MŒURS ROMAINES

 

LIVRE IX — LES BEAUX-ARTS DANS L’EMPIRE ROMAIN.

CHAPITRE VI — La Musique.

 

 

Comme tout peuple suffisamment avancé dans son organisation, les Romains ont eu, eux aussi, leur musique et leur chant propres, depuis les temps les plus anciens ; mais leurs modestes instruments, leurs mélodies très simples sans doute, furent réduits au silence, dans les temples comme sur la scène, par la richesse de sons plus grande et l’art supérieur de la musique grecque. Vis-à-vis de cet art, introduit du dehors et très avancé dans son développement, l’art indigène ne put se maintenir. Ce fut en vain que le vieux parti romain, dont l’esprit exclusif était hostile à tout ce qui venait de l’étranger, réussit encore, en l’an 115 avant Jésus-Christ, à faire défendre l’usage de tous. Les instruments de musique autres que la flûte italienne, flûte courte, percée de quelques trous seulement[1]. De musique romaine, dans le sens plus élevé d’un art proprement dit, il n’y en a jamais eu, mais seulement une musique grecque, transplantée sur le sol romain.

L’art que les Romains reçurent des Grecs différait essentiellement de la musique moderne, dont il n’eut jamais l’importance, par la raison déjà qu’il était beaucoup moins indépendant, et qu’il était complètement subordonné à la poésie, avec laquelle il vivait dans une communion bien plus intime et plus générale que de nos jours. Le débit en musique était, pour la plupart des genres de la poésie antique, un des éléments nécessaires, indispensables même de la forme artistique, même pour les genres qui, d’après les idées reçues de nos jours, se trouvent entièrement exclus du domaine de la composition musicale[2]. Il est notoire que la tragédie et la comédie antiques ressemblaient beaucoup plus à notre opéra et. à notre vaudeville, qu’à celles de nos pièces de théâtre où l’on ne fait que parler. Le drame romain, outre les parties réservées à la parole, comprenait des scènes de chant, des airs (cantica) et des récitatifs avec accompagnement de musique (deverbia)[3].

Toute la poésie lyrique n’était faite qu’en vue d’être mise en musique et débitée avec l’accompagnement d’instruments à cordes : ce n’étaient même, au fond, que des chants pour la lyre[4], des chants choraux surtout, parait-il, car on visait, autant que possible, à l’exécution chorale[5]. Cela ne s’applique pas seulement aux odes des lyriques grecs, comme Anacréon, Sapho, Alcée, chantées souvent, selon toute apparence, au temps de l’empire romain[6] ; mais aussi à celles d’Horace, odes que ce poète appelle lui-même des vers destinés à se marier aux cordes[7] ; et, comme cette destination pour le chant, accompagné du jeu des instruments, n’est pas douteuse, nous pouvons admettre aussi, même à défaut de témoignages positifs du fait, qu’on les chantait effectivement[8].

Or, si l’on chantait aussi des hendécasyllabes, comme ceux de Pline le Jeune[9], avec accompagnement de la lyre et de la cithare, il est permis de croire que l’on devait user de même des hendécasyllabes de Catulle[10]. Aulu-Gelle[11] décrit un festin donné à la campagne, près de Rome, par un jeune homme riche, natif de l’Asie Mineure et grand amateur de musique. Il y avait là d’excellents chœurs, à lui appartenant, de jeunes garçons et de jeunes filles, qui chantèrent après table, en s’accompagnant de la cithare, avec l’expression la plus suave, nombre de poésies d’Anacréon et de Sapho, ainsi que de gracieuses élégies d’amour de poètes modernes. Si donc on chantait aussi, réellement, des distiques élégiaques, le débit, au même banquet ; par le rhéteur Julien, de distiques des anciens poètes romains Valérius Édituus, Porcius Licinus et Q. Catulus, paraît également devoir être interprété comme un chant véritable, à cela près que le chant antique, étant essentiellement un récitatif, se rapprochait plus ou moins de la déclamation,. de sorte que les verbes chanter et dire pouvaient être alternativement et indifféremment employés à le qualifier[12]. L’affirmation positive que les idylles de Virgile étaient débitées au théâtre par des chanteurs[13], ne saurait, après tout, être entendue que dans le sens littéral. Ce chant était souvent accompagné de gestes rythmiques[14], de sorte que la représentation de ces pièces de vers tenait du ballet autant que de l’opéra. Ovide fut réjoui dans son exil par la nouvelle que ses pièces de vers étaient souvent dansées et applaudies au théâtre[15]. Bien que nous ne sachions rien de positif sur ce mode de représentation, il y a fortement lieu de supposer, d’après l’analogie des pantomimes, que le texte des Héroïdes, par exemple, pouvait bien être chanté par un chœur, pendant qu’un danseur en mettait le sujet en action, à la manière des pantomimes. Quand il est question de chant au sujet des poèmes épiques d’Homère et de Virgile[16], il s’agit probablement aussi d’un chant véritable qui devait, il est vrai, dans ce cas, se rapprocher bien plut de la récitation que celui des poésies d’un autre genre.

La poésie était du reste, au moyen âge encore, dans la communion la plus intime avec la musique. La séparation entre le chant et la simple diction, la distinction entre l’exécution musicale et la récitation des poésies, ne s’établirent que peu à peu. Le chant et la musique instrumentale allaient ordinairement de concert, et le poète de l’époque du grand patronage des cours d’amour était tenu de trouver non seulement les paroles, mais aussi la mélodie de l’air qu’il accompagnait sur la harpe, la viole ou la guitare, qui tient le milieu entre ces deux instruments à cordes[17].

L’extension de la diction musicale, à presque toutes les formes de la poésie, dans l’antiquité, suppose entre la musique et le texte des rapports tout différents de ceux qui existent maintenant. Tandis que, dans la composition lyrique actuelle, le texte demeure absolument subordonné à la musique, c’était précisément l’inverse dans la musique de l’antiquité. Vis-à-vis du texte d’une poésie, la mélodie n’avait qu’une importance secondaire, comme le rythme et la mesure des vers ; elle n’était, comme ceux-ci, qu’un élément formel de la composition, ce en quoi il ne faut cependant pas perdre de vue que la forme avait, dans l’art antique, une tout autre valeur que dans l’art moderne. Ainsi, même dans la musique vocale, qui seule arriva, dès l’antiquité, à un riche et vigoureux développement, la mélodie n’eut point de, vie propre ; elle ne valait que par la fidélité religieuse de son appropriation au texte, la vérité et la convenance de la déclamation ; elle ne peut, on le répète, guère avoir été, au fond, plus qu’un récitatif[18]. Bien qu’elle fût destinée, sans doute, à produire, dans l’âme des auditeurs, la disposition nécessaire pour une complète intelligence du texte, elle ne pouvait, cependant, jamais oser prétendre à se faire valoir jusqu’au point de détourner leur esprit du sujet poétique. Il est vrai que depuis la fin du cinquième siècle, la musique avait commencé à s’émanciper du joug de cette, dépendance, mais il n’en est pas moins certain que cette nouvelle évolution de son développement, dans laquelle les connaisseurs de musique les plus éprouvés, parmi les Grecs, voyaient une décadence, n’avait encore rien produit, alors, qui approchât des résultats auxquels l’art musical doit la conquête de la parfaite indépendance où il se maintient, de nos jours, dans la composition des textes poétiques[19].

Le système de tonalité des Grecs avait une étendue beaucoup moindre que le nôtre, dont les tons les plus hauts et les plus bas lui manquaient pareillement[20]. L’étendue de deux octaves était regardée comme le maximum de la mesure admissible pour le déploiement du chant vocal, qui aimait mieux toutefois ne se mouvoir que dans les limites d’une seule octave[21]. Indépendamment du solo, l’antiquité ne connaissait que le chant choral ; mais ce dernier ne différait, alors, du précédent qu’en ce qu’on y renforçait l’expression de la mélodie d’un plus grand nombre de voix ; car toutes les parties en étaient à l’unisson, et l’accord de voix multiples, dans le chant, était totalement ,inconnu aux anciens, tout comme l’harmonie l’est encore, de nos jours, aux Grecs[22] et aux Orientaux en général ; on n’y est arrivé qu’au moyen âge chrétien.

Il n’y avait, dans le chœur antique, qu’une différence d’octave, quand des hommes et de jeunes garçons, ou des hommes et des femmes, chantaient, ensemble[23]. Le chœur était dirigé par un coryphée, placé au milieu, qui y remplissait certainement toujours aussi l’office de premier chanteur, et auquel il incombait, surtout, de maintenir tous ses camarades en mesure et d’accord[24]. Mais s’il ne peut y avoir de doute sur le manque, dans le chant des anciens, de ce que nous appelons l’harmonie, on ne saurait trancher la question de savoir si l’antiquité ignorait absolument l’harmonie, ou si, la connaissant, elle ne l’employait que dans l’accompagnement instrumental, comme Westphal (p. 110, etc.) croit pouvoir l’affirmer. Dans la musique instrumentale, le centre de gravité ne résidait pas dans le concert de plusieurs instruments, mais dans le solo, c’est-à-dire dans l’effet d’un instrument en particulier, dans la virtuosité de l’artiste qui en jouait. Cela prouve assez que tout ce genre de musique n’avait qu’un développement chétif[25]. De même, la simplicité, ou plutôt l’exiguïté des moyens dont on disposait pour l’instrumentation, fait parfaitement comprendre combien cette musique était et devait rester subordonnée au chant. Car elle se bornait, au fond, à l’usage de deux instruments, la cithare et la flûte, tous les autres se trouvant en dehors du domaine de l’art proprement dit, comme les cors et la trompette (tuba), réservés pour la musique de combat, ou les cymbales, les timbales et les autres instruments de tapage, principalement employés dans les fêtes, de Bacchus. Quant à l’orgue hydraulique, instrument de luxe inventé, plus tard, il paraît qu’on lui avait pourtant déjà accordé, du temps de l’empire romain, une place parmi les instruments que, l’art ne désavouait pas ; aussi fut-il admis à concourir pour les prix, dans les grands concours de musique. La preuve qu’on le regardait comme un instrument très expressif, se trouve dans le témoignage de Quintilien[26], qui reconnaît aux sons de cet orgue la puissance de remuer diversement, de mettre en excitation et de calmer, tour à tour, l’âme de l’auditeur.

Parmi les flûtes, la double flûte, non l’instrument perfectionné, mais une flûte plus ancienne et plus grossière, marquait la transition de la flûte de Pan ou syringe, formée de tuyaux multiples, à la flûte simple[27]. Celle-ci, le véritable instrument des artistes et des virtuoses, n’était, comme on le sait, pas une flûte traversière, mais une flûte longue, et semblerait avoir eu le plus d’analogie avec la clarinette et le hautbois[28]. Le fait est qu’elle différait essentiellement de nos flûtes. Le son n’en était pas doux et suave, ni, par conséquent, fait pour exprimer la compassion et la tendresse ; il paraîtrait avoir été plutôt, d’après les rapports du temps, vif et passionné, sauvage et provoquant ; cependant il faut, pour bien juger de cette description, ne pas perdre de vue qu’elle doit se ressentir de l’impression du contraste avec le son mat des instruments à cordes de l’antiquité[29]. Ceux-ci, la lyre et la cithare, formes sœurs et, partant aussi, souvent identifiées d’un même genre, étaient des instruments semblables à la harpe, sans planche à touches, avec des cordes de boyaux ou de nerfs d’animaux, l’antiquité ne connaissant pas les cordes métalliques. Le nombre des cordes y fut, graduellement, porté d’abord jusqu’à douze, puis élevé jusqu’à dix-huit. En outre, une multitude d’instruments à cordes asiatiques, tous, comme il paraît, plus ou moins semblables au psaltérion des Assyriens et des Hébreux, avaient trouvé accès en Grèce. Ils étaient tendus d’un plus grand nombre de cordes, mais dont plusieurs étaient à l’unisson, ou accordées en octaves : ainsi la magadis rendait dix sons avec vingt cordes, et l’épigonion, avec quarante cordes, n’était qu’une magadis doublée. Aucun de ces instruments n’atteignit à l’importance des lyres. Celles-ci, et les anciens en avaient de toutes les grandeurs, étaient, dans la musique grecque, ce que sont, dans la nôtre, les instruments de la famille des violons, dominant de même, dans toutes les gradations de taille, l’échelle entière des sons, depuis les dernières profondeurs de la basse, jusqu’à la suprême élévation du soprane. On jouait de la lyre, soit avec les mains, soit au moyen d’une petite verge de bois ou d’ivoire, terminée par un crochet et appelée plectre. L’art de faire vibrer les cordes avec l’archet, invention des Arabes, était complètement inconnu, dans l’antiquité[30]. Or, à lyre et la cithare, de la puissance de son et d’expression desquelles nous ne saurions, d’après nos idées actuelles, concevoir qu’une très médiocre idée, ont occupé, sans nul contredit, le premier rang dans la musique instrumentale des Grecs. La cithare était aussi en plus haute estime que la flûte, comme étant d’un jeu plus difficile que celle-ci. C’était vers la cithare que se tournaient principalement les virtuoses[31]. Il était difficile, comme pour le chant, d’y acquérir de l’habileté, malgré l’état limité des moyens techniques ; aussi une exécution parfaite trouvait-elle d’autant plus d’admirateurs. On disait, pour faire honneur au talent des citharèdes les plus distingués, que leurs doigts savaient parcourir éloquemment les cordes, et y faire, en quelque sorte, vibrer le son de la voix humaine[32]. On faisait aussi jouer, de concert, la cithare et la flûte, ou pour elles seules, ou comme moyen d’accompagnement du chant. Cet accompagnement polyphone pouvait, d’ailleurs, s’effectuer encore au moyen ou de plusieurs instruments à vent, ou de plusieurs instruments à cordes, soit d’une combinaison des uns et des autres[33]. On peut admettre aussi, avec Jahn, que les instruments de ces deux classes alternaient, parfois, dans l’accompagnement, les uns avec les autres[34]. Chez les Romains, la flûte, jouée seule, accompagnait surtout le chant dramatique ; la cithare, le chant non dramatique, notamment les chœurs lyriques[35]. Généralement, il était reconnu que le chant de l’espèce qui convenait à la cithare, ne pouvait convenir à la flûte[36]. Quant à l’association d’instruments du même genre, pour un jeu particulier, la musique grecque ancienne la pratiquait déjà : il y avait ainsi, par exemple, une musique de noce pour deux flûtes, une grande et une petite, lesquelles devaient, par leur jeu concordant, exprimer, tout à la fois, l’harmonie qui doit régner dans le mariage, et la prééminence que doit avoir le mari[37].

