MŒURS ROMAINES

 

LIVRE XI — LA  SITUATION RELIGIEUSE.

CHAPITRE II — Le Monothéisme.

 

 

§ 1. — Le monothéisme en général et le judaïsme.

La force expansive du polythéisme rencontra une barrière dans l’esprit sévèrement exclusif et intolérant des religions basées sur le monothéisme, avec lesquelles il n’y avait pas de composition possible. Ce qu’il y avait de plus haut et de plus sacré pour ceux qui professaient la croyance aux dieux, le judaïsme comme le christianisme le condamnait comme abominable, exécrable et entraînant la perdition des âmes. Chez les juifs, dit Tacite (Hist., V, 4), tout ce qui est sacré pour nous est impie, tout ce que nous regardons comme impur, licite en revanche. Les dieux que priaient les gentils étaient, pour les juifs, des idoles mortes ou des esprits malins (démons)[1]. Aux yeux d’une religion qui ne parvenait à saisir la divinité que sous une multiplicité et une diversité infinies de formes, la négation de tout ce qui est divin constituait souvent, en apparence, le fond essentiel du christianisme, ce qui en faisait considérer les doctrines comme blasphématoires et athées. Les chrétiens et les athées étaient, pour ceux qui croyaient aux dieux, des ennemis de leur foi également détestés, placés sur la même ligne et souvent confondus sous la même dénomination[2].

Les deux religions basées sur le monothéisme n’entrent en considération pour nous, comme sujet d’examen, qu’en raison du contraste et des rapports d’influence mutuelle qui existaient entre elles et le paganisme. Il est indispensable, pour l’essai d’un rapprochement qui puisse donner un aperçu général de la situation religieuse de l’empire romain, dès les premiers temps de celui-ci, d’indiquer la position qu’elles avaient dans cet empire, embrassant le monde, et les circonstances capitales qui favorisèrent ou entravèrent les progrès de leurs doctrines. Cependant on ne pourra, dans ces considérations, qu’effleurer les points les plus saillants des phénomènes qui se rapportent à un pareil sujet.

Les rapports de la situation des deux religions, fondées sur la croyance à un seul dieu, vis-à-vis du polythéisme, étaient très différents. Quoique toutes les deux fussent unanimes, dans la condamnation absolue et sans restriction du paganisme, le christianisme seul avait, par le fait, une attitude hostile à l’égard du paganisme. Le judaïsme, religion admirablement organisée pour la défense, mais qui n’avait jamais eu de destination conquérante[3], s’isolait plutôt qu’il ne cherchait à s’étendre aux dépens du paganisme. Les communes juives, répandues partout et étroitement unies entre elles, ne laissèrent pas, il est vrai, que d’exercer une certaine attraction sur le paganisme, mais sans jamais porter à celui-ci aucun préjudice qui pût en faire paraître l’existence comme menacée, et, malgré les froissements et les conflits qui eurent lieu dans l’occasion, le judaïsme vivait en général avec le paganisme sur un pied de paix. Le christianisme, au contraire, depuis le commencement, entra en scène, avec la pleine conscience de sa mission conquérante universelle dans l’histoire, et déclara au paganisme une guerre à outrance et à mort. Dès ses premiers débuts, de si faible apparenté, alors que son importance future ne pouvait être que bien vaguement soupçonnée, l’opposition dans laquelle il s’était mis avec le monde et qui semblait le fond essentiel de sa nature, était interprétée comme de la haine pour le genre humain, à laquelle ceux qui croyaient en être l’objet répondaient, de leur côté, par une haine implacable. Plus la lutte dura, plus la religion encore dominante et en possession de la puissance temporelle sentait le terrain se dérober sous ses pieds, plus aussi cette hostilité s’accrut. Depuis la fin du deuxième siècle ou le commencement du troisième pour le moins, quand le flot montant du christianisme, après avoir inondé les couches inférieures de la population, gagna de plus en plus aussi les régions plus élevées de la société, on vit se répandre, parmi les partisans de l’ancienne foi, la tendance à rapporter la cause de tous les malheurs publics et de toutes les grandes calamités à la colère qu’éprouvaient. les dieux du déclin progressif de leur culte, ainsi qu’à rendre le christianisme et tous ceux qui le professaient responsables de ce courroux. Le Tibre avait-il débordé de son lit, le Nil ne s’était-il pas répandu sur les campagnes, le ciel s’obstinait-il à refuser la pluie, y avait-il un tremblement de terre, la famine ou une épidémie venait-elle à se déclarer, on entendait aussitôt retentir le cri : Les chrétiens aux lions ![4] L’évêque Pothin, un vieillard, expira à Lyon, sous Lucius Verus, martyr des mauvais traitements qu’il eut à souffrir de tout le peuple, chacun étant frappé de l’idée que ce serait pécher grandement et faire acte d’impiété de ne pas s’associer à cet acte de violence brutale, ainsi que de la crainte d’encourir, en s’abstenant, le châtiment de ses dieux[5]. Plus le temps marchait, plus on s’attachait à l’idée qu’une décadence générale du genre humain avait commencé, avec l’apparition du christianisme dans le monde[6]. Mais aussi, comme il fut prompt à venir, cet autre temps où l’on se mit à considérer les erreurs des juifs et des païens comme la cause de la colère divine, et qu’ils se virent accusés, à leur tour, des mêmes maux et des mêmes calamités dont les chrétiens passaient auparavant pour être les auteurs[7] !

La dispersion des juifs, dans tout le monde ancien, a été extrêmement utile à la propagation du christianisme, au début. Cette dispersion avait commencé de bonne heure, et était déjà très avancée dans les premiers temps de l’empire. Strabon dit qu’il y avait, déjà de son temps, une juiverie dans chaque ville, et qu’il ne serait pas facile de trouver de par le monde un endroit où cette race n’eût pénétré et réussi à se maintenir[8] ; Josèphe[9], qu’il n’y a pas sur la terre un peuple chez lequel ne vivent pas aussi des juifs. Les Actes des apôtres mentionnent, comme juifs et affiliés à ceux-ci, des gens de tous les pays sous la voûte du ciel, écoutant les apôtres parler. dans toutes les langues à Jérusalem : des Parthes, des Mèdes, des Élamites, des habitants de la Mésopotamie, de la Cappadoce, du Pont, de l’Asie mineure, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l’Égypte, de Cyrène, de Rome, de la Crète et de l’Arabie[10]. Le roi Hérode Agrippa, énumérant, dans une lettre à Caligula, les pays où se trouvaient des colonies juives, nomme l’Égypte, la Phénicie, la Syrie, la Cœlésyrie, la Pamphylie, la Cilicie, la majeure partie de la province d’Asie jusqu’à la Bithynie et aux côtes des baies intérieures situées le plus au fond de la mer Noire ; puis en Europe, la Thessalie, la Béotie, la Macédoine, l’Étolie, l’Attique, Argos, Corinthe, la majeure partie et les meilleurs districts du Péloponnèse ; parmi les îles, l’Eubée, Chypre et la Crète ; enfin, les pays au-delà de l’Euphrate et la Libye[11].

Hors de l’empire romain, les pays situés entre l’Euphrate et le Tigre, notamment, avaient une forte population juive[12], et après la répression des dernières tentatives d’insurrection nationale en Palestine, la Babylonie devint pour les juifs le centre d’une nouvelle vie, qui se répandit de là sur toutes les parties de l’ancien empire des Perses. En Arabie aussi, des renseignements de source juive, byzantine et arabe, offrent beaucoup de traces de ramifications étendues de ce mouvement juif. Dans les limites de l’empire romain, la population juive, celle de la Palestine à part, paraîtrait avoir été le plus dense en Asie mineure et en Syrie[13] ; dans la population d’Antioche surtout, la colonie juive, qu’y avait déjà établie Séleucus Nicator, formait un contingent très considérable[14]. Le roi Antiochus le Grand avait aussi, déjà, transplanté de la Mésopotamie en Asie mineure deux mille familles juives, pour avoir, en Lycie et en Phrygie, un noyau de population brave et sur lequel il pût, compter[15]. Une ou deux des synagogues de communautés extérieures, à Jérusalem, appartenaient aux juifs d’Asie et de Cilicie[16]. L’Ionie, où saint Justin a pris Éphèse[17] pour scène du dialogue avec le juif Tryphon, la Cappadoce, avec sa capitale Meschag, et la Cilicie, avec Tarse, sont connues comme sièges de communes juives. Des contributions pour le temple, qui devaient être envoyées d’Apamée, en Bithynie, à Jérusalem, le préteur Cn. Flaccus, par suite de sa défense d’exporter de l’or, frappa publiquement de saisie, en l’an 62 avant Jésus-Christ, près de cent livres d’or ; mais cette somme n’en représentait probablement pas le produit total ; des sommes moindres, provenant de la même taxe, furent confisquées à Laodicée, à Adramyttium et à Pergame[18]. A Antioche, en Pisidie, de même qu’à Iconium, en Lycaonie, saint Paul prêcha dans les synagogues[19]. En Arménie aussi les juifs étaient nombreux.

Parmi les îles grecques, on nomme celles de Crète et de Mélos comme sièges de populations juives aisées, lesquelles, sous Auguste, soutinrent de la manière la plus large un prétendant qui se fit passer pour le prince Alexandre, assassiné par Hérode[20]. La seconde femme de Josèphe était une juive de la Crète, de très noble famille et de parents très considérés dans le pays[21]. Dans l’île de Chypre aussi, où la commune de Salamine, notamment, est connue par les Actes des Apôtres, les juifs étaient nombreux, jusqu’à l’an 116, mais depuis les horreurs commises dans l’insurrection de cette époque, il leur fut défendu de jamais remettre les pieds dans cette île[22]. En Grèce et en Macédoine, les communes d’Athènes, de Corinthe, de Thessalonique, de Béroé et de Philippes sont également connues par les Actes des Apôtres[23]. Deux édits adressés par Arcadius, en 397, et par Théodose le Jeune, en 412, au préfet de l’Illyricum, qui comprenait alors la Macédoine et la Dacie, défendent d’y inquiéter les juifs et de les troubler dans leurs synagogues[24]. Avant Théodose II, qui les bannit de Constantinople, ils y avaient leur synagogue sur la place des Chalcopraties, ainsi nommée d’après leurs usines[25]. Ils se répandirent aussi, de bonne heure, sur les côtes septentrionales de la mer Noire. Outre une commune juive d’Olbie[26], on en connaît deux en Crimée par des inscriptions : celle de Panticapée, qui florissait vers l’an 89 de nôtre ère[27], et celle d’Anapa, qui existait déjà en 42 avant Jésus-Christ[28]. Dans les actes d’émancipation d’esclaves de ces localités, rédigés en grec, on fait pour condition que les affranchis restent fidèles au judaïsme. En outre, on a récemment découvert dans le voisinage de Dschoufoutkalé (Judenbourg) et de Baktschi-Seraï, à un cimetière planté d’arbres antiques, un certain nombre de pierres tumulaires avec des inscriptions hébraïques, dont les plus anciennes paraissent remonter aux années 6 et 30 de notre ère[29]. D’après une ancienne tradition, il doit y avoir eu, dans la seconde moitié du quatrième siècle, une immigration en masse de juifs grecs à Matarcha ou Tamatarcha (aujourd’hui Tainan), dans le voisinage de l’ancienne Phanagorie[30].

La population juive de l’Égypte s’élevait, au commencement du premier siècle, à un million, ou plus d’un huitième de la population totale[31]. A Alexandrie, les juifs habitaient principalement deux des cinq quartiers de la ville, mais étaient aussi disséminés dans les autres ; dans toutes les parties de la ville, on voyait leurs synagogues, entourées d’arbres ; ils avaient en outre leur synagogue propre à Jérusalem. Ils participaient certainement au commerce et à la navigation de la place[32], mais s’occupaient aussi d’agriculture et de métiers[33]. La Cyrénaïque avait également une forte population juive[34], à laquelle appartenait une des cinq synagogues mentionnées à Jérusalem. Deux mille juifs y participèrent à la tentative d’insurrection d’un certain Jonathas, en l’an 70[35]. La commune de Bérénice avait, comme il paraît d’après un diplôme d’honneur, portant un décret qui concerne un certain M. Titius, et qui s’est conservé, en l’an 13 avant Jésus-Christ, neuf préposés dits archontes[36]. Dans la grande révolte des juifs, à ramifications très étendues, qui éclata en l’an 116, dans la Cyrénaïque et l’Égypte, jusqu’à la Thébaïde[37], en même temps que dans l’île de Chypre (voir plus haut) et dans la Mésopotamie, on leur imputait le massacre de 220.000 personnes, dans les deux premières, et de 240.000, dans les deux dernières de ces contrées[38]. Dans l’Afrique occidentale, la trace d’une commune juive s’est conservée à Sitifi (Sétif), en Maurétanie[39], et l’on rencontre des vestiges d’habitants juifs dans d’autres lieux encore[40].

