De tous les procès dont l'histoire a gardé le souvenir, l'affaire du Collier est celui qui a exercé Faction la plus profonde sur les destinées de notre pays. Les passions s'en emparèrent. Il fut dans les mains des politiciens un bélier dont ils ébranlèrent la monarchie. Le procès du Collier, dit Mirabeau, a été le prélude de la Révolution[1]. Marie-Antoinette y perdit joie et repos. A cette époque, écrit Mme Campan, finirent les jours fortunés de la reine. Adieu pour jamais aux paisibles et modestes voyages de Trianon, aux fêtes où brillaient tout à la fois la magnificence, l'esprit et le bon goût de la cour de France ; adieu surtout à cette considération, à ce respect, dont les formes accompagnent le trône, mais dont la réalité seule est la base solide. Gœthe se passionna pour cette intrigue. Il tint à se mettre en rapport direct avec Breteuil, qui y avait joué un rôle important. Il étudia l'affaire dans les sources mêmes, dans les pièces de procédure, et en découvrit les conséquences, de son esprit clairvoyant. Ce procès, dit-il, fit une secousse qui ruina les bases de l'État. Il détruisit la considération que le peuple avait pour la reine, et, généralement, pour les classes supérieures, car — hélas ! — chacun des acteurs ne faisait que dévoiler la corruption où se déballaient la Cour et les personnes du plus haut rang. Gœthe ajoute : L'événement, me remplit d’épouvante comme l'aurait fait la tête de la Méduse. Ces intrigues détruisirent la dignité royale. Aussi l'histoire du Collier forme-t-elle la préface immédiate de la Révolution. Elle en est le fondement. La reine, étroitement liée à cette fatale affaire, y perdit sa dignité, sa considération ; elle y perdit dans la pensée populaire cet appui moral qui faisait d’elle une figure intangible[2]. Jugement confirmé par le plus éminent, des historiens de Marie-Antoinette, M. Pierre de Nolhac : A partir de l'affaire du Collier, la France se bête vers la Révolution. La royauté a perdu son dernier prestige, Marie-Antoinette est, par avance, découronnée[3]. En raison de leur importance, les faits ont été déformés par l'esprit de parti, chacun s'efforçant d’y trouver des arguments à sa cause ; ce qui ne lui était d’ailleurs pas difficile dans l'amas de documents, mémoires et dissertations des avocats, brochures, libelles, pamphlets, plaquettes au rouleau, gazettes et articles de journaux, nouvelles à la main, petits vers et brevets à la calotte, sarcelades et pasquinades, reportages, bavardages, commérages et papotages, on l'affaire fut noyée dès les premiers jours. La quantité de textes parvenus jusqu'à nous, qui permettent, non seulement de dénouer le nœud de l'intrigue, mais de connaître la vie des divers personnages, d’y pénétrer dans les coins et recoins, d’en faire saillir les menus détails, est vraiment surprenante. Indications qui coulent de source : ce sont les pièces du procès, interrogatoires, récolements, confrontations[4] ; les plaidoyers, mieux encore, les dossiers des avocats ; les lettres et correspondances des acteurs en jeu : billets à l'encre sympathique, furtivement envoyés par le cardinal de Rohan, qui est sous les verrous de la Bastille, à son défenseur, Me Target, où se lisent ses pensées de derrière la tête[5] ; lettres écrites par Mme de la Motte, réfugiée en Angleterre, à son mari et à sa sœur, où s'éclaire d’un plein jour le fond de son âme[6] ; ce sont les mémoires rédigés par les accusés, soit au cours du procès, soit après, où chacun raconte par le menu et à sa manière ce qu'il sait et ce qu'il a vu[7] : ce sont les notes et papiers administratifs concernant la détention des prisonniers à la Bastille[8] ; puis des rapports de police ; des inventaires et des procès-verbaux d’huissiers qui dessinent de leur trait net et sec, en ligues caractéristiques, les meubles et les costumes tels les patrons d’un journal de modes on les prospectus d’un magasin d’ameublement ; puis les nombreuses relations des contemporains ; car l'événement ayant frappé dès l'abord les imaginations, chacun tint à noter ce qu'il en entendait, à raconter ce qu'il savait des