Il n’est guère besoin de faire observer combien était grande la distance de,ce concerto de flûte et de cithare à notre orchestre, et de la musique instrumentale de l’antiquité à la symphonie moderne. On est aussi, tout de suite, frappé d’une particularité qui résulte, pour l’art antique, de sa tendance purement idéaliste, et qui n’est pas ce qui le distingue le moins de l’art moderne : nous voulons parler de la sobriété extrême dans les moyens employés par le premier, pour arriver à produire ses effets. Mais c’est aussi dans leurs fins que la musique instrumentale des anciens et celle des modernes diffèrent essentiellement. Exprimer et provoquer certaines dispositions ou sensations, voilà, certes, ce que voulait et pouvait aussi la première, et de plus ses moyens, notamment dans les derniers temps, lui permirent d’arriver également à une assez grande variété dans l’expression. Aristide Quintilien divise les instruments en masculins et féminins. Parmi les instruments à vent, la trompette (tuba) appartient au premier de ces deux genres, la flûte phrygienne au second ; entre les deux se tient la flûte pythique, plus basse et, par conséquent, d’un caractère plus mâle, ainsi que la flûte chorale, plus haute, ayant quelque chose d’efféminé. Parmi les instruments à cordes, la lyre est masculine, la sambuca, avec ses petites cordes rendant des notes de dessus très élevées, féminine, tandis que le polyphthongon se rapproche de celle-ci et la cithare de celle-là. Entre ces instruments, types des caractères principaux, il s’en place d’autres encore[38]. En général, on pensait que l’effet des instruments à cordes devait être d’élever l’esprit à une sphère de repos, de paix et de sérénité non troublée ; celui des instruments à vent, au contraire, de produire une exaltation passionnée. Le joueur de flûte Canus, réputé sans rival dans la seconde moitié du premier siècle de notre ère, et auquel on attribue d’avoir dit une fois que, si ses auditeurs savaient combien son jeu lui procurait de jouissance personnelle, loin de le payer, ils le feraient payer lui-même[39], s’applaudit, dans Philostrate[40], de son instrument, la flûte pythique, douée, dit-il, de la vertu d’adoucir l’affliction, d’accroître la joie, d’enflammer de plus en plus les amoureux, et d’élever les âmes pieuses. Mais jamais la musique antique n’a même songé à se proposer des tâches comme celles que la symphonie moderne, avec une richesse de moyens infiniment plus grande, il est vrai, est parvenue à remplir : elle qui transporte l’auditeur à toutes les sommités, comme dans toutes les profondeurs de la vie de l’âme, par le sentiment, le remue ou le touche, par l’expression de l’ineffable, et conjure les esprits ténébreux, ainsi que les apparitions lumineuses, qui se disputent la domination de l’âme humaine. Déjà J.-M. Gessner[41] déclarait que son collègue à l’école Saint-Thomas, Jean-Sébastien Bach, savait produire à lui tout seul, avec l’orgue, des effets auxquels tous les citharèdes du monde, même avec l’aide de six cents flûtes, ne seraient pas en état d’atteindre, et, quelque admirateur, qu’il fût d’ailleurs de l’antiquité, il pensait que son ami Bach, ou tel autre moderne de sa force, vaudrait à lui seul, de sa personne, bien des Orphées et une vingtaine d’Arions.

Entre une symphonie de Beethoven, enfin, avec la puissance élémentaire, entraînante et fondante de ses flots de sons, et les notes simples des cithares et des flûtes, on ne saurait se figurer le contraste moindre qu’entre l’un des grands tableaux de Raphaël ou de Michel-Ange, avec leur profusion de figures, leurs grandes masses de lumière et d’ombre, leur puissance de conception et d’expression, qui entraîne, et les figures simples, sans prétention, mais souvent si nobles et si gracieuses, qui ornent les vases grecs[42]. Cependant la musique instrumentale grecque entreprit aussi déjà, il est vrai, de peindre l’action, même sans accompagnement de chant, comme dans la mélodie dite pythique, composée par Timosthène, commandant de la flotte de Ptolémée II, pour la flûte seule, sans chant, mais, suivant une autre version, avec accompagnement de cithares. Elle avait pour sujet le combat d’Apollon avec le dragon, et se composait de cinq parties ou phrases. Cependant les renseignements qui nous ont été transmis par Pollux et Strabon ne concordent pas tout à fait sur le programme de la division de cette œuvre[43]. D’après le premier de ces deux auteurs, le dieu, dans la première partie, choisissait le lied du combat ; dans la seconde, il défiait le dragon ; le sujet de la troisième était le combat même, dans lequel la flûte imitait le son de guerre de la trompette et le grincement des dents du monstre, atteint par les flèches d’Apollon. La quatrième partie contenait la victoire, et, dams la cinquième, le dieu dansait fine ronde pour la célébrer. Strabon, entre autres variantes qu’offre sa version, intitule la phrase finale les syringes, et dit que les sifflements de l’agonie du monstre expirant y étaient imités, probablement au moyen de passages brefs et rapides de la flûte, comme ceux qui sont propres à la syringe. Peut-être aussi Timosthène avait-il, effectivement, fourni deux compositions différentes sur le même sujet. Une anecdote concernant le célèbre citharède Timothée, qui se fit entendre lors des fêtes du mariage d’Alexandre, à Ecbatane, montre que cet essai de colorature musicale n’est pas précisément le seul que l’on ait tenté. Elle porte que cet artiste, dans son Navigateur, avait essayé d’imiter, sur la cithare, une tempête de mer ; mais que le joueur de flûte Dorion, profitant de la circonstance pour se moquer de lui, dit qu’il avait déjà lui-même entendu de bien plus fortes tempêtes, dans son pot au feu[44].

S’il peut, en général, être question d’un développement ultérieur de la musique grecque chez les Romains, il ne saurait, en aucun cas, avoir été un progrès dans le sens de l’art. Il ne consistait, sans doute, comme celui de tous les autres arts transplantés du sol hellénique sur le sol romain, que, dans un renforcement, ou plutôt dans une application plus large, mais aussi plus grossière des moyens, et dans l’introduction d’un mélange d’éléments hétérogènes, pour arriver à des effets d’une plus grande force, mais aussi d’une pureté bien moindre, répondant au goût moins épuré des Romains. Au temps d’Auguste déjà, la flûte, formée d’un tuyau plus long, percé d’un plus grand nombre de trous et pourvu d’une garniture de cuivre jaune, était devenue, par là, un instrument qui pouvait rivaliser avec la trompette[45], et ne différait certainement pas moins de l’ancienne flûte italienne, que le piano à queue, de nos concerts d’aujourd’hui, diffère des épinettes de nos aïeux. Il se peut bien que ce renforcement de la sonorité n’ait pas tardé à entraîner des changements analogues, dans la construction d’autres instruments, bien qu’Ammien Marcellin soit le premier qui parle de cithares dans les dimensions d’un carrosse[46]. Indépendamment de la sonorité renforcée des instruments en particulier, c’était la réunion en masse d’une multitude d’instruments du même genre, tolet aussi bien que l’assemblage d’un grand nombre d’instruments divers, et le concert de leur jeu, qui permettait d’atteindre à de grands effets. Du moins, avait-on déjà vu la réunion d’une masse d’instruments pareils, au temps des Diadoques ou généraux successeurs d’Alexandre, notamment à la cour d’Alexandrie, où Ptolémée Philadelphe, dans une procession gigantesque et d’une pompe outrée, fit paraître, entre autres, un chœur de 600 hommes, parmi lesquels 300 citharèdes, tous portant des cithares dorées et des couronnes d’or, jouèrent ensemble[47]. Le concert d’instruments hétérogènes aussi ne devait plus être rien d’extraordinaire à Alexandrie, ce genre formant, depuis la plus haute antiquité, un des éléments propres à la musique égyptienne. Déjà, sur les monuments de l’ancien royaume des pharaons, on voit des assemblages d’instruments à cordes, à vent et de percussion, quelquefois aussi d’instruments homogènes, comme par exemple de deux harpes, de huit flûtes, ou d’autres, réunis pour un jeu collectif[48]. Or les monuments du nouveau royaume d’Égypte offrent des images qui nous montrent les représentations de la musique égyptienne sous un aspect plus brillant et plus magnifique encore. Les orchestres de cette seconde époque sont plus nombreux ; des harpes y mêlent leurs sons à ceux des lyres, des flûtes, des doubles fifres, des guitares et des timbales à main, quoique, du reste, on n’y voie figurer que des femmes, comme musiciennes et cantatrices[49]. Il n’est guère probable qu’une cour aussi éprise du faste, que l’était celle d’Alexandrie, négligeât de rehausser encore l’éclat de ses fêtes et de ses parades merveilleuses par l’emploi de la musique instrumentale indigène, qui se prêtait si bien au caractère de ces solennités[50].

La musique étrangère autre que la grecque avait, de bonne heure aussi, déjà trouvé accès à Rome. Depuis l’époque des expéditions militaires dans l’Asie Mineure, des femmes, sexe entre les mains duquel la musique avait été de tout temps en Orient[51], jouaient de la sambuca chaldéo-babylonienne[52] dans les festins et les orgies de la capitale du monde romain, et plus tard des musiciennes de la Syrie (ambubajæ), qui se faisaient entendre sur les places publiques[53], jouant des instruments de leur pays, c’est-à-dire du fifre, des cordes et de la timbale, vinrent y affluer de plus en plus.

Il n’est fait mention à Rome que sous l’empire de la cornemuse babylonienne, sur laquelle Néron voulut se faire entendre[54] ; cependant il n’est pas impossible qu’elle y fût connue depuis plus longtemps. C’est, toutefois, l’influence de la musique néo-égyptienne ou alexandrine qui parait avoir, depuis le commencement de l’empire, contribué le plus à cette nouvelle transformation de la musique romaine, de la musique instrumentale en particulier. Alexandrie demeura, même sous les empereurs romains, le foyer d’une activité musicale aussi grande que multiple. La population de cette ville ne le cédait, alors, à nulle autre pour l’amour et la connaissance de la musique ; même des gens qui ne savaient ni lire ni écrire y distinguaient, tout de suite, la moindre fausse note dans le jeu d’un citharède ; chanteurs, cantatrices et citharèdes, y transportaient les masses jusqu’au délire ; la musique semblait être, d’ans cette ville, comme une panacée pour tous les maux.

Les chanteurs et les musiciens d’Alexandrie étaient en grande estime, à Rome, depuis le temps d’Auguste déjà, et y obtenaient le plus de succès. Un virtuose, originaire de la première de ces villes, qui se fit publiquement entendre à Rome, vers la fin du second ou le commencement du troisième siècle de notre ère, sur le trigonon (peut-être la grande harpe égyptienne, de six pieds de haut), excita l’enthousiasme général à un tel point que, bientôt, nombre de personnes surent par cœur les mélodies qu’il avait jouées[55]. Trente ans après la conquête de l’Égypte, les mélodies alexandrines étaient déjà aussi familières que les airs de théâtre aux dames de Rome, qui les chantaient toutes[56], et, au commencement du premier siècle, les petits maîtres de cette capitale avaient pris l’habitude de fredonner ces mélodies, conjointement avec celles des ballets gaditains[57].