Si l’on peut ajouter foi à un rapport de Valère Maxime (I, 2, § 3), non seulement les Chaldéens, mais aussi les juifs, ayant essayé de déformer les usages romains, en introduisant dans le culte le service d’un Jupiter Sabazius, auraient été bannis de Rome et de l’Italie, dès l’an 139 avant Jésus-Christ, par le préteur Cn. Cornélius Hispallus. Quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans plus tard, sans doute en partie par suite des guerres de Lucullus et de Pompée, qui en avaient ramené des masses comme prisonniers à Rome, où on les affranchit[41], en partie par suite du développement de relations beaucoup plus étroites et plus variées entre l’Orient et l’Occident, ils formaient de nouveau, dans cette capitale, un élément de population considérable. Les accusateurs dit préteur Flaccus espéraient trouver un appui contre lui dans leur nombre, la parfaite harmonie qui régnait entre eux et leur influence[42]. Tout le quartier transtévérin était habité principalement par des juifs[43]. Une ambassade d’Hérode, roi des Juifs, eut, dit-on, en se rendant auprès d’Auguste, l’escorte de huit mille de ses coreligionnaires établis à Rome ; et, en l’an 19 de notre ère, quatre mille affranchis, dans l’âge de porter les armes, furent condamnés à la déportation dans l’île de Sardaigne, comme entachés de superstition judaïque et égyptienne. En dépit de ces rigueurs, le nombre des juifs s’était, dès l’an 49 peut-être, de nouveau tellement accru, à Rome, qu’une nouvelle mesure de proscription, adoptée contre eux en considération des troubles intérieurs de la commune, ne put être que partiellement et très imparfaitement mise à exécution[44]. Les juifs de Rome aussi avaient une synagogue à Jérusalem ; à Rome même, on connaît sept synagogues par des inscriptions[45]. On n’a pu retrouver un cimetière découvert par Bosio, et qui servait principalement aux juifs de la région transtévérine, à la via Portuensis, près de Colle rosato ; mais il y en a un autre, à la voie Appienne, devant la porte de Capène, où ils avaient pris à ferme, au temps de Juvénal, le bosquet d’Égérie et des Camènes[46], et un troisième, passé l’église Saint-Sébastien, dans le voisinage de l’antique cimetière chrétien ad catacumbas[47]. Les inscriptions sont en grande majorité grecques, en partie, il est vrai, dans un jargon souvent presque inintelligible, et qui paraît avoir été la langue de conversation et d’affaires usuelle des juifs. Il y en a de latines aussi dans le nombre, mais point d’hébraïques[48]. Des mentions accidentelles nous présentent, dans les juifs romains, des gueux et des vagabonds, tels que des fripiers, des mendiants, des devins[49]. Les tombeaux, ainsi que toute la disposition du cimetière trouvé par Bosio, étaient grossiers et pauvres, avec nulle trace de fragments de marbre ou de peinture, à l’exception du lustre à sept branchés, grossièrement peint[50]. Mais, au cimetière de la voie Appienne ; on trouve des peintures et, dans le nombre, même des figures appartenant à la mythologie païenne, avec un sens probablement symbolique, mais non encore déchiffré[51]. Au port du Tibre aussi, il existe des traces d’une commune juive, qui a dû s’y établir de bonne heure[52].

Dans le reste de l’Italie, un des sièges principaux des juifs doit avoir été la ville de Pouzzoles, d’où ils se répandirent dans celles de. la Campanie. L’existence d’une commune juive y est attestée, à Capoue, par l’épitaphe d’un préposé de la synagogue de cette ville[53] ; à Venusie, par des catacombes juives récemment découvertes[54]. Lors du siège de Naples par Bélisaire, les juifs de cette ville offrirent d’approvisionner celle-ci de vivres, et opposèrent aux assaillants, quand elle fut prise, une résistance aussi opiniâtre qu’inattendue[55]. Dans la Pouille et dans la Calabre, à la configuration des côtes de laquelle, il est, paraît-il, fait particulièrement allusion dans un midrash[56], les juifs formaient, au quatrième siècle, une si grande partie de la population que, d’après un édit impérial de l’an 398, le maintien des conseils communaux était mis en question, dans beaucoup de villes, parce que les juifs, prétendaient ne pouvoir être obligés à se charger d’offices municipaux[57]. Dans l’Italie moyenne et septentrionale, où leurs établissements sont, selon toute probabilité, aussi anciens que dans l’Italie méridionale, on n’en trouve que des traces bien postérieures. Grégoire le Grand, qui fait aussi mention, dans ses lettres, de la synagogue à Terracine, écrit à l’évêque de Luna de ne permettre, sur ses terres, à aucun juif de posséder des esclaves chrétiens, ce qui y était arrivé[58]. Théodoric parle des juifs de Gènes comme d’une commune de la plus haute antiquité ; celle de Bologne était aussi connue comme telle, et l’on a deux inscriptions judaïques de  Milan[59]. Il est probable que des juifs ont habité la Sicile aussi de bonne heure et en grand nombre. Le questeur et accusateur supposé de Verrès, Q. Cécilius Niger, était un juif, descendant d’affranchis[60].  Dans les rescrits des papes, il est souvent parlé des juifs, à propos de l’administration des biens du patrimoine de l’Église, qui s’étendaient sur les deux Siciles et la Sardaigne. D’après les lettres de Grégoire le Grand, il y avait des communes juives à Palerme, à Messine et à Agrigente. En 594, il ordonna de lui dresser un état de tous les domaines sur lesquels vivaient des juifs, afin de pouvoir faire remise d’un tiers de l’impôt à tous ceux d’entre eux qui se convertiraient[61]. Il n’y a pas à douter que la colonie juive, envoyée de force par Tibère en Sardaigne, ne s’y soit multipliée ; à Cagliari du moins, il y eut une communauté juive pendant des siècles[62].

En Espagne, pays mentionné dans la Mishna et le Talmud, il ne s’est conservé, antérieurement au concile Illibéritain, tenu entre 300 et 309, comme on l’admet communément, et qui fait positivement mention des juifs[63], qu’une seule trace de ceux-ci l’épitaphe d’un enfant juif trouvée à Abdère (Adra), dans la Bétique, et qui, d’après la forme des lettrés, paraît être du commencement du troisième siècle[64]. Avec la conversion du roi Récarède au catholicisme, en 586, s’ouvre la série des mesures draconiennes prises dans le royaume des Visigoths contre les juifs[65]. Des rapports juifs sembleraient aussi témoigner d’anciennes relations avec les Gaules. Archélaüs, fils d’Hérode, fut exilé par Auguste à Vienne[66]. Relativement aux décurions de Cologne, Constantin arrêta, en 321, qu’en principe général les juifs devaient être astreints à se charger des fonctions du décurionat, sauf deux ou trois exemptions admissibles[67]. Il ne paraît pas qu’il s’y trouve d’autres mentions de juifs, dans les sources grecques ou romaines, avant Sidoine Apollinaire[68]. En Angleterre, il n’y a pas de rapports certains, concernant le séjour de juifs dans ce pays, qui remontent au-delà, du huitième siècle[69]. Mais on peut d’autant moins conclure du manque de données positives à la non existence d’une population juive dans un pays, qu’un pareil silence, depuis les premiers temps du moyen âge, y est ordinairement plutôt une preuve de l’existence non troublée de cette population. Saint Jérôme dit que les juifs avaient leurs demeures d’une mer à l’autre, depuis les eaux britanniques jusqu’à l’océan Atlantique, de l’ouest au midi et du nord à l’est, dans le monde entier[70].

Depuis la grande guerre de Judée, les juifs eurent à payer, à titre de contribution personnelle, au temple de Jupiter capitolin, une redevance de deux drachmes par tète, ce qui conduisit, notamment sons Domitien, à des vexations et à des exactions que Nerva, cependant, réforma[71]. A l’exception de cette taxe, la condition civile des juifs comme tels n’était soumise à aucune restriction, dans l’empire romain. Ils y jouissaient même d’un privilège, à savoir de l’exemption des offices qui eussent pu les gêner dans l’exercice de leur religion[72]. Auguste avait ordonné dans le même sens que, pour les juifs, les distributions d’argent et de blé, à Rome, dans le cas où elles tomberaient sur un sabbat, seraient renvoyées au lendemain[73].

Si Philon dit, néanmoins, que les juifs devaient s’estimer trop heureux  quand on ne leur faisait pas tort au profit d’autrui[74], ce propos s’explique par leur position sociale, généralement très défavorable, il est vrai, et naturellement surtout dans des pays comme l’Égypte en particulier où il existait contre eux une forte animosité nationale ; ainsi qu’immédiatement après des guerres et des révoltes dans lesquelles des flots de sang avaient coulé. Aussi les expressions de haine contre les juifs, chez Pline l’Ancien, Quintilien et Tacite notamment[75], semblent-elles devoir être mises en partie sur le compte de l’impression laissée parla guerre de Judée. Mais, même abstraction faite du fanatisme sauvage dont étaient enflammées ces luttes du désespoir, il suffisait du mépris orgueilleux des juifs pour toutes les autres nations, civilisations et religions, de leur séparation complète de table et de corps d’avec tous leurs voisins, et de l’opiniâtreté avec laquelle ils persistaient à rester unis entre eux le plus étroitement possible, pour les rendre désagréables à tout le monde[76] et les faire paraître sous l’aspect d’un peuple rempli de haine pour l’humanité. Les accusations, exagérations et inventions répandues contre eux par des écrivains hostiles, et fondées principalement sur des sources égyptiennes[77], contribuèrent à alimenter la haine qu’on leur portait. A en croire Tacite[78], ils apprenaient avant tout à leurs prosélytes à. mépriser les dieux, à renier la patrie, à faire peu de cas des parents, des enfants, des frères et des sœurs. D’après Juvénal (XIV, 98), Moïse aurait enseigné qu’il n’y avait lieu de ramener sur le bon chemin, quand ils s’étaient égarés, de conduire à la source, quand ils étaient près de mourir de soif, que les circoncis seuls. Suivant Apion, les juifs, au temps du roi Antioche Épiphane, engraissaient, chaque année, un Grec avec des friandises, l’offraient ensuite solennellement en sacrifice, à un jour déterminé, dans une forêt, mangeaient ses intestins et juraient, pendant cet horrible repas, une haine éternelle aux Grecs[79]. A l’animosité haineuse contre. les juifs venait se joindre le mépris qu’ils encouraient, par l’humilité de leur condition et leur état misérable, leur malpropreté répugnante, leur méticuleuse observance de tant de pratiques et de préceptes sans fondement apparent, ridicules, bizarres, et dont on se moquait comme de superstitions. Après la circoncision, ce dont on riait le plus, c’était leur abstinence de la viande de porc, dont la populace, dans ses emportements tumultueux, comme dans l’émeute contre les juifs d’Alexandrie, par exemple, décrite par Philon, s’efforçait de les contraindre à manger ; c’était aussi leur attachement inviolable au repos du sabbat, par lequel, comme dit Sénèque, ils perdaient la septième partie de leur vie[80]. Mais, d’un autre côté, le judaïsme ne manquait pas non plus d’amis, que lui gagnaient en partie des vertus reconnues même par ses adversaires, et hautement prisées par Josèphe, dans une apologie de ses coreligionnaires, composée sous Trajan, à savoir : leur piété constante, leur stricte obéissance à la loi, leur sobriété, leur bienfaisance, la parfaite harmonie dans laquelle ils vivaient entre eux, leur mépris de la mort dans la guerre, leur application diligente aux métiers et à l’agriculture en temps de paix, enfin leur confiance inébranlable en Dieu[81]. Mais, ce qui dut faire gagner au judaïsme plus de prosélytes que sa doctrine et les vertus de ceux qui la professaient, ce fut bien la conviction, inébranlable et si souvent héroïquement témoignée, qu’il était la religion seule vraie. Les rapports du temps favorables aux juifs sont, en effet, d’accord avec ceux qui leur sont hostiles, sur ce point que le nombre des personnes observant en tout, ou partiellement, la loi mosaïque, était très considérable en tous pays, et les femmes, notamment, étaient là aussi les étoiles guidant vers la foi[82]. Déjà, dit Sénèque[83], les pratiques de ce peuple exécrable ont gagné un tel ascendant qu’elles ont pu s’introduire dans tous les pays, et qu’eux, les vaincus, ont donné des lois à leurs vainqueurs. Horace, Perse et Juvénal attestent qu’il y avait, à Rome, nombre de gens s’abstenant de toute affaire le jour du sabbat, jeûnant et priant, allumant des lampes et suspendant des guirlandes, ainsi que d’autres s’appliquant aussi à l’étude de la loi mosaïque, visitant les synagogues et envoyant à Jérusalem la contribution établie au profit du temple[84]. Depuis longtemps, dit Josèphe[85], la mode de s’appliquer à l’imitation de notre piété s’est répandue même parmi les masses, et il n’y a point de ville ni province, grecque ou barbare, où notre chômage du sabbat n’ait pénétré, et où l’on n’observe les jeûnes et l’usage d’allumer des lampes, et l’abstinence des mets qui nous sont défendus. Ils cherchent aussi à imiter la concorde qui règne parmi nous, l’habitude que nous avons de communiquer de notre bien à autrui, notre assiduité au travail des métiers et notre constance dans les souffrances que la loi nous commande d’endurer. Mais, ce qu’il y a de plus merveilleux, c’est que, sans mettre en jeu l’appât du plaisir, la loi s’est trouvée assez forte par elle-même et, de même que Dieu a parcouru le monde entier, de même la loi a fait-la ronde chez tous les peuples.

