MŒURS ROMAINES

 

LIVRE VII — LES VOYAGES DANS L’EMPIRE ROMAIN.

CHAPITRE IV — Voyages des touristes dans le monde romain.

 

 

Nous venons de voir de quelle nature étaient les principaux mobiles des pérégrinations, à cette époque, et de démontrer par là, en même temps, combien et avec quelle facilité on y voyageait. Maintenant, ne nous occupons plus que de celles que l’on entreprenait pour le plaisir de courir le monde, par amour du changement et de la variété des impressions nouvelles, pour s’instruire ou pour se divertir, genre de voyages qui paraissent aussi n’avoir été, à cette époque, guère moins fréquents que dans les temps modernes. Pline l’Ancien dit de la nature humaine qu’elle est avide de nouveautés et de pérégrinations[1]. Grand était le nombre de ceux qui aimaient à parcourir des villes qu’ils ne connaissaient pas, à explorer une mer nouvelle et à jouir, de l’hospitalité dans tous les pays du monde[2]. Cette passion des voyages, qui poussait l’empereur Adrien à parcourir toutes les provinces de l’empire, et qui était si forte chez lui qu’il brûlait constamment du désir de voir et d’apprendre à connaître, par lui-même, tout ce qu’il lisait sur quelque contrée que ce fût, était très répandue[3].

Mais, on se tromperait fort si l’on croyait pouvoir conclure de pareils propos à la moindre similitude des entreprises qui procédèrent du goût des anciens pour les voyages avec les voyages de découverte et les grandes émigrations des temps modernes.

Le désir de pénétrer dans la région de l’inconnu était faible dans l’antiquité, et la terre resta, pour les Romains comme pour les Grecs, étroitement bornée dans toutes les directions ; c’est à peine si l’imagination s’élevait à la fantaisie de jamais franchir ces bornes et, même dans les marches frontières, si souvent abordées, du monde alors connu, tout le zèle qu’on apportait à la recherche de la vérité, ne parvint jamais à dissiper complètement les fables et les traditions légendaires des temps antérieurs ; ces traditions revenaient toujours sur l’eau et étaient accueillies même par les gens lettrés[4].

Aucun navigateur n’était encore assez hardi pour s’aventurer dans l’immensité, de la mer d’Occident, que l’on croyait, comme celle du Nord, impraticable pour les navires à partir d’une certaine distance des côtes, bien que l’existence d’un continent entre l’Europe occidentale et l’Asie fût regardée comme possible, non seulement par Strabon[5], mais aussi par Aristide[6]. Pausanias (I, 23, 6) encore parle, en se fondant sur le rapport d’un navigateur caries, d’îles désertes dans l’océan Atlantique, habitées par des êtres semblables à des satyres.

Au midi, les déserts et l’ardeur du climat opposaient une limite au goût des explorations. La chaleur, disait-on, y était telle, que les pierres en étaient brûlantes même le soir, et le sable tellement échauffé qu’il brûlait la plante des pieds et forçait les indigènes à demeurer dans des cavernes souterraines[7]. La chaîne de l’Atlas même resta enveloppée d’un voile mystérieux. Bien que les gouverneurs de la Mauritanie, depuis que les troupes romaines avaient, pour la première fois, pénétré jusque-là, sous Claude, se fussent piqués d’honneur de pousser jusqu’à cette chaîne ; bien qu’il y eût déjà dans cette province, du temps de Pline l’Ancien, cinq colonies romaines, ce savant naturaliste raconte encore que les monts désolés de l’Atlas, remplis le jour des horreurs de la plus profonde solitude, sont éclairés la nuit par des feux mystérieux et, retentissent alors du bruit de Pans et de satyres vagabonds, ainsi que du son des flûtes et des timbales[8]. On comprend mieux que l’imagination se soit complu, dans tous les temps, à embellir de merveilles innombrables lès pays d’Orient, l’Arabie et l’Inde[9]. Mais, au sujet de l’extrême nord aussi, des contes fabuleux et les idées les plus étranges se maintinrent avec une persistance opiniâtre. Pline (H. N., II, 89) ne croyait pas devoir refuser toute créance à ce que l’on rapportait du pays des Hyperboréens, espèce de paradis, jouissant de la félicité d’un printemps éternel, où le soleil ne se lève et ne se couche qu’une fois dans l’année, et où le jour dure six mois : Tacite dit (Germanie, 45) que, dans le nord, une mer immobile de rigidité termine l’orbe terrestre ; que l’on avait raison d’envisager cette mer comme la limite du domaine de la nature vivante, cette région étant si proche de l’endroit où le soleil se couche que la lumière de cet astre y éclaire la nuit et fait pâlir les étoiles ; que l’on croit, enfin, même y avoir entendu le mugissement des eaux produit par son immersion dans la masse liquide. Plutarque rapporte, comme le tenant de la bouche d’un de ses savants amis, grand voyageur, Démétrius de Tarse, que les archipels qui entourent l’île de Bretagne avaient pour habitants des spectres et que, dans l’une des petites îles dont ils se composent. Chronos endormi était retenu en captivité par le géant Briarée[10]. Or l’idée que les îles et les côtes de ces parages faisaient partie de l’empire des morts, et que les âmes décédées y séjournaient, reparaît encore sous diverses formes dans les temps postérieurs[11].