Dans les derniers temps de la république, il  est fait souvent, à la vérité, mention de symphonies[58] et de chœurs de musique (symphoniaci) qui les exécutaient[59], notamment dans les orgies et les fêtes de l’opulence. Cependant il se pourrait que ces chœurs fussent, alors, exclusivement formés de citharèdes et de joueurs de flûtes[60]. C’est peut-être l’invention de la pantomime (pantomimus), en l’an 22 avant Jésus-Christ, qui détermina l’introduction, au théâtre romain, d’une musique d’orchestre proprement dite. Là, les textes représentés par les danseurs étaient chantés par des chœurs, et ceux-ci demandaient, notamment dans des théâtres vastes et non couverts, d’après le caractère même d’un spectacle qui visait surtout à frapper les sens, un accompagnement très fort. Pylade, le fondateur de ce genre, qui, interrogé en quoi consistait son innovation, doit avoir répondu par un vers d’Homère déjà cité : Dans le concert des flûtes et des chalumeaux, ainsi que dans les clameurs de la foule, fut peut-être aussi celui du nouvel orchestre de théâtre romain. Dans celui-ci, la flûte doit s’être maintenue comme l’instrument dirigeant, de même que le violon dans le nôtre ; cependant syringes et cymbales, cithares et lyres, concouraient avec elle, tout comme dans les orchestres égyptiens, à produire les grands et bruyants effets d’ensemble (tutti). La mesure, dans l’accompagnement des pantomimes, comme dans celui des autres danses, était marquée par un instrument appelé scabillum, qui pouvait être attaché aux semelles des choristes ; mais qui se trouve, sur les monuments, plus souvent posé à terre, à côté du danseur. Il était, comme on l’a déjà vu, formé de deux plaques, qui s’entrechoquaient avec bruit, à chaque battement de pied. Un, orchestre que ne couvrait, pas le vacarme de cette manière de battre la mesure en chœur, ne pouvait être un orchestre faible, de même que toute cette musique, en général, ne pouvait guère être plus qu’une représentation bruyante du mouvement rythmique. Du reste, l’insensibilité au bruit du battement de la mesure s’est conservée, jusqu’à nos jours, en Italie, à un degré qui étonne les étrangers venant du nord de l’Europe[61].

Selon toute apparence donc, la modification que la musique grecque dut subir à Rome, pour satisfaire a ce qu’on y attendait d’elle, fut, en partie du moins, calquée sur la musique de l’Orient. Dans tous les cas, le concerto d’instruments divers resta, dans la musique romaine, aussi commun qu’il parait avoir été, au contraire, abstraction faite du jeu de la cithare combiné avec celui de la flûté, insolite ou même inouï dans la musique grecque et cela dans la musique instrumentale pure, comme dans l’accompagnement du chant. Au temps d’Horace, on entendait, dans les temples de Vénus, des chants avec accompagnement de la lyre, du chalumeau et de la flûte de Bérécynthe[62] ; et au temps d’Athénée, lors des Parilies, fête de la déesse Roma, depuis Adrien, célébrée le 21 avril, dans toute la ville, des chants mariés au son des flûtes, ainsi qu’au bruit des cymbales et des timbales[63]. Maxime de Tyr compare la poésie homérique, en raison de la variété de qualités et d’effets multiples qui lui est propre, à un instrument panharmonique, ou mieux à un orchestre, dans lequel la flûte, la lyre, la trompette, la syringe et maint autre instrument encore, formeraient, en concert, l’accompagnement d’un chœur chanté[64].

Il se donnait aussi, à Rome, devenue la capitale des empereurs, des représentations de musique vocale, avec un appareil colossal de moyens. Sénèque dit que, de son temps, il y avait, lors de ces représentations, plus de chanteurs réunis, au théâtre, qu’on n’y voyait autrefois de spectateurs ; que les chanteurs et les musiciens ne remplissaient pas seulement la scène, mais tous les espaces non occupés par le public ; que l’accompagnement consistait en fine multitude d’instruments à vent métalliques, placés dans la salle de spectacle, ainsi qu’en flûtes et orgues de toute espèce, établis sur la scène[65]. En se rappelant que les théâtres de Rome contenaient de vingt mille à quarante mille spectateurs, on est porté à croire que ces représentations devaient, pour les dimensions, l’emporter de beaucoup même sur les concerts monstres anglais. Ce goût pour les effets de musique produits par des masses, ne paraît, du moins, guère avoir diminué, même dans les temps postérieurs de l’empire. Dans une célébration de la fête des jeux romains ordonnée par l’empereur Carin, tels morceaux furent exécutés par cent trompettes, tels autres par des centaines de flûtes de diverses espèces[66] ; et Ammien, qui dépeint l’aristocratie romaine de son temps comme une classe souverainement éprise de musique, mais. entièrement dépourvue de sens pour les intérêts de la vie intellectuelle, dit que l’on construisait, dans les grands palais, des orgues hydrauliques et des flûtes de toute espèce, ainsi que ces cithares déjà mentionnées à dimensions de carrosses[67].

Le renforcement des moyens employés devait avoir pour conséquence, ou expliquer du moins, ce fait, qu’à Rome la musique perdit de plus en plus de sa dignité morale, avec le temps, et qu’on en abusa pour flatter les sens, avec des effets grossiers, et chatouiller vulgairement les oreilles. L’ancienne musique de théâtre romaine, du temps de Névius et de Livius Andronicus, est caractérisée par Cicéron[68], comme empreinte du cachet d’une sévérité qui avait son charme. Elle était, peut-être, à la musique du temps de l’empire romain, ce qu’un opéra de l’époque antérieure à Mozart est à un opéra de Meyerbeer, ou de Wagner. A la contrainte et à la mesquinerie anciennes, ne tardèrent pas à se substituer une plus grande liberté d’allures du rythme et des méthodes, le changement et la variété des modulations, la richesse et le mouvement des mélodies[69]. Mais il paraît que cette émancipation de la simplicité de l’art ancien, passé de mode, conduisit rapidement à la décadence, et que la pantomime, dont on dépeignait la musique comme efféminée, sans dignité, lascive et pleine de vacarme et de fioritures, y contribua principalement, par la domination qu’elle obtint sur la scène. Des amis plus sérieux de l’art répétèrent, dans les premiers siècles de l’empire, et sans doute avec bien plus de raison, des doléances déjà exprimées à l’époque d’Alexandre le Grand. Les anciens seuls, disait-on alors, avaient su garder la dignité de l’art, tandis que les compositeurs modernes, s’affranchissant de leurs tendances sérieuses, avaient, au théâtre, substitué à leur musique, virile et divine, une musique énervée et babillarde[70]. Là, dit Plutarque[71], règne l’art de la danse, qui s’est presque entièrement asservi la musique ; et, dans l’opinion de Quintilien (I, 10, 31), la musique efféminée et obscène du théâtre n’avait pas contribué le moins à l’anéantissement du reste de virilité que possédait encore la génération de son temps. D’après un auteur grec[72] aussi, cette manie d’efféminer et de ramollir l’ouïe, désireuse d’être honteusement caressée et chatouillée, devait être considérée comme une maladie, qui avait perdu la musique.

Bref, les lamentations de ce temps sur la décadence de la musique ressemblaient beaucoup à celles qui ont été et sont encore souvent proférées, dans notre siècle, par les champions d’une direction plus sérieuse de l’art musical. Effectivement, il y avait de l’analogie entre les phénomènes des deux époques. Il y a déjà près d’un demi-siècle, Thibaut, dans son Traité de la pureté dans l’art des sons, dit expressément que, par la musique, on boit, sans s’en douter, à pleins traits, d’une coupe de jouissances que l’honneur commanderait de répudier, si elles nous étaient offertes sous une forme tracée avec le pinceau, ou en paroles. Beaucoup de nos innocentes jeunes filles, ajoute-t-il, si elles se rendaient compte de ce qu’elles sont souvent obligées d’entendre, ou même de louer et de chanter elles-mêmes, se mourraient de honte et de dépit.

Dès lors, cet auteur s’élevait contre le côté énervant, sauvage, fantasque, ou érotiquement banal, en musique, contre l’élément vicieux de ces tendances convulsionnaires, grimaçantes, outrées, affligeantes et délirantes qui poussent, des derniers recoins à la surface, tout ce qu’il y a de mauvais au fond de l’homme ; il se demande si une musique à moitié composée de sentiments contre nature et d’un mélange d’éléments malsains ne nous est pas plus nuisible qu’utile ? Aussi la croit-il moins que tout autre art à l’abri du reproche d’avoir contribué à la dégénération actuelle. Il y a donc urgence, suivant lui, de rendre, par le retour à la simplicité et au naturel, aux nerfs, émoussés et détendus par la musique, l’élasticité dont ils ont besoin, et de vivifier de nouveau ce qui est près de s’éteindre, le pur amour de la musique pour elle-même et cette noblesse du goût qui demande à être épuré et relevé par la musique, non pas à être poussé et embourbé par elle dans la trivialité et ce qu’il y a de plus contraire à la nature[73]. On comprend très bien du reste que, dans l’antiquité, le siège de cette musique ramollie, de l’invasion de laquelle on se plaignait tant alors, fût Alexandrie, et qu’il y eût, entre la musique de cette ville et l’ancienne musique grecque, un rapport analogue à celui qui existe entre la musique italienne moderne, ainsi qu’une partie de la musique française actuelle, et la musique allemande du dix-huitième siècle.

Mais, si les Romains dégradaient l’art, en permettant qu’il devint un instrument pour satisfaire le besoin de jouissances de leur sensualité, il faut leur laisser la gloire d’avoir su parfaitement l’exploiter dans ce sens. Ils ont, effectivement, tiré de là musique, comme de tous les autres arts, pour rehausser les jouissances de la vie et embellir l’existence, un parti beaucoup plus large qu’il n’est d’usage et ne serait même possible aujourd’hui. L’existence d’une institution telle que l’esclavage pouvait évidemment seule procurer les moyens de mettre la pratique de l’art, sur une aussi vaste échelle, au service du luxe ; cela n’était possible qu’au moyen de la facilité, alors existante, de faire apprendre, par l’ordre du maître., et sous la direction de régisseurs, à une multitude d’esclaves, et exercer, par ceux-ci en masse ces beaux-arts, que nous sommes habitués à considérer comme un produit précieux de facteurs dont la réunion est, polir nous, une chance rare et, partant, comme le plus beau fleuron du couronnement de notre vie intellectuelle. Parmi les armées d’esclaves des grands de. Rome, esclaves originaires, en partie du moins, de pays parvenus à une civilisation très haute, il ne devait jamais y avoir défaut de sujets intelligents et bien doués, et dans les conditions de l’art antique il y avait, pour l’enseignement et pour l’apprentissage, beaucoup plus de facilité que dans celles de l’art moderne. Ainsi, il n’était pas difficile de recruter, sur les centaines ou les milliers d’esclaves d’une grande maison, des chapelles de chanteurs et de musiciens de toute espèce, ni de compléter celles-ci par l’acquisition, à prix d’argent, d’autres artistes, outre qu’il en passait aussi continuellement de mains en mains, par héritage ou donation[74]. Chrysogone, le riche affranchi de Sylla, avait tant de musiciens, parmi ses esclaves, que tous les alentours de sa maison étaient remplis, jour et nuit, du bruit de leurs chants et de leurs flûtes[75]. Quand les maîtres faisaient de petites excursions dans le voisinage, des chœurs de chanteurs et des bandes de musiciens les accompagnaient[76].

Les villas, les villes d’eaux, les bains visités par le grand monde, retentissaient, jour et nuit, de chants mêlés au son des instruments[77]. Mécène se faisait bercer en sommeil par les doux accents de symphonies, exécutées à une certaine distance[78] ; Caligula, trônant sur de magnifiques galères, par les douces vagues du golfe de Naples, également au bruit des chœurs et des instruments[79]. A table surtout, où l’on voulait jouir par tous les sens à la fois, la musique ne pouvait pas manquer[80] ; l’usage s’en conserva jusque dans les derniers temps de l’antiquité[81], parfois au désespoir des convives. Vous demandez, dit Martial (IX, 77, 3), comment on apprête le mieux un festin ? Eh bien ! c’est en laissant de côté le chant choral avec tout son accompagnement. Si, dans d’opulentes fêtes, des chœurs nombreux accompagnaient, de leur chant, les pas de belles Andalouses, dansant au son des castagnettes[82], si, dans les gais repas d’un cercle de savants, des chanteurs et des chanteuses de nationalité grecque débitaient, au son de la cithare, des chansons de Sapho et d’Anacréon[83], Pline le Jeune aussi laisse, au seul invité qu’il convie à un frugal repas, le choix entre une lecture, une scène de comédie et un air de luth[84], et Martial, qui logeait et payait loyer à un troisième étage, promet à un ami de lui assaisonner, au moins d’un air de flûte courte, le plus que modeste repas qu’il avait à lui offrir[85]. Enfin, la description, non trop chargée sans doute, du festin de Trimalcion, dans Pétrone, d’une époque ; il est vrai, à laquelle on avait, partout, et affectait d’avoir éminemment l’amour de la musique, montre jusqu’à quel excès on poussait l’offre des jouissances musicales, dans les fêtes données par dei parvenus sans éducation. Là, le chant et la musique, accompagnaient tous les détails du service de la table et des convives, toutes les allées et venues des serviteurs, apportant et faisant circuler les mets, les moments employés à brosser ou à essuyer les tables, et ainsi de suite, si bien que l’on s’y serait cru, non dans une maison particulière, mais au théâtre[86].

La musique avait été d’usage ; à Rome, de tout temps, dans toutes les cérémonies du culte et tous les spectacles ; mais, quant à une distinction positive entre la musique sacrée et la profane, l’antiquité n’en a point connu[87] et ne pouvait même en faire, vu que les spectacles faisaient partie du culte, et que celui-ci avait, généralement, un caractère de solennité portant à la réjouissance.