La conversion au judaïsme n’avait, si l’on excepte la courte époque de persécution sous Tibère, rencontré aucune entrave légale jusqu’à Adrien, et de même, abstraction faite de quelques tentatives de répression passagères, il n’avait pas été touché à la liberté religieuse absolue dont jouissaient les juifs, et qui leur avait été garantie par Jules César et par Auguste. En 42, Claude rendit un édit accordant aux juifs, dans toute l’étendue de son empire, la libre observance des usages de leurs pères, tout en leur recommandant aussi de ne point abuser de ses dispositions bienveillantes et de ne pas mépriser les superstitions d’autres peuples, mais de se contenter d’observer leurs lois propres, et cet édit resta postérieurement aussi en vigueur[86]. Il appert déjà du témoignage d’Horace[87] qu’il n’y avait, de la part des juifs non plus, manque de tentatives pour convertir des personnes d’autre croyance, et l’on sait que les pharisiens notamment parcouraient mer et terres pour faire un prosélyte[88]. Mais, après qu’Antonin le Pieux, tout en permettant aux juifs de reprendre désormais la circoncision de leurs enfants, interdite par Adrien, leur eut défendu, de la manière la plus rigoureuse, de la pratiquer sur quiconque n’était pas juif, des conversions formelles au judaïsme ne devaient, par suite de cet édit resté aussi postérieurement en vigueur[89], sauf le cas de transgressions certainement rares, guère plus être possibles[90]. Les prosélytes de cette époque postérieure ne pouvaient donc plus être des prosélytes de la justice, mais que de simples prosélytes de la porte, comme on appelait ceux dont les engagements se bornaient à l’observance des lois capitales et à l’abstinence des aliments défendus. Toutefois la majeure partie des convertis gagnés par le judaïsme sur le paganisme, même durant les temps antérieurs au règne d’Adrien, appartenaient aussi déjà, probablement, à cette dernière catégorie.

 

§ 2. — Le Christianisme.

Si la nature même du judaïsme, en sa qualité de religion d’un peuple élu, mettait des barrières à sa propagation aux dépens du paganisme, le christianisme au contraire n’avait pas seulement en lui la tendance à forcer tous les obstacles qui pouvaient l’empêcher de faire son chemin dans le monde, mais aussi la vigueur nécessaire pour en venir à bout, et si, pour les juifs, la conversion d’infidèles était tout au plus une œuvre méritoire ; il n’y avait pas, pour les chrétiens, de devoir plus élevé ni plus sacré que la propagation de la doctrine du salut. L’exemple des premiers apôtres ne cessait pas de susciter après eux, en nombre toujours croissant, des émules qui, suivant la doctrine de l’évangile, partageaient leur avoir entre les pauvres et prenaient le bâton de voyage pour porter la parole de Dieu de peuple à peuple[91], sans que leur zèle se lassât ni se refroidît jamais, même au milieu des plus graves difficultés et des plus grands périls. Les chrétiens, dit Origène[92], étaient ardents à semer la parole dans le monde entier. Les messagers de la nouvelle doctrine ne visitaient pas seulement les villes, mais aussi les villages et les fermes ; ils ne se faisaient même pas scrupule de s’insinuer dans les familles et de s’interposer entre les membres de celles-ci. Des esclaves chrétiens cherchaient, comme le leur reprochaient les païens, à attirer, dans leur foi les femmes et les enfants de leurs maîtres ; les plus ardents poussaient même les enfants à la désobéissance envers leurs pères et leurs précepteurs, pour les conduire au salut. Ainsi il n’arrivait que trop souvent, à cette époque aussi, comme à celles de tous les grands mouvements qui remuent profondément le monde et en renouvellent la face, que les liens de la nature fussent déchirés, des cœurs brisés, l’amour et la fidélité arrachés comme une mauvaise ivraie.

Jusqu’à Trajan, la propagation du christianisme, considéré comme une secte du judaïsme, culte légalement admis, ne fut pas sensiblement entravée. Les persécutions dirigées contre ses adhérents, sous Néron et Domitien, se bornèrent, selon toute apparence, à Rome, et n’atteignirent .même là qu’un nombre de personnes relativement assez faible[93]. Trajan fut le premier qui légalisa la persécution des chrétiens[94]. A partir de cette époque, on sévit contre eux, en les considérant soit comme adhérents d’une superstition nouvelle et pernicieuse, distincte du judaïsme, soit comme coupables de sacrilège, ou tout particulièrement du crime de lèse-majesté, quand ils refusaient de sacrifier à l’empereur[95]. Dans le cas de ce dernier crime, on appliquait à tous les accusés la torture, ainsi que les peines les plus graves, et aux condamnés des classes inférieures même la peine de mort renforcée[96] ! Une punition souvent édictée contre les chrétiens, c’était la condamnation aux travaux forcés dans les carrières et les mines[97], où ceux dont on avait le plus chargé la peine travaillaient enchaînés et la tête complètement rasée d’un côté[98], sous les yeux d’une garde militaire. Denys, évêque de Corinthe du temps de Marc-Aurèle et de Commode[99], remercie la commune romaine, dans une lettre, de sa bienfaisance envers. les nécessiteux en général, mais particulièrement à l’égard des frères internés dans les mines. Cet esprit de charité, dit-il, qui existait à Rome depuis le commencement, n’a pas été seulement entretenu, mais encore étendu sur un plus large théâtre par le saint évêque Soter (de 171 à 179)[100]. Lors de la persécution qui commença en 177, sous Marc-Aurèle, on envoya dans les mines de la Sardaigne un certain nombre de chrétiens de Rome, qui durent plus tard leur délivrance à l’intervention de Marcie, la maîtresse chrétienne de Commode, en leur faveur[101]. Tertullien aussi parle de ceux qui souffrent pour leur foi dans les mines, les prisons et les îles, et qui, entretenus par les aumônes des frères, devaient ce bénéfice de pensionnaires à leur confession[102]. Mais bien que la persécution augmentât, depuis 203, sous Septime Sévère, et qu’elle se renouvelât sous Maximin le Thrace, il n’y eut, jusqu’à la première grande persécution générale des années 249 à 251 sous Dèce, suivant le témoignage exprès et irrécusable d’Origène[103], qu’un très petit nombre de personnes, dont il serait facile d’établir le compte, qui souffrirent la mort pour la foi chrétienne. Même pendant la grande persécution sous Dèce, dix hommes et sept femmes seulement, dans la très grande commune d’Alexandrie, furent immolés pour leur foi, d’après les renseignements fournis par Denys, ami d’Origène[104]. Il est certain que même les plus violentes persécutions des chrétiens, sous les empereurs roumains, sont loin de pouvoir être comparées aux persécutions bien plus terribles qui furent exercées par l’inquisition. Sous Charles-Quint, dans la Hollande et la Frise, jusqu’à l’année 1546, plus de 30.000 personnes doivent avoir péri de la main du bourreau, comme entachées d’erreurs anabaptistes ; et en Espagne, pendant les dix-huit ans de l’administration de Torquemada, plus de 105.000 personnes (chiffre de l’évaluation la plus basse) auraient été, dit-on, punies. Dans ce nombre, 8.800 malheureux furent brûlés vifs. En Andalousie, dans une seule année, 2.000 juifs doivent avoir été mis à mort, 17.000 condamnés à d’autres peines[105].

Les persécutions ont d’ailleurs, notoirement, plutôt enflammé qu’abattu l’ardeur de la foi et le zèle de conversion des chrétiens. Notre doctrine, dit Clément d’Alexandrie[106], est entravée, depuis sa première proclamation, par les rois et tous les souverains comme par les gouverneurs et chefs de l’administration des provinces, qui tous nous combattent, avec leurs soudards et l’appui d’une multitude énorme, cherchant à exterminer des nôtres le plus qu’ils peuvent, et néanmoins elle fleurit de plus en plus. Elle ne saurait périr comme une doctrine humaine, ni se flétrir comme un don fragile, car nul don venant de Dieu n’est fragile. Elle se maintient et ne peut être arrêtée dans sa marche, malgré la prophétie, qu’elle sera persécutée jusqu’à la fin. Mais, avec l’ardeur seule du bouillonnement de ce grand zèle de conversion des chrétiens, la sublime doctrine de l’Évangile, trop sublime même pour une grande partie du monde païen, n’aurait pu faire des progrès relativement aussi rapides, si d’autres causes encore, fondées en partie, dans les besoins et les faiblesses de la nature humaine en général, en partie dans les conditions de l’état- social du temps, n’avaient concouru à sa propagation.

La nouvelle doctrine s’adressait à l’humanité entière ; elle n’excluait personne du bénéfice de la promesse du salut, pas même les plus infimes et les plus méprisés des hommes. Elle trouva, naturellement, le terrain le plus favorable chez des gens qui forment partout une énorme majorité, les gens ayant de la peine et l’âme chargée, les pauvres et les malheureux. Elle offrait des consolations inattendues au désespoir et à la perplexité ; elle ouvrait une perspective de pardon même au plus coupable. Les païens, pour s’en moquer, disaient : Tandis que l’on convie aux cérémonies de consécration des autres cultes ceux qui ont le sentiment d’une conscience pure, les chrétiens promettent l’admission, dans leur royaume de Dieu, même aux pécheurs et aux insensés, c’est-à-dire précisément aux maudits[107].

Il faut aussi très grandement tenir compte de l’influence que les femmes, très impressionnables pour la nouvelle doctrine, exercèrent sur la propagation de celle-ci. Le christianisme érigeait les femmes, dans les pays helléniques, où leur condition était profondément déprimée, en compagnes de l’homme, marchant de pair avec lui ; il donnait au mariage, par la communion plus intime des âmes dans une même foi et un même espoir, une consécration nouvelle, à la virginité une nouvelle sainteté, à toute la vie de la femme une plus haute valeur sociale. Or ; les femmes ne se tenaient pas toujours dans les limites tracées pour définir leur position, même dans le sein de la communauté chrétienne ; aussi saint Paul eut-il sujet de blâmer qu’à Corinthe elles priaient et prophétisaient, la tête découverte, et se vit-il obligé de les avertir de leur devoir de garder le silence dans la commune et d’être soumises avec leurs maris, ainsi que le prescrit la loi[108].

Mais, ce qui amena au christianisme le plus grand nombre de croyants, ce fut la promesse, qui n’avait jamais auparavant été proclamée avec une conviction aussi persuasive et aussi foudroyante pour tous les doutes, d’une autre vie meilleure, d’une félicité éternelle. Avec cet espoir de félicité, la crainte des châtiments éternels, dont était menacée l’incrédulité, concourait à agir sur lestâmes d’autant plus fortement que la croyance à l’approche de la fin du monde d’ici-bas était alors aussi très répandue[109].

Des miracles et des signes, dont les croyants n’étaient pas moins friands que les sceptiques et les hésitants, s’opéraient, également alors, certes en aussi grand nombre pour la confirmation de la foi chrétienne que pour le soutien de la foi païenne. Au nom de Jésus, dit saint Irénée[110], évêque de Lyon de 177 à 202, ses disciples, qui ont reçu ce don de leur maître, exorcisent les diables ; d’autres ont le seconde vue et prédisent l’avenir ; d’autres guérissent des malades, par l’imposition des mains, et ressuscitent les morts. Il serait impossible d’énumérer tous les témoignages de grâce que l’Église a reçus de Dieu, pour le monde entier, et qu’elle met en œuvre, au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, crucifié sous Pilate pour le bien des peuples, sans commettre aucune fraude ni recevoir aucun payement ; car, ayant reçu ces dons comme un présent de Dieu, elle en fait part de même gratuitement.

