Par les considérations dans lesquelles nous allons entrer, nous tâcherons de faire voir que l’influence de la poésie sur l’instruction en général, dans les temps postérieurs de l’antiquité romaine, différait essentiellement de ce qu’elle est aujourd’hui, qu’elle était notamment alors bien plus large et plus pénétrante. A cet effet, nous aurons à examiner le lien de la société instruite avec la poésie, la mission de celle-ci, la condition qui en résulta pour les poètes, enfin la substitution de la prose d’art à la poésie. Le lien de la société instruite avec la poésie était, en grande partie, déterminé par l’instruction que l’on donnait à la jeunesse, et dans laquelle on avait en vue un tout autre but, poursuivi par de tout autres voies qu’aujourd’hui. Tandis que l’instruction de la jeunesse tend, actuellement, à lui enseigner les premiers éléments nécessaires pour s’orienter sur le domaine des branchés les plus importantes du savoir humain, à lui faciliter le plus possible, à tous les égards, l’intelligence de la grande variété des travaux multiples de la science, et à la rendre apte à y prendre part, son programme, dans l’antiquité, était beaucoup plus simple, par la raison déjà que les sciences maintenant enseignées, dans les écoles, ou n’étaient même pas nées, ou du moins n’existaient encore qu’à l’état rudimentaire, ou n’étaient pas regardées comme nécessaires pour l’éducation en général. On ne s’appliquait pas à former le plus possible l’entendement, dans la culture de l’esprit de la jeunesse, mais à développer ses facultés créatrices. Le but principal de l’enseignement n’était pas de faire acquérir aux jeunes gens un savoir étendu, mais de les rendre forts en ce qu’on leur apprenait, de les rendre maîtres de la langue, autant que possible, et habiles dans l’art de s’en servir, de manière à trouver l’usage de la parole le plus propre à déterminer une exposition claire de leurs pensées et à persuader, à savoir choisir pour tout l’expression la plus convenable et la plus élégante, aussi riche, aussi belle et aussi entraînante que possible[1]. Pour les temps de la république, où la parole, à bien plus forte raison qu’aujourd’hui le savoir, pouvait être appelée une puissance, où, comme dit Tacite, personne n’arrivait au pouvoir sans le secours de l’éloquence[2], ce qui précède n’a besoin d’aucune explication. Mais, bien que l’éloquence politique se trouvât réduite au silence avec la chute de la république, la vive impressionnabilité d’une population méridionale, pour la parole vivante, et toutes les habitudes de la vie des anciens, n’en exigeaient pas moins jusqu’à un certain degré, dans tous les rapports, la publicité ainsi que l’oralité, et, sous l’empire aussi, le rapport entre la parole écrite et le discours, parlé, pour ce qui concerne l’importance et l’influence de l’une et de l’autre, était juste l’inverse de ce qu’il est dans le monde actuel. L’éloquence était indispensable non seulement à l’avocat et au professeur, mais aussi à l’officier supérieur comme au fonctionnaire, au sénateur et à l’homme d’État, en général à quiconque aspirait à une position éminente dans la vie. Ce qui donne le mieux la mesure de l’importance que l’on attachait, sous l’empire aussi, à l’art oratoire, la meilleure preuve du fait qu’il continuait à être regardé comme l’élément capital de l’éducation d’un homme du monde, c’est qu’il tenait la première place parmi les diverses branches de l’instruction, et qu’il resta longtemps la seule à l’enseignement de laquelle l’État se considérât comme obligé de pourvoir. Les premières chaires d’enseignement public fondées par le gouvernement, à Rome, avec la dotation d’un riche traitement (de 100.000 sesterces), furent celles d’éloquence latine et d’éloquence grecque, et l’empereur qui imposait cette charge au budget et appelait, comme professeur, à la première des deux Quintilien, la gloire de la toge romaine[3], n’était autre que Vespasien, ce prince économe, opposé à toutes les tendances idéales, et n’ayant cure que des besoins de la pratique. Bientôt, non seulement les grandes, mais, vers le milieu du deuxième siècle du moins, aussi nombre de moindres villes d’Italie et des provinces, eurent leurs professeurs d’éloquence, nommés parles communes ; les plus grandes sans doute, aussi bien que Rome, leurs deux chaires, l’une d’éloquence grecque, l’autre d’éloquence latine. Une application très intense et tout à fait exclusive à la poésie, préparait à l’enseignement de l’éloquence. Le poète formait la bouche de l’enfant dès les premiers bégayements[4], et la lecture ainsi que l’explication des poètes, constituait l’objet à peu près unique de l’instruction scolaire proprement dite, pour la jeunesse adolescente[5]. A côté, tout au plus une certaine connaissance de la géométrie et de la musique était jugée nécessaire ou désirable. La seconde, dont l’enseignement se bornait souvent à- la théorie, devait, parait-il, son admission dans le programme des études à son étroite complexité, beaucoup plus intimé dans l’antiquité que de nos jours, avec la poésie, comme on l’a vu. La poésie servait aussi d’intermédiaire pour communiquer aux jeunes esprits quelques autres notions, de géographie notamment, d’astronomie et même d’histoire, dans lesquelles la tradition légendaire et la mythologie étaient généralement aussi comprises. Les enfants devaient, en même temps, se familiariser et s’identifier, par l’étude des poètes, avec la morale et la sagesse de la vie du monde[6]. Quand on tendait à un degré plus élevé, dans l’éducation,
il va sans dire que l’enseignement scolaire s’étendait aussi aux poètes
grecs. Cette étude, dans les temps postérieurs aussi, commençait par Homère,
avec l’approbation de Quintilien[7] ; car bien que,
pensait-il, une plus grande maturité d’âgé fût nécessaire pour la complète intelligence
de sa poésie, personne ne manquerait de relire plus d’une fois ses œuvres.
Parmi celles des autres poètes grecs, il nomme des tragédies et des poésies
lyriques. Il n’entend, comme il paraît, exclure de ces dernières que celles
dont le contenu pouvait éveiller des scrupules, telles que les élégies. Il
recommande particulièrement Ménandre, dont les pièces étaient lues, déjà du
temps d’Ovide, dans les écoles de garçons et de filles[8]. Stace aussi,
dans ses Silves (II, 1, 114),
mentionne Ménandre à côté d’Homère, comme l’un des auteurs formant l’objet
principal de l’enseignement des écoles grecques. Le père de Stace tenait à
Naples une école, fréquentée, au dire de son fils, non seulement par les
garçons des villes les plus proches, mais aussi par des enfants qu’on y
envoyait de Si nous n’avons pas d’informations plus précises sur le choix des poètes grecs pour l’enseignement scolaire, si nous ignorons notamment s’il varia avec le temps, et quelles variations il subit, nous savons, d’autre part, que les poètes latins, dans les écoles, n’étaient plus au deuxième siècle les mêmes qu’au premier. Or, ce changement ne fut que la conséquence de la grande révolution qui se préparait, déjà vers l’époque du règne de Néron, et s’accomplit, au commencement du deuxième siècle, dans la direction de la littérature et du goût. Des poètes latins Virgile était, au premier siècle, le premier que l’on mît entre les mains de la jeunesse ; ses poésies formaient la base et l’objet principal de l’enseignement latin, comme celles d’Homère étaient le fondement de l’enseignement grec. Après Virgile, c’était probablement Horace qu’on lisait le plus. Les bustes de ces deux poètes ornaient, à ce qu’il paraît, ordinairement les salles d’école, au commencement du deuxième siècle encore[11]. Le grammairien Q. Cécilius l’Épirote, affranchi d’Atticus, ami de Cicéron, qui ouvrit école après la mort de son protecteur. Cornélius Gallus, poète décédé en l’an de Rome 728, passe pour avoir introduit le premier, dans l’enseignement scolaire, les poètes les plus récents. Il y lisait les poésies de Virgile, et d’autres poètes vivants ; certainement dès avant la mort du premier en 735, et en faisait l’explication, ce qui lui attira, de la part d’un poète épigrammatique, le sobriquet de bonne des poètes au maillot[12]. Mais, probablement, Cécilius l’Épirote fit seulement passer en coutume ce que d’autres avaient déjà fait quelquefois avant lui ; car Horace, dans une satire antérieure de plusieurs années, se prononce déjà contre la sottise des poètes, avides des applaudissements de la foule et flattés de voir leurs poésies lues dans les écoles inférieures[13]. C’est précisément là que, selon tolite apparence, les poètes vivants le plus en vogue étaient lus, de préférence, depuis cette époque. De ce qu’au temps de Vespasien on demandait à l’orateur de parer son discours d’ornements poétiques empruntés au sanctuaire de Virgile, d’Horace et de Lucain[14], on peut conclure que le poème épique de ce dernier aussi fut lu généralement à l’école, aussitôt après la publication ; ce que Suétone atteste d’ailleurs expressément, ainsi que la sollicitude outrée des libraires pour faire des éditions de luxe de ses œuvres[15]. Quel beau résultat pour le poète, dit Perse, de savoir ses vers dictés à une centaine d’enfants aux cheveux bouclés ! et l’affirmation du scoliaste que cette remarque s’appliquait aux poésies de Néron, dont on faisait alors généralement usage dans l’enseignement scolaire, n’a rien de surprenant[16] : Stace, à peine arrivé à la fin de sa Thébaïde, put constater avec satisfaction que cette œuvre, fruit d’un travail de douze ans, était déjà ardemment étudiée par la jeunesse d’Italie[17]. Martial, dont les poésies, .à cause de leur obscénité, ne convenaient naturellement d’aucune. façon pour l’enseignement[18], se fait questionner, par sa muse badine, s’il songerait, par hasard, à chausser le cothurne tragique, ou à chanter des guerres en vers épiques, pour avoir la chance d’être lu, d’une voix enrouée, par un pédant de maître d’école, et de devenir odieux aux jeunes filles adolescentes et aux bons garçons[19]. Mais alors, la question de la préférence à donner à l’ancienne littérature, ou à la nouvelle, était depuis longtemps devenue un sujet de dispute, dans les cercles littéraires, et les partisans absolus de la première ne voulaient, naturellement, pas tolérer la seconde, à l’école. Déjà du temps de Vespasien, il s’était formé contre la prose moderne, avec ses extravagances, son éloignement du naturel et son affectation, une vive opposition du côté de laquelle se rangea Quintilien, dont l’autorité était, indubitablement, décisive pour une grande partie de la société. Celui-ci, lors de son propre début dans la carrière de l’enseignement, avait trouvé Sénèque, le plus brillant des auteurs modernes, admiré généralement et avec enthousiasme, par la jeunesse, précisément à cause, de ses défauts éblouissants et séduisants, sur lesquels les imitateurs, y ayant donné dans une mesure de plus en plus large, renchérirent encore[20]. Quintilien tendait et parvint, avec le concours d’hommes animés des mêmes sentiments, à opérer une régénération de la prose, sur la base du style cicéronien, qui, transformé selon le besoin du temps, par les auteurs engagés dans cette direction, y gagna certainement en mobilité, en couleur et en éclat. Mais ce résultat, alors déjà, était loin de satisfaire une partie des amis de l’ancienne langue, qui, crurent devoir remonter encore plus haut de tout un siècle jusqu’aux incunables de la littérature latine, pour trouver les modèles d’après lesquels ils entendaient réformer les aberrations du goût. Ceux-là prisaient Caton l’Ancien, les chroniqueurs et les orateurs du vieux temps, tels que Gracchus, et les poètes de l’époque des guerres Puniques, Névius, Ennius, Plaute, Accius, Pacuvius, Lucilius et les contemporains de ces hommes, qu’ils désiraient naturellement aussi voir, introduits dans l’école. Vers l’an 90 de notre ère, cette direction avait déjà gagné assez de terrain pour que Quintilien lui-même crût devoir acquiescer à ce qu’il y avait de légitime dans leur demande. Il avait, il est vrai, trop de tact, un esprit trop ouvert et un goût trop fin pour prendre directement parti dans une pareille disputé ; il n’était guère en position de se déclarer pour les partisans du vieux, toute la direction de ses vues le rapprochant beaucoup plus des modernes ; il ne partageait pas l’enthousiasme des premiers pour Ennius et Plaute, et ne se croyait tenu envers Ennius qu’à la vénération due à- ce qui a obtenu la consécration de l’âge. Quant à Caton et à Gracchus, il ne les a même pas nommés, dans sa revue des littérateurs à prendre pour modèles. Cependant, il accordait la convenance de lire les poètes anciens, à l’école. Cette lecture était propre, selon lui, à nourrir sainement et à fortifier dans son développement l’esprit de l’écolier, bien que leur force soit plus dans le naturel que dans l’art de leur poésie. Il la croit notamment bonne pour communiquer plus de richesse à l’expression, grâce aux modèles de gravité sérieuse et de dignité qu’offre la tragédie, et aux modèles d’élégance que présente la comédie. Il trouvait aussi la partie artistique de la composition plus soignée chez ces auteurs que chez la plupart des modernes, habitués à voir dans les sentences la beauté principale de toute œuvre poétique. Puis, il recommande d’adopter des anciens le ton moral et sérieux, ainsi que la vigueur native, l’ex-pression des modernes ayant donné jusqu’à l’extrême dans une mollesse luxuriante. Finalement, Quintilien invoque l’exemple de. Cicéron et d’autres grands orateurs, qui savaient bien ce qu’ils faisaient, en introduisant dans leurs discours tant de passages d’Ennius, d’Accius, de Pacuvius, de Lucilius, de Térence, etc.[21] Ce fut, selon toute apparence, sous Adrien que le parti des auteurs anciens prit le dessus. Le fait que cet empereur, qui préférait Caton à Cicéron, ainsi qu’Ennius à Virgile[22], se prononça hautement en sa faveur, dut décider de sa victoire ; et il paraît que, sous les deux Antonins, il parvint à une domination presque absolue, dans l’école et sur tout le domaine de la littérature ; on est du moins amené à cette conclusion quand on voit de quelle considération jouit, comme son champion quand même, une nullité telle que Fronton. Il y eut naturellement aussi dans ce parti plusieurs directions, et c’est, comme on vient de le dire, dans Fronton que nous trouvons l’adoration la plus exclusive et la plus absolue des anciens, jointe à un dédain de parti pris ; tout aussi absolu, des modernes. Dans sa correspondance avec les deux princes ses élèves, Marc-Aurèle et Lucius Verus, correspondance qui fourmille de citations de l’ancienne littérature, c’est en vain que l’on chercherait les noms de Virgile et de Tite-Live, et Horace n’est mentionné qu’une seule fois[23]. Cela ne veut pas dire, cependant, qu’elle soit dépourvue de toute allusion à Virgile[24]. Ce n’est qu’après l’avènement de son élève Marc-Aurèle au trône impérial, en lui demandant la permission d’user de nouveau de son droit d’ancien précepteur, pour lui exprimer, sur un ton d’appréhension d’un comique indescriptible, ses craintes sérieuses au sujet d’un certain penchant pour le moderne, qui se trahissait dans un des discours de ce prince, que Fronton nomme aussi Sénèque et Lucain, en suppliant l’empereur de se tenir en garde contre ces deux auteurs. Il convenait bien qu’il y eût dans Lucain beaucoup de jolies choses, mais ne trouve-t-on pas de petites pièces d’argent même dans les égouts[25], et qui voudrait y fouiller pour arriver à les découvrir ! Le plus sûr est de s’abstenir complètement d’une pareille lecture, car, sur un terrain glissant, on a toujours fort à craindre que le pied ne glisse. Le point de vue d’Aulu-Gelle était, en somme, le même que celui de Fronton ; aussi eut-il cru devoir mentionner une fois Sénèque, pour se prononcer fortement et expressément contre lui. Il pense que c’est bien assez de rapporter en passant les jugements désapprobateurs de cet homme insipide et insensé sur Ennius, Virgile et Cicéron[26] ; quant à Lucain, il ne le nomme nulle part ; mais Aulu-Gelle, bien qu’il fût un grand pédant, n’était nullement aussi dépourvu de goût, ni aussi borné que Fronton ; il admirait Virgile non moins qu’Ennius. Il ne mentionne, à vrai dire, guère d’autres poètes du siècle d’Auguste, sauf Horace auquel il fait l’honneur de citer un passage de ses vers, à l’appui de la dénomination d’un vent[27]. Ainsi s’était accomplie, dams le cours d’une centaine d’années, toute, une révolution du goût, à tel point que les écrivains et les poètes admirés et imités au premier siècle de notre ère, étaient méprisés ou ignorés au deuxième, et vice versa. Le nombre des poètes que les deux. époques s’accordaient à admirer ne paraît pas avoir été bien grand ; parmi eux figurait, outre Virgile, dont la grandeur n’était pas contestée, même par ceux qui affectaient l’amour de la vieille littérature, particulièrement Catulle, qu’affectionnaient aussi les modernes, et que Martial notamment a imité plus que tout autre. Juvénal est le dernier des modernes ; il se souvenait encore très bien de l’époque où Stace, le poète épique célébré du parti, au temps de Domitien, charmait toute la ville de Rome par l’annonce qu’il allait faire une lecture de sa Thébaïde, comment tous y affluèrent et tout le monde y fut ravi, à tel point que les sièges s’écroulaient sous les trépignements frénétiques des auditeurs[28]. Or, dès l’époque de la génération suivante, Stace était complètement oublié, et, quant à Lucain, il paraît que, sous Adrien déjà, on avait depuis longtemps cessé de le lire à l’école[29]. Toujours cependant plusieurs des modernes conservèrent-ils des amis et des lecteurs : ainsi, par exemple, Ælius Verus affectionnait, à côté de la lecture d’Ovide, surtout celle de Martial, qu’il appelait son Virgile à lui[30] ; mais les amis des lettres appartenant à cette direction n’étaient, sans doute, guère nombreux au deuxième siècle. Ennius, auquel Quintilien croyait avoir rendu suffisamment hommage en le laissant passer comme une vénérable antiquité, était maintenant dans toutes les bouches. Des lecteurs d’Ennius (Ennianistæ) parcouraient l’Italie, allant de place, en place, et Aulu-Gelle (XVIII, 5) raconte comment un d’entre eux lut, au théâtre de Pouzzoles, les Annales d’Ennius, aux grands applaudissements du public. Les grammairiens ou philologues, devaient être, avant tout, ferrés sur Ennius[31]. Fronton, dans une lettre de l’an 161 à son ancien élève, il empereur Marc-Aurèle, qui était allé pour quelques jours à Alsium, afin d’y chercher de la récréation, se représente ce prince sous le charme d’une lecture agréable, après la sieste, se polissant à Plaute, se gorgeant d’Accius, s’adoucissant aux vers de Lucrèce, ou s’enflammant d’Ennius[32]. Comme il va presque sans dire, le petit nombre de talents poétiques, que cette époque produisit se mouvaient dans la forme des auteurs anciens. Les poètes Annien et Jules Paul, tous les deux amis d’Aulu-Gelle, étaient parfaitement versés dans la langue et la littérature anciennes, et le second un des hommes les plus érudits du temps[33]. Il y avait encore un autre poète érudit, alors célèbre et ami de Fronton, très versé dans Plaute et Ennius[34]. Un petit échantillon, très caractéristique cependant, de la poésie affectant l’archaïsme, s’est conservé dans l’épitaphe, en vieux latin très élégant ; d’un certain M. Pomponius Bassulus, premier magistrat municipal d’Éclanum, composée par lui-même, avec beaucoup de mesure, dates la manière de Plaute[35]. Cette révolution si radicale du goût en entraîna naturellement une autre, tout aussi complète, dans l’enseignement scolaire, et les poètes modernes furent ou entièrement éliminés de l’école, par les anciens, ou tout au plus encore tolérés, à côté d’eux. Il est probable qu’au temps de Quintilien on lisait déjà, dans beaucoup d’écoles, les anciens concurremment avec les modernes ; à l’époque où Aulu-Gelle allait à l’école, Ennius était lu partout[36]. C’étaient cependant toujours des poètes que l’on mettait aux mains de la jeunesse, lisait, expliquait et faisait apprendre par cœur, à l’école. Les œuvres des poètes n’étaient pas, pour la jeunesse d’alors, un accessoire dont elle s’occupait dans ses heures de loisir, pour se divertir ou procurer à l’esprit une jouissance immédiate, mais un objet d’étude. Il est difficile d’apprécier au juste les effets d’un enseignement qui faisait usage des œuvres des poètes nationaux, ainsi que de ceux d’un peuple auquel on tenait par les liens d’une proche parenté, comme du moyen d’éducation le plus profitable, et en faisait même presque la seule nourriture de l’esprit de la jeunesse. Il devait, nécessairement, remplir la mémoire de tournures et d’expressions poétiques, exciter vivement, par une foule d’images, le travail de l’imagination, développer de bonne heure le sentiment des beautés de la forme, ainsi- que de l’art d’exposer, et faire de ces dispositions une seconde nature, pour des esprits impressionnables. Toujours est-il que l’effet de ces impressions, si abondamment reçues et si fortement imprimées à l’esprit, dans les années où il y est le plus ouvert, devait persister toute la vie durant. Il faut ajouter la circonstance que les professeurs
étalent quelquefois, peut-être même assez souvent, poètes eux-mêmes, qu’ils
pouvaient ainsi déterminer leurs élèves à s’essayer dans la poésie, et les
guider dans leurs essais, ce qu’ils faisaient réellement. L’érudition et la
poésie ne s’excluaient pas plus, à Rome, qu’auparavant à Alexandrie, et
depuis à l’époque de la. renaissance des humanités ; rien n’était plus
ordinaire que d’y trouver, comme à ces deux époques, le poète et l’érudit
réunis dans la même personne, et Aristarque, en demeurant étranger à la
poésie, faisait exception parmi les sommités philologiques d’Alexandrie. Il
n’y a, dit le poète dans Pétrone[37], qu’un esprit
fécondé par un puissant courant littéraire ; qui soit susceptible de concevoir
et de procréer une œuvre poétique. L’éloge de l’érudition des poètes était un
des hommages dont on était le plus prodigue à leur égard, non pas toutefois dans
le sens que nous y attacherions aujourd’hui, mais dans celui de
l’appréciation d’une connaissance parfaite de toutes les formes et de toutes
les règles de l’art, acquise par l’étude des meilleurs modèles. Les plus
anciens maîtres d’école de Rome, Ennius et Livius Andronicus, avaient été poètes,
et il n’était probablement pas rare, même dans les temps postérieurs, d’en
trouver encore qui réunissaient ces deux
qualités. P. Valerius Caton, gratifié du sobriquet de Même sans y être engagés directement, les jeunes gens chez lesquels le sentiment et un certain talent de la forme étaient innés, devaient trouver, dans cette intensité d’application à la poésie, une excitation suffisante, pour tenter eux-mêmes des essais poétiques, et, selon toute apparence, les talents précoces, non seulement n’étaient pas alors des exceptions comme aujourd’hui, mais se trouvaient être très fréquents : On sait que, parmi ces talents précoces, figurait Ovide, que la muse, alors qu’il n’était encore qu’un enfant, avait déjà attiré contre son sein à la dérobée, et chez lequel les vers coulaient de source longtemps avant qu’il eût pris la toge virile. Le premier duvet de la barbe venait seulement de poindre à son menton[40], quand il lut ses premières poésies en public. Properce commença ses essais poétiques après avoir endossé la toge virile[41]. Virgile, à l’âge de seize ans, écrivit sa Mouche[42], Lucain (né en 39 et mort en 65) n’avait que quatorze ou quinze ans quand il composa son poème d’Iliacon, dont le sujet était identique avec celui des trois derniers chants de l’Iliade, et qui existait encore à une époque bien postérieure, ainsi qu’un poème sur l’enfer (Catachthonion) ; à l’âgé de vingt et un ans, il concourut, mais vainement, avec un panégyrique de Néron, pour le prix de l’Agon, fondé par cet empereur, et l’année suivante il commença sa Pharsale[43]. Néron aussi avait, encore enfant, déjà montré, par des poésies, qu’il possédait les éléments d’une bonne éducation[44], et Lucius Verus, au même âge, aimait également à faire des vers[45]. Martial n’était pas fâché de voir les bagatelles poétiques de ses années d’écolier, qu’il avait presque oubliées lui-même, en vente dans la librairie[46]. La réputation de Serranus, qui mourut jeune, se fondait sur les poésies de son enfance et les grandes espérances qu’elles avaient fait concevoir[47]. Le rhéteur P. Annius Florus concourut, encore enfant, avec une poésie ayant pour sujet le triomphe sur les Daces, pour la couronne capitoline, qu’obtint en l’an 110 après Jésus-Christ, d’après la décision unanime des juges, un adolescent de treize ans, L. Valérius Pudent d’Histonium. C’est avec la préparation d’études comme celles dont il vient d’être, parlé, que les enfants plus avancés, et les adolescents passaient à l’école du rhéteur, pour y étudier, dorénavant, non plus les modèles de la poésie, comme naguère, mais ceux de la prose, là aussi en partie sous la direction des professeurs. La direction littéraire dominante y exerçait, naturellement, sur le choix des auteurs, la même influence que dans l’école des garçons. Quintilien[48] recommandait, pour de jeunes commençants, Tite-Live et Cicéron, voulait que l’on réservât Salluste pour des intelligences plus mûres, et crut déjà devoir avertir que l’on se gardât de mettre Gracchus et Caton entre les,mains des écoliers. Fronton, au contraire, recommanda ces derniers auteurs et leurs pareils, par-dessus tout, au jeune Marc-Aurèle, et ce prince, alors âgé de vingt et un à vingt-deux ans, étant né en 421, partagea entièrement le goût de son précepteur ; car, renonçant de bonne heure à l’étude d’Horace[49], il s’adonna, de son propre aveu, tout. entier à Caton et se trouvait souverainement édifié par les discours de Gracchus[50]. Cependant, Cicéron était aussi reconnu comme un modèle, même par les amis du vieux langage, et bien qu’il ne fût pas tout à fait l’orateur répondant à l’idéal d’un Fronton[51], il maintint néanmoins, au deuxième siècle, sa place, dans les écoles des rhéteurs, aussi fermement que Virgile dans les écoles des grammairiens. L’instruction, à l’école du rhéteur ou rhétorique,
consistait principalement dans les exercices propres auxquels les élèves,
procédant graduellement du plus au moins facile, se livraient sous la
dilection du professeur. Ces exercices, se reliant aux sujets et aux idées puisés
à l’école de grammaire, dans les œuvres des poètes, étaient en partie très
propres à nourrir les inclinations poétiques qui s’y étaient réveillées,
ainsi qu’à en favoriser le développement ultérieur[52]. Les élèves
commençaient par faire des compositions écrites, sur des sujets donnés. Dans
les narrations d’événements historiques, sujets sur lesquels on les obligeait
à s’essayer d’abord, ils aimaient, prenant exemple de la liberté des poètes,
à faire rentrer toute sorte de descriptions, surabondamment développées ;
cependant, les maîtres hommes de sens préféraient ces écarts de jeunesse, qui
témoignaient au moins de talent, à l’aridité et à la sécheresse. Les thèmes
suivants étaient des dissertations sur la vraisemblance ou l’invraisemblance
de certains mythes et contes mythiques, dans lesquelles il y avait à
examiner, par exemple, si l’on pouvait ajouter foi à la tradition portant
que, dans le combat singulier de Valérius avec un Gaulois, était réellement
venu se poser sur la tête du guerrier romain un corbeau, qui frappa de ses
ailes le visage et arracha du bec les yeux de son adversaire ? ce que c’était
que le serpent qui aurait engendré Scipion, la louve de Romulus et de Remus,