personnages, de leurs mœurs, de leur passé, de leurs caractères : Beugnot, Mme Campan, Mme d’Oberkirch, Mme de Sabran, l'abbé Georgel, Desenval, le duc de Lévis, le marquis de Ferrières, Manuel et Charpentier, les notes du libraire Hardy[9], le récit demeuré manuscrit du libraire Nicolas Ruault[10] ; les dépêches des ambassadeurs étrangers près le roi de France à leurs gouvernements respectifs : et tous les journaux, ceux de Paris, ceux de Londres, les gazettes de Hollande qui insèrent des correspondances de Paris ; un nombre infini de pamphlets, les nouvelles à la main, le Bachaumont, la Correspondance secrète ; et l'iconographie, les pinceaux de Mme Vigée-Lebrun et ceux de Pujos, le crayon de Cochin, l'ébauchoir de Houdon, le burin de Cathelin, de Janninet, de Desrais, d’Eisen, de Legrand, de Macret, les estampes populaires. Les lieux mêmes qui servirent de cadre à l'action se retrouvent, les maisons sont conservées : à Versailles le château avec le cabinet intérieur du roi et la galerie des Glaces, le parc avec le bosquet de Vénus ; la place Dauphine, où se trouvaient le garni Gobert et l'hôtel de la Belle Image, aujourd'hui place Hoche ; — à Paris, rue Vieille-du-Temple, l'hôtel du cardinal de Rohan ; rue Saint-Claude, la maison de Cagliostro ; rue Saint-Gilles, celle de Mme de la Motte ; rue du Jour, l'ancien hôtel du Petit Lambesc et rue de la Verrerie, l'hôtel de la Ville de Reims ; les jardins du Palais-Royal ; — Champagne, à Bar-sur-Aube, à Fontette, à Clairvaux, à Châteauvillain, non seulement les lieux, mais les demeures, les murailles mêmes entre lesquelles se déroulèrent les événements du récit. Aux beaux jours de l'automne dernier, nous allions donc à bicyclette par le pays accidenté. Les routes étaient blanches sous le soleil : aux lianes des coteaux les pampres portaient les raisins mûrs. Dans les champs, où les récoltes étaient faites, les troupeaux de moutons confondaient leurs nuances d’un blanc qui tire sur l'ocre et le jaune avec les tons clairs des champs déblayés, jaunis par le chaume et les fanes sèches ; mais, de place en place — c'étaient des rires, — les filles mettaient encore les récoltes en javelles : au passage du Parisien elles s'arrêtaient, se redressaient et regardaient l'air ahuri. Et nous allions ainsi de Bar-sur-Aube aux Cronières, à Fontette, à Verpillières, à Clairvaux, à Chateauvillain. Les bonnes gens comprenaient nos recherches. L'affaire du Collier, le nom de Mine de la Motte sont demeurés légendaires dans le pays. Ah ! monsieur, c'était une coquine ! disaient-ils, et, avec empressement, après avoir vidé de compagnie, sur la table de bois brut, les longs verres de vin rose, ils noirs aidaient dans notre tâche. Comment remercier ceux qui, de toute part, nous ont tendu la main ? M. Alfred Bégis, secrétaire de la société des Amis des livres, a été pour nous un véritable collaborateur. Que de sources nous eussions ignorées sans ses indications sistres, précises ! Depuis des années il réunissait des documents sur l'Affaire du Collier, documents recueillis aux Archives nationales, aux archives paroissiales de Londres, aux archives départementales de l'Aube, aux archives municipales de Bar-sur-Aube et de Vincennes ; et bien des pièces se trouvent en original dans sa belle collection. Notes et pièces originales, M. Bégis a tout mis à notre disposition, ainsi que des séries d'estampes contemporaines. De nombreux documents il nous a fourni la copie intégrale, faite de sa main. Notre ami Paul Collin, directeur de la Nouvelle revue rétrospective, nous a prêté une série de brochures et de pamphlets, se rapportant au procès du Collier, ainsi que notre maître M. Jacques Flach, professeur au Collège de France, et notre obligeant collègue, M. le comte de la Revelière, administrateur de la Société des Études historiques. M. Pierre de Nolhac, savant et charmant conservateur du château de Versailles, historien autorisé de Marie-Antoinette, a été, lui aussi, un collaborateur pour nous. Notes en main, il nous a montré, une à une, les salles du palais où les scènes les plus importantes se sont passées, et, dans