Puis la foi des chrétiens, ferme comme le roc, ainsi que si souvent et si héroïquement éprouvée, remplissait les c âmes de respect pour une religion qui trouvait de tels sectateurs. Plus on nous moissonne, dit Tertullien[111], plus nous croissons en nombre. Le sang des chrétiens est une semence. L’opiniâtreté, dont vous nous faites un reproche, devient une source d’enseignement. En effet, qui, en la contemplant, ne serait pas profondément ému et poussé à rechercher ce qu’il y à au fond de tout cela ? Qui, après être arrivé à découvrir ce qu’il y a, ne voudrait pas donner son adhésion ? Qui, après avoir adhéré, ne désirerait pas souffrir lui-même ? La moralité des chrétiens commandait l’admiration même à leurs adversaires. Pline le Jeune, comme gouverneur de la Bithynie ; se crut obligé d’ouvrir une enquête contre les chrétiens de cette contrée, à Amisus en premier lieu ; vu qu’il y avait contre eux le préjugé du public, généralement porté à croire qu’ils commettaient, dans leurs réunions secrètes, toute sorte d’infamies ; cependant il ne leur trouva pas, après une instruction sévère, dans laquelle des femmes, deux esclaves, furent mises à la question par des tortures, d’autre tort que celui d’être attachés à ce qui lui paraissait une superstition absurde et poussée à l’extrême. Les accusés l’assuraient hautement que tout leur délit, ou leur erreur, se bornait à l’habitude de se réunir un jour déterminé, avant le lever du soleil, de s’adresser dans leur prière au Christ comme à un dieu, avec la promesse solennelle de ne jamais commettre aucun vol, domestique ou à main armée, ni aucun adultère, de ne jamais rompre la foi donnée et de ne renier, dans aucune circonstance ; le dépôt du bien qui leur était confié. Après quoi, leur habitude était, disaient-ils, de se séparer, puis de se réunir de nouveau pour un repas commun, dans la plus grande innocence[112]. Galien trouvait que la foi des chrétiens leur apprenait à se conduire de la manière la plus conforme aux préceptes de la vraie philosophie ; il rendait notamment justice à leur mépris de la mort, à leur vie chaste, décente, continente et morale jusqu’à la rigidité ; dans son Opinion, il-y en avait parmi eux qui, par l’empire qu’ils avaient sur eux-mêmes et la sincérité de leur application à la vertu, ne le cédaient en rien aux véritables philosophes[113].

Qu’il y eut, toutefois, aussi dans les communes chrétiennes des éléments impurs, et que les pécheurs, admis dans leur sein avec l’espoir qu’ils se corrigeraient, ne s’amendassent pas tous réellement, c’est ce dont témoignent déjà les reproches de saint Paul aux communes de Corinthe et de la Crète, comme aussi le fait que saint Jacques se vit obligé de condamner l’abus moral de la doctrine de saint Paul, faisant dépendre la félicité éternelle uniquement de la foi, et celui que l’Apocalypse dut entrer en lutte contre les tentateurs de Pergame, les Nicolaïtes, qui non seulement n’observaient pas les prescriptions, relatives au régime alimentaire, données aux païens convertis à la foi du Christ, mais ne tenaient même pas compte de la défense de l’impudicité[114]. Cette charité active et miséricordieuse que les chrétiens pratiquaient entre eux, était précisément ce dont abusaient aussi des hypocrites, qui s’attachaient à la nouvelle communion dans l’espoir d’y trouver de l’assistance et d’autres avantages : Lucien a décrit, du point de vue de l’opinion hostile aux chrétiens, l’accueil que le philosophe Pérégrinus Protée trouva chez les chrétiens en Palestine, quand il se déclara de leur confession, et fut jeté en prison pour ce fait. Après qu’ils eurent, vainement, tout mis en couvre pour le délivrer, ils s’appliquèrent à tous les moyens d’adoucir au moins sa captivité. Dès l’aube, on voyait de vieilles femmes, des veuves et des orphelins rôder auprès de la prison. Les préposés de la commune obtinrent des gardiens, en les corrompant, la permission de passer, même les nuits avec le prisonnier. On y apportait de larges collations et faisait des prières, pendant les repas. Il y venait des envoyés jusque des communes de l’Asie mineure, pour consoler, conseiller et assister ; car, dit Lucien, ils se montrent, en pareil cas, secourables au-delà de tout ce que l’on peut imaginer ; ils donnent tout, sans hésiter ni réfléchir. Les malheureux, ajoute-t-il plus loin, s’imaginent qu’il y aura pour eux une vie éternelle, ce qui leur fait faire bon marché de la vie et des biens de, ce monde ; aussi leur premier législateur leur a-t-il enseigné qu’ils sont tous frères du moment où, reniant tous les dieux helléniques, ils substituent au culte de ceux-ci l’adoration de leur sage crucifié, et vivent d’après ses lois. Ils professent ainsi un égal mépris pour tout le reste du monde[115], en adoptant, sans aucune espèce de garantie, de pareilles doctrines. Or, qu’un rusé imposteur se faufile parmi eux, il lui sera facile de faire son jeu, avec ces gens simples, et de s’enrichir en peu de temps. Du reste, Tertullien aussi blâme l’excès des soins matériels que la sollicitude des communes procurait aux frères incarcérés à raison de leur foi[116].

Il n’est pas douteux que de faux prophètes de toute espèce, tant imposteurs qu’enthousiastes ou fanatiques, trouvaient, dans les communes chrétiennes, un terrain particulièrement favorable pour la propagation de leurs doctrines fallacieuses, et par là les moyens de gagner de la considération et du pouvoir ; non moins certain que des ambitieux, auxquels l’humilité de leur condition, ou la défaveur d’autres circonstances, faisait obstacle dans la poursuite de leurs fins, cherchaient à jouer, dans cette communauté, un rôle qui leur était interdit sur le théâtre de la vie politique. Depuis les commencements, le christianisme fut infesté par l’esprit de secte, et l’Église persécuta les sectes comme celles-ci se poursuivaient, entre elles, d’une haine amère et d’imputations passionnées, qui ne le cédaient guère, en violence, aux accusations dirigées par les païens contre les chrétiens en général. Telle était, d’après Celse, la division entre les chrétiens, qu’ils n’avaient plus guère de commun que le nom[117].

Parmi les sectes du deuxième siècle (or une réfutation écrite au commencement du troisième n’en énumère pas moins de trente-deux), le montanisme, né en Phrygie, sous l’influence de la direction sensuelle et enthousiaste du culte à laquelle on était généralement enclin dans cette contrée, ne tarda pas à se répandre beaucoup aussi en Occident. Le fondateur de cette secte, Montanus, ancien prêtre de Cybèle émasculé, dit-on, commença, vers l’an 150, à proclamer, dans un état d’extase, à Pépuza, que le Paraclet (Saint-Esprit) s’était communiqué à lui, pour donner la perfection virile à l’Église. Deux femmes exaltées, Maximille et Priscille, se joignirent à lui, les femmes en général paraissant, d’ailleurs, avoir toujours exercé une grande influence, dans cette secte, en partie comme visionnaires et en opérant des miracles[118]. Les montanistes, croyant avoir le monopole du bénéfice des dernières révélations de l’Esprit saint, regardaient les autres chrétiens du haut de leur grandeur spirituelle, avec tout le dédain de leur orgueilleuse présomption. lis exigeaient un degré d’ascétisme supérieur et la profession d’un profond mépris pour toutes les choses terrestres, défendirent les mariages en secondes noces, attachaient une importance excessive au célibat et au martyre, et enseignaient que l’impudicité, le meurtre et l’idolâtrie excluent pour jamais de l’Église ils proclamaient, hautement aussi, l’imminence de la fin du monde et de l’avènement du règne millénaire. Ces doctrines et plus encore l’extase prophétique des montanistes, que leurs adversaires déclaraient ne pouvoir interpréter que comme une inspiration démoniaque, soulevèrent, dans le monde chrétien, des contradictions multiples ; mais les idées montanistes ne s’en répandirent pas moins dans l’Église d’Occident, où leur influence se manifesta surtout par une extrême sévérité, et par la tendance à réglementer extérieurement la dévotion. Les écrits de Tertullien, ancien (presbyter) ou ministre de la commune de Carthage et montaniste lui-même, conservèrent une haute autorité[119].

La Réfutation de toutes les hérésies, mentionnée plus haut, écrite vers les années 230 à 240 au plus tard, et dont l’auteur incline fortement au rigorisme de la secte montaniste[120], donne un aperçu très intéressant des dissidences et des antagonismes déterminés, notamment par la diversité des opinions en matière de doctrine, dans le sein des communes chrétiennes, ainsi que des graves inconvénients et des difficultés qui, parfois, résultèrent du contact de la société chrétienne avec le monde païen. L’auteur de cet écrit vivait à Rome, ou du moins y séjournait souvent. Il paraît avoir vécu dans la familiarité du pape Victor (de 190 à 202). Sous le pontificat de Zéphyrin (de 212 à 218), il prit une part très vive aux disputes des monarchistes, qui ne concevaient pas la divinité, dans le Christ, comme une personnalité différente de Dieu le père, et fut personnellement un adversaire du pape Calixte (de 218 à 222). On avait cru, le plus généralement, jusqu’à ces derniers temps, pouvoir désigner comme cet auteur Hippolyte, évêque d’une secte à Rome, ou, suivant d’anciens renseignements, évêque du Port du Tibre ; mais, tout récemment, des arguments nouveaux ont ramené à la probabilité que Tertullien pouvait bien avoir composé cet écrit dans sa vieillesse. L’attaque qu’il dirige contre le chef de la commune chrétienne de Rome ne montre que trop clairement quelles vilaines passions les controverses, en matière de foi, réveillaient et nourrissaient, dès lors, dans le monde chrétien. Voici, en peu de mots, la substance du rapport dont il s’agit, intéressant à bien des égards[121].

Calliste ou Calixte, nom qu’il porte dans l’Église, était l’esclave chrétien d’un affranchi, chrétien aussi, de la maison de l’empereur Commode, et nommé Carpophore. Celui-ci lui confia une somme assez considérable, avec laquelle Calliste devait fonder une maison de banque, sous le nom de son maître, mais à son profit personnel. Beaucoup de veuves et de frères y placèrent leur argent. Malheureusement Calliste fit de mauvaises affaires, qui le mirent dans une situation voisine de la banqueroute, et, pour se soustraire à l’obligation de rendre ses comptes, il prit la fuite et se rendit au Port du Tibre, à bord d’un navire en partance. Carpophore l’y suivit. L’autre, quand il vit son maître apparaissant au port, sauta dans la mer ; mais on l’en retira et le transporta à Rome, où Carpophore l’envoya au pilon partager le travail ordinaire des esclaves assujettis à cette peine correctionnelle. Cependant Carpophore se laissa fléchir et le remit en liberté, quand plusieurs frères, intéressés dans la banque, vinrent lui représenter, les larmes aux yeux, que leur confiance en lui les avait décidés à remettre leurs fonds à Calliste, et que celui-ci avouait avoir mis une certaine somme en sûreté. Mais Calliste, ne se trouvant pas mieux qu’auparavant en état de remplir ses engagements, voulut mettre un terme à ses jours et acquérir en même temps la gloire du martyre. II se rendit, sous le prétexte d’une réclamation d’argent, le jour du sabbat, dans une synagogue, et y troubla le service divin. Les juifs tombèrent sur lui et l’amenèrent devant le tribunal du préfet de la ville, Fuscien, qui le fit fustiger et le condamna aux travaux forcés dans les mines de la Sardaigne, où se trouvaient déjà d’autres chrétiens, punis en raison de leur foi. Mais il arriva que la favorite déjà mentionnée de l’empereur Commode, Marcie, voulant faire une bonne œuvre, se fit donner, par l’évêque Victor, une liste des martyrs relégués dans cette île, et obtint leur grâce. Calliste, dont Victor avait omis, à dessein, de porter le nom sur la liste, n’en réussit pas moins à obtenir du porteur du message, l’eunuque Hyacinthe, père nourricier de Marcie, et alors ancien (presbyter) ou ministre de la commune, de décider, par ses démarches, le procureur de Sardaigne à le relâcher également. Victor n’en fut pas content ; cependant il se borna à fixer Antium pour séjour au libéré, qui y vécut d’un secours mensuel. Les événements que l’on vient de raconter s’étaient passés de 186 à 190 environ[122].

