M. Octave Chenavaz, député de l'Isère, est prié d'accepter, dès la première ligne de ce livre, l'hommage de notre respectueuse et profonde gratitude pour l'inappréciable concours dont il a bien voulu nous honorer. Sans lui, ce livre n'aurait pu être écrit. Il lui doit la plus grande partie de sa documentation, tant d'informations puisées aux sources les plus variées, — et toujours les meilleures — et transmises avec autant de précision que d'exactitude. M. Chenavaz aurait pu écrire lui-même cette vie de Mandrin. Des travaux historiques, que l'on trouvera maintes fois cités au cours de ce récit, nous en sont le témoignage. De trop nombreuses occupations, auxquelles il se consacre avec tant de zèle et de dévouement, l'en ont empêché. Les Mandrinots devront le regretter ; mais en nous le regret se couvre de reconnaissance. Antoine Vernière, qui a consacré aux courses de Mandrin dans l'Auvergne, le Velay et le Forez, un ouvrage remarquable, a mis à notre disposition toutes les notes qu'il avait recueillies, principalement dans les archives du Puy-de-Dôme. Il nous a aidé, dans le cours de nos recherches, de ses conseils autorisés ; et voici que la mort l'a éloigné de nous avant qu'il ait pu voir l'achèvement d'un travail qu'il suivait avec un si affectueux intérêt. M. Victor Colomb, de Valence, un collectionneur d'un goût averti, nous a remis les nombreuses copies de documents relatifs à Mandrin qui avaient été prises par Ad. Rochas, l'érudit auteur de la Biographie du Dauphiné ; où une place importante a été réservée au grand contrebandier. M. Colomb nous a adressé également des gravures, et c'est par ses soins que M. Marius Villard. architecte-voyer de la ville de Valence, a bien voulu reconstituer pour nous le plan de Valence au XVIIIe siècle, avec le tracé du chemin parcouru par Mandrin, quand, le 26 mai 1755, il se rendit de la prison du Présidial au lieu de son supplice. M. Ulysse Ronchon , secrétaire de la Société agricole et scientifique de la Haute-Loire, auteur des Exploits de Mandrin dans la Haute-Loire, nous a secondé lui aussi avec une obligeance infinie. Il nous a communiqué, entre autres, la copie de trois lettres relatives à Louis Mandrin, conservées dans la collection Chaleyer (Firminy, Loire) qui précisent d'une manière pittoresque les faits et gestes du célèbre contrebandier durant sa plus célèbre et dernière campagne. M. Paul Navoret, qui demeure à la Villeneuve-Crottet, par Pont-de-Veyle, nous a rendu un service d'un autre genre, mais qui n'était pas d'un moindre prix. Nous avons jugé essentiel de reconstituer, d'une manière aussi exacte que possible, la physionomie des lieux où Mandrin avait passé. A bicyclette nous avons suivi le chemin que celui-ci avait parcouru durant plusieurs de ses campagnes, la cinquième notamment et la sixième jusqu'à La Sauvetat. Son itinéraire en main, étape par étape, nous avons refait ses principales courses. Là où sa légendaire jument noire a passé, notre bécane a pu passer à son tour ; mais dans les contrées accidentées, trop nombreuses, hélas ! il fallait souvent mettre pied à terre, pour pousser cette maudite machine, à grand'peine et en s'épongeant le front. Évitant les gens du roi, Mandrin se jetait dans les pays écartés, loin des routes. Comme dit la chanson populaire, il campait sur les hautes montagnes. De nos jours encore les voies ferrées ne vont pas là où il a été. Aussi les lieux ont-ils conservé pour la plupart l'aspect du vieux temps, depuis la maison où Mandrin est né à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, la Maison Mandrin, jusqu'au château où il a été pris, à Rochefort-en-Novalaise, le château Mandrin, comme on l'appelle à présent. La recette buraliste de Craponne qu'il a dévalisée, la rue du Consulat au Puy où il a pris d'assaut l'entrepôt des Fermes, la Chaise-Dieu qu'il a visitée deux fois, les