Peut-être. Mendelssohn est-il le compositeur moderne qui, dans son chœur de Saint-Paul, commençant par ces mots : Dieux puissants, ayez-nous en grâce ! à le mieux réussi à rendre l’impression que devait produire la musique du culte antique, approximativement du moins et autant que le permettent, en général, les moyens de l’art moderne. Même aujourd’hui, dans l’Italie moderne, c’est à peine s’il existe encore, à Rome, une différence essentielle entre la musique religieuse et la musique profane ; à Naples, il n’y en a plus aucune. Avec la publicité nullement restreinte des spectacles, dans l’antiquité, les mélodies de théâtre devaient se répandre beaucoup plus vite et se propager bien davantage qu’il n’est possible actuellement, et l’on entendait le peuple chanter, dans les rues et sur les places publiques, les airs qu’il avait appris au théâtre[88]. Il y avait déjà, au temps de Cicéron, assez de connaisseurs qui, à la première note d’une ritournelle de flûte, savaient dire, tout de suite, si le morceau était tiré d’Antiope ou d’Andromaque, ce qui étonnait Cicéron lui-même[89] ; le grand public aussi exerçait, dès lors, une critique acerbe contre les chanteurs, et ne laissait passer aucune faute[90]. De nos jours encore, le public de Rome est renommé, ainsi que redouté, pour la finesse de son oreille, et toute cantatrice tient à grand honneur d’y avoir su plaire. Les progrès que l’intérêt pour la musique avait faits, sous l’empire, résultent le plus clairement du fait qu’il se donnait, alors déjà, des espèces de concerts ou représentations lyriques, sans le soutien d’aucune action dramatique, tandis que : telle avait été, en l’an 167 avant Jésus-Christ encore, l’extrême rudesse du public, à Rome, que les premiers joueurs de flûte grecs, avec leurs chœurs, n’avaient trouvé moyen de captiver son intérêt qu’en mettant en scène une espèce de rossade[91]. Un siècle plus tard, c’était déjà quelque chose de très ordinaire que des musiciens virtuoses, des chanteurs s’accompagnant eux-mêmes sur la cithare (citharèdes), fussent applaudis à Rome. Ils y produisaient, suivant l’usage grec, dans le plus magnifique costume, vêtus d’une longue robe traînante et brodée d’or, couverts d’un manteau de pourpre avec des ornements des couleurs les plus diverses, une couronne d’or ornée de grosses et étincelantes pierres précieuses sur la tête, et la cithare artistement travaillée, avec des incrustations d’or et d’ivoire, à la main[92]. A côté des citharèdes, d’autres artistes se faisaient entendre, au temps de l’empire, sans accompagnement de chant, sur divers instruments tels que, notamment, la cithare[93] et ses différentes variétés[94], la flûte, l’orgue[95] et d’autres encore ; des chanteurs dramatiques ou tragédiens, dont les airs et les scènes lyriques, souvent chantés par eux sous le masque et en costume, étaient déjà placés sur la limite de la représentation dramatique, et des chanteurs lyriques proprement dits, faisaient de même[96]. Ceux-ci, probablement, entonnaient surtout des hymnes en l’honneur des dieux[97], comme Néron, qui doit avoir chanté, aux jeux isthmiques, un hymne sur Neptune et Amphitrite et une courte chanson sur Mélicerte et Leucothée[98]. On ne sait si les femmes virtuoses[99] et les chanteuses qui, comme on l’a dit plus haut, charmaient le public à Alexandrie, se sont également produites en public à Rome. Une peinture murale d’Herculanum[100] représente une scène de concert : au milieu est assis, en robe longue et brodée, un joueur de flûte, qui joue de la double flûté et bat la mesure du pied, avec le scabillum ; à droite, se tient debout une citharède, pinçant les cordes de la main gauche, et tenant le plectre de la main droite ; à gauche, est assise une cantatrice, qui tient une feuille de texte à la main et attend le moment de prendre son tour. Cette image, il est vrai, paraît être celle d’un concert public ; mais rien n’y offre une indication certaine quant au temps et au lieu où il fut donné. Des chœurs, chantant sans ou avec la coopération de chanteurs particuliers pour les solos, s’y produisaient, très souvent, avec divers accompagnements d’instruments, en partie très riches, comme on l’a déjà fait remarquer[101]. Que l’on exécutât des morceaux du genre de nos symphonies, sans parties de chant, dans les concerts publics, où ils servaient peut-être d’introduction aux solos d’instruments, cela est très bien possible, mais ne se trouve appuyé d’aucun témoignage positif[102].

Néron, qui avait lui-même le désir de briller, non seulement comme poète, mais aussi comme chanteur et citharède, fut le premier qui introduisit à Rome des agons, ou concours à la mode hellénique[103], célébrés régulièrement, et dans lesquels les artistes voués aux muses se disputaient les prix. A la fête périodique, dite sacrée, instituée par lui en l’an 60, ces agons, ou concours de musique, étaient l’objet sur lequel se concentrait tout l’intérêt de la solennité. Sans choquer autant que les combats d’athlètes, ils rencontraient pourtant aussi de la désapprobation dans les cercles des conservateurs romains. La justice, disait-on, n’avait rien à y gagner, et les chevaliers ne vaqueront certes pas mieux à leur office de juges, après avoir écouté, en connaisseurs, un chant plein de mollesse et les sons fondants d’une musique tendre[104]. L’agon capitolin, toutefois, aussi déjà mentionné, et fondé en l’an 86 par Domitien, parvint à une considération beaucoup plus haute que le concours néronien, et réussit à s’y maintenir. Pour les représentations musicales qui y avaient lieu, Domitien fit construire, au champ de Mars, par le célèbre architecte Apollodore, un théâtre couvert, l’Odéon, qui pouvait contenir de 10.000 à 11.000 spectateurs, et comptait encore au quatrième siècle parmi les plus beaux édifices de Rome.

A cette fête, qui, revenait tous les quatre ans, dans la saison d’été, on voyait, à côté des poètes, les chanteurs et les musiciens aspirer également à la couronne de feuilles de chêne, que l’empereur y conférait solennellement au vainqueur, de sa propre main, d’après la décision des juges. Cet honneur, la rareté et la majesté de la fête, ainsi qu’un auditoire formé des plus grands personnages de Rome, donnaient un prix et une importance sans pareils, dans le monde musical du temps, à ces joutes des chanteurs et des virtuoses. Y remporter le prix équivalait, par le fait, à se faire reconnaître comme le premier dans son art, non seulement à Rome, mais dans le monde entier. On voyait des artistes accourir des pays les plus lointains, de l’Asie et de l’Égypte, pour prendre part à te concours, et il existe, encore aujourd’hui, plusieurs monuments dont les inscriptions font connaître que tel ou tel musicien célèbre avait, lui aussi, remporté la couronne de Wagon capitolin. On mentionne notamment les concours pour le chant, la citharédique, le solo de la flûte pythique et les déclamations dramatiques ; les concours pour le jeu simple de la cithare, sans accompagnement, et la cithare chorale, introduits par Domitien, ne tardèrent pas à être supprimés.

Les musiciens exécutants n’étaient pas, dans l’antiquité, plus communs que maintenant, mais ils étaient probablement, d’ordinaire, en même temps compositeurs, à cette époque, attendu que le maniement des formes musicales beaucoup plus simples et mieux arrêtées du temps ne pouvait, en général, offrir des difficultés aux personnes versées dans la musique. Ajoutons qu’ils étaient même parfois poètes, comme cela devait être, avec l’alliance bien plus étroite qui existait alors entre la poésie et la musique[105]. Les plus célèbres virtuoses, tels que le chanteur Tigellius[106], de la cour d’Auguste, les citharèdes Ménécrate[107] et Mésomède[108], qui vivaient à celles de Néron et d’Adrien, brillaient dans le débit de morceaux de chant composés, ou du moins mis en musique par eux-mêmes. Des poésies de Mésomède il s’est conservé quelques restes, ainsi que la musique d’une de ses pièces de vers, de l’hymne de la Vengeance (Némésis[109]).

Quant au genre, affecté par les musiciens virtuoses du temps de l’empire romain, il offrait beaucoup d’analogie avec ce qu’il est encore de nos jours. Parmi les exercices préparatoires, longs et pénibles, par lesquels on arrivait à la perfection, figurait notamment aussi le solfège, consistant dans la vocalisation des notes les plus profondes aux plus élevées[110]. En outre, les chanteurs artistes étaient tenus de s’astreindre à une manière de vivre réglée sévèrement et pleine de contrainte, mais réputée nécessaire pour former et pour fortifier la voix. Ils ménageaient leur gosier le plus possible, donnaient un temps de repos à la voix, après chaque effort, et se tenaient un mouchoir devant la bouche, quand ils étaient obligés de parler haut. Ils observaient une grande abstinence en toutes choses, même dans le manger et le boire, usaient de purgations et de frictions, se tenaient couchés sur le dos, avec des plaques de plomb pressées contre la poitrine, passaient certaines heures en promenades, se gardaient du soleil et du vent, du brouillard et de l’air sec, etc.[111]

Effectivement, il était nécessaire d’acquérir, pour chanter dans de grands espaces non couverts, une force de voix beaucoup plus grande et plus constante qu’il n’en faut aux chanteurs d’aujourd’hui. Et cependant citharèdes et tragédiens faisaient, en se produisant devant le public, quelquefois de tels efforts de voix qu’ils se rompaient un vaisseau[112].

Les virtuoses, à partir du moment où leur développement artistique se trouvait accompli, étaient presque toujours en voyage, car il n’y avait aucune possibilité de procurer des positions fixes et durables à ces artistes, dans l’antiquité, où l’on ne connaissait pas les théâtres permanents, et où toutes les représentations n’avaient lieu qu’à l’occasion de fêtes particulières. Les virtuoses grecs faisaient notoirement et régulièrement des tournées, dans certains pas du moins, comme l’Asie Mineure, la Grèce et l’Italie, et étaient souvent honorés par des statues, le droit de cité et d’autres distinctions, dans les villes où ils avaient rencontré une admiration enthousiaste. Les mentions de statues élevées à des citharèdes, par exemple, abondent[113]. Les honoraires et les recettes des artistes considérables étaient très brillants. L’empereur Vespasien, si parcimonieux dans toutes les autres circonstances, ayant fait paraître aux jeux qu’il donna pour l’inauguration du théâtre de Marcellus, restauré par lui, plusieurs musiciens depuis longtemps éprouvés, y gratifia un tragédien de 400.000 sesterces d’honoraires ; les citharèdes Terpnus et Diodore reçurent de lui chacun 200.000 sesterces, quelques-uns 100.000 ; aucun n’eut moins de 40.000 sesterces, sans compter la distribution d’un grand nombre de couronnes d’or, qui accompagna ces largesses[114].

L’enseignement de la musique, dans les grandes maisons de Rome, était aussi très lucratif, et les honoraires des citharèdes et des chanteurs célèbres formaient un objet de dépit et d’envie pour les hommes de science et les gens de lettres[115]. Martial qui, las de la stérilité de ses pénibles services de client, se réfugia pour quelque temps de la capitale à Imola (Forum Cornelii), écrit de cette résidence à ses amis qu’il ne reviendra à Rome que citharède[116]. Le même, plein d’amertume, conjure un père de ne point donner d’éducation scientifique à son fils, de ne pas lui laisser prendre en mains des livres de Cicéron ou de Virgile ; il lui conseille même de le déshériter, s’il s’avisait de vouloir faire des vers, tandis que, s’il s’agissait de faire apprendre à ce fils un art donnant du pain, il ne pourrait choisir mieux que la cithare ou la flûte[117].

Naturellement, les virtuoses avaient une masse d’adorateurs enthousiastes des deux sexes. L’enthousiasme des femmes pour les chanteurs et les musiciens virtuoses a fourni amplement matière à l’amour du scandale, ainsi qu’à la satire et à l’épigramme. De riches et grandes dames possédaient des baguettes ayant servi aux célébrités de la cithare à toucher les cordes, et imprimaient des baisers sur ces précieux souvenirs ; elles offraient, à l’approche d’un concours où il y avait des prix à remporter, des sacrifices aux dieux pour le succès des artistes admirés par elles, et dont, à ce que l’on prétendait, elles payaient les faveurs très cher, comme on l’a vu par maint exemple. Dans les cercles de la haute société, à plusieurs cours même, les virtuoses étaient des hôtes honorés et que l’on récompensait richement. Le triumvir Marc-Antoine conféra le mandat de lever les impôts dans quatre villes, sous l’escorte d’un détachement de troupes, au très célèbre citharède Anaxénore, que la ville de ses pères, Magnésie sur le Méandre, avait distingué en l’honorant d’un sacerdoce et lui érigeant des monuments publics[118]. Le chanteur et joueur de flûte Tigellius, de la Sardaigne, qui avait déjà appartenu au cercle des familiers de César, était également bien vu aux cours de Cléopâtre et d’Auguste. Le tragédien ou chanteur dramatique Apelle d’Ascalon, favori très influent de Caligula, tomba en disgrâce pour avoir mis de l’hésitation dans sa réponse à la question de l’empereur : Lequel des deux lui paraissait le plus grand, de Jupiter ou de Caligula ? Ce prince le fit fouetter, tout en accompagnant les cris que poussait ce malheureux de l’éloge, de sa voix, encore extrêmement agréable jusque dans les hurlements que lui arrachait la douleur. Néron fit présent au citharède Ménécrate d’un palais et d’une grande propriété[119]. Le compositeur et poète mentionné plus haut ; Mésomède de Crète, affranchi et favori d’Adrien, sur le bel Antinoüs duquel il fit un poème de louanges, recevait un traitement, que le successeur d’Adrien jugea à propos de réduire[120].