Après la mort de Victor, Calixte sut se mettre en faveur auprès du successeur de ce pape, Zéphyrin, homme simple d’esprit, s’il faut en croire l’assurance de l’auteur, sans érudition, ignorant,même en matière de doctrines théologiques, et de plus corruptible, comme il avait soif d’argent. Zéphyrin l’appela donc à Rome, où il le préposa à la garde d’un nouveau cimetière, fondé par lui. Calixte sut manœuvrer de façon à faire croire, à chacun des partis en zizanie dans la commune, qu’il était de son bord, et parvint ainsi à se faire élire évêque. Comme tel, il débuta par une hérésie pernicieuse, en prétendant que le Père et le Fils ne faisaient qu’un, fonda une école, et promit, à qui y adhérerait, la rémission de ses péchés. Nombre de gens, dont la conscience était troublée, et parmi lesquels il s’en trouvait même que l’auteur avait expulsés de la commune après sentence, se rallièrent à cette école. Calixte enseignait qu’un évêque ne saurait être destitué même pour un péché mortel ; il institua des évêques, des anciens et des diacres vivant en secondes et troisièmes noces, et laissa en place les ecclésiastiques qui se mariaient. D’après son interprétation de la sentence : Laissez l’ivraie croître avec le froment, les pécheurs devaient rester dans la commune, dont le symbole était, selon lui, l’arche de Noé, qui renfermait des animaux purs et impurs. Il usait d’une indulgence coupable, notamment avec les grandes dames, auxquelles il permit de vivre avec des esclaves ou des hommes de condition inférieure, avec lesquels elles ne pouvaient contracter mariage, sans encourir la déchéance de leur rang, et la répugnance de ces dames à élever les enfants qu’elles avaient d’eux les conduisit à de nouveaux .crimes. Ainsi ; cet évêque impie enseignait le meurtre en même temps que l’adultère. C’est aussi sous son épiscopat, et de la part de ses adhérents, qu’eut lieu la première tentative de l’introduction du second baptême.

La vérité matérielle des faits ci-dessus rapportés ne peut former l’objet d’aucun doute ; mais il n’est pas moins certain qu’ils ont été groupés,- interprétés et commentés dans le sens le plus hostile. Nous n’examinerons pas ici jusqu’à quel point la doctrine de Calixte et sa manière d’exercer la discipline ecclésiastique comportent une appréciation plus favorable. M. de Rossi s’en est chargé[123]. La manière, toutefois, dont l’auteur du récit présente les faits, ne permet pas de concevoir comment Calixte avait pu être choisi, par élection, pour chef de la même commune qui l’avait connu criminel vulgaire. Il y a là une lacune dans le silence complet, relativement à son entrée dans les ordres du moins, et probablement encore omission de bien d’autres choses dont la connaissance aiderait à faire comprendre le fait d’une élévation pareille, après un tel passé. Il semblerait que Calixte était devenu l’archidiacre dudit pape Zéphyrin. Or, comme tel, il était chargé de l’administration de la caisse communale, de la distribution des traitements aux ministres de l’église et de celle des aumônes aux veuves et aux orphelins. Il devait être difficile à un homme, dans cette position, d’éviter de faire des mécontents ; mais il n’est guère admissible qu’il eût pu arriver à être élu évêque, si sa gestion (de dix-huit ans) n’avait pas été tout à fait irréprochable[124].

Au nom de Calixte se trouve indissolublement liée la mention d’un établissement vénérable, de la plus haute importance pour l’histoire de la primitive Église et qui forme, en même temps, l’objet d’une des découvertes les plus brillantes qui aient été faites sur le domaine de l’archéologie. Cette place de sépulture nouvellement organisée par Zéphyrin, près de la voie Appienne, sur les terres des Céciliens, a été, tout porte à le croire, le premier cimetière reconnu par l’État de la commune chrétienne de Rome, tandis qu’auparavant les sépultures avaient lieu sur les fonds des particuliers membres de celle-ci, et leur conservation était attachée à celle des titres de propriété sur ces mêmes fonds. C’est à l’infatigable génie d’exploration de M. de Rossi que l’on est redevable, depuis, 1854, de l’heureuse découverte de ce cimetière, depuis lors appelé Cimetière de Calixte, et qui fut jadis le champ de repos des papes, jusqu’à Miltiade, qui mourut en 314.

Le récit de l’auteur anonyme rappelle ce que l’on oublie parfois, à savoir qu’il devait être impossible aux communes chrétiennes de se séquestrer entièrement du reste du monde, qu’elles étaient continuellement entraînées à subir leur part des infirmités et des maux de la civilisation du temps[125]. Que les apologistes de la nouvelle religion ne vissent ici qu’amour et concorde, là que haine et persécutions mutuelles[126], on le comprend. Comparez, dit Origène[127], les communes chrétiennes d’Athènes, de Corinthe et d’Alexandrie aux communes païennes de ces mêmes villes dans les premières règnent la douceur et, la paix, parce qu’on y a le désir de plaire à Dieu ; dans les secondes, qui ne leur ressemblent en rien, l’esprit de révolte. Les chefs aussi et les anciens des communes de Dieu, même les négligents et les moins parfaits parmi eux, vous les trouverez toujours plus avancés sur le chemin de la vertu que les chefs de la bourgeoisie civile. Il est vrai qu’à cette époque l’explosion de la discorde religieuse était encore comprimée par la persécution qui sévissait sur tout le monde chrétien ; mais un siècle et demi plus tard, en 367, quand les différends ecclésiastiques se vidèrent à Rome par des combats sanglants, un païen, homme bienveillant et raisonnable, put dire qu’il ne connaissait pas de bête sauvage aussi funeste à l’homme, et enragée contre lui, que l’étaient la plupart des chrétiens les uns contre les autres[128].

Quelque nombreuses que fussent les causes dont le concours favorisait la propagation de l’évangile, il est certain que celui-ci n’avait encore trouvé que des partisans isolés dans les hautes classes, avant le milieu ou même la fin du deuxième siècle. Dans celles-ci non seulement l’éducation philosophique, ainsi que tout l’ensemble d’une éducation intimement liée, dans tolites ses parties, avec le polythéisme, opposait la plus forte résistance, mais la profession du christianisme amenait aussi les conflits les plus dangereux avec l’ordre de choses établi ; enfin, c’est aux cercles en possession des honneurs, du pouvoir et de la richesse que le renoncement à tous les intérêts terrestres devait naturellement coûter le plus. Dans les couches inférieures de la société, au contraire, les progrès du christianisme, déjà extraordinairement favorisés par la dispersion des juifs, ont dû être très rapides, à Rome surtout[129]. Comme on sait, Néron, lors du grand incendie de Rome, en l’an 64, s’attaqua aux chrétiens, comme aux victimes qu’il croyait le plus opportun de livrer à la fureur populaire, parce qu’ils étaient généralement détestés à cause de leurs forfaits, c’est-à-dire des horreurs qu’une haine aveugle les accusait de commettre, dans leurs agapes et autres réunions secrètes ; bien que, par le fait, on ne pût judiciairement convaincre une grande, partie d’entre eux que de misanthropie en général. Le fondateur de la secte à laquelle il a attaché son nom, le Christ, dit Tacite[130], avait été mis en croix, sous le règne de Tibère, par le procureur Ponce Pilate ; mais cette superstition pernicieuse, comprimée pour le moment, éclata de nouveau non seulement en Judée, dans le pays d’où était sorti ce fléau, mais aussi à Rome, où tout ce qui est hideux et abominable conflue de tous côtés et trouve des adhérents. Une partie des cimetiéreux souterrains, qui étaient à l’usage des chrétiens de Rome, remontent indubitablement au premier siècle, d’après l’ordonnance architecturale et le style de la décoration artistique. Précisément les plus anciennes cryptes sont riches en ouvrages de stuc et en fresques, dans le style et le goût de ce temps-là, comme notamment la partie primitive du cimetière de Priscille, près de la via Salaria ; de même les peintures des murs et des plafonds de plusieurs parties du cimetière de Domitille, sont parfaitement analogues à celles de Pompéji[131]. Les parties les plus anciennes des cryptes de Lucine aussi, du noyau primitif de ce qu’on appelle aujourd’hui le cimetière de Calixte, offrent un style de décoration classique et paraissent dater du premier siècle[132].

Au deuxième siècle, le christianisme fit des progrès bien plus grands. Cette défection générale de la religion du peuple déjà mentionnée en Bithynie, qui y fit déserter les temples et qui effraya Pline le Jeune, n’avait probablement plus, dès lors, dans les provinces orientales du moins, le caractère d’un phénomène isolé. Dans la seconde moitié de ce siècle, des auteurs chrétiens tenaient déjà un langage très fier[133]. Il n’est pas, dit saint Justin (mort en 166), un peuple d’origine barbare ou hellénique, soit de toute autre qualification, dût-il vagabonder, sans demeure fixe, sur des chariots, ou mener sous des tentes la vie nomade, chez lequel des actions de grâces et des prières ne soient adressées, au nom de Jésus crucifié, à Dieu le père, créateur de l’univers. Saint Irénée, évêque de Lyon de 177 à 202, parle de communes chrétiennes en Germanie, en Ibérie, dans les Gaules, en Orient, en Égypte, en Libye et à Rome, dans la métropole du monde. Le langage de Tertullien est encore plus sonore et déjà menaçant. A qui donc, s’écrie-t-il en s’adressant aux juifs, croient torts les peuples, si ce à n’est à l’oint du Seigneur, qui est venu ? Puis il énumère, outre les pays habités par des juifs d’après les Actes des apôtres, aussi, la Gétulie, la Maurétanie, l’Espagne, les parties de l’archipel britannique encore inoccupées par les Romains, mais déjà soumises au Christ, ainsi que la région des Sarmates, celle des Germains et beaucoup d’autres contrées, provinces et îles, lointaines et inconnues. Il prétend que les chrétiens formaient dès lors, presque partout, plus de la moitié de la population[134]. Le nombre et le monde nous feraient-ils défaut, par hasard, si nous voulions, non pas chercher à nous venger en cachette, mais passer à l’état d’hostilité ouvertes ? demande-t-il[135] vers l’an 199. Les Maures, les Marcomans et même les Parthes, les plus grands peuples, n’habitant toutefois qu’une contrée et bornés au ressort de leur propre domination, peuvent-ils prétendre à une supériorité numérique sur la population de la terre entière ? Nous sommes d’hier, et déjà nous remplissons tout le territoire soumis à votre domination, les villes, les îles, les castels, les municipes, les bourgs, les camps même, les tribus, les décuries, le palais, le sénat, le forum[136].

Dans ces propos, il y a certainement une grande exagération, décuple peut-être de, celle qu’il y aurait à les appliquer de nos jours à l’évaluation du rapport entre la population chrétienne actuelle et la population générale de toutes les parties du monde. Ils sont d’ailleurs en contradiction flagrante avec un propos postérieur d’Origène[137], lequel, exagérant dans le sens contraire, après un laps de plusieurs périodes décennales, dit que tes chrétiens, comparativement à la masse de la population de l’empire. romain, n’étaient qu’un petit nombre. Quelques données numériques permettent cependant une estimation conjecturale de ce rapport, laquelle ne saurait, naturellement, être qu’approximative. La commune chrétienne de Rome était, certainement, la plus grande de tout l’empire, et elle avait eu la chance de jouir, depuis la mort de Septime Sévère jusqu’à la grande persécution de Dèce, d’Une paix qu’une courte persécution, sous Maximin, était seule venue troubler, dans l’intervalle. Or, d’après une lettre du pape Cornélius, vers la fin de cette période de paix, à une époque où ladite commune comptait un personnel ecclésiastique de 46 anciens ou ministres, 7 diacres, 7 sous-diacres, 50 maîtres, exorcistes et pot tiers, le nombre des indigents, des veuves et des malades entretenus par l’assistance de leurs frères dans le Christ, s’y élevait à 1.500[138]. Comme on sait que la commune d’Antioche, avec un total de 100.000 membres, assistait 3.000 nécessiteux, le total des membres de la commune de Rome, à cette époque, paraît devoir être évalué à la moitié aussi, soit à environ 50.000[139], peut-être le vingtième de toute la population de la ville de Rome, à la même époque ; et il n’est même guère probable que les chrétiens aient jamais formé, dans tout l’empire, une fraction beaucoup plus grande de l’ensemble de la population, avant Constantin, pour le temps duquel Chastel[140], estime cette fraction à un quinzième pour l’Occident et à un dixième peut-être pour l’Orient, soit en moyenne à un douzième de la population totale de l’empire romain, comme aussi La Bastié. Avec ces estimations cadre aussi très bien le fait que le nombre des fidèles de l’ancienne et célèbre commune chrétienne d’Antioche ne s’élevait encore, au temps de Théodose, qu’à 200.000 âmes, c’est-à-dire au quart ou au cinquième peut-être de la population totale de cette ville[141].

Cependant les chrétiens n’étaient pas seulement, au troisième siècle encore, une petite minorité, mais celle-ci, jusqu’au commencement de ce siècle du moins, appartenait presque exclusivement aux couches les plus infimes de la société.