rives de l'Arroux où il a ramassé d'un heureux coup de filet trente-sept séminaristes, les champs de bataille de Gueunand et de La Sauvetat, ne se sont guère modifiés ; et là où quelques changements ont été apportés, les documents que nous possédons permettent de rétablir l'état ancien. Mais nous n'avons pu aller partout ; et, avec quelle obligeance infatigable, M. Paul Navoret nous a suppléé. M. Navoret est un artiste, un écrivain de race et les descriptions que nous donnons de la Bresse, du Bugey de la Dombes — pour n'en citer que les principales, — lui doivent tout leur attrait. M. André Boulin, architecte il Saint-Etienne (Loire), est l'auteur (le la reconstitution de la Maison Mandrin qui est reproduite plus loin. Nous sommes redevable de son habile concours à l'aimable intervention de Mme veuve Ed. Martin de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, qui, d'autre part, a bien voulu nous envoyer quelques précieuses indications. Et, parmi tant de collaborateurs empressés et gracieux, que d'autres noms à citer encore. Au reste, nous savons que c'est l'illustre personnalité de Louis Mandrin qui a produit cet admirable concours de dévouements désireux d'apporter leur main-d'œuvre au monument élevé à sa mémoire, et non le peu que nous sommes ; mais notre reconnaissance n'en est pas moins acquise tort entière à ceux qui sont ainsi venus nous prêter appui. C'est Mme Bruno Tissot à Seyssel, M. l'abbé André Chagny, professeur à Belley, M. le marquis de Vidart à Divonne-les-Bains, nos savants et brillants confrères, MM. Lacroix, archiviste de la Drôme, Georges Guigne, archiviste du Rhône et Ferdinand Claudon, archiviste de la Côte-d'Or ; M. Alphonse Chaper, qui nous a ouvert les riches collections de son château d'Eybens et a mis à notre disposition, entre autres, la rarissime médaille de Mandrin reproduite sur la couverture de ce livre ; M. le vicomte de Montessin de Ballon, professeur à l'Université libre de Lille, M. le baron de Laurens d'Oiselay et M. Pierre Iturbide, maire de Mouguerre (Basses-Pyrénées). Des photographes amateurs, habiles comme des professionnels, M. l'abbé Attaix, curé-archiprêtre d'Ambert, et son vicaire M. l'abbé Dumas, M. Aimé Hudellet, à Bourg-en-Bresse, ont fixé pour nous leurs objectifs ; M. G. Lazinier, notaire à Ambert, M. Varenne de Fenille, à Meillonnas, M. le comte de Huffieu au château de Huffieu (Optevoz, Isère), M. Durand de Chiloup, au château de Chiloup, par Saint-Martin-du-Mont, M. de Lavernée au château de Lavernée à Péronnas, près Bourg, nous ont donné accès dans leurs collections ou leurs archives. On vous entend : Assisté de si nombreux
collaborateurs, actifs et dévoués, qu'avez-vous donc fait vous-même, vous,
l'auteur prétendu de cet ouvrage ? — Mettons, si vous le voulez bien, que nous n'avons rien fait du tout. Au reste, que vous importe, si vous y avez trouvé de l'intérêt ? ***Nous nous sommes servi presque exclusivement de documents de première main. Archives de Paris et des départements, bibliothèques publiques et privées, collections particulières ont été mises à contribution. Les références ont été données aussi exactement que possible. Parfois on a été obligé de n'indiquer que le dépôt d'où le document utilisé avait été extrait. Antoine Vernière et Ad. Rochas, avaient réuni de nombreux textes relatifs à Mandrin. Ils nous ont été communiqués : nous sommes certain de la conscience et de l'exactitude avec lesquelles ces pièces ont été transcrites ; mais voici que nos deux savants confrères sont morts et nous avons dû nous contenter des références qu'ils nous ont laissées. Au moins, comme le dépôt est toujours indiqué, le lecteur pourra, s'il le désire, par la nature et par la date des pièces, les retrouver facilement. La vie de Louis Mandrin a donc été écrite ici d'après des documents originaux. Mais il lui fallait un