Cet intérêt si vif et si flatteur, accompagné de faveurs multiples, ne pouvait avoir d’autre effet que de nourrir et développer de plus en plus les caprices, la vanité et l’orgueil des artistes. Le fabuliste Phèdre trouve grand plaisir à raconter comment un de ces virtuoses, gonflés de leur importance, était récemment devenu, par sa ridicule vanité, l’objet de la risée générale. Le joueur de flûte Princeps (ce qui veut dire prince), qui accompagnait habituellement le célèbre danseur de pantomime Bathylle, l’affranchi de Mécène et l’inventeur, du genre comique de la pantomime, avait eu la jambe cassée, dans un changement de décoration, par suite de sa propre imprudence, ou du renversement d’une coulisse. Il s’ensuivit qu’il fut obligé de garder le lit plusieurs mois, pendant lesquels le public, ami des arts, regretta de se voir privé de son jeu. Quand il se retrouva en état de marcher tant bien que mal, un homme de la haute société, donnant un spectacle, le décida à y paraître. Le rideau tomba[121], les roulements de tonnerre se firent entendre, et les dieux parièrent selon l’usage, le spectacle consistant, paraît-il, en une de ces pièces allégoriques que l’on jouait aux fêtes populaires ; puis, le chœur se mit à entonner un cantique dont notre virtuose entendait pour la première fois le texte, commençant par ces mots : Éclate en chants d’allégresse, Rome, car sain et sauf est ton prince ! Aussitôt le public de se lever et d’applaudir. Princeps, croyant que ces applaudissements s’adressaient à sa personne, envoya de la main des baisers aux chevaliers qui, s’apercevant du singulier tour que lui jouait sa sotte imagination, demandèrent avec force éclats de rire la répétition du morceau. On le répéta en effet ; Princeps, pour saluer, s’incline jusqu’à terre, sur la scène, et les chevaliers applaudissent de nouveau, pour se moquer de lui. Le reste du public croit, d’abord, qu’il se porte aspirant à la couronne. Mais, quand on se fut rendu compte, au théâtre, de son intention réelle, cet impudent, qui avait osé s’attribuer des hommages rendus à la divine maison impériale, fut jeté à la porte, au milieu de l’indignation générale, sans le moindre égard pour le bel appareil de bandes blanches qui entourait sa jambe, les tuniques blanches et les souliers blancs qu’il portait[122].

Déjà Horace regardait l’humeur capricieuse comme une particularité commune à tous les virtuoses. Tous les chanteurs, dit-il, ont le défaut de ne se laisser, quand ils sont avec leurs amis, persuader à chanter par aucune prière, tandis qu’ils ne peuvent jamais se décider à cesser de chanter, quand ils s’en mêlent sans y avoir été engagés. Il a notamment dépeint comme un type d’inconstance et d’humeur capricieuse ce Tigellius de Sardaigne qui avait causé tant de déplaisir à Cicéron, en l’an 45 avant Jésus-Christ, par son arrogante susceptibilité[123]. Auguste lui-même, qui savait exiger impérieusement, le pria souvent en vain de chanter, et paraît avoir supporté avec indulgence l’incivilité d’un artiste déjà gâté par César. La fantaisie de se faire entendre prenait-elle au contraire à son protégé, celui-ci chantait son Io Bacchus de la première à la dernière entrée d’un repas, sur tous les tons. Il était, d’ailleurs, plein d’inconséquence en tout. Tantôt il courait comme s’il avait voulu prendre la fuite, tantôt il marchait gravement comme dans une procession, tantôt il avait deux cents esclaves, tantôt il n’en gardait que dix. Fanfaron, parfois jusqu’au plus haut degré, il avait des moments où il bornait tous ses désirs à la possession d’une table à trois pieds, d’une salière et d’une toge de bure, pour se tenir chaud. Recevait-il ensuite un million en cadeau, au bout de cinq jours il n’en restait plus rien dans sa caisse. Il dissipait à pleines mains des richesses facilement acquises, et réunissait autour de lui, par sa libéralité, une cour de charlatans, de mendiants, de danseuses, de musiciennes des rues et de bouffons. Il passait les nuits en veillées, qui duraient jusqu’au point du jour, et dormait ensuite jusqu’à la fin de la journée[124].

L’envie et la jalousie mutuelles des artistes étaient surtout entretenues par les concours de musique, dans lesquels ils se disputaient le prix. Les rivaux s’y observaient mutuellement et cherchaient à se gagner les uns les autres, pendant qu’ils se déchiraient en secret ; parfois ils venaient aussi à s’injurier publiquement. Quant aux compétiteurs dangereux, on cherchait à les écarter par la corruption, ou à les mettre hors d’état de nuire. Vis-à-vis des juges du concours et en face du public, on affichait les égards les plus révérencieux[125]. Néron, qui observait avec une scrupuleuse exactitude les prescriptions d’usage pour les citharèdes, paraissant devant le public, au point que, par exemple, étant fatigué même, il ne s’asseyait point, ne crachait pas, ne s’essuyait le front qu’avec la main ou avec son habit[126], commençait toujours par apostropher le peuple en ces termes : Messeigneurs, veuillez me prêter une oreille favorable ! [127] A la fin du morceau, on se recommandait de nouveau, en fléchissant les genoux et saluant de la main en signe d’hommage, à la faveur de l’auditoire et on attendait sort arrêt avec une appréhension simulée ou réelle[128].

Les virtuoses, même les plus célèbres, n’abordaient pas facilement la scène, sans avoir pourvu d’avance à des applaudissements payés. Si une pareille précaution se trouvait être excusable quelque part, c’était, même abstraction faite des égards commandés par la compétition au prix, chez des artistes obligés de se faire entendre devant des milliers d’auditeurs de la basse classe, nullement chiches de manifestations de leur déplaisir : aussi, les citharèdes n’avaient-ils que trop souvent le malheur d’être hués au théâtre de Pompée[129], ce qui justifiait leur air tremblant à l’entrée en scène[130]. Il est certain que le nombre des gens n’ayant pas d’autre métier que celui d’applaudir un Canus ou un Glaphyrus, n’était pas petit à Rome, et que la claque y passait pour un métier lucratif[131].

Une impressionnabilité si vive et si générale que celle du public de Rome, pour la musique, devait, nécessairement aussi, conduire au dilettantisme dans l’exécution musicale. Certes, le vieux préjugé romain, qui regardait comme malséant pour l’homme libre, l’homme de qualité surtout, non seulement d’acquérir une habileté professionnelle au chant et au jeu, mais déjà que l’on s’occupât seulement de pareils arts pour son amusement, s’était longtemps élevé contre cette mode. Mais, depuis longtemps aussi, l’ancienne sévérité avait, par suite de l’influence progressive de la culture et des mœurs grecques, fait place, également en ce point, à une tolérance de plus en plus large. Déjà du temps des Gracques, il y avait à Rome des écoles de danse et de chant, fréquentées par de jeunes garçons et de jeunes filles de bonne famille, de noble maison même, au grand déplaisir, il est vrai, des personnes à principes plus austères[132]. Mais on ne tarda pas à juger cette pratique avec plus d’indulgence, au moins quand il s’agissait de l’application à l’art et à l’exercice du chant. Cicéron, dans un dialogue rapporté à l’an 91 avant Jésus-Christ, fait dire à un des premiers personnages de la Rome d’alors, l’orateur L. Licinius Crassus, qui avait été consul en 95 et censeur en 92, et cela en termes exempts de l’ombre même d’une désapprobation, que son ami, le chevalier Numérius Furius, un père de famille, pratiquait encore dans l’occasion, en amateur, l’art du chant, qu’il avait appris enfant[133]. Il est vrai que si un homme dans la position de Sylla, non seulement admettait des acteurs dans sa société, mais ne dédaignait pas l’éloge qui le déclarait excellent chanteur lui-même[134], cela ne pouvait manquer de choquer beaucoup, attendu que Cornélius Népos encore fait ressortir, en parlant des différences entre les mœurs et les idées des Grecs et celles des Romains, que, dans l’opinion de ceux-ci, il ne sied pas à un homme haut placé d’exercer la musique[135]. La jeunesse, à la fois élégante et corrompue, du parti de Catilina, s’entendait à merveille, d’après Cicéron, à faire l’amour, à chanter, à pincer les cordes et à danser[136]. Ainsi, le dilettantisme en musique était, sans doute, alors aussi blâmé, en toutes circonstances, par bien des personnes ; mais l’application à la théorie de cet art ne devait plus être chose rare en ce temps-là, puisque déjà Varron l’admit dans le cycle des sciences formant la base du cadre général d’une éducation complète. C’est depuis le commencement de l’empire, sans doute, que non seulement la théorie de la musique était généralement comptée parmi les objets de l’enseignement supérieur[137], mais qu’il devait être aussi devenu très commun d’apprendre le chant et l’art de jouer des instruments à cordes aux garçons, pour compléter leur éducation. Columelle mentionne des écoles de musiciens, à côté de celles des rhéteurs et des mathématiciens[138]. Titus, qui fut élevé à la cour de Claude, conjointement avec le fils de celui-ci, Britannicus, et eut, dans les mêmes sciences, les leçons des mêmes maîtres, fit des progrès rapides dans toutes les branches. Il n’était pas seulement versé dans l’éloquence et la poésie des deux langues, il l’était aussi en musique, chantant et jouant de la cithare habilement et d’une manière agréable[139]. Britannicus (né le 13 février 41), qui excita la jalousie de Néron par la possession d’une voix meilleure que celle de ce prince[140], avait lui aussi reçu une éducation musicale. A la fête des Saturnales, en décembre 54, Néron, élu roi par le sort dans la société des compagnons de son âge, enjoignit au jeune Britannicus, qui n’avait pas encore quatorze ans, de s’avancer et de chanter un air, dans l’espoir de le ridiculiser. Mais Britannicus, non déconcerté, se mit à chanter une poésie contenant des allusions très claires à sa spoliation du droit au trône. L’émotion générale que produisit ce chant aigrit davantage la haine de Néron et fut ce qui détermina immédiatement et, en dernier lieu, l’année suivante, l’abominable assassinat de cet adolescent, qui donnait de si belles espérances[141]. Quant à Néron, Suétone dit, expressément (Néron, XX), qu’on l’avait appliqué à l’étude de la musique comme à celle des autres branches de l’enseignement. Parmi les maîtres de Marc-Aurèle on nomme Andron comme le professeur qui lui enseigna la musique, en même temps que les mathématiques[142]. De Commode, son biographe dit qu’il n’avait profité en rien de l’enseignement scientifique des meilleurs maîtres, mais que, d’un autre côté, il avait montré, dès l’enfance, du talent pour des choses qui s’accordent mal avec la dignité impériale, telles que l’art de modeler des coupes, la danse et le chant[143].

Chez les jeunes filles on attachait naturellement, de tout temps, encore plus d’importance à l’instruction musicale que chez les garçons. Des musiciens célèbres, comme Démétrius et Tigellius, passaient, déjà du temps d’Horace, une grande partie de leurs journées à côté des fauteuils de leurs belles élèves[144]. Celles-ci apprenaient non seulement à chanter, mais aussi à jouer de la cithare et des autres instruments à cordes, et il paraît qu’elles acquéraient très souvent l’habileté nécessaire polir chanter et accompagner des textes, fournis par un poète, d’après des mélodies composées par elles-mêmes. Cela n’était, sans doute, pas aussi difficile qu’aujourd’hui, les formes de la musique des anciens étant, comme on l’a déjà fait remarquer, beaucoup mieux arrêtées et plus faciles à manier, de sorte que l’on pouvait alors apprendre, avec de l’application, bien des choses pour lesquelles il faut aujourd’hui, sinon le génie créateur, au moins du talent. Des chœurs de jeunes garçons et de jeunes filles accompagnaient, selon toute probabilité, assez souvent de leur chant les solennités religieuses. Catulle a composé, pour un de ces doubles chœurs, un hymne en l’honneur de Diane[145]. Aux jeux séculaires, la cantate de circonstance était chantée dans le temple d’Apollon palatin, en latin et en grec, par trois bandes de neuf garçons chacune, et le même nombre de petites filles[146]. Aux obsèques d’Auguste, des enfants des deux sexes des plus grandes familles chantèrent l’éloge funèbre du défunt[147] ; à la fête mortuaire précédant les apothéoses des empereurs, un chœur de nobles garçons et un chœur de dames nobles chantaient aussi, à côté de la bière, au Forum, suivant Hérodien, l’éloge en vers du défunt, sur des mélodies plaintives et solennelles[148]. Il y avait même des occasions dans lesquelles, loin de tirer à conséquence, il était même de rigueur, pour des hommes de qualité, de chanter en public. Un homme aussi sérieux et rigide que Thrasée Pétus n’avait-il pas, à un spectacle antique et solennel, ne revenant que tous les trente ans, à Padoue, ville de ses pères, chanté, et même en costume, une scène de tragédie[149] ?