Les païens, en se moquant d’eux, disaient qu’ils ne parvenaient à convertir que les plus simples, des esclaves, des femmes et des enfants ; que c’étaient des gens incultes, malappris et rustres ; que leurs communes n’étaient, en grande majorité, formées que de gens. du commun, d’artisans et de vieilles femmes. Des témoignages positifs d’auteurs chrétiens confirment le fait que la nouvelle religion ne comptait, même jusqu’au milieu du troisième siècle, qu’un nombre minime d’adhérents dans les classes supérieures. Mais, suivant Eusèbe[142], la paix dont l’Église jouit sous Commode avait beaucoup contribué à l’extension de son domaine spirituel, à tel point que, même parmi les hommes éminents par la fortune et la naissance à Rome, plusieurs s’étaient tournés, avec toute leur famille et toute leur maison, du côté où est le salut. Sous Alexandre Sévère, Origène dit[143] que, depuis lors, les messagers chrétiens de la parole de Dieu trouvaient également accueil chez les riches, chez beaucoup de hauts dignitaires, ainsi que chez des dames opulentes et de grande naissance, succès dont le christianisme n’avait pas eu à se vanter auparavant. Suivant Tertullien, cet empereur prit sous sa protection des hommes et des femmes de condition sénatoriale, dont l’adhésion au christianisme était manifeste, et, comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’indulgence de Calixte envers les prosélytes huppées du grand monde ne laissa pas que de scandaliser une partie de la commune. En 258, l’empereur Valérien adressa au Sénat un rescrit, d’après lequel les chrétiens appartenant à l’ordre sénatorial et à l’ordre équestre devaient encourir la perte de leurs biens et même être punis de mort s’ils persistaient dans leur foi, les chrétiens relevant de la maison et de la cour impériales être répartis, enchaînés et astreints aux travaux forcés sur les domaines impériaux[144]. Ainsi, à partir du règne de Commode, les données témoignant, des progrès du, christianisme, dans les hautes classes, sont aussi positives et multiples que le manque absolu de pareils témoignages, pour l’époque antérieure, est certain.

Cela s’accorde parfaitement avec la circonstance qu’il n’est fait mention, jusque vers la fin du deuxième siècle, dans la littérature classique, des chrétiens et du christianisme, que très rarement et en passant, avec indifférence et dédain. Les propos de Pline le Jeune et de Tacite montrent qu’à l’époque de Trajan la nouvelle secte n’avait pas encore frappé l’attention des cercles du grand monde, à Rome, assez pour que l’on crût devoir prendre la peine de se procurer sur elle des renseignements précis. Épictète et Marc-Aurèle parlent bien du courage avec lequel les chrétiens allaient à la mort ; mais à aucun des deux ce courage ne paraissait fondé sur une conviction raisonnable ; ils n’y voyaient qu’une habitude et de l’opiniâtreté à tout braver ; Marc-Aurèle trouvait même que ce courage manquait de dignité, et qu’il avait quelque chose de théâtral[145]. Aristide crut voir dans l’humilité des chrétiens, qu’il appelle les impies de Palestine, de la bassesse de sentiment, dans leur fermeté de conviction de l’arrogance, et la réunion de deux qualités si opposées lui semblait particulièrement caractéristique pour eux[146]. Apulée[147] a fait le portrait d’une chrétienne adonnée à tous les vices. Galien, tout en reconnaissant la vertu des chrétiens, n’avait qu’un sentiment mêlé d’étonnement et de mépris pour la foi absolue des sectateurs de Moïse et du Christ dans des thèses non prouvées[148], l’idée d’un dogme religieux étant restée complètement étrangère à son esprit, comme à celui de tous les païens. Dans la grande histoire romaine, si détaillée, que Dion Cassius, sous Alexandre Sévère, continua jusqu’à son propre temps, il n’était, selon toute évidence, distinctement fait mention des chrétiens nulle part. Suivant son indication, les chrétiens, persécutés sous Domitien, étaient accusés d’athéisme et de l’observance de pratiques juives ; ainsi lui aussi prenait le christianisme pour une secte juive. Hérodien ne les nomme pas non plus, et même les auteurs de certaines biographies d’empereurs, en partie déjà contemporains de Constantin, ne les mentionnent que très rarement et qu’accidentellement. Les premiers écrits païens contre le christianisme ne sont pas antérieurs au milieu du deuxième siècle. Il paraîtrait, d’après Origène, que Phlégon de Tralles, dans le treizième ou le quatorzième livre de ses chroniques, avait mentionné l’éclipse du soleil et les tremblements de. terre qui accompagnèrent la mort du Christ sur la croix, sans aucune expression de doute[149], et que le même avait attribué au Christ une prophétie de saint Pierre, qui s’était accomplie[150]. Mais, chez un auteur que tous les miracles intéressaient spécialement, comme tels, il n’y a pas à conclure de là qu’il dût personnellement avoir eu des rapports avec les adorateurs du Christ, ou une connaissance réelle de la doctrine de celui-ci. Les écrits de Fronton répètent encore les plus absurdes inventions du populaire contre les chrétiens[151]. Le platonicien Celse lui-même, bien qu’exactement informé par un juif de l’objet de la doctrine chrétienne, conclut, dans l’écrit développé qu’il lança contre eux, vers l’an 150, à l’avis que toute cette dispute entre juifs et chrétiens, où, dans son opinion, tout ne tournait que sur la question de savoir si le Messie, annoncé par les prophètes, était arrivé ou non, se réduisait à une querelle pour l’ombre de l’âne[152], ou, comme on dirait aujourd’hui, pour la barbe de l’empereur.

Les seules à mentionner, dans le tout petit nombre de personnes des classes supérieures, dont la conversion au christianisme, antérieurement au règne de Commode, puisse être affirmée avec quelque certitude ou vraisemblance, sont la femme du consul Plautius, Pomponia Grécina, accusée de superstition d’origine étrangère en l’an 58, le consul Flavius Clément, supplicié en l’an 95, et sa femme (ou sœur) Flavie Domitille, exilée à Pontie.

Mais, pour ce qui concerne le supplice contemporain d’Acilius Glabrion, consul en 91, l’extrait très peu clair de l’histoire de Dion Cassius star lequel on se fonde, pour attribuer la cause de sa condamnation à ce qu’il attrait embrassé Je christianisme, n’autorise pas suffisamment cette supposition ; car, d’après Suétone, il aurait été condamné parce qu’on lui prêtait des projets subversifs[153].

Une vieille tradition, d’après laquelle des rapports personnels auraient existé entre le philosophe Sénèque et l’apôtre saint Paul, n’a guère trouvé non plus, jusqu’à présent, malgré toutes les peines que l’on s’est données, tin point d’appui dans les faits, bien que l’on comprenne très bien comment elle a pu se former et s’accréditer. Il ne pouvait, alors pas plus qu’aujourd’hui, convenir aux théologiens, dans leur manière de voir, qui contestait absolument au paganisme le pouvoir d’arriver, par ses propres efforts, à l’établissement d’une morale supérieure, de laisser passer celle qu’enseignait Sénèque, et qui concorde tellement, pour le fond, avec la morale chrétienne, comme un produit de la philosophie païenne seule. Il était d’autant plus naturel de ramener, en partie l’origine de celle-là à une influence exercée par l’apôtre, que le séjour de celui-ci, pendant les deux années de sa captivité, à Rome, avait pu facilement donner lieu à des rapports entre lui et Sénèque, et que le proconsul Junius Gallion, qui avait absous l’apôtre amené par les Juifs devant son tribunal, à Corinthe, était frère de ce philosophe. Il semblait, d’ailleurs, que Tertullien n’avait pas encore connaissance de la tradition mentionnée, car il se borne à dire : Sénèque est souvent des nôtres[154]. La concordance de ses doctrines avec celles du christianisme ne lui paraissait donc pas être constante, mais procéder d’une conformité d’opinions purement accidentelle, chez un homme complètement étranger à ce dernier. Or saint Jérôme faisait, à cette époque déjà, lecture des lettres, encore existantes aujourd’hui, qui auraient été échangées entre le philosophe et l’apôtre, mais qui ne sont évidemment, en réalité, que le produit d’une de ces nombreuses falsifications littéraires dont le zèle chrétien a, sans doute, été la cause déterminante. Une inscription récemment découverte, de la fin du troisième siècle ou peut-être du commencement du quatrième, montre qu’une famille chrétienne, qui faisait dériver son origine, ou du moins son nom, des Annéus Sénèque, se fit, plus tard, honneur de cette tradition : nous voulons parler d’une épitaphe posée, à Ostie, par un certain M. Annéus Paul, à son fils M. Annéus Paul Pierre. Les noms des apôtres étaient chers aux chrétiens ; l’usage du second, ainsi que celui des deux réunis, chose inouïe chez les païens ; il n’est donc pas douteux que les deux Annéus n’aient été, eux, chrétiens[155].

En définitive, s’il est impossible de nier absolument qu’il ait existé des rapports personnels entre l’apôtre et le philosophe, il ne faut pas moins reconnaître que tous les efforts tentés, jusqu’à présent, pour donner à cette allégation le caractère de la certitude, sont demeurés vains. De la découverte récemment faite, que le consulat de Sénèque était tombé dans la seconde moitié de l’année 57 ; on a voulu inférer qu’il devait avoir, comme assesseur du conseil impérial, figuré parmi les juges de l’apôtre. Mais rien ne prouve la présence de celui-ci à Rome dans les années écoulées de 56 à 58 [156] ; on rapporte le séjour qu’il y fit, avec bien plus de vraisemblance, au temps de 64 à 63 [157], ou de 62 à 64 [158]. Il est tout aussi peu certain que le préfet des prétoriens, auquel fut remis saint Paul, ait été Afranius Burrus, l’ami de Sénèque[159].

La conformité, souvent presque littérale, des sentences de Sénèque avec les propos de saint Paul, sur la corruption générale et les péchés du siècle, a dû procéder nécessairement, il est vrai, chez tous les deux, de situations, d’expériences et de dispositions analogues, comme tout ce qui, dans Sénèque, frise la manière de voir des chrétiens[160] ; mais elle s’explique aussi, parfaitement, parla forme particulière qu’affecta le développement du stoïcisme, profondément inhérente à l’essence même de celui-ci, et qui, dans les esprits portés à la douceur par sentiment, arriva très naturellement à prendre, comme chez Sénèque, ce caractère, que nous retrouvons aussi chez Épictète et chez Marc-Aurèle, bien qu’aucune tradition n’ait jamais fait soupçonner ces deux derniers d’avoir également puisé à des sources chrétiennes.

Ainsi, tout ce que nous savons des premiers siècles de notre ère ne porte guère à penser que l’on ait eu, avant l’époque des règnes de Septime et d’Alexandre Sévère, le moindre pressentiment de l’importance que devait acquérir, pour l’histoire du monde, la nouvelle religion, à laquelle on prêtait encore si peu d’attention et que l’on jugeait avec tant de dédain. Que pouvait, dans l’opinion du temps, cette troupe de gens de rien, ignorants et fuyant le monde, contre l’ordre de choses existant, dans nu empire dont la domination universelle paraissait fondée pour l’éternité ? Les Romains, criait-on aux oreilles des chrétiens, ne règnent-ils pas, sans le secours de votre Dieu, sur le monde entier et sur vous-mêmes[161] ? Votre Dieu, dit Celse, a promis à ceux qui lui ont donné leur foi son appui et de bien plus grandes choses encore, à vous entendre ; or, voyez vous-mêmes ce qu’il fait pour les autres (les Romains) et quelle aide il vous a prêtée, à vous. Vous, qui deviez être les maîtres de là terre, n’avez pas même pu conserver un coin de terre et un foyer, et si on vous retrouve encore errant et fuyant tous les yeux, on vous traque et vous fait expier cette témérité par la mort. L’idée d’une religion universelle, surtout, devait paraître une illusion inconcevable, dans un empire où coexistaient tant de religions différentes.

S’il y avait seulement, dit le même auteur, possibilité d’obtenir la reconnaissance d’une même loi de tous les Hellènes et barbares qui demeurent en Asie, en Europe et en Afrique, jusqu’aux limites extrêmes de la terre ! Vraiment, croire à cette possibilité, c’est d’un insensé[162].

