. Après quoi il fallut franchir les Apennins, dont les défilés offraient un danger d’autant plus grand que les contingents de la ligue de Venise, sous les ordres de Jean-François de Gonzague, marquis de Mantoue, faisaient leur apparition : 40.000 hommes environ, forces supérieures de plus du double à celles dont disposait le roi. La rencontre eut lieu le 6 juillet 1495, en vue de Fornoue, aux pieds des Apennins, sur les rives du Taro, affluent du Pô. Sans égard pour la supériorité numérique de l’ennemi, Charles VIII donna ordre d’attaquer. D’un élan furieux les contingents vénitiens furent enfoncés, mis en déroute. Le petit Charles VIII se battit en soldat. Mais quelques bandes de l’armée des alliés, par un mouvement tournant, se jetèrent sur le train de l’ost royal et en pillèrent les bagages. La bataille tout entière dura une heure. 3.000 hommes étalent morts, parmi lesquels Rodolphe de Gonzague, oncle de Jean-François. Sur quoi les deux partis crièrent victoire. Les Français avaient passé sur le ventre de leurs adversaires en leur tuant deux fois plus de monde qu’ils n’en avaient eux-mêmes perdu ; mais le marquis de Mantoue faisait trophée du butin conquis. A ses prétentions nous devons un admirable chef-d’œuvre. J.-F. de Gonzague commanda à Mantegna, pour la chapelle délia Santa-Vittoria, de la Sainte-Victoire, à Mantoue, un tableau commémoratif de son triomphe. Vêtu de l’armure qu’il portait à Fornoue, il y est figuré à genoux, aux pieds de la Vierge qui tend vers lui, dans un mouvement de bénédiction, une main ouverte. La Vierge est assise sous un dais triomphal orné de fruits et de fleurs où perchent des oiseaux. A sa droite et à sa gauche les saints patrons des combats, saint Georges et saint Michel, en armures de guerre. La figure du marquis, vue de profil, la tête levée vers la Vierge, est son fidèle portrait. Le tableau est au Louvre. Fin octobre 1495, Charles VIII était rentré en France. Les Napolitains avaient accueilli le retour de Ferdinand II avec un enthousiasme aussi démonstratif que celui dont ils avaient salué l’arrivée de Charles VIII. Gilbert de Montpensier, que Charles VIII avait laissé comme lieutenant général, était bon chevalier et hardi, dit Comines, mais peu sage et ne se levant qu’il ne fût midi. Le jeune Ferdinand était un ferme et noble caractère, tout de dévouement et de bonté. Secondé par le pape et par un grand capitaine, Gonzalve de Cordoue, Ferdinand se retrouva dans l’espace d’un mois maître suzerain du royaume. Montpensier avait capitulé le 20 juillet 1496, avec ce qui lui restait de soldats. De Florence, le cardinal Briçonnet écrivait à la reine Anne de Bretagne : Je voudrais que vous eussiez vu cette ville et les belles choses qui y sont, car c’est le paradis terrestre. Le mot revient souvent sous la plume des Français de ce
temps parlant de l’Italie. Je vous assure,
poursuit Briçonnet, que c’est chose incroyable que
la beauté de ces lieux bien appropriés en toutes choses de plaisance...