ou l’Égérie de Numa ? L’histoire ancienne de Après des préparations pareilles, les élèves passaient à l’exercice des essais oratoires, à ce que l’on appelait des déclamations. A cet effet, les commençants, faisaient des monologues, pris dans le rôle de quelque personnage historique, où ils exposaient les raisons militant pour et contre telle résolution importante et décisive. Là aussi, on empruntait quelquefois des personnes et des situations à la poésie : Agamemnon, par exemple, réfléchissait s’il devait sacrifier Iphigénie. Cependant, les sujets tirés de l’histoire romaine des anciens temps avaient la prépondérance : ainsi Annibal réfléchit s’il doit conduire ses troupes vers Rome ; Sylla, s’il doit abdiquer la dictature ; Cicéron, s’il doit faire amende honorable auprès d’Antoine, pour sauver sa vie. Perse, enfant, s’était souvent frotté les yeux d’huile, afin de pouvoir manquer l’école, sous le prétexte de maux d’yeux, quand il ne se souciait pas d’apprendre par cœur le discours pathétique de Caton, procédant au suicide, discours dans lequel un maître homme de sens ne trouvait rien à louer, mais pour l’audition duquel le père d’un fils plein d’espérances invitait ses amis, et qui le mettait en nage, tant il avait d’émotion en l’écoutant[54]. Si des thèmes pareils, pour lesquels on demandait aux jeunes gens de se mettre à la place, et, de s’identifier avec les âmes des hommes du passé, ainsi que de s’associer, mentalement, à la tension de leur esprit et aux émotions des moments les plus décisifs ; de leur, vie, ne pouvaient être résolus dans la perfection que par des poètes véritables, ils n’en étaient pas moins propres à exciter vivement, dans tous les sens, l’imagination des jeunes gens, et à lui imprimer une activité approchant du travail poétique[55]. C’est ce qui était, à un bien plus haut degré encore, le, cas pour les derniers, les plus difficiles et les plus longtemps pratiqués des exercices de l’école de rhétorique, ceux, tout dramatiques de leur nature, qu’on appelait les controverses, espèce de disputes dans lesquelles les élèves prenaient fait et cause, soit comme accusateurs, ou défenseurs, soit comme avocats, pour l’une ou pour l’autre des parties en présence. Anciennement, on choisissait pour cela des cas d’histoire connus, ou des cas de la vie réelle et d’actualité, comme les deux suivants, rapportés par Suétone. Plusieurs jeunes gens, ayant fait une excursion, de Rome à Ostie, et vu des pêcheurs s’apprêter à retirer leurs filets de l’eau, eurent l’idée de leur acheter ce coup de filet, qu’ils payèrent d’avance. Après une longue attente, le filet revint enfin à la surface de l’eau, sans poisson, mais avec un panier, bien ficelé et rempli d’or. De là, contestation entre les deux parties, prétendant chacune à ce trésor. Quant au second cas, des marchands d’esclaves ayant débarqué leur cargaison humaine près de Brindes, eurent, afin de faire passer en fraude du droit, sous l’œil des douaniers, par une supercherie, un très bel esclave de grand prix, l’idée de le revêtir d’une toge, bordée de pourpre, et de lui suspendre au cou une capsule en or, costume et ornement distinctifs des jeunes garçons de naissance libre. A Rome, la fraude est découverte, et l’on demande l’affranchissement du garçon, son maître ayant, en l’affublant de cette manière, implicitement renoncé à son droit de propriété[56]. Mais, bientôt les cas de l’espèce ne parurent plus assez palpitants d’intérêt. Les questions de propriété cédèrent la place à des questions de criminalité, et aux cas tirés de la réalité l’imagination substitua des cas fictifs. Les questions de, droit civil et celles d’histoire ne constituent qu’une très faible partie des controverses parvenues jusqu’à nous, et même les cas historiques ont subi des altérations, que l’on y opéra dans le but de produire plus, d’effet. Les maîtres raisonnables demandaient bien que la fiction ne s’y éloignât pas trop de la réalité, que l’on y eût, le plus possible, égard à la vraisemblance[57] ; mais il y a toute apparence que leur opposition au goût dominant, qui demandait des situations saisissantes et piquantes, un assaisonnement très épicé et des effets frappant l’esprit, n’eut guère de succès, comme il appert déjà du premier recueil de controverses de Sénèque l’Ancien, du temps d’Auguste, et plus encore des suivants, ainsi que de plaintes et de protestations réitérées, contre l’invasion de l’absurde dans les écoles de rhétorique[58]. La faute en était, suivant un littérateur du temps de Néron, beaucoup moins aux maîtres qui, s’ils ne voulaient pas avoir des classes vides, étaient bien obligés de hurler avec les loups, qu’à la vanité des parents[59]. Quant à la demande de l’exclusion de tous les thèmes incroyables et poétiques dans le sens propre du mot, Quintilien lui-même la jugeait trop rigoureuse et irréalisable, puisqu’il fallait bien laisser aux jeunes gens quelque chose pour leur récréation et leur plaisir, à la condition toutefois que les sujets, pour être pathétiques et prêter à l’enflure, ne fussent pas, cependant, entachés de niaiserie et de ridicule. Les controverses n’étaient pourtant que trop souvent l’un et l’autre, au plus haut degré. Elles s’écartaient beaucoup de la réalité, quand elles n’étaient pas tout à fait en contradiction avec elle ; elles se forgeaient une règle de ce qui pouvait tout au plus être admis comme une exception, et s’agitaient sur la limite extrême du possible, ou même au-delà de celle-ci. Avec le temps, l’école des rhéteurs se créa un monde de fantaisie à part, séparé de la vie réelle par un large abîme, infranchissable à défaut de tout pont. On y supposait l’existence d’un droit imaginaire, de lois imaginaires, impossibles même ; on admettait, par exemple, une action pour cause d’ingratitude, l’accusation d’un crime non prévu par la loi. Les personnes et les rapports en cause, dans ces fictions, n’étaient que des fantômes, et il ne venait à l’esprit de personne de les regarder comme des images de la réalité. On a trouvé étrange qu’aux époques les plus néfastes du despotisme impérial, quand toutes les âmes pliaient sous le joug de la plus terrible oppression, et qu’il ne restait plus trace de la liberté de parler, les tyrans figurassent parmi les personnages stéréotypes des controverses, et les déclamateurs débitassent des discours respirant la haine et préconisant le meurtre des tyrans[60]. Mais ces tyrans, qui rendaient des édits, autorisant les fils à décapiter leurs pères[61], étaient des créatures tout aussi inoffensives, parle fait, que les poupées d’un théâtre de marionnettes, et n’assassinaient que le professeur, quand il était obligé, dans la classe remplie, de laisser occire le tyran par chaque élève, à son tour[62]. Si Caligula exila le rhéteur Secundus Carinas, pour le fait d’une pareille déclamation, si Domitien fit mettre à mort le rhéteur Materne, pour la même raison[63], c’est qu’il n’y avait pas d’extravagance dont Caligula ne fût capable, et que Domitien ne reculait devant aucun prétexte de commettre un acte de violence ; les deux cas sont des exceptions tout à fait isolées, et rien ne porte à croire qu’ils aient eu la moindre influente sur l’usage de ces thèmes, où les tyrans ont des rôles. Après ces effroyables tyrans, c’étaient de farouches pirates, pourvus de chaînes et les agitant avec bruit sur le rivage, qui étaient surtout en faveur, à l’école de rhétorique[64]. Ces monstres avaient parfois des filles aimables, comme dans le thème suivant[65]. Un jeune homme, qui est tombé aux mains des pirates, supplie en vain son père, dans une lettre, de le racheter. La fille du capitaine des pirates le fait jurer de l’épouser, s’il devenait libre. Il le jure, elle s’enfuit avec lui, et, de retour à la maison, il l’épouse. Survient une offre, faite au père, de marier le fils avec une riche orpheline. Le père demande que son fils y consente et répudie la fille du pirate ; puis, sur le refus du fils, il le renie lui-même. En général, on aimait à mettre en jeu, dans l’âme des acteurs, les plus pénibles conflits que l’on pût imaginer entre des devoirs également sacrés, des inclinations ou des sentiments également vifs et légitimes, de part et d’autre. Un malade demande du poison à son esclave, qui refuse de lui en donner ; le maître, par son testament, ordonne le crucifiement de l’esclave ; mais celui-ci fait appel aux tribuns, pour qu’ils lui viennent en aide. — Dans une guerre civile, le père et le frère d’une femme tiennent pour un parti, son mari pour l’autre ; elle suit ce dernier, qui tombe ; elle va se réfugier auprès de son père ; il la repousse, et quand sa fille, insistant, lui demande : Comment pourrais-je rentrer en grâce auprès de toi ? Il lui répond : Meurs ! Elle le prend au mot, et se pend à sa porte même. Sur quoi, le fils propose de faire déclarer son père atteint d’aliénation mentale. — Un père de trois fils s’en voit enlever deux par la mort, et pleure tellement qu’il en devient aveugle. Il rêve que, si le troisième fils venait à mourir aussi, il recouvrerait la vue et raconte ce songe à sa femme, qui le raconte au fils. Celui-ci n’hésite pas à se pendre ; le père recouvre l’usage des yeux, mais il répudie sa femme, laquelle conteste cependant qu’il ait le droit d’en agir ainsi avec elle. — Un mari répudie sa femme pour cause d’adultère ; le fils issu de leur mariage demande et obtient du père de l’argent, pour entretenir une maîtresse, comme il dit, mais qu’il emploie en réalité à l’entretien de sa mère, qui est dans le besoin. Le père, l’apprenant, répudie son fils ; celui-ci se défend[66]. Ailleurs aussi, on tâchait de multiplier les contrastes et d’en accroître la bizarrerie, le plus possible. Parmi les figures stéréotypes, il faut signaler aussi le pauvre et le riche, vivant entre eux dans une inimitié constante : ainsi, dans un cas, les abeilles du pauvre ayant été chercher du miel dans le jardin du riche, celui-ci empoisonne les fleurs, et parvient de cette manière à détruire les abeilles[67]. Cela n’empêche pas leurs enfants de s’aimer parfois tendrement[68]. Des vierges de noble famille sont vendues et livrées à des entrepreneurs de maisons de prostitution[69] ; des vierges, après avoir été violées, ont à opter entre le supplice du criminel, ou un mariage avec lui ; de jeunes hommes de famille noble sont réduits à embrasser l’infâme état de gladiateur, afin de se procurer, par exemple, de quoi couvrir, avec les arrhes touchées, les frais de la sépulture d’un père[70]. D’épouvantables coups du destin frappent des individus et des pays entiers : on aimait notamment à faire sévir la peste ; qui ne devait, d’après l’oracle, cesser qu’après la consommation du sacrifice de quelques vierges[71] ; un pays est tellement éprouvé par la famine, que les habitants sont, finalement ; réduits à se nourrir des cadavres de ceux qu’elle a emportés[72]. Des infirmités exceptionnelles du corps et de l’esprit, comme la cécité, dont on était guéri miraculeusement[73], et l’aliénation mentale[74], des miracles, comme celui de l’accouchement d’une femme, qui met au monde un petit nègre, et que l’on accuse d’adultère[75], des supplices cruels, comme celui du malheureux que l’on précipite du haut d’un rocher, et la torture, le meurtre et le suicide, surtout par la corde et par le poison, la corde coupée et la coupe dont on jette le poison, tels étaient les motifs sur lesquels roulaient constamment ces exercices ; joignez-y des crimes affreux, comme le parricide, la mutilation d’enfants que l’on dresse à mendier, pour vivre du produit de leur mendicité[76] ; mais surtout des horreurs de tout genre, se commettant dans les familles, et où les marâtres reviennent souvent, pires encore que dans la tragédie[77] : tels étaient, nous le répétons, les ingrédients qui avaient fait le mieux leurs preuves dans la cuisine de ces controverses à grand effet, dont il y avait si forte demande, et dont la déclamation provoquait, chaque fois, à l’école, un tonnerre d’applaudissements. Un fait digne de remarque, en ce qu’il montre le plus clairement que ces fictions avaient tout à fait le caractère de nouvelles, c’est que le recueil de Sénèque l’Ancien a été fortement mis à contribution, et utilisé, avec une prédilection visible, plus que toutes les autres sources de l’antiquité, dans une collection de nouvelles et d’anecdotes, très répandue au Moyen-Âge, comme lecture d’amusement aussi, les Gestæ Romanorum[78]. Les magiciens auxquels échut aussi, dans la suite, un grand rôle dans ces thèmes, n’y furent peut-être introduits que plus tard, car Quintilien est le premier qui s’en plaigne ; Sénèque, Pétrone et Tacite ne les mentionnent pas encore, tandis que, dans le recueil portant le nom de Quintilien, on trouve un thème où il est question de la haine excitée par un breuvage magique, une prophétie astrologique et la tombe enchantée, morceau capital du genre. A une mère, qui a perdu son fils, celui-ci apparaît chaque nuit en songe. Le mari, auquel elle raconte sa vision, charge un magicien de jeter un charme sur la tombe ; les apparitions cessent, mais la femme va porter plainte contre son mari, pour avoir été ainsi malmenée de son chef[79]. Peut-être la magie tire-t-elle son origine de l’école des rhéteurs grecs. Dans un thème usité en Grèce vers la fin du deuxième siècle, un mage cherche à tuer, par un charme, un autre qui a séduit sa femme, et veut se suicider de désespoir de ne pas y avoir réussi[80]. Selon toute apparence, du reste, les mêmes méthodes et le même fonds de thèmes ont été conservés, au troisième, siècle aussi, dans l’école des rhéteurs romains au moins. Gordien l’Ancien déclamait des controverses à l’Athénée[81], et quelques controverses de l’un des empereurs opposés à Gallien, du Gaulois Posthumus, furent trouvées assez remarquables pour être admises dans le recueil qui a passé à la postérité, sous le couvert du nom de Quintilien[82]. A l’école des rhéteurs grecs, les sujets des exercices oratoires différaient essentiellement de nature. On y déclamait bien aussi des controverses, et, selon toute apparence, elles portaient, en général, sur les mêmes thèmes : ainsi, en outre des magiciens, le tyran, le meurtrier du tyran, la femme violée, le pauvre, sont là aussi mentionnés, dans l’occasion, comme des figures typiques[83]. Mais, ce que l’on y considérait comme le thème le plus difficile, en même temps que le plus avantageux, pour -les élèves les plus avancés et les maîtres mêmes, ce n’étaient. assurément pas les controverses, c’étaient tantôt des discours tendant à persuader ou à dissuader, dans le genre des plaidoyers latins (suasoriæ orationes), tantôt des discours apologétiques et des réquisitoires, tantôt des discours épidéictiques, c’est-à-dire démonstratifs, ou d’apparat, sur lesquels nous reviendrons plus loin. Cette diversité de la méthode avait sa raison dans une appréciation toute différente de l’éloquence, chez les Grecs et chez les Romains. Pour ceux-ci elle n’était, tout d’abord, qu’un moyen servant à défendre et à faire prévaloir l’intérêt propre contre et sur tout intérêt hostile, notamment en justice ; tandis que, pour les Grecs du temps, la beauté de la forme était toujours encore en elle-même un but suffisant, ce qui faisait, à leurs yeux, de l’excellence dans l’art de la manier un avantage très envié, fort admiré et ardemment poursuivi. A Rome, en Italie et dans les provinces d’Occident, la grande majorité de la société instruite ne visitait, toutefois, que l’école des rhéteurs latins, ou, du moins, y donnait-on la préférence à celle-ci, bien que la plupart des grandes villes payassent aussi des professeurs d’éloquence grecque, et qu’à Rome, notamment, l’Athénée fondé par Adrien, et à l’entretien ainsi qu’à la nomination des professeurs duquel les empereurs suivants ne discontinuèrent pas de pourvoir, eût une chaire distincte pour cette branche aussi. On peut admettre, du reste, que, dans les pays d’Occident, les rhéteurs grecs se seront également accommodés à la méthode qui dominait dans l’école latine ; aussi les voyons-nous, dans Sénèque, rivaliser en traitant les mêmes thèmes, et savons-nous qu’Isée, à son début à Rome, s’y fit donner des thèmes de controverses, pour ses improvisations[84]. Ainsi, cette méthode, notamment l’habitude de déclamer des controverses, pratique souvent continuée pendant des années, ne manqua pas d’exercer ; sans cesse, surtout le caractère de l’éducation romaine du temps, une influence d’autant plus grande que le cours de l’enseignement scolaire se terminait, pour la plupart des jeunes gens, avec ces études, et qu’ils passaient immédiatement des mythes, des poètes et des épilogues des rhéteurs[85] aux réalités de la vie pratique, pour y faire valoir le savoir-faire acquis à l’école. Les effets de cette méthode d’enseignement, commune à tous les gens instruits de l’époque, apparaissent à jour dans la littérature de celle-ci. Les têtes supérieurement organisées et d’une lucidité particulière parvenaient seules à se prémunir contre les dangers, les séductions et les écarts de cet enseignement de la rhétorique. Chez la plupart des élèves, la manie, contractée à l’école, de viser continuellement à l’effet, l’habitude de s’enivrer de phrases et de s’exalter dans un pathos sans fin, devait faire, jusqu’à un certain point, passer à l’état de seconde nature une affectation de bien dire, au fond de laquelle il n’y avait plus rien de vrai : d’autant plus que, là précisément, ce qui était artificiel et cherché, de nature à surprendre et à éblouir, par trop aventureux, ou monstrueux même, se trouvait assuré des applaudissements les plus bruyants. Même les grands esprits de ce temps-là ne surent pas se soustraire, entièrement, à ces influences de l’éducation de leur jeunesse. Elles sont le plus apparentes dans la poésie du premier siècle de notre ère qui, manquant de ressort, n’est que rarement parvenue à s’élever, dans sa marche, au-dessus des échasses de la rhétorique. Quintilien, pensant que Lucain, le talent poétique le plus remarquable de ce temps, méritait d’être proposé à l’imitation des rhéteurs plutôt qu’à celle des poètes, avait raison[86]. Mais, tandis que la poésie du temps porte une teinte de rhétorique, la prose y a une couleur poétique, ce qui était également une conséquence, nécessaire de l’éducation. L’école de grammaire avait familiarisé l’enfant avec le monde de la poésie, et l’école de rhétorique ne laissait pas le jeune homme devenir étranger à ce monde. On comprend combien les thèmes qu’on lui donnait à traiter dans cette dernière, avec les situations mélodramatiques, les motifs empruntés au romantisme le plus exagéré et les figures aventureuses qu’ils comportaient, devaient imprimer d’essor à l’imagination, dans son vol, et l’engager à traiter les sujets d’une façon poétique, et dès lors, de même que les sujets, l’exposé aussi devait, tout porte à le croire, souvent affecter de se mouvoir sur la limite de la poésie, ou même être complètement empreint d’un esprit poétique. Le rhéteur Arellius Fuscus, le maître d’Ovide, affectionnait les descriptions toutes poétiques, à en juger par un échantillon que nous a transmis Sénèque[87], et ne se gênait pas de faire, en mainte occasion, des emprunts directs à Virgile. A l’inverse, Ovide reproduisit presque textuellement, dans ses poésies, mainte proposition de son autre précepteur, du rhéteur Porcius Latron ; et si, de l’aveu de Sénèque[88], les propres discours de celui-ci à l’école, où il avait la réputation d’un bon déclamateur, n’étaient que, des vers mis sous une autre forme, nombre d’élèves, ayant les mêmes dispositions, peuvent très bien avoir fait comme lui. Ces habitudes enracinées de l’école persistaient, nécessairement, aussi dans la vie du monde. On demande maintenant, dit l’apologiste des modernes, dans le Dialogue des orateurs de Tacite (ch. XX), qu’il y ait dans le discours des beautés poétiques, tirées du sanctuaire de Virgile, d’Horace et de Lucain, et les discours du présent sont à ceux des temps antérieurs, ce que les nouveaux temples, resplendissants d’or et de marbre, sont aux anciens, construits en pierres de taille grossières et en briques informes. On peut en croire aussi le poète disant, dans Pétrone[89], que beaucoup de ceux qui s’étaient essayés comme orateurs, se réfugièrent dans la poésie, comme dans le port de la tranquillité, parce qu’il leur semblait plus facile de faire une pièce de vers que de produire une controverse émaillée de jolies sentences. La poésie avait, comme art de bien dire aussi, une grande affinité avec l’éloquence ; on la regardait comme une des formes de la belle élocution, dans le sens le plus large du mot[90], et l’épithète facundus était une des plus communément attribuées, dans un sens honorifique, aux poètes aussi. Par suite de ce contact et de cette mutualité de rapports multiples de la prose avec la poésie, la prose du peuple le plus positif et le moins. poétique du monde se montré, à cette époque, plus étincelante de couleurs poétiques que celle de nul autre peut-être. Ce fait à lui seul prouve, suffisamment, que l’attachement à la poésie, contracté par le commerce intime avec celle-ci, tenait bon pour la vie, et les allures toutes poétiques de la prose d’Apulée montrent que, si la réaction victorieuse des entichés de l’ancienne littérature parvint à modifier en partie ces effets, elle ne réussit pourtant pas à les supprimer[91]. Disons, pour terminer, que la possession des avantages de l’éducation scolaire se restreignit, au deuxième siècle, à des cercles plus étroits qu’au premier. Avec le temps, le mérite militaire et la connaissance pratique des affaires, avaient frayé, de plus en plus, à des hommes d’humble naissance qui, partant, manquaient souvent d’éducation, l’accès de positions élevées, autrefois exclusivement ouvertes aux descendants de familles appartenant aux deux premiers ordres. Puis, ces ordres avaient reçu, dans leur sein, un nombre toujours croissant d’hommes, issus de provinces qui n’étaient encore arrivées à participer aux avantages de l’instruction romaine qu’à un moindre degré. Par ces deux raisons, il arriva aussi que l’ancienne éducation scolaire cessa d’être considérée, même dans les classes supérieures, comme indispensable, et le défaut d’instruction, d’y passer pour honteux ou ridicule. On racontait d’Auguste qu’il avait révoqué de son poste, comme manquant d’instruction, un légat consulaire, dont il avait vu un mot écrit comme on le prononçait dans les classes inférieures[92]. Un siècle et demi plus tard, Marc-Aurèle, ayant donné un ordre de campagne en langue latine, ne put se faire entendre de son entourage, probablement parce que ses officiers ne comprenaient rien à la façon de s’exprimer des personnes instruites. Le préfet, du prétoire, Basséus Rufus, qui n’avait pas reçu la moindre éducation dans sa jeunesse, fit même observer à l’empereur, à cette occasion, que l’homme auquel celui-ci s’était adressé, n’entendait pas le grec[93]. Du reste, ce que Philostrate dit du succès que le sophiste Adrien obtint à Rome, même auprès des chevaliers et des sénateurs qui ne le comprenaient pas, suffit pour autoriser la supposition que la connaissance du grec aussi était devenue rare, dans les deux premiers ordres[94]. Déjà vers le milieu du deuxième siècle apparurent, à Rome, des signes nombreux et assez alarmants du déclin vers lequel s’acheminait la langue latine. Il y avait doute et controverse sur le sens[95] ou la forme[96] de beaucoup de mots ; les savants différaient d’avis sur les règles fondamentales de la grammaire ; on entendait des avocats se servir, à la barre des tribunaux, d’expressions empruntées au langage des gens du commun[97]. Le sentiment d’une incertitude et d’une confusion linguistiques toujours croissantes, le désir de réagir contre une barbarie qui envahissait tout, et, sans doute, aussi l’exemple d’efforts tout à fait semblables des Atticistes, sur le domaine de la littérature grecque, stimulaient l’ardeur des amis et connaisseurs de la langue et de la littérature, en les poussant à faire des recherches sérieuses dans les classiques anciens, dont nous voyons tant occupés les cercles de la société d’Aulu-Gelle. Ils espéraient parvenir, à l’aide de ces études, à regagner un terrain solide, ainsi qu’à rétablir la pureté et la clarté de l’expression. Mais ces efforts, qui partaient de si bonnes intentions, ne pouvaient, même dans le, cas le plus favorable, exercer leur influence que sur de petits cercles ; vis-à-vis de la prépondérance énorme des influences contraires, activement et incessamment appliquées depuis le troisième siècle, sur tout le domaine de la latinité, à consommer la ruine et la destruction de la langue et de la culture intellectuelle, leur impuissance ne comptait pas. Mais cette époque postérieure est hors des limites du cadre dans lequel doivent se renfermer nos considérations ; revenons donc au tableau de l’état des belles-lettres, pendant les deux premiers siècles de l’empire. Une circonstance très importante, concourant, avec
l’instruction que recevait la jeunesse, à procurer à la poésie une si grande
influence sur l’ensemble de l’éducation, dans ce temps-là, c’est que ce temps
avait eu la chance de recueillir l’héritage de l’époque la plus brillante de
là poésie latine, de l’âge ou, comme on dit ordinairement, du siècle
d’Auguste. Il suffit de nommer Virgile, Horace, Tibulle, Properce et Ovide (car de maint antre poète
célèbre à la même époque, comme de Varius par exemple, il n’est guère resté
que le nom), pour se figurer toute la richesse et tout l’éclat de cette
exubérance de productions poétiques, qui mûrirent alors simultanément, dans
la courte, période. de la durée d’une génération humaine. Tous les genres y
étaient représentés : le poème épique et l’ode, l’élégie d’amour, tendre ou
passionnée, et la satire, l’idylle et l’épître poétique, le poème descriptif
et le poème didactique ; même le drame ne manquait pas, quoique, dans ce
genre, il ne se créât plus rien de viable ; le temps de la production dramatique
était passé sans retour ; aussi les pièces d’alors n’existent-elles même pas
pour nous. Mais, sur tous les autres domaines, ce qui se faisait était
parfait dans son genre. Il ne peut venir à l’idée de personne d’assimiler ces
œuvres à ce que la poésie en général a créé de suprême ; on ne saurait, un
instant, se faire illusion sur le défaut d’originalité qui y règne, ni jamais
oublier, même en présence du riche talent, du grand art d’exposition, de la
grâce accomplie, de la sûreté et de la pureté du goût, ainsi que de la haute
instruction de ces poètes, qu’ils manquaient de véritable génie. De même que
la muse était venue, de Grèce, trouver le rude
peuple des Quirites, après qu’il eut vaincu Annibal, sa nouvelle
poésie ne voulut jamais suivre d’autres voies que celles des Grecs, dont elle
se reconnaissait hautement et sciemment l’élève. Mais, soit qu’elle choisît
d’autres exemples que ces anciens, qu’elle préférât notamment les modèles
alexandrins comme plus faciles à atteindre, soit que l’intelligence de l’art
grec eût, depuis lors, infiniment gagné en finesse et en profondeur, les
contemporains d’Auguste réussirent, dans la reproduction de la noblesse et
des beautés de la forme grecque, bien autrement que ceux des Scipions, de
Sylla et de Cicéron même, dont les œuvres durent, en conséquence, paraître
pénibles, informes et rudes, à côté des nouvelles productions. On créa, sur
tous les domaines, des formes nobles et pouvant servir de modèles, pour
chaque manière de sentir ce pour chaque mode d’exposition ; la structure des
vers, l’art de la composition, furent élevés à une hauteur en rapport avec ce
qu’exigeait, la parfaite intelligence de l’art grec, à laquelle on était
arrivé ; mais surtout on fit, dans le travail de la langue, pour la poésie,
ce que Cicéron avait déjà fait pour la prose ; et ce fut là la plus grande et
la plus durable création de cette époque. De même que Cicéron avait été le
fondateur d’une prose en harmonie avec les progrès de l’instruction, de même
les poètes du temps d’Auguste furent les créateurs d’une nouvelle langue
poétique. Ils développèrent l’expression poétique à laquelle se prêtait le
latin, dans tous les sens, d’une façon dont on avait, auparavant, à peine
l’idée, et lui conférèrent les dons de la richesse, de la variété et de
l’abondance, là beauté et la grâce, ainsi que la dignité et la force. Ils ont
exercé ainsi une immense influence, non seulement sur toute la littérature,
poésie et prose, des siècles suivants de l’antiquité, mais sur celle de tous
les temps postérieurs, indistinctement, et cette influence, ils la garderont
probablement à jamais, tant qu’il y aura une littérature. Ces poètes étaient
animés d’un patriotisme vrai et foncièrement romain ; ils tenaient à mettre
leur nation en possession du seul avantage qu’elle eût encore à envier à Doter en propre de cette gloire aussi ce grand peuple et la langue de leur patrie, tel était le grand but auquel tendaient, sérieusement ; les poètes contemporains d’Auguste, et ils ont réussi à l’atteindre, dans la mesure de ce qui était humainement possible. Ils étaient soutenus, dans la poursuite de ce but, par la conscience, qui le relevait encore, de ne pas travailler pour un pays et un peuple seulement, mais pour l’humanité, de créer des œuvres qui seraient le bien commun de toutes les littératures du monde. Ennius avait été fière de faire de la poésie pour les dominateurs de la péninsule italique, Virgile et ses contemporains savaient qu’ils en faisaient pour l’humanité, et il y avait, en effet, dans la vue planant sur un horizon de cette immensité, de quoi donner le vertige. On connaît la prophétie d’Horace, que les peuples les plus lointains apprendraient un jour à le connaître[99], de laquelle il n’y a rien à rabattre, n’eût-elle été, ce qui est possible, mise dans la bouche d’Horace que plus tard, par un poète interpolateur. Le fait est que cette prophétie. s’est réalisée à la lettre, ainsi que celle d’Ovide, prédisant que les plaintes proférées par lui de son exil, sur les rivages arides du Pont-Euxin, franchiraient un jour les terres et les mers, et y retentiraient de manière à être entendues de l’Orient à l’Occident[100]. Leurs prédictions se sont même, en partie, réalisées déjà de leur vivant ; Ovide pouvait se vanter d’être lu dans le monde entier[101], Properce, dire (II, 7, 19) que la gloire de son nom avait pénétré jusque chez les habitants des bords glacés du Borysthène. Il est probable, en effet, que les couvres des poètes vivants étaient lues partout où des instituteurs romains prenaient pied. Même en se faisant la plus haute idée du grandiose de
l’organisation politique de ce nouvel empiré, qui embrassait le monde, de
l’immensité de ses ressources et de la puissance conquérante de la langue
latine, on est étonné de la rapidité avec laquelle les Romains réussirent à
établir, par le lien des relations mutuelles, l’union
entre tant de langues discordantes et barbares. Il ne s’était
guère écoulé plus de vingt ans depuis l’entière soumission de Si les coryphées de la littérature recueillaient alors, dans un certain sens, déjà de,leur vivant, le bénéfice de la gloire de leurs noms dans le monde, à plus forte raison étaient-ils sûrs de la satisfaction la plus complète et la plus éclatante de leur ambition à Rome même ; où leurs poésies que, suivant la mode récemment introduite, ils récitaient eux-mêmes devant de grandes réunions, passaient immédiatement aussi, comme nous l’avons vu, dans l’usage de l’école, ou étaient chantées sur les théâtres, aux applaudissements de milliers d’auditeurs, où, enfin, un commerce de librairie très étendu et très actif, s’appliquait au soin d’en multiplier les exemplaires, et d’en trouver le placement. Virgile, qui d’ailleurs, comme on sait, ne vécut pas assez longtemps pour assister à la publication de son Énéide, eut un tel succès avec les poésies qui marquèrent son début, les Églogues, qu’il était devenu commun de les entendre débiter sur la scène, par des chanteurs. Une actrice du nom de Cythéris, fort en vogue dans les cercles littéraires du temps, après avoir été la maîtresse de Marc-Antoine, puis celle du poète Cornélius Gallus, qui la chanta dans ses vers, sous le nom de Lycoris, doit avoir chanté, en scène, la sixième églogue, dans laquelle Virgile célèbre la gloire poétique de son ami Gallus. Virgile s’étant, en pareille occasion, une fois trouvé présent au théâtre, tout le peuple se leva et salua le poète, avec un aussi profond respect qu’Auguste lui-même. Effectivement, l’hommage d’une pareille distinction n’était, en général, rendu qu’à la personne de l’empereur. et aux membres de la famille impériale. Quand Virgile, dans les derniers temps de sa vie ; qu’il passa en majeure partie dans l’Italie méridionale, à Naples notamment, venait par exception à Rome et y apparaissait en public, il était, chaque fois, obligé de se réfugier dans une maison, pour se dérober à la foule, qui le suivait partout et se le montrait mutuellement[104]. Maintenant, il faut reconnaître que la gloire et la
popularité de Virgile, auprès de ses contemporains et de la postérité, et par
conséquent aussi l’influence de sa poésie, ont été plus grandes que celles
d’aucun autre poète latin, qu’elles ont été, disons-le, positivement sans
exemple dans le monde. La comparaison que l’on a faite de sa popularité avec
celle de Schiller, se justifie notamment parce que, dans le cas de chacun de
ces deux poètes, le sublime, l’idéal, tout ce qui ennoblit l’art, a eu
évidemment le privilège d’entraîner les masses plus encore que leur tendance
à le rendre populaire, bien que, semblerait-il, celle-ci seule devrait les
attirer, l’autre les rebuter, au contraire, et les intimider. Le fait est,
cependant, que les hommes s’attachent avec plus de reconnaissance, d’amour et
de respect à l’esprit qui, les tirant de leur humilité, les élève à soi et
les pénètre du sentiment qu’il y a, dans eux tous, des affinités avec les
natures supérieures, qu’à celui qui condescend à se mettre à leur niveau. La
poésie de Virgile pénétra dans toutes les classes, nonobstant les différences
d’éducation, et dans toutes les couches de la société ; même les artisans et
les boutiquiers avaient ses vers constamment à la bouche, et y prenaient
leurs devises. Il n’y avait pas d’homme si peu instruit qu’il ne fût en état
de placer, dans l’occasion, quelques bribes de l’Énéide, et dans les
festins, où l’on amusait les convives avec des tours de jongleurs,
l’imitation de voix d’animaux et la représentation de farces, on n’en
entendait pas moins aussi déclamer, souvent affreusement, il est vrai, des
passages de cette épopée[105]. Dans les
moments graves de la vie, on ouvrait alors Virgile, comme on ouvre
aujourd’hui Cependant, Properce et Ovide aussi devinrent vite familiers à des cercles nombreux, ainsi que le montrent les murs des ruines de Pompéji, où, indépendamment de vers de Virgile, en partie visiblement écrits par des écoliers ; on en voit aussi des deux poètes précités, et d’autres encore, griffonnés avec le poinçon d’usage, les uns cités textuellement, les autres parodiés, notamment à la basilique, qui servait de promenade au monde élégant[110]. Pour l’explication de cette popularité, rappelons aussi ce
que Jacques Grimm a dit à propos de Schiller. Suivant Grimm, la poésie qui
plaît à la multitude serait celle qui plane, et pour le style et pour les
idées, au sommet de la culture intellectuelle du présent, attendu que la
vieille manière du passé vieillit également pour le peuple, désireux de
s’élever, lui aussi, à la hauteur des vues dominantes de l’actualité, et de
s’y faire initier. La multitude, susceptible d’être impressionnée par une