Mais, même en deçà des limites de la partie connue du globe, le cercle dans lequel tournaient la plupart des voyages était assez étroitement circonscrit, Évidemment très peu de personnes, si l’on excepte les négociants, se hasardaient à franchir les limites de l’empire romain. Strabon ne pense pas qu’aucun géographe ait jamais pu faire des voyages beaucoup plus grands que lui-même, qui avait passé dans la direction de l’est à l’ouest, depuis l’Arménie jusqu’à la côte occidentale de l’Italie, du nord au sud, depuis le Pont-Euxin jusqu’à la frontière d’Éthiopie[12]. Pausanias, dans ses nombreux voyages, n’avait jamais rencontré personne qui eût été à Babylone ou à Suse[13].

Dans les contrées danubiennes on ne trouvait que bien rarement, du temps de Trajan même, d’autres étrangers que des marchands et des fournisseurs de l’armée[14]. Dans l’empire romain, il était à peu près impossible que, voyageant pour son agrément ou son instruction, sans but scientifique bien déterminé, on songeât à se diriger vers les pays septentrionaux.

On avait sans doute, en général, des voyages entrepris de ce côté, la même idée que Tacite, quand il dit de la Germanie, à propos d’émigrations, qu’il était inadmissible que la pensée de quitter l’Italie, pour ces contrées barbares, pût jamais venir à personne[15]. Niais dans les provinces occidentales, il paraît que les voyages entrepris sans autre mobile que la simple curiosité d’aspects nouveaux, n’étaient pas très rares, car notamment la Gaule et l’Espagne, dans lesquelles la culture et les mœurs romaines avaient gagné, beaucoup de terrain, offraient maint attrait. La première de ces deux contrées surtout était devenue un pays tout autre qu’au temps de Cicéron, où rien n’y paraissait digne de fixer l’attention des étrangers : ni l’agrément des paysages, ni la beauté d’aucune ville, ni l’éducation et les manières des habitants[16]. En Espagne, Gadès surtout paraît avoir été une place très fréquentée par les voyageurs[17]. Le rhéteur P. Annius Florus fut aussi conduit, dans un voyage qu’il fit pour son plaisir, dans les Gaules et en Espagne[18], pays dont il décrit fort élogieusement une ville, Tarragone peut-être[19]. Nous parlerons plus loin des voyages que l’on faisait pour jouir du spectacle de la marée, sur les rivages de l’océan Atlantique.

Mais la grande majorité des voyageurs, quand ils ne se contentaient pas de parcourir l’Italie et la Sicile, prenaient la direction du Midi ou celle de l’Orient. Pour qui connaît, ne fût-ce que très superficiellement, la littérature de l’époque., il ne peut y avoir de doute que la Grèce, l’Asie-Mineure et l’Égypte ne fussent lés pays exclusivement visités par la grande masse des touristes du temps. Pline le Jeune (Lettres, VIII, 20) les nomme expressément, tous les trois, comme les premiers pays que tout homme ayant reçu de l’éducation avait intérêt à visiter. Il est, dit-il, bien des choses curieuses à Rome et aux environs de cette capitale, que l’on n’a jamais vues et ne connaît pas même par ouï-dire, choses que l’on aurait certainement bien plus de chance de connaître par les livres, par les récits d’autrui, ou pour les avoir vues sur les lieux mêmes, si elles nous étaient offertes par la Grèce, l’Asie-Mineure, l’Égypte, ou quelque autre pays riche en curiosités et sachant faire valoir celles qu’il possède.

