MŒURS ROMAINES

 

LIVRE XII — ÉDUCATION, DOCTRINES ET IDÉES PHILOSOPHIQUES.

CHAPITRE II — Croyance à l’immortalité de l’âme.

 

 

Partout et dans tous les temps où la croyance à l’immortalité de l’âme n’a pas été déterminée, dans la foi, par une révélation, on a vu le doute, l’incrédulité et la négation de l’immortalité accompagner les différentes formes de cette croyance. Probablement, il y a toujours eu des hommes auxquels la vie ne paraissait supportable qu’autant qu’elle aurait une fin, et qui frissonnaient même à l’idée de sa durée éternelle. Il est très curieux que précisément une des natures les plus énergiques que nous connaissions de la période impériale du monde romain, Pline l’Ancien, repousse, presque avec l’emportement de la passion, la croyance à l’immortalité de l’âme : lui qui jouissait pourtant des avantages d’une existence privilégiée, qui s’appliquait, avec une constance infatigable, à faire de chaque minute de sa vie un usage profitable à l’État, à l’humanité et à la science, par la recherche de la vérité, et qui trouva, dans la poursuite de ces tendances, une fin noble et digne de sa vie.

Pour nous tous, dit Pline, la dernière heure remet les choses absolument dans l’état où elles se trouvaient avant la première ; car il n’y a des sensations et une conscience, pour le corps et pour l’âme, pas plus après la mort qu’avant la naissance. La vanité humaine imagine une continuation de l’existence, dans l’avenir, et invente une vie mensongère après la mort, tantôt en attribuant à l’âme l’immortalité, tantôt en admettant qu’elle se transforme, en prêtant la conscience aux infernaux, en révérant les mânes et en déifiant des hommes qui ont même cessé d’être hommes ; comme si notre haleine différait en quoi que ce soit de celle de toutes les autres créatures, et comme s’il ne se trouvait pas, dans la nature, tant de choses, de plus longue durée, auxquelles personne ne s’avise pourtant de prédire l’immortalité. Quel corps aurait donc lame affranchie ? De quelle substance ? Quelle y serait la faculté de penser ? Qu’est-ce qui y suppléerait à la vue, à l’ouïe, au toucher ? Comment ferait-elle usage de ces dons, et, sans eux, quel bien pourrait exister pour elle ? Où est le séjour et quel est le nombre de cette multitude d’âmes toutes également réduites, dans le cours de tant de siècles, à ne plus être que des ombres ? Moyens de faire taire les enfants que tout cela, chimères d’un état mortel, qui tendent à reculer continuellement la fin ! — Maudite insanité que cette opinion du renouvellement de la vie par la mort ! Et où les créatures trouveraient-elles jamais le repos, si la conscience de l’âme persistait dans les régions supérieures, et l’ombre aux enfers ? Véritablement, cette consolation que l’on prétend être si douce, cette béatitude de la foi ôte sa vertu à la mort, qui est le souverain bien de la nature, et cette perspective d’un avenir d’outre-tombe ne fait que redoubler l’agonie du mourant. Car, s’il est doux de vivre, pour qui peut-il être doux d’avoir vécu ? Comme il serait plus facile et plus sûr que chacun s’en rapportât à lui-même, et s’en remît à l’autorité de l’expérience du temps antérieur à sa naissance, pour acquérir la preuve certaine de ce qui adviendra dans l’avenir ![1]

Cette profession de foi, dans laquelle s’expriment des aspirations au néant qui frisent les idées des bouddhistes sur la vie, est un fait isolé. Mais cette manière de concevoir l’âme, dans le sens du matérialisme, et la négation de l’immortalité qui en dérive, étaient pour le moins aussi répandues que l’épicurisme, qui avait d’ailleurs, sans doute, directement ou indirectement, déterminé l’opinion de Pline, et avec lequel le matérialisme de celui-ci se rencontre aussi dans l’idée d’une origine céleste de l’âme et de sa parenté avec les astres[2]. La perspective d’une fin de l’existence n’avait rien de triste pour les partisans convaincus de cette doctrine, car c’était la perspective d’un repos éternel. Il leur souriait assez de se lever ainsi tranquillement de table, comme des convives rassasiés du banquet de la vie, pour s’abandonner à un sommeil assuré contre tout trouble[3]. Au sommeil éternel, porte l’inscription d’un monument posé au philosophe épicurien, C. Matrinius Valence, par sa femme survivante[4]. D’autres monuments funèbres encore, portant la même inscription, ou bien aussi au repos assuré (Secutitati), indiquent la négation de l’immortalité[5], bien qu’elle ne se trouve pas exprimée partout en termes aussi peu équivoques que dans l’épitaphe, composée par lui-même, d’un certain Nicomède, qui paraît avoir été un chanteur nomade, débitant les poésies homériques, à Cos : Après m’être moqué de tout ce qui est absurde, me voici plongé dans un sommeil dont on ne me réveillera pas[6]. Une épitaphe latine porte : J’ai vécu, sans avoir jamais cru à rien, après la mort[7] ; une grecque : Il n’y a au Tartare ni barque ni Caron, ni Éaque, comme portier, ni Cerbère. Nous tous, que la mort y a descendus, ne sommes qu’ossements fragiles et cendres, rien de plus[8]. Une autre dit du défunt qu’après avoir parcouru sa carrière, il n’est plus qu’une tombe, une pierre, une image[9]. Voici la traduction d’un distique, évidemment très usité : Je n’étais pas, mais j’arrivai à l’existence ; je fus, mais n’existe plus ; voilà la vérité. Qui, parle autrement ment, car je ne serai plus rien[10]. Souvent on ajoute que la mort n’est pas un mal, la conscience se perdant avec la cessation de la vie. Un certain L. Mecius Marcus, qui s’était fait construire, de son vivant, une maison pour l’éternité, autrement dit un caveau de famille, pour lui et les siens, dit dans l’inscription, en se considérant comme encore vivant : Je n’existais pas autrefois, et maintenant j’existe ; il viendra un jour où je ne serai plus, mais cela ne me fait aucun tourment[11]. Sur une pierre tumulaire, on a mis dans la bouche de la défunte, qu’elle couvrait, les paroles suivantes : Je n’existais pas autrefois et j’ai cessé d’exister ; mais je n’en sais plus rien, cela ne me fait donc rien[12]. La mort, porte une autre pierre, est le dernier remède et le plus efficace[13]. A la négation de la vie d’outre-tombe se joint, parfois, une exhortation à bien jouir d’une vie aussi passagère, comme dans ce qui suit : Je n’étais rien, je ne suis plus rien. Vous qui vivez encore, mangez, buvez, amusez-vous, venez donc[14].Vous qui lisez ceci, camarade, jouissez de la vie, car après la mort il n’y a plus d’amusement, ni de rire, ni de joie[15]. Un monument funèbre trouvé, en 1626 sous le grand confessionnal de l’église Saint-Pierre, la statue couchée d’un buveur tenant une coupe à la main, excita, par la teneur abominable de l’inscription, un tel dégoût, qu’on se hâta d’effacer celle-ci, dont on conserva seulement une copie. Le défunt, malgré son matérialisme grossier, avait été, comme il paraît, dans sa vie privée, un homme à conduite régulière d’ailleurs. Il s’appelait Flavius Agricola, de Tibur, et s’était fait représenter dans la posture qu’il aimait à prendre, de son vivant, quand il faisait ses libations de vin. Il avait vécu trente ans en excellents termes avec sa femme, Flavie Primitive. Elle aussi, femme extrêmement honnête, chaste, laborieuse, ainsi que soigneuse de sa réputation et de sa beauté, avait été très éprise du culte de Bacchus ou, suivant une autre version, de celui d’Isis. Après sa mort, sa fille, Aula Primitive, l’avait consolé par son amour et reçu dans sa maison. En terminant, il engage les lecteurs, en vers dont on faisait probablement un fréquent usage, mais avec toute sorte de variantes[16], à jouir des plaisirs du vin et de l’amour, la terre et le feu devant fatalement consumer tout ce qui reste de nous, après la mort[17]. Tout porté à croire que, dans la sphère des gens à laquelle appartenaient, pour le niveau d’instruction, l’auteur de cette inscription et ceux de mainte autre des épitaphes mentionnées plus haut, le matérialisme le plus franc était celui qui allait le mieux aux incrédules, et l’on comprend très bien qu’ils aimassent à manifester, comme esprits forts, la supériorité de lumières dont ils se piquaient sur la multitude des gens moins avancés, par des confessions aussi énergiquement exprimées que possible, dont ni les mœurs, ni aucun dogme, n’excluaient alors l’inscription des épitaphes. On y voyait, plutôt, une excellente occasion de résumer dans une maxime la somme des expériences de la vie. Il n’y a donc pas à s’étonner de voir se carrer, précisément là, cette variété de doctrine la plus. banale de l’épicurisme, qui poussait à chercher le bonheur uniquement dans une sensualité grossière. On rencontre, en effet, aussi des allusions fréquentes à une épitaphe du roi Sardanapale conçue dans ce sens, ou variée comme il suit par exemple : Ce que j’ai mangé et bu, je l’ai pris avec moi ; ce que j’ai laissé est perdu pour moi[18]. C’est ainsi que doivent être également interprétées les épitaphes dans lesquelles on prise un usage modéré des bains, du vin et de l’amour comme la source des véritables jouissances de la vie, et l’on fait dire au mort, qu’il a tout emporté avec lui dans la tombe, c’est-à-dire pris possession de manière à faire une partie intégrante de lui-même ; en quelque sorte, de tout ce que la vie peut offrir de biens réels[19].

Le nombre des épitaphes empreintes de matérialisme n’en est pas moins exigu, comparativement, à tant de milliers d’autres, dans lesquelles ne perce pas le moindre doute sur la continuation de l’existence, bien que, comme on l’a déjà dit, aucun des obstacles qui rendraient presque impossible, de nos jours, en pareille circonstance, l’expression de son incrédulité même au matérialiste le plus déterminé, ne s’y opposât alors. Le fait est qu’en tout ce qui concerne le tombeau et la mort en général, le sentiment des anciens différait, à plusieurs égards, essentiellement de celui des modernes. Aux anciens des expressions et des images folâtres, obscènes même parfois[20], ne paraissaient pas incompatibles avec le profond sérieux. de la tombe. On serait, par suite, assez porté à croire que le matérialisme était très répandu, lors même qu’il n’existerait pas de témoignages positifs de la grande propagation de l’épicurisme, particulièrement chez les gens sans instruction, et, comme on est amené à le supposer par analogie, en voyant ce qui se passe de nos jours, plus encore peut-être chez ceux dont l’éducation, arrêtée à mi-chemin, demeure incomplète[21]. Il n’y a, naturellement, aucun moyen de déterminer, pour aucune époque, le rapport entre le nombre des matérialistes et celui des personnes qui croyaient à l’immortalité de l’âme ; mais, les premiers dussent-ils avoir été nombreux ; assez de raisons militent en faveur de l’opinion qu’ils ne formaient toujours, même dans les derniers siècles de l’antiquité, relativement qu’une petite minorité.

Si, du reste, la négation de l’immortalité n’était que dans la philosophie matérialiste d’Épicure un principe capital et fondamental du système, il y avait pourtant encore d’autres systèmes philosophiques admettant une fin de l’âme. Il est vrai que la croyance des stoïciens à une persistance limitée, mais d’une durée indéterminée, de l’âme après la mort, avait au fond, pour la’ pratique de la vie ; la même valeur que la croyance à l’immortalité, et y produisait les mêmes effets. Cependant Panétius, qui vécut, vers le milieu du deuxième siècle avant Jésus-Christ, dans le cercle des Scipions, à Rome, et plus tard à Athènes, qui y jouit d’une haute considération et qui exerça, en tout temps, une grande influence, notamment sur les Romains dont l’esprit tournait au stoïcisme, s’écarta, sur ce point comme sur d’autres encore, de la tradition de l’école. Il niait complètement la persistance de durée, comme l’avait fait aussi, parmi les philosophes péripatéticiens, auxquels il se rattacha de préférence, un disciple immédiat d’Aristote, Dicéarque, pour lequel l’âme était le résultat du mélange organique des substances composant le corps, dépendante de celui-ci, dans son existence même, et répandue dans toutes les parties du corps. Aristote lui-même avait bien enseigné une persistance de durée de l’esprit pensant, mais sans caractère personnel et individuel, et positivement rejeté l’idée que les défunts, appelés les bienheureux par le peuple en Grèce, pussent être heureux. Parmi les péripatéticiens postérieurs, Strabon de Lampsaque, disciple de Théophraste, paraît même avoir, comme tout semble l’indiquer, répudié entièrement la croyance à l’immortalité ; et, au temps des Sévère, Alexandre, d’Aphrodisias, honoré du surnom de second Aristote, s’appliqua à démontrer que le premier Aristote lui-même niait déjà l’immortalité de l’âme.