belle poésie, tient précisément à la savourer avec tous ses avantages
nouveaux, pour lesquels elle n’hésite pas à renoncer à l’ancien[111]. Cependant, une
propagation aussi générale de la poésie n’eût pas été possible, dans l’âge
d’Auguste, sans le concours des influences de l’école. Or, avec ces
dernières, concourait encore celle du théâtre, où, comme tout porte à le
croire, on chantait souvent des poésies[112]. Ajoutons que
ces influences étaient fortement secondées par la vive impressionnabilité des
hommes du Cependant, le goût de ces derniers pour les phrases d’une belle sonorité, était aussi très vif, ainsi que le montre, entre autres, le rapport de Philostrate sur les applaudissements qui accueillirent, à Rome, le Phénicien Adrien, professeur d’éloquence sous Marc-Aurèle et Commode. Chevaliers et sénateurs, se faisant avertir du moment où il entrain en chaire, désertaient le théâtre et se portaient en foule à l’Athénée, ceux-là même qui n’entendaient pas le grec. On admirait la sonorité de son organe, la cadence, la modulation et le rythme de son discours, et on y prêtait l’oreille avec le même délice qu’au chant mélodieux du rossignol[113]. Mais, même abstraction faite de toutes les circonstances qui la favorisaient accessoirement, la poésie classique de l’âge d’Auguste ne pouvait manquer de produire un effet immense sur le monde cultivé de la période suivante. Celle-ci fut essentiellement improductive, mais elle avait la sensitivité délicate d’une haute culture. A une époque pareille, la production de nombreux chefs-d’œuvre poétiques accomplis, l’établissement de formes pouvant servir de modèles dans les branches les plus diverses, mais avant tout, la création d’une langue poétique nouvelle, d’une beauté ravissante et d’un éclat éblouissant, devaient nécessairement provoquer, le plus largement possible, l’instinct de l’assimilation et de l’imitation. Tous les hommes, dit Gœthe[114], ont pour les œuvres d’art un goût inexprimable ; mais l’homme n’apprend rien, ne jouit de rien, sans aspirer aussitôt à produire lui-même. Tel est, au fond, le propre de la nature humaine, telle, on peut le dire sans exagérer, la nature même de l’homme. Ainsi une grande extension du dilettantisme apparaît, à toute époque de haute culture, comme la conséquence nécessaire d’un grand et riche développement de l’art. L’Allemagne aussi a fait cette expérience, sur le domaine de la poésie tout d’abord. Elle a eu une époque de floraison poétique sans pareille, qui la dota d’une langue poétique dont elle avait besoin. Là aussi, la génération suivante a mis une ardeur et un empressement d’activité excessifs à s’emparer du précieux héritage, pour s’assurer de tous les moyens d’en user et d’en abuser, en reproduisant continuellement ce dont elle avait pris possession. On pourrait admettre, même à défaut de l’affirmation de témoignages positifs, que les choses durent se passer de même, au temps qui suivit l’âge d’Auguste. Les tentations dans lesquelles induit une langue cultivée, qui image et pense pour nous, étaient tout aussi irrésistibles alors, les illusions des amateurs poètes sur le mérite de leurs productions, les mêmes que de nos jours ; aussi, ne pouvaient-elles manquer de suggérer les mêmes observations aux spectateurs impartiaux de ce mouvement d’agitation littéraire. La poésie, dit un spirituel auteur, du temps de Néron, a fait bien des dupes. Il suffit qu’un homme ait réussi à mettre un vers sur ses pieds, et à tisser, dans une période, une pensée un peu délicate, pour qu’il se croie déjà parvenu sur les hauteurs de l’Hélicon[115]. Le dilettantisme était favorisé, du reste, par cette liaison plus intime de la poésie avec l’école qui devait, probablement, avoir pour conséquence une pratique plus ou moins générale d’exercices poétiques, auxquels on se livrait, à l’instigation des maîtres, ou sans eux, dans le seul but d’arriver à posséder complètement la forme, et d’acquérir la virtuosité, dans une prose fleurie et pleine de mouvement. Il devait, d’ailleurs, y avoir de l’attrait à continuer l’exercice et à se ménager la conservation du bénéfice de cette habileté de forme acquise, même pour ceux qui ne se faisaient pas l’illusion de considérer comme original et leur appartenant en propre le produit de simples réminiscences, ce qu’ils s’étaient, en, autres termes, seulement assimilé par la communion de, l’esprit ou du sentiment. Mais, indubitablement, le plaisir que l’on trouvait au succès, réel ou imaginaire, obtenu dans ces exercices poétiques, qui ont du reste, pour le dire en passant, prêté beaucoup aux interpolations, dans les textes des poètes qu’on lisait le plus, entraîna plus d’un amateur à, se faire un but d’une occupation, qui, d’abord, n’avait été regardée par lui que comme un moyen d’étude. Même parmi les véritables odes d’Horace, qui pourtant n’exerçait peut-être que trop sévèrement sa critique sur lui-même, il se trouve assez d’exercices en vers dont le mérite consiste uniquement dans la forme. Or si Horace fut, d’après le jugement de Quintilien, le seul poète lyrique latin qui méritât d’être lu, on pouvait bien admettre que tout l’art lyrique du temps postérieur au règne d’Auguste fût surtout une poésie d’écoliers et d’amateurs. Les rapports politiques de l’empire, les intérêts et les inclinations des gouvernements, des cours et des cercles approchant de celles-ci, concouraient, avec les influencés de l’école et de la poésie classique du temps d’Auguste, à tourner principalement vers la poésie les vocations, les goûts d’amateur et les occupations littéraires. La pacification générale qui suivit la bataille d’Actium et le dépérissement de la vie politiqué, depuis l’avènement d’Auguste à la monarchie, fermèrent presque entièrement, au peuple romain les deux domaines sur lesquels son génie avait déployé tant de richesse et de vigueur, pendant des siècles. Une masse de talents, de forces et d’ardeurs, que cette révolution avait poussés hors de leur voie naturelle, se rejetèrent alors sur la littérature. Mais, là aussi, les portions du champ qui avaient été cultivées avec le plus de succès, sous la république, n’étaient plus que partiellement ouvertes à leur activité : la liberté de la parole était entravée, la tâche de l’historien, jusqu’au temps de Nerva et de Trajan, qui procura de nouveau aux hommes la rare bonne fortune de pouvoir penser ce qu’ils voulaient et dire ce qu’ils pensaient, pleine de périls, déjà sous le régime, autrement si tolérant, d’Auguste. Titus Labienus, l’un des derniers républicains et l’irréconciliable adversaire du nouvel ordre de choses, à Rome, crut devoir passer, en faisant publiquement la lecture de son histoire des événements les plus récents, des pages entières, sans autre explication que ces mots : Voilà ce qui ne sera lu qu’après ma mort. Cela n’empêcha pas la condamnation de son œuvre à être brûlée, sentence d’une rigueur inouïe jusque-là. Quant à l’auteur, il ne voulut pas survivre à la destruction de son livre ; s’étant fait transporter au lieu de la sépulture de ses ancêtres, il s’y enferma, comme un homme qui se ferait enterrer vivant. Onze ans après la mort d’Auguste, Crémutius Cordus fut mis en accusation, pour avoir appelé, dans ses Annales, Brutus et Cassius les derniers des Romains ; il prévint une condamnation certaine, en se faisant volontairement mourir de faim. Ses livres furent également brûlés. Dans des temps pareils, la poésie offrait aux esprits paisibles, désireux de trouver un aliment idéal pour leur vie, en même temps que d’échapper à la réalité, un asile qui devait leur convenir doublement. Mais cet asile non plus n’était parfaitement sûr ; l’âme des puissants de la terre s’irritait facilement ; pour qu’elle s’émût, il suffisait quelquefois du simple choix d’un sujet, d’allusions apparentes ou réelles au présent, offertes par tel ou tel passage. Ainsi, sous Tibère, le dernier rejeton de l’illustre maison des Scaurus encourut la mort, par sa tragédie d’Atrée. Ce vers notamment : La sottise des rois doit être supportée, y parut mériter le supplice[116]. Mais de pareils dangers ne menaçaient, naturellement, que dans les cas les plus rares les poètes véritablement soucieux de les éviter, et ne pouvaient préjudicier aux inclinations poétiques de cet âge. Il est dit expressément, dans le Dialogue des Orateurs de Tacite, que la poésie est une occupation qui se justifie principalement par le fait d’exposer moins au danger de causer des froissements que celle des orateurs[117]. C’est ainsi que la poésie surtout remplit la grande lacune laissée, par la chute de la république, dans la vie de Rome, et ce n’est nullement par suite de la variabilité des caprices humains, comme l’expose Horace, dans son Épître à Auguste, que le peuple romain, dont l’activité avait autrefois un tout autre but, en était venu à ne plus s’enflammer d’un beau zèle que pour la profession littéraire, que les fils et leurs graves pères se ceignaient le front de feuillage, et que, savants et ignorants, se mettaient partout à écrire des poésies[118]. Auguste alla, de la meilleure grâce, au-devant de cette direction. Après le bienfait du retour de la tranquillité et de l’ordre, si longtemps désirés, qu’apportait l’empire ; c’étaient la protection et l’encouragement des tendances intellectuelles, tant qu’elles ne chercheraient pas à franchir les barrières établies, qui devaient réconcilier avec le césarisme les gens instruits ; tandis qu’à Rome les masses étaient dédommagées de la perte de la liberté, par de grands progrès dans l’amélioration de leur condition matérielle, ainsi que par des fêtes et des parades fastueuses. La sollicitude qu’Auguste et les grands personnages qui
l’approchaient le plus, comme Messala et Mécène surtout, témoignèrent pour ce
nouvel et florissant essor de la poésie, sollicitude partagée aussi par les
princesses de la maison impériale, est devenue à bon droit proverbiale. Ce
qui fut, sans doute, encore d’un plus grand effet que la faveur de ces
cercles, auxquels on vit se rallier même le frondeur Asinius Pollion, ce fut
leur propre exemple. Auguste était à la hauteur de la culture de son temps ;
l’intérêt qu’il prenait à la littérature était sincère, et il le témoigna,
non seulement en poussant et secourant les poètes et les gens de lettres,
mais encore en faisant paraître au grand jour. la vive part qu’il prenait à
leurs travaux, par sa bienveillance et la patience avec laquelle il écoutait
leurs lectures. C’est à lui qu’est due l’origine du quatrième livre des Odes
d’Horace, ainsi que la conservation de l’Énéide de Virgile, et ce fut lui
qui permit à Horace de lui adresser l’épître dans laquelle ce poète mit en
parallèle la poésie ancienne et la nouvelle. De plus, Auguste ne se fit pas
faute de s’essayer lui-même comme auteur, surtout en prose, il est vrai ;
quant à la poésie, il ne s’en occupa, dit Suétone, que superficiellement. Cependant,
il existait de lui un poème, en hexamètres, sur Tibère, qui s’appliquait, avec la plus grande ardeur, aux études nécessaires pour compléter l’éducation en général, était admirateur des Alexandrins et affectionnait particulièrement l’érudition mythologique, dont ils aimaient à parer leurs œuvres. Dans ses poésies grecques ; il imita Euphorion, Rhianus et Parthénius. Il composa aussi en latin une poésie lyrique, une élégie sur la mort de Lucius César (en l’an de Rome 755), événement qui le rapprochait d’un grand pas du trône lui-même[119], alors âgé de 43 ans. Il existait aussi de lui des poésies légères[120]. Il est peu probable qu’une nature aussi grandement douée et aspirant aux grandes choses, comme celle de Tibère, eût condescendu à se prêter au dilettantisme poétique, s’il n’y avait pas été presque fatalement porté par sa tendance à s’approprier la culture de son temps, dans sa plus grande étendue. Le noble Germanicus trouva également, dans sa vie si agitée, des loisirs pour la poésie ; il laissa, entre autres compositions, des comédies grecques. Caligula se borna à l’étude de l’art oratoire, dans lequel
il acquit une certaine habileté. Claude composa nombre d’ouvrages savants,
mais seulement en prose. Néron fut le premier empereur et demeura le seul qui
fit de la poésie non pour S’amuser, se divertir, ou remplir ses moments
libres, mais avec la prétention d’occuper une place éminente dans le monde
poétique. Il était resté étranger à toute culture de l’esprit sérieuse et
fondée sur une étude raisonnée de principes dont l’avaient détourné son
naturel et son entourage. Sa mère doit l’avoir dissuadé de l’étude de la
philosophie, qu’elle regardait comme incompatible avec l’éducation d’un
prince destiné à l’empire ; son précepteur Sénèque, de l’étude de la
littérature ancienne, pour retenir plus longtemps l’élève dans l’admiration
des œuvres du maître. Bien qu’avant comme après son avènement au trône, quand
il n’avait pas encore accompli sa dix-septième année, Néron se produisît, avec
ses déclamations, devant de grandes assemblées, il n’en était pas moins
obligé de se faire écrire ses discours publics par Sénèque, ce qui étonnait
beaucoup. Il fut le premier empereur qui fit servir à son usage la plume
d’autrui. Mais, moins il eut l’avantage d’une éducation scientifique, plus il
mit de variété dans son dilettantisme en fait de beaux-arts. On a déjà parlé,
au tome III, de son application à la musique, dans laquelle consistait, comme
il le croyait, sa force principale. Il jouait avec le ciseau et la baguette
du modeleur, et mettait presque autant d’ardeur à faire de la poésie qu’à
chanter et à jouer des instruments de musique. Dans cette dernière
occupation, il voyait en même temps, comme le pense Tacite, un moyen de
contrebalancer, dans l’opinion publique, le mauvais effet que pouvaient y
produire ses autres exercices artistiques, réputés plus malséants pour un
prince. Il est difficile de bien déterminer s’il eut réellement du talent
pour la poésie, et dans quelle mesure. Tacite ne lui en accorde point du
tout. Suivant cet historien, Néron s’entourait de
gens faisant des vers avec une certaine facilité, mais peu éminents et d’une
renommée douteuse. Ces gens se réunissaient, rajustaient ensemble les vers
qu’ils apportaient tout faits, ou composaient séance tenante, et brodaient
sur le canevas des mots que leur jetait fugitivement l’empereur, de manière à
en faire sortir quelque chose. C’est ce que trahit aussi. le caractère de ces
poésies, qui manquent de ressort, ainsi que d’originalité, et ne sont pas
d’un seul jet. On ne se trompera guère, en admettant que nombre de
poésies des grands personnages du temps, jouant les poètes, comme par exemple
les élégies qu’ils dictaient, pendant leur digestion, couchés sur des lits de
repos en bois de titre, devaient être nées dans des conditions semblables,
d’autant plus que les grands devaient sans doute, alors, sur ce domaine aussi
bien que sur celui du savoir proprement dit et de l’érudition, considérer
comme leur propriété légitime, et se croire parfaitement en droit de faire
valoir, en conséquence, les services de leurs clients, de leurs esclaves et
de leurs affranchis[121]. Dans les
poésies de Lucius Verus aussi, le meilleur, disait-on, avait été fait par ses
amis, gens de talent[122]. Il est vrai
que, d’un autre côté, Suétone prend, à cet égard, la défense de Néron qui,
d’après cet historien, aurait eu d’autant moins besoin de se parer des plumes
d’autrui que, chez lui-même, les vers coulaient de source. Les compositions
écrites de la main de Néron, qu’il avait eues sous les yeux, n’étaient
évidemment, dit-il, ni des pièces remaniées, ni des copiés, mais avaient
entièrement le caractère de compositions originales, tant il y avait de
ratures, de corrections et de substitutions. Les poésies de Néron étaient
nombreuses et variées, consistant en petits badinages, comme la pièce où il
est question des cheveux d’ambre de Poppée, en satires, en poésies lyriques,
composées pour le chant avec accompagnement de la cithare, et parmi
lesquelles figuraient probablement aussi des solos de tragédies, enfin, dans
une épopée, Dans les fêtes que Néron, le premier, institua en prenant modèle des Grecs, ou fêtes Néronées, qui devaient se renouveler de cinq en cinq ans, mais paraissent n’avoir été réellement célébrées que deux fois, en 60 et en 63, les concours de musique, dans la plus large acception du mot, comprenant aussi la poésie, formaient l’objet capital du programme, et les apologistes de la nouvelle institution pensaient que les victoires des orateurs et des poètes seraient un stimulant, pour l’essor de talents nouveaux[124]. Mais de fait, Néron entendait y briller seul, comme poète tout comme musicien ; la participation, d’après son désir, de ce qu’il y avait de plus aristocratique, n’avait pour but que de rehausser sa gloire ; c’est à lui que fut décernée la couronne, et, lors de la seconde célébration de cette fête, il fit la lecture de sa Troïque. En général, il ne pouvait souffrir que la célébrité d’aucun. autre poète fît concurrence à sa propre gloire. Lucain, qu’il avait attiré dans son cercle poétique, ne tarda pas à lui porter ombrage. L’empereur, assistant un jour à une lecture de ce poète, sortit brusquement, et, comme il paraît, lui défendit même de jamais reparler en public[125]. A la fin de l’année 62, ou au commencement de 63, Lucain se laissa entraîner à l’hostilité ouverte contre la cour, puis trempa dans la conspiration de Pison ; dont la découverte amena sa mort. Mais, quelque dangereux qu’il fût, à Rome, de prétendre a une véritable célébrité, comme poète, sous Néron[126], il était prudent, nécessaire même, pour quiconque avait des rapports avec ce prince, de faire parade d’intérêt et de goût pour la poésie, de se produire même, autant que possible, avec des essais poétiques, propres à mettre en relief les productions de l’empereur lui-même. Il n’est pas douteux, pour qui connaît cette époque-là, que ce calcul y contribua beaucoup à l’accroissement de l’activité sur le domaine de la poésie. Parmi les reproches élevés contre Sénèque, par ses ennemis, figurait aussi celui qu’il s’était plus vivement et plus fréquemment appliqué à la versification, depuis que Néron témoignait de l’amour pour la poésie[127]. Il y eut un changement complet, à cet égard, sous Vespasien, qui, personnellement tout à fait étranger à là poésie, n’e favorisa et encouragea pas moins, avec libéralité, précisément les talents hors ligne, même parmi les poètes. Mais son fils Titus, qui, enfant, avait vécu à la cour de Néron, avait lui-même, pour la poésie latine et grecque, un talent et une facilité suffisante même pour l’improvisation ; il chanta même une comète, dans une pièce de vers superbe, suivant l’expression de Pline l’Ancien, et Pline le Jeune aussi le nomme parmi les poètes. Sous Domitien, les rapports du temps de Néron reparurent, à bien des égards, une oppression même plus terrible encore s’appesantit sur les esprits ; mais les efforts poétiques n’en furent pas moins sincèrement favorisés et encouragés, surtout par l’institution, en 86, du concours ou Agon Capitolin, dans lequel les talents pouvaient se déployer librement. Généralement, cependant, cet autre Néron ne prétendit, pas, comme empereur, à une gloire de poète, bien qu’il eût, dans ses loisirs involontaires, n’étant encore que prince, fait parade d’un grand zèle d’application à la poésie. Naturellement, à sa cour aussi, les poésies de sa jeunesse étaient déclarées le nec plus ultra du genre. Quintilien dit qu’il avait paru trop mesquin aux dieux de laisser Domitien dans le rôle du plus grand des poètes, et que c’est pour le détourner de ces occupations d’un ordre inférieur qu’ils lui avaient commis le soin de gouverner le monde. Il est douteux qu’il ait même commencé seulement un poème épique sur la guerre de Judée, dont parle Valérius Flaccus[128] ; certain, au contraire, qu’il prit pour sujet d’une poésie la lutte pour le Capitole des journées de décembre de l’an 68, pendant laquelle il avait été en grand danger ; car Martial mentionne, en l’an 89, avec l’épithète d’usage, dans la langue de cour d’alors, pour tout ce qui émanait du souverain, le céleste poème de la Guerre Capitoline[129]. Domitien n’était donc pas fâché qu’on rappelât ses essais poétiques, bien qu’il eût complètement renoncé à faire des vers, et Martial lui rend hommage en l’appelant le maître des neuf sœurs[130]. Le successeur de Domitien, Nerva, était aussi regardé par les poètes comme un des leurs ; Pline le Jeune[131] le nomme, parmi les auteurs de bagatelles espiègles et badines ; Martial l’appelle le Tibulle de notre temps, expression tirée d’une poésie de Néron, du cercle duquel Nerva jadis avait fait partie. Les épigrammes composées sur lui par Martial, dans le ton de client le plus humble, montrent que Nerva aimait, encore alors (c’était vers la fin du règne de Domitien), à s’entendre louer comme poète[132]. Dans la nature de soldat si grandiose de Trajan, il n’y avait pas une fibre poétique ; il paraît même que tout intérêt pour la. poésie manquait absolument chez lui ; tandis qu’Adrien, le plus grand amateur des belles-lettres et des beaux-arts, dans toute leur variété, qui se flet jamais assis sur le trône de l’empire romain, maniait avec une égale habileté les vers et la prose ; on lisait aussi de lui des poésies lascives[133]. Il conserva, jusque sur son lit de douleur, à l’approche de la mort, assez de belle humeur pour composer ces vers connus qui, d’après son biographe, donnent la mesure de la valeur de ses poésies et peuvent se traduire ainsi : Ma petite âme volage et tendre, toi la douce compagne d’un corps qui t’a si longtemps hébergée, où vas-tu aller, pauvre mignonne, toute pâle, sans rien pour te couvrir et grelottante de froid ? Il n’y a plus à folâtrer maintenant ; adieu les petites causeries ! Il paraît ; d’ailleurs, que l’exemple d’Adrien avait mis la poésie à la mode, à sa cour ; son fils adoptif, Ælius Verus, était également un habile versificateur[134], et Lucius Verus, qu’il fit adopter par Antonin le Pieux, s’était de même, comme on l’a déjà dit, appliqué dans son jeune âge à la poésie. Marc-Aurèle aussi avait, encore à l’âge de vingt-deux ans (en 143), fait des hexamètres, auxquels il tenait tellement qu’ils ne furent pas, comme ses autres essais, menacés du sort de s’en aller en fumée[135]. Mais ici se termine cette série de princes poètes, presque sans pareille dans, l’histoire de la littérature, et depuis lors la poésie resta longtemps bannie de la cour ; car, parmi les empereurs suivants, le plus rapproché duquel on rapporte qu’il faisait des vers, mais des vers grecs, est Alexandre Sévère, dont la belle éducation et le dilettantisme poétique, ainsi que celui de Balbin, des deux premiers Gordiens, de Gallien et de Numérien[136], montrent qu’au troisième siècle encore les anciennes traditions littéraires et le soin des intérêts de la culture intellectuelle se maintenaient, dans quelques-uns des cercles de la haute société, comme des îles vertes, au milieu des flots toujours grossissants de la barbarie. Or, si dans la période qui s’était écoulée d’Auguste à l’empereur Adrien, il avait été presque de règle que les souverains, les uns avant d’être princes régnants, les autres même après leur avènement au trône, s’occupassent de poésie, chose qui ne se rencontre ailleurs que comme une rare exception, ce phénomène n’est, sans doute pas, plus un pur effet du hasard que le fait de l’impossibilité dans laquelle on se trouve de citer, pour toute la période suivante, depuis, les Antonins jusqu’à Alexandre Sévère ; un seul prince qui fût poète ; bien que les empereurs de cette époque aussi fussent, pour la plupart, à la hauteur de la culture de leur temps. Reconnaissons plutôt que, manifestement, les uns comme les autres n’ont fait que suivre les directions. et la pente des intérêts qui dominaient de leur vivant, et que leur goût ou leur indifférence pour la poésie devait, en général et au fond, s’accorder avec le sentiment de la partie instruite de leurs contemporains. On peut donc conclure, avec non moins de certitude, de cette observation seule, qu’autant le dilettantisme poétique devait être répandu dans la généralité de la société instruite du premier siècle de l’ère impériale, autant il subit une diminution forte et surprenante, vers le milieu du deuxième siècle. Il n’est pas douteux, en effet, qu’à l’époque d’Adrien un nouveau courant, déterminé par la force des choses, et tendant à refouler les aspirations poétiques, qui dominaient au premier siècle, s’empara des esprits et commença à prendre le dessus. L’histoire de la poésie latine est, jusqu’à la limite des deux premiers siècles de l’empire, aussi riche en noms d’auteurs qu’elle est pauvre, même presque entièrement vide, à cet égard, dans les temps postérieurs. Il semble qu’il ne faudrait pas chercher la raison de ce fait dans une diminution de la puissance créatrice, dans une disparition de l’originalité et du génie, regardées par Gibbon[137] comme des phénomènes caractéristiques du deuxième siècle ; car les poètes de la période qui suit immédiatement le règne d’Auguste n’étaient, eux aussi, que des amateurs très lettrés et très bien doués, dans l’acception la plus haute et la meilleure du mot, il est vrai ; de plus, il n’y a eu nullement disette de poètes dans les siècles postérieurs[138]. Ce qui a, sans doute, contribué au déclin des tendances poétiques, c’est l’avènement de l’archéologie à la domination dans la littérature, le culte des auteurs anciens étant loin de pouvoir offrir, à la production originale et à la reproduction, la même excitation que le commerce avec les poètes modernes. Il y eut, ensuite, suppression de l’influence que l’application des empereurs à la poésie, bien qu’elle ne fût elle-même, comme nous l’avons dit, qu’un effet de la tendance dominante de l’esprit du temps, n’avait pas manqué d’exercer, par la force de l’exemple, sur, les hautes classes, et partant d’un mobile considérable du dilettantisme poétique. Mais la cause principale du déclin, on fera bien, peut-être, de la chercher dans la grande impression faite par la prose d’art des sophistes, qui avait pris naissance en Grèce, et, sollicitant aussi puissamment l’admiration et l’imitation des Romains, entraînait largement dans ses propres voies beaucoup d’esprits impressionnables. Nous reparlerons plus loin de cette nouvelle direction. Enfin, il ne faut pas oublier que plus, par suite de la nouvelle organisation d’Adrien surtout, l’empire se transformait en un état foncièrement militaire et bureaucratique, plus on eut besoin de fonctionnaires, et plus la perspective qu’il leur offrait, dans la carrière officielle, était devenue brillante, plus aussi le talent et l’ambition durent se détourner des belles-lettres en général et se porter, de préférence, sur le service militaire, l’administration et l’étude du droit. Cela n’empêcha pas que l’on ne continuât, généralement, à s’appliquer à l’éloquence, en la regardant, toutefois, moins comme une fin que comme un moyen, et par d’autres voies qu’auparavant. Les études professionnelles et, dans leur cortége, notamment aussi celle de la philologie, très étroitement liée à la jurisprudence, qui venait de prendre un nouvel essor, n’étaient, naturellement, pas suivies avec moins d’ardeur. La nouvelle importance que la poésie et la littérature, en général, gagnèrent avec l’établissement de l’empire, se manifeste principalement dans trois choses : le développement d’un commerce de librairie, très étendu et la formation de, bibliothèques publiques, l’introduction de lectures ou récitations publiques des ouvrages nouvellement parus, enfin l’établissement d’une distinction honorifique toute nouvelle, pour les poètes en particulier, le couronnement de ceux-ci. Ce dernier date des règnes de Néron et de Domitien ; tout le reste existait déjà au temps d’Auguste. Dans les derniers temps de la république, le commerce de
librairie n’avait encore que peu d’étendue[139]. L’ami de
Cicéron, Atticus, le premier duquel on sait qu’il entreprit de multiplier les
livres et d’en assurer le débit sur une plus grande échelle, n’en faisait
pourtant qu’accessoirement une affaire. Mais, déjà sous Auguste ; la
librairie devint une branche de commerce distincte, à Rome, et bientôt aussi
dans les provinces. Les fonds d’assortiment de librairie étaient logés dans
les quartiers les plus animés de la capitale, les piliers et les entrées des
boutiques qu’ils occupaient, garnis d’annonces et de montres, offrant des
exemplaires des livres en vente ; c’étaient, comme dans Mais il y avait aussi des trésors de livres, dans les deux langues, gratuitement accessibles à tout le monde. Le projet de Jules César de fonder, à Rome, des bibliothèques publiques, plan qui, comme beaucoup d’autres, avait été déjoué par sa mort, fut réalisé par Asinius Pollion, auquel Rome dut la première bibliothèque publique, formée de livres grecs et latins. Deux autres, sous le portique d’Octavie et sur le mont Palatin, y furent ajoutées par Auguste, et les empereurs postérieurs, notamment Vespasien et Trajan, en accrurent successivement le nombre, par de nouvelles fondations, si bien qu’au quatrième siècle on n’en comptait pas moins de vingt-huit[142]. Elles servaient, naturellement, aussi de lieux de réunion aux amis des lettres. Asinius Pollion eut aussi le premier l’idée de se servir des salles de bibliothèque pour rendre un hommage, auparavant inusité aux grandes célébrités littéraires. Leurs statues, avec des casiers de livres à leurs pieds, comme nous en possédons encore de Sophocle et d’autres écrivains, ou leurs bustes couronnés de lierre, l’ornement réservé pour le front des penseurs, à titre de récompense, partie en bronze, mais partie aussi en or et en argent, ornèrent ces salles et portiques ; et, probablement, cet honneur ne tarda pas à être également décerné à des poètes, et à d’autres auteurs vivants[143]. Cependant, la fondation de bibliothèques publiques rendant
accessibles, à tous, les ouvrages d’un grand mérite reconnu, c’est-à-dire les
ouvrages anciens à titre de préférence, jointe au développement d’une
librairie aussi active qu’étendue, mettant tout son zèle à répandre promptement
tout ce qui paraissait de nouveau, n’était pas encore, à cette époque d’une
vie littéraire extrêmement riche et animée, où régnait un intérêt non moins
vif, en général, pour la littérature, suffisante pour l’office
d’intermédiaire entre l’offre et la demande, c’est-à-dire les poètes et tous
les gens de lettres d’une part, et le public de l’autre. C’est qu’à cette
époque on était encore tellement habitué au débit oral et à la parole
vivante, que la lecture ne pouvait, alors, devenir aussi commune que dans les
périodes du grand développement littéraire des temps modernes, et qu’en outre
la fatigue devait, assurément, presque toujours faire grand tort au plaisir
de lire, avec le défaut de ponctuation et de séparation des mots, les
abréviations fréquentes et, souvent aussi, la mauvaise écriture, où
l’incorrection des textes manuscrits. La poésie surtout perdait beaucoup,
quand elle né pouvait être perçue par l’oreille ; car étant, notamment la
poésie lyrique, destinée soit directement pour le chant avec accompagnement
de musique, soit du moins pour un débit musical, ou quelque chose
d’approchant, et l’euphonie ainsi que le rythme comptant parmi les qualités
essentielles que l’on y sentait le plus finement, et appréciait le plus
généralement les poésies que l’on n’entendait pas réciter, mais que l’on
était réduit à lire, devaient, d’après la manière de sentir du temps,
s’évanouir en quelque sorte et prendre un air de fantômes. La prose elle-même
perdait aussi, bien qu’à un moindre degré, de son effet, à la simple lecture.