Nous allons passer maintenant en revue ces divers pays et les localités qu’on y visitait surtout, dans l’ordre suivant : 1° Italie et Sicile ; 2° Grèce ; 3° Asie-Mineure ; 4° Égypte. Nous terminerons, ensuite, par quelques généralités sur les divers genres d’intérêt qu’ils offraient aux voyageurs romains.

 

1° Italie et Sicile.

L’Italie offrait, dans toutes les directions, un grand nombre de points ayant tout ce qu’il faut pour attirer les amateurs d’excursions. Sénèque raconte comment on cherchait à échapper à la mauvaise humeur et à l’ennui, par de petites tournées en mer et sur terre. Tantôt on voyageait en Campanie ; puis, quand on était rassasié de la vue de ces gracieux paysages, et que le désir à la variété entraînait vers un pays sauvage, on allait parcourir les gorges qui sillonnent les forêts de la Lucanie et du Brutium. Mais, comme dans ces solitudes on ne tardait pas à soupirer de nouveau après une nature d’un aspect plus riant, pour reposer les yeux fatigués de la rudesse monotone de ces lieux, on se rendait à Tarente et l’on revenait finalement à Rome, afin de ne pas rester privé plus longtemps des émotions que procuraient les clameurs et le bruit de l’amphithéâtre[20].

Mais, ceux que l’ennui poussait à faire de ces excursions n’étaient, naturellement, que des particuliers isolés ; or, par le fait, on voyait, en été et au commencement de l’automne, toutes les chaussées se couvrir de voyageurs fuyant la chaleur accablante et la malaria, qui pesaient alors sur la capitale, et les rues élevées de Rome étaient de plus en plus désertées, ou, comme dit Stace :

Ardua jaco densæ rarescunt mœnia Romæ.

Hos Præneste sacrum, nemus hos glaciale Dianæ,

Algidus aut horrens, aut Tuscula protegit umbra,

Tiburis hi lucos Anienaque frigora captant.

Silves, IV, 4.

Pour villégiature on choisissait notamment des endroits situés à portée dans les montagnes voisines et sur les côtes du Latium et de la Campanie, ou bien aussi des points du rivage étrusque, comme Alsium[21] et Luna, qui se recommandait aussi pour le séjour d’hiver[22].

L’endroit le plus rapproché, sur la côte latine, était Ostie, qui avait des bains de mer bien abrités[23].

Sur la plage, si déserte aujourd’hui, d’Ostie à Laurente, s’étendait une chaîne, presque continue, de maisons de campagne, offrant comme une succession de plusieurs villes[24]. On y fréquentait aussi Astura, où l’on sait du moins que Cicéron avait une villa[25], Circéji et Formies, dont le rivage inspira les vers suivants à Martial :

O temperatæ duite Formiæ littus !

Vos quum severi fugit oppidum Martis

Et inquietus fessus exuit curas

Apollinaris omnibus lotis præfert.

Non ille sanctæ dulce Tibur uxoris,

Nec Tusculanos Algidosve secessus,

Præneste nec sic Antiumque miratur ;

Non blanda Circe Dardanisve Cajeta

Desiderantur, nec Marica, nec Liris,

Nec in Lucrina lota Salmacis vena[26].

Mais les beautés de toutes ces localités pâlissaient devant l’éclat d’Antium et de ses magnifiques palais, avançant en partie dans la mer. On y voit, encore aujourd’hui, partout des restes de cette antique splendeur sortir de ses flots ou reluire au fond dés eaux transparentes ; et, sur l’espace d’un quart de lieue, le rivage d’Antium n’offre qu’une immense ruine, comme un rempart de murs contigus[27]. Puis venait, le long du littoral, une suite de villes maritimes toutes très fréquentées, depuis Terracine jusqu’au vaste golfe de Naples, but principal de toutes les personnes qui cherchaient à se refaire et à se distraire dans un des séjours merveilleux dont il offrait un choix si riche.