Cependant, il y avait aussi une philosophie qui mettait autant d’insistance dans son affirmation que l’épicurisme dans sa négation de l’immortalité de l’âme : c’était la platonicienne, là seule qui entreprît aussi de prouver scientifiquement ce qu’elle affirmait ; car, pour le pythagorisme, la doctrine de l’immortalité et de la métempsycose ou transmigration des âmes était un dogme plutôt qu’un principe philosophique. De même que la philosophie platonicienne avait, en général, un attrait irrésistible pour les esprits goûtant le surnaturel, sa psychologie en particulier était une consolation et un refuge pour tous ceux chez lesquels se joignait, au besoin de la croyance à l’immortalité, celui de gagner, par là démonstration, une base d’arguments philosophiques pour leurs convictions. Caton d’Utique lui-même, ce stoïcien accompli, comme l’appelle Cicéron, ce Caton qui devint, par sa mort, une des figures idéales du stoïcisme des temps postérieurs, lut le Phédon de Platon, avant de procéder au suicide. La preuve de l’immortalité, telle que la donne Platon, ne pouvait, il est vrai, convaincre personne qui ne fût déjà convaincu d’avance, et son incohérence avait déjà été suffisamment démontrée par la critique de Straton. Mais pour la plupart des gens, comme pour Cicéron, le prestige de la gloire et du nom de Platon garantissait suffisamment la vérité de sa doctrine, et l’on aimait mieux, d’ailleurs, ose tromper avec lui que reconnaître la vérité avec ses adversaires[22]. C’est ainsi que des natures animées de nobles sentiments, et dont la foi où l’intuition, la spéculation, le besoin moral et une profonde conscience de la dignité humaine, avaient concouru à déterminer les vues, cherchèrent et trouvèrent, dans les derniers temps de l’antiquité encore ; ce qu’il leur fallait principalement dans le platonisme, tandis que celles dans lesquelles prédominait une tendance mystique, inclinaient au pythagorisme, qui ressuscita également sons une forme nouvelle.

Parmi les gens instruits du inondé romain, la catégorie la plus nombreuse, dans les premiers siècles de notre ère, était vraisemblablement celle des personnes qui ou n’adhéraient proprement, d’une manière absolue, à aucun système philosophique, mais se formaient leurs idées sur  le monde d’après un besoin individuel, par un éclectisme ou choix entre celles de divers systèmes, ou ne subissaient, en général, qu’indirectement ou médiocrement l’influence de la philosophie. Il est probable qu’une grande partie de celles-ci ou n’éprouvaient même pas le besoin d’arrêter fortement leur conviction au sujet de l’immortalité, ou vivaient renoncé à l’espoir de s’en former une. Les résultats, diamétralement opposés, auxquels on était arrivé par les différentes directions du mouvement de l’esprit philosophique, le fait que des propositions érigées en principes par les maîtres les plus renommés étaient, continuellement, battues en brèche par d’autres maîtres d’une autorité non moindre, devaient amener notamment les esprits sceptiques à penser, que l’examen scientifique de ce sujet rentre dans la catégorie des problèmes dont la solution est au-dessus des forces de l’homme. A cette idée s’était arrêté même un Socrate, bien que sa nature le portât vers la foi à la durée persistante. Naturellement, les observateurs dont les recherches ont surtout pour objet l’analyse du corps étaient aussi ceux chez lesquels s’élevaient les doutes les plus graves sur l’immatérialité de l’âme. Le médecin Galien, bien qu’il ne fût rien moins que matérialiste et qu’il comptât parmi les adversaires déclarés d’Épicure, trouvait cependant beaucoup à redire à l’idée que Platon s’était faite de l’immatérialité de l’âme ; car, objecte-t-il, comment distinguer les unes des autres des substances incorporelles ; comment un être incorporel peut-il être répandu sur le corps, affecté par le corps, comme nous le voyons pour l’âme dans le cas de la démence, de l’ivresse et d’autres états semblables ? Il n’ose cependant pas décider ce point, et ne veut guère non plus prendre sur lui d’affirmer ou de nier l’immortalité de l’âme[23].

Quintilien aussi range parmi les questions indécises le point de savoir si l’âme, détachée du corps, est immortelle, ou continue à durer au moins encore un certain temps[24], et Tacite n’était pas arrivé à une plus ferme conviction sur ce, point, quand, après avoir atteint la maturité de l’âge d’homme, il écrivit la vie d’Agricola ; car il termine cette biographie avec l’expression du vœu que le défunt puisse dormir en paix, s’il y a un refuge pour les esprits des hommes pieux, s’il est vrai, comme l’admettent les sages, que les grandes âmes ne s’éteignent pas avec le corps. Cette dernière phrase fait allusion à la doctrine de Chrysippe, suivant laquelle les âmes des sages seules continuent à durer jusqu’à l’embrasement général du monde[25]. Cicéron lui-même, qui attachait un si grand prix à la foi dans l’immortalité de l’âme, ne crut pas, néanmoins, pouvoir se dispenser de chercher des raisons pouvant servir à l’apaisement des esprits troublés par la crainte de la mort, même pour le cas où l’âme périrait avec le corps[26].

Cependant, bien que Cicéron reconnaît la légitimité du doute chez les autres, sa propre conviction était aussi fermement établie qu’il est possible en. dehors des conditions d’une foi basée sur la révélation, et nous nous croyons fondés à supposer que ses arguments, en faveur de l’immortalité, étaient ceux qui constituaient l’opinion de la majorité des croyants, dans le mondé des gens instruits, précisément parla raison qu’ils reposent moins sur des dogmes ou des résultats prouvés scientifiquement, que sur des instincts, des besoins et des sentiments, en partie propres à la nature humaine en général, en partie développés sous l’influence des conditions particulières de la civilisation romaine. Car Cicéron, tout en reproduisant jusque dans les détails l’argumentation de Platon s’appliquant à prouver l’immortalité, dit expressément, comme on l’a déjà fait observer, que, pour lui, la conviction d’un homme tel que Platon est décisive, même sans arguments. Aussi dirait-on qu’il en avance la preuve moins pour sa propre satisfaction que pour celle d’autrui. Sa foi, comme celle de toutes les natures semblables à. la sienne, était basée, avant tout, sur une haute idée de la grandeur et de la dignité de l’esprit humain, sur l’admiration et le respect de sa puissance et de tout ce qu’il avait produit de remarquable. Cet esprit, qui avait inventé le langage et l’écriture, associé les hommes, mesuré les orbites des corps célestes, créé toute la civilisation, arts, poésie et philosophie, ne pouvait être, d’après sa conviction, d’une nature terrestre et périssable. La force, la sagesse, l’invention, la mémoire qu’il implique, lui paraissaient d’essence divine ; il ne pouvait être issu de la terre, il devait être descendu du ciel et par conséquent éternel. Cicéron se trouvait confirmé, dans cette conviction, par le consentement général des peuples, aussi complet et unanime sur ce point que sur la croyance à des divinités, puis aussi par la foi des plus grands esprits de sa propre nation et par la reconnaissance. de l’immortalité qu’impliquait un culte religieux des morts, maintenu sans altération depuis tant de siècles. Il croyait trouver en outre une preuve de la durée persistante de l’âme dans la sollicitude des hommes pour ce qui peut arriver après leur mort, dans le sacrifice des meilleurs d’entre eux, se dévouant pour la postérité, dans le désir, si général et si naturel, de l’approbation de nos actes parles races futures et dune gloire qui nous survive. Les hommes les plus éminents par le génie et par le caractère n’avaient-ils pas agi, partout et dans tous les temps, comme on ne saurait agir précisément qu’avec la perspective de la durée après la mort ? Or, c’est dans ce que croient les plus nobles et les meilleurs de nos semblables qu’on aura le plus de chance de trouver la science de la vérité, Cicéron donna même à sa foi dans la persistance de notre durée. personnelle une expression quasi-poétique dans le Songe de Scipion, où il décrit la félicité dont jouissent, dans les sphères supérieures, les grands morts du passé, transportés de la prison du corps, qui les retenait ici-bas, dans la haute sphère de vérité de la vie éternelle[27].

S’il est probable, comme nous l’avons dit, que, dans le monde instruit des dernières époques de l’antiquité romaine, les opinions de la majorité sur la vie se fondaient sur un éclectisme analogue à celui de Cicéron, le stoïcisme était ; parmi les systèmes philosophiques, à côté de l’épicurisme, saris doute celui qui comptait le plus d’adhérents[28]. On a déjà fait observer qu’au point de vue des conséquences pratiques, la doctrine stoïcienne d’une persistance de durée limitée équivalait presque à la foi dans l’immortalité de l’âme, attendu que, d’après cette doctrine, l’âme humaine ne devait faire retour à la substance primitive ou divinité qu’à la fin de la période cosmique à laquelle elle appartient. Les stoïciens ne différaient un peu d’avis, entre eux, que sur le point de savoir si toutes les âmes ; comme le voulait Cléanthe, ou seulement celles des sages, suivant la croyance de Chrysippe, dureraient aussi longtemps. Le plus éloquent apôtre de la croyance stoïcienne à une autre vie, dans les premiers siècles de notre ère, est Sénèque, qui s’est, il est vrai, rapproché du platonisme beaucoup plus que les anciens de l’école stoïcienne. Il accuse aussi beaucoup plus fortement qu’eux le contraste de la différence entre le corps et l’esprit. Le corps ou, comme il l’appelle aussi dédaigneusement, la chair est, à ses yeux, une chose de si peu de valeur que nous ne saurions trop nous garder d’en faire cas ; puisqu’il n’est qu’une simple enveloppe de l’âme, une demeure dans laquelle elle n’est venue s’installer que pour peu de temps et ne se trouvera jamais véritablement à son aise, voire même une charge qui pèse à l’âme, une entrave qu’il lui tarde de voir tomber, une prison dont elle doit désirer de sortir le plus tôt possible. C’est avec la chair qu’elle a à lutter, c’est par le corps qu’elle est exposée à des attaques et à des souffrances ; en elle-même elle est pure et invulnérable, aussi supérieure au corps que la divinité à la matière. Il s’ensuit que la véritable vie de l’âme ne commence qu’avec sa sortie du corps. D’après Sénèque, les âmes des bons seraient, comme dans la doctrine catholique du purgatoire, soumises après la mort à une purification préalable, et ne s’élèveraient que purifiées dans l’éther, pour y continuer à vivre, d’après la doctrine stoïcienne, jusqu’à l’embrasement du monde. L’idée que Sénèque se faisait de la vie d’outre-tombe se rapproche beaucoup de certaines idées de l’école platonicienne, et même du christianisme. Pour lui aussi, la vie terrestre n’est qu’un prélude à une vie meilleure, le corps, qu’une hôtellerie de laquelle l’esprit retourne dans les régions supérieures, sa véritable patrie, comme on vient de le dire. Il voit venir avec joie le jour qui brisera les liens corporels, le jour de la naissance à l’éternité, comme il l’appelle, de même que les anciens chrétiens, avec lesquels il se rencontre ici jusque dans le choix de l’expression il dépeint la paix de l’éternité, qui nous attend dans l’autre monde, la liberté entière et la félicité de la vie céleste, le grand jour que répand la lumière de la science, après la révélation de tous les mystères de la nature ; il n’oublie pas non plus la joie des rimes, ayant accompli leur stage, de se revoir et trouver de nouveau réunies, après la mort ; il voit en même temps dans celle-ci le grand jour du jugement, auquel est prononcé l’arrêt sur chacun, et fait dériver la vertu morale, pour la pratique de cette vie, de la pensée constante à ce qui nous attend dans l’autre ; il se console même de la perte future de l’âme ; avec la pensée qu’elle ressuscitera sous une autre forme. Malgré cette concordance apparente avec le fond même de la foi chrétienne, dans l’immortalité de l’âme, il n’est rien, dans ces idées de Sénèque non plus, qui répugne à la doctrine stoïcienne et qui ne s’explique parfaitement par la marche du développement de celle-ci, à cette époque, ou ne réponde à. la forme qu’elle dut prendre dans un esprit comme le sien. Bien que l’intervention d’influences chrétiennes ne puisse être exclue du domaine, des choses alors possibles, à la rigueur, elle est cependant d’autant moins probable qu’une grande partie des ex-pressions et des propos qui y ont fait penser se trouvent précisément dans un des anciens écrits de Sénèque, les Consolations à Marcie, bien antérieures aux premières mentions des commencements du christianisme à Rome.