Juvénal disant que, sur l’annonce d’une lecture de Que ce nouvel usage, excellent en lui-même, ne tardât pas à dégénérer, c’était inévitable, avec cette multitude d’oisifs, enchantés de tout ce qui leur offrait un nouveau moyen de remplir des heures inoccupées, avec le grand nombre de gens faisant de la poésie en amateurs, ou se croyant poètes, qui cherchaient, avant tout, à satisfaire leur vanité, et qui attendaient, naturellement, aussi d’autrui l’indulgente et la faveur que le dilettantisme ne se marchande pas à lui-même. Vous voulez que je vous lise mes épigrammes, Céler ? est-il dit dans une de celles de Martial (I, 63). Je n’en ai nulle envie ! Vous n’avez nul désir d’écouter, mais celui de lire vous-même. Pendant que des amateurs, tels que Pline le Jeune, ne se lassaient pas, même dans la plus belle saison, de visiter des récitations, jour par jour, et d’y applaudir, c’étaient les poètes véritables qui souffraient le plus de cette manie des lectures toujours croissante. Déjà pour Horace, la plus grande des terreurs, c’était le poète dans son délire, se démenant comme un ours furieux qui a réussi à rompre les barreaux de sa cage, cet âpre lecteur qui met tout le monde en fuite, doctes et ignorants, mais qui, lorsqu’il a pu saisir quelqu’un, le tient ferme et l’assassine de lecture, comme la sangsue, qui ne lâche pas la peau avant de s’être gorgée. Le lecteur, dit Sénèque, commence à débiter une longue histoire en écriture très menue et brochure très compacte, puis, après en avoir lu une grande partie, il dit : Je vais cesser, si on le désire. Lisez ! lisez ! lui crient ses auditeurs, qui n’en seraient pas moins charmés qu’il pût être, incontinent, frappé de mutisme. Parmi les figures du roman de Pétrone, il y a un vieux poète, possédé de la fureur de l’improvisation et de la récitation, lequel, à bord d’un navire près de sombrer, en’ face de la mort, continue encore à réciter des vers d’une voix de stentor, et à les écrire sur une immense feuille de parchemin. Dans tous les endroits publics où il y a du monde, dans les portiques, les bains, les théâtres, il est prêt à recommencer aussitôt ses déclamations ; mais, partout, on le chasse à coups de pierres. Le poète avec son manuscrit, dit Martial, est plus terrible et plus redouté que la tigresse à laquelle on a ravi ses petits, que le serpent le plus venimeux, que le scorpion même. Il arrête sa victime dans la rue, la poursuit jusqu’au bain et jusqu’à table, ou l’arrache à son sommeil. Dès qu’on l’aperçoit, tout le monde de fuir ; on évite sa table bien garnie, comme le dieu du Soleil se détourna du repas de Thyeste ; le vide de la solitude se fait autour de lui. Juvénal fait articuler à son ami Umbricius, parmi les raisons qui le chassent de Rome, indépendamment des incendies et des écroulements de maisons continuels, le grief d’être obligé d’entendre les lectures des poètes au mois d’août. Il dit, dans un accès de désespoir comique, n’avoir été poussé lui-même que par le désir de se venger cette torture à la résolution de ne plus ménager non plus, désormais, le papier, que d’autres ne se feraient pas faute de gâcher tout de même, les poètes pullulant partout[145]. Si la vanité entraînait les poètes à mettre la patience de leurs auditeurs à une rude épreuve, par la longueur et la fréquence de leurs lectures, ils ne tombaient en outre que trop souvent, en s’évertuant à faire valoir le plus possible leur personne et leur couvre, dans toute sorte d’afféteries théâtrales. Il y avait déjà, pour eux, une tentation, poussant à ce travers, dans les grandes exigences du temps, relativement à une belle diction et à la mimique qui devait l’accompagner, clans la grande importance que l’on attachait à ces deux points, ainsi qu’à d’autres choses extérieures. Quintilien trace à l’orateur débutant des préceptes détaillés sur les moyens de former sa voix, sur les qualités nécessaires d’un bon organe, qui doit embrasser toute la gamme des sons, ainsi que sur la manière d’éviter les extrêmes du haut et du bas, sans tomber dans la monotonie ; il lui conseille de se garder d’un débit affectant le chant ; auquel se laissaient aller la plupart des orateurs d’alors, et traite d’une manière tout aussi détaillée du geste et de la mimique, du costume et de toute l’habitude extérieure de l’orateur, auquel il recommande de prendre, pour achever son éducation, non seulement les leçons d’un musicien, mais aussi celles d’un acteur[146]. Il va sans dire que ces règles et toutes les recommandations analogues s’appliquaient également au lecteur. Pline le Jeune, apprenant qu’il lisait mal les vers, résolut de faire lire ses poésies par un affranchi, devant un cercle d’amis ; cependant, il était en doute sur la question de savoir s’il devait lui-même assister, avec la mine d’un indifférent, à cette lecture, ou l’accompagner, comme faisaient bien des gens, de murmures, d’un jeu de physionomie et de gestes ; mais, estimant sa gesticulation aussi défectueuse que sa lecture, il prie, dans son embarras, Suétone de le conseiller[147]. Perse, décrivant l’affectation des lecteurs, nous les montre occupant leur siège élevé au-dessus des autres, vêtus d’une toge de fête, éblouissante de blancheur, bien frisés, une bague garnie d’une grosse pierre précieuse au doigt, puis commençant leur débit avec des regards languissants et en balançant le cou à droite et à gauche, du ton le plus mélodieux qu’était susceptible de prendre leur gosier, assoupli par de longs exercices de solfège[148]. Quelquefois, ils paraissaient avec une cravate de laine roulée autour du cou, pour ménager la voix ou annoncer un rhume ; mais en réalité, ils ne faisaient par là, dans l’opinion de Martial, que se reconnaître aussi incapables de parler que de se taire[149]. La manière dont se présentaient les lecteurs, ainsi que les applaudissements de l’auditoire, rappelait le théâtre. Bien que les auditeurs, invités personnellement ou par lettres, fussent en majeure partie des amis, ou du moins des gens assez bien, élevés pour ne pas ménager leurs applaudissements, surtout quand ils étaient eux-mêmes écrivains, et attendaient la pareille des assistants, à leurs propres lectures, beaucoup de lecteurs, et peut-être même la plupart, ne négligeaient pas de se pourvoir encore d’un renfort d’applaudisseurs et de claqueurs payés. A l’époque de Trajan, les avocats des parties en usaient de même ; mais il est possible que cette déplorable habitude ne se fût glissée dans les débats des tribunaux que sous l’influence contagieuse des récitations. Dans celles-ci, quelque protecteur du poète mettait à la disposition de celui-ci des affranchis doués de fortes voix, auxquels on assignait. certaines places bien choisies, notamment aux extrémités des bancs, et qui, à un signe convenu du chef de claque ou directeur du chœur, éclataient en applaudissements bruyants ; ou bien aussi, l’on engageait, dans ce but, des personnes, de. l’auditoire même, moyennant le-cadeau d’un manteau déjà porté, la promesse d’un bon repas — parasites que, par une sorte de calembour intraduisible, sonnant à peu près comme la désignation latine d’applaudisseurs de table, on appelait Laodicènes —, ou une offre d’argent directe. La paye de ces gages se faisait ouvertement, sans la moindre vergogne, dans les basiliques, où avaient lieu les débats des tribunaux, et Pline raconte même que deux de ses esclaves les plus jeunes venaient d’être ainsi engagés, au prix de trois deniers chacun, pour applaudir ; il y a donc, lieu de présumer qu’aux récitations les choses ne se passaient pas autrement ; mais les taux du salaire variaient sans doute, selon l’habileté du claqueur dans son art, et la modulation qu’il, savait imprimer à sa voix, en criant. Ainsi les lectures étaient accompagnées, de la part des auditeurs, de battements de mains, d’acclamations de tout genre et de gestes de ravissement ; on se levait pour féliciter le lecteur et lui témoigner son admiration, on allait même jusqu’à lui envoyer des baisers de toutes mains[150]. Mais l’intérêt le plus vif pour la chose, la meilleure volonté et la plus grande civilité ne suffisaient pas, chez la plupart des auditeurs, pour répondre toujours, jusqu’au bout, de leur détermination à faire bonne mine, en subissant le tourment de lectures continuelles, qui souvent remplissaient des journées entières. Pline, il est vrai, dont l’enthousiasme pour la littérature et la profession littéraire ne connaissait point de bornes, ne s’en lassait jamais, personnellement, et ne refusait pas facilement l’invitation à une lecture, mais tout n’était pas rose dans ce qu’il fut à même d’observer. Cette année (l’an 97 de notre ère), écrit-il dans une de ses lettres[151], a apporté une riche moisson d’œuvres poétiques. Pendant tout le mois d’avril, il ne s’est presque pas écoulé de jour sans une lecture. Je suis heureux de voir que la science fleurit, que les esprits se mettent en évidence. et se distinguent. Mais on est paresseux à se réunir polir écouter. La plupart des personnes s’asseyent aux alentours de la salle, y font leurs causeries, en se faisant avertir, de temps en temps ; si le lecteur est entré, s’il a terminé son préambule, ou déjà débité une bonne partie de son rouleau ; alors seulement elles arrivent, mais lentement et avec hésitation ; néanmoins elles ne restent pas jusqu’à la fin, mais s’en vont sans l’attendre, quelques-unes clandestinement et à la dérobée, les autres ouvertement et sans se gêner. Les gens qui ont le plus de loisirs, lors même qu’ils ont été invités longtemps d’avance et avertis à plusieurs reprises, ou ne viennent même pas, ou bien, s’ils viennent, ne manquent pas de se plaindre de la perte de leur journée, par la raison même qu’ils ne l’ont pas perdue. Aussi, ceux que l’impudence et la paresse du reste de l’auditoire ne découragent pas du beau zèle avec lequel ils persistent, à écrire et à faire des lectures, méritent-ils d’autant plus d’éloges et de succès dans leur application. Dans une autre circonstance, Pline rapporte, avec indignation, à un ami que, récemment, à la lecture d’un excellent ouvrage, deux ou trois des auditeurs sont restés assis à leurs places, avec l’impassibilité de véritables sourds-muets. Que de paresse, s’écrie-t-il, que d’impertinence, d’inconvenance, de démence même, dans la conduite de ces gens qui passent toute la journée à offenser une personne, et quittent comme un ennemi celui chez lequel on est venu à titre d’ami particulier[152] ! Lui-même était un modèle pour l’observation de tous les égards. Il raconte comment, après une lecture, il s’avança vers le jeune poète, l’embrassa, le combla d’éloges et l’encouragea à persister dans sa voie. La famille aussi, la mère, le frère du jeune homme étaient présents ; le frère en particulier avait excité l’attention générale, par l’intérêt vif et profond, anxieux d’abord, puis joyeux, avec lequel il avait suivi la récitation. Pline ne manqua pas de leur adresser également ses félicitations, et aussitôt rentré chez lui, il écrivit au sujet de ce petit événement, une de ses élégantes petites épîtres, afin de répandre aussi au dehors la nouvelle de l’heureux succès du jeune poète. Une lecture pareille était, pour les cercles littéraires, l’événement dont on s’entretenait les jours suivants, puis la librairie entreprenait la propagation de l’ouvrage, ainsi introduit auprès du public. Avec la grande importance des récitations pour la vie littéraire de Rome, ou peut admettre que les empereurs les honoraient souvent de leur présence, d’après ce qui a déjà été rapporté d’Auguste. Claude, empereur, pour réciter ses nombreux ouvrages[153], avait un lecteur, Néron, peu de temps après son avènement au trône, récita lui-même ses poésies au théâtre, ce qui causa une telle joie qu’on lui vota une fête d’actions de grâces et arrêta l’inscription en lettres d’or des poésies lues par lui, au temple de Jupiter capitolin[154]. Domitien, n’étant encore que prince, se fit également entendre en public[155]. A partir du deuxième siècle, les lectures paraissent avoir eu lieu particulièrement à l’Athénée, où un local disposé en amphithéâtre y servait[156]. Pertinax avait eu, le jour même où il fut assassiné, l’intention de s’y rendre pour entendre un poète[157] ; Alexandre Sévère y assista souvent aux conférences et aux récitations des poètes et des rhéteurs grecs et latins[158]. Enfin, l’introduction de la coutume grecque du
renouvellement périodique de concours de poésie réguliers, à Rome, y vint
également ouvrir aux poètes la perspective de l’honneur ; auparavant inouï,
du couronnement, et donner ainsi un stimulant tout nouveau à l’ambition
poétique. Il existait déjà un pareil agon ou concours, pour la poésie grecque, dans
les Augustales, à Naples, fondées en l’honneur d’Auguste, dans la deuxième
année de, notre ère, que l’on célébrait de quatre en quatre ans, au mois
d’août, et qui, dans le monde hellénique, étaient comptées parmi des plus
brillantes et les plus célèbres solennités de l’espèce[159]. Claude y fit
jouer une comédie grecque de son frère Germanicus, dont il ne négligeait
aucun moyen d’honorer la mémoire, et lui décerna le prix, suivant la décision
des juges[160] ;
lui-même y parut en costume grec[161]. Stace aussi, en
l’an 90, y remporta le prix, consistant en une couronne d’épis[162]. A Rome, le
premier concours de poésie avait été l’agon Néronien ; mais, comme on l’a déjà fait observer,
il ne fut institué que pour la glorification de Néron, et il passa presque
sans laisser de traces, dans la poésie latine. Le concours ou agon
capitolin, fondé par Domitien en l’an 86, et qui se tenait aussi de quatre en
quatre ans, acquit une importance d’autant plus grande. Le concours pour le
prix d’éloquence grecque et latine, dont le sujet constant était l’éloge de
Jupiter capitolin, par lequel, dans les premiers temps, s’ouvrait le
programme, ne tarda pas à y tomber en désuétude ; mais le prix de poésie,
grecqué et latine, unique dans son genre, que l’on y décernait également,
resta, dans tout l’empire romain, le but suprême de l’ambition des poètes, et
l’espoir de recevoir ; sur la décision des juges, de la main de l’empereur,
cette couronne, tressée de branches de chêne, conduisait les poètes les plus
remarquables par leur talent, des provinces même les plus lointaines, dans la
capitale, sans que la mer fût un obstacle. Dans le cas d’insuccès, ils
pouvaient se consoler avec la pensée qu’on voyait d’un œil de dépit, à Rome,
toute adjudication de prix à des provinciaux ; du moins, l’Africain P. Annius
Forus, qui échoua dans un des premiers concours, avec une poésie sur le
triomphe de la guerre contre les Daces, assure-t-il que l’auditoire avait
unanimement réclamé le prix pour lui, mais que l’empereur avait refusé, ne
voulant pas que la couronne du grand Jupiter échût à l’Afrique. La question
de savoir qui obtiendrait, au prochain concours, cette couronne capitoline,
était naturellement un sujet de discussions fréquentes, dans les cercles
littéraires de Rome[163]. Stace aussi la
brigua en vain, probablement en l’an 94 ; un certain Gollinus, qui l’avait
reçue, paraît-il, en 86, nous est totalement inconnu, et nous ne connaissons
guère que de nom un frère du poète satirique Turnus, le poète tragique Scévus
Mémor, qui l’eut sous Domitien[164]. Tout récemment,
on a découvert à Rome le monument tumulaire d’un jeune Romain, Q. Sulpicius
Maximus, mort à l’âge de onze ans et demi à peine : or, d’après l’inscription
du tombeau, cet enfant, s’étant présenté, comme candidat pour le prix, à l’agon
capitolin de l’année 94, concurremment avec cinquante-deux, poètes grecs,
avait su, par son génie, élever jusqu’à l’admiration la faveur que lui
attirait sa tendre jeunesse, et était sorti avec honneur de la lutte. Ses
quarante-trois hexamètres grecs, improvisés par lui, sur le thème comment avait dû parler Jupiter, quand il tança le dieu du
Soleil d’avoir confié son char à Phaéton, sont également gravés
sur le monument, les parents n’ayant pas voulu qu’on les crût influencés,
dans leur jugement, par l’amour qu’ils avaient pour leur fils. Ces vers
témoignent d’une forte étude de l’art épique des Grecs. De deux épigrammes
grecques à la louange du défunt, l’une dit que la maladie et l’épuisement
l’ont emporté, parce que son esprit se donnait jour et nuit aux muses[165]. En l’an A côté de l’agon capitolin, Domitien célébrait encore chaque année,le 19 mars ; une autre fête du même genre, à sa maison de campagne, près d’Albe : celle de Minerve, à laquelle il avait voué un culte particulier. L’un des membres d’un collège institué par cet empereur était désigné par le sort pour y présider, et chargé de prendre les mesures et les dispositions nécessaires pour cette fête, où des concours d’orateurs et de poètes accompagnaient des jeux scéniques et de magnifiques tueries d’animaux[168]. Stace y reçut trois fois, antérieurement à l’année 94, avec des poésies sur les campagnes de Germanie et de Dacie, le prix consistant en une couronne d’olivier, faite d’or[169], mais qui n’était pourtant pas, cela va sans dire, en aussi haute estime que la couronne capitoline, de feuillage naturel de chêne. Cette fête cessa, sans doute, avec la mort de Domitien. On ne sait rien de bien précis sur les autres concours de poésie postérieurs de Rome, non plus que sur le renouvellement des Néronées, par Gordien III. Les poètes, dans les deux siècles de la période qui nous occupe, ne manquaient donc pas plus d’occasions de se faire entendre et de briller, que l’attention et l’intérêt du public, les applaudissements, les honneurs et la gloire ne leur faisaient défaut ; tout cela leur était même assuré dans une plus large mesure qu’à nulle autre époque. Mais la poésie ne procurait pas d’avantages matériels, ni surtout de revenu, attendu que les libraires, en ce temps-là, où l’on n’avait pas même l’idée de la propriété littéraire, et qui ne leur offrait, pas plus qu’à l’auteur, la moindre protection légale, ne payaient naturellement pas d’honoraires[170]. Un poète riche, il est vrai, pouvait se contenter de la gloire, comme Lucain, qui se reposait sur ses lauriers dans des jardins richement ornés de marbre[171], ou comme le consul Silius Italicus, qui ne consacra à la poésie que le soir de sa vie, dans ses villas magnifiquement décorées de statues et de bustes nombreux, sur le rivage, paradisiaque de la Campanie[172]. Autrement, faire de la poésie non l’ornement, mais la tâche de sa vie, c’était extrêmement risqué, pour qui n’avait pas son existence assurée. Malgré cela, le nombre de ceux que la conscience d’un talent véritable, ou la confiance dans un talent imaginaire, faisait entrer dans cette voie était, assurément, très grand, et il ne pouvait en être autrement, avec la multitude et la puissance extraordinaire des excitations et des tentations portant à la poésie ; mais très peu, il est vrai, réussissaient à faire fortune, et les contempteurs de cet art, qui ne donnait pas de pain, les gens qui se targuaient d’être des hommes positifs et pratiques, pouvaient invoquer, à l’appui de leurs dédains, la condition misérable de la plupart des poètes et les doléances mêmes de ceux-ci. Ovide ne put se résigner à laisser la poésie, malgré les remontrances de son père, qui le pressait de renoncer à une occupation aussi ingrate, en lui rappelant qu’Homère lui-même n’avait laissé aucun bien[173] ; mais, bien qu’il eût de quoi vivre, Ovide aussi se plaignait du sort des poètes. Jadis, tel était son sentiment, dans le bon vieux temps d’Ennius, le poète avait un nom vénéré et jouissait d’une haute considération ; les richesses affluaient vers les poètes ; aujourd’hui, la poésie est tombée en discrédit, et l’on taxe d’oisiveté le service des Muses[174]. Si, à la plus brillante époque de la poésie latine, un poète qui était une de ses premières illustrations a pu faire entendre ces plaintes, il en appert clairement que le dédain des Romains de la vieille roche, pour la poésie et les poètes, conserva dans tous les temps beaucoup d’empire. Dans le Dialogue des Orateurs de Tacite aussi, on s’étend avec plus d’insistance sur les observations dérivant de ce. cours d’idées, que sur l’éloge de la poésie. Indépendamment de la gloire, on y regarde comme l’élément du bonheur des poètes, que, dérobés aux soucis, à l’agitation et aux mauvaises passions du monde, ils passent leur vie dans la retraite, au milieu de la belle nature, dans la solitude des forêts et des bocages, et que, leur esprit a la chance de pouvoir se réfugier dans des lieux de pureté et d’innocence, de pouvoir se fixer dans des endroits sacrés[175]. Mais, précisément dans l’ordre d’idées dérivant. de la manière dont Tacite concevait la vie, l’homme ne devait pas fuir ainsi le monde, bien que notre auteur n’eût nullement pour la poésie l’aversion qu’il prête, dans son dialogue, à l’adversaire des poètes. La poésie et les vers, fait-il dire à ce dernier, ne procurent aucune espèce de dignité à leur auteur, ne lui rapportent même aucun avantage durable : on n’obtient par eux qu’un plaisir très court, de vains et stériles éloges. Même quand le poète a passé toute une année, avec force veillées, à terminer son couvre, il est encore obligé de courir partout et de solliciter, pour trouver des personnes de bonne volonté qui condescendent à en écouter la lecture, et tout cela ne se fait pas sans argent : car il est obligé de louer une maison, de faire arranger une salle de lecture, de payer la location des banquettes et Île faire porter des invitations ; or, de quelque mirobolant succès que sa lecture soit couronnée, clans un ou deux jours c’en est fait de la récompense qu’il en tire ; de vagues applaudissements, de vaines paroles, et un moment de plaisir fugitif, voilà tout ce qu’il en a. La gloire même des poètes est peu de chose, les médiocrités parmi eux ne sont connues de personne, les bons ne le sont que d’un petit nombre de personnes il est extrêmement rare que la renommée d’une lecture se répande dans toute la ville, à plus forte raison dans les provinces. La moindre partie des, étrangers venant à Rome de provinces lointaines, comme l’Espagne et l’Asie Mineure, font visite en personne aux poètes les plus célèbres, et, alors, ils se contentent de faire connaissance de la manière la plus superficielle avec le grand homme : Quelle différence, à tous égards, de la position d’un orateur éminent, auquel échoient la richesse, les honneurs, l’influence et une réputation universelle[176] ! Martial, pareillement, conseille à un ami de quitter l’Hélicon, n’offrant que des bravos sonores, mais stériles, et de se tourner vers le Forum, où, dit-il, on entend sonner les espèces, tandis qu’autour de nos estrades et de nos chaises, qui ne rapportent rien, on n’est frappé que du son creux des baisers qu’on vous envoie de la main. Rencontrait-on des gens. en manteaux râpés, à Rome, on pouvait être sûr que c’étaient les Ovides et les Virgiles du temps. L’homme intègre, savant, aimable, allait grelottant dans un capuchon brun, uniquement parce qu’il avait le seul mais bien grand tort, il est vrai, d’être poète. Un fils faisait-il des vers, le père devait se hâter de le renier[177]. C’est Juvénal qui s’est le plus étendu sur les misères de là vie des poètes. Avant que l’empereur retournât ses bonnes grâces vers les muses affligées, les choses en étaient venues, à Rome, au point que des poètes connus, célèbres même, devaient se résigner, pour ne pas manquer du nécessaire, à essayer d’entreprises industrielles des plus infimes, à prendre à bail soit une chambre de bains à Gabies, soit un four banal à Rome, ou à se faire commissaires priseurs ; car les riches n’étaient prodigues que de leurs éloges. Un poète venait-il présenter ses hommages à un riche patron, il apprenait que celui-ci faisait des vers lui-même et ne croyait devoir s’incliner que devant Homère seul, à cause de la prééminence qu’emportait une gloire millénaire. Pour leurs dépenses de luxe, les riches ne manquaient jamais d’argent ; ils avaient toujours de quoi repaître un lion apprivoisé, mais il ne leur restait jamais rien pour le poète, comme. si celui-ci avait l’estomac plus large. Tout au plus ils consentaient à lui prêter une maison vide, depuis longtemps fermée et condamnée, aux rieurs couverts de taches d’humidité, pour y organiser une lecture, mais sans même lui donner l’argent nécessaire polir faire élever l’estrade, ou payer la location des chaises et des bancs. Mais de quoi la plus grande gloire servait-elle au poète pauvre, lorsqu’il n’y trouvait absolument pas autre chose que de la fumée ? Stace lui-même, ce poète tant vanté, n’avait rien à manger, quand’ il ne trouvait pas l’occasion de vendre, au pantomime Pâris, quelque libretto encore neuf, pour une pantomime comme Agave, avec un rôle principal très avantageux pour l’acteur. Et néanmoins, il y en avait tant que la maladie chronique incurable du besoin d’écrire ne lâchait pas, s’invétérant dans leur esprit, et les poètes ne cessaient pas de faire la nuit, dans leur cellule, à la lueur d’une lampe solitaire, des poésies sublimes, à l’effet de voir leur maigre visage immortalisé dans un buste portrait, couronné de lierre. Mais comment était-il possible que l’esprit s’élevât à l’enthousiasme poétique, pendant que le corps souffrait de privations et rappelait, jour et nuit, les exigences des besoins à satisfaire ? L’esprit d’un homme qu’agitait le souci de se procurer un drap de lit, ne pouvait, évidemment, se lancer dans l’espace des grandes contemplations poétiques ; l’imagination de Virgile même se fût trouvée paralysée, s’il n’avait pas eu un esclave pour le servir, et une habitation passable ; et l’on demandait à un Rubrénus Lappa, obligé de mettre en gage sa vaisselle et son manteau, pour écrire sa tragédie d’Atrée, de s’élever à la hauteur du cothurne antique. Une âme affranchie de tous les soucis terrestres, entièrement remplie du désir de la solitude des bois, des grottes et des sources, où se plaisent les muses, n’était-elle pas seule susceptible d’acquérir la véritable consécration poétique ? Ainsi passaient, en vains efforts, les années que l’on eût pu utilement employer à se faire une position ou une fortune, par l’économie rurale, dans la marine, ou au service militaire ; l’âge arrivait, l’indigence ou le dénuement avec lui, et le poète, quelque bien que l’on parlât de lui, finissait par maudire son sort et sa muse. Il en était autrement jadis : au temps des Mécène, des Cotta, des Fabius, il était très avantageux d’avoir un air de pâleur et de rester sobre, même à l’époque du carnaval de décembre[178]. C’est que la pâleur était regardée comme un attribut de dignité extérieure aussi nécessaire à l’érudit, an poète surtout, que la barbe au philosophe[179]. Quand Oppien se trouva mauvaise mine, dit Martial (VII, 4), il commença à écrire des vers. Cependant la description de Juvénal, outre qu’il charge par trop les couleurs, manque aussi d’exactitude, en ce qu’elle présente l’indigence et le besoin comme le sort inévitable et fatal de tous les poètes dépourvus de fortune et répugnant à une industrie. Il est certain que, dans ce cas,comme dans toutes les circonstances où la production littéraire n’est pas immédiatement réalisable avec profit, ils n’avaient absolument pas d’autre ressource que la faveur et la libéralité des riches et des grands ; mais peut-être aussi leur étaient-elles plus largement acquises qu’à nulle autre époque ; car, alors, régnait toujours encore l’opinion, généralement répandue dans toute l’antiquité grecqué et romaine, que la richesse, la noblesse et sine haute position imposent de grandes obligations, et que la possession d’une grande fortune, notamment, oblige à faire beaucoup, non seulement pour le bien public, mais aussi pour les particuliers, en mettant le riche en devoir de disposer largement de son superflu, en faveur de plus pauvres que lui. On attendait particulièrement des grands de Rome l’exercice d’une libéralité princière, et comment celle-ci ne devait-elle pas profiter tout particulièrement aux poètes, à une époque où l’intérêt pour la poésie était aussi vif et aussi général ? Il est vrai, toutefois, qu’elle ne s’exerçait plus sur une échelle aussi grandiose qu’autrefois. Aussi Pline le Jeune se plaint-il de ce que la bonne vieille coutume de récompenser les poètes de leurs éloges, avec de l’argent, frit, insensiblement, tombée en désuétude ; lui-même y était resté fidèle, et il crut devoir répondre à une poésie, dans laquelle Martial lui avait fait honneur, en faisant cadeau à ce poète, qui allait retourner dans ses foyers, de l’argent nécessaire pour le voyage[180]. Martial, du reste, ne manquait pas ailleurs non plus de généreux protecteurs. Les récriminations de Juvénal même, sur la lésinerie des riches, font entrevoir qu’ils regardaient, toujours encore, en quelque sorte comme un devoir de secourir les poètes, et qu’en y manquant ils excitaient le mécontentement des cercles littéraires, et s’exposaient à faire mal parler d’eux-mêmes. D’un autre côté, les poètes, dans ces circonstances, n’étaient pas seuls à recevoir ; il dépendait d’eux de faire, en retour, plus qu’on ne leur avait accordé ; car l’honneur et la renommée dans le présent, une mémoire éternelle et un nom immortel auprès de la postérité, étaient comptés parmi les plus grands biens par les hommes de ce temps-là, ainsi que de l’antiquité en général. Or, qui était à même de mieux procurer ces biens que les poètes[181] ? Les grands tenaient d’ailleurs, en outre, à être guidés par la poésie, dans tout le cours de la vie ; avant tous les autres arts, elle était destinée à relever et à glorifier tous les événements considérables de l’existence. L’idée que, sans cet ornement, il manquait quelque chose à la condition même la plus privilégiée, conserva longtemps son empiré et ne se perdit jamais entièrement, bien qu’elle se manifestât de plus en plus rarement. Les hommes du high life de ce temps avaient donc besoin des poètes, dans ce sens, et étaient très disposés, dans leur propre intérêt, à les obliger et à se les attacher solidement. Seulement, il faut bien dire aussi qu’il était dans la nature des choses que le nombre des poètes en quête de faveur et de libéralité, se trouvait, toujours, être incomparablement plus grand que celui des personnages désireux de payer les éloges des poètes. Ici également les empereurs prêchaient d’exemple. Eux aussi, naturellement, attendaient, exigeaient même, avant tout, des poètes contemporains la glorification de leur gouvernement et de leurs actes, de leur personne et de leur maison, de leurs constructions et autres grandes entreprises, de leurs fêtes et spectacles, et ils provoquaient même directement ces louanges. Ainsi faisait notamment Auguste aussi. Il est certain que chaque règne, dans cette période, a eu sa littérature poétique propre, exclusivement vouée à sa glorification. Deux ans ne s’étaient pas écoulés, depuis l’avènement de Trajan au trône impérial, que l’on vit paraître, à la place des molles poésies de naguère, à la louange de feu Domitien, des poésies graves, célébrant le nouvel empereur[182]. La glorification de l’empereur arriva même à être si bien regardée comme le thème le plus naturel de toute poésie, que des poètes marquants, des poètes épiques en particulier, qui, d’habitude, choisissaient néanmoins d’autres sujets, des sujets mythologiques surtout, comme les moins compromettants, crurent nécessaire de s’en excuser, ou du moins de déclarer qu’ils ne se croyaient point ou ne se sentaient pas encore de force à entreprendre une autre tâche plus haute, qu’ils réservaient de s’y essayer, un jour, pour le temps où ils seraient mieux préparés, etc.[183] Mais, abstraction faite de la gloire qu’ils en attendaient, les empereurs se croyaient évidemment, d’ordinaire, une certaine obligation de témoigner de leur intérêt pour la poésie par des subventions et des honoraires, payés aux poètes éminents ; et l’on était habitué à les considérer comme les patrons et protecteurs naturels et suprêmes de la poésie, ainsi que des poètes : aussi, ces derniers s’adressaient-ils avant tout, avec leurs dédicaces et leurs hommages, aux empereurs. Il faut observer toutefois que, si des rhéteurs étaient souvent élevés à des postes lucratifs et influents, il n’y a pas, d’exemple connu d’une position ou d’un sort pareil fait à un poète, celui d’Horace excepté, auquel Auguste voulut conférer le secrétariat impérial, que le poète refusa pourtant. Le plus probable est que l’on s’acquittait ordinairement, envers les poètes, par de fortes gratifications en argent. On pourrait se faire une idée des prétentions et des espérances que l’intérêt si vivement témoigné, par Auguste, en faveur du nouvel essor de la poésie, faisait naître dans le monde des poètes du temps, même sans l’assurance d’Horace que c’était déjà l’espoir de tout le monde de voir arriver les choses au. point qu’il suffirait d’informer Auguste du fait que l’on se vouait à la poésie, pour obtenir de ce prince les moyens de vivre et l’encouragement à continuer[184]. Une anecdote, rapportée par Macrobe[185], fera juger de l’indiscrétion et du sans façon des requêtes de ces poètes, qui assaillaient ce prince avec leurs dédicaces et leurs hommages. Un Grec lui avait présenté, plusieurs jours de suite, de petites flatteries en vers, dès qu’il le voyait sortir du palais, sans qu’Auguste parût y faire attention. Dans la suite, ce prince, voyant encore une fois son homme s’avancer vers lui, nota lui-même quelques vers et les fit remettre à l’autre par une personne de sa suite. Le Grec les lut, se mit à exprimer de la mine et par gestes qu’il en était au comble de l’admiration, puis, s’approchant de la litière d’Auguste, il lui présenta quelques deniers, avec l’expression du regret que ses moyens ne lui permissent pas de donner davantage. Or, cette incartade lui valut un présent de 100.000 sesterces. La finesse et la sûreté du tact d’Auguste, comme Horace se plaît à le dire à sa louange, ne se démentaient pas dans ses largesses aux poètes ; ses cadeaux princiers à Virgile et à Varius lui font surtout grand honneur[186]. Varius avait reçu un million de sesterces pour son Thyeste, représenté aux spectacles donnés pour la célébration du triomphe d’Actium ; Virgile fut surtout récompensé richement pour le sixième livre de l’Énéide, contenant la glorification de la maison des Césars, et on dit qu’il laissa dix millions[187]. Horace, qui estimait au-dessus de tout, dans la vie, l’aisance d’une modeste retraite, eût positivement à se défendre des offres d’Auguste ; plus que tout autre il eût été comblé de richesses et d’honneurs éclatants, s’il n’avait dédaigné les uns et les autres. En mourant, il institua Auguste son héritier[188]. Il y a lieu de croire que la libéralité des empereurs