Le dilettantisme musical des femmes et des jeunes filles n’avait, anciennement, aussi été approuvé que jusqu’à un certain point par les hommes se piquant de rigidité. Salluste encore se place à ce point de vue, quand il dit de Sempronia, liée avec Catilina, qu’elle chantait avec plus d’art qu’il ne fallait pour une honnête femme[150]. Mais plus tard, selon toute apparence, non seulement tout blâme de l’espèce cessa complètement, mais l’habileté musicale fut comptée, généralement, parmi les conditions indispensables de toute bonne éducation féminine. Stace fait sonner, parmi les avantages par lesquels sa belle-fille mériterait de trouver un mari, qu’elle savait jouer du luth et chanter les vers de son beau-père sur des mélodies de sa propre composition, et Pline le Jeune fait un éloge semblable de sa troisième femme. Lucien porte aux nues le chant et le jeu de cordes de la maîtresse de Lucius Verus, la belle Smyrniote Panthée. Il la compare aux muses et aux sirènes. Devant cette voix, dit-il, le rossignol est réduit au silence ; c’est un chant comme on ne petit l’entendre que d’Une bouche aussi belle. Son chant le plus parfait est celui qu’elle accompagne de la cithare : cette observation stricte et toujours correcte de la mélodie (άρμονία), maintenant invariablement le texte et la cadence du chant, qui s’élève et s’abaisse tour à tour ; cet accord de la cithare avec la voix, ce plectre toujours en mesure avec le gosier, cette euphonie de la modulation : tout cela ce sont des qualités portées, chez elle, à une perfection à laquelle ni Orphée, ni Amphion, n’eussent jamais pu se flatter d’atteindre[151].

Même le dilettantisme musical des hommes ne paraît plus avoir rencontré, du temps d’Auguste, qu’une opposition partielle de contradicteurs isolés. Effectivement, le seul écrivain qui le désapprouve, après la chute de la république, est Sénèque l’Ancien, ce rigide partisan de la simplicité et de l’austérité des vieilles mœurs. Il déplore que les nobles études soient négligées, que le soin d’intérêts pires que l’oisiveté se soit emparé des esprits et que les occupations malséantes du chant et de la danse prennent tout le temps d’une jeunesse efféminée[152]. Le blâme de Sénèque le Jeune, dans un écrit composé sous le règne de Claude, n’est dirigé que contre l’exagération de ce dilettantisme. Les amateurs passionnés de musique, d’après son dire, passaient toute la journée à écouter, à chanter et à composer des airs ; ils torturaient leur voix par des modulations artificielles, de manière à la faire dévier de son expression naturelle, battaient constamment la mesure avec leurs doigts, en accompagnement du morceau qu’ils avaient en tête, et ne pouvaient s’empêcher de fredonner une mélodie, même dans les occasions qui portaient le plus au sérieux et à la tristesse[153]. Manilius déjà faisait un portrait semblable de l’amateur de musique, relevant, dans les orgies, le plaisir des libations de vin par les douceurs du chant, murmurant des chansons entre ses dents, au milieu du travail et des affaires, et revenant toujours au chant, pour charmer ses loisirs, quand il est seul[154].

Nombre d’autres passages et données confirment les grands progrès qu’avait faits à Rome, chez les hommes, depuis le commencement de l’empire, le dilettantisme musical. Avec une belle voix on pouvait espérer de plaire aux dames[155], comme chanteur accompli, de trouver accès dans la bonne société[156]. En général, il paraît que l’on estimait le talent musical particulièrement en raison de sa va-leur pour la sociabilité[157]. Dans Pétrone, Trimalcion engage un de ses invités, qui jadis passait pour un bon chanteur, à régaler la société d’un morceau ; mais l’invité s’excuse en exprimant le regret de ne plus pouvoir chanter, après avoir, il est vrai, tant chanté dans sa jeunesse qu’il avait failli en devenir poitrinaire. Trimalcion lui-même estropie les airs de Ménécrate, citharède et compositeur célèbre du temps de Néron[158]. Chez Martial, le dilettante universel qui fait tout gentiment, mais ne sait rien faire de bon, chante aussi gentiment et joue gentiment de la lyre[159].

Ce dilettantisme paraît avoir été très répandu aussi dans les hautes régions de la société. C. Calpurnius Pison, le chef de la conjuration tramée contre Néron en l’an 65, jouait, ainsi que l’assure une poésie faite à sa louange, de la lyre dans une perfection à faire croire qu’il avait eu des leçons d’Apollon lui-même ; et il n’eut, dans un temps de paix, point à rougir de s’occuper de cet art, car Achille lui-même n’avait-il pas fait vibrer les cordes de la même main qui dardait sa terrible lance contre les ennemis[160] ? Le nombre des empereurs desquels on rapporte qu’ils pratiquaient la musique vocale ou instrumentale en amateurs, est étonnamment grand. Adrien était tout fier de son habileté à chanter et à jouer de la cithare[161], et Fronton, qui appuie des exemples d’empereurs antérieurs sa recommandation à Marc-Aurèle de bien jouir des loisirs de son séjour à Alsium (port d’Étrurie), dit de lui qu’il trouvait, à côté des soucis du gouvernement, encore du temps pour s’occuper d’autres choses, qu’il était notamment un ami d’excellents repas et aimait à s’appliquer à des compositions, ainsi qu’à s’entourer de joueurs de flûte[162]. Caracalla cultivait aussi la citharédique et fit ériger un monument au célèbre citharède Mésomède, qui avait brillé aux cours d’Adrien et d’Antonin le Pieux[163]. Élagabale chantait aussi avec accompagnement de flûte (c’est-à-dire des scènes dramatiques), sonnait de la trompette, jouait de la pandure, espèce d’instrument à cordes, et touchait de l’orgue[164]. Alexandre Sévère, aimant pareillement la musique, jouait de la lyre, de la flûte et de l’orgue, ainsi que de la trompette, sur laquelle il ne se fit pourtant plus entendre comme empereur[165]. On voit que la cithare n’était pas le seul instrument dont jouassent les amateurs, bien qu’elle frit, indubitablement, celui qu’ils cultivaient le plus, d’ordinaire. Néron avait fait vœu, pour le cas où il réussirait à maîtriser la révolte qui avait éclaté contre lui, de se faire entendre sur l’orgue hydraulique, la cornemuse et la flûte chorale, aux jeux par lesquels on fêterait la victoire ; après une délibération précipitée, il promena les grands, qu’il avait fait appeler auprès de lui, au moment du danger le plus imminent, pendant tout le reste de la journée au milieu d’une ex-position d’orgues hydrauliques d’invention nouvelle, leur expliquant lui-même le mécanisme et les difficultés particulières de chaque instrument[166]. L. Norbanus Flaccus était un zélé joueur de trompette et s’exerçait avec assiduité sur son instrument, si bien qu’il en sonna dans la matinée même du jour où il prit possession du consulat, le ter janvier de l’an 19 de notre ère. Mais la multitude assemblée devant son palais, pour le complimenter, trouva de mauvais augure que l’on entendît le consul proférer un signal de guerre[167]. Il va sans dire que l’exemple des empereurs contribuait à propager ce dilettantisme, notamment dans les hautes classes.

D’après les termes dans lesquels tous ces cas nous ont été rapportés, il est clair que, dans les fantaisies musicales de Néron, ce qui paraissait indigne et honteux à ses contemporains, ce n’était ni son goût prononcé d’amateur pour la musique, ni l’exercice de ce dilettantisme, mais précisément le parti pris de vouloir être regardé, non comme un simple amateur, mais comme un artiste de profession, le fait qu’il osât se produire publiquement, et la manière dont il livrait son jeu au jugement du public. La conviction d’être né artiste le domina, toute sa vie durant, avec la persistance d’une idée fixe ; et c’est en répétant continuellement ces mots : Quel artiste le monde perd en moi ! Qu’il est mort, comme on sait. Quand éclata la révolte dirigée contre lui, rien ne le mit, paraît-il, hors de lui comme une proclamation de Vindex, dans laquelle on l’appelait mauvais citharède. Il considérait la fausseté de ce reproche, lui déniant la connaissance d’un art qu’il exerçait en virtuose, comme la meilleure preuve de la fausseté pareille des autres accusations de ses adversaires, et ne cessait pas de demander à ses courtisans s’ils connaissaient un citharède meilleur que lui. Des astrologues lui ayant prédit qu’il serait déposé un jour, il fit cette réponse, qui courut partout à Rome : Mon art chéri m’aidera bien alors à me tirer d’affaire[168]. A peine devenu empereur, il fit appeler Terpnus, le plus célèbre des citharèdes d’alors, le fit chanter et jouer devant lui jour par jour, après table, jusqu’à une heure fort avancée de la nuit, et s’appliqua, par des études et des exercices incessants, ainsi que par la plus stricte observance de toutes les prescriptions diététiques d’usage, à former sa voix, naturellement sourde et grêle[169]. Puis il se produisit comme citharède pour la première fois en l’année 59, la cinquième de son règne, à l’âge de vingt-deux ans, dans son jardin et son palais de la rive droite du Tibre[170], ensuite en l’an 64 dans la ville grecque de Naples[171], et seulement l’année suivante devant le grand public de Rome, lors du concours institué par lui-même, au théâtre de Pompée[172]. Vers la fin de l’année 66, il entreprit sa tournée d’artiste en Grèce, d’où il ne revint, probablement, que vers la fin de l’année suivante[173].

A côté des morceaux citharédiques, c’était la récitation semi dramatique, en costume et sous le masque, de solos de tragédie qu’il pratiquait de préférence en public. Probablement il était aussi, comme les citharèdes paraissent l’avoir été d’ordinaire, compositeur lui-même, ce que semble indiquer, mais avec peu de certitude, un passage de Philostrate[174]. Toute une armée, parfaitement dressée et organisée, d’applaudisseurs et de claqueurs, était chargée de l’applaudir, toutes les fois qu’il paraissait. Là aussi, comme dans bien d’autre circonstances de l’histoire de ce temps, l’affreux venait souvent se mêler au burlesque. Des espions étaient partout aux écoutes, et malheur à celui qui n’avait pas applaudi suffisamment, qui s’était esquivé avant que l’empereur n’eût fini de chanter, à qui s’était endormi ou avait négligé, quand des affections catarrhales régnaient à Rome, d’offrir des sacrifices et de faire des vœux pour la céleste voix de l’empereur. Il risquait fort de payer de la plus profonde disgrâce, où de sa vie même, toute imprudence qui froissait le maître absolu du monde romain dans ce qu’il y avait de plus dangereux à irriter chez lui, l’extrême susceptibilité de son amour-propre d’artiste.

 

Les rapports sur l’état de civilisation de l’époque écoulée depuis les premières périodes décennales du troisième siècle jusque vers la fin du quatrième, sont extrêmement maigres. Sur les derniers temps de l’antiquité, nous savons au moins que l’amour de la musique y était très répandu, dans la société païenne comme dans la société chrétienne. En effet, Ammien Marcellin nous apprend que les palais de Rome, autrefois célèbres pour le culte des sciences, maintenant remplis du besoin de distraction d’une molle oisiveté, retentissaient de chants, ainsi que du jeu des instruments à cordes. Le chanteur, dit-il, y va et vient à la place du philosophe, le professeur de musique à celle du professeur d’éloquence, et on n’y voit que des instruments de musique de toute espèce, pendant que les bibliothèques sont fermées comme des tombeaux[175]. A Constantinople, saint Jean Chrysostome adressait, de la chaire, à ses ouailles cette question : Qui de vous serait en état de réciter un psaume ou quelque autre morceau des saintes Écritures, si on l’y invitait ? mais que l’on vous demandât des airs diaboliques, des chansons galantes et obscènes, on en trouverait beaucoup parmi vous, qui, parfaitement au courant de tout cela, s’exécuteraient avec le plus grand plaisir[176]. La décadence générale de la culture antique, dans ces temps-là, autorise d’ailleurs la supposition que cette condamnation de la musique n’était pas seulement justifiée du point de vue chrétien, que cet art ne visait, évidemment, qu’à procurer aux sens des jouissances frivoles, et que la musique de théâtre, notamment, avec la domination absolue de la pantomime sur la scène, n’avait que le but trivial de chatouiller les oreilles.