Parmi les platoniciens. du temps postérieur, Plutarque de Chéronée fut un des plus influents, ce qu’il dut certainement en partie à ce que son platonisme n’avait pas un caractère rigoureusement dogmatique, mais se présentait, modifié par l’éclectisme et des tendances pythagoriciennes, sous une forme toute populaire. Ce philosophe peut donc aussi être considéré comme représentant un mouvement d’idées très répandu dans le monde instruit de l’époque. Si fermement convaincu de l’immortalité de l’âme[29] qu’il déclare, d’après son propre sentiment, cette croyance solidaire avec la foi dans la Providence, elle paraît cependant avoir été, pour lui aussi, plutôt un article de foi imposé par l’exigence de raisons pratiques que le résultat d’un examen scientifique. Il fonde ces raisons sur la parenté de l’esprit humain avec Dieu, sur la nécessité d’une expiation future, ainsi que d’un dédommagement pour les maux de la vie terrestre, sur ce qu’il y a de consolant dans l’idée d’une existence persistante et d’un revoir après la mort ; mais nulle part il n’a cherché à approfondir davantage ces divers points. De l’autre vie il se promet, avec Platon, une science de Dieu plus pure et une communion parfaite avec la divinité, sans le trouble des émotions affectant les sens. Mais tel n’est, naturellement, que le bénéfice des âmes purifiées parla vertu et par la piété ; celles-ci d’hommes passent héros, et de héros démons ou génies ; quelques-unes s’élèvent même jusqu’à la dignité de dieux, comme Hercule et Bacchus, tandis que d’autres reviennent tôt ou tard se loger dans des corps humains. Suivant une idée très répandues dont on faisait remonter l’origine à Pythagore et jusqu’à Orphée, Plutarque aussi croyait que les âmes vont, immédiatement après la mort, séjourner entre la terre et la lune, que celles des méchants y trouvent leur châtiment, tandis que celles des justes s’élèvent jusqu’à la lune même, pour y mener la vie des bienheureux en contemplation du monde, et que d’autres encore redescendent à terre. Mais, dans le cours de certaines périodes de longue durée, il faut que toutes les âmes rentrent dans un corps, comme l’avait déjà admis Platon. Un platonisme encore plus expansif et plus fortement empreint de mysticisme que celui de Plutarque, c’est le platonisme d’Apulée[30], pour lequel la grande influence de la croyance aux démons sur l’idée que lui-même avait conçue du monde en général, est surtout très caractéristique. Ces démons ou génies sont des êtres mitoyens, des intermédiaires entre le monde terrestre et le monde supérieur, et à cette classe d’êtres appartient aussi l’âme humaine, tant durant son séjour sur la terre qu’après sa séparation du corps, bien que les démons venant ainsi s’héberger dans un corps soient d’espèce inférieure. L’autre idée, que les âmes des bons et des justes conservent, après la mort, une action sur la terre, comme génies tutélaires, tandis que celles des méchants sont condamnées à errer sans répit comme des larves, impuissantes à effrayer les bons, mais funestes aux méchants qu’elles terrifient, se confond entièrement avec les croyances populaires des Romains.

Les idées de Pausanias se rapprochent aussi beaucoup du platonisme. Il croit, d’après ce qu’il avait pu apprendre, que l’affirmation de l’immortalité de l’âme s’était d’abord produite chez les Chaldéens et les peuples de l’Inde, qu’avaient suivis dans cette voie les Grecs et surtout Platon. A part sa croyance aux démons, on voit que lui-même ne doutait pas de cette immortalité, par un passage où il dit que le temps est passé où des hommes parvenaient à s’élever au rang des dieux, comme jadis Hercule ; Amphiaraüs, ou les Dioscures, et que le courroux des dieux ne frappe plus, comme autrefois, sur-le-champ le malfaiteur, mais attend que l’âme de celui-ci ait quitté la terre[31].

Si nous sommes indubitablement fondés à admettre que toutes les formes, ici passées en revue, de la croyance positive à l’immortalité de l’âme, comptaient, parmi les classés instruites du monde romain, dans les premiers siècles de notre ère, un grand nombre d’adhérents et de partisans, dont elles satisfaisaient les désirs, nous n’avons cependant, comme il a déjà été dit plus haut, aucun moyen de déterminer, d’aucune façon, le rapport existant entre ce nombre et celui des incrédules, pour aucune partie de cette période. Mais ce qui est incontestable, comme on voit, c’est que précisément aussi dans les cercles des personnes ayant reçu une éducation philosophique, ou du moins subi l’influence d’une éducation pareille, le doute, l’indifférence, la négation, étaient contrebalancés non seulement par une croyance ferme, répondant à un profond besoin, mais même par de vives aspirations à une vie plus haute, et rien ne nous autorise à l’affirmation que le nombre des incrédules fût, même dans ces cercles, supérieur à celui des croyants.

Parmi les témoignages de la foi à l’immortalité et de l’espoir d’une vie supérieure de l’âme, se rangent aussi nombre d’images figurées sur des urnes et des autels dépendant de tombeaux, sur des sarcophages et d’autres monuments funèbres, dont ceux qui sont pourvus d’ornements d’une certaine valeur artistique ne devaient avoir été, le plus souvent, qu’à la portée de personnes favorisées des avantages de la fortune et, par conséquent, en général aussi d’une instruction supérieure. Il est vrai que le langage de ces images et figures n’est pas toujours intelligible, la production artistique du temps, qui généralement s’appliquait à satisfaire aux besoins nouveaux, en fait d’art, en empruntant au stock immense des œuvres d’ancienne création encore existantes, ayant souvent aussi, dans ces cas, fait servir des figures anciennes à la représentation de sujets nouveaux. A la catégorie des œuvres d’ancienne création appartient la grande masse des scènes mythologiques, riches en figures, qui ornent les parties du devant des sarcophages. Autant que l’on peut en juger d’après le travail de ces ornements, ceux-ci datent presque tous de la période du deuxième siècle au quatrième et n’ont souvent, peut-être, même généralement, pas été fournis sur commande, mais exécutés pour l’assortiment offert, dans les magasins, au choix des acheteurs, c’est-à-dire évidemment dans le sens le plus conforme aux demandes de la grande majorité de ceux-ci et aux besoins ordinaires. Si, dans ces ornementai le rapport des mythes représentés avec la mort, l’immortalité et la vie d’outre-tombe est souvent difficile à saisir ou peu clair, et s’il se peut même qu’en effet on n’eût quelquefois pas d’autre but, en adoptant ces ornements, que de flatter l’œil et de remplir de grands espaces vides, avec des images selon le goût de tout le monde, il ne peut y avoir cependant, pour une grande partie des sujets, aucun doute sur le sens dans lequel ils ont été choisis, pour orner ces sarcophages de pierre[32]. Ici, les figures du mythe servent en quelque sorte de types poétiques, pour symboliser des idées abstraites, et règne également encore la tendance de l’art et de la poésie helléniques à transfigurer l’existence humaine, en l’élevant aux hautes régions de l’idéal. Les figures offrant directement une image de la réunion et de la séparation de l’âme et du corps, comme dans la fable de Prométhée, étaient rares. Ordinairement, le passage à une autre vie et la félicité ou la désolation de cette vie postérieure étaient symbolisés par les destinées des dieux et des héros. On aimait particulièrement choisir, pour l’ornement des sarcophages, l’enlèvement de Proserpine, transportée dans le royaume des ombres, et son retour dans le monde de la lumière, ainsi que la mort d’Adonis, également suivie d’une résurrection. Peut-être l’enlèvement des filles de Leucippe par les Dioscures, avec la faveur qui en résulta pour elles d’être admises au bénéfice d’une vie supérieure, avait-il une signification semblable. Les histoires d’Alceste et d’Admète, de Protésilas et de Laodamie font allusion à l’espoir de revoir ceux dont on a été séparé par la mort, ainsi qu’à l’amour conjugal persistant au-delà de la tombe. Hercule, ce héros qui, à force de lutter, se délivre des infirmités de la condition mortelle et parvient même à triompher des puissances de l’enfer, apparaît, dans ses combats et dans ses travaux, comme un vrai dompteur de la mort. Achille à Scyros, qui préféra une vie courte et belle à une vie de longue durée, mais vide d’exploits, et qui, en récompense de cette option, fut transporté aux Champs Élysées, doit, à ce qu’il paraît, personnifier la garantie des récompenses qui attendent la vertu, tandis que les histoires d’Actéon, de Marsyas, de Clytemnestre et de la guerre des géants rappelaient peut-être les châtiments réservés au crime. Il est facile de reconnaître l’allusion aux joies des bienheureux dans la représentation, tout particulièrement affectionnée, des réunions joyeuses, des danses et des fêtes de l’essaim qui forme le cortège de Bacchus, cette masse bigarrée et confuse de bacchantes, de ménades, de satyres, de pans et de centaures, dont l’exubérance de vie, dans les images ornant les sarcophages et les urnes, a raison de la mort elle-même, les cendres renfermées dans ces réduits silencieux semblant encore prendre leur part des plaisirs de la vie, suivant l’expression de Gœthe. Le dieu lui-même, par sa résurrection de la mort, garantissait aussi, d’après la doctrine d’Orphée, l’immortalité aux croyants initiés à ses mystères[33]. Ariane, élevée par lui au ciel, était regardée comme un éclatant exemple de l’âme affranchie de la condition mortelle et mise à l’abri dans un monde supérieur, et les jubilations, les transports d’allégresse du cercle bachique ; formaient, on l’a déjà dit, le symbole du bonheur que l’on espérait, trouver dans l’autre monde. Les troupes et chœurs de néréides et de dieux marins, se berçant sur les vagues de l’Océan, ainsi que les jeux folâtres des Amours, sembleraient aussi faire allusion à l’état des bienheureux. Des deux côtés de la voie Latine, près de Rome, ont été découverts, en 1857 et 1858, deux mausolées considérables à deux étages, se faisant face et appartenant à la seconde moitié du deuxième siècle de notre ère. La voûte de la chambre principale de l’étage inférieur de l’un, qui contenait trois sarcophages, est richement ornée de reliefs en stuc. Un médaillon, placé au milieu, montre l’âme du défunt, représentée par une figure voilée qu’un vieillard élève vers le ciel ; il est entouré de 24 autres médaillons avec des bacchantes et des néréides, ainsi que d’Amours, sur de petits panneaux carrés[34].

Bien que la question de savoir si, même dans la petite minorité des hommes instruits, la croyance à l’immortalité de l’âme comptait plus d’adversaires que de partisans convaincus, doive rester indécise, il n’est pas douteux que, dans les masses, une immense majorité resta, pour le fond, à toutes les époques, fermement attachée aux idées que l’on s’était faites de la vie persistante des âmes au-delà de la tombe, et cela malgré toutes les modifications que ces idées, propagées par la tradition de siècle en siècle, depuis la plus haute antiquité, avaient subies dans le cours des temps. La croyance de l’homme à la persistance de sa durée se fonde sur un des instincts et des besoins les plus impérieux et les plus universellement répandus de l’âme humaine. C’est ce que confirme l’étude de la condition de tous les peuples vivant à l’état de nature, ainsi que celle du développement de la culture des plus anciens peuples civilisés, bien qu’il n’y ait pas là non plus manque d’exceptions.

Cette croyance remonte, chez les peuples indo-germaniques notamment, bien au-delà des commencements de toute tradition. La croyance à l’immortalité de l’âme est aussi conforme aux aspirations de la nature humaine que la croyance à l’action dominante d’êtres d’un ordre supérieur ; elle dérive du frissonnement que nous éprouvons à l’idée du néant, dont nous menace la destruction. Le soin de notre propre conservation se porte ici, instinctivement, au-delà du terme indiqué par la mort. L’homme, dans le réveil de sa conscience, cherche dans ce qui est au delà ; l’explication des énigmes de la vie, une consolation pour se dédommager des souffrances et des déceptions d’ici-bas : il arbore sur sa tombe encore le guidon de l’espérance. La réflexion, qui mène au doute et à la négation, ne saurait être que l’attribut d’une minorité. L’aspiration au néant qui remplit, depuis tant de siècles, des millions d’âmes en Asie, phénomène qui ne semble pas encore suffisamment expliqué, est, dans tous les casa. un produit de facteurs exclusivement propres à la nature, à la culture et aux autres particularités de l’état de cette partie du monde.

Dans les derniers siècles de l’antiquité gréco-romaine comme dans tous les temps, des courants matérialistes ont certes aussi, çà et là, pénétré jusque dans les masses ; mais, qu’ils s’y soient jamais répandus et y aient porté un préjudice considérable à la foi positive, c’est ce que l’on ne saurait admettre, ni d’après l’analogie d’expériences semblables, dans les temps modernes, ni d’après le témoignage des épitaphes matérialistes, relativement peu nombreuses,, qui se sont conservées sur les tombes de personnes des classes inférieures. Contrairement à ces inscriptions, d’autres expriment, d’ailleurs, une ferme confiance dans la durée persistante de la vie de l’âme, après la mort, et dans un revoir après la séparation qu’elle cause, comme par exemple cette, épitaphe du tombeau commun d’un couple séparé par le prédécès de la femme : J’attends mon mari[35]. De nombreux témoignages, qui ne peuvent être mis en doute, confirment notamment le fait que la croyance populaire, dans la généralité et jusqu’aux dernières limités des pays sur lesquels s’étendit le domaine de la civilisation gréco-latine, continuait à être déterminée par les idées, sur l’autre monde, qui avaient cours depuis les temps les plus reculés de l’antiquité grecque et romaine, mais qui, s’étant fusionnées diversement dans le cours des siècles, subirent, de plus en plus, avec la progression du temps, l’influence d’un alliage de vues orientales.