cadre. Celui-ci est formé par l'histoire de la Ferme et des fermiers généraux. Nous n'avions pas, comme bien on pense, la prétention de refaire ici, d'après des pièces d'archives, l'histoire des Fermes générales. A chaque jour suffit sa peine et à chaque livre son sujet. Cette histoire des Fermes, qui forme comme la bordure de notre récit, a donc été retracée d'après les ouvrages de nos prédécesseurs, lesquels sont soigneusement cités en tête de chacun des chapitres dont se compose cette partie de notre travail. Il est bien entendu que c'est de là que viennent les éléments dont ces chapitres sont faits — notamment les quatre premiers de l'ouvrage, où nous nous sommes plus particulièrement efforcé de représenter l'administration des fermiers généraux telle qu'elle apparaissait, sous l'ancien régime, à l'esprit et à l'imagination du peuple. ***On ne saurait trop regretter que la principale source de documents pour écrire l'histoire de Louis Mandrin , à savoir les pièces de son procès, instruit par la Commission extraordinaire de Valence, ait disparu. Un arrêt du Conseil du roi, en supprimant, le 23 septembre 1789, la Commission de Valence — par laquelle Mandrin avait été jugé — décida que les minutes, registres et autres documents des procès instruits par ce tribunal, seraient envoyés au dépôt des minutes du greffe du Conseil d'État du roi. Ces archives furent ensuite déposées dans le palais de la Cour des comptes et du Conseil d'État, quai d'Orsay, où elles ont péri dans l'incendie de 1871. ***La meilleure des vies de Louis Mandrin — la seule qui soit digne d'attention — parmi celles qui ont été publiées au XVIIIe siècle, est l'ouvrage anonyme intitulé : Abbrégé de la vie de Louis Mandrin, chef des contrebandiers en France, s. l., 1755, in-12 de 100 p. — Une autre édition la même année de 128 p. —. Cet opuscule, écrit d'un style vif et alerte, avec beaucoup d'humour, avait été attribué à l'abbé Régley. Barbier, en son dictionnaire des ouvrages anonymes (3e éd., 1872), puis Georges Richard, conservateur à la Bibliothèque nationale, qui s'est occupé de Mandrin durant de longues années, lui ont ensuite donné pour auteur Joseph Terrier de Cléron, président à la Chambre des Comptes de Dole. C'est au contraire l'Histoire de Louis Mandrin (Chambéry, 1755, in-12), précédemment considérée comme l'œuvre de Terrier de Cléron, qui aurait été écrite par l'abbé Régley. Cette opinion a été suivie par M. Octave Chenavaz et par M. Edmond Maignien, conservateur de la Bibliothèque de Grenoble, auteur d'une utile Bibliographie des écrits relatifs à Mandrin, qui nous a été du plus grand secours[1]. Contrairement à l'Abbrégé, l'Histoire est un vulgaire pamphlet, rempli de mensonges grossiers, dont l'auteur s'efforce de présenter Mandrin systématiquement sous le jour le plus odieux. On remarquera que Gaspard Levet de Malaval, président de la Commission de Valence, qui jugea Mandrin en mai 1755, fut peu après — cette année même nommé secrétaire du roi près la Chambre des Comptes de Dole, où Terrier de Cléron était président : d'où, pour celui-ci, une abondante source d'informations. Mais si l'Abbrégé tient aujourd'hui la première place parmi les écrits du XVIIIe siècle relatifs à Mandrin, c'est qu'un autre livre, publié à Avignon, en 1763, a complètement disparu. En voici le titre : Projet pour la suppression des douanes dans l'intérieur du royaume, avec des anecdotes curieuses et intéressantes. A Avignon, aux dépens de l'auteur, 1763, in-12 de 132 pages. Un exemplaire de ce livre était conservé naguère à la Bibliothèque nationale sous la cote Lf, 89/9. Nous pouvons en donner la table des chapitres :