Plus la musique avait perdu de son caractère sérieux et de sa dignité, plus il devait paraître scabreux de l’appliquer au culte chrétien, dont le chant d’église constituait cependant, dès l’origine, un élément essentiel ; on avait du moins de bonnes raisons pour craindre qu’elle ne le profanât. Saint Jérôme avertit ceux dont l’office est de chanter à l’église, de ne point élever leurs chants vers Dieu par la voix, mais par le cœur ; de ne point assouplir outre mesure leur poitrine et leur gosier à force de douceurs, à la manière des tragédiens, pour que l’on n’entende pas, dans l’église, des mélodies et des airs de théâtre[177]. Beaucoup de personnes, pour la mû-me raison, se formalisèrent du chant des femmes à l’église. Pour la plupart, dit Isidore de Péluse[178], cela aussi devient une occasion de péché, ces gens ne trouvant, au lieu de se sentir contrits par les psaumes divins, qu’un stimulant de la passion dans la suavité de la mélodie, et ne faisant pas de celle-ci plus de cas que de chants de théâtre. Pour se rendre agréable à Dieu, conclut-il, il faudrait défendre aux femmes, abusant ainsi d’un don céleste, de chanter à l’église, et même de séjourner dans la ville. Saint Cyrille, évêque de Jérusalem, mort en 386, ne voulait absolument pas admettre que les femmes chantassent, l’apôtre saint Paul leur ayant imposé le devoir du silence dans la commune. Aux ascètes, trouver du plaisir à la musique, apparaissait comme une envie charnelle des plus condamnables. Saint Augustin, qui était très impressionnable à la musique, et versait souvent des larmes, en entendant les hymnes de saint Ambroise, se faisait, par cette raison même, scrupule de s’abandonner à ces sensations, et craignait que la teneur de ces chants ne trouvât accès chez lui, à la faveur de ces sons, si flatteurs pour l’oreille. Dans ces moments-là, il désirait que tout chant suave fût banni de l’église, et qu’on y récitât les psaumes, comme saint Athanase l’avait introduit à Alexandrie, plutôt que de les chanter[179]. Dans l’Église d’Occident, le plus ardent promoteur du chant d’église fut saint Ambroise, comme l’avait été saint Basile dans celle d’Orient. Il n’entendait pas, il est vrai, que les chants de perdition de ces coloratures (chromata) de théâtre, qui disposent le cœur à l’amour sensuel, dussent charmer les chrétiens, mais il avait d’autant plus en haute estime le plain-chant, qui édifie véritablement. Qu’y a-t-il de plus suave qu’un psaume ? dit-il ; n’est-ce pas à la fois la louange de Dieu et la profession de foi la mieux sonnante ? L’apôtre a bien recommandé aux femmes le silence à l’église ; mais les psaumes, elles les chantent très bien. Or tout âge, ainsi que tout sexe, est bon pour chanter des psaumes. Les vieillards, en les chantant, se démettent de la sévérité de leur âge, les hommes plus jeunes les chantent sans encourir le reproche de mollesse, les adolescents, sans danger pour l’impressionnabilité de leur âge et sans tentation de volupté, les tendres jeunes filles sans préjudice de leur pudeur féminine ; les vierges et les femmes mariées, enfin, font retentir mélodieusement, sans s’écarter de la décence, avec une dignité grave. et toute la suavité des riches accents de leurs voix, l’hymne du Seigneur. Aussi que de peine on a à obtenir le silence du peuple à l’église, quand on s’y borne à la simple lecture ; mais que le chant du psaume se fasse entendre, tout le monde aussitôt se tait[180].

Cependant, le souvenir de l’origine et du caractère païens de la musique s’effaça de plus en plus, à mesure qu’une nouvelle substance se répandit dans les anciennes formes ; et, comme elles se sont trouvées parfaitement propres à recevoir cette substance, les formes musicales, nées du sentiment qu’avait de cet art la Grèce antique, se sont aussi en partie conservées, plus immuables que celles de tout autre art. Le système des six ou sept tons ou modes grecs, propagé par une tradition ininterrompue, demeura, dans l’âge chrétien aussi, le fondement de la composition musicale. Les maîtres du siècle dernier seulement y ont substitué le système de musique basé sur deux modalités ; c’est J.-S. Bach qui montra le premier, dans sa méthode de piano (intitulée Wohltemperirtes Clavier), la variété de gammes, inconnue jusque-là, résultant de la transposition de la tonalité, d’après les douze modes majeurs et mineurs.

Ainsi s’est produit, dans l’histoire des arts, ce phénomène extraordinaire que l’art qui s’est, précisément, le plus écarté, dans sa, direction, du génie antique, est pourtant celui qui, dans son développement historique, nous a été transmis directement de l’antiquité par une tradition continue, tandis qu’il a fallu, pour ainsi dire, découvrir de nouveau, à une époque bien postérieure, les règles, antiques aussi,, de l’architecture, de l’art plastique et de la poésie, règles qui font pourtant de même encore autorité pour nous[181].

 

 

 

 



[1] Cassiodore, Chron. a. u. c. 639 : His coss. L. Metellus et Cn. Domitius censores artem ludicram ex urbe removerunt præter Latinum tibicinem cum cantore et ludum talanum (?). Mommsen, Hist. rom., II, 408, etc., adopte talarium ; Herz, dans les Nouvelles annales philologiques, tome 93, 582, atellanum.

[2] Westphal, Harmonie et mélopée des Grecs, p. 8, etc. (en allem.).

[3] Dziatzko, Les deverbia de la comédie latine (en allem), dans le Nouveau musée rhénan, 1871, p. 97, etc. — Septenarii ad tibiam (Cicéron, Tusculanes, I, 44, 107). — Voir aussi Éd. a Bruner, Quæstiones Terentianæ, Helsingfors, 1868, p. 22, etc., où l’on voit aussi, déjà, des monologues comptés parmi les deverbia. Voyez, dans le même travail, ce qui est dit, p. 34, etc., de la composition et de l’accompagnement de flûte des deverbia et p. 29, etc., de la probabilité que l’on connaissait dès lors les ouvertures.

D’autres érudits sont pour la forme diverbium : ainsi Bucheler (Nouvelles annales philologiques, 1871, 273) et Ritschl, auteur du Canticum et diverbium dans Plaute (Nouveau musée rhénan, 1871, 599 etc., ainsi que particulièrement 618, 48). Ritschl a parfaitement démontré que les scènes septénaires trochaïques doivent être classées parmi les cantica. M. Friedlænder cependant ne veut pas admettre que la palliata, n’eût point d’autres éléments que la déclamation, le récitatif et le mélodrame ; il persiste à croire que les cantiques étaient des monologues ou solos, répondant à nos grands airs, et n’admet pas davantage que la forme mélodramatique fût la seule possible, dans l’accompagnement musical du chant épique, comme le veut Ritschl (p. 623, 55).

[4] Quintilien, I, 10, 29.

[5] Pline le Jeune, Lettres, VII, 17 : Lyrica... chorum et lyram poscunt. — Voir aussi Aulu-Gelle, XIX, 9.

[6] O. Jahn, Comment débitait-on les odes d’Horace ? dans le recueil allemand Hermès, II, p. 427, 3. — Cependant il semble que, dans Plutarque (Quæst. conv., VII, 8, 2, p. 711 D.), il faudrait, au lieu de Σαπφοΰς άναδεχομένης, plutôt άναδεγομένης.

[7] Horace, Odes, IV, 9, 3, et Jahn, p. 429.

[8] Jahn, p. 433.

[9] Lettres, VII, 4, 9 et IV, 19, 4.

[10] Le cantare Catullum dans Horace (Satires, I, 10, 18) peut, dès lors, également être pris dans le sens littéral.

[11] XIX, 3 à 5, 8 (cantilena).

[12] Aulu-Gelle, XIX, 10 : Voce admodum para suavi... cecinit ; puis 13 : dixit. — Voir aussi Jahn, 419, etc.

[13] Donat., Vita Virgili, p. 60 R.

[14] Pétrone, Satiricon, ch. LIII : Odaria saltare. — Jahn, 421.

[15] Tristes, II, 519 ; V, 7, 25. — Jahn, l. c.

[16] Juvénal, XI, 180 et ailleurs. — Jahn, l. c.

[17] Weinhold, les Femmes allemandes (ouvr. allem.) p. 103.

[18] Westphal, ouvrage précité, 13. — Ambros, Histoire de la musique, I, 446, où il faut voir aussi (p. 451, n. t) la transcription de l’hymne de Dionysius au dieu du soleil, d’après la méthode rythmique de Bellermann.

[19] Westphal, p. 17, etc. — Ambros, I, 298, etc.

[20] D’après Westphal (p. 162 à comparer avec p. 271), il s’étendait depuis le grand fa jusqu’au sol dièse, mais avec un diapason d’une quarte au-dessous du diapason actuel.

[21] Ambros, p. 351.

[22] C. Mendelssohn-Bartholdy, Histoire de la Grèce, I, 44. Il est probable que la musique de l’ancienne Égypte ne connaissait guère non plus l’harmonie. Voir Ambros, I, 156, etc.

[23] Westphal, p. 19, etc. ; Ambros, p. 452, etc.

[24] Pline le Jeune, Lettres, 11, 14, 17 (mesochorus) ; C. I. G., III, 6231 (άρχέχορος) ; Dion Cassius, LVI, 35 ; Dion Chrysostome, Or., LVI, 565, 19 M (coryphées). — Columelle, R. R., XII, 2 : Ubi chorus canentium non ad certes modos neque numeris prœeuntis magistri consensit, etc. ; Apulée, Demundo, p. 749 : Quod est in triremi gubernator, in curru rector, prœcentor in choris, etc.

[25] Voir Ambros, I, 461 à 494.

[26] IX, 4, 11 ; I, 10, 25.

[27] Ambros, I, 487 et 484. — Ed. a Bruner (Quæst. Terent., p. 6, etc.), arrive, par ses recherches consciencieuses, au même résultat que Bœckh, pour lequel tibiæ dextræ étaient les flûtes hautes, sinistræ, les flûtes basses, parmi lesquelles se rangeaient aussi les sarranæ (Bruner, p. 18 et 41), variété distincte cependant.

[28] Westphal, p. 21. — Article Rythmica dans l’Encyclopédie de Stuttgart, VI, 668. — Ambros, 476.

[29] Westphal et Ambros.

[30] Ambros, I, 461 à 476.

[31] Westphal, p. 21. Cicéron, pro Murena, 13, etc. (Quintilien, VIII, 3, 79) : Ut aiunt in græcis artificibus eos aulœdos esse, qui citharœdi lieri non potuerint.

[32] Meyer, Anthol. lat., 955, 957.

[33] Westphal, p. 115. Ainsi déjà Pindare, Ol., 3, 6.

[34] Horace, Épodes, 9, 3 : Sonante mixtum tibiis carmen lyra Hac Dorium, illis barbarum (aux sons confondus de la lyre Dorienne et des flûtes Barbares).

[35] Pline le Jeune, Lettres, VII, 17. — Aulu-Gelle, XIX, 9.

[36] Aristide Quintilien, II, éd. Meibom, p. 91.

[37] Pollux, IV, 80 et 83.

[38] Aristide Quintilien, II, éd. Meibom, p. 101, ainsi que 108 etc.

[39] Plutarque, An seni ger. s. resp., c. 5, 6, p. 786. — Voir aussi le même, Galba, ch. XVI et Martial, IV, 5, 8.

[40] Vie d’Apollonius de Tyane, V, 21, éd. K. p. 93.

[41] Ad. Quintilianum, I, 12 ; voyez aussi Bitter, J. S. Bach, I, 304, etc. (en allem.).

[42] Westphal, p. 22, etc., et Ambros, I, p.510, auquel cette comparaison est empruntée.

[43] Pollux, IV, 84. Strabon, IX, p. 421 c. — Ambros, I, 481, etc. — L’opinion de Bœckh, que d’autres instruments encore, des trompettes et des timbales, y eussent coopéré, paraît difficile à motiver.

[44] Athénée, VIII, 338, B.

[45] Horace, Art poétique, 202.

[46] Ammien Marcellin, XIV, 6, 18.

[47] Athénée, V, p. 201, F.

[48] Ambros, I, 155.

[49] Ibidem, 163.

[50] O. Müller (Histoire de la littérature des Grecs, I, 293) dit qu’aux diverses cours des princes macédoniens, à partir d’Alexandre, on exécutait des symphonies, auxquelles coopéraient des centaines d’instruments ; et qu’il faut croire, d’après le témoignage des anciens, que la musique instrumentale, dans la branche des instruments à vent en particulier ; n’était pas alors moins riche ni moins variée que de nos jours. M. Friedlænder ne voit pas bien, cependant, sur quoi se fonde cette assertion, le passage de Plutarque (De mus., ch. XVIII) cité par Müller ne contenant rien de semblable.

[51] Ambros, I, 181.

[52] Tite-Live, XXXII, 6 : Tunc psaltriæ sambucistriæque (Ambros, I, 181) et convivalia ludionum oblectamenta addita epulis.

[53] Horace, Satires, I, 2, 1. — Juvénal, III, 62 ; etc.

[54] Voir Ambros, I, 180 etc., avec de justes réserves, pour la confusion faite dans ce passage du pythaules avec l’utricularius.

[55] Athénée, IV, 183, E.

[56] Ovide, Remed. Amoris, III, 318.

[57] Martial, III, 63, 5.

[58] Cicéron, in Verrem, II, 3,44,105 ; II, 5, 13, 31 ; pro Cœlio, 15, 35.

[59] Le même, Divin. in Cæcil., 17, 55 ; in Verrem, II, 5, 15, 04 ; pro Milone, 21, 55.

[60] Le collegium symphoniacorum qui sacris publicis præsto sunt (Henzen, 6097), n’est pas autre, sans doute, que le collegium tibicinum et fidicinum Romanorum qui s. p. p. s. (Orelli, 2448, inscription de l’an 111 après J.-C.).

[61] Ambros, I, 292, note.

[62] Horace, Odes, IV, 1, 22. — Voir aussi Jahn, p. 432.

[63] Athénée, VII, 361 E.