Des auteurs latins ont, il est vrai, assuré à diverses époques que personne ne croyait plus aux vieilles fables sur lesquelles reposait la notion populaire de l’enfer. Il n’est pas, dit Cicéron[36], de vieille femme ayant la tête assez faible pour s’effrayer des régions profondes du Tartare, baignées par l’Achéron, et du pale royaume de la mort, enveloppé de ténèbres. Personne, dit Sénèque (Lettres, 24, 18), n’est assez enfant pour avoir peur de Cerbère, des ténèbres de l’enfer et de ses fantômes de squelettes. Il n’y a que les tout petits enfants, ceux qui, en raison de leur bas âge, sont reçus dans les bains sans payer d’entrée, dit Juvénal[37], auxquels on puisse encore faire croire qu’il existe des mânes, un empire souterrain et un Cocyte, que des grenouilles noires infestent le gouffre du Styx, et que les milliers d’ombres le franchissent dans une barque. Il est positivement vrai que les idées grecques, en ce qui concerne l’enfer auxquelles s’appliquent principalement ces passages, étaient moins répandues en Italie et dans les pays d’Occident en général, bien que là aussi, comme l’influence de la lecture des poètes dans toutes les écoles, ainsi que celle des théâtres et des beaux-arts, favorisait continuellement, de mille manières, la propagation de ces idées, celle-ci ait dû faire des progrès dont les auteurs que nous venons de citer n’ont, sans doute, pas assez tenu compte. Juvénal ne pouvait, sérieusement, s’aviser de nier le fait persistant de la croyance populaire aux mânes, chez les Romains, et il n’a probablement entendu désigner, comme entièrement abandonnés, que les éléments parlant aux sens de l’idée grossière que l’on s’en était faite ; mais, même en cela, il se trompait grandement. De même les gens éclairés n’ont été, dans tous les temps, que trop portés à regarder les idées dominantes du milieu social dans lequel ils vivent, comme les seules raisonnablement possibles et partant comme universellement admises. Mais Juvénal surtout était moins que tout autre en position de songer à nier la croyance à l’immortalité de l’âme en général ; car personne ne contestera qu’il devait en savoir au moins autant que nous, sur les différentes manières de voir des hommes instruits de son temps.

Nous sommes, d’ailleurs, en état de prouver qu’une au moins de ces fables grecques, dont se moquait Juvénal, était alors très répandue dans le peuple, et que celui-ci continua d’y croire fermement plus tard encore, même dans les pays d’Occident. Nous voulons parler de la fable de l’affreux nocher du gouffre boueux, comme l’appelle le même Juvénal, dans un autre vers (III, 265), de Caron, auquel le mort est obligé de présenter son ‘obole avec la bouche, pour payer le passage. La croyance générale du peuple, dans les pays de langue grecque, à l’existence réelle du conducteur de la barque des morts, est expressément attestée par Lucien, qui dit à ce sujet : La multitude est tellement préoccupée de cette idée que, lorsqu’un homme du peuple meurt, les siens n’ont rien de plus pressé que de lui mettre dans la bouche une obole, pour payer le passage au nocher, sans demander quelle monnaie a cours aux enfers[38], etc. On retrouve encore aujourd’hui cet usage en Grèce[39], où Caron lui-même vit encore dans la croyance et dans les chants du peuple, quoique transformé, sous le nom de Carontas ou Caros, maussade vieillard qui tantôt fond sur sa victime comme un oiseau noir, tantôt conduit les trépassés, métamorphosé lui-même en cavalier, dans l’empire de la mort, au vol à travers les airs[40]. Combien devait être répandue et profondément enracinée une croyance qui a fait preuve d’une aussi indestructible vitalité, bien que, depuis mille cinq cents ans, toutes les conditions de durée semblent lui faire défaut ! Elle s’est aussi répandue de bonne heure en Italie. On a trouvé des squelettes avec des pièces de monnaie dans la bouche, aussi bien dans les tombeaux de Préneste, de la période du milieu du quatrième, siècle au milieu du deuxième avant Jésus-Christ, que dans des tombeaux romains des premiers temps de l’empire ; de même, dans des tombeaux des provinces rhénanes, de l’époque moyenne ainsi que de la fin de l’empire, et en Occident aussi, cet usage s’est conservé, pour le moins jusqu’au moyen âge[41].

Or, s’il ne saurait être douteux qu’une chose qui, d’après Juvénal, n’aurait été crue que des petits enfants, l’était, par le fait, de tant de milliers d’hommes, dans tout l’empire romain, il paraît tout aussi difficile de douter de la persistance et de la propagation des autres idées du populaire sur l’enfer. Aux assurances du contraire dans Cicéron, Sénèque et Juvénal, on peut opposer l’assurance tout aussi positive de Lucien, qui reconnaît le fait. Il dit que la grande masse des gens du commun se représentait l’autre monde absolument comme les poètes l’avaient décrit[42]. Ils y voyaient un immense et ténébreux empire des morts, gouverné par Pluton et Proserpine, avec le Cocyte et le Pyriphlégéthon, le lac Achéruse, la porte diamantée que garde Éaque avec Cerbère, la prairie d’Asphodèle avec le fleuve Léthé, les juges des morts, qui envoient les bons aux Champs Élysées et livrent les méchants aux furies, pour subir de leur part toute sorte de tortures, pendant que les ombres si nombreuses de ceux qui n’étaient ni bons ni méchants, errent dans la prairie d’Asphodèle et se nourrissent d’offrandes déposées sur les tombeaux et de sacrifices offerts aux morts. Plutarque dit[43] que ceux qui avaient peler des morsures de Cerbère et du tonneau des Danaïdes, cherchaient à s’en garantir par des consécrations et des lustrations, croyant pouvoir s’assurer ainsi la faveur d’être admis à continuer de vivre, en enfer, dans un endroit bien éclairé et un air pur, au milieu de folâtreries et de danses. Il pensait, il est vrai, que le nombre des gens ajoutant foi à ces contes de nourrice ne devait pas être très grand ; mais, naturellement, son estimation était tout aussi subjective et avait été déterminée par des impressions fortuites, tout autant que celle de Lucien, auquel le nombre des croyants paraissait être très grand, au contraire, de sorte qu’à cet égard on peut se fier aux données de l’un tout aussi peu qu’à celles de l’autre. Cependant, il serait difficile d’admettre la supposition que les idées de la multitude, sur la vie après le décès, fussent plus épurées que ne l’étaient celles d’un homme comme Aristide, lequel semblerait pourtant aussi avoir cru que les personnes non initiées aux mystères d’Éleusis resteraient, en enfer, plongées dans la boue et les ténèbres[44]. Dans son traité de la superstition, Plutarque range parmi les fantasmagories de celle-ci l’image que l’on se fait des portes d’entrée profondes de l’enfer, des flammes que roule le Styx et de ses cataractes abruptes, de ténèbres remplies de spectres, où apparaissent d’épouvantables fantômes et d’où s’échappent des sons lamentables, de juges et de bourreaux, de gouffres et d’abîmes, recelant mille tortures, en un mot, toutes les idées de l’espèce[45] ; et le fait qu’il regardait lui-même la superstition comme un fléau très répandu, résulte, comme on l’a vu, de son ardeur même à la combattre.

Que beaucoup d’idées grecques, sinon la plupart, avaient passé aussi dans la foi populaire de l’Occident, c’est ce qu’il est, comme on l’a déjà dit, permis de supposer, notamment eu égard à l’influence exercée par les poètes latins sur l’école. Depuis Ennius, les descriptions détaillées des enfers avaient formé un thème favori des poètes épiques, et celle qu’en fit Virgile surtout n’aura pas manqué, sans doute, d’exercer une influence directe et indirecte sur les idées d’une multitude innombrable. Avec le temps, des éléments orientaux, judaïques et chrétiens vinrent aussi, par-ci par-là, se mêler à la foi populaire. Peut-être déjà Lucain et Stace ont-ils admis, dans leur description des enfers, le Belzébuth de la bible, tous les deux parlant d’un chef des dieux infernaux qui, se tenant dans le plus profond des abîmes du Tartare, domine sur toutes les autres puissances de l’enfer[46]. Un caveau païen, près de Rome, qui semblerait avoir été établi par des adorateurs du Mithras de la Perse et par des initiés à ses mystères, offre un exemple authentique très remarquable de cette alliance d’idées grecques et orientales. On y voit diverses peintures représentant, d’abord, l’enlèvement et la descente aux enfers de Vibie, aux termes de l’inscription, opérés par Pluton, dont Mercure conduit le quadrige ; puis le messager des dieux, Mercure, amène Vibie devant le tribunal du dieu de l’enfer (DISPATER) et de son épouse (ABRACVRA) ; Vibie est conduite par Alceste, qui figure ici comme la protectrice des épouses fidèles et un des prototypes de la palingénésie ; à la droite se tiennent les divinités qui président au destin, trois figures, dont une masculine et deux féminines (FATA DIVINA). Un troisième tableau montre l’introduction de Vibie par le bon ange (BONUS ANGELUS) auprès des bienheureux ; dont elle doit partager les joies. Six personnes d’âges et de sexes différents participent, couchées, à un repas ; au-dessus de l’une il y a le nom de Vibie ; en tête du tableau ceux qui ont passé au jugement des bons ; enfin, l’on voit encore un repas auquel prennent part sept hommes, dont trois portent des bonnets phrygiens, avec la suscription : les sept prêtres pieux[47].

Il n’est même pas besoin de ce témoignage et d’autres semblables pour mettre en évidence que l’idée d’une existence plus ou moins matérielle des décédés, telle que la supposent les anciennes fables, conservées par la tradition depuis un temps immémorial, était aussi répandue dans les masses que ces fables mêmes. L’immense majorité des hommes devaient être alors, encore moins qu’aujourd’hui, susceptibles de s’approprier la faculté d’abstraction qu’il faut pour s’élever à l’idée d’une vie purement spirituelle. Dans chacune de ses tentatives de se faire une image de l’inconnu de ce genre d’existence, l’imagination, abandonnée à elle-même, était et est encore obligée, sans en avoir la conscience et malgré elle, de travailler avec des couleurs et des formes empruntées à la vie que nous connaissons, et ses images les plus délicates et les plus éthérées sont tout aussi peu incorporelles que les plus communes et les plus grossières. Il est dans la nature des choses que ces dernières seules pouvaient être comprises et retenues par la multitude. Il nous est d’autant moins possible de douter de l’assurance de Lucien que, dans la croyance d’un grand nombre, les morts se nourrissaient réellement des dons, des sacrifices et des repas qui leur étaient offerts par les survivants ; d’autant moins que nombre de personnes faisaient brûler ou enfouir, avec leurs restes mortels ; des ustensiles, des vêtements et des bijoux, dans l’idée qu’elles pourraient en avoir besoin ; ou en tirer utilement parti, dans la vie de l’autre monde[48].

Effectivement, une grande partie des objets de la vie domestique conservés dans nos musées, proviennent des tombeaux dans lesquels on joignait, à la dépouille mortelle du guerrier, ses armes, à celles de l’artisan et de l’artiste, leurs outils, comme à celle de là femme ses objets de toilette, et à celle de l’enfant ses jouets[49]. Dans Lucien, un veuf raconte qu’il a témoigné de son amour pour sa femme défunte, non seulement du vivant, mais également à la mort de celle-ci, en faisant briller avec son corps toutes ses parures et toute sa garde-robe ; qu’elle lui apparut néanmoins le septième jour, pendant qu’il lisait le Phédon de Platon, pour se plaindre de l’oubli d’une de ses sandales dorées, et qu’elle désigna la place où on la trouverait, sous une armoire. On l’y trouva, en effet, et l’on se hâta de la brûler subsidiairement, selon le vœu de la défunte[50]. Les objets à joindre au corps du défunt étaient, on n’en saurait douter, souvent spécifiés dans les dispositions testamentaires. Le testament d’un Romain, qui avait ses propriétés aux environs de la ville actuelle de Langres, des premiers temps de l’empire, ordonne de brûler avec son corps tous ses ustensiles de chasse et d’oisellerie : ses lances, dagues, couteaux, filets, lacets, cabanons d’oiseaux (?), provisions de glu, tentes de chasse, etc., ainsi que ses litières et chaises à porteurs, une barque faite de joncs tressés, tout ce qui resterait d’habillements, en tissus brodés et brochés de diverses couleurs, dans sa garde-robe, enfin toutes les chaises (?) de cornes d’élan[51]. Le même testament ordonne en outre la plantation, auprès du tombeau, de vergers dont l’entretien devait être confié aux soins permanents de trois jardiniers et de leurs apprentis. On aimait particulièrement à établir des jardins, des vignobles et des parcs dans le voisinage des tombes, afin de procurer aux âmes des décédés la facilité de mieux jouir de la belle nature[52]. Il y a lieu de croire que maintes de ces dispositions testamentaires parvenues jusqu’à nous, relatives à l’ornement et au culte des tombeaux, ont été faites dans une pensée attribuant encore aux défunts de l’intérêt pour les plaisirs et les jouissances de ce monde, très souvent, certes, sous l’empire de la croyance à une vie matérielle persistante chez les défunts, notamment près de leurs tombes.