le parc, il nous a permis d’identifier d’une manière certaine le bosquet de Vénus, où la gentille baronne d’Oliva apparut en reine de France au cardinal de Rohan prosterné. M. Christian, administrateur de l'Imprimerie nationale, ancien hôtel de Rohan, M. Le Vayer, administrateur de la Bibliothèque de la Ville de Paris, sont priés de vouloir bien accepter l'hommage de notre gratitude. Mme la comtesse de Biron a eu la bonté d’enrichir l'illustration de ce livre en autorisant la reproduction de son célèbre portrait de Marie-Antoinette en gaulle par Mme Vigée-Lebrun, portrait dont le costume fut directement copié par Mme de la Motte dans la scène du Bosquet. M. Storelli, qui a épousé la petite-fille de Me Thilorier, avocat de Cagliostro, nous a communiqué ses souvenirs de famille et nous a permis de reproduire le buste de Cagliostro par Houdon, que l'illustre alchimiste donna jadis a son défenseur. M. de Bluze, bijoutier, a reconstitué avec infiniment d’art, le collier de la reine d’après les dessins très précis laissés par les joailliers qui l'avaient fait. Nous avons ainsi dans ce volume une image rigoureusement exacte de la fameuse et fatale parure. M. Morton Fullerton a prêté un exemplaire manuscrit, avec des variantes, du Mémoire justificatif de Jeanne de Valois. Enfin M. le docteur Lebrun, adjoint au maire de Bar-sur-Aube, a guidé nos recherches dans les archives de la ville. Il a fait retrouver : rue Nationale, la maison qui a appartenu à Mine de la Motte ; rue d'Aube, l'hôtel Clausse de Surmont où elle passa les années décisives de sa vie. Notre reconnaissance, nous la devons aussi — nous la témoignons de grand cœur — aux devanciers : à Edmond et Jules de Goncourt, écrivains et historiens admirables[11] ; à notre érudit confrère, M. Emile Campardon, qui a écrit l'ouvrage le plus solide et de l'information la plus exacte sur le Collier de la reine[12] ; à Chaix d’Est-Ange, qui mit au service de celte cause émouvante son talent d’un souffle élevé et ému[13] ; à M Fernand Labori, qui défendit la même cause, l'innocence de la reine, avec sa fougue tonitruante et ses impétueuses convictions[14] ; à M. Desdevises du Dézert, auteur d’un précis succinct et brillant du procès, dans un si joli tableau, si bien peint et en traits si justes, de la France à la veille de la Révolution[15] ; à nos chers amis, Paul Boulloche, substitut près le tribunal de la Seine, l'historiographe très averti et judicieux de l'avocat Target[16] ; et Gosselin-Lenôtre, qui a écrit sur Cagliostro et sa vieille demeure des pages où brillent son habituelle érudition, sa pensée pittoresque, son style coloré et vivant[17] ; sans oublier le curieux roman de M. Philippe Chaperon, la Marque, qui fait revivre l'âme de Jeanne de Valois dans celle d’une fille de nos jours, œuvre d’imagination, mais brodée sur une trame historique très ferme[18]. A ceux qui nous ont servi de modèles et de guides, à ceux qui nous ont soutenu de leurs encouragements et qui nous ont aidé, nous serrons la main. Puisse ce livre, où nous nous sommes efforcé de mettre ce que nous pouvions avoir en nous de rigueur et de conscience scientifiques, gardant sous les yeux les rigides principes de méthode et d’investigation enseignés par les chers maîtres de l'École des Chartes, ne pas paraître trop indigne, et des devanciers et de si nombreux et affectueux concours. ***Grâce à tant d’informations directes et précises, à tant d’indications minutieuses, circonstanciées, on peut contourner les caractères des personnages. Leurs physionomies en ressortent toutes vivantes. Et finalement il apparaît, comme il advient toujours quand on approfondit les événements humains, que c'était dans le fond des caractères que se trouvait la raison d’être, partant l'explication des faits qui semblaient— car chacun apprécie d’instinct les hommes et leurs actes d’après soi-même — extraordinaires et mystérieux. |
[1] Opinion rapportée par le comte de la Marck. Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck pendant les années 1789, 1790 et 1791, publiée par M. de Bacourt, Paris, 1851, 3 vol. in-8°.