[64] Maxime de Tyr, Diss. XXXII, 4. — Voir aussi une description de la musique de noce, dans l’Anthol. lat., éd. Riese, II, 742, à savoir l’Epithalamium Laurentii, du temps de Claudien, præf., XXVII, vers 60 à 64 :

Tympana, chorda simui, symphonia, tibia, buxus,

Cymbala, bambilium cornus et fistula, sistrum,

Quæque per æratas inspirant carmina fauces,

Humida folligenas exclament organa voces.

Voir aussi Haupt, dans l’Hermès, IV, 14.

[65] Sénèque, Lettres, 84, 10.

[66] Vie de Carin, ch. XIX.

[67] Ammien, XIV, 6,18.

[68] Cicéron, De legibus, II, 15, 39 : Illa quidem (sc. theatra) quæ solebant quondam compleri jucunda severitate Livianis et Nævianis modis, nunc ut eadem exultant, ut cervices oculosque pariter cum niodorum flexionibus torquent (Jadis les vers de Livius et de Névius se chantaient sur un mode sévère qui n'excluait pas le charme; maintenant, pour les faire applaudir, les chanteurs croient devoir joindre aux déformations des modes des contorsions du cou et des roulements d'yeux).

[69] Varron, ap. Non., 7, 16 (Satire Ménippée, éd. Oehler, p. 175. — Vahlen, Conjectanea, p. 16) : Sæpe totius theatri tibiis, crebro flectendo commutari mentes, frigi (frigier V.) animos eorum. — Voir aussi Horace, Art poétique, 211, etc.

[70] Pseudo-Plutarque, De mus., 15, 1. Cet écrit est, comme l’a montré Westphal (Harmonie et mélopée, p. 51 à 57), le premier essai d’un musicien platonisant, qui en avait copié la majeure partie, d’Aristoxène.

[71] Plutarque, Quæst. conv., IX, 15, 17.

[72] Pseudo-Plutarque, De esu carnium, II, 2, 3.

[73] Thibaut, De la pureté dans l’art des sons, 1825 ; 3e éd. 1851, p. 10, etc., 77, 92, 112, etc.

[74] Cicéron, Div. in Cæcil., 17, 55 ; in Verrem, II, 5, 15, 64.

[75] Le même, pro Roscio Amer., 4 5, 134.

[76] Le même, pro Milone, 21.

[77] Le même, pro Cœlio, 15. — Sénèque, Lettres, 51.

[78] Sénèque, Quare aliqua incommoda, etc., c. III, 10.

[79] Suétone, Caligula, ch. XXXVII.

[80] Sénèque, Vit. beat., c. XI, 4 : Vide hos eosdem... aures vocum sono, spectaculis oculos, saporibus palatum suum delectantes (Voyez-les contempler,... charmer leurs oreilles par le son des voix, leurs yeux par des spectacles, leur palais par des saveurs exquises). — Horace, Art poétique, 374 :

Ut gratas inter mensas symphonia discors.

Voir aussi le même Odes, III, 19, 18, pour le festin de Nasidiénus, où il n’y a point de musique.

[81] Claudien, dans son Éloge de Stilicon, dit de celui-ci (II, 141) :

Nullo citharte convivia cantu,

Non pueris lasciva sonant.

Voir aussi Müller, Gen. æv. Theodos., II, 7.

[82] Juvénal, XI, 162.

[83] Aulu-Gelle, XIX, 9, 3.

[84] Pline le Jeune, Lettres, I, 15.

[85] Martial, V, 78.

[86] Pétrone, Satiricon, 31-33, 35-36, 41, 47.

[87] Voyez sur la musique, dans le culte romain, Marquardt, Manuel, V, 2, 414. — Ambros, dans son Histoire de la musique, I, p. 528, fait erreur en traduisant ίερά μουσιxή, dans Julien (Lettres, 56), littéralement. Il ne s’agit là d’une musique divine que comme d’un art divin : de musique sacrée dans le sens moderne, il n’y en avait point alors.

[88] Ovide, Fastes, III, 535 ; Art d’aimer, III, 317.

[89] Cicéron, Acad. prior, II, 7, 20.

[90] Cicéron, De orat., III, 25, 98 : Quanto molliores sunt et delicatiores in cantu flexiones et falsæ voculæ quam certæ et severæ ! quibus tamen non modo âusteri sed, si sæpius fiunt, multitudo ipsa reclamat (Les modulations cadencées, les brillants et capricieux artifices de la voix sont d'une mélodie beaucoup plus flatteuse qu'un chant exact et régulier. Et toutefois, non seulement les juges austères mais la multitude elle-même se récrie contre ces agréments, s'ils sont prodigués avec excès).

[91] Polybe, XXX, 13 ; Athénée, XIV, 4 (lors des jeux du triomphe de L. Anicius, en l’an de Rome 587).

[92] Auct. ad Herennium, IV, 47.- Voir aussi Cicéron, De orat., II, 80, 330, et Tusculanes, V, 40, 116.

[93] Suétone, Domitien, ch. IV (psilocitharistæ).

[94] Comme le trigonon, déjà mentionné.

[95] Suétone, Néron, ch. LIV : Voverat... proditurum se... etiam hydraulam et choraulam et utricularium (il avait fait voeu... de paraître... et d'y jouer de l'orgue hydraulique, de la flûte et de la cornemuse). — On voit des joueurs d’orgue, sur des contorniates (Sabatier, Descript, gén. des méd. cont., pl. X, 6. à 9). — Sur la mosaïque de Nennig, un musicien jouant du cor accompagne le joueur d’orgue.

[96] ώδοί. — Suétone, Néron, ch. XLII : Jocularia in defectionis duces carmina lasciveque modulata.... etiam gesticulatus est (il chanta, avec accompagnement de gestes bouffons, contre les chefs de la défection, des vers plaisants).

[97] Orelli, 2617 : Ti. Claudius Glyptus hymnologus de campo Cœlimontano.

[98] Pseudolucien, Néron, chap. III.

[99] Orelli, 2609 (citharœda) ; 2610 (χοραυλίς).

[100] Ant. d. Ercol., V, 4, p. 201 ; Roui et Barré, Pompéji et Herculanum, II, 13 ; Helbig, Peintures murales, p. 348, etc. (en allem.).

[101] Suétone, Domitien, ch. IV (chorocitharistæ). — Voir aussi Phèdre, V, 7, 25.

[102] Ainsi il est très possible, mais n’est nullement certain, d’après le texte, comme l’admettait Grysar (Sur le cantique et le chœur, p. 40), que les cornicines atque tubarum concentus de Juvénal (X, 210, etc.) fussent un prélude au solo du citharède. Le prélude du citharède même s’appelle principium (Suétone, Néron, ch. XXI). Cicéron aussi (de Orat., II, 80, 325), dit : Connexum autem ita sit principium consequenti orationi, ut non tamquam citharœdi proœmium affictum aliquod... videatur.

[103] Cyprien, De spectac. : Græca illa certamina vel in cantihus, vel in fidibus, vel in vocibus, vel in viribus.

[104] Tacite, Annales, XIV, 20.

[105] Voir, par exemple, l’inscription relative au poète et musicien, M. Semporius Nicocrate.

[106] Acro, Horace, Satires, I, 2, 3 : Dicebatur in poematis suis placere vote non carminum probitate. Cantor optimus et modulator, dans Horace, Satires, I, 3, 129.

[107] Pétrone, Satiricon, ch. LXXIII : Menecratis cantica.

[108] Eusèbe, Chron. ad. a. 146, p. Ch.-Suidas, v. Mesomedes, avec les notes de Bernhardy, et Jacobs, Anthol., III, p. 6.

[109] Ambros, I, 450.

[110] Quintilien, XI, 3, 19, etc. : Præparare ab imis sonis votera ad summos.

[111] Suétone, Néron, ch. XX, 25. — Galien, De locis affectis, VI, 6 ; éd. K., VIII, 451. — Infibulation (Celse, VII, 25, 3), et, pour des exemples, Martial, XI, 75, 3, et XIV, 215 ; Juvénal, VI, 379, etc. ; Pline, Hist. nat., XXXIII, 151 (fibulæ argenteæ).

[112] Galien, De locis affectis, IV, 13, éd. K., VIII, 287.

[113] Voir Kœhler, Mélanges, VI, 209 (en allem.), et Dion Cassius, LXIII, 8.

[114] Suétone, Vespasien, ch. XIX.

[115] Juvénal, VII, 175, etc.

[116] Martial, III, 4.

[117] Le même, V, 68.

[118] Strabon, XIV, 41, p. 648 C.

[119] Suétone, Néron, chap. XXX.

[120] Bæhr dans l’Encyclopédie de Stuttgart, t. IV, 1874. — Suidas s. v. Vita Antonini Pii, c. VII.

[121] A Rome, on baissait le rideau pour découvrir la scène, au lieu de le lever, comme il est d’usage aujourd’hui.

[122] Phèdre, V, 7.

[123] Cicéron, Ad fam., VII, 24 ; voir aussi ad Atticum, XIII, 49 à 51.

[124] Horace, Satires, I, 3, 1 à 19 et I, 2, 1 à 4.

[125] Suétone, Néron, ch. XXIII. — Voir aussi Dion Cassius, LXIII, 9.

[126] Tacite, Annales, XVI, 4. — Suétone, Néron, ch. XXIV.

[127] Dion Cassius, LXI, 20.

[128] Tacite, ibidem.

[129] Martial, XIV, 166 (cithara) :

De Pompejano sæpe est ejecla theatro,

Quæ duxit silvas detinuitque feras.

(Elle fut bien souvent repoussée du théâtre de Pompée, cette lyre qui se faisait suivre des forêts et qui attirait les bêtes fauves.)

[130] Epictète, Diss., II, 16, 9.

[131] Martial, IV, 5, 8.

[132] Macrobe, Saturnales,II, 10.

[133] Cicéron (De orat., III, 23, 86 et 87) dit, à propos de la distinction entre les amateurs et les artistes : Valerius cottidie cantabat, crat cuira scenicus, quia faceret aliud ? (Valérius passait sa vie à chanter : qu'aurait-il pu faire? il était acteur)... Puis : At Numerius Furius, familiaris noster, quum est commodum, cantat. Est enim paterfamilias, est eques Romanus, puer didicit quod discendum fuit (Mais notre ami Numérius Furius ne chante que dans l'occasion : c'est un père de famille, un chevalier romain ; il a, dans sa jeunesse, appris de la musique ce qu'il convient d'en apprendre).

[134] Macrobe, l. c.

[135] Cornélius Népos, præf.

[136] Cicéron, Catilinaires, II, 10, 23.

[137] Sénèque, Lettres, 88, 9. — Quintilien, I, 10, 22.

[138] Columelle, R. R., I, prœf. 5.

[139] Suétone, Titus, ch. III.

[140] Le même, Néron, ch. XXXIII.

[141] Tacite, Annales, XIII, 15.

[142] Histoire Auguste, Vita M. Antonini, c. II.

[143] Ibidem, Vita Commodi, c. I.

[144] Horace, Satires, I, 10, 9S.

[145] Catulle, C. XXXIII.

[146] Marquardt, IV, 340.

[147] Suétone, Auguste, ch. C.

[148] Hérodien, IV, 2, 5.

[149] Tacite, Annales, XVI, 21 ; Dion Cassius, LXII, 26.

[150] Salluste, Bellum Catilinarium, c. XXV.

[151] Lucien, Imag., 13, etc.

[152] Sénèque, Controv., I, proœmium.

[153] Ibidem, De brevitate vitæ, c. III, 4.

[154] Manilius, V, 329 ; etc.

[155] Ovide, Art d’aimer, I, 595.

[156] Horace, Satires, I, 9, 25.

[157] Manilius, IV, 525, etc. ; V, 329.

[158] Pétrone, Satiricon, ch. LXIV et LXXIII.

[159] Martial, II, 7.

[160] C. in Pisonem, 166 à 177.

[161] Vie d’Adrien, ch. XIV.

[162] Fronton, fer. Als., 3, éd. Naber, p. 229.

[163] Dion Cassius, LXXVII, 13.

[164] Vie d’Élagabale, ch. XXXII.

[165] Vie d’Alexandre Sévère, ch. XXVII.

[166] Suétone, Néron, ch. XLI, LIV.

[167] Dion Cassius, LVII, 18.

[168] Suétone, Néron, ch. XLIX, XLI, XL.

[169] Ibidem, ch. XI ; Dion Cassius, LXI, 20.

[170] Tacite, Annales, XIV, 14 ; etc. ; Dion Cassius, LXI, 20 ; Pline, Hist. nat., XXXVII, 19.

[171] Tacite, Annales, XV, 33.

[172] Ibidem, XVI, 4.

[173] Haackh, Encyclopédie de Stuttgart, V, 583, etc.

[174] Vie d’Apollonius de Tyane, IV, 39, p. 82, éd. K.

[175] Ammien Marcellin, XIV, 6, 18.

[176] P. E. Muller, De gen. æv. Theodos., II, 123.

[177] Forkel, Histoire générale de la musique, II, 151 (en allem.). — Saint Jérôme, dans l’épître aux Éphésiens, ch. V.

[178] Épist., I, 90. — Forkel, II, 140.

[179] Saint Augustin, Confessions, IX, 6. — Forkel, II, 133, etc.

[180] Saint Ambroise, Op., I, p. 740 (Præf. ad Psalm., I). — Forkel, 131, etc.

[181] Westphal, Harmonie et mélopée des Grecs, p. 24 et 157 (en allem.).