postérieurs devait aussi, généralement, être mise à contribution, dans une
large mesure, par les poètes ; on est d’autant plus fondé à l’admettre que
presque tous les poètes de ce temps adressent à l’empereur, dans leurs
dédicaces, des allocutions flatteuses et des réclames de circonstance, psi
bien que, non seulement dans les panégyriques en vers, composés pour des
fêtes et d’autres occasions, poésies qui devaient certainement pleuvoir[189], mais dans
toutes les poésies, y compris celles qui, proprement, ne rentraient pas dans
cette catégorie, on commençait toujours, sinon par en adresser directement
l’hommage à l’empereur, au moins par se réserver de le faire. Les Églogues
de Calpurnius, par exemple, offrent un échantillon des hommages adressés aux
empereurs par des poètes besogneux. Ce poète avait bien trouvé un patron,
qu’il appelle Mélibée et qui était
poète lui-même, dans Calpurnius Pison peut-être, que nous aurons à mentionner
plus loin. Ce protecteur l’avait mis à l’abri du besoin et sauvé de la,
nécessité d’échanger le séjour de Rome contre celui d’une province, Il résulte positivement de quelques données certaines, bien qu’isolées et fortuites, que les empereurs ne laissaient pas sans récompense les auteurs qui leur dédiaient des poésies. Tibère récompensa magnifiquement le chevalier C. Lutorius Priscus, pour une élégie, généralement applaudie, sur la mort de Germanicus. Mais quand, en l’an 21, le fils de Tibère, Drusus, fut tombé gravement malade, le poète, dans l’espoir d’une nouvelle récompense, pour le cas où ce prince mourrait, composa d’avance une nouvelle élégie, et se laissa entraîner à en faire la lecture dans un grand cercle de dames de haut parage ; dénoncé pour ce fait, il fut condamné à mort par le Sénat, comme coupable d’un crime de lèse-majesté[191]. Il faut que Claude aussi ait été généreux pour les poètes, puisque les poètes nouveaux pleurèrent sa mort[192]. Vespasien subventionna richement des poètes hors ligne : Saléjus Bassus notamment, qui était dans le besoin, reçut de lui un présent de 500.000 sesterces[193]. Juvénal (VII, 1-21) appelle l’empereur (Adrien sans doute) l’unique espoir des poètes ; seul ce prince protége encore les muses en deuil, en ce temps oit elles n’ont ni faveur, ni assistance à attendre de nulle autre part ; il ne saurait permettre qu’un poète puisse encore, désormais, être réduit à chercher son gagne-pain dans des travaux indignes de lui ; sa faveur et ses bonnes grâces puissent-elles, puisqu’il cherche autour de lui des sujets qui en soient dignes, devenir un aiguillon pour les jeunes talents. On rapporte que le poète grec Oppien reçut de l’empereur (Septime Sévère probablement ?) une pièce d’or pour chaque vers de ses poésies, dont il lui avait fait la lecture[194]. Après les empereurs qui, avec la plus grande générosité, ne pouvaient cependant donner satisfaction qu’à une faible partie des demandes et des sollicitations qui leur étaient adressées, c’était, comme on l’a déjà dit, des grands de Rome que les poètes attendaient et obtenaient surtout protection et assistance. Mais, parmi tous ces patrons de la poésie, aucun n’égala Mécène, dont l’importance comme diplomate, homme d’État et cofondateur du nouvel ordre de choses, se trouva, dès la génération subséquente, éclipsée par la gloire d’avoir été, en même temps, le plus noble protecteur des hommes voués à Mercure[195]. Ce qui peut avoir contribué à cette gloire, indépendamment de l’unanimité des louanges enthousiastes des poètes les plus considérables du temps, c’est aussi la circonstance que Mécène, dans un âge plus avancé, où, suivant Tacite, il lui restait plutôt l’apparence de la confiance du prince que la possession réelle du pouvoir, étant retiré des affaires, eut sans doute plus de loisir pour reporter efficacement son intérêt de prédilection sur la littérature[196]. Il sut, avec une merveilleuse sûreté de tact, distinguer, dans la foule des poètes, les talents réellement remarquables, en partie même dès avant qu’ils n’eussent eu l’occasion de déployer leur génie, ce qui, peu facile à une époque où le dilettantisme poétique envahissait tout, devint plus difficile encore, quand on sut que le talent poétique était un moyen de gagner la faveur de cet homme puissant. Il faut que le nombre de ceux qui s’arrogèrent, dans ce but, avec plus ou moins de droit, le nom de poètes, ait été grand, puisque même la platitude et l’indiscrétion les plus vulgaires croyaient devoir recourir à cet expédient, et que l’on voyait se presser, autour de lui des gens qui se vantaient, en guise de recommandation, de faire les vers plus vite et en produire une plus grande quantité que personne[197]. Mécène choisissait ses amis, et les personnes admises à lui faire compagnie, sans distinction de naissance, de rang et d’avantages extérieurs ; cependant, il ne considérait pas uniquement le talent et l’instruction ; il savait tenir à distance, non seulement les éléments impurs ; mais tous ceux qui pouvaient apporter du trouble. Il n’y avait pas à Rome, dit Horace, de maison plus nette, plus exempte d’intrigue ; chacun y était à sa place, et aucun, ne cherchait à éliminer l’autre[198]. Aussi n’y trouvait-on pas facilement accès. Horace, qui, après la bataille de Philippes, n’avait plus d’autre ressource que son talent, et auquel, comme il dit lui-même, le besoin avait donné la hardiesse de faire de petits vers, fut recommandé à Mécène par Virgile et Varius, ces bonnes âmes, par excellence, dont il estimait l’amitié par-dessus tout. La première présentation fut courte ; le poète, qui avait pourtant alors presque vingt-sept ans, était si embarrassé, qu’il ne prit exposer sa situation qu’en balbutiant. Quant à Mécène, il parlait généralement peu. Horace se croyait déjà oublié, quand, après un laps de trois trimestres, il reçut l’invitation d’entrer avec Mécène dans une relation intime, qui dura ensuite, sans jamais être troublée, plus de trente ans, jusqu’à la mort presque simultanée de l’un et de l’autre[199]. Mécène donna au poète tout ce qu’il lui fallait et au delà[200] ; il lui fit une position libre de soucis et lui procura un petit coin, dans une solitude charmante, avec un jardin, une source et un bois, sa douce cachette, dans les monts Sabins ; et tout cela, il le donnait sous la forme la plus délicate. Aussi quand, à un âge plus avancé, cet homme, toujours souffrant, de fréquentes insomnies notamment, et souvent troublé par des humeurs sombres, se montrait trop exigeant vis-à-vis d’Horace, dont la société lui était devenue presque indispensable, celui-ci pouvait-il, en y mettant la finesse et le ton affectueux qui convenaient dans la circonstance, parfois décliner catégoriquement les invitations pressantes de son ami, sans que Mécène lui en voulût jamais[201]. Encore dans son testament, le ministre d’Auguste priait ce prince de garder Horace Flaccus en aussi bon souvenir que lui-même[202]. Horace était évidemment, parmi les poètes du temps, celui auquel il tenait le plus ; cependant il fascinait tous ceux qu’il attirait auprès de sa personne, non seulement par son esprit, la délicatesse de ses manières et le vif intérêt qu’il prenait à leurs travaux, mais peut-être plus encore comme maître dans l’art, par lequel les grands d’Italie se sont également distingués, dans les temps modernes, de ceux d’autres pays, de converser sur le pied d’égalité avec des hommes considérables sous le rapport intellectuel. Il était ainsi mieux doué que tout autre pour devenir le centre d’un cercle formé de la plus haute aristocratie d’intelligence de son temps. Quelque nombreux que fussent les palais également ouverts aux poètes, dans la suite, jamais on n’y revit une aussi brillante réunion, et aucun n’offrit plus cet accueil hospitalier de la maison de Mécène, dont la masse imposante dominait, au milieu d’un vaste parc et de jardins, sur les hauteurs de l’Esquilin, procurant de ses étages supérieurs une vue aussi étendue que magnifique sur le tumulte de la ville, la campagne de Rome et les montagnes environnantes, sur Tibur, Ésules et Tusculum[203]. Là s’élevèrent plus tard les tertres formés par la tombe de Mécène et par celle d’Horace, placée à côté. Après la mort de Mécène, les jardins et le palais devinrent propriété impériale. C’est des fenêtres de ce dernier que Néron contempla, en 64, l’incendie de Rome. Si, dans la suite, les rapports des poètes avec leurs hauts
protecteurs prirent généralement le caractère d’une position de clients, cela
tenait bien en partie à ce qu’avec le palissement de l’éclat de cet âge de
splendeur incomparable de la poésie latine, dans toute sa fleur, le noble
sentiment, caractéristique pour le temps d’Auguste, d’une appréciation
complète et délicate du génie poétique, se perdit aussi dans les cercles du
grand monde. Mais c’était, sans doute, en grande partie aussi la faute des poètes
eux-mêmes ; auxquels, malgré tonte leur présomption, manquait une ferme
conscience de leur valeur propre, ainsi que le sentiment de dignité
personnelle des hommes qui avaient encore vu la
république, ce sentiment que le fils pauvre d’un affranchi de
Vénusie savait faire respecter, même vis-à-vis de son puissant bienfaiteur,
issu d’une race de princes étrusques. Que même de son temps, il est vrai, ce
sentiment manquât à des poètes médiocres et besogneux, c’est un fait qui,
s’il était nécessaire d’en avancer la preuve, ressort assez clairement d’une
pièce de vers, faite par un anonyme, à la louange de Messala, pauvre tissu de
phrases, surchargées de détails mythologiques et d’autres bribes d’une
érudition d’écolier, où, dans certains passages, l’absence de goût va jusqu’à
la niaiserie, et que l’on n’en a pas moins jugé digne d’être compris dans le
recueil formé sous l’étiquette du nom de Tibulle. Dans cette pièce de vers,
le poète prie que l’on veuille bien se contenter de sa bonne volonté, qu’il a
parfaitement la conscience de sa faiblesse et connaît bien les défauts de sa
poésie. Il avait été, dit-il, autrefois dans l’aisance, mais, réduit depuis à
la pauvreté, il venait, maintenant, se mettre entièrement à la disposition de
son protecteur ; que si Messala voulait seulement un peu s’intéresser à lui,
cette faveur aurait, à ses yeux, autant de prix que l’or de Des grandes maisons de Rome, la plus aristocratique et la plus brillante était, vers le milieu du premier siècle, celle de ce Pison, connu comme le chef d’une conspiration contre Néron, laquelle devait le porter au trône, mais en réalité causa sa mort, en l’an 65 après Jésus-Christ. Sa munificence princière paraît avoir aussi tout particulièrement profité aux poètes. Il n’était lui-même pas étranger à la poésie ; les vers chez lui coulaient de source, est-il dit dans une poésie composée à sa louange : il jouait aussi en maître de la cithare, et toute sa maison retentissait des effets multiples de l’ingénieuse activité de ses habitants, car tout le monde s’y occupait d’art et de science. Une pièce de vers, connue et très supportable, au moyen de laquelle un poète, fort jeune encore, voulut s’introduire auprès de Pison, offre un échantillon, non dépourvu d’intérêt, de cette poésie de client. Elle commence par célébrer la gloire de sa race, puis prise l’excellence du chef actuel de cette illustre maison, en faisant mention de l’insigne honneur du consulat qui lui est déjà échu ; elle vante sa noble prestance, son esprit plein de sérénité et de franchise, sa libéralité et son affabilité, puis sa belle éducation, son talent pour la poésie et la musique, son adresse à l’escrime et au jeu de paume, etc., ainsi que son habileté au damier : portrait entièrement concordant, dans ce qu’il y a, d’essentiel, avec celui que Tacite a donné de Pison. Dans sa conclusion, le poète déclare que l’objet de sa requête se borne au désir que Pison veuille bien le juger digne de la faveur d’être admis dans sa maison, ce qui le guidait n’étant pas la soif de l’or, mais le pur amour de la gloire. Qu’il se sentirait heureux de pouvoir passer sa vie avec Pison et régler, sur les vertus d’un tel patron, l’émulation qu’elles imprimeraient à ses propres poésies ; que certainement il irait loin, si Pison voulait bien lui ouvrir la carrière de la renommée et le tirer de son obscurité. Virgile même, s’il n’avait pas eu un protecteur comme Mécène, serait peut-être resté inconnu ; et Mécène ne s’était pas contenté d’ouvrir sa maison à ce poète seul, il. fonda aussi la gloire de Varius et d’Horace. Sous l’égide d’un tel protecteur, les poètes n’avaient jamais à craindre l’indigence, pour leur vieillesse. Pison voulant bien exaucer ses vœux, le poète promettait de le chanter, comme son Mécène, en vers bien tournés ; car il se sentait bien capable de transmettre un nom à l’éternité, s’il est permis de promettre de pareilles choses. Il sentait en lui le courage et la force d’en faire de grandes, pour peu que Pison voulut tendre la main au nageur qui l’implorait, et le tirer du réduit où son humble naissance et sa pauvreté le retenaient. L’esprit d’ailleurs, assurait-il, l’emportait chez lui sur le nombre des années, ses joues commençant seulement à se couvrir de leur premier duvet, et sa vie ne touchant encore qu’à son vingtième été. Après Néron, la position des poètes changea, à leur préjudice, avec celle de l’aristocratie, dont ils dépendaient. Beaucoup de grandes familles s’étaient ruinées, par leur faste et leurs prodigalités, d’autres étaient tombées victimes de la haine, de la défiance ou de la cupidité du despotisme impérial. Avec Vespasien surgirent, à Rome, des hommes nouveaux, originaires des villes d’Italie eu des provinces, qui conservèrent leurs anciennes habitudes, contractées dans les conditions d’une vie plus restreinte, et Vespasien lui-même donnait l’exemple d’une économie parcimonieuse. Sous Domitien, les grands durent, de plus, se garder d’éveiller des soupçons, par trop d’éclat et de libéralité, ou par l’étendue de leurs clientèles. Les poètes de l’époque eurent donc, certainement, des raisons pour soupirer après le retour non seulement du bon temps de Mécène, mais aussi, de celui des Sénèques et des Pisons. Quand Martial vint à Rome vers 63, à l’âge d’environ vingt-trois ans, la grande salle des Pisons, remplie des portraits de leurs ancêtres, et les trois maisons de ses compatriotes, des trois Sénèque, à savoir du philosophe, de Junius Gallion et d’Annéus Méla, père de. Lucain, lui étaient ouvertes[205]. Elles tombèrent toutes, dans les années 65 et 66, et, vers la fin du siècle, la seule, survivante de la grande famille des Sénèques était l’épouse de Lucain, Polla Argentaria, que Martial désigne encore, en l’an 96, comme sa patronne, en l’apostrophant du nom de reine[206]. Sous Domitien, il n’y eut plus de protecteurs des lettres tels qu’avaient été les Pisons et, les Sénèques, Vibius Crispus et Memmius Régulus (consul en 63)[207] ; au moins voyons-nous les deux poètes les plus éminents du temps, Martial et Stace, s’évertuer à gagner la faveur de nombre de personnes, sans pouvoir néanmoins obtenir d’elles ce que la protection d’une seule leur valait largement, autrefois. Martial avait eu des rapports avec la cour, pour le moins déjà sous Titus. Il en avait reçu les privilèges de père de trois enfants, dans lesquels il fut confirmé par Domitien[208] ; il avait aussi été promu à l’ordre équestre, par l’obtention du tribunat titulaire, que lui avait peut-être même déjà conféré Titus. Sa recommandation suffit pour faire obtenir le droit de citoyens à plusieurs solliciteurs[209] ; il eut l’honneur d’être invité, dans l’occasion, à venir dîner à la grande table impériale[210], tandis qu’une demande de quelques milliers de sesterces, adressée par lui à l’empereur, ne fut point agréée, mais essuya un refus, non disgracieux cependant[211]. En général, il paraît qu’il n’obtint jamais de l’empereur rien qui déterminât une amélioration réelle de sa position, bien qu’il trouvât toujours de nouveaux tours de phrase pour mendier, dans ce but, sans timidité, ni embarras, car nous ne voyons nulle part, dans ses vers, qu’il remercie de présents reçus. Il ne put même, paraît-il, obtenir la faveur que l’on fît passer un tuyau de l’aqueduc Marcien sur son bien de campagne et à sa maison de ville[212]. Ceci doit surprendre d’autant plus que Domitien aimait à lire les poésies de Martial, qui n’eut pas, autrement, osé se prévaloir, à diverses reprises, de l’approbation de l’empereur[213]. Aussi notre poète était-il infatigable, quand il s’agissait de gagner, fût-ce par le moyen des plus basses flatteries, la faveur des affranchis et autres personnes influentes de la cour ; il fait l’éloge de torts en général et flatte, en outre, chacun d’eux en particulier, dans plusieurs poésies : ainsi le camérier Parthénius, le chef de l’office des pétitions et requêtes Entelle, l’inspecteur des tables Euphème, l’échanson Éarin, l’Égyptien Crispin, qui fut probablement préfet du prétoire, qualifié de bouffon de cour par Juvénal, le vieil Étruscus, déjà retraité, et un certain Sextus, qui paraît avoir été conseiller du cabinet d’études de l’empereur. Cependant Martial, pendant un séjour de vingt ans à Rome, s’était procuré, dans l’aristocratie aussi, de nombreuses relations, qu’il s’appliquait à conserver et à multiplier, en conférant, comme il dit lui-même, une gloire durable au plus grand nombre possible d’hommes haut placés, par des mentions honorables dans ses poésies, ces hommages dussent-ils ne rien lui rapporter[214]. C’est probablement par suite de ses anciennes relations avec les Sénèques qu’il s’était lié aussi avec Q. Ovide, qui avait accompagné en Sicile, dans l’exil, Césonius Maximus, un ami du philosophe Sénèque[215]. Cet Ovide était, d’ailleurs, aussi le voisin de campagne de Martial, près de Nomentum[216]. Dans le grand nombre d’hommes de condition sénatoriale auxquels Martial adresse des hommages, ou des flatteries, dans ses épigrammes, auprès desquels il mendie, ou qu’il prie d’agréer ses remercîments, pendant les douze dernières années de son séjour à Rome (de 86 à 98), et le temps qu’il passa ensuite en Espagne, jusqu’à l’an 101 ou 102, figurent le poète Silius Italicus (consul en 68) et ses fils[217], Nerva, qui devint plus tard empereur[218], le riche orateur Regulus[219], devenu fameux par l’office d’accusateur qu’il remplissait dans les procès de lèse-majesté, les frères Domitius Tullus et Domitius Lucain, tous les deux immensément riches[220], le poète Stertinius Avitus (consul en 92), qui fit poser, en l’an 94, l’image de Martial dans sa bibliothèque[221], Pline le Jeune (consul en l’année 100)[222], le poète Arruntius Stella (consul en 101)[223], L. Appius Norbanus Maximus, vainqueur de L. Antoine Saturnin, puis consul une seconde fois en 103 [224], Licinius Sura (consul en 102), le plus puissant des amis de Trajan[225] et plusieurs autres. Naturellement, Martial chercha et trouva aussi des protecteurs dans l’ordre équestre, auquel appartenait l’élégant, Atédius Mélior, qui donnait de si excellents repas, dans sa belle maison avec jardin, sur le mont Célius[226], ainsi que d’autres amis, fort aisés, du poète. Parmi ceux de ses amis qu’il a chantés le plus souvent, figure pourtant aussi un centurion, Aulus Pudent, qui ne parvint même jamais à obtenir, paraît-il, ce qui formait le but de toute son ambition, la place de primipilaire, conférant la dignité de chevalier. Martial eut, de même, avec d’autres centurions, des liaisons auxquelles il attachait du prix, à en juger par la mention honorable qu’il en fait dans ses vers. Enfin, parmi les personnes, plus ou moins riches ou considérables, dont il crut devoir rechercher l’amitié ou les bonnes grâces, nous nommerons encore C. Jules Proculus, l’Espagnol Térence Priscus, probablement celui auquel Plutarque aussi dédia son traité de defectu oraculorum, Apollinaire, propriétaire d’un bien près de Formies, ami dont Martial estimait beaucoup le jugement fin, Sparsus, ami de Pline le Jeune, Atticus (peut-être un Pomponius Atticus, de famille sénatoriale), le jeune Flaccus, le consulaire Frontin, qui donna l’hospitalité à notre poète dans une de ses propriétés, sur le golfe de Naples, les poètes Faustin, Varron et Voconius Victor, le bon vieux Munatius Gallus, Fuscus, propriétaire de bois et de plantations d’oliviers, près de Tibur, le chevalier Terentianus, préfet des trois cohortes stationnées à Syène, sur le Nil, l’Ombrien Césius Sabinus, le jurisconsulte Pompée Auctus, qui savait par cœur les vers de Martial, l’ami Jules Martial, possesseur d’une charmante petite propriété, avec bibliothèque, sur le mont Janicule, et excellent critique en fait d’arts, les amis Jules Céréalis, Lupus et Népos, un certain Jules Rufus, qui ressemblait à Socrate, etc., etc. Stace fréquentait en partie les mêmes sociétés, et recherchait les bonnes grâces des mêmes patrons que Martial, naturellement avant tout celles de l’empereur, dont il ne négligeait, dans aucune de ses publications, d’invoquer la personne divine[227]. Mais il semblerait qu’à lui aussi le renouvellement continuel des plus humbles hommages et de flatteries, exagérées jusqu’au ridicule, ne rapportèrent, indépendamment d’une gracieuse approbation, de la part de Domitien, guère plus qu’une invitation à l’auguste table et la facilité de pourvoir sa maison, située près d’Albe, sans doute[228], d’eau fournie par un aqueduc public. De même que Martial, Stace flatta les affranchis de l’empereur ; il chanta, outre les deux Étruscus et le jeune eunuque Éarin, surtout le secrétaire de l’empereur, Abascantus. Des protecteurs de Martial, Arruntius Stella, Polla Argentaria, l’épouse de Lucain, et Atédius Mélior, comptaient aussi parmi ceux de Stace. Nombre de sénateurs visitaient les lectures fréquemment tenues par lui, comme il paraît[229]. Stace a chanté plusieurs de ses patrons et amis de rang sénatorial : ainsi le vieux consulaire et préfet de la ville, Rutilius Gallicus, le jeune Vettius Crispin et Mécius Céler ; mais il conserva aussi des relations d’amitié avec des hommes de l’ordre équestre, tels que Septime Sévère, bisaïeul de l’empereur de ce nom, ainsi qu’avec de riches amis des lettres, qu’il avait connus à Naples, ville de ses pères[230]. Mais, malgré toutes ces nombreuses relations, si ardemment recherchées et si religieusement cultivées, avec les grands et les riches, et malgré l’approbation générale que leurs vers trouvaient aussi dans ces cercles, les deux poètes restèrent pauvres. Pour Stace, nous le savons par un passage cité plus haut de Juvénal, car l’auteur des Silves ne manquait pas tellement de dignité, qu’il ne cessât de se plaindre et de mendier, dans ses poésies, comme Martial. Il possédait, il est vrai, près d’Albe, un petit bien, cadeau d’un de ses patrons probablement, mais de pauvre mine et sans inventaire de bétail[231], et il est difficile d’admettre qu’à l’époque où il était parvenu à l’apogée de sa gloire, comme poète, l’insuccès au concours du Capitole l’ait seul déterminé à vouloir retourner dans son pays et terminer ses vieux jours dans sa ville natale[232]. Martial aussi possédait, depuis. l’an 86 déjà, près de Nomentum, un petit vignoble, qu’il devait peut-être, comme on peut l’admettre aussi pour celui de son voisin de campagne, Q. Ovide, ami de Césonius Maximus, l’intime du philosophe Sénèque, à la munificence de celui-ci, grand propriétaire de vignes dans ce canton, ou de ses héritiers[233] ; mais ce n’était, paraît-il, qu’un lopin de terre sec, déboisé, et qui, outre un vin médiocre, ne produisait que du fruit pire encore, des pommes comme du plomb[234]. Il est vrai aussi que Martial n’était rien moins qu’un agronome. Quand son ami Stella ne lui envoyait pas de tuiles, pour réparer le toit de sa maisonnette, la pluie y entrait[235], et le principal avantage qu’il retirait de cette propriété était de pouvoir s’y récréer, quelquefois, des tourments de sa position de client, et dormir son soûl[236]. Dans les derniers temps de son séjour à Rome, on lui avait fait présent d’un attelage de mules, et il possédait aussi une petite maison en ville[237], non loin du temple de Quirinus[238], après avoir auparavant demeuré en location à un troisième étage (I, 117, 7). Cependant il ne parvint pas à se faire une existence indépendante et libre de soucis, mais dut, à l’âge de cinquante-sept ans (X, 24), finir par se résoudre à quitter Rome, dont l’atmosphère était sa vie, pour aller terminer ses jours dans sa patrie, l’Espagne, où le bon marché de toutes choses et la libéralité de quelques protecteurs, appartenant au pays, le mirent à même de faire le paresseux à cœur joie, et de se donner toutes les aises après lesquelles il avait si longtemps soupiré[239]. Si, dans cet état de dépendance des poètes vis-à-vis d’un patron, la plus noble interprétation de ce lien, des deux parts, pouvait seule exclure entièrement le danger d’une humiliation constante des premiers, ce danger ne faisait naturellement que s’accroître avec ce qu’il y avait de précaire et de gêné dans leur situation, et l’on voit, par l’exemple de Martial, qu’avec des natures faibles et communes, la position de client conduisait, presque fatalement, à l’abus du talent poétique et à la dégradation de la personne. Non seulement Martial rappelle mainte fois à ses lecteurs, en général, et à ses patrons, en particulier, qu’un poète a besoin d’argent avant tout[240], et mendie instamment, ne fût-ce que pour avoir une toge, un manteau, ou quelque bagatelle semblable[241] ; il ne recule même pas devant cet aveu cynique, que sa muse était à la disposition de qui la payait. Tel que j’ai loué dans mes vers, dit-il quelque part (V, 36), fait comme s’il ne me devait rien : c’est un filou. C’est que, probablement, tout le monde n’était pas dans le sentiment de Pline le Jeune, qui se crut obligé, pour témoigner à Martial sa reconnaissance d’une poésie à sa louange, de lui envoyer de l’argent pour un voyage, en disant que le don le plus précieux, à ses yeux, était celui de la gloire, de l’éloge et de l’immortalité, décernés par un poète[242]. Cependant, une grande partie des personnes louées par Martial, ont certainement payé, pour cet honneur, bien que le payement ne répondît peut-être pas toujours à son attente. Mais le principal ainsi que le plus lucratif emploi de son talent, et le meilleur qu’il pût en faire, ce fut de l’affecter, d’une manière plaisante et spirituelle, au divertissement des réunions de société, et là aussi il lui arriva de ne le ravaler guère moins que par ses adulations les plus rampantes. On ne pouvait certes plus lui en vouloir de fournir, sur commande ou sur des sujets donnés, autant de pièces de vers qu’on en demandait[243] ; celles qui portent le titre de Xénies, notamment, n’ont été, selon tonte apparence, primitivement que des devises pour les étiquettes des étrennes que l’on faisait, à l’époque des Saturnales, dans les maisons opulentes ; mais, comme les joyeux convives, dans les orgies bachiques des Saturnales[244], et la majorité des lecteurs, en général, ne trouvaient rien plus de leur goût que les obscénités, Martial, à cet égard aussi, s’accommoda au goût de son public. Il est vrai que les idées du temps, sur la décence, permettaient au poète toute obscénité, sous une forme élégante ; seulement, la prédominance extraordinaire de ces poésies lubriques montre combien Martial était toujours prêt à mettre sa plume au service des goûts les plus vulgaires de la majorité, et l’on reconnaît, à ses manières d’excuse, que lui-même avait bien aussi la conscience d’être allé au-delà de ce que l’on petit se permettre. Martial, avec sa joyeuse poésie de Saturnales, malgré l’éclat de son talent réel, rappelle un peu ces poètes vagabonds du bon vieux temps, qui s’invitaient à tous les festins et qu’on avait du plaisir à y voir, mais que l’on estimait peu. Stace fut préservé d’une dégradation semblable par la nature même de son talent, qui visait toujours au pathétique et au solennel, outre, qu’il avait plus le sentiment de sa propre dignité et une plus haute idée de la poésie. Le recueil de ses poésies diverses, ou Silves, nous fait connaître ce qu’était, de son temps, la poésie de circonstance d’un ordre supérieur, quels en étaient les sujets ordinaires et quelles occasions la déterminaient. Des trois genres principaux que l’on y distingue, relatifs aux mariages, aux naissances et aux décès, le dernier est celui dans lequel Stace avait particulièrement sa force. Les quatre poèmes de consolation de son recueil sont choisis dans un très grand nombre de pièces de vers semblables, de sa composition. Il s’y nomme le doux consolateur des affligés, ayant tant de fois adouci la douleur de blessures, encore saignantes, des pères et des mères en deuil, consolé des fils aimants sur les tombes de leurs pères, séché tant de larmes et si souvent fait entendre sa voix, auprès des tertres funèbres, pour l’édification des esprits qui se séparent de ce monde[245]. Il est clair, d’après cela, qu’il avait fourni une masse de poésies pareilles. Du reste, les gens riches commandaient aussi des chants de deuil et de consolation pour les obsèques d’esclaves qui leur étaient chers et qu’ils avaient affranchis, voire même à la mort de bêtes favorites. Stace a admis dans son recueil une de ces poésies, sur la mort d’un perroquet vert parlant d’Atédius Mélior, et une sur celle d’un lion apprivoisé de l’empereur, déchiré dans l’arène par une autre bête féroce[246]. En général, dans les grandes maisons, tout événement, heureux ou triste, était chanté, d’habitude par les poètes familiers ou clients de la maison, comme il va sans dire. Les poésies de Stace sur la convalescence de Rutilius Gallicus, revenu d’une grave maladie, sur le dix-septième consulat de Domitien, et sur le départ de Mécius Céler pour sa garnison en Syrie[247], offrent des exemples des occasions sans nombre qui se présentaient, pour les poésies de circonstance. On recourait aussi, tout particulièrement, aux poètes, pour solenniser les fêtes[248], ou inaugurer des travaux d’art et de grandes constructions[249]. Stace, le lendemain de l’érection de la statue équestre colossale de Domitien, au Forum, reçut ordre de présenter à l’empereur sa pièce de vers à ce sujet[250]. Dans ces solennités, auxquelles assistaient des cerclés nombreux, la poésie de circonstance faisait l’office du journalisme, qui n’existait pas alors. Les gens riches recouraient volontiers à ce genre de poésie, pour répandre dans le public des descriptions louangeuses de leurs superbes villas et de leurs beaux jardins, de leurs constructions magnifiques, ainsi que de leurs collections d’œuvres d’art et d’autres objets précieux[251], et il ne manquait probablement jamais de poètes toujours prêts à aller au-devant de leurs désirs. Vous louez, Sabellus, en trois cents vers, dit Martial (IX, 49), le bain de Pontique, lequel donne de si bons dîners ; c’est que vous n’avez pas envie de vous baigner, mais de dîner. Mais, naturellement, la plupart des gens ne désiraient pas mieux que d’être chantés de butte en plan par un poète célèbre, et il est probable que cela eut lieu plus d’une foin aussi sur une invitation directe[252]. Plus une maison était grande et aristocratique, plus aussi devait-il y avoir, ordinairement, affluence de poètes, s’empressant de contribuer, chacun pour sa parts à une glorification qui en rehaussât l’éclat, dans les grandes circonstances. A la fête d’un mariage, dans la maison de l’empereur Gallien, tous les poètes, grecs et latins, débitèrent des épithalames pendant nombre de jours ; mais, parmi cent poètes, ce fut l’empereur qui remporta le prix, avec quelques vers de sa façon[253]. Bien que cette participation des poètes à la solennisation des fêtes fût, naturellement, plus large que partout ailleurs dans la maison impériale, elle paraît cependant avoir été très large dans tontes les maisons aristocratiques en général, et l’on s’y amusait probablement aussi, tel étant le goût des Romains, de la multitude des poésies de circonstance offertes. A la fête du mariage de Stella et de Violantilla, Stace somme toute la troupe des poètes, en s’adressant surtout aux poètes élégiaques, chantres de l’amour[254], de se piquer d’émulation et de varier les modes de leur chant, selon la forcé de chacun sur la lyre. Du nombre, assurément considérable, de pièces de vers, dans lesquelles les poètes de Rome contemporains, s’appliquant à leur tâche, chantèrent sur tous les tons la noce de leur collègue de haut parage, il n’est parvenu jusqu’à nous, outre la poésie de Stace, que celle de Martial. Mais, de même que dans ce cas, les deux poètes ont, ailleurs aussi, dans les occasions les plus diverses, composé des pièces de vers sur les mêmes thèmes, pour les mêmes protecteurs et amis communs. Tous les deux ont pleuré la mort de l’affranchi favori d’Atédius Mélior et celle dit vieil affranchi de la cour impériale Claude Etruscus ; tous les deux, célébré la somptueuse chambre de bain, construite par ce dernier, et une statuette de bronze de Lysippe, dont Nonius Vindex était l’heureux possesseur ; tous les deux, présenté à la veuve de Lucain des poésies, pour la fête de son jour de naissance ; et, quand l’échanson de Domitien, l’eunuque Flavius Earinus, envoya ses cheveux coupés, dans un écrin garni de pierres précieuses, avec son miroir, au temple d’Esculape à Pergame, Stace composa, d’après le désir, du donateur, un long poème sur cet événement, qui forma, pour Martial aussi, le sujet, de cinq petites pièces de vers[255]. Or, si notes voyons les deux seuls poètes du temps desquels nous connaissions les poésies de circonstance, traiter si souvent, et de propos délibéré, les mêmes sujets, il faut bien admettre que, dans les occasions extraordinaires, une multitude de poètes devaient, en général ; se prendre d’enthousiasme, et qu’il pleuvait alors des poésies, petites et grandes, en vers de toutes les mesures. Bien que Stace et Martial eussent leurs entrées dans les
