L'AFFAIRE DU COLLIER

 

XXXII. — MME DE CAGLIOSTRO EN LIBERTÉ.

 

 

Cagliostro continuait d’étonner l'opinion et de l'amuser. Le 24 février, il fit paraitre un mémoire au sujet de la détention de sa femme, prisonnière comme lui à la Bastille. Tant que le suppliant, dit le mémoire, a pu croire que les rigueurs d’une longue et cruelle captivité n'avaient point altéré la santé de son épouse, il s'est contenté de gémir en silence. Mais à présent qu'il n'est plus possible ceux qui l'entourent de lui dissimuler l'état de cette malheureuse épouse et le danger qui menace ses jours, le suppliant, pénétré de la plus profonde affliction, se réfugie dans le sein des magistrats. Tout Paris apprend ainsi que la vie d’un ange était. mise en péril par la barbarie du pouvoir royal. C'était un exposé touchant, dit Hardy, de l'état critique et dangereux où se trouve actuellement la dame de Cagliostro, état qui exige le secours d’un art bienfaisant exercé par son mari, qui avait eu le bonheur d’arracher mille Français des bras de la mort : ainsi que du malheur de cette dame, qui, n'étant ni décrétée par le Parlement, ni accusée, était privée de sa liberté depuis le 29 août. Au Parlement, l'alarme fut vive. L'auguste tribunal décida qu'une délégation de magistrats se retirerait par devers le roi pour le supplier d’arracher cette délicieuse victime au sort épouvantable qui la menaçait. Le gouvernement s'en émut, prit des informations à la Bastille. Le marquis de Launey répondit, que la prisonnière se portait à merveille et se promenait journellement au haut des tours[1].

Tout ce bruit eut néanmoins pour résultat de hâter la mise en liberté de Mme de Cagliostro qui sortit de la Bastille le 18 mars. Elle se rendit à son hôtel, rue Saint-Claude, où, durant plus d’une semaine, un registre déposé chez le concierge se couvrit de signatures tout le long du jour. Il n'est pas rare de voir le soir près de trois cents visites sur la liste de son portier. — Il est exactement de bon ton, disent les nouvellistes, d’avoir passé à l'hôtel de Cagliostro. Ceux qui avaient l'honneur d’être reçus par la comtesse, assuraient en sortant qu'elle avait tant pleuré à la Bastille que ses yeux en étaient presque usés. Heureusement, ce qui en restait était encore fort présentable et les consolateurs frappèrent en grand nombre à sa porte, empressés à lui faire oublier la douleur que devait lui causer la captivité de son mari. Les gazetiers assuraient que Cagliostro s'occupait à rédiger un placet, encore plus pathétique que le premier, pour supplier la Cour de remettre son épouse en lieu clos. La jeune femme, après quelques jours, alla au Palais-Royal pour y voir, aux étalages des imagistes, son portrait, autour duquel se groupait la foule. Il était affreux et elle eu rit comme une folle, ce qui la fit reconnaitre. Par des cris de fête, ces dames du bel air la saluèrent respectueusement et les jeunes hommes qui passaient lui offrirent les fleurs destinées à leurs amies. Les meilleures maisons se l'arrachèrent. Mais, tète légère, elle parlait trop. Elle disait par exemple, à dîner, devant une nombreuse assistance, qu'elle s'était toujours très bien portée à la Bastille et n'avait eu qu'à se louer des égards du gouverneur[2].

 

Mme de la Tour, sœur du comte de la Motte, avait été mise en liberté dès le 7 février.

Ces vides furent en partie comblés, le 12 mai, par la naissance à la Bastille d'un nouveau petit sujet du roi que mit au monde la petite baronne d’Oliva. Baptisé le lendemain en la paroisse Saint-Paul, il reçut les noms de Jean-Baptiste Toussaint, son père, Jean-Baptiste-Eugène Toussaint de Beaussire n'ayant pas hésité à le reconnaitre.

 

 

 



[1] 1786, 23 février. — Le commissaire Chesnon, Monsieur, vient de votre part nous témoigner l'inquiétude de MM. du Parlement sur la sauté de la darne de Cagliostro. Vous devez être persuadé, Monsieur, que si elle avait eu la moindre indisposition vous en auriez été instruit, engane vous avez coutume de l'être de ce qui arrive journellement dans le château. Cette dame n'est point malade. Elle se promène tous les jours et dans ce moment elle est sur les tours. Elle s'est donnée il y a quinze jours un petit effort dans le poignet gauche, mais cela ne l'empêche pas de s'amuser à travailler. M. Chesnon a été ce matin chercher le médecin du château qu'il n'a pas trouvé. Il lui a écrit et dès qu'il sera venu je vous ferai passer son rapport. Lettre du marquis de Launey, gouverneur de la Bastille, au lieutenant de police. Minute de la main de Launey, Bibl. de l'Arsenal, ms. Bastille, 12517, f. 126. Mme de Cagliostro était servie à la Bastille par sa propre femme de chambre, Françoise, qui avait été mise auprès d’elle. Bibl. de l'Arsenal, ms. Bastille, 12157, f. 26.

[2] La dernière pièce du Collier, p. 26, note.