Sous l’empire d’idées aussi sensuelles, la manière dont on concevait les récompenses et les châtiments de l’autre Inonde ne pouvait, naturellement, manquer de présenter le même caractère de sensualité, tant dans les images, parlant aux yeux, de la sculpture et de la peinture que dans les tableaux des poètes, de Virgile surtout, dont la description de l’enfer a certainement exercé, sur les idées du monde romain postérieur, une bien plus grande influence que plus tard celle de Dante, au moyen âge. Naturellement aussi les images de l’autre vie prenaient, dans l’imagination des hommes, selon l’individualité, le sentiment et l’instruction d’un chacun, un caractère plus ou moins délicat ou grossier, noble ou commun, sublime ou abject. Plutarque, qui méprisait comme des contes de nourrice les idées que l’on se faisait, dans le peuple, des souffrances des âmes après la mort, en a fait lui-même une peinture digne de Breughel[53]. Sa description de l’autre monde se fondait, à l’instar d’un précédent fourni par Platon, sur la déposition d’un mort rappelé à la vie, au temps de Vespasien, d’un certain Thespesius de Soles en Cilicie, dont l’âme est censée avoir gardé le souvenir des impressions reçues durant sa séparation du corps. Les peines encourues sont de trois degrés. Les plus douces sont celles des malfaiteurs qui ont déjà subi une expiation sur la terre. Mais quiconque sort d’ici-bas sans avoir été puni, ni purifié, est tourmenté jusqu’à l’extirpation de toute passion de son âme, à force de douleurs et de tortures qui surpassent les souffrances de la chair en violence et en véhémence, autant que la réalité surpasse le rêvé en netteté. Les passions laissent comme trace des cicatrices et des meurtrissures qui persistent plus ou moins longtemps, selon la personne des châtiés ; aussi les âmes portent-elles diverses couleurs : ainsi la couleur rouge de sang trahit la cruauté ; la teinte bleuâtre, des âmes, dont on a extirpé les penchants voluptueux, etc. La couleur indique aussi le terme de la purification et de la punition : quand les âmes sont purifiées et décolorées, elles prennent toutes une teinte uniforme et brillent du même éclat. Dans le lieu où sont infligés les châtiments les plus graves, les échos d’alentour retentissent des hurlements de douleur des âmes, qui y souffrent les plus horribles torturés. Le narrateur voit l’âme de son père, couverte de marqués et de cicatrices, sortir d’un gouffre et étendre les mains vers son fils, pendant que les bourreaux, chargés de le torturer, l’entraînent pour lui faire subir de nouveaux châtiments, en expiation d’un empoisonnement dont il s’était rendu coupable, mais qui n’avait pas été découvert de son vivant. Il voit des âmes, entrelacées comme un nœud de serpents, se dévorer entre elles. De plus, il y a là trois lacs, un d’or en fusion, un autre de plomb refroidi et un troisième de fer brut. Des démons, ressemblant à des forgerons, y plongent, à l’aide d’instruments, les âmes des pécheurs par avarice et cupidité, et les en retirent de même. Après avoir été chauffées au rouge jusqu’à la transparence dans le lac d’or, elles prennent la rigidité et la dureté de grêlons dans le lac de plomb, puis noircissent et sèchent dans le lac de fer, de manière à revêtir, après avoir été bien concassées et écrasées, des formes nouvelles, pour être finalement trempées encore une fois dans le lac d’or. Pendant toutes ces métamorphoses, elles sont condamnées à souffrir toute sorte de tourments sans nom. Souvent aussi, telles qui se croyaient déjà libérées du châtiment sont emmenées, pour être soumises à de nouvelles tortures, sur la plainte des âmes de leurs descendants, qui leur reprochent d’avoir eu à souffrir eux-mêmes, dans la vie, en expiation des crimes de leurs ascendants. A la fin, il voit également les âmes de ceux qui, enfermés dans les corps d’animaux, desquels ils doivent renaître, subissent de la main des agents de torture du lieu, munis d’instruments’ à cet effet, une transformation violente. Parmi celles-ci se trouve aussi l’âme de Néron, dont un des supplices consiste à être percé d’une multitude de clous chauffés au rouge. Son âme avait été, d’abord, condamnée à vivre dans un corps de vipère, mais, sur le commandement d’une voix retentissante qui se fit entendre soudain, accompagnée du vif éclat d’une puissante lumière, on lui assigna, pour demeure le corps d’un animal inoffensif, qui vit et chante au bord des marais et des lacs, peut-être d’une grenouille : car les dieux né devaient-ils pas aussi une récompense à Néron, pour avoir rendu la liberté aux Grecs, qui étaient à la fois les meilleurs de ses sujets et le peuple le plus chéri des dieux de l’empire ?

Il est difficile de déterminer quelles sont, dans cette vision, les peines que l’on doit se représenter comme éternelles. Il est certain, toutefois, que la croyance à des peines éternelles existait, à côté de celle à des punitions temporaires, visant à la purification[54]. La première dérivait d’ailleurs, presque nécessairement, de la croyance à une félicité éternelle, que les masses n’envisageaient, du reste, probablement aussi qu’à travers le prisme d’un sensualisme plus ou moins grossier. Il n’est pas douteux que notamment l’idée de festins continuels et d’orgies incessantes, réservés aux bienheureux dans l’autre monde, a été très répandue dans tous les temps. Platon n’avait-il pas lui-même déjà plaisanté sur l’éternelle ivresse, que la doctrine d’Orphée promettait aux gens vertueux, promesse que bien des gens avaient dû, certainement, prendre à la lettre ? On peut également admettre avec certitude que l’on devait rencontrer dans le monde païen, pendant les premiers siècles qui suivirent la naissance du Christ, des courants d’idées semblables à celles qui régnaient parmi les juifs et les chiliastes chrétiens, attendant, selon saint Jérôme et saint Augustin, du règne millénaire, indépendamment du bonheur de la possession de belles femmes, accompagné de la bénédiction d’une nombreuse postérité d’enfants, la profusion de toutes choses, mais surtout des ripailles, avec une multitude et une variété de mets et de boissons dépassant toutes les bornes de la tempérance et allant au-delà de tout ce qui est imaginable[55]. A ces idées vulgaires de la félicité dans l’autre monde, en répondaient de tout aussi vulgaires sur la possibilité de la gagner par des cérémonies religieuses, notamment par l’initiation à des mystères, regardée comme un moyen de se faire admettre en grâce, ainsi qu’il appert du témoignage de Plutarque et d’Aristide. Parmi les promesses des mystères égyptiens, si répandus dans les derniers temps de l’antiquité, figurait, par exemple, le soulagement par l’eau fraîche, aux enfers. Dans plusieurs épitaphes grecques et latines, on implore d’Osiris, ou bien de Pluton (Aïdoneus), roi des enfers, cette grâce pour le défunt[56]. Cela rappelle la prière adressée, dans des épitaphes chrétiennes, non pas seulement au Christ, mais aussi à des martyrs, de pourvoir de rafraîchissements les âmes décédées[57].

Après tout ce qui a été dit, il n’est plus besoin de preuve pour établir combien était répandue, dans les derniers temps de l’antiquité aussi, la croyance à l’immortalité de l’âme. Cela résulte déjà suffisamment, d’ailleurs, d’un autre. fait non encore pris, en considération, de la croyance, également très répandue, aux apparitions d’esprits, c’est-à-dire aux revenants, soit à une communication intime des esprits des morts avec le monde des vivants, ou à une influence constante des premiers sur le dernier. Cette croyance, qui remonte à la plus haute antiquité chez les Romains comme chez les Grecs, ne s’est pourtant pas développée tout à fait de la même manière chez les deux peuples. Tandis que, notamment chez les Romains, l’idée antique, fermement établie et généralement répandue, d’après laquelle les bons génies des décédés se comportaient comme les génies tutélaires (Lares) des vivants, avait trouvé son expression dans le culte, et était continuellement alimentée et corroborée par celui-ci[58], il n’en est pas de même chez les Grecs. Ce n’est pas qu’elle n’eût également surgi dans la poésie grecque des plus anciens temps : ainsi Hésiode dit bien que les âmes des hommes de l’âge d’or, devenues après l’écoulement de cet âge de bons génies, parcourent, enveloppés de brume, toute la terre en qualité de gardiens des hommes mortels, y veillent au respect du droit et à la répression de l’injustice et dispensent la richesse ; mais on voit ensuite cette idée se perdre, jusqu’à l’époque où le platonisme ultérieur la ressaisit pour la fondre avec sa démonologie[59]. La croyance aux esprits des méchants, qualifiés de larves ou lémures, tourmentés, eux-mêmes et tourmentant les hommes[60] par leurs apparitions sinistres, qui répondait chez les Romains, par suite d’une corrélation nécessaire, à leur croyance aux esprits des bons, fonctionnant comme des lares tutélaires, n’avait pas pris non plus, chez les Grecs, le caractère d’une foi populaire aussi générale et facile à déterminer, ni aussi fermement assise. Mais, sous d’autres rapports, il y a concordance parfaite dans la croyance aux esprits, chez les deux peuples. Chez tous les deux, elle s’attachait principalement aux esprits des hommes ayant péri de mort violente, et dont la colère implacable s’acharne à poursuivre et à perdre même des innocents[61], ainsi qu’aux esprits des morts privés de sépulture. Même si du reste, comme il est probable, la croyance aux esprits des Romains et celle des Grecs ont dû arriver, dans les siècles postérieurs, à un certain nivellement, par suite de leurs échanges d’idées, là seconde n’en manquait pas moins du ferme soutien, de la forme et de la direction bien déterminées que la première recevait d’un culte public, même abstraction faite de la vénération pour les Lares. Ce qui entretenait et fortifiait, dans la foi populaire des Romains, l’idée d’un commerce incessant entre le monde souterrain et le monde supérieur, c’était notamment l’ouverture du mundus, c’est-à-dire de la fosse profonde, consacrée dans chaque ville aux dieux et aux esprits du premier, dans lesquels on révérait en même temps les dieux de l’ensemencement, à trois jours différents de l’année (le 24 août, le 5 octobre et le 8 novembre), où ces troupes d’esprits silencieux jouissaient d’une liberté d’entrée et de sortie pleine et entière ; puis la fête du 21 février en l’honneur des Mânes en général (Feralia) et, dans la semaine, précédente (du 13 au 20), celle des Parentales, dont l’inobservance avait eu, d’après la légende, une fois pour conséquence une grande mortalité ; enfin, les pratiques par lesquelles on s’appliquait à apaiser et à réconcilier les spectres e émoi, dans les trois nuits des Lémuries, le 9, le 11 et le 13 mai[62].

Non seulement l’intimité de la corrélation mutuelle entre la croyance à l’immortalité de l’âme et la croyance aux esprits, mais aussi la tendance de la seconde à fortifier et affermir la première se comprend sans qu’il y ait besoin d’aucune explication, tout aussi bien que la conviction portée par des apparitions dans l’âme des sceptiques et la bonne volonté de croire de ceux-ci, quand ils étaient prêts à se laisser ainsi convaincre. Un monument érigé, après une vision, par un certain T. Claude Panopte et sa femme Charmosyne, à leurs deux filles défuntes porte cette inscription : Vous qui lisez ces lignes et doutez encore qu’il existe des mânes, portez-nous un défi, sous la foi d’un engagement pris, c’est-à-dire obligeant à payer celui qui aura été convaincu d’erreur, et vous arriverez à reconnaître ce qui en est[63]. Même dans les cercles du monde instruit, la croyance aux esprits était souvent unie à celle de l’immortalité de l’âme. Il est vrai que, dans ce monde, non seulement tous ceux qui étaient imbus d’opinions épicuriennes et matérialistes, ou y inclinaient, se moquaient des déambulations nocturnes des lémures, aussi bien que des songes, des miracles, des sorcières et de la magie, et prétendaient qu’il a y avait que des femmes, des enfants et des malades en délire qui eussent jamais vu des spectres[64] ; mais une grande partie aussi de ceux qui avaient la foi de l’immortalité se tenaient dans la réserve du doute à l’égard des apparitions d’esprits, ou refusaient d’y croire, comme par exemple Sénèque.

Cependant, il n’est nullement certain, depuis le deuxième siècle surtout, que ces divers sceptiques fussent en majorité, même dans les cercles familiarisés avec les doctrines philosophiques. La société d’Eucrate, que Lucien met en scène dans l’Ami du mensonge, et dans laquelle personne ne doute qu’il n’y ait des démons et des spectres, ni que les âmes des morts n’errent sur la terre et n’apparaissent à quiconque il leur prend fantaisie d’apparaître, se compose, à part un médecin, d’un péripatéticien, d’un stoïcien, d’un platonicien et d’un pythagoricien ayant une auréole de sainteté, sans compter qu’Eucrate lui-même est un homme qui a travaillé la philosophie à fond[65]. Les plus fermes à maintenir la croyance aux esprits étaient les néopythagoriciens et les platoniciens pythagorisant, qui trouvaient dans les apparitions une garantie de vérité, non seulement pour la croyance à l’immortalité de l’âme, mais aussi pour leur démonologie. Le rhéteur philosophant Maxime de Tyr, placé entièrement au point de vue d’un platonisme inclinant déjà au néoplatonisme, et tous ses confrères ayant les mêmes principes, regardent les démons, comprenant aussi les âmes décédées, comme le lien véritable entre le monde des sens et le monde surnaturel[66].