mêmes maisons, qu’ils en fissent un fréquent usage, et que chacun des deux
ait dei être, bien souvent, témoin des succès obtenus par l’autre, on ne voit
pas qu’aucun des deux fasse, jamais mention de l’autre, lorsque tous les
deux, cependant, prodiguent les éloges à nombre de leurs autres collègues du
Parnasse. Il est évident qu’ils ne s’aimaient pas, et on comprend qu’il ne
pouvait en être autrement, avec le contrasté profond de ces deux natures,
lors même que le poète espagnol, qui étau déjà sur le retour de l’âge, eût été
homme à se défendre de tout sentiment de dépit et de jalousie, auprès de la gloire
nouvelle du Napolitain plus jeune, qui menaçait d’éclipser la sienne. Martial
a parlé, à plusieurs reprises, avec dédain, des grandes épopées
mythologiques, sans jamais nommer Vis-à-vis de ces sorties, toutefois, faites dans les années mêmes où Stace lisait, devant de grandes réunions de beau monde, au milieu de salves d’applaudissements, les derniers chants de sa Thébaïde et les premiers de l’Achilléide, ce dernier ne s’est pas laissé aller à la moindre critique déplaisante, au sujet des épigrammes. De ses propres menues poésies, composées dans le genre des épigrammes, il parle comme de bagatelles insignifiantes, jetées au hasard dans l’occasion ; on l’avait blâmé d’avoir publié de ces choses-là ; mais, dans son opinion, le badinage aussi avait sa raison d’être, qui le justifie. A la fin de sa Thébaïde, il se plaint des nuages de brume, que l’envie accumule pour ternir l’éclat de ce poème[257]. A cette époque, comme dans tous les temps, l’envie et la jalousie des poètes n’étaient pas excitées seulement par leur vanité, facile à blesser, leur présomption excessive et leur soif de renommée ; mais leur position de clients aussi, la rivalité de leurs démarches qui, nécessairement, se croisaient souvent, pour gagner la faveur et l’approbation. des grands, desquels dépendait leur existence ; n’étaient que trop faites pour soulever les vilaines passions de natures ignobles, et il est certain qu’elles n’ont que trop souvent conduit à de mauvaises excitations, des persécutions et des calomnies, des intrigues et des cabales de tout genre. Martial eut à souffrir d’ennemis, de jaloux et de critiques envieux de différentes espèces. En général, la critique exercée dans les cercles littéraires de Rome n’était rien moins que bienveillante[258] ; bien des gens (des envieux, d’après Martial), blâmaient encore l’indécence de ses épigrammes[259], mais plus nombreux étaient probablement, alors comme dans tous les temps, ceux qui, ne voulant généralement pas reconnaître de mérite aux poètes vivants, ne prônaient que les anciens[260]. En général, notre poète ne voyait, dans le blâme des poètes, qu’une preuve de plus de l’universalité du bon accueil fait par le public à ses vers (XI, 24), aimant mieux, et avec raison, voir ses poésies goûtées par les convives que par les cuisiniers (IX, 81). Parmi ceux qui crevaient d’envie de voir que tout le monde, à Rome, lisait ses épigrammes, qu’on se le montrait du doigt quand il passait, qu’il était bien accueilli, dans beaucoup de maisons, et même parvenu à quelque aisance[261], il y avait aussi un poète juif, qui critiquait partout ses vers, mais ne l’en pillait pas moins (XI, 94). Cependant Martial prenait peu de souci de ce que ce plagiaire, et d’autres de son espèce, récitassent ses vers, en les faisant passer pour des productions de leur propre cru, surtout parce qu’il y avait, entre son savoir-faire et celui d’autrui, une si grande différence que l’on ne pouvait manquer de s’apercevoir tout de suite du plagiat[262]. Ce qui était beaucoup plus compromettant, non seulement pour sa renommée de poète, mais pour toute sa position, et ce dont à se plaint à diverses reprises, c’est que des poètes anonymes, de cachettes où ils étaient sûrs de ne pas être découverts, s’appliquaient à répandre, sous son nom, des injures violentes et des outrages grossiers contre de nobles personnages et de nobles dames[263]. Cette perfidie pouvait lui faire d’autant plus de. tort dans l’opinion de ses protecteurs, qu’il avait, d’ailleurs ; continuellement à craindre, même sans cela, que des personnes à la faveur desquelles il tenait, ne s’appliquassent les traits mordants de ses épigrammes ; de là, ses protestations réitérées qu’il n’y a jamais en vue une personne déterminée[264]. Outré ces aperçus et de semblables, que les poésies de Martial procurent sur le mouvement des cercles qui avaient leur rendez-vous au lieu de réunion des poètes (schola poetarum)[265] ou au portique du temple de Quirinus (XI, 1), elles fournissent encore beaucoup d’autres renseignements, sur les intérêts et les tendances littéraires de l’époque. Ces épigrammes, les poésies contemporaines de Stace, publiées de 90 à 96[266], et les lettres de Pline le Jeune, qui, appartenant à la période de 97 à 108 ou 109, se rattachent, sans lacune, à l’œuvre de ces deux poètes, nous font connaître notamment l’intérêt de la société instruite pour la poésie, au temps de Domitien, de Nerva et des premières années du règne de Trajan, plus exactement que pour toute autre période. Mais les phénomènes qui en ressortent, caractéristiques pour cet intérêt comme pour le mouvement littéraire en général, ne sont pas, précisément, propres à cette période seule, mais paraissent essentiellement communs ou applicables à tout le temps écoulé depuis le règne d’Auguste jusqu’à celui d’Adrien. Ils confirment également l’observation que l’on accordait alors à la poésie une importance plus haute et une influence plus grande, sur l’éducation en général, que de nos jours. La première impression que l’on reçoit est celle d’une
activité et d’une fécondité excessives, sur tout le domaine de la littérature
poétique, dont toutes les parties étaient cultivées, à l’envi, par nombre de poètes
de profession ou de simples amateurs, rivalisant entre eux. Aussi Juvénal,
dans l’éclat de son désespoir, à propos des récitations continuelles,
nomme-t-il des poésies des espèces les plus diverses, que l’on était condamné
à entendre, journellement : tel lisant une Théséide, tel autre des
comédies romaines, un troisième des élégies ; une tragédie de Télèphe, un
Oreste, dont on ne voit pas la fin, occupant toute la journée, et les
colonnes ainsi que les platanes d’un péristyle, à l’usage des faiseurs de
lectures, retentissant continuellement de la description des combats des
centaures, du jugement des morts et de la conquête de la toison d’or[267]. Beaucoup de poètes
s’essayèrent dans plusieurs genres, en même temps. Un nommé Varron, par
exemple, était, d’après Martial (V, 30), également distingué comme poète tragique et mimique,
lyrique et élégiaque, et le Gaditain Canius Rufus avait, à ce qu’il paraît,
un talent non moins varié[268]. Manilius
Vopiscus écrivit des poésies lyriques et des poèmes épiques, des satires et
des épîtres[269],
Pollius Félix des hexamètres, des épodes ou distiques et des ïambes[270]. Outre, les
genres les plus courants, on en mentionne de plus rares et de plus
extraordinaires, tels que la comédie aristophanique, le mimïambe[271]. Beaucoup de poètes
composèrent aussi en grec : ainsi Brutien[272] et Arrius Antonin[273], des épigrammes
; Vestricius Spurina, des poésies lyriques[274], et Caninius
Rufus, un poème épique sur la guerre contre les Daces. Martial, Stace et
Pline le Jeune ne nous font connaître, du reste, comme il va sans dire,
qu’une petite partie des poètes du temps, et le nombre des poètes lyriques et
satiriques en renom doit avoir été particulièrement très considérable,
d’après Quintilien[275], qui distingue
aussi Pomponius Bassus[276], parmi les poètes
tragiques. Il nous reste à nommer encore Septime Sévère[277] et Passennus
Paul[278],
comme poètes lyriques, ainsi que Turnus, comme auteur de satires en vers.
Mais, de tous les genres, le genre épique paraît avoir été le plus cultivé,
l’épopée mythologique surtout. Aussi, les poèmes qui se sont conservés de
cette époque, consistent-ils principalement en grandes épopées, toutes, à
l’exception des Guerres puniques de Silius, de l’espèce mentionnée :
ainsi les Argonautiques de Valérius Flaccus, comme Cependant, la majorité des hommes instruits, qui ne faisaient pas de la poésie leur profession, mais qui, comme Atticus, ne voulant pas se priver du charme qu’elle prête à la vie[285], ne s’occupaient de poésie que pour se récréer, se divertir, s’amuser en société, ou s’exercer, n’avaient, d’ordinaire, naturellement pas le temps de s’appliquer à la composition de poèmes épiques de longue haleine. Pline le Jeune recommande à un ami, faisant son éducation d’orateur, d’écrire aussi quelquefois un peu d’histoire, ou une lettre. On peut, dit-il dans une de ses lettres (VII, 9, 8 à 15), se passer quelquefois ; pour sa récréation, la fantaisie de faire une pièce de vers, non pas un long poème d’un intérêt suivi, car il faut, pour cela, beaucoup de temps entièrement libre, mais un de ces riens spirituels qui font une diversion opportune à des occupations et travaux de toute sorte. On les appelle des badinages, mais ces badinages donnent souvent plus de gloire que les choses graves. Aussi les plus grands orateurs, voire même les plus grands hommes, se sont-ils souvent exercés ou divertis de cette manière, ou s’y sont-ils, pour mieux dire, appliqués à ce double effet. Car il est étonnant de voir comment l’esprit se tend et se rafraîchit en même temps avec ces babioles, dans lesquelles il y a place pour l’expression de l’amour, de la haine et de la colère, l’esprit et la compassion, en un mot, tout ce qui émeut dans le cours de la vie, ainsi qu’au Forum et devant les tribunaux. Elles offrent aussi, comme les autres poésies, cet avantage que l’on se délecte d’autant plus de la prose, après être délivré de la contrainte qu’impose la construction métrique des vers, et que l’on aime d’autant mieux écrire, ensuite, les choses dont on a reconnu, par comparaison, la facilité. Même abstraction faite de ces exercices poétiques, la poésie des amateurs de versification, et des poètes proprement dits même, consistait, en grande sinon en majeure partie, dans la reproduction des. modèles classiques, latins ou grecs ; or, dans ce dernier cas, elle n’était probablement, souvent, qu’une traduction plus ou moins libre, et l’on avait pleine conscience de cette reproduction. En effet, tandis que, de nos jours, même les poètes amateurs visent d’autant plus à l’originalité d’apparence, qu’ils se sentent moins capables d’en déployer une réelle, les poètes latins, des temps postérieurs, étaient d’autant plus éloignés de cette tendance, que la transplantation des fleurs de la poésie hellénique sur le sol natal avait été, de tout temps, le but de leurs plus grands devanciers. Or si, sur tous les domaines de l’art antique, le respect de la tradition était tel que les formes une fois trouvées, et reconnues pour modèles, avaient en quelque sorte la force de lois obligatoires, contre lesquelles aucun artiste n’osait s’élever, et qui excluaient tout arbitraire ; si l’imitation, la copie et la reproduction passaient, par cela même, pour légitimes et parfaitement admissibles, et le travail, ainsi que l’étude de ces formes reçues, était regardé, jusqu’à un certain point, comme suffisant pour suppléer au manque d’originalité : tout cela s’applique, particulièrement aussi, à la poésie latine de toute la période qui suivit le règne d’Auguste. De même qu’Ennius et Virgile avaient imité Homère, les poètes épiques postérieurs composèrent, sous le charme du prestige exercé par Virgile sur toute leur époque. Silius Italicus révérait son image plus que celles de tous les autres grands hommes, fêtait l’anniversaire de la naissance de ce poète plus consciencieusement que celui de son propre jour de naissance, et abordait son tombeau, à Naples, comme un temple[286]. Stace, qui, à la fin de sa Thébaïde, implore pour ce poème le bénéfice de l’immortalité, ajoute que son ambition se borne à ce qu’elle suive, ne fût-ce que de loin, la divine Énéide, et s’attache, avec un saint respect, aux traces de cette œuvre immortelle[287]. Dans d’autres branches aussi, les poètes obtenaient les plus grandes louanges, pour avoir imité, avec bonheur, un grand modèle. Passennus Paul, ami de Pline le Jeune, s’appliquait, avec ardeur, à l’imitation des anciens en général, les copiait et les reproduisait, surtout Properce, de la famille duquel il était issu, et qu’il fut plus que tout autre près d’égaler, précisément dans la spécialité où Properce s’était particulièrement distingué ; ses élégies étant, disait-on, un livre écrit tout entier dans la maison de Properce. Dans la suite, il se tourna vers la poésie lyrique, où il reproduisit Horace avec la même fidélité[288]. Pour le grand nombre de ceux qui satisfaisaient leur ambition poétique, en s’amusant à faire des bagatelles, des épigrammes et toute espèce de drôleries en vers[289], Catulle était évidemment, à cette époque encore, comme au temps d’Auguste déjà, le modèle le plus généralement copié ; même les épigrammes d’un poète tel que Martial, certainement un de ceux, de l’époque postérieure, qui eurent le plus d’originalité, sont pleines des réminiscences de Catulle. J’envoie, dit-il[290], mes petites pièces de vers à Silius, me souvenant que le tendre Catulle avait aussi, peut-être, osé envoyer, au grand Virgile, sa complainte sur la mort du moineau. Cette dernière poésie de Catulle parait avoir été, en effet, le modèle de rigueur, pour tous les sujets analogues, imité mainte et mainte fois indéfiniment, comme tout porte à le croire[291]. Martial, dit (I, 7) à Stalla, pour le flatter, que celui-ci s’est, dans sa Colombe, montré supérieur à Catulle autant que le pigeon l’emporte sur le moineau en grosseur. Un parent de Martial, l’Espagnol Unique, écrivit des poésies d’amour, comme celles de Catulle à Lesbie, ou celles d’Ovide à Corinne[292]. L’ami de Pline le jeune, Pompée Saturnin, orateur et historien distingué, faisait accessoirement aussi des vers, à l’instar de Catulle ou de Calvus, pleins de grâce, de douceur, d’amertume ou de passion, et à l’élément tendre et enjoué desquels s’alliait une légère dose de sévérité, toujours comme dans Catulle ou Calvus[293]. Aussi ne serait-ce pas trop injuste qu’on l’admirât moins, d’autant moins qu’il est encore en vie, ajoute Pline. Ce dernier entendit, avec le plus grand plaisir et admiration même, un autre de ses amis, Sentius Augurin, faire la lecture de ses menues poésies, pendant trois jours de suite ; il y trouva tout plein de finesse, beaucoup de choses sublimes, gracieuses ou tendres, pleines de douceur ou pleines de fiel depuis plusieurs années, il n’avait été rien écrit de plus parfait en ce genre, dans l’opinion de Pline, à moins de partialité de sa part, par suite du grand éloge que le poète avait fait lui-même de notre écrivain ; car il avait dit que celui-ci chantait en vers brefs, comme jadis Catulle, Calvus et les anciens ! Mais à quoi bon nommer les anciens ? Pline, qui faisait lui aussi de petits vers, valant à lui seul tous ses devanciers[294]. L’exemple de Pline le jeune, qui ne commença qu’après être déjà consulaire, à l’âge de plus de quarante ans, à marcher dans les sentiers de Catulle, et qui raconte, en entrant dans les plus grands détails[295], l’histoire de la genèse, de ce printemps de lyrisme attardé, fait toucher du doigt comment, alors, tout intérêt vif pour la littérature attirait, nécessairement, vers la poésie les natures les plus positives et les moins poétiques. Il s’était, antérieurement déjà, plusieurs fois essayé en vers. Il ne pouvait guère en être autrement, à une époque dont la culture était tellement saturée d’éléments poétiques, avec la tendance de son esprit qui, en tout temps, aspirait à la distinction littéraire. Vous dites, écrit-il à un ami, avoir lu mes hendécasyllabes, et demandez ce qui m’a pris d’écrire de pareilles choses, moi, que vous regardez comme un homme sérieux et qui ne suis, je le reconnais moi-même, pas précisément un sot. Jamais (il faut que je reprenne les choses d’un peu haut) je ne suis resté étranger à la poésie. J’ai même écrit une tragédie grecque, à l’âge de quatorze ans. Comment était cette pièce ? me demanderez-vous. Je ne sais pas trop moi-même ; assez donc : bref, cela s’appelait une tragédie. Puis, à mon retour du service militaire, quand je fus retenu par des vents contraires dans l’île d’Icarie, j’écrivis des élégies latines, sur cette île et la mer qui la baigne. Je me suis aussi déjà, une fois, essayé en hexamètres, comme maintenant, pour la première fois, en hendécasyllabes, et, pour vous. dire l’origine de cette fantaisie, voici à quelle occasion : A ma villa, près de Laurente, je me fis lire une fois le livre d’Asinius Gallus, contenant le parallèle de son père et de Cicéron. Une épigramme de ce dernier sur son affranchi favori, Tiron, m’y frappa. M’étant ensuite retiré à midi, pour faire ma sieste, car c’était en été, et ne pouvant dormir, je commençai à réfléchir sur ce fait, que les plus grands orateurs ont pratiqué ce genre d’activité littéraire, pour leur plaisir, et en ont tiré gloire. Je méditai la chose et, à ma grande surprise, je réussis, en très peu de temps, bien que j’en eusse depuis si longtemps perdu la pratique, faute d’exercice, à exprimer en vers les deux pensées qui m’avaient poussé à écrire[296]. Les hexamètres, dans lesquels il explique comment l’exemple de Cicéron l’a déterminé à se laisser aller à la pétulance et à la malice dans ses poésies, sont prosaïques et lourds d’un bolet à l’autre, et ses hendécasyllabes doivent avoir, selon toute probabilité ; offert un exemple encore plus décourageant de ce qui peut résulter de l’envie d’un pédant de se laisser aller et de prendre un air dégagé. Je me mis ensuite, continue Pline, dans la même lettre, à faire des poésies élégiaques, et, comme j’en vins à bout tout aussi promptement, je me laissai entraîner par cette facilité à joindre à ces productions d’autres encore, qu’à mon retour en ville j’y lus à mes connaissances, auprès desquelles elles eurent du succès. Plus tard, j’essayai de différents mètres, quand. j’avais du temps de reste, surtout en voyage, finalement je me décidai, d’après l’exemple de tant d’autres, à faire un recueil à part d’hendécasyllabes, et je ne le regrette pas ; car il est lu, copié ainsi que chanté, et même débité avec accompagnement tantôt de la cithare, tantôt de la lyre, par des Grecs qui ont appris le latin par amour pour ce polit livre. Mais pourquoi cette gloriole ? On pardonne, il est vrai, aux poètes d’être un peu enthousiastes, et d’ailleurs je ne parle pas ici de mon propre jugement, mais de celui des autres qui, juste ou faux, m’est agréable. Je ne puis désirer qu’une chose : c’est que la postérité juge ou se trompe de la même manière. Plus tard, Pline publia encore un recueil de petites poésies en vers de différents mètres, ou du moins s’occupa des préparatifs de cette publication[297]. La lecture en dura deux jours, par suite du désir des auditeurs de ne pas la voir interrompue ; car Pline ne faisait pas comme d’autres, qui sautaient une partie et en prévalaient, comme d’un service abrégeant la corvée de l’auditoire ; il lut tout, mû par le désir de tout améliorer, qu’il n’eût pu satisfaire, en ne soumettant que des morceaux de choix à la critique de ses amis[298]. Voilà avec quelle promptitude des poètes amateurs, conduits à des essais poétiques par le désir d’occuper spirituellement leurs heures de loisir, par l’esprit d’imitation, ce qu’ils avaient lu d’œuvres littéraires, leur facilité à tourner les vers, l’exemple d’autrui et la tendance au perfectionnement en général, arrivaient, alors, à s’imaginer qu’ils étaient de véritables poètes, quand ils avaient la vanité de Pline, et qu’ils étaient, comme lui, de grande maison ou riches. Avec un dilettantisme devenu aussi général, le succès et l’indulgence ne faisaient que rarement défaut. Or, ce n’était certes pas, alors, une exception de voir des hommes de qualité, dans de hautes positions et des charges encombrées d’affaires, consacrer encore, même à un âge plus avancé, leurs heures de loisir à la poésie. Si Pline le Jeune, en rapportant le brillant succès de Calpurnius Pison, avec ses poésies élégiaques sur les constellations, fait observer qu’il en parle avec d’autant plus de plaisir qu’un pareil succès est beau, pour un si jeune homme, et rare dans la haute noblesse[299], cela doit s’entendre ainsi : que, parmi cette multitude de poètes lesquels, pendant des mois entiers, ne laissaient pas passer un jour sans se produire en public, il y en avait, sans doute, relativement peu de famille noble, et que les poètes amateurs de condition, en particulier, ne doivent avoir eu que rarement le temps et l’envie de se lancer dans les grandes entreprises poétiques. Des consulaires du temps, qui firent de la poésie en amateurs, nous connaissons déjà, outre Pline et Silius Italicus, Stertinius Avitus, Arruntius Stella et Arrius Antonin, vieillard fort âgé déjà. Rutilius Gallicus, le préfet de la ville, mort vers l’an 90, était aussi poète[300]. Vestricius Spurina, qui avait administré les plus hautes charges, gouverné des provinces, et obtenu, de Nerva probablement, la distinction d’une statue d’honneur, qui le représentait en costume triomphal, consacrait encore, à l’âge de soixante-dix-sept ans, tous les jours, entre la promenade et le bain, quelque temps à la composition de poésies lyriques, en grec et en latin, excellentes au jugement de Pline[301]. Le chevalier Titinius Capiton, qui remplit, sous les règnes de Domitien, de Nerva et de Trajan, les fonctions extrêmement laborieuses de secrétaire de l’empereur, trouva moyen d’être, avec cela, une des colonnes de soutien de la littérature, protecteur et promoteur de tous les gens de lettres et poètes, prêtant sa maison pour des lectures, suivant celles des autres, lisant lui-même, et de plus composant de remarquables pièces de vers, à la gloire des grands hommes[302]. L’affranchi Parthénius, grand camérier de Domitien, et encore très influent sous Nerva, était, d’après Martial, le chéri d’Apollon et des Muses ; qui buvait de leur source divine à plus grands traits que lui ? Malheureusement, il lui restait trop peu de temps pour la poésie[303]. Les exemples de Pollius Félix de Pouzzoles et de Caninius Rufus de Côme, permettent de supposer que le dilettantisme poétique avait fait des progrès dans la haute classe de toutes les villes d’Italie. Il n’était pas, alors, seulement un des symptômes de la purification intellectuelle d’une jeunesse non encore mûre, une des crises maladives du développement de celle-ci. La poésie, à laquelle s’attachaient une très grande partie des gens instruits, demeurait la compagne de toute leur vie. On ne l’exerçait pas uniquement pour ennoblir et embellir la vie intellectuelle, mais aussi parce qu’on y voyait et estimait un élément de culture essentiel ; aussi, l’habileté dans le maniement de, la formé poétique était-elle considérée comme témoignant d’une éducation supérieure. Même les gens de là classe que représente le Trimalcion de Pétrone, se croyaient tenus de produire des poésies de leur cru, pour paraître bien élevés[304]. On comprend d’autant mieux, dès lors, que des poètes bien avisés, préférant l’argent à la gloire, devaient trouver aussi, quelquefois, des acheteurs pour leurs vers[305]. Tandis qu’au commencement du deuxième siècle la tendance à la poésie avait encore un si grand empire ; sur l’éducation du temps, que même des natures prosaïques, telles que Pline le Jeune, ne pouvaient se soustraire â son influence, on vit s’opérer, dès l’époque d’Adrien, la grande révolution à la faveur de laquelle la prose regagna une prépondérance telle que, non seulement la poésie cessa, de plus en plus, d’être le domaine principal des aspirations littéraires, pour les amateurs et les hommes de l’art, mais l’activité littéraire même d’esprits doués d’un talent poétique, comme Apulée, se tourna de préférence vers la prose. Cette révolution, comme on l’a déjà fait observer, s’accomplit principalement sous l’influence de la nouvelle école des sophistes grecs. Le nouvel art de la diction grecque, dont on désignait les virtuoses du nom ancien de sophistes, s’était développé depuis la fin du premier siècle de notre ère, et l’importance qu’il gagnait, la multitude de talents qu’il attirait à lui et l’admiration générale, passionnée au-delà de toute expression, qu’il excitait dans le monde hellénique, tout cela prouve que, non seulement il répondait entièrement au goût du temps, mais comblait une lacune, profondément sentie dans la vie intellectuelle, d’une manière très satisfaisante pour la grande majorité des hommes instruits. Aristide a décrit, dans un de ses discours[306], l’enthousiasme de ses auditeurs. Le désir constant et insatiable de trouver dès moyens nouveaux d’occuper spirituellement l’intelligence, et un sentiment très impressionnable pour l’art, avaient persisté dans l’élément vital de la nation vieillissante des Grecs, sans rien perdre de leur force ; mais la pureté et la sûreté du goût pour le véritable art, qui, dans les siècles de l’expansion florissante du génie hellénique, avait pu se former, sur tous les domaines, par la contemplation d’une merveilleuse exubérance des plus magnifiques créations, s’étaient perdues. L’art des sophistes, qui convenait, si bien au goût dépravé des siècles postérieurs, n’était qu’un -faux art. Il imagina des formes difficiles à manier et minutieusement arrêtées, jusque dans les moindres détails, des règles exactes et minutieuses pour, toutes les espèces de style et toutes les formes dû mouvement de la pensée, des constructions de phrases et des rythmes. On y attachait aussi beaucoup de prix à corriger l’expression, au moyen d’un purisme auquel on tendait par l’étude et une imitation, parfois déraisonnable et pédantesque, des modèles anciens, de ceux de l’Attique surtout. La virtuosité des sophistes consistait, en grande partie, dans l’aisance apparente avec laquelle ils surmontaient les difficultés techniques de leur art. Quand Polémon tournait une période, il souriait en mettant les derniers deux points, de l’air satisfait d’un homme pour lequel tout cela n’était qu’un jeu[307]. La connaissance des règles techniques de ce nouvel art de la prose, en se répandant de plus en plus, avec le temps, dans la partie instruite du public, fortifia la sagacité et accrut l’admiration des auditeurs. Ce que l’on admirait par-dessus tout, c’était l’art de l’improvisation, auquel ne purent cependant atteindre tous les sophistes, et auquel un des plus grands d’entre eux, Hérode Atticus, doit avoir attaché plus d’importance qu’à l’avantage d’être lui-même de rang consulaire et de famille consulaire[308]. Il s’y joignait une déclamation étudiée, qui n’affectait
que trop souvent, il est vrai, comme toute la personne de l’orateur, son jeu
de physionomie et ses gestes, des allures théâtrales, ou l’air d’un débit
musical. Mais tout cela, même avec l’insatiabilité persistante de l’oreille
grecque, toujours encore si impressionnable au charme de l’art oratoire, ne
suffirait peut-être pas à expliquer l’étonnant succès de ces discours
d’apparat, dont le formalisme ; tout artificiel et souverainement prétentieux,
nous répugne toujours par ce qu’il a de creux, en réalité, et n’est
d’ailleurs, avec son affectation doucereuse, son air guindé et d’emprunt, sa
redondance et sa boursouflure, assez souvent arrivé qu’à former une
caricature désagréable de cette éloquence grandiose de l’ancien temps, qu’il
avait la prétention de vouloir reproduire, sous une forme rajeunie.
