En juillet 1784, le comte de la Motte remarquait dans les
jardins du Palais-Royal — le rendez-vous à cette époque de la jeunesse
joyeuse et où la Motte, pour cause, se trouvait souvent — une jolie personne
qui venait s'asseoir régulièrement à la même place, où elle se distrayait
très gracieusement, jouer avec un enfant. Elle avait de longs cheveux d’en
blond cendré, souples et ondoyants, une gorge superbe et de grands yeux bleus
d’une expression claire et douce, un regard d’enfant[1]. Elle exerçait,
le joli métier de modiste et s'appelait de son vrai nom Marie-Nicole Leguay.
Elle était née rue Saint-Martin, le 1er septembre 1761, de Claude Leguay,
officier invalide, bourgeois de Paris, et de sa femme Marguerite David. Mon premier malheur, dira-t-elle dans la suite, fut de perdre trop tôt une mère tendre et vigilante, dont
la présence et les soins eussent éloigné de moi les dangers inséparables Tune
jeunesse abandonnée à elle-même. Orpheline de père et de mère, Nicole
avait été placée rue de la Grange-Batelière, chez un certain Antoine Legros,
qui prenait des enfants en pension ; mais elle y fut maltraitée et son
éducation entièrement négligée. La jeune fille fut contrainte de se sauver et
se trouva sur le pavé de Paris. Legros se garda de lui faire connaître sa
famille. Il se garda aussi de lui remettre une somme d’argent assez
importante qu'avant de mourir Leguay lui avait confiée pour son enfant.
Legros étant mort à son tour, en février 1783, ses héritiers venaient de
remettre à Nicole quatre mille livres. En réalité ils lui devaient davantage
; mais, faible à se défendre, elle avait accepté cette transaction[2]. On ne l'appelait
plus Nicole Leguay. Dans le inonde de la jeunesse dorée, elle n'était connue
que sous un nom de guerre, Mme de Signy, car, bonne fille, trop bonne fille
sans doute, elle ne savait rien refuser, mais absolument rien, à ceux — et
ils étaient nombreux — que ses charmes remplissaient d’admiration. Elle
demeurait au Petit hôtel de Lambesc, rue du Jour, fréquentée
assidument par un jeune gentilhomme, Jean-Baptiste-Toussaint de Beaussire,
écuyer, fils d’un lieutenant au grenier à sel de Paris, qui, après avoir
perdu, lui aussi, son père et sa mère, dépensait gaiement le patrimoine assez
considérable dont il avait hérité. Les après-midi la jeune modiste allait fréquemment, passer deux ou trois heures dans les jardins du Palais-Royal, avec un enfant de quatre ans, un joli petit bonhomme, aux boucles brunes, qu'elle avait pris en affection et que ses parents lui confiaient. Nicole était en somme une bonne et gentille créature, une de ces petites Parisiennes qui demandent peu à la vie, cueillent dans leur jeunesse les fruits de l'amour, heureuses de leur beauté et de leur tendresse, insouciantes et confiantes, à la fois naïves et rusées, mais dont les ruses ne sont guère méchantes. Marie-Antoinette la traitera avec mépris : Une barboteuse des rues, dira-t-elle. Conservons-lui notre sympathie. En somme elle en était digne. Le comte de la Motte est dès l'abord frappé des grâces de la jeune femme et, plus encore, de sa ressemblance vraiment surprenante avec la reine. Il lie conversation. Il se présente, dit Nicole Leguay, avec tous les témoignages du respect et de l'honnêteté et me prie de lui permettre de venir me voir et me faire sa cour. Je ne pus prendre sur moi de lui refuser cette permission. Assurément. Dans ses pamphlets, Motus, libelliste et mauvaise langue, reproduit le récit fait par Nicole en le coupant de ses réflexions. Un jour du mois de juillet,
dit Nicole, après midi, j'étais assise au
Palais-Royal. J'avais pour toute société l'enfant dont je viens de parler. Je
vois passer plusieurs fois devant moi un grand jeune homme qui se promenait
seul. Il m'était inconnu. Il me fixe. Je m'aperçois même qu'il mesure qu'il
m'approche, il ralentit sa marche, comme pour me considérer à loisir. Une
chaise était vacante à deux ou trois pieds de la mienne... Un petit clin d’œil..., interrompt Motus. — Il vint s'asseoir, poursuit Nicole. — C'est l'ordinaire, observe Motus. — Je passe rapidement, dit Nicole, sur ces premières circonstances dont un plus long détail serait inutile. — Très inutile, selon Motus. Le plus petit bourgeois de Paris sait ce qu'il en est. — Il suffit de dire, continue Nicole, que nous nous rencontrâmes plusieurs jours de suite au Palais-Royal. — Bon ! s'écrie Motus, tout va au mieux. — Je venais un soir de le quitter et de retourner au logis, dit Nicole en terminant : il m'avait suivie. Motus conclut : C'est l'usage[3]. Le comte de la Motte se conforma à cet usage d’une manière assidue. D'ailleurs sa femme, ne tardant pas à faire la connaissance d’une personne aussi aimable, introduisit Nicole Leguay dans son salon de la rue Neuve-Saint-Gilles, après lui avoir donné le nom de baronne d’Oliva — l'anagramme du nom de Valois. Elle l'invite à dîner, lui fait toutes sortes de politesses et mille et une cajoleries[4]. Elle a bientôt gagné sa nouvelle amie à ses projets. Ce qu'elle lui demande n'est d’ailleurs qu'une bagatelle, el vous ferez tant de plaisir à la reine, ma toute belle, qui a l'intention de vous donner en retour quinze mille livres el, en outre, un cadeau qui vaudra davantage encore. — Qu'est-ce donc que vous voulez que je fasse ? — La plus petite chose du monde. Vous remettrez un soir, dans une allée des jardins de Versailles, nue rose et un billet à un grand seigneur qui vous baisera la main. — Mais qu'importe à la reine ? — Mon cher cœur, il serait trop long de vous expliquer cela. Le comte viendra vous chercher demain soir et vous mènera à Versailles[5]. Il ne m'a pas été difficile, dira Mme de la Motte aux commissaires du Parlement, de persuader à la fille d’Oliva ce jour ce rôle-là, parce qu'elle est fort bête[6]. |
[1] Bette d'Etienville, Second Mémoire, dans sa Coll. compl., II, 32. — On a le portrait de Nicole Leguay, dit baronne d'Oliva, ad vivum, par Pujos, gravé par Legrand.
[2] Archives nationales, Y, 5110.
[3] Suite des observations de Motus sur le Mémoire de Mlle d’Oliva, p. 21-22.
[4] Analyse pour la demoiselle d'Oliva dans la Collection complète, VI, 18 ; second Mémoire pour Bette d’Étienville, ibid., II, 45.
[5] Mém. pour la demoiselle Leguay d'Oliva, éd. orig., p. 72 et suivantes, Second Mémoire, p. 18.
[6] Interrogatoire du 8 mai 1786, publié par Campardon, p. 391.