Les âmes devenues démons, dit-il, sont, tout en conservant un triste souvenir de leur vie passée, bienheureuses de leur vie présente. Il en résulte qu’elles s’affligent aussi du sort des âmes sœurs, restées sur la terre, et sont portées, par leurs sentiments philanthropiques, au désir de tenir compagnie à ces dernières, et de les relever quand elles glissent. Les âmes démons tiennent même de la divinité la mission de visiter la terre, et de s’intéresser à toutes les naissances d’enfants, à toutes les destinées humaines, à toutes les pensées des hommes et à toutes leurs actions, ainsi que de venir en aide aux bons, de porter secours à ceux qui souffrent d’injustice, et d’infliger la punition à ceux qui font mal[67]. Il raconte, sans en douter le moins du monde, que les habitants d’Ilion voient souvent Hector, revêtu de ses armes étincelantes, traverser par bonds la campagne, et qu’Achille était souvent apparu aux navigateurs sur la petite île située devant les bouches du Danube, dans la mer Noire, où, héros transfiguré, il avait son sanctuaire : quelques-uns l’y avaient vu courir, sons les traits juvéniles d’un adolescent à cheveux blonds, revêtu d’une armure d’or, d’autres entendu chanter un hymne de combat, d’autres encore l’avaient à la fois vu et entendu. Achille avait même réveillé, conduit dans sa tente et régalé en personne un de ces visionnaires, qui s’était endormi dans l’île ; au festin, Patrocle versait à boire, Achille jouait de la cithare, et Thétis elle-même était présente, avec un chœur de démons[68]. Apulée, pour lequel la démonologie était, comme on l’a déjà fait remarquer, un thème favori, lance, dans l’apologie où il se défend de l’imputation de magie, contre celui qui l’avait faussement accusé de se servir, pour des fins magiques, d’une figure de squelette, l’imprécation suivante : Que, pour ce mensonge, le dieu qui va et vient entre ce monde et l’enfer (Mercure) te fasse encourir la disgrâce des deux cercles de dieux, et rencontrer, partout où tomberont tes regards, des figures de morts et tout ce qu’il y a au monde d’ombres, de lémures, de mânes et de larves ; que les apparitions nocturnes, les. spectres des tombeaux et les terreurs des lieux où des cadavres ont été brûlés, fondent sur toi ![69] Plutarque, dans la dédicace de ses biographies de Dion et de Brutus à Sossius Sénécion, invoque, contre le scepticisme de ceux qui nient les apparitions d’esprits, l’autorité de ceux qui prédirent à ces deux hommes, si philosophes et doués d’une si grande force d’âme, leur mort, du propre aveu de ces derniers. Il rapporte aussi, d’après les assurances d’autrui, et sans paraître en douter aucunement, qu’il y avait eu et que l’on signalait encore des apparitions de spectres dans un établissement de bains, à Chéronée, où un meurtre avait été commis du temps de Lucullus[70]. La croyance aux esprits et aux démons était cependant aussi parfaitement conciliable avec des vues philosophiques autres que celles du platonisme. Le cynique Pérégrinus Protée qui, suivant le rapport de Lucien, s’était jeté dans les flammes en criant : Génies maternels et paternels, recevez-moi en grâce ! avait répandu qu’il était destiné à fonctionner, après sa mort, comme démon gardien de la nuit, et il ne paraissait pas douteux qu’il se trouverait assez de simples pour oser affirmer l’avoir rencontré la nuit, ou prétendre avoir été délivrés par lui de la fièvre[71]. Pline le Jeune, qui avait eu des liaisons étroites avec les stoïciens, Euphrate et Artémidore, et dans les vues duquel prédominait aussi l’influence des doctrines stoïciennes, prie son ami Licinius Sura, consul en 102, de lui faire connaître son opinion sur la question de savoir s’il y a des spectres, s’ils ont une forme qui leur soit propre et la qualité d’êtres surhumains (numen), ou si ce ne sont là que de vains fantômes de notre imagination, auxquels notre peur seule prête une forme[72].

Il croyait lui-même aux revenants et raconte à l’appui, ¢ entre autres, une histoire de fantôme très semblable à celle du pythagoricien Arignote, dans l’Ami du mensonge de Lucien. A Athènes, une grande maison était troublée chaque nuit par une apparition, qui la rendait inhabitable. Le spectre apparaissait sous la forme d’un vieillard amaigri, à longue barbe, les mains et les pieds chargés de chaînes, avec lesquelles il faisait un bruit épouvantable. Enfin un philosophe, du nom d’Athénodore, eut le courage de tenir tête au spectre, qui lui fit des signes jusqu’à ce que le philosophe prît le parti de le suivre, avec une lumière ; arrivé dans la cour, le spectre disparut soudain. Le lendemain, on fit une fouille à la place où on l’avait perdu de vue, et on trouva un squelette enchaîné, après la sépulture régulière duquel les apparitions cessèrent. Pline le Jeune, qui croyait à cette histoire de revenant, sur la foi d’autrui, dit-il, rapporte comme un fait avéré de son vivant, et sur lequel il n’y avait pas l’ombre d’un doute, une autre plus enfantine encore. De même Suétone, l’ami de Pline, raconte, comme de notoriété, qu’avant l’inhumation de Caligula, les gardés des jardins Lamiens, où l’on avait porté son corps, étaient continuellement alarmés par des spectres, et que, dans la maison où ce prince avait expiré, il ne se passait pas de nuit sans des apparitions, jusqu’à ce que la maison fût consumée par un incendie[73]. L’histoire de fantôme dans laquelle Gœthe a pris le sujet de sa Fiancée de Corinthe se trouve parmi les Contes merveilleux de Phlégon de Tralles, affranchi de l’empereur Adrien sous le nom duquel doivent avoir paru aussi des écrits de cet empereur. Phlégon communiqué une lettre, comme il paraît adressée à lui-même, d’un rapporteur de la chose, lequel se trouvant dans une position officielle, à Corinthe, à l’époque où elle s’était passée, avait fait ouvrir le tombeau de la jeune fille qu’elle concerne. D’après son récit, elle aurait, effectivement six mois après sa mort, visité, la nuit, le jeune hôte de ses parents. A la place de son corps, on ne retrouva, comme l’assure du moins l’auteur de la lettre, témoin oculaire, que les cadeaux de cet étranger, une bague en fer et une coupe en vermeil. Il offre d’ailleurs, pour le cas où l’on rapporterait le fait à l’empereur, d’envoyer à Rome des personnes qui en connaissaient tous les détails[74]. Les écrits de Pausanias fournissent encore plus d’exemples de cette large croyance des gens instruits du deuxième siècle aux esprits[75] ; mais quelque robuste que fût sa propre foi à cet égard, elle était encore, si c’est possible, surpassée par la manie de Philostrate et de Dion Cassius de voir partout des spectres. Ce dernier rapporte avec un sérieux parfait, à plusieurs reprises, comment, lors de grands événements tels que, par exemple, la bataille d’Actium et la tentative de Néron d’opérer le percement de l’isthme corinthien, les morts s’étaient levés en masse de leurs tombes[76]. Il raconte qu’en l’an 220 un esprit, qui se disait lui-même Alexandre le Grand, dont il avait d’ailleurs la figure bien connue, les traits et le costume, s’en alla, avec une suite de quatre cents personnes, vécues en bacchantes, du Danube au Bosphore, où il disparut. Nulle part les autorités n’avaient osé l’arrêter ; partout, au contraire, on lui avait fourni le gîte et la nourriture, aux frais du trésor public[77].

De la mention fréquente de charmes avec conjuration d’esprits, on peut aussi conclure à ce que la croyance absolue à ceux-ci avait fait de grands progrès dans les cercles des classes supérieures et instruites. Ces conjurations conduisirent, selon toute apparence, souvent à d’horribles forfaits, le charme devant, à ce que l’on prétendait, agir le plus puissamment avec les âmes de personnes mortes de mort violente, particulièrement avant l’âge ; aussi des homicides des infanticides surtout, n’étaient-ils, notoirement, que trop souvent commis dans ce but[78]. Parmi les empereurs romains, Néron, Caracalla, Didius Julien et Héliogabale ont pratiqué ce genre de magie. De ces deux derniers, Dion rapporte expressément qu’ils faisaient immoler des enfants[79]. Caracalla, qui essaya de toutes les formes de la magie et de la divination, évoqua, pour se délivrer des apparitions de son père et de son frère assassiné, qui le poursuivaient continuellement, entre autres l’esprit du premier et celui de Commode, mais en vain ; avec l’ombre de Septime Sévère, s’était montrée aussi, se disait-on tout bas à Rome, l’ombre de Geta[80]. Néron avait évoqué, pour la même raison, l’esprit de sa mère Agrippine[81]. Il était plus passionnément que personne adonné à la pratique de l’évocation dès esprits, et, comme il ne demandait pas mieux que de faire immoler des victimes, il se peut bien qu’il ait été celui qui sacrifia le plus d’hommes à sa fureur superstitieuse. Le roi des Parthes, Tiridate, venu à Rome en l’an 66, avec une suite de mages, l’initia aux repas magiques et à tous les secrets de la magie[82], dans laquelle Néron avait dû cependant donner auparavant déjà ; car Lucain, mort en 65, n’a évidemment joint l’épisode d’une évocation de morts, accompagnée de tout le luxe d’horreurs imaginable, à son poème épique, que dans l’intention de rendre plus expressive et plus éclatante la condamnation de cette manie de l’empereur, dont il était ennemi déclaré depuis 64 [83]. C’est Sextus, l’indigne fils du grand Pompée, qui, dans la Pharsale, veut apprendre à connaître l’avenir, par le moyen de l’évocation des morts. Dédaignant les prophéties sacrées et les moyens licites, il s’est tourné vers les mystères abominables des mages, ennemis des dieux, et les terreurs de l’enfer : l’omniscience des dieux du ciel ne suffisait pas à ce misérable[84] ! La sorcière Érichtho, qui se rend à son désir, est un monstre dénaturé, fondant sa prétention d’être écoutée par les dieux infernaux sur une multitude de crimes, des plus affreux et des plus monstrueux, commis par elle, et parmi lesquels l’infanticide est expressément désigné[85].

La description de la cérémonie d’évocation même ne produit nullement l’effet d’un récit purement imaginaire. Presque tous les détails peuvent y être vérifiés, point par point, d’après les analogies qu’offrent d’autres descriptions semblables. Que l’esprit ne réponde que si on l’interroge et ne parle pas d’initiative[86], c’est presque de rigueur pour le succès de l’évocation des morts, et le choix, fait par la sorcière, d’un cadavre dont les poumons sont intacts, puisque le mort aurait autrement eu de la peine à parler, ne paraît pas être non plus une invention poétique, mais a plutôt l’air de se rattacher à une doctrine d’exorcistes certainement alors très goûtée des croyants. On comprend aussi l’allégation des exorcistes qu’il leur serait plus facile de ranimer les corps de personnes mortes depuis peu. L’évocation d’esprits depuis longtemps décédés ne devait, sans doute, bien réussir que sans témoins. Ainsi, le savant alexandrin Apion avait cité l’ombre d’Homère, pour apprendre de lui dans laquelle des sept villes qui se disputaient l’honneur de l’avoir vu naître, il était né véritablement ; par malheur l’ombre ne lui permit pas de communiquer la réponse qu’elle lui avait faite[87], peut-être par la même raison que l’esprit de Protésilas, dans Philostrate : puisqu’il y aurait à craindre, après, un relâchement de ferveur dans la vénération des autres villes pour Homère[88]. D’ailleurs les magiciens se servaient également des esprits évoqués, ainsi que d’autres démons, pour tourmenter leurs ennemis d’apparitions, leur envoyer des maladies et des douleurs, leur nouer la langue, etc.[89] Cette magie s’exerçait aussi au moyen d’adjurations inscrites sur des tables de plomb, que l’on déposait dans les tombes, et dont il s’est conservé un certain nombre[90]. C’est une forme de la pratique appelée dévotion, par laquelle on vouait des vivants aux puissances infernales ; elle se fondait sur la croyance, aussi ancienne que répandue, à un empire de ces puissances sur la vie, qu’elles aspirent à attirer dans les profondeurs où elles résident elles-mêmes[91].

Les esprits des morts relevant d’elles, que l’on qualifiait, pour les apaiser en quelque sorte, de bons ou de propices (Dei manes), et que l’on croyait devoir se concilier par des sacrifices[92], étaient aussi invoqués dans l’ancienne formule de dévotion par laquelle le général romain vouait à la mort l’armée ennemie[93]. Dans une épitaphe posée par un mari à sa femme défunte, il l’assure de sentiments qui le portent à honorer ses restes avec la crainte que l’on éprouve devant une divinité. Épargne, y dit-il, épargne, ma bien-aimée, je t’en supplie, ton mari, pour qu’il puisse continuer, pendant beaucoup d’années encore, de t’offrir des sacrifices, de t’apporter des couronnes, ainsi que de remplir la lampe sépulcrale d’une huile qui exhale des parfums[94].

