L'AFFAIRE DU COLLIER

 

XXX. — VOILA DU NOUVEAU ! VOILA DU NOUVEAU !

 

 

L'émotion et l'intérêt produits par les brochures des avocats étaient encore surexcités par les libelles et les pamphlets que l'affaire faisait éclore de toute part : le Garde du Roi, par Manuel, les Réflexions de Motus, les Observations de P. Tranquille, par Charles-Louis Hû, le Conte oriental, la Lettre de l'abbé G... à la comtesse et la réponse de la comtesse à l'abbé, le Recueil de pièces authentiques, la Lettre à l'occasion de la détention du cardinal, les Mémoires authentiques pour Cagliostro, la Dernière nièce du Collier ; combien d’autres ! Parmi les auteurs de ces pamphlets, on trouve des perruquiers, des épiciers, des commis de librairies. Toutes les tètes s'en mêlaient. Une imprimerie clandestine, blottie dans un fond de cour, rue des Fossés-Saint-Bernard, était, entièrement occupée à l'impression des plaquettes relatives l'affaire du Collier. Elle était dirigée par Louis Dupré, dit Point, garçon perruquier — Figaro était bien un type de l'époque — et Antoine Chambon, commissionnaire en livres. Les deux associés furent enfin découverts et embastillés le 21 mars 1786[1]. Mais devant la plus grande partie de ces publications malignes, les efforts de la police demeuraient impuissants et ses poursuites n'avaient, d’autre effet que de piquer la curiosité publique. Et les nouvellistes de déployer leur imagination. Toutes les feuilles de France et d’Europe suffisaient à peine à contenir leurs informai ions. Que devenait sons leur plume la scène du Bosquet ? En accordant ses faveurs au cardinal, la d’Oliva lui faisait accroire, les deux tètes sur le même oreiller, qu'elle était la reine elle-même ; de là, les grandes idées d’ambition du prélat qui se flattait de devenir premier ministre[2]. Quant au comte de la Motte, on assurait que, forcé par le lord maire de quitter Londres, il s'était réfugié à Constantinople, où il s'était fait circoncire et avait pris le turban[3]. Ajoutez l'exaltation des esprits en ces années qui précèdent la Révolution, et vous imaginerez l'agitation qui naquit du procès. Les caricatures devinrent si violentes que la police les interdit à leur tour[4].

Ces mesures stimulaient l'ardeur des collectionneurs, bibliophiles, amateurs de plaquettes et d’estampes. On voulait avoir tous les mémoires imprimés, brochures, pamphlets, petits vers et chansons que l'affaire faisait naître au jour le jour. On tira une série de vingt-deux portraits représentant tous les personnages en jeu. La plupart étaient de fantaisie. Les premiers qui portèrent le nom de Mme de la Motte n'étaient autres que des portraits de la Présidente de Saint-Vincent, tandis que le comte de la Motte était figuré par le prince de Montbarey. La menue image servait pour d’Étienville et pour le baron de Fages. C'était la figure d’un sourd-muet trouvé en 1773 sur le chemin de Péronne, se disant comte de Solar. Des colporteurs, camelots de ce temps-là, n'en trouvaient pas moins bon accueil quand ils parcouraient les rues et offraient à la foule, sortant des presses, encore humides, les plaquettes nouvelles de la série du Collier, attirant, par leur cri habituel : Voilà du nouveau ! voilà du nouveau ![5]

Enfin, le 16 mai 1786, peu de jours avant le juge-nient, parut le Mémoire polir le cardinal, par Target. On en avait dit par avance mille et une merveilles. L'avocat- avait donné lecture de quelques fragments à ses collègues de l'Académie, qui s'en étaient déclarés charmés. Quand un académicien lit quelque chose à ses collègues, ceux-ci s'en déclarent, il est vrai, toujours charmés. Des copies manuscrites en avaient été tirées, plus ou moins fidèles. Elles se vendirent jusqu'à trente-six livres chacune — au moins soixante-douze francs d’aujourd'hui. Et quand l'écrit parut imprimé, ce fut une vraie sédition sons les colonnades du Palais Soubise on il l'ut mis en distribution. La foule, qui se pressait dans la vaste galerie en demi-lune, devint si grande que le guet ne salit pas : il fallut la garde à cheval[6]. Trois éditions parurent le in nie jour, l'une chez le libraire Hardouin, au Palais-floral ; l'autre chez Claude Simon ; la troisième, imprimée chez Lottin, était distribuée l'hôtel Soubise. Nonobstant cette distribution gratuite, le mémoire fut vendu jusqu'à un écu. On en avait, dit, tant de bien que ce fut une désillusion. Sans doute, il élan difficile de faire mieux que les mémoires pour Cagliostro et pour la d’Oliva. Mais l'ouvre de Target n'est pas sans valeur, il s'en faut. De nos jours on a comparé ce morceau d’éloquence judiciaire aux plus belles harangues de Cicéron. C'est lui faire tort. Le factum de Target contient des parties d’une précision et d’une force démonstrative auxquelles n'a jamais atteint, l'insupportable bavard de Tusculum. Peut-être que si Target n'avait pas en la conviction que, dans une pareille cause, il avait le devoir d’écrire un chef-d’œuvre pour la postérité, il en eût réellement fait un : pour les chefs-d’œuvre, il faut moins de bacons.

Le peuple chanta :

Target, dans son gros Mémoire,

A tracé tant bien que mal

La sotte et fâcheuse histoire

De ce pauvre cardinal ;

Et sa verbeuse éloquence

Et son froid raisonnement

Prouvent jusqu'il l'évidence

Que c'est un grand innocent.

Ce fut le mot de la fin, le, mot juste, sans doute.

 

 

 



[1] La Bastille dévoilée, III, 108.

[2] Bachaumont, 1785, 16 décembre.

[3] Journal de Hardy, 1786, 26 mars.

[4] Courrier de l'Europe, 1786, 11 avril.

[5] Journal de Hardy, 1786, 12 juillet.

[6] Journal de Hardy, 1786, 24 mai ; Bachaumont, XXXII, 62.