L’enthousiasme pour les sophistes et leurs travaux, qui se manifestait aussi
par toute espèce de démonstrations honorifiques, l’affluence de la jeunesse
studieuse vers les villes où ils s’établissaient comme professeurs,
l’importance qu’on leur accordait et qui les autorisait à prendre le rôle de
censeurs, de conseillers et de conciliateurs ; enfin la haute idée, souvent
poussée par leur imagination à un degré voisin de la folie, qu’ils se
faisaient eux-mêmes de l’importance de leur mission et des effets de leur
activité, tout cela n’eût pas été possible ou ne serait, du moins, pas arrivé
à ce point, si la sophistique n’était pas venue, aussi, offrir à la vanité
nationale des Grecs une satisfaction nouvelle, qui lui manquait depuis
longtemps. Les Grecs aimaient toujours encore à se considérer comme la grande nation, et étaient affermis par les
Romains eux-mêmes dans l’orgueil d’avoir été, de plus, les précepteurs de
ceux-ci. Or, voilà que Bien que la doctrine des sophistes dût son importance au caractère particulier de sa tendance, essentiellement nationale, elle n’en exerça pas moins aussi une grande influence sur le monde romain, par suite du respect traditionnel des Romains pour l’autorité des Grecs, sur tout le domaine de la vie intellectuelle et, particulièrement, sur celui de la littérature, de leur dépendance du jugement des Grecs, et de leur désir, alors peut-être plus vif et plus ardent que jamais, de s’approprier les avantages de l’éducation grecque. De même qu’ils avaient été, de tout temps, à l’école des Grecs, au moins depuis qu’ils avaient commencé à porter aussi chez eux l’éloquence à la hauteur d’un art, de même ils devaient, encore maintenant, s’efforcer de profiter du dernier perfectionnement opéré par les Grecs dans l’art d’exposer les sujets. Nombre de jeunes gens se rendirent, d’Italie et des provinces occidentales de l’empire, à Athènes et dans les autres foyers de l’instruction grecque, pour y gagner le dernier poli de l’éducation, en suivant les cours des professeurs les plus prônés[310]. D’ailleurs, ceux-ci prirent eux-mêmes l’habitude de faire des tournées littéraires, pendant lesquelles ils se produisaient, régulièrement, à Rome et dans d’antres grandes villes de l’Occident, où ils se décidaient même à prendre temporairement leur domicile. Il y avait surtout, à Rome, la chaire d’éloquence grecque, que même les plus célèbres d’entre eux se faisaient gloire de briguer. Philostrate nomme, parmi ceux qui l’occupèrent, le Cilicien Philagre, le Phénicien Adrien, le Cappadocien Pausanias de Césarée, le Smyrniote Euhodianus, et Aspasius de Ravenne[311]. Ce qui ne contribua pas moins à rehausser les professeurs grecs dans la considération des Romains, ce furent, avec l’intérêt que leur portaient ostensiblement les empereurs, les distinctions et les présents dont ils les comblaient, le prix qu’ils attachaient à les avoir pour précepteurs de leurs héritiers présomptifs[312], les hautes positions telles que, notamment, celle de chefs du département grec au secrétariat impérial, qu’ils leur conféraient, ainsi que la politesse, l’indulgence, la patience avec laquelle ils supportaient leurs prétentions, souvent ridicules et parfois même insolentes. De l’autre côté aussi, toute cette manière d’être des empereurs avec les sophistes est de nature à faire supposer que l’on devait avoir, généralement, conçu pour les travaux de ces derniers, dans les classes lettrées du monde romain, une très haute estime, non moins partagée par les empereurs que les autres tendances et directions des intérêts prédominants du mouvement de civilisation de l’époque. Adrien, le plies grand admirateur des Grecs, en même temps que le dilettante le plus zélé en fait d’activité littéraire, était particulièrement aussi l’ami des sophistes, et le biographe Philostrate fait de lui cet éloge, qu’il était, de tous les empereurs des premiers temps, le mieux fait pour comprendre et encourager des talents remarquable[313]. Trajan avait conféré au célèbre Polémon l’immunité de droits et de taxes, pour tous ses voyages ; Adrien déclara ce privilège transmissible à ses descendants, le reçut à l’académie, dite musée, d’Alexandrie, acquitta pour lui, spontanément, une dette de 250.000 deniers, et ne borna pas là ses faveurs, si l’on peut du moins en croire Philostrate, dont les allégations sont assez généralement, il est vrai, d’autant plus sujettes à caution qu’il raconté beaucoup d’autres choses saugrenues, évidemment controuvées, ou du moins ridiculement exagérées, bien que la manié puérile des sophistes de s’exagérer leur importance et celle des rapports de leur position imaginaire, auprès des empereurs, montre bien que ces contes trouvaient créance. Le même Polémon doit une fois, aussi d’après Philostrate, avoir grossièrement renvoyé la nuit de sa maison, à Smyrne, le successeur d’Adrien, Antonin le Pieux, à l’époque où celui-ci n’était encore que proconsul d’Asie ; sur quoi, l’empereur Adrien, pour garantir Polémon contre toute éventualité d’une- vengeance de là part d’Antonin, aurait expressément déclaré : dans son testament que l’adoption de ce prince lui avait été conseillée par ledit Polémon, lequel aurait été en conséquence, après l’avènement d’Antonin au trône, aussi comblé d’honneurs par le nouvel empereur[314] ! Or, le livre de Philostrate est plein d’histoires pareilles. Le sophiste Aristide, lors d’un séjour que fit. Marc-Aurèle .à Smyrne, attendit ; pour présenter ses devoirs à l’empereur, que celui-ci le fit demander, et prit pour excuse qu’il n’avait pas voulu interrompre des études qui l’absorbaient. Quand, plus tard, Smyrne fut détruite par un tremblement de terre, sa complainte, encore existante, sur la catastrophe de Smyrne, pièce qui n’est, d’un bout à l’autre, qu’une longue chaîne d’exclamations, détermina la reconstruction de cette ville. A ce beau passage : Les vents du soir ne soufflent plus que sur un désert, Marc-Aurèle, avait répandu des larmes[315]. Or, bien qu’il soit impossible de déterminer exactement la part de la vérité et celle du mensonge dans la version de Philostrate, soit de préciser ce qui y est dénaturé, exagéré ou purement imaginaire, on ne saurait pourtant mettre en doute ni la courtoisie vraiment étonnante dès empereurs pour les sophistes, au deuxième et même dans une partie du troisième siècle, ni l’intérêt qu’ils prenaient à l’art de ces derniers ; ce qui, comme nous l’avons déjà fait observer, suffit pour faire naître la supposition que cet intérêt était partagé par toute la société lettrée de Rome. D’ailleurs, il existe aussi, d’autre part, des témoignages, nullement suspects, du vif intérêt de celle-ci pour les sophistes. Un des fondateurs de l’art nouveau, l’Assyrien Isée, s’était produit à Rome, peu de temps sans doute avant l’année qui clôt le premier siècle de notre ère[316], et Pline le Jeune nous met à même de juger de l’impression qu’y avait produite le flot puissant de la parole de cet homme, quand il écrit à ce sujet : Isée, qu’une grande réputation avait précédé, s’est montré bien supérieur encore, à celle-ci. Voilà bien le nec plus ultra de ce que l’on peut imaginer de facilité de diction, de richesse de langage et d’abondance. Il ne fait jamais qu’improviser, et toujours on croit entendre un discours écrit depuis longtemps. Son élocution est foncièrement grecque, attique même. Les préambules sont élégants, insinuants, parfois dignes et relevés. Puis, il se fait présenter plusieurs thèmes de controverses, mais s’en remet aux auditeurs pour faire leur choix, souvent aussi pour décider s’il doit parler pour ou contre. Après quoi, il se lève, se drape de son manteau et commence. Il a tout sous la main : dès qu’il se met à parler, les pensées, les plus imprévues lui viennent du coup, ainsi que les paroles, et quelles paroles choisies, exquises ! Quelle multiplicité de lectures et d’exercices de composition par écrit se trahit dans ces flots d’improvisation ! Son exorde est parfaitement approprié au sujet, sa réfutation acérée, son argumentation vigoureuse, la parure du discours le sublime du goût. Bref, il instruit, charme et saisit. Il use souvent de la forme dite enthymème, souvent aussi de syllogismes définis et arrêtés dans. la perfection. Ce qu’il a largement improvisé, il se reprend de temps en temps dans un résumé succinct, sans jamais se tromper d’un seul mot. Cette habileté consommée, il la doit à des exercices auxquels il a commencé de bonne heure à s’appliquer avec suite. En effet, jour et nuit, il ne fait que cela, n’écoute rien d’autre et ne parle pas autrement. Il a passé la soixantaine, mais il est toujours resté uniquement homme d’école[317]. Après ce compte rendu de Pline, on peut croire à la lettre ce que rapporte Philostrate de l’inimitié entre les deux sophistes Favorin et Polémon, entretenue par la circonstance que des consuls et des fils de consuls prenaient parti tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre, ou de l’admiration pour le sophiste Adrien, telle que chevaliers et sénateurs, même ceux qui ne savaient pas le grec, se pressaient à l’Athénée, pour l’entendre[318]. Les grands effets. de l’éloquence des sophistes, énergiquement appuyés des leçons de la chaire d’éloquence grecque à Rome, ne pouvaient rester sans influence, dans la partie instruite du monde romain, sur les tendances littéraires de la société, comme il appert assez clairement des faibles restes qui se sont conservés de la littérature latine de toute la partie du deuxième siècle postérieure au règne d’Adrien. Peut-être aussi ces restes sont-ils si chétifs, par la raison même que nombre de Romains s’étaient alors laissé entraîner, par le charme éblouissant de la nouvelle prose grecque, à écrire en grec plutôt qu’en latin. Chez Marc-Aurèle, le choix, de la première de ces d’eux langues a été déterminé, sans doute, par l’étude des œuvres originales de philosophes grecs ; mais que Favorin, natif d’Arles, et Claude Élien, qui était Romain, ou du moins Italien de Préneste, aient recherché gloire de briller, comme écrivains de style, non pas dans leur idiome naturel, mais dans la langue grecque, et qu’on les comptât effectivement parmi les sophistes grecs éminents, voilà bien un des symptômes les moins équivoques de l’influence des philosophes grecs sur les cercles littéraires du monde romain. Nous ne possédons de cette époque, en fait de prose latine, que les écrits de trois auteurs ; dont l’un, Aulu-Gelle, n’ayant eu l’ambition d’offrir qu’un recueil de variétés savantes et divertissantes, était un érudit, méritant à peine le nom de littérateur ; et cependant l’élégance étudiée qui y règne, particulièrement dans la narration, semble bien trahir l’imitation de modèles grecs contemporains ; c’est que son grand ami Hérode, cet homme célèbre pour les grâces de l’esprit et l’éloquence grecque, avait publié des recueils d’érudition semblables[319]. Le deuxième, Fronton, l’admirateur de Polémon[320], s’est essayé
dans plusieurs des formes dont les sophistes usaient pour faire parade de
leur art. Telles étaient, outre le conte mignard[321], surtout des
lettres écrites ou sous le nom de l’auteur même, ou sous les noms et dans le
caractère des personnes, des conditions et des classes les plus diverses. De
Fronton, nous avons aussi des lettres écrites en grec. Ses éloges de la
poussière, de la fumée et de la paresse sont aussi des essais dans la manière
paradoxale des sophistes, se complaisant à priser des choses nuisibles, viles
et sans utilité. Le troisième, Apulée, enfin, qui s’était, comme il dit
lui-même, approprié la culture hellénique, à Athènes, dans la plus large
mesure, a pris précisément pour tâche de sa vie entière de faire de l’art
dans la prose latine, comme les sophistes en faisaient dans la grecque[322]. L’alliance de
la philosophie avec l’éloquence ; à laquelle il doit principalement la haute
considération qu’il gagna, auprès de ses contemporains et de la postérité, se
rencontrait, assez souvent, aussi chez les sophistes grecs. Comme eux, il
voyageait de ville en ville, débitant des leçons préparées de longue main. Il
s’est même conservé de lui un recueil de morceaux de parade et de préambules,
travaillés avec le plus grand soin. Comme les sophistes, il tirait aussi
parti de son art en justice. Même son ouvrage capital, le roman de Si la tentative d’Apulée, de transplanter l’art des sophistes grecs sur le fonds de la littérature latine, est la preuve, la plus frappante de l’influence extraordinaire que le nouvel art grec ne laissait pas d’exercer sur le monde lettré en Occident aussi, tout l’œuvre de cet auteur montre, en même temps, combien. la domination de cette forme devait, nécessairement, préjudicier à l’importance que la poésie avait eue jusque-là. Personne rie niera, certes, qu’Apulée ne fût une nature heureusement douée pour la poésie, mieux douée, assurément, que la plupart des poètes postérieurs, à l’âge d’Auguste, dont les œuvres nous sont connues. Déjà le choix d’un conte populaire, tel que celui d’Amour et Psyché, pour sujet d’un de ses récits, et la prédilection avec laquelle il l’a traité, témoignent d’une certaine intelligence, probablement très rare à cette époque, de ce que valent même ces fleurs, sauvages de la poésie, que les grands horticulteurs du Parnasse et les admirateurs de ceux-ci affectaient d’ignorer, dans leur dédain superbe. Il est vrai qu’Apulée s’est, d’ailleurs, essayé également en vers, dans tous les genres de poésie, ayant fait, comme il dit lui-même[323], aussi des poèmes épiques, des poésies lyriques, des comédies et des tragédies, des satires et des énigmes ; mais sa gloire, pourtant, il ne l’a cherchée et trouvée que dans ses écrits en prose. Arrivant un siècle ou seulement un demi-siècle plus tôt, il aurait, très probablement, brillé comme poète. Mais, de même que la direction imprimée à l’époque antérieure avait eu assez d’empire pour attirer, vers les sentiers fleuris de la versification, même des pédants sans aucune verve, tels que Pline le Jeune, de même c’était maintenant l’art de la prose qui exerçait, sur le talent, une attraction irrésistible, et parvenait même à le détacher de la sphère où il s’était tant plu. Cela n’empêche pas, toutefois, qu’Apulée, dans le choix de ses sujets comme dans sa manière de les traiter, ne se soit toujours tenu le plus près possible de la poésie. Avec la renaissance de la culture antique, la poésie
latine du siècle d’Auguste et des époques suivantes regagna, dans le monde
moderne, autant d’estime et de faveur qu’elle en avait jamais eu dans
l’antiquité. Tandis qu’Homère, Pindare, Eschyle, Sophocle, Théocrite
restaient peu connus, pendant des siècles, et étaient encore moins compris,
on reconnaissait généralement, pour modèles suprêmes, Virgile, Horace, Ovide
et Juvénal. Avec la remise en honneur de la poésie latine et la restauration
de son influence sur l’éducation générale, reparurent toutefois aussi
beaucoup de phénomènes ayant leur raison dans le cas que faisait, de la
poésie ; le monde lettré de la période de l’antiquité romaine qui nous
occupe. Ce furent les humanités qui, tout d’abord, rétablirent la liaison intime
de la poésie avec la science et l’érudition. Dans ce nouvel ordre
d’enseignement aussi, l’étude de la poésie fut considérée comme l’élément le
plus important de la culture intellectuelle, ainsi que la virtuosité dans
l’expression et le maniement des formes poétiques, comme la plus fine fleur
d’une belle et noble éducation. En Allemagne, vers l’époque de |
[1] Tacite, Dialogue des orateurs, ch. XXX, etc.
[2] Ibidem, ch. XXXVII.
[3] Martial, II, 90, 2.
[4] Horace, Épîtres, II, 1, 126.
[5] Quintilien, I, 4, 1-4.
[6] Horace, Épîtres, II, 1, 128-131.
[7] I, 8, 5. — Pline le Jeune, Lettres, II, 14, 2.
[8] Ovide, Tristes, II, 369.
[9] Stace, Silves, V, 3, 146-194.
[10] Lehrs, qu. ep., p. 14. — Aristide, I, p. 142 D. — Voir aussi Galien, éd. K, XVI, 566.
[11] Juvénal, VII, 227. Le scoliaste pourtant croit qu’il s’agissait d’exemplaires des œuvres de ces deux poètes.
[12] Suétone, Grammairiens illustres, 16.
[13] Horace, Satires, I, 10, 80-84.
[14] Tacite, Dialogue des orateurs, ch. XXVI. — Voir aussi Genthe, De vita Lucani, p. 82.
[15] Suétone, Vie de Lucain : Pœmata ejus etiam prælegi memini.
[16] Perse, Satires, I, 29, c. schol.
[17] Stace, Thébaïde, XII, 810, etc.
[18] Martial, I, 35 :
Versus scribere me parum severos,
Nec quos prælegat in schola magister,
Corneli, quereris, etc.
(Tu te plains, Cornélius, que j'écrive des vers trop lestes et qu'un maître d'école ne puisse les utiliser)
[19] Ibid., VIII, 3, 15.
[20] Quintilien, X, 1, 126 à 131.
[21] Quintilien, I, 8, 8.
[22] Vie d’Adrien, ch. XVI.
[23] Fronton, ad M. Cæsarem et invicem, I, 8, éd. Naber, p. 23.
[24] Voir Herz, Renaissance et rococo, 47, 67 (en allemand).
[25] Fronton, ad Marcum Antoninum de orationibus, éd. N., p. 155, etc. (écrit, suivant Naber, en l’an 162 après J.-C.).
[26] Aulu-Gelle, XII, 2.
[27] Ibidem, II, 22.
[28] Juvénal, VII, 82-86.
[29] Suétone, Vie de Lucain : Pœmata ejus prælegi memini.
[30] Histoire Auguste, Vie d’Ælius Verus, ch. V.
[31] XIX, 10, 13 : Tum Fronto ad grammaticum — audistine — Ennium tuum dixisse ; XX, 10, 2 : Tum ille (grammaticus) : si quid — ex Virgilio, Plauto, Ennio quærere habes, quæras licet.
[32] Fronton, De fer. Als., éd. N, p. 224.
[33] Homo in memoria nostra doctissimus, ou vir bonus et rerum litterarumque impense doctus, comme l’appelle Aulu-Gelle.
[34] Aulu-Gelle, XIX, 8, 3.
[35] Mommsen, I. R. N., 1137, Henzen, 5605. — Mommsen (Hermès, III, 465), arguant de raisons historiques, croit Bassulus à peu près contemporain de Trajan, tandis que Ritschl, jugeant d’après le style, le regarde comme appartenant au IIe siècle, peut-être même au IIIe.
[36] Aulu-Gelle, XVIII, 5, 7 : Quumque aliquot eorum qui aderant, quadrupes equus apud suum quisque grammaticum legisse se dicerent.
[37] Satiricon, c. CXVIII.
[38] Suétone, De gramm., 11 et 21.
[39] Stace, Silves, V, 3, 133-145, 195-208, 233-238.
[40] Ovide, Tristes, IV, 10, 19-28, 57, etc.
[41] Properce, V, 1, 133.
[42] Virgile, éd. Ribbeck (ed. minor.), Prolégomènes, p. XII.
[43] Genthe, De vita Lucani, p. 14, 37, 47, 50, etc., 71, etc.
[44] Tacite, Annales, XIII, 3.
[45] Vie de Lucius Verus, ch. II.
[46] Martial, I, 113.
[47] Quintilien, X, 1, 89.
[48] II, 5 (18-21).
[49] Fronton, éd. Naber, p. 17 et 34.
[50] Fronton, Ad Marcum Cæsarem, II, 13 ; III, 18, etc. (vers 141 et 143 après J.-C., suivant Naber).
[51] Ibidem, IV, 3, éd. Naber, p. 63.
[52] Voyez, pour ce qui suit, Quintilien, II, 4, et Suétone, De rhetoribus, c. 1.
[53] III, 12, éd. Keil.
[54] Perse, Satires, III, 44, etc.
[55] Il y a même des exemples de pareils thèmes de rhétorique traités en vers. Si l’on peut regarder les Épîtres d’Ovide comme des plaidoyers indirects (voir Teuffel, Histoire de la littérature romaine, p. 455, en allemand), telle poésie de l’Anthologie latine (éd. Riese, 198 : Verba Achillis in parthenone, cum verba Diomedis audisset) est bien un plaidoyer véritable, et telle autre (ibidem, 21) une controverse en vers, avec titres des parties dont elle se compose.
[56] Suétone, De rhetoribus, c. I.
[57] Quintilien, II, 10 ; V, 12.
[58] Bernhardy, Histoire de la littérature romaine, 60, 214 et 215 (en allemand).
[59] Pétrone, Satiricon, ch. III.
[60] G. A. Schmidt, Histoire de la liberté de la parole et des croyances au Ier siècle, p. 424, etc. (en allemand).
[61] Pétrone, Satiricon, ch. I.
[62] Juvénal, VII, 150, etc.
[63] Dion Cassius, LIX, 20 ; LXVII, 12.
[64] Pétrone, Satiricon, ch. I.
[65] Sénèque, Controverses, I, 6.
[66] Sénèque, Controverses, III, 9 ; X, 3 ; Calpurnius, Déclamations, 10 ; Quintilien, Déclamations, 330.
[67] Quintilien, Déclamations, 13.
[68] Ibidem, 257.
[69] Sénèque, Controverses, I, 2.
[70] Quintilien, Déclamations, 302 ; voir aussi 10 ; et Calpurnius, Déclamations, 50.
[71] Pétrone, Satiricon, ch. I ; Quintilien, Déclamations, 326, 384 :
[72] Quintilien, Déclamations, 12.
[73] Juvénal, VII, 169, etc. ; Sénèque, Controverses, VII, 4.
[74] Quintilien, Déclamations, 256 (furiosus trium filiorum pater).
[75] Calpurnius, Déclamations, 2.
[76] Sénèque, Controverses, X, 4.
[77] Quintilien, Inst., II, 10, 15 ; Juvénal, dans la satire précitée.
[78] M. Friedlænder désigne, dans ce livre de contes merveilleux et de légendes, le plus ancien du moyen âge chrétien, les thèmes suivants comme empruntés à Sénèque, dont le nom y est d’ailleurs expressément mentionné comme garantie au chapitre 134, à savoir ceux des chapitres 2, 3, 4, 6, 7, 14, 73, 90, 100 et 134 des Gesta, correspondant respectivement dans les Controverses, où ils ont été puisés, aux passages I, 2, 3, 5 ; II, 2, 4 ; VII, 4 ; III, 1 ; VI, 3 ; I, 4 et IV, 4.
[79] Quintilien, Déclamations, 10 ; Mathematicus, 4 ; Odii potio, 14, 15.
[80] Philostrate, Vies des sophistes, II, 27 ; éd. K., p. 270.
[81] Vie de Gordien, ch. III.
[82] Trente Tyrans, ch. IV.
[83] Philostrate, Vies des sophistes, II, 4 ; éd. K., p. 246. — Lucien, de saltat., 65. — Voir aussi G.-A. Schmidt, Histoire de la liberté de penser, 425 (en allem.).
[84] Pline le Jeune, Lettres, II, 3, 2.
[85] Aulu-Gelle, XIV, 2, 1.
[86] Quintilien, X, 1, 90.
[87] Controverses, I, 3 ; éd. Bursian, p. 19 à 21.
[88] Ibidem, II, 10 ; éd. Bursian, p. 136.
[89] Satiricon, c. CXVIII.
[90] Tacite, Dialogue des orateurs, ch. X : Ego vero omnem eloquentiam omnesque ejus partes sacras et venerabiles puto ; nec solum cothurnum vestrum aut heroici carminis sonum, sud lyricorum quoque jucunditatem et elegorum lascivias et iamborum amaritudinem et epigrammatum jusus et quamcunque aliam speciem eloquentia habeat anteponendam ceteris aliarum artium studiis credo (L'éloquence elle-même et tous les genres qu'elle embrasse sont pour moi sacrés et vénérables ; et ce n'est pas seulement le cothurne, objet de vos préférences, ni les accents de la muse héroïque, qui obtiennent mes respects ; la douceur de la lyre, les voluptueux caprices de l'élégie, l'amertume du vers satirique, les jeux de l'épigramme, toutes les formes en un mot que revêt l'art de bien dire, me paraissent le plus noble exercice d'un esprit élevé).
[91] H. Kretschmann, De latinitate L. Apuleji Madaurensis (Kœnigsberg, 1885), p. 17, etc.
[92] Suétone, Auguste, ch. LXXXVIII.
[93] Dion Cassius, LXXI, 5. — Exe. Vat., 106.
[94] Philostrate, Vies des sophistes, II, 10, p. 256.
[95] Aulu-Gelle, XVI, 5 : Pleraque surit vocabula, quibus volgo utimur, neque tamen liquido scimus, quid ea proprie ac vere significent, sed incompertam et volgariam traditionem rei non exploratæ secuti videmur magis dicere quod volumus, quam dicimus (au sujet du sens de vestibulum) [Il y a une infinité de mots dont nous faisons un fréquent usage, sans en connaître au juste la véritable signification ; nous conformant par cet usage que nous faisons de ces mots, à l'habitude que le vulgaire a de s'en servir, sans savoir mieux que nous ce qu'ils signifient : en sorte que nous paraissons plus dire ce que nous voulons, que nous ne le disons en effet].
[96] Ibid., XIV, 5 — Dispute entre deux grammairiens non pari in urbe Roma nominis sur le point de savoir si le vocatif d’egregius est egregie ou egregi.
[97] Ibid., I, 22 : Superesse (pour advocatum esse) dicitur non in compitis tantum et in plebe volgaria, sed in foro, in comitio, apud tribunalia (Superesse est en usage non seulement dans les carrefours, parmi le bas peuple, mais au forum, dans les comices, dans les tribunaux).
[98] Virgile, Énéide, VI, 848-854.
[99] Horace, Odes, II, 20.
[100] Ovide, Tristes, IV, 9, 19-24.
[101] Ibidem, 10, 128.
[102] Horace, Épîtres, I, 20, 11-13.
[103] Le même, Art poétique, 345.
[104] Ribbeck, Virgilii ed. minora, p. XXIII et XXIV.
[105] Pétrone, Satiricon, 39 et 68.
[106] Marquardt, Manuel, IV, 112.
[107] Burckhardt, Culture de
[108] Martial, XII, 67. — Pline le Jeune, Lettres, III, 7.
[109] Marquardt, III.