Bien que, nous ne connaissions, toutefois, le plus souvent que les côtés. ténébreux et sinistres de la croyance aux esprits de cette époque, on n’en reconnaît pas moins, également ici, combien était répandue et irrésistible, par sa largeur, la tendance des contemporains à s’absorber dans la pénétration des mystères de la vie d’outre-tombe et du monde des esprits ; et tout en admettant une influence attractive irrésistible de l’effroi sur l’imagination, nous sommes portés à croire que celle-ci ne se sera certainement pas fait, faute de se créer aussi, pour faire pendant aux tourments et à l’inquiétude perpétuelle des maudits, une image de la paix et de la félicité, pleine de délices des bienheureux de l’autre monde.

Certes, il faut le dire, la consolation que la croyance à l’immortalité de l’âme procurait aux hommes de ce temps et à l’antiquité en général, différait beaucoup de celle que l’espoir chrétien d’une félicité éternelle offre aux fidèles. La croyance des anciens à l’immortalité ne manquait pas seulement de la certitude et de l’inébranlable fixité d’une foi basée sur la révélation, et partant aussi du point d’appui ferme que l’imagination trouve dans celle-ci pour se faire un tableau de l’autre vie ; elle n’était pas non plus aussi exclusivement dirigée sur l’éternité que la foi chrétienne, mais avait peut-être autant, sinon bien plus encore, en vue le temporel. D’après la religion nationale des Romains, comme suivant la démonologie platonique, la récompense du bien, la principale du moins, ne consistait pas, pour les hommes, à être appelés, dans l’intérêt de leur propre félicité, à une existence surnaturelle, qui les dérobe à la terre, mais à conserver un intérêt dans les peines et les joies des générations postérieures, avec le pouvoir de les protéger, de leur venir en aide et de les diriger par des conseils. Cicéron ne pensait guère pouvoir s’expliquer le dévouement qui, dans tous les temps et chez tous les peuples, porté à se sacrifier les meilleurs des hommes autrement qu’en admettant, en leur faveur, le bénéfice d’une situation qui leur permît de continuer, même après leur mort, à être témoins des conséquences de leurs actes et de la gloire qui leur en revient[95]. Tout le culte des morts des Grecs et des Romains tendait à l’entretien de communications suivies entre les vivants et les morts. Les demeures des morts n’étaient pas alors des champs de repos situés à l’écart, silencieux et rarement visités, comme nos cimetières : on les établissait au contraire devant les portes des villes, des deux côtés de la grande route, où passait le courant principal du commerce entre les vivants, tant pour avertir sans cesse les passants, comme dit Varron (VI, 6), de la destination finale de chacun à ce même repos, que pour la conservation et le renouvellement perpétuel du souvenir des défunts non seulement dans la mémoire de leurs proches et descendants, mais dans celle de tous les survivants et de la postérité en général. Titus Lollius Masculus, porte une épitaphe romaine, gît ici sur le bord du chemin, pour que les passants puissent dire : Salut à Titus Lollius[96]. Assez souvent aussi, l’inscription invite les voyageurs à honorer le mort d’une pareille salutation posthume et les bénit pour cette attention, ou même elle met dans la bouche du mort une réponse à leur adresse, de sorte que le passant pouvait lire, sur la pierre tumulaire, une espèce de dialogue entre lui-même et le défunt[97]. Comme c’était une croyance très répandue que les morts devaient toujours trouver du plaisir à ces marques d’intérêt de la part de tous les vivants indistinctement, il ne paraissait pas moins naturel que les sacrifices, offrandes et festins auprès de leurs tombes, la parure de fleurs dont brillaient les monuments. funèbres aux jours des roses et des violettes, la lumière de la lampe funèbre fraîchement remplie et le parfum de l’huile odorante qu’on y brûlait, leur fussent également agréables, ne fût-ce que comme preuves du bon souvenir que leur gardait la postérité. Ainsi toutes ces offrandes avaient lieu dans la supposition d’un désir des défunts de continuer, en quelque sorte, à vivre avec les générations postérieures. Il rentre dans le même ordre d’idées que, sur les monuments tumulaires grecs, on s’appliquait de préférence à représenter des scènes de la vie passée du défunt, à stéréotyper pour ainsi dire la continuité de son existence. Le célèbre Gœthe, qui avait le sentiment de l’esprit des anciens, fut très doucement impressionné à l’aspect direct de ces figures d’une simplicité touchante et faites pour nous intéresser du plus haut point. Ce qui lui plaisait surtout, c’est que les hommes représentés sur ces pierres tumulaires n’ont pas les mains jointes, ni le regard tourné vers le ciel, mais se tiennent réunis, comme ils avaient l’habitude de se rechercher quand ils s’aimaient sur la terre : Le vent, ajoute-t-il, dont le souffle vient des tombes des anciens, à travers un massif de rosiers, embaume l’air. Or, ceux-là même qui repoussaient la croyance à l’immortalité de la personne, ou n’en éprouvaient pas le besoin, ont, dans l’antiquité, attaché en tout temps, du prix à durer, sous cette forme, dans la mémoire de la postérité. Épicure lui-même, dans la doctrine de félicité duquel le principe, que l’existence et la conscience cessent avec la mort forme proprement la clef de volte, ordonna dans son testament que l’on fêtât l’anniversaire du jour de sa naissance et le 20 de chaque mois, en mémoire de sa personne ainsi que de celle de son ami Métrodore, ce que ses sectateurs ne manquaient pas de faire effectivement, des siècles encore après sa mort[98].

Mais, lors même que la croyance à immortalité de l’âme s’attachait, chez les anciens, à la persistance de la personnalité dans une vie supérieure, plus pure et partant aussi plus heureuse, elle n’admettait cependant nullement entre la vie de l’autre monde et la vie terrestre un contraste aussi absolu que la foi chrétienne : aussi n’était-elle pas, vis-à-vis de l’incrédulité et du doute ; dans un aussi violent antagonisme que cette foi. Si les Grecs, dans leur idiome national, appelaient les morts des bienheureux[99], il suffisait, pour justifier cette dénomination à leurs yeux, du fait qu’ils étaient délivrés des peines, des souffrances et des déceptions de la vie[100]. Aussi, pour cette raison, la mort, qui apportait cette délivrance, n’était-elle pas regardée, comme un mal ; lors même qu’on y voyait la fin de l’existence. La différence entre la manière dont les chrétiens la conçoivent et les anciens la concevaient s’e trouvé peut-être le mieux exprimée par ces paroles que, dans l’Apologie de Platon, Socrate, après sa condamnation à mort, adresse à  ses juges : ou la mort est un sommeil éternel, ou elle marqué le passage dans une autre vie, mais dans aucun de ces deux cas elle n’est un mal[101]. Ainsi, les deux manières de l’envisager sont ici présentées comme offrant de la consolation, seulement l’une à un moindre, l’autre à un plus haut degré, tandis que la religion chrétienne oppose la mort non suivie d’une résurrection à la félicité éternelle comme le sort le plus malheureux que l’on puisse imaginer. Pour le christianisme, c’est l’autre vie qui est la vraie, la seule qui prête à notre existence terrestre la lumière sans les rayons de laquelle elle serait tout ce qu’il y a de plus terne. La félicité de l’autre monde, dit Lactance, n’échoit pas aux hommes de la manière que l’ont cru les philosophes. L’homme ne peut avoir cette félicité tant qu’il vit dans la prison de son corps, qui doit nécessairement être amené à la décomposition par sa caducité même ; il la trouve seulement quand son âme, affranchie de la communauté avec le corps, ne vit plus que de la vie de l’esprit. Il n’y a pour nous de félicité possible ici-bas, et encore le plus souvent cela n’y parait-il guère, que dans un point : lorsque, fuyant les séductions du plaisir et ne servant que la vertu, nous nous résignons à toutes les peines et à tous les soucis qui exercent à la vertu et y fortifient, c’est-à-dire lorsque nous ne bronchons pas sur le chemin rude et difficile qui nous est laissé libre, pour tendre à la félicité éternelle. Ainsi le souverain bien, dont la possession donne la félicité, ne peut se trouver que dans la religion et la doctrine qui renferment l’espérance de l’immortalité[102]. Saint Augustin n’hésite pas à désigner la vie éternelle comme le souverain bien et la mort éternelle comme le pire des maux. Aussi peut-on appeler bienheureux, ici-bas déjà, celui dont tout l’être est tendu vers ce but, auquel il s’attache avec un ardent amour et l’espérance d’un cœur fidèle ; encore est-il, dans ce cas, bienheureux par cet espoir plutôt que par la réalité ; car, sans l’espérance, il n’y a jamais qu’un bonheur fallacieux, que peine et que misère[103].

Pour les anciens croyant à l’immortalité de l’âme, cet espoir était un bien hautement apprécié, mais non le bien suprême, ni indispensable. Pour eux, la vie remplie d’une manière conforme au sentiment de la dignité humaine, avait sa valeur propre, la vie mise au service de l’humanité une valeur impérissable. Les aspirations à l’éternité et le mépris de la vie terrestre, qui les accompagne, dérivent d’un ordre d’idées, sur le monde en général, restées étrangères à l’esprit des anciens, tant que celui-ci put se maintenir sans altération. Ces aspirations avaient bien, il est vrai, trouvé leur expression dans le platonisme et les tendances déterminées ou influencées par ce dernier ; mais elles demeurèrent bornées à des cercles très circonscrits, au moins jusqu’à la naissance du néoplatonisme.

Suivant une opinion fort accréditée, la vie présente aurait eu, pour les hommes de l’antiquité, une plus haute valeur que pour nous, par la raison que leurs espérances, en ce qui touche l’autre monde, ne pouvaient être ni aussi solides enfermes, ni aussi claires et lumineuses que celles des chrétiens. Mais l’impression générale que produit sur nous la littérature des Grecs et des Romains ne confirme cette opinion à nul égard. La disposition à savourer le plaisir de l’existence, disposition innée et qui se nourrit des splendeurs éternellement jeunes du monde, ainsi que de tout ce qu’il y a de grand et de beau dans la vie humaine, est certes foncièrement antique. Mais ce n’est là que l’un des pôles de la contemplation de l’univers, dans l’antiquité, auquel répond, au pôle opposé, une résignation dérivant du sentiment le plus profond de la misère et de la faiblesse humaines, et dont l’expression tantôt douloureuse, tantôt pleine de soumission, se trouve partout dans la littérature des anciens. Déjà Homère, qui se faisait de l’autre monde une idée si désolante, fait dire au dieu suprême : De tout ce qui respire et rampe sur la terre, il n’est rien de plus piteux que l’homme ! Si, toutefois, Homère croyait encore la grande salle où trône Jupiter garnie de deux tonneaux, remplis l’un de bienfaits, l’autre de calamités, les poètes des temps postérieurs comptent deux tonneaux pour le mal, et un seulement pour le bien[104], et Simonide voyait la vie humaine tellement encombrée de maux que, d’après lui, il n’y avait même pas, entre toutes ses souffrances, assez d’espace pour laisser passer un filet d’air. C’est précisément au temps de l’âge juvénile et de la virilité du génie grec que l’on a répété le plus souvent, sous des formes variées, cette pensée également exprimée par Sophocle, entre autres : Le sort le plus beau, c’est de ne pas naître ; le meilleur après celui-ci, de s’en retourner le plus tôt possible, après la naissance, à l’endroit d’où l’on est venu[105]. Les dieux rappellent tout jeunes de ce bas monde ceux qu’ils aiment, dit Ménandre, le poète de l’époque alexandrine le plus éminent par son esprit, des fragments duquel s’échappent des notes sourdes, où se trahit une humeur portant à la résignation dans toutes les circonstances de la vie[106]. Il regardait la tristesse comme la sœur jumelle de la vie humaine, et estimait le plus heureux des hommes celui qui, après avoir pu contempler sans déboire ce qu’il y a de sublime dans l’univers, s’est hâté de retourner à l’endroit d’où, il était venu. La littérature latine ne manque pas non plus de passages analogues.

Ainsi Cicéron avait conclu, dans son Hortensius[107], par une considération générale sur la vanité et la misère humaines. Les erreurs et les ennuis de la vie, y disait-il, semblent donner raison à ces sages, de l’ancien temps, au dire desquels nous ne naissons que pour expier des péchés commis dans une vie antérieure, ainsi qu’à Aristote, auquel l’union de l’âme avec le corps apparaissait comme une torture, du genre de celles que les pirates étrusques passent, pour avoir fait autrefois subir à leurs captifs, qu’ils attachaient, visage contre visage, à des cadavres et laissaient périr ainsi. Nous avons déjà fait observer que, chez Pline l’Ancien, le dégoût qui lui était inspiré par un profond sentiment de la misère humaine, arriva au point de le faire soupirer après la destruction de son être, et qu’il regardait la mort comme le plus grand bienfait de la nature. De plus, si, pour un philosophe tel que Marc-Aurèle, les maux de la vie n’étaient que de vains fantômes ; ses biens aussi lui paraissaient vains, fragiles et de peu de conséquence ; il ne voyait, dans la vie elle-même, qu’une lutte à soutenir et un hôte de passage à héberger, dans la durée de cette vie qu’un point, et, devant comme derrière nous, qu’un abîme sans fond, engloutissant tout. Et cependant l’homme devait et pouvait, d’après lui, rester debout et ferme comme un rocher dans la mer, au milieu du courant perpétuel qui emporte tout, dans ce monde où tout passe, si, ne prenant aucun souci du monde extérieur, mais plein d’une résignation respectueuse vis-à-vis du destin, il savait se réfugier dans le calme de son for intérieur comme dans une forteresse, et que là, restant fidèle au dieu qui y réside, il bornait toute son ambition à satisfaire, avec la conscience de n’être lui-même qu’une parcelle du grand tout, aux exigences de la nature. Dans cette attente placide et sereine de la fin qui peut arriver à tout moment, il est sûr de voir cette fin aboutir pour lui au néant, ou à une transformation ; il se détache doucement de la vie ; comme le fruit mûr qui fait encore, en tombant, l’éloge de la nature, sa puissante créatrice, et rend grâces à l’arbre qui l’a porté[108].