Mais après que Constantin, en garantissant là liberté religieuse  la plus complète aux, chrétiens, eut déridé la victoire du christianisme, et que la religion victorieuse se fut, à son tour, mise aussitôt en mesure de faire sentir sa puissance au paganisme, pour l’opprimer[163], quand l’ancienne foi, non seulement eut cessé de procurer aucun avantage, mais fut devenue, pour ses partisans, une cause de tracasseries et de persécutions croissant avec le temps : alors du moins, semble-t-il, sa ruine devait se consommer, et le christianisme arriver à dominer seul, dans, un temps très court, s’il était vrai que le paganisme se trouvait réellement déjà, depuis des siècles, en pleine décadence et en dissolution. La vérité est que sein agonie dura encore deux siècles, malgré l’inégalité des armes avec laquelle il était réduit à lutter pour son existence, que le polythéisme, maintenant sans pouvoir et sans défense, ne pouvait cependant se résoudre à mourir, bien que le christianisme fût infatigable et s’acharnât de plus en plus, avec le temps, en mettant tous les ménagements de côté, à tuer tout ce qui donnait encore signe de vie de l’ancienne foi, par les moyens de la contrainte, du pillage, de la destruction et de la persécution : tout cela prouve assez quelle vitalité le paganisme avait conservée, jusque dans sa vieillesse[164]. Après que le christianisme, depuis les édits de tolérance de Constantin, eut joui, avec la seule interruption de la courte réaction du temps de l’empereur Julien, pendant une période de soixante-dix ans, de toute la faveur et des encouragements du pouvoir temporel, il n’avait pourtant encore, comme on l’a déjà fait remarquer, gagné tout au plus que la moitié de la population de l’empire. Presque toute la noblesse romaine était encore, au temps de Julien, restée fidèle à l’ancienne religion, que professait encore, sous Théodose, environ la moitié du sénat[165]. Jusque dans la persécution commencée depuis 380 par Théodose, l’ancienne foi fit preuve d’une grande force de résistance. On s’y mit à détruire, par le fer et par le feu, à démolir et à réduire en cendres, d’abord en Orient, puis également en Occident, les temples, les chapelles et tous l£s sanctuaires des anciens cultes. Mais, si les populations rurales, disséminées comme elles l’étaient et sans défense, ne pouvaient, malgré leurs plaintes amères, empêcher l’accomplissement de la destruction de ces sanctuaires, sur lesquels se fondaient, chez elles, toutes les espérances des familles, maris, femmes et enfants, pour leur bétail, leurs ensemencements et leurs plantations, et avec lesquels s’en allait, pour elles, tout ce qui fait la joie de l’existence, suivant l’expression de Libanius[166], dans les villes on n’en vint que trop souvent à des luttes sanglantes entre les troupes, conduites par le clergé et les moines, d’une part, et le peuple, de l’autre.

A l’exception de la contrainte directe, ou conversion par force, l’emploi d’aucun acte de violence ne fut négligé pour la suppression du paganisme : ni l’interdiction de tous les sacrifices et exercices du culte, ou la défense de visiter les temples, sous la menace des peines les plus rigoureuses, ni l’abolition des privilèges sacerdotaux, le bannissement des prêtres des villes et la confiscation des biens des temples. Cependant la confirmation réitérée de ces dispositions. et pénalités, au cinquième siècle et encore au sixième, montre avec quelle lenteur extrême avançait l’œuvre de cette extirpation de l’ancienne foi, même à l’époque où tous les moyens d’existence semblaient déjà lui avoir été retirés. Ce qui prouve que des entreprises criminelles et la rapacité n’avaient pas tardé à s’allier aux rigueurs draconiennes de. la législation, dans la persécution du paganisme sans défense, ce sont les avertissements réitérés de saint Augustin, de ne pas piller les païens sous le manteau de la religion, ainsi que le rescrit impérial de l’année 423[167].

Le paganisme, à son tour, eut alors ses martyrs[168], et le hideux assassinat de la belle et vertueuse Hypatie, commis en 495, à Alexandrie, par les bandes de l’évêque Cyrille, montre jusqu’à quelles horreurs le fanatisme de la populace chrétienne se laissait parfois entraîner[169].

Cette guerre d’extermination systématique faite au paganisme durait depuis un siècle et demi sans que la vie de l’ancienne, religion fût complètement éteinte. Aussi Justinien crut-il devoir ordonner, en 528, une grande persécution de ceux qu’on appelait maintenant les Hellènes. A Constantinople même, on découvrit et arrêta, parmi les patriciens, les savants et les médecins, de nombreux adhérents de l’ancienne foi, dont un se donna la mort et les autres adoptèrent le christianisme. L’évêque Jean d’Asie ayant fait, en 532, par ordre de l’empereur, une tournée dans les provinces de Carie, de Lydie et de Phrygie, y convertit et baptisa 70.000 personnes. Quiconque était surpris sacrifiant aux idoles devait être puni de mort[170]. En Occident, le flot de l’invasion des barbares, qui emporta avec les fondements du polythéisme ceux de la civilisation antique tout entière, précipita la chute du premier. Cependant le dernier temple d’Apollon, au mont Cassin, ne fut transformé en couvent, par saint Benoît, qu’en 529, c’est-à-dire dans la même année où les sept derniers philosophes d’Athènes, expulsés par un édit de Justinien, émigrèrent pour chercher un asile en Perse, auprès du roi Chosroês.

Mais, dans ces conditions même, il s’en fallait que l’extirpation du paganisme fût radicale et complète. Ne comprenait-il pas des éléments qui bravaient toute destruction, étant fondés sur des besoins impérieux d’une grande partie du genre humain ? Or ces éléments ont, sous de nouvelles formes, trouvé place dans le christianisme même et survécu ainsi à l’ancienne foi. Ce n’était pas seulement l’amour païen des fêtes qui, tenant à ce qu’on lui procurât satisfaction dans la nouvelle religion aussi, détermina l’Église à tolérer des ripailles et des réjouissances auprès des tombes des martyrs, ainsi qu’a dédommager le peuple de la suppression des fêtes païennes, en rapportant aux mêmes jours la célébration des fêtes chrétiennes[171]. Il y avait encore et surtout le profond désir de remplir d’intermédiaires l’espace immense qui sépare l’humanité de la divinité, désir qui ne tarda pas à repeupler le ciel, veuf de ses anciens dieux, d’un chœur nouveau de saintes figures dont le nombre allait croissant à l’infini. Si saint Augustin repousse la comparaison du culte des saints et des martyrs avec le polythéisme, d’autres auteurs ecclésiastiques, comme saint Basile, leur ont assigné dans l’ordre général de l’univers, exactement la même place que le néoplatonisme aux démons et aux héros, ou ont, comme Théodoret, tout simplement mis en parallèle les deux cultes ; pour démontrer que l’on n’avait fait que substituer la vérité d’essence divine du nouveau aux erreurs et impostures de l’ancien[172]. Mais il n’y a pas eu toujours substitution des -saints de la nouvelle religion aux personnes sacrées de l’ancienne, il est arrivé aussi que l’on a tout bonnement transformé celles-ci en saints, et les fables mythologiques en légendes chrétiennes : ainsi la légende fait déchirer par des chevaux le martyr chrétien saint Hippolyte, parce que telle avait été la fin d’Hippolyte, fils de Thésée, roi de l’Attique[173].

Les Grecs, dit Théodoret[174], sont le peuple qui devrait être le moins choqué de ce qui se passe près des tombes des martyrs, car c’est d’eux que viennent les libations, les expiations, les héros, les demi-dieux, les hommes divinisés. Hercule, Esculape, Bacchus, les Dioscures et tant d’autres ont été élevés au rang des dieux : comment peut-on alors faire aux chrétiens un reproche de ce que, sans déifier les martyrs, ils les honorent comme des témoins et des serviteurs de Dieu ? Qui le mérite plus qu’eux, les champions avancés des hommes, qu’ils secourent et protégent, dont ils détournent les maux et pour l’amour desquels ils chassent les fléaux suspendus sur leurs têtes par les démons ? Des femmes sans enfants et stériles les prient de faire qu’elles deviennent mères ; qui a reçu un don sollicite d’eux la grâce de pouvoir le conserver ; ceux qui veulent entreprendre un voyage les prient d’être leurs compagnons de route, ceux qui en reviennent leur rendent grâces ; les présents qu’on leur consacre, des images d’or et d’argent d’yeux, de mains et de pieds, témoignent de l’accomplissement des vœux. Les temples des dieux sont détruits, le Seigneur, maître de l’univers, ayant, après les en avoir fait sortir, mis à leur place ses propres morts et transféré à ceux-ci le bénéfice dès honneurs dont jouissaient les autres. Au lieu des Pandies, des Diasies, des Dionysies et des autres fêtes, il y a maintenant les jours où l’on célèbre celles de saint Pierre, de saint Paul, de saint Thomas, de saint Serge, de saint Marcel et d’autres martyrs. Si Théodoret ajoute que le faste païen et la sensualité étaient exclus de ces fêtes, que la sobriété et la modestie chrétiennes y dominaient généralement, on voit, par le témoignage de saint Augustin, qu’il importe du moins de n’accueillir cette affirmation qu’avec une certaine réserve.

 

 

 

 



[1] Voir, sur les croyances populaires des juifs et ce que Philon pensait du paganisme, Zeller, Histoire de la philosophie, III, 2, 298, et Selig Cassel, article Juifs (historique), dans l’Encyclopédie d’Ersch et Gruber, p. 20, etc.

[2] Lucien, Alexandre, 25 et 37 ; Saint Justin martyr, Apologie, 1, 6, 13 ; Eusèbe, Hist. ecclés., IV, 16.

[3] Gibbon, Hist., vol. II, ch. XV.

[4] Tertullien, Apologétique, ch. XXXVIII, XL. — Voir aussi Gieseler, Hist. ecclésiastique, I, 14, 253, et Tzschirner, Chute du paganisme, 484, etc. (en allem.).

[5] Eusèbe, H. E., V, 1, 31.

[6] Voir, par exemple, Arnobe, Adv. gentes, I, 1.

[7] Nov. Theod., titre III, § 8 (décret de 438).

[8] Strabon dans Josèphe, A. J., XIV, 7, 2.

[9] Josèphe, B. J., II, 16, 4.

[10] Actes des apôtres, 2, 5 à 11.

[11] Philon, Legat. ad Caium, p. 587 M.

[12] Dion Cassius, LXVI, 4.

[13] Philon, in Flaccum, 582, M.

[14] Renan, les Apôtres, p. 223.

[15] Josèphe, A. J., XII, 3, 4.

[16] Actes des apôtres, 6, 9.

[17] Ibidem, 19, 8 à 20.

[18] Cicéron, pro Flacco, c. XXVIII ; inscription juive à Smyrne dans le Corpus I. G., 9897.

[19] Actes des apôtres, 13, 14 ; 14, 1.

[20] Josèphe, A. J., XVII, 12, 1 ; B. J., II, 7, 1.

[21] Le même, Vie, 76.

[22] Dion Cassius, LXVIII, 32.

[23] Inscriptions judaïques à Égine (C. I. G., 9894), Patras (9896), Athènes (9900).

[24] Cod. Théodosien, XVI, 8, 12 et 21.

[25] Voir Cassel, article Juifs dans l’Encyclopédie d’Ersch et Gruber, p. 93.

[26] Stephani (Parerga archæol.), dans le Bulletin de l’Académie de Saint-Pétersbourg, 1860, I, p. 246.

[27] C. I. G., II, add., p. 1005, n° 2114 ; voir aussi p. 1006, n° 2126, et p. 1008, n° 2131.

[28] Stephani, l. c., p. 244, etc.

[29] Chwolson, Pierres tumulaires hébraïques de la Crimée, dans les Mémoires de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, VIIIe série, IX (1866), n° 7.

[30] Chwolson, l. c., p. 60, etc. ; 93, etc.

[31] Philon, in Flaccum, p. 971.

[32] Ibidem, p. 1010.

[33] Ibidem, p. 973.

[34] Josèphe, A. J., XVI, 6, 1 ; Thrige, Cyrène, p. 219, etc.

[35] Le même, Vie, ch. LXXVI.

[36] C. I. G., 5361, avec les remarques de Bœckh.

[37] Eusèbe, Chron., Ol., 224.

[38] Dion Cassius, LXVIII, 32.

[39] Henzen-Orelli, 6145 (pater synagoges).

[40] Inscriptions de l’Algérie, 2072 (Pompejo Restuto Judeo, etc.).

[41] Philon, Leg. ad Caium, 1014.

[42] Cicéron, pro Flacco, 28, 1.

[43] Philon, l. c.

[44] Dion Cassius, LX, 6 ; Tillemont, Histoire des empereurs, etc., II, 481.

[45] Garrucci, Cimitero.... in vigna Rondanini, p. 38 ; puis, celles des Campenses (C. I. G., 9905, Orelli, 2522) ; des Augustenses (C. I. G., 9902, etc. ; Nuove Epigr. Giud., p. 11) ; des Agrippenses (C. I. G., 9907) ; des Siburenses (ibidem, 6447) ; des Volumnenses (Orelli, 2522, ou mieux Spon, Misc., X, 220 ; Fabretti, 465, 101), et des Elæenses (C. I. G., 9904). Une huitième (Calcaretensium ?) est douteuse.