A cette heure-ci le roi n’estime Amboise ne lieu
qu’il ait en France. Un seul convoi des objets d’art que le jeune roi ramenait d’Italie, pesait 87.000 livres. LOUIS XIILouis XII poursuivra la politique de son prédécesseur, malgré les efforts d’Anne de Bretagne, qui fut le seul et profond amour de sa vie, et qui s’efforçait vivement de le détourner de l’expédition lointaine. Son premier soin, monté sur le trône, fut d’ajouter à son titre de Roi Très Chrétien, c’est-à-dire de roi de France, le titre de Roi des Deux-Siciles et de duc de Milan. Les pages qui précèdent se sont efforcées de donner la couleur de ces campagnes d’Italie. Les victoires que nos armées y remportaient sur les troupes des condottieres étaient faciles. Pitoyables généraux, à de rares exceptions près, que ces chefs de bandes, plus experts à faire les foudres de guerre que la guerre elle-même. Guichardin les a fréquentés, il a siégé en leurs conseils : Nos capitaines, écrit-il, n’ont ni art ni stratégie, ils ne savent que marcher lentement' sur la grand route. — Et voyez qui combat, dira Erasme, des assassins, des hors la loi, des joueurs, des voleurs, des troupes mercenaires les plus sordides, qui se soucient plus de leur misérable solde que de leur vie. En 1499, Louis XII reconquérait le Milanais, d’où il voulut pousser jusqu’à Naples. A la constante coutume des principautés italiennes de la Renaissance, les Napolitains s’étaient divisés en deux factions : les aragonais et les angevins ; les aragonais partisans des princes espagnols et les angevins qui favorisaient la cause française. Louis XII devait retrouver à Naples les succès de son prédécesseur, mais il y devait également trouver ses Revers. Il comprit que son principal, voire son seul adversaire y serait l’Espagnol et proposa à Ferdinand d’Aragon, cousin de Frédéric III, roi de Naples régnant, un accord qui, semblait-il, devait tout arranger à la satisfaction de chacun : le royaume de Naples serait partagé. Ferdinand en profita pour faire entrer ses troupes dans Naples, où Louis XII arrivait à son tour (1501). Mais à présent qu’il était dans la place, Ferdinand d’Aragon estima préférable à un partage de garder le tout pour lui seul. Et Louis XII, après une lutte de quelques années, abandonnait la partie. Les guerres d’Italie auraient pu s’éteindre ici. Le pape Jules II les ralluma. Les Etats de l’Eglise s’étendaient sur une longue frontière limitrophe du royaume napolitain. Et Jules II, le plus bellicateur — pour reprendre l’expression du temps — de tous les pontifes romains, voulait abattre la puissante seigneurie vénitienne pour dominer sans conteste la péninsule italienne. Il parvint à constituer la fameuse ligue de Cambrai où il fit entrer les Français avec l’empereur Maximilien et les Florentins. Les Français battirent les Vénitiens à Agnadel (14 mai 1509) ; les Vénitiens implorèrent la paix, et Jules II étant parvenu à ses fins grâce aux Français, se retourna tout aussitôt contre eux : Dehors les barbares ! Il rallia contre la France les Suisses et le roi d’Angleterre. Dans la campagne nouvelle qui va s’ouvrir s’illustrera le merveilleux Gaston de Foix, duc de Nemours, neveu de Louis XII. Capitaine de génie à vingt-deux ans, il battait successivement les coalisés sous les murs de Bologne, à Brescia, à Ravenne ; mais trouvait la mort en ce dernier combat (11 avril 1512), sous les ailes de la victoire, en poursuivant les Espagnols vaincus. Il avait bien des plaies, écrit le Loyal Serviteur en sa biographie du chevalier Bayard, depuis le menton jusqu’au front en avait quatorze ou quinze, par là montrait bien le gentil prince qu’il n’avait pas tourné le dos. Le Loyal Serviteur poursuit : Chacun — dans l’armée française — fut averti de la mort du vertueux et noble prince, le gentil duc de Nemours, dont un deuil commença au camp des Français si merveilleux que je ne crois point, s’il fût arrivé 2.000 hommes de pied et 200 hommes d’armes, qu’ils n’eussent tout défait, tant de la peine 'et fatigue que, tout au long du jour, ils avaient souffert, que aussi de grande et extrême douleur qu’ils portaient en leur cœur de la mort de leur chef. Le narrateur ajoute : Il y avait quelque intelligence secrète de le faire roi de Naples s’il eût vécu. Les Italiens avaient surnommé Gaston de Foix le foudre de guerre. Son corps se tenait mince et droit, la pâleur ambrée de son visage, à la barbe naissante, aux yeux profonds, avait' la couleur des fruits mûrs. Le portrait est de Paul Jove-A peine sorti de l’enfance, il tombait sur le champ de bataille glorieux, a-t-on pu dire, avant d’être connu. Les armées françaises furent écrasées par les Suisses à Novare (6 juin 1513), tandis que les Anglais apparaissaient devant Calais et que les lansquenets suisses approchaient de Dijon. Louis XII conclut une trêve avec le pape et rentra en France pour y mourir peu après (1er janvier 1515). La seconde entreprise napolitaine se fermait comme la première. |