[2] Gœthe, la Campagne de France, éd. Arthur Chuquet, p. 159.
Gœthe a essayé de reconstituer l'intrigue du Collier dans une comédie, der Gross-Kophta, où l'on voit l'opinion qu'il se faisait des différents personnages en action. Le caractère du cardinal de Rohan (der Domherr) est tracé très heureusement. Cagliostro (der Graf), la comtesse de la Motte (die Marquise), le comte de la Motte (der Marquis), Mlle d’Oliva (die Nichte), sont figurés par leurs traits essentiels. Mais Gœthe a réuni en une seule personne Mlle d’Oliva et Mlle de la Tour, nièce de Mme de la Motte. Un seul personnage a été inventé pour les besoins de la pièce, le chevalier (der Ritter) : encore ce rôle parait-il inspiré par le baron de Planta.
[3] Pierre de Nolhac, la Reine Marie-Antoinette, p. 78.
[4] Conservées aux Archives nationales, X2, B 1417. M. Émile Campardon, qui a publié l'ouvrage le plus solidement documenté dont ces événements aient été l'objet, n'a cru devoir insérer parmi ses pièces justificatives que les interrogatoires des principaux accusés, négligeant les témoins secondaires, dont les dépositions, bien que de deuxième plan, sont les plus pittoresques. M. Campardon a également laissé inédits les procès-verbaux des confrontations ai les caractères apparaissent avec le plus de couleur et de vivacité.
[5] Dossier Target, conservé à la Bibliothèque de la Ville de Paris, documents manuscrits non encore catalogués.
[6] Archives nationales, F7, 4115 B. Papiers du Comité de sûreté générale.
[7] De ces Mémoires il a été fait divers recueils. Le plus important, bien qu'il ne soit lui-même pas complet, a été formé par Bette d’Étienville sous le titre : Collection complète de tous les Mémoires qui ont paru dans la fameuse affaire du Collier, Paris, 1786, 6 vol. in-18.
[8] Bibl. de l'Arsenal, Archives de la Bastille, mss 12 457-59 et 12 517.
[9] Mes loisirs, ou journal d’événements tels qu'ils parviennent à ma connaissance. Bibl. nat., mss franc. 6 680-85. Les passages relatifs à l'Affaire du Collier sont dans le vol. 6 683.
[10] Collection Alfred Bégis.
[11] Edmond et Jules de Goncourt, Histoire de Marie-Antoinette, nouv. éd., Paris, 1884, in-16.
[12] Émile Campardon, Marie-Antoinette et le procès du Collier, d’après la procédure instruite devant le Parlement de Paris, Paris, 1863, in-8°.
[13] Marie-Antoinette et le procès du Collier, par G. Chaix d’Est-Ange, publié par son fils, Paris, 1889, in-8°.
[14] Fernand Labori, le Procès du Collier, discours prononcé à la Conférence des avocats, le 26 nov. 1888, publié dans la Gazette des Tribunaux, du 26 nov. 1888.
[15] Desdevises du Dézert, l'Affaire du Collier, dans la Revue des cours et conférences, 13 et 27 déc. 1900.
[16] Paul Boulloche, Target, avocat au Parlement de Paris, discours prononcé à l'ouverture de la Conférence des avocats, le 26 nov. 1892. Paris, 1892, in-8°.
[17] G. Lenôtre, Paris révolutionnaire, vieilles maisons, vieux papiers (Paris, 1900, in-16), p. 161-171 : la maison de Cagliostro.
[18] Philippe Chaperon, la Marque, 3e éd., Paris, 1900, in-16.