[46] Garrucci, p. 3, (Juvénal, III, 17, etc.).

[47] De Rossi, Bull. cr., 1867, p. 16.

[48] Garrucci, p. 63.

[49] Renan, Apôtres, p. 289. — Procope (B. G., 1, 9) parle aussi d’un devin juif.

[50] Bosio, Roma sotterr., p. 142, etc.

[51] Garrucci, Cimitero, 65 ; Nuove Epigr., 2.

[52] De Rossi, Bull. cr., IV, 40.

[53] I. R. N., 6357 ; voir aussi l’article mentionné de Cassel, p. 144.

[54] O. Hirschfeld, Bull. d. I., 1867, p. 149. — De Rossi, comme auparavant déjà Marini, rapporte aussi la dénomination de princeps libertinorum dans une inscription pompéienne, à une commune juive, parce que les juifs d’Italie, soit respectivement de Rome, sont appelés ainsi dans les Actes des apôtres, 6, 9. (Bull. Crist., II, 69, etc. et 92). — Voir aussi Garrucci, Bull. nap., n. s., II, 1854, p. 8.

[55] Procope, B. G., 1, 8 et 16.

[56] Nom d’homélies juives très anciennes, en langue hébraïque.

[57] Cassel, p. 141. — Code Théodosien, XII, 1 ; 157, etc.

[58] Cassel, p. 147.

[59] Renan et le Blant, Revue archéologique, 180, 348. — Orelli, 2523 (Pola) : Matri pientiss. religioni Judaicæ metuenti (?).

[60] Plutarque, Cicéron, ch. VII. Voir aussi Suidas, pour un autre Cécilius, Sicilien et juif, ainsi qu’une inscription judaïque de Syracuse (C. I. G., 9895).

[61] Cassel, p. 141.

[62] Ibid., p. 147, 65.

[63] Concil. Illib., can. 49, 50. 78.

[64] Hubner, C. I. L., II, 1982 : .... nia Salo | nula an. I | mens. IIII, die I | Judæa.

[65] Cassel, p. 57. — Le Blant et Renan placent l’inscription en trois langues (grec, latin et hébreu) d’une juive de Tortose (Dertosa) dans l’époque antérieure à ces persécutions, vers le sixième siècle ; Chwolson (p. 83), à cause du grec, la croit même antérieure à l’invasion des Visigoths.

[66] Josèphe, A. J., XVII, 13, 2.

[67] Code Théodosien, XVI, 8, 3.

[68] Basnage, Histoire des Juifs, VII, 10, 18. — Inscription judaïque de Narbonne, du temps du roi Égizas (687), dans la Revue archéologique, l. c., p. 348.

[69] Cassel, p. 115.

[70] Saint Jérôme, Comment. in Amos, 3, 1443.

[71] Cassel, p. 6, etc.

[72] Ibidem, p. 4.

[73] Philon, Legat. ad Caium, 1015.

[74] Ibidem, 1018.

[75] Pline, Hist. nat., XIII, 46 ; Quintilien, III, 7, 4 ; Tacite, Hist., V, 4, 5, 8.

[76] Thessalon., 1, 2, 15 ; Renan, Apôtres, 289, 1.

[77] Gieseler, Précis d’hist. ecclés., 4e éd., I, I, 51, 4 (en allem.).

[78] Histoires, V, 5.

[79] Josèphe, Contre Apion, II, 7.

[80] Pour les citations à l’appui, voyez Renan, ouvrage précité, p. 288 à 291.

[81] Josèphe, Contre Apion, II, 39, 41.

[82] Renan, ouvrage précité, p. 292.

[83] De superst., éd. Haase, III, p. 427.

[84] Horace, Satires, I, 9 ; 69. — Perse, V, 179, etc. ; voir aussi de Rossi, Bull. crist., V (1867), p. 14. — Juvénal, XIV, 97, etc. — Marquardt, Manuel, IV, 90. — Fronton, ad Marcum Cæsarem, éd. Naber, p. 32 : Nec aliter Kal. Sept. expecto, quam superstitiosi stellam qua visa jejunium polluant (Athénée, IV, p. 156).

[85] Contre Apion, II, 39.

[86] Josèphe, A. J., XIX, 5, 3 ; voir aussi de Rossi, Bull. cr., 1865, p. 90.

[87] Satires, I, 4, 142 :

. . . . . . . . . . ac veluti te

Judæi cogemus in hanc concedere turbam.

(. . . nous te forcerons, comme font les Juifs, à entrer dans notre bande).

[88] Évangile selon saint Matthieu, 23, 15.

[89] Gieseler, l. c., I, 1, 157, etc.

[90] Origène, Contre Celse, II, 13.

[91] Eusèbe, H. E., III, 37.

[92] Contre Celse, III, 9, éd. Klotz.

[93] Gieseler, I, 1, 107.

[94] De Rossi, Bull. cr., 1865, p. 94.

[95] Tertullien, Apologétique, 10 : sacrilegii et majestatis rei convenimur.

[96] Le Blant, Comptes rendus de l’Acad., 1866, p.. 358 ; voir aussi de Rossi, Bull. cr., 1867, p. 28.

[97] De Rossi, Bull. cr., 1868, p : 17, etc. : De cristiani condannati alle cave di marmi, etc.

[98] Artémidore, Onirocr., I, 21 ; saint Cyprien, Lettres, 77.

[99] Clinton, F. R., ad annos 173 et 183.

[100] Eusèbe, Hist. ecclés., IV, 23, 10 ; Chron., 2185.

[101] Hippolyte, Ref., IX, 11.

[102] Tertullien, Apologétique, 39 ; De pudic., 22.

[103] Contre Celse, III, 8.

[104] Gibbon, Histoire, XVI, 75. — Eusèbe, H. E., VI, 91.

[105] Buckle, Histoire de la civilisation (en anglais). — Voir aussi Niebuhr, Cours d’Histoire romaine, I, 3, 295 (en allem.).

[106] Cohort. ad gentes, c. X, p. 85 ; Stromat., VI, 18, p. 827. — Tzschirner, Chute du paganisme, 524, etc. (en allem.).

[107] Celse dans Origène, l. c., III, 59.

[108] Épître aux Corinthiens, I, 11, 5 ; 14, 34.

[109] Gieseler, ouvrage cité, I, 1, 225.

[110] Adv. hœres., II, 32, 4, p. 166 ; Eusèbe, H. E., V, 7 ; Gibbon, Hist., ch. XV. — Pour d’autres passages analogues, voyez encore Tzschirner, 524, etc.

[111] Apologétique, 50. — Gieseler, 1, 70, 21.

[112] Pline le Jeune, ad Trajanum, 96 et 97.

[113] Gieseler, l. c., 168.

[114] Ibidem, 112.

[115] Lucien, Peregrinus, 11 à 13.

[116] Gieseler, 245, 41. — Origène, Contre Celse, III, 12.

[117] Gieseler, 195, etc.

[118] Tertullien, De anima, c. IX. — Gieseler, 290.

[119] Gieseler, 286 à 293.

[120] Bunsen, Hippolyte et son temps, 101 (en allem.). — De Rossi, Bull. cr., 1866, p. 97. Epilogo sull’ autore de’ Filosofumeni. — Dœllinger, Hippolyte et Calliste (en allem.).

[121] Refut. hœres., IX.

[122] De Rossi, Bull. cr., 1866, p. 7.

[123] Bull. cr., 1866, n° 1 : Esame archeol. e critico della storia di S. Callisto narrata nel libro nono de Filosofumeni. P. II : Della dottrina dommatica e della disciplina ecclesiastica.

[124] De Rossi, Bull. cr., 1866, p. 7.

[125] Reumont, Histoire de la ville de Rome, I, 550 (en allem.).

[126] Ainsi Tertullien, Apologétique, ch. XXXIX.

[127] Contre Celse, III, 30.

[128] Ammien Marcellin, XXII, 5, 4 ; voir aussi XXVII, 3, 12.

[129] Baur, le Christianisme et l’Église chrétienne dans les trois premiers siècles de notre ère, 2e éd., 62, etc. (en allem.).

[130] Annales, XV, 44.

[131] De Rossi, Bull. cr., III, 1865, p. 33, etc., mais surtout p. 36 et 41 (avec les dessins).

[132] Le même, Roma sotterr., 196, 319 à 321. — Reumont, Histoire de la Ville de Rome, I, 382, etc.

[133] Voyez les passages cités dans Gieseler (I, 1, 159).

[134] Tertullien, ad Scapul., c. II.

[135] Le même, Apologétique, 37.

[136] Ibidem.

[137] Contre Celse, VIII, 69.

[138] Eusèbe, H. E., VI, 43.

[139] Gibbon, Hist., ch. XV, 159, etc.

[140] Histoire de la destruction du paganisme dans l’Orient, p. 36.

[141] Marquardt, Manuel, III, 1, 195.

[142] Histoire ecclésiastique, V, 21.

[143] Contre Celse, III, 9.

[144] Saint Cyprien, Lettres, 80. — Clinton, F. R., ad annum 258.

[145] Épictète, Diss., IV, 7. — Marc-Antonin, XI, 3.

[146] Aristide, Or., XLVI, p. 309 J.

[147] Métamorphoses, XI, 14 (certæ religionis mentita sacrilega præsumtione [elle prétendait avoir un autel à elle, pour un dieu unique]).

[148] Galien, éd. K., VIII, 570, 657 ; ibid., p. 171.

[149] Origène, Contre Celse, II, 33.

[150] Ibidem, 14.

[151] Minucius Félix, Octavius, c. XIII. — Fronton, éd. Naber, p. 263.

[152] Origène, Contre Celse, III, 1.

[153] Dion Cassius, LXVII, 14. — Suétone, Domitien, ch. X. — M. Friedlænder ne s’explique pas comment M. de Rossi (Bull. crist., 1865, p. 20) n’en rapporte pas moins la mort de Glabrion à la même cause que celle de Clément, ni pourquoi il prend pour un sénateur Apollonius, décapité comme chrétien sous Commode (Eusèbe, H. E., V, 21).

[154] De anima, c. XX.

[155] De Rossi, Bull. cr., V, 1867, p. 6.

[156] Admise cependant par M. de Rossi (Bull. cr., 1866, p. 62).

[157] Comme Reumont, Histoire de la ville de Rome, I, 365 (en allem.).

[158] Bleek, Introduction au Nouveau Testament, 2e éd., 1866, p. 429, 158 (en allem.).

[159] Ibidem, p. 428.

[160] Zeller, Histoire de la philosophie, III, 1, 637, 1 et 644, etc. (en allem.).

[161] Minucius Félix, Octavius, c. XII.

[162] Origène, Contre Celse, VIII, 69 à 72.

[163] Lasaulx, Chute de l’hellénisme, p. 51 (en allem.).

[164] Sans vouloir excuser l’intolérance, le fanatisme et la persécution d’aucune part, disons pourtant que nous sommes ici frappés plutôt de la ténacité de l’ancienne religion que d’une vitalité qui nous parait fort être de la nature de celle du Bas-Empire et de l’empire ottoman. Le premier a survécu près de dix siècles à la chute de l’empire d’Occident ; le second traîne encore une existence plusieurs fois déjà très sérieusement compromise. Cependant la caducité est certainement ce qui domine dans l’impression du spectacle qu’ils nous offrent, comme dans celle que nous recevons de la dernière phase du polythéisme antique et de toute la civilisation romaine. Cette caducité, nous le reconnaissons, devait être moins apparenté pour les contemporains, dans le cours des vicissitudes du temps même, qu’elle ne frappe dans l’aperçu général et collectif de celles-ci, vues à distance, et c’est ce qui, avec le peu de goût de l’auteur pour les conclusions déclamatoires, peut expliquer pourquoi il ne l’a pas plus vivement accentuée ; mais elle n’en résulte pas moins, selon nous, jusqu’à l’évidence, de toutes ses considérations, non moins que de celles de ses prédécesseurs. (Remarque du traducteur.)

[165] Lasaulx, ouvrage précité, p. 99, etc.

[166] Ibidem, p. 101, etc.

[167] Ibidem, 131, etc.

[168] Ibidem, 140.

[169] Ibidem, 128, etc.

[170] Ibidem, 145, etc.

[171] Baur, l’Église chrétienne du commencement du IVe siècle jusqu’à la fin du VIe, p. 274 (en allem.). — Lasaulx, ouvrage précité, 141, etc.

[172] Baur, ouvrage précité, p. 271, etc.

[173] Dœllinger, Hippolyte et Calliste, 55, etc., et C. Wachsmuth, la Grèce ancienne et moderne (en allem.).

[174] Baur, l. c.