 

FIN

 

 

 

 



[1] Pline, Hist. nat., VII, 188 à 191. — Au sujet du passage omis, voyez Zeller, I, 620, 1.

[2] Hist. nat., II, 95. — Zeller, III, 1, 388.

[3] Lucrèce, III, 938, etc.

[4] Orelli, 1192.

[5] Somno æterno : Orelli, 4428, — Voir aussi Henzen, Index, p. 200. — Securitati sacrum. Orelli, 4849 ; J. O. M. (D. M ?) et perpetuæ Securitati : 4448 ; Dis securis : 4453. — Renier, Inscriptions de l’Algérie, 1755 : D. m. s. perpetuæ Securitati ; 946, securitati perpetuæ ; 947, Securitati eterne.

[6] Stephani, Tit. Gr., V (Ind. schol. Dorpat, 1850) s. XVIII, p. 12.

[7] Marini, Iscr. Alb., 117, 6.

[8] C. I. G., 6298.

[9] Stephani, Bull. hist. et phil. de l’Académie de Saint-Pétersbourg, XI, 238.

[10] Anthol. Gr., XIII, 798, n" 44 ; soit aussi Welcker, Syll. Epigr., n° 61, p. 93, etc. (95) ; ou Keil, Syll. Inscr. Bœot., p. 189 ; ou Stephani, Tit. Gr., V, 18, dont M. Friedlænder n’adopte pas, toutefois, l’explication.

[11] Orelli, 4811.

[12] Ibidem, 4809. — Voir aussi l’apostrophe au lecteur d’une épitaphe dans Renier, Inscr. de l’Algérie, 717 : Non fueras : nunc es iterum : nunc desinis esse.

[13] Muratori, 1597, 3 (Marini, Iscr. Alb., p. 117, 7).

[14] C. I. L., II, 1434 (épitaphe d’un enfant de huit ans). — Ibid., 1877 : Es bibe lude, veni. — Ibid., 2262 : Tu qui stas et leges (sic) titulum meum, lude jocare veni.

[15] Marini, l. c., 3.

[16] Marini, Iscr. Alb., p. 117, et Fabretti, Inscr. dom., c. v, n° 387.

[17] Henzen (7410), qui n’a pas reconnu le prénom d’Aula ; voir à ce sujet Marquardt, Manuel, V, 1, n. 13. — Cette inscription ; reproduite d’après une copie qui se trouve dans le cod. Barberin., est présentée autrement par Jahn (Rapports de la Société saxonne, 1851, p.178, etc.).

[18] Muratori, 1677, 2. — Voir aussi l’Hercule qui se repose dans Stephani, p.36 (288), dont M.Friedlœnder déclare toutefois ne pas partager l’opinion en ce qui concerne une croyance à des effets de ce que l’on a mangé et bu, sur la terre, dans l’autre vie.

[19] Orelli, 4816 ; Gruter ; 910, 12 ; dans Stephani, p. 16, etc. — Voir aussi dans Henzen, 6042 : Cum vives, benefac : hoc tecum feres. — De Rossi, Bull. d. I., 1853, p. 89 à la fin.

[20] Luxorius (Anthol. lat., éd. Riese, 319), De sarcophago ubi turpia sculpta fuerant. — Voir aussi le sarcophage dans les Monuments de l’art antique d’O. Muller, II, t. XLIV, n° 548.

[21] Cicéron, Tusculanes, IV, 3, 7 ; Fin., I, 7, 25 ; Zeller, III, 1, 348, n. 3 ; voir aussi 353, etc.

[22] Cicéron, Tusculanes, I, 17, 29 ; 21, 49.

[23] Zeller, III, 1, 740.

[24] Quintilien, V, 14, 13.

[25] Tacite, Agricola, 46. — Voir aussi Zeller, III, 1, 185, 5.

[26] Zeller, III, 1, 593.

[27] Cicéron, Tusculanes, I, 12, etc. ; Rep., VI, 9, etc.

[28] Zeller, III, 1, 184 à 189 et 633.

[29] Ibidem, III, 2, 164, etc.

[30] Ibidem, III, 2, 190, etc.

[31] Pausanias, IV, 32, 4 ; VIII, 2, 2. — Pfundtner, Idées et croyances de Pausanias, Kœnigsberg, 1868 (en allemand).

[32] Voyez, pour ce qui suit, E. Petersen, Sepolcro scoperto sulla via Latina, Ann. d. I., 1860, p. 348. etc. ; 1861, p. 190, etc.

[33] Plutarque, Cons. ad ux., c. X.

[34] Jahn, dans les Rapports de la Société saxonne, 1869, p. 1, etc., a publié, d’après le cod. Pighian., le dessin d’une peinture de plafond, provenant d’un monument funèbre, des environs de Rome selon toute probabilité. Le sujet principal, une figure sur un quadrige, représentant sans doute le défunt porté au ciel, est entouré d’images accessoires, qui se rapportent â la vie d’outre-tombe et comprennent les Danaïdes, Hercule et Alceste, Apollon et Marsyas, Cupidon et Pan, devant Bacchus et Ariane. Toutes ces figures correspondent â des reliefs de sarcophages, et sont elles-mêmes entourées de figures moindres encore, parmi lesquelles il y a nombre de petits Amours.

[35] Voir aussi Inscriptions de l’Algérie, 3864 (Cartena) : Mi fili, mater rogat ut me ad te recipias ; puis Gruter, 376, 5 (Mommsen, Hermès, III, 60, 5). Mater rogat, quam primum ducatis se ad vos.

[36] Tusculanes, I, 21, 48.

[37] II, 149 (Esse aliquid Manes). — Sunt aliquid Manes, dit Properce, V, 7, 1.

[38] Lucien, De luctu, 10.

[39] Wachsmuth, La Grèce moderne dans l’ancienne, 118, et Mendelssohn-Bartholdy, Histoire de la Grèce, I, 46 (en allemand).

[40] Preller, Mythologie grecque, I2, 639.

[41] Marquardt, Manuel, V, 1, n. 2202.

[42] De luctu, 1-10.

[43] Non posse suaviter vivi, 27, 4, p. 1105.

[44] Aristide, Or., XIX, p. 259 Jebb.

[45] De superstit., 4 f., p. 167 A.

[46] Preller, Mythologie roumaine, 466, 2. — Voir aussi Lucain, Pharsale, VI, 745, etc.

[47] De Rossi, Bull. d. Inst., 1853, p. 87, etc. ; Henzen-Orelli, 6042.

[48] Lucien, De luctu, 14.

[49] Marquardt, Manuel, V, 1, 367, etc.

[50] Lucien, Philops., 27.

[51] Kiessling, Anecdota Basileensia, I (1863).

[52] Servius, ad Virg. Æn., V, 760 ; voir aussi Marquardt, Manuel, n. 2363.

[53] Plutarque, De ser. num. vind., c. XXII.

[54] Plutarque, De virt. morali, c. X.

[55] Lobeck, Aglaopham., 826, et Corrodi, Histoire des chiliastes, II, 492, etc. (en allem.). — Saint Jérôme, in Iesaiam, c. LV et LX ; in Zachariam, c. XL. — Saint Augustin, Civ. Dei, XX, 7, 1.

[56] Orelli, 4766 ; voir aussi E. Plew, De Sarapide (Regim., 1868), p. 31.

[57] De Rossi, Bull. cr., I, 2, etc.

[58] Preller, Mythologie romaine, 72, etc., 486. — Marquardt, Manuel, IV, 212.

[59] Lehrs, Écrits pop., 146, etc.

[60] Nissen, Le temple, 148 (en allemand).

[61] Lobeck, Aglaopham., 302 k. — Preller, Mythologie romaine, 499.

[62] Preller, Mythologie romaine, 456, 483, 499.

[63] Henzen, 7346.

[64] Horace, Épîtres, II, 2, 208. — Plutarque, Dion, 2, 2.

[65] Lucien, Philops., 5, s, 29. — Au sujet du péripatéticien Antisthène, auquel se réfère Phlégon (Mirab., 3), voyez Zeller, II, 2, 59.

[66] Zeller, III, 2, 182, etc.

[67] Maxime de Tyr, XV, 6. — Lehrs, Écrits popul., 148.

[68] Maxime de Tyr, XV, 7.

[69] Apulée, Apologie, p. 404.

[70] Plutarque, Dion, ch. II ; Cimon, ch. I.

[71] Lucien, Pérégrinus, 27, etc., 36.

[72] Pline le Jeune, Lettres, VII, 27.

[73] Suétone, Caligula, ch. LIX.

[74] Paradoxogr., éd. Westermann, p. 117, etc.

[75] Pfundtner, Opinions de Pausanias, p. 16 (Pausanias, I, 32, 3 ; VIII, 10, 4 ; VI, 6, 3, etc. ; VI, 20, 8), en allemand.

[76] Dion Cassius, LI, 17 ; LXII, 17.

[77] Ibidem, LXXIX, 18.

[78] Lobeck, Aglaopham., p. 221, etc. ; Marquardt, Manuel, IV, n. 805 et 815. — Voyez particulièrement aussi Tertullien, De anima, c. LVI, etc.

[79] Dion Cassius, LXXIII, 16, et LXXIX, 11.

[80] Dion Cassius, LXXVII, 15. — Hérodien, IV, 12, 3.

[81] Suétone, Néron, ch. XXXIV.

[82] Pline, Hist. nat., XXX, 14, etc.

[83] Genthe, De Lucani vita et ser., p. 22.

[84] Pharsale, VI, 420 à 434..

[85] Ibidem, 706 à 711 ; voir aussi 525, etc., et 560.

[86] Ibidem, 630, etc. — Voir aussi Apulée, Métamorphoses, II, 40 ; Héliodore, Éthiopiques, VI, 14 ; Quintilien, Déclara., 10 ; Anthologie latine, éd. Riese, I, 406.

[87] Lehrs, Qu. ép., p. 7.

[88] Philostrate, Héroïques, éd. K. ; p. 319, 3.

[89] Lobeck, Aglaopham., p. 222, etc.

[90] On trouve un recueil de ces adjurations dans Marquardt (Manuel, IV, 134), et un plus complet dans Wachsmuth (Nouveau musée rhénan, 18, 559, etc. ; A à K.). Pour J., voyez Henzen, Bull. d. Inst., 1866, p. 252. — Voyez en outre Henzen-Orelli, 7409, et Mommsen, C. I. L., 819.

[91] Voir aussi C. I. L., II, 2255 (a. C. 19) : Dei Manes ad se receperunt Abulliam.

[92] Marquardt, Manuel, IV, 212, et Preller, Mythologie romaine, 466, etc.

[93] Tite-Live, VIII, 9.

[94] Henzen, dans le Moniteur archéologique de Gerhard, n° 112, p. 201 (en allemand).

[95] Cicéron, Tusculanes, I, 15, 35.

[96] Orelli, 4737 (Aquæ Sextiæ).

[97] Ainsi, par exemple, Orelli, 4743, etc., et Bull. d. I., 1864, p. 155 : Have Victor Fabiane. Di vos bene faciant amici, et vos viatores habeatis deos propitios, qui Victorem Publicum Fabianum a censibus P. R. non præteritis. Salvi eatis, salvi redeatis. Et vos qui me coronatis vel flores jactatis, multis annis faciatis.

[98] Zeller, III, 1, 354, 3.

[99] Jahn, ad Persium, III, 105.

[100] Voir, par exemple, Orelli, 1197.

[101] Platon, Apologie, 40 C.

[102] Lactance, Div. Inst., III, 12.

[103] Saint Augustin, Civ. Dei, XIX, 4, 1 et 20.

[104] Lehrs, Écrits populaires, 43.

[105] Nægelsbach, Théologie postérieure au temps d’Homère, 228 et 373 (en allemand). — Voir aussi Stobée, Florileg., éd. Meineke, IV, 102 (P. K.).

[106] Horkel, La sagesse pratique des comédies de Ménandre, p. 23 et 29 (en allemand).

[107] Fragm., 55 ; voir aussi Consol., fr. 1 et 2.

[108] Marc-Antonin, Comm., V, 33, 23 ; IV, 49 ; IV, 3 ; II, 17,111, 5, 16 ; IV, 48.