LA MORT DE LA REINE

LES SUITES DE L'AFFAIRE DU COLLIER — D'APRÈS DE NOUVEAUX DOCUMENTS RECUEILLIS EN PARTIE PAR A. BÉGIS

 

X. — LES PAMPHLETS.

 

 

C'est à cette époque, vers la fin de 1789, que paraissent les deux violentes plaquettes de Jeanne de Valois, ou du moins publiées en son nom, violentes et retentissantes : sa Lettre à la reine de France et sa Requête à la nation et à l'Assemblée nationale en révision de son procès. Femme odieuse et décevante, écrit-elle à Marie-Antoinette, écoute et, si tu le peux, lis-moi sans frémir. Eh ! comment rougirais-tu, toi qui, depuis si longtemps, es familiarisée avec le crime et la honte... C'est du fond de l'abîme obscur, où je me suis mise à l'abri de ta rage, que je t'adresse l'expression d'un cœur abîmé par la douleur. On imagine la suite. A la nation et à l'Assemblée, Jeanne disait : Il est arrivé ce moment tant désiré, ce moment pour lequel j'eusse donné mille vies !... Oui, Français ! quel que soit votre amour pour la liberté, mon âme peut encore défier la vôtre. Vous n'avez pas, comme moi, souffert les tortures du Despotisme après avoir éprouvé ses perfides caresses.... Tremblez, scélérats, je vais paraître dans l'arène. J'y ferai paraître avec moi celle — la reine — qui m'a si indignement sacrifiée.

Jeanne s'apprête en effet à servir à Marie-Antoinette et à tous ses ennemis, réels ou imaginaires, un nouveau plat de sa façon. C'est l'Histoire de sa vie, le grand ouvrage où tous ceux qui ne se sont pas conduits de la façon qu'elle eût désiré vont être accommodés comme elle s'entend à le faire. Le libraire Bew en espère tirer un grand scandale. Sur la présentation du manuscrit, il fait une avance de 6.000 livres. Deux éditions, l'une en français, l'autre en anglais, ornées de figures, paraîtront simultanément.

Cependant la Révolution progresse. Je sais, écrit Mme de La Motte à son mari, le 14 décembre 1790, qu'il y a un grand nombre de journaux en France qui parlent en ma faveur. Elle ajoute dans son style bizarre, si incorrect, mais singulièrement expressif : Après un certain et beau caractère que l'on a fait mettre il y a un mois dans les papiers pour la reine, je ne doute pas qu'il y ait quelqu'un qui, pour une fortune, désirerait que je désavoue qu'elle est sombre auteur, afin de lui ramener l'amitié du peuple ; mais, sur ma vie, pour toutes les couronnes du monde, je ne désavouerai pas ce que j'en ai dit et si elle n'est blanche que par moi, elle sera toute sa vie noire comme la cheminée. Elle rédige d'ailleurs son livre de manière à le faire réussir : Je flatte beaucoup le Peuple français, mande-t-elle au comte de La Motte. Et comme une pointe d'anticléricalisme est déjà d'un succès assuré, elle ne manque pas d'écrire que le coquin d'abbé Pfaff dit des Français qu'ils aiment le sang.

A Paris, Jeanne trouvait de nombreux auxiliaires. Les libelles se suivaient, insultants, infâmes, orduriers : la Lettre de Mme de La Motte aux Français, la Conversation entre M. de Calonne et Mme de La Motte, la Conférence entre Mme de Polignac et Mme de La Motte, l'Adresse de la Comtesse de La Motte-Valois à l'Assemblée nationale, et la série du Père Duchesne, Grande visite du Père Duchesne à Mme Lamotte et Grande visite de Mme Lamotte au Père Duchesne malade, Déclaration d'amour du Père Duchesne à Mme Lamotte-Valois. Les colporteurs en donnaient lecture à haute voix, au coin des rues, groupant les passants[1].

On tombe plus bas encore. Voici la Messaline française ou les Nuits de la duchesse de Polignac, la Vie privée, libertine et scandaleuse de Marie-Antoinette, les Fureurs utérines de Marie-Antoinette, femme de Louis XVI, Marie-Antoinette dans l'embarras, les Derniers soupirs de la garce en pleurs, le B... national sous les auspices de la reine, le B... royal, suivi d'un entretien secret entre la reine et le cardinal de Rohan, les Étrennes de la déesse Hébé à la Messaline royale, la Grande fête donnée par les m... de Paris à toutes les p..., le jour de l'arrivée du Roi, de la Reine et de toute leur famille, en réjouissance du retour de leurs père et mère, les Scènes champêtres de Trianon. Ces pamphlets immondes eurent beaucoup de vogue, ainsi que le constate M. Alexandre Tuetey[2]. Ils se vendaient à un nombre considérable d'exemplaires. On est étonné, écrit l'auteur de la Résurrection du Collier[3], de cet amas impur de libelles qui poursuivent les passants et promènent notre honte en Europe.

D'autre part, la reine trouvait des défenseurs, la Réponse à la requête de Jeanne de Valois, la Résurrection du Collier par M. Lameth et compagnie, le Capitaine Tempête à Jeanne de Valois. S'adressant à la comtesse de La Motte, le Capitaine Tempête disait : Je conviens que, dans un moment d'effervescence, où toutes les têtes de la multitude sont exaltées, où toutes les imaginations sont dans un embrasement universel, il est facile à des scélérats adroits et puissants de s'emparer de l'esprit du peuple en flattant ses passions, de l'égarer sur ses véritables intérêts en couvrant de fleurs l'abîme où ils veulent l'entraîner ; je sais même que l'on peut quelquefois acheter ses crimes ; consultez vos commettants, ils en savent quelque chose ; ou plutôt descendez en ce moment dans votre cœur, vous y trouverez la grande vérité que je vous annonce ; vous y verrez que vous n'êtes aujourd'hui que l'instrument passif des haines et des vengeances de quelques ambitieux, qui avaient besoin des ressources de votre génie pour cumuler la mesure de leurs complots.

 

 

 



[1] Tuetey, Répertoire général des sources manuscrites de l'histoire de Paris pendant la Révolution française, t. II, n° 1867.

[2] Répertoire..., t. II, p. XIII-XIV.

[3] La Résurrection du Collier, p. 6.