Cet ouvrage a donc disparu de la Bibliothèque nationale à une date récente. Vainement nous sommes-nous adressé ù la plupart des bibliothèques publiques de Paris et des départements, ainsi qu'aux bibliothèques de Belgique et d'Allemagne : nous avons trouvé partout des collègues très obligeants, mais nulle part nous n'avons trouvé le Projet pour la suppression des Douanes... Que si l'un ou l'autre des lecteurs de notre livre — en supposant que notre livre ait des lecteurs — peut rattraper l'oiseau envolé, il nous ferait un très grand plaisir, et plus qu'un plaisir, en nous en avertissant. Les notes que nous avons sous les yeux, et qui ont été prises sur l'ouvrage disparu, portent que la vie de Mandrin en occupe les pages 66-76. L'auteur de ces notes ajoute : C'est ce qui a été publié sur Mandrin de plus vrai et de plus sensé. Au reste, par le fait seul qu'il eut l'idée d'introduire une vie de Mandrin dans un Projet pour la suppression des douanes intérieures... l'auteur en montrait qu'il avait compris le caractère du fameux contrebandier, avec une perspicacité singulière pour son temps. Mais au XIXe siècle, par compensation, Louis Mandrin a été l'objet de plus d'une étude très vraie et très sensée. En voici les principales : Ad. ROCHAS. Notice sur Mandrin, extrait de la Biographie du Dauphiné (1860, in-8°, p. 98-111). Paris, 1859, in-16 de 44 pages. A.-Paul SIMIAN. Un brigand au XVIIIe siècle, Mandrin, extrait de la Revue des Alpes (17 mars-28 avril 1860). Grenoble, 4860, in-16 de 84 pages. Harold DE FONTENAY. Mandrin et les contrebandiers à Autun, extrait du tome I des Mémoires de la Société Eduenne (1871). Autun, 1871, in-8° de 44 pages. H. BOUCHOT. Mandrin en Bourgogne, décembre 1754, extrait du Cabinet historique (1881, p. 229-56). Paris, 1881, in-8° de 32 pages. Ad. ROCHAS. L'Arrestation de Mandrin et son supplice à Valence (11-26 mai 1755), extrait du Journal de Valence, 9-15 janvier 1889, in-8° s. l. n. d. (imprimerie Teyssier, Valence). Antoine VERNIÈRE. Courses de Mandrin dans l'Auvergne, le Velay et le Forez (1754) (extrait de la Revue d'Auvergne). Clermont-Ferrand, 1890, in-8°, de 98 pages. Octave CHENAVAZ. Notice sur la maison patrimoniale de Mandrin à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs (Isère). Grenoble, 1892, in-8° de 150 pages. J.-J. VERNIER. Mandrin et les Mandrinistes, notes et documents (extrait de la Revue Savoisienne). Annecy, 1899, in-8° de 64 pages. Ulysse ROUCHON. Les exploits de Mandrin dans la Haute-Loire (Velay et Basse-Auvergne), extrait du Pays-Cévenol. Privas, 1905, in-8° de 121 pages. Ces publications sont rangées ci-dessus dans l'ordre de leur date d'apparition. On les trouvera citées fréquemment — et plusieurs autres, — au cours des pages qui suivent. ***Quand, il y a quelques années, nous étions sur le point de faire paraître la Mort de la Reine, un brillant professeur en Sorbonne, et d'une très haute autorité, qui avait lu notre manuscrit, nous avertit avec bienveillance qu'en le publiant nous nous ferions très grand tort. Que si nous avions éprouvé quelque hésitation à mettre au jour le livre en question, la crainte exprimée par ce maître perspicace l'eût du moins fait disparaître. Du moment où nous étions prévenu que les conclusions, auxquelles le livre aboutissait, étaient pour nous nuire, il ne nous était plus possible de ne pas le publier. Et l'étude qui suit, consacrée à un bandit, abordée sans préjugé d'aucune sorte, écrite avec l'ardeur d'une conviction qui a été mise en nous par les documents — nous fera-t-elle tort, elle aussi ? Gaston Paris disait ceci, le 8 décembre 1870, au Collège de France, autour duquel tombaient des obus : Je professe absolument et sans réserve cette doctrine, que la science n'a d'autre objet que la vérité, et la vérité pour elle-même, sans aucun souci des conséquences bonnes ou mauvaises que cette vérité pourrait avoir[2]. Montfermeil, septembre 1907. Abréviations employées dans les notes : A. A. E. : Archives des Affaires étrangères ; A. G. : Ministère de la Guerre, archives historiques. |