[110] Zangemeister, Inscr. Pompej. parietariæ (C. I. G., IV, ind. 259-261). Outre
Virgile, on y voit figurer Properce, Ovide et Lucrèce (I, 1) ; échos de
Tibulle, II, 6, 20 (n° 1837), sur lequel il faut voir aussi Lucien Muller, Tibulle, p. 63, etc. ; n°
[111] Grimm, Mélanges, I, 391, etc. (Discours sur Schiller.)
[112] Voir au livre VI
et au chapitre de
[113] Philostrate, Vies des sophistes, II, 10, p. 256.
[114] Du dilettantisme, 31, 425.
[115] Pétrone, Satiricon, ch. CXVIII.
[116] Tacite, Dialogue des orateurs, ch. II : Nam postero die quam Curiatius Maternus Catonem recitaverat, eum offendisse potentium animos diceretur, tamquam in eo tragœdiæ argumento sui oblitus tantum Catonem cogitasset (Curiatius Maternus avait lu publiquement sa tragédie de Caton, ouvrage où, s'oubliant lui-même pour ne songer qu'à son héros, il avait, disait-on, blessé les puissances), etc.
[117] Ibidem, ch. X : Illud... quod plerisque patrocinatur, tamquam minus obnoxium sit offendere pœtarum quam oratorum studium (L'opinion même et la renommée, seul objet de leur culte, et dont ils attendent, de leur propre aveu, l'unique salaire d'un pénible travail).
[118] Horace, Épîtres, II, 1, 107 à 117.
[119] Suétone, Tibère, ch. X.
[120] Pline le Jeune, Lettres, V, 3, 5.
[121] Perse, Satires, I, 51, etc.
[122] Histoire Auguste, Vie de L. Verus, ch. II.
[123] Martial, VIII, 70, 8 : Carmina docti Neronis.
[124] Tacite, Annales, XIV, 21.
[125] Genthe, De vita Lucani, p. 23, 73.
[126] Tacite, Annales, XVI, 29, etc. : Montanum.... quia protulerit ingenium, extorrem agi (Montanus... on l'exilait donc pour avoir montré du talent) ; voir aussi les remarques de Nipperdey.
[127] Ibidem, XIV, 52.
[128] Argon, I, 12. — Imhof, Domitien, 133, 5 (en allem.).
[129] Martial, V, 5 :
Ad Capitolini cœlestia carmina belli
Grande cothurnati pone Maronis opus.
(Mais à côté des vers immortels qui célèbrent la défense du Capitole, n'admets que l'épopée sublime du grand Virgile)
Céleste était synonyme d’impérial.
Voir aussi, pour l’épithète céleste, Fincke, De appellationibus Cæsarum honorificis, Kœnigsberg, 1867, p. 42. Quant aux Aratea ils ne peuvent, d’après Imhof, être de Domitien.
[130] Martial, V, 16, 18.
[131] Lettres, V, 3, 5.
[132] Martial, VIII, 70 ; IX, 26.
[133] Apulée, Apologie, p, 410 ; éd. Oudendorp.
[134] Histoire Auguste, Vie d’Ælius Verus, ch. V.
[135] Fronton, ad Marcum Cæsarem, II, 10, p. 34 ; éd. Naber.
[136] Histoire Auguste, Maxime et Balbin, 7 ; voir aussi Macrin, ch. XIV.
[137] History of the decline and fall of Roman Empire, ch. II, à la fin. — Nous ne saurions pourtant considérer comme une réfutation du jugement de Gibbon les considérations, très justes d’ailleurs, dans lesquelles entre ici M. L. Friedlænder. Elles nous semblent plutôt indirectement confirmer ce jugement. (Observation du traducteur.)
[138] Voyez, par exemple, vie d’Alexandre Sévère, ch. XXXIV.
[139] Marquardt, Manuel, V, 2, 404, etc. — Géraud, Sur les livres dans l’antiquité, p. 165, etc.
[140] Martial, I, 118, 67 ; XIII, 3. — Géraud (p. 180), de son côté, dit que les prix paraissent inférieurs à ceux qui ont cours aujourd’hui (c’est-à-dire en France).
[141] Géraud, p. 144, etc.
[142] Marquardt, Manuel, V, 1, 116, etc.
[143] Marquardt, Manuel, V, 2, 216, — Horace, Satires, I, 4, 21 : Beatus Fannius ultro Delatis capsis et imagine (Bienheureux Fannius qui offre libéralement ses coffrets avec son image)...
Odes, I, 1, 29 : Doctarum hederæ prœmia frontium (les lierres, ornement des doctes fronts). — Juvénal, VII, 29 : Ut dignus venias hederis et imagine macra (pour te faire digne du lierre et d'un maigre buste).
Perse, Prol., 5, avec les notes de Jahn.
[144] Gierig, Pline le Jeune, Lettres (1802), II, p. 538. Exc. 1. — Géraud, p. 186 à 194.
[145] Horace, Art poétique, 472 à 476. — Sénèque, Lettres, 95, 2. — Pétrone, Satiricon, 90, 91, 115. Martial, III, 144, etc. — Juvénal, III, 1, 9 ; I, 1, 18.
[146] Quintilien, XI, 3, 14 ; voir aussi I, 10 et 11.
[147] Pline le Jeune, Lettres, IX, 34.
[148] Perse, I, 15-18, 98 avec les notes de Jahn.
[149] Martial, VI, 41 ; IV, 41 ; voir aussi III, 18 et XIV, 142.
[150] Géraud, p. 190, 193. — Pline le Jeune, Lettres, II, 14.
[151] I, 13. — Lehrs, ouvrage déjà cité, p. 182.
[152] Pline le Jeune, Lettres, VI, 17.
[153] Suétone, Claude, ch. XLI.
[154] Le même, Néron, ch. X.
[155] Le même, Domitien, ch. II.
[156] Sidoine Apollinaire, II, 9 ; IX, 14.
[157] Histoire Auguste, Vie de Pertinax, ch. XI.
[158] Ibid., Vie d’Alexandre Sévère, ch. XXXIV.
[159] Krause, dans l’Encyclopédie de Stuttgart, art. Augastalia.
[160] Suétone, Claude, ch. XI.
[161] Dion Cassius, LX, 6.
[162] Stace, Silves, II, 2 ; 6 ; V, 3, 225 ; etc. (Chalcidicæ cerealia dona coronæ).
[163] Martial, IX, 35, 9
[164] M. Herz, De Scævo Memore pœta trag., Breslau (ind. I, Pâques, 1869).
[165] C. L. Visconti, Il sepolcro del fanciullo Q. Sulpicio Afassimo, Roma, 1871.
[166] Professores, V, 4 : Tu pæne ab ipsis orsus incunabulis Dei poeta nobilis sertum corouæ præferens Olympiæ Puer celebrasti Jovem (Tu sortais à peine du berceau, que tu te fis connaître : chantre d'un dieu, et le front couronné de la guirlande olympique, enfant, tu célébras Jupiter).
[167] Grégorovius, Histoire de
[168] Suétone, Domitien, ch. IV.
[169] Stace, Silves, III, 5, 28 ; IV, 2, 65 ; V, 3, 227. — Voir aussi, dans Martial (IX, 24), des vers adressés à un certain Carus, couronné à cette fête, lequel avait ceint de cette couronne le front d’un buste de Domitien :
Albanæ livere potest pia quercus olivæ,
Cinxerit invictum quod prior illa caput.
(Le chêne sacré peut désormais porter envie à l'olivier du mont Alban, puisque celui-ci a eu l'honneur de ceindre le premier le front invincible de César).
[170] Géraud, Sur les livres, p. 194 à 200. — Marquardt, Manuel, V, 2, 417.
[171] Juvénal, VII, 97, etc.
[172] Pline le Jeune, Lettres, III, 7 ; Martial, VII, 63, 11 :
Emeritos musis et Phœbo tradidit annos.
(il consacra aux Muses et à Phébus ses jours émérites).
[173] Ovide, Tristes, IV, 10, 21.
[174] Le même, Art d’aimer, III, 408, etc.
[175] Tacite, Dialogue des orateurs, ch. XII, etc.
[176] Ibidem, ch. IX, etc.
[177] Martial, I, 76 ; III, 38 ; V, 56 ; X, 76.
[178] Juvénal, VII,
36-97. — M. Friedlænder, frappé du manque de liaison et de l’espèce de
contradiction qui existe, entre ce tableau désespérant de la misère des poètes
et des gens de lettres, dans
[179] Jahn, ad Persium, I, 24.
[180] Pline le Jeune, Lettres, III, 21.
[181] Cicéron, Pro Archia, p. 9, 20, 11, 28, etc.
[182] Pline le Jeune, Panégyrique de Trajan, 54.
[183] Stace, Thébaïde, I, 17-33 ; Silves, IV, 4, 95 ; Achilléide, I, 19.
[184] Horace, Épîtres, II, 1, 226-228.
[185] Saturnales, II,
[186] Horace, l. c., 4.
[187] Virgile, éd. Ribbeck, p. XXX.
[188] Suétone, Vie d’Horace.
[189] Histoire Auguste, Vie d’Alexandre Sévère, ch. XXXV : poetæ panegyricos dicentes (Il aimait à écouter les poètes, non pas quand ils faisaient son panégyrique) ; Vie de Gallien, ch. XI : cum omnes poetæ græci latinique epithalamia dixissent, idque per dies plurimos (Tous les poètes grecs et latins avaient, plusieurs jours durant, déclamé leurs épithalames).
[190] Haupt, De carm. bucol. Calpurnii et Nemesiani (1854), p. 16-20. — Calpurnius, Églogues, I (94), IV et VII. — Voir aussi l’éloge en vers de Néron dans l’Anthologie latine, éd. Riese, II, 180, etc.
[191] Tacite, Annales, III, 40, etc. ; Dion Cassius, LVII, 20. — Suétone (Tibère, ch. XLII) ne saurait être cité pour ce fait.
[192] Sénèque, Lud., 12, 13, v. 56.
[193] Suétone, Vespasien, ch. XVII et suivants ; Tacite, Dialogue des orateurs, ch. IX.
[194] Suidas, Oppien. — Bernhardy, Histoire de la littérature grecque, II, 2, 659 (en allem.).
[195] Horace, Odes, II, 17, 29.
[196] Tacite, Annales, III, 30 ; XIV, 52, 54.
[197] Horace, Satires, I, 9, 23, etc.
[198] Ibidem, 48 à 52.
[199] Ibidem, I, 6, 50, etc. ; voir aussi I, 5, 40, etc.
[200] Le même, Épodes, I, 31, etc.
[201] Le même, Épîtres, I, 7.
[202] Suétone, Vie d’Horace.
[203] Becker, Manuel, I, 540, etc.
[204] Tibulle, IV, 1 à 8 ; 16, etc. 177, etc.
[205] Martial, IV, 40.
[206] Le même, X, 64 ; VII, 21 à 23.
[207] Le même, XII, 36, 8, etc. — Peut-être aussi Martial voulait-il nommer non Vibius, mais Passien Crispus, dont parle Sénèque (De beneficiis, I, 15, 5 ; Q. N., IV, præf. 6, epigr. 6).
[208] Martial, I, 101 (au sujet d’un esclave mort à l’âge de 19 ans) :
Illa manus quondam studiorum fida meorum
Et felix domino notaque Cæsaribus.
(De mes écrits longtemps le seul dépositaire,
Dont la main aux Césars n'était point étrangère)
Ces empereurs ne sauraient être, comme il semble, que Titus et Domitien, auxquels doit également s’appliquer, dans ce cas, la mention contenue dans cet autre distique (III, 95, 5) :
Præmia laudato tribuit mihi Cæsar uterque,
Natorumque dedit jura paterna trium.
(J'ai reçu des deux Césars des éloges et des
récompenses.
Le dernier m'a accordé les droits d'un père de trois enfants).
Même observation pour le passage analogue (IX, 97, 5) :
. . . . . . . . . .tribuit quod Cœsar uterque
Jus mihi natorum . . . . . . . . . .
(. . . il crève de jalousie de ce que deux Césars m'ont reconnu les droits d'un père de trois enfants).
Quant à la confirmation, le poète la sollicite lui-même de Domitien, dans le suivant (II, 91, 5) :
. . . . . . . . . . Permitte videri,
Natorum genitor credar ut esse trium.
(. . . Daigne accorder à ma prière
Les droits du Romain trois fois père)
[209] Le même, III, 95, 11.
[210] Le même, IX, 93.
[211] Le même, VI, 10.
[212] Imhof, Domitien, 138. — Martial, XI, 18.
[213] Martial, IV, 27 ; V, 6 ; VI, 64, 14 ; VII, 12.
[214] Le même, V, 15.
[215] Le même, VII, 44, etc. (Sénèque, Lettres, 87, 2) ; IX, 52, etc. ; X, 44 (au sujet d’un voyage d’Ovide, déjà vieux, dans l’île de Bretagne).
[216] Le même, VII, 93 ; voir aussi I, 105, IX, 98 ; XIII, 119.
[217] Le même, IV, 14 (peut-être la pièce de vers par laquelle il s’introduisit auprès de lui) ; VI, 64, 10 ; VII, 63 ; VIII, 66 ; IX, 86 ; XI, 48, etc.
[218] Le même, V, 28, 4.
[219] Le même, I, 12, 82, 111 ; II, 74, 93 ; IV, 16 ; V, 10, 63 ; VI, 38 ; VII, 16, 21 ; voir aussi V, 28, 6.
[220] Le même, I, 36 ; III, 20 ; IX, 51 (pour Lucain ; quant à Tullus, voyez Pline le jeune, Lettres, VIII, 18) ; voyez aussi V, 28, 3.
[221] Le même, IX, Præf. ; X, 96. — Henzen-Orelli, 6446.
[222] Martial, X, 19. — Mommsen, Renseignements biographiques sur Pline le Jeune (Hermès, III, 108, en allem.). Le Cécilius Secundus dont Martial parle ailleurs (VII, 84) est une autre personne, (Mommsen, p. 79, 1) ; mais le doctus Secundus du livre V (80, 7) est peut-être Pline, et le Sévère, chargé de présenter à celui-ci le livre sixième de Martial, peut-être le fils cadet de Silius.
[223] Martial, I, 7, 44 ; IV, 6 ; VII ; 11, 59 ; VI, 21, 47 ; VII, 14, 36 ; VIII, 78 ; IX, 42, 55, 89 ; X, 48, 5 ; XI, 52 ; XII, 3. 11 ; voir aussi Mommsen, p. 125.
[224] Le même, IX, 84 ; Orelli, 772 ; Encyclopédie de Stuttgart, V, 698, 6.
[225] Martial, VI, 64, 13 ; VII, 47.
[226] Le même, II, 69 ; IV, 54, 8 ; VI, 28, etc. ; VIII, 38 ; Stace, Silves, III, 3, 1.
[227] Stace, Silves, III, préface.
[228] Ibidem, III, 2, 61, etc.
[229] Ibidem, V, 2, 160.
[230] Mentionnons encore, pour compléter la liste des patrons et amis de Stace, les sénateurs Plotius Grypus, Victorius Marcellus, connu comme ami de Quintilien, Manilius Vopiscus, propriétaire de la magnifique villa tiburtine (Silves, 1, 3), le jeune et riche Flavius Ursus, le chevalier Junius Maximus, Nonius Vindex, Pollius Félix, riche particulier de Pouzzoles, retiré dans sa villa, près de Sorrente, Polla, sa femme, et le Napolitain Jules Ménécrate, son gendre.
[231] Silves, IV, 5.
[232] Ibidem, III, 5, 12.
[233] Martial, I, 105 ; VII, 73 ; X, 44.
[234] Le même, XII, 57 ; X, 58, 9 ; XIII, 15 ; X ; 48, 9 ; 94, 4 ; VII ; 91 ; XIII, 42.
[235] Le même, VI, 43, 4 ; VII, 36.
[236] Le même, II, 38 ; VI, 43 ; XII, 57.
[237] Le même, VIII, 61 ; IX, 97.
[238] Le même, X, 58, 10.
[239] Le même, XII, 18. Don d’une propriété que lui fit Marcella (XII, 21 et 31).
[240] Le même, I, 107 ; V, 16 ; VIII, 56, 73 ; XI ; 13, 108.
[241] Le même, VI, 82 ; VII, 36 ; voir aussi VIII, 28 ; IX, 49 ; X, 73 ; VII, 16 :
Æra domi non sunt : superest hoc, Regule,
solum,
Ut tua vendamus munera : num quid emis ?
(Chez moi, pas une obole ; je n'ai plus, Regulus, qu'à vendre les présents que tu m'as faits : ne veux-tu pas les acheter ?)
[242] Pline le Jeune, Lettres, III, 21.
[243] Martial, XI, 42.
[244] Le même, V, 16 :
Seria cura possim, quod delectantia malo
Scribere, tu causa es, lector amice, mihi,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . .
At nunc conviva est comissatorque libellus.
(Je pourrais écrire des choses sérieuses ; mais si je préfère celles qui amusent, c'est ta faute, ami lecteur. . . . . Mais mon livre n'est qu'un joyeux convive, un commensal aimable).
[245] Stace, Silves, II, 1, 30, etc. ; V, 5, 38. — Épithalame pour Stella, I, 2 (Martial, VI, 21). — Poésies célébrant la naissance d’un fils : IV, 7 et 8, pour Maxime Junius et Jules Ménécrate. — Consolations : II, 1 (Glaucias Atedii Melioris, dans Martial, VI, 28, etc.) ; III, 3 (Lacrimæ Claudii Etrusci, dans Martial, VII, 40) ; II, 6 (Consolationes ad Flavium Ursum de amissione pueri delicati) et V, 1 (Abascanti in Priscillam pietas).
[246] Ibidem, II, 4 et 5.
[247] Ibidem, I, 4 ; IV, 11 et III, 2.
[248] Ibidem, I, 6 (Kalendæ Decembres).
[249] Ibidem, IV, 3 (Via Domitiana).
[250] Ibidem, I, 1 et I præf.
[251] Ibidem, I, 3 (Villa Tiburtina Manlii Vopisci) ; I, 5 (Balneum Claudii Etrusci, dans Martial, VI, 42) ; II, 2 (Villa Surrentina Pollii Felicis) ; II, 3 (Arbor Atedii Melioris) ; III, 1 (Hercules Surrentinus Pollii Felicis) ; IV, 6 (Hercules Epitrapezios Nonii Vindicis, dans Martial, IX, 43, etc.).
[252] Ibidem, IV, 4 (Epistola ad Victor. Marcellum) ; 5 (Carmen lyricum ad Septimium Severum) ; V, 2 (Protrepticon ad Crispinum).
[253] Histoire Auguste, Vie de Gallien, ch. XI.
[254] Stace, Silves, I, 2, 248, etc. — Dans Lucien (Lapithes, 21) un stoïcien, empêché de paraître à un repas de noce, y envoie un écrit avec prière d’en faire la lecture aux convives ; après quoi l’un des assistants, un grammairien, lit à son tour un ridicule épithalame, dans le genre élégiaque.
[255] Genethliacon Lucani : Stace, Silves, II, 7, et Martial, VII, 21 à 23 ; Capilli Flavii Rarini : Silves, III, 4, et M., IX, 11 à 13, 16 et 36.
[256] Martial, IV, 9,
où, comme dans un autre passage (V, 53), il se pouvait bien cependant que le
poète eût également en vue la tragédie ; puis VIII, 3, IX, 50, X, 4. — Voir
aussi XIV, 1. — Ces épigrammes appartiennent à la période de 88 à 97.
[257] Stace, Silves, præf., II et IV ; Thébaïde, XII, 819.
[258] Martial, I, 3.
[259] Le même, XI, 20.
[260] Le même, VIII, 69, à Regulus, qui probablement s’en plaignait aussi, et V, 10.
[261] Le même, IX, 97, VIII, 6, VI, 61.
[262] Le même, I, 29, 38, 52, 53, 66, 72 — Voir aussi XII, 63.
[263] Le même, VII, 12, 72 ; X, 3, 5, 33.
[264] Voir aussi I, præfamen.
[265] Martial, III, 20 ; IV, 61.
[266] Note chronologique sur la composition des Épigrammes de Martial et des Silves de Stace. — Voici l’ordre des dates que M. Friedlænder, se fondant sur ses propres investigations, ainsi que sur celles de Stobbe, de Mommsen et de Hirschfeld, pour Martial, croit pouvoir admettre dans la publication des différentes parties de ces deux recueils
Le livre le plus ancien de Martial parait être celui des Spectacles, que Borghesi (Œuvres, III, 382) rapporte aux spectacles donnés en l’an 80 par Titus, pour l’inauguration de son amphithéâtre ; cependant, il contient aussi des épigrammes du règne de Domitien, probablement introduites dans une édition postérieure. Les livres XIII et XIV des Épigrammes suivirent en décembre 84 ou 85, les livres I et II du même recueil en 86, et le livre III en 87. Le livre IV paraît avoir été publié pour l’anniversaire du jour de la naissance de Domitien (24 octobre) en 88 ; le livre V en automne 89, le livre VI en été ou en automne 90, VII en décembre 92, VIII vers le milieu de 93, et IX en été 94 ; une première édition (perdue) du livre X en 95 et le livre XI en 96, l’un et l’autre au mois de décembre, pour les Saturnales. Une anthologie de ces deux derniers, pour l’empereur Nerva, parut en 97, la nouvelle édition du livre X pour le public (celle que nous possédons), vers le milieu de l’année suivante, après l’avènement de Trajan. Le livre XII n’a été publié que vers la fin de 101 ou au commencement de 102, après que Martial eut quitté Rome, et peu de temps avant sa mort. Une partie des épigrammes qu’il contient ont été composées en Espagne.
Quant aux Silves
(Mélanges ou poésies diverses) de
Stace, le livre I, composé avant la fin de 89, ne parut qu’à la fin de 94 ; le
livre II, écrit entre la fin de 89 et l’automne de 90, qu’en l’an 92 ou 93,
c’est-à-dire, probablement, vers la même époque que la fin de
[267] Juvénal, I, 1, etc.
[268] Martial, III, 20, 5 :
An æmulatur improbi jocos Phædri ?
Lascivus elegis, an severus herois ?
An in cothurnis horridus Sophocleis ?
(De Phèdre nous rend-il la mordante gaîté
Et sa naïveté caustique,
La douceur de Tibulle, ou du genre héroïque
La grave et noble austérité ?)
Voyez aussi, sur le même poète, I, 61, et III, 64.
[269] Stace, Silves, I, 3, 100, etc.
[270] Ibidem, II, 114, etc.
[271] Pline le Jeune, Lettres, VI, 21 (Virgilius Romanus).
[272] Martial, IV, 23.
[273] Pline le Jeune, Lettres, IV, 3.
[274] Ibidem, VIII, 4.
[275] IX, 1, 94 : Sunt et clari hodie, et qui olim nominabuntur ; 96 : (Cæsium Bassum) longe præcedunt ingenia viventium.
[276] Ibidem, 98 : eorum quos viderim longe princeps.
[277] Stace, Silves, IV, 5, 60.
[278] Pline le Jeune, Lettres, IX, 22, 2.
[279] Art poétique, 15.
[280] Satires, I, 7, etc.
[281] Lucilius, l’Etna, 8, etc.
[282] Cynég., 12 à 47.
[283] Stace, Silves, IV, 6 ; 100, etc.
[284] Martial, XI, 52, 7.
[285] Cornélius Népos, Vie des grands capitaines, Atticus, 18, 5 : Attigit quoque poeticam : credimus ne expers esset ejus suavitatis (Atticus toucha aussi à la poésie, pour se mettre en état, à ce que nous croyons, de mieux sentir la douceur de cet art).
[286] Pline le Jeune, Lettres, III, 7.
[287] Stace, Thébaïde, III, 816, etc.
[288] Pline le Jeune, Lettres, IX, 22 ; voir aussi VI, 15.
[289] Ibidem, IV, 14, 9 : Proinde sive epigrammata, sive idyllia, sive eclogas, sive ut multi poematia.... vocare maluerint (Vous pouvez donc les appeler épigrammes, idylles, églogues, ou, comme beaucoup le font, poèmes, ou de quelqu'autre nom que vous préférerez). — Du poète amateur, qui ne recule devant aucun genre, Martial (II, 7, 3) dit : Componis, belle mimos, epigrammata belle (Faut-il faire un joli couplet, filer une scène comique, aiguiser un trait satirique, broder un conte ? c'est son fait). On cite, comme épigrammatistes, Cosconius, dont les vers n’avaient rien d’obscène (Martial, III, 69) et Cyrénius (VIII, 15), ainsi qu’Arrius Antonin (Pline le Jeune, Lettres, IV, 3, 18, et V, 15), déjà mentionné comme auteur d’épigrammes et d’iambes grecs. Sentius Augurin faisait des riens poétiques (poematia), dans le genre de Catulle (Pline le Jeune, Lettres, IV, 27 ; IX, 8). Les poésies de Proculus (Ibidem, III, 15) et de Faustin (Martial, I, 25) appartenaient aussi à ces menus genres, dits libelli.
[290] Martial, IV, 14.
[291] Le même, I, 109. — Hermès, I, 1, 68.
[292] Martial, XII, 44.
[293] Pline le Jeune, Lettres, I, 16.
[294] Ibidem, IV, 27 ; IX, 8.
[295] Mommsen, Hermès, III, 105, etc.
[296] Pline le Jeune, Lettres, VII, 4.
[297] Ibidem, VIII, 21.
[298] Mommsen, l. c., 106, 3.
[299] Pline le Jeune, Lettres, V, 17.
[300] Stace, Silves, I, 4, 29, etc.
[301] Lettres, III, 1. — Mommsen, p. 39, etc.
[302] Pline le Jeune, Lettres, I, 17 ; VIII, 12.
[303] Martial, XII, 11.
[304] Pétrone, Satiricon, ch. 34, 41, 55.
[305] Témoin Martial, II, 20 :
Carmina Paulus emit : recitat sua carmina
Paulus,
Nam quod emas possis jure vocare tuum.
(Si Paul se fait honneur des ouvrages d'autrui,
A-t-il tort ? il les paie ; ils sont donc bien à lui).
Ainsi que XII, 46 :
Vendunt carmina Gallus et Lupercus :
Sanos, Classice, nunc nega poetas.
(Les vers de Gallus et de Lupercus se vendent.
Après cela, Classicus, viens nous dire que ces poètes n'ont pas le sens commun !)
Voir, en outre I, 29, 66 ; XII, 63 ; VII, 77.
[306] Or., XXVII, p. 354 Jebb ; éd. Dindorf, I, 542.
[307] Philostrate, Vies des sophistes, I, 25, 7.
[308] Ibidem, I, 25, c.
[309] Lehrs, Écrits populaires, p. 186, etc.
[310] Aulu-Gelle, XVII, 20, 1 : Taurus mihi : Heus, inquit, tu rhetorisce... sic enim me in principio recens in diatriben acceptum appellitabat, existimans eloquentiæ unius extundendæ gratia Athenas venisse.
[311] Vies des sophistes, II, 8, éd. K., p. 251, etc. ; II, 10, p. 256 ; II, 13, p. 258 ; II, 16, p. 200 ; II, 33, p. 274.
[312] Histoire Auguste, Vita M. Antonini, c. II ; Verus, c. II (Hérode Atticus) ; Philostrate, Vies des sophistes, II, 24, 2 (Antipater).
[313] Vie d’Adrien, ch. XVI. — Philostrate, Vies des sophistes, I, 8 ; I, 22, 3.
[314] Philostrate, Vies des sophistes, I, 24, 3.
[315] Ibidem, II, 9, 2.
[316] Juvénal, III, 74.
[317] Pline le Jeune, Lettres, II, 3 ; Lehrs, Écrits popul., 184, etc.
[318] Philostrate, Vies des sophistes, I, 8 ; II, 10, 5.
[319] Aulu-Gelle, IX, 2, 1. — Keil, Atticus, dans l’Encyclopédie de Stuttgart, I, 2100.
Note biographique sur Aulu-Gelle. — Voici, d’après M. Friedlænder, le cours probable de la vie, assez peu connue, de cet écrivain. Aulu-Gelle paraît avoir vu le jour vers la fin du règne d’Adrien, entre les années 130 et 134 environ. Il prit la toge virile dès l’âge de 15 à 17 ans, eut à Rome des leçons des rhéteurs Antoine Julien et T. Castricius, ainsi que du grammairien Sulpice Apollinaire, auquel il s’attacha à l’âge de 17 ou 18 ans, et dont il resta l’élève pendant environ sept ans. Dans le grand nombre de personnes mentionnées dans ses écrits, à des titres divers, on voit encore figurer Erucius Clarus, qui fut deux fois consul et préfet de la ville après 146 ; Fronton et le poète Annien, comme plus tard aussi le docte, Jules Paul. A l’âge de 25 ans, Aulu-Gelle, nommé juge à Rome (judex extra ordinem), se tourna vers la jurisprudence. Vers la même époque, il se lia avec le sophiste Favorin, pendant que l’école de Sulpice Apollinaire, à la mort de celui-ci, passait sous la direction de son élève Pertinax, le même qui, n’ayant pas tardé à quitter l’enseignement pour la carrière militaire, fut ultérieurement porté par celle-ci à l’empire. Le voyage d’Aulu-Gelle en Grèce paraît devoir être placé entre les années 160 et 164, sous le règne de Marc-Aurèle et Lucius Verus (duo Auqusti). A Athènes, où il fut recommandé à Hérode Atticus, il vit encore le fameux Pérégrinus Protée, qui se brûla solennellement, par ostentation, aux jeux Olympiques de l’année 165, et prit des leçons du platonicien Calvisius Taurus de Béryte. Il recueillit, sans doute pendant ce séjour, beaucoup de matériaux pour son recueil intitulé Nuits attiques. Cependant, il est probable que cet ouvrage fut composé non pas en Grèce, mais à Rome ou dans les environs de cette capitale, à Préneste, où l’auteur avait une propriété, et que celui-ci ne le termina qu’à un âge plus avancé, en aucun cas avant l’an 175 de notre ère, sur la fin du règne de Marc-Aurèle, sous Commode, ou peut-être même seulement sous Pertinax. On sait, par sa préface, qu’il s’était marié et avait des enfants ; mais l’époque de sa mort est incertaine. — On peut voir, sur lui, l’article Gellius de Bæhr, dans la grande Encyclopédie allemande d’Ersch et Gruber.
[320] Fronton, Ep. ad Marcum Cæsarem, II, 10 (Polemonis fui quoniam meministi). — Voyez aussi la lettre de Verus, II, 5, éd. N.
[321] Fronton, De fer., Als., p. 228 et 236 ; éd. N. (Arion).
[322] Selon la remarque fort juste de Kretschmann, De latinitate Apuleji, p. 7.
[323] Florides, I, 9, 37.
[324] Strauss, Ulrich de Hutten, I, 49, etc. (en allemand).
[325] Par le fait, ce qui précède s’applique particulièrement à l’Allemagne et concerne la période de Lessing, Gœthe et Winckelmann.