Hoc tibi, Palladiæ seu collibus uteris Albæ

Cæsar, et hinc Triviam prospicis, inde Thetin,

Seu tua veridicæ discunt responsa sorores,

Plana suburbani qua cubat unda freti,

Seu placet Ænæ nutrix, seu filia Solis,

Sive salutiferis candidus Anxur aquis[28].

Les sites des montagnes albaines et sabines n’étaient pas moins goûtés : surtout Tibur, Préneste, l’Algidus, Aricie, Tusculum et Albe. Les rives de l’Anio, dont on aimait la beauté sauvage, étaient aussi bordées d’une foule de villas[29]. Néron en avait une à Sublaqueum. Cette multitude de résidences d’été, dans des situations diverses, permettait à chacun de choisir, dans les gradations de l’échelle, le climat qui lui convenait précisément[30]. Il y avait aussi nombre d’endroits parfaits pour le séjour d’hiver, non seulement parmi ceux que nous venons de nommer, mais ailleurs encore, dans le sud de l’Italie surtout, comme Vélia et Salerne[31]. Cependant Tarente, la délicieuse ville où l’hiver était si doux, où le printemps durait si longtemps et où la nature paraissait encore plus prodigue de ses dons que dans l’heureuse Campanie même[32], doit être signalée comme celle qui invitait, avant toutes, l’étranger à y prendre ses quartiers d’hiver. Sur la côte orientale de l’Italie, on mentionne Ravenne[33]. Néron empoisonna sa tante Domitia, parce qu’il convoitait ses possessions près de cette ville et à Baïes[34].

Nombre de voyageurs prenaient la voie Appienne qui menait, en ligne droite, de Rome aux monts Albains, puis de là en Campanie et aux deux principaux ports de la Péninsule, Pouzzoles et Brindes ; mais cette belle route, pleine d’animation, servait aussi beaucoup aux amateurs des parties de plaisir plus courtes.

On y voyait l’homme riche, fatigué de la ville, rouler vers sa villa, dans les monts albains, avec une hâte qui eût pu faire croire qu’il courait à un incendie, et cela pour s’ennuyer de même à la campagne, y bâiller à son aise, ou retourner bientôt à Rome[35]. C’est là que l’affranchi parvenu faisait parade de ses ponies, qui lui avaient coûté si cher[36], et que les beautés hardies et en vogue se mettaient en évidence avec leur cortège d’hommes[37] ; là roulait aussi Cynthie, au dire de Properce, sous le prétexte d’aller adorer Junon à Lanuvium, mais en vérité pour se donner en spectacle, et faire admirer son adresse à guider ses chevaux. La belle, au grand dépit du poète, était accompagnée d’un rival dans une voiture tendue de soie, à côté de laquelle couraient deux chiens molosses, portant de grands colliers[38].

Le temple de Diane près du bois sacré d’Aricie, où se célébrait une fête, dans la, saison des plus fortes chaleurs, était aussi un but de pèlerinage pour les femmes, qui venaient, en grand nombre, y faire à la déesse l’hommage de leurs vœux, avec des couronnes dans les cheveux et des torches à la main[39]. Il ne devait pas manquer non plus de jeunes hommes qui, suivant le conseil d’Ovide, profitaient de cette occasion pour former de tendres liaisons[40]. Le fait que, vers la fin du premier siècle au plus tard, toute une colonie de mendiants s’y était établie, prouve assez combien ce lieu était fréquenté[41]. Aujourd’hui, cette vie brillante et animée, dont les tableaux, si variés jadis, se succédaient rapidement sur la reine des voies, comme on l’appelait, est remplacée par la plus profonde solitude. Des deux côtés de la route on voit s’étendre, sans fin, les surfaces onduleuses de la Campagna, sur la verdure de laquelle se dessinent les arches à demi ruinées des aqueducs. Par-ci par-là une maison à teinte grise borde le chemin. Quelquefois aussi, mais rarement, une voiture à deux roues, chargée de barriques de vin empilées les unes sur les autres, roule sur le pavé antique. On n’y voit que des pâtres de la Campagna à cheval, poussant des troupeaux de moutons et de gros bétail devant eux, et on n’entend, de loin, que le chant mélancolique de quelque laboureur.

L’animation de la voie Appienne persistait jusqu’au-delà d’Albe et de Lanuvium, car le flot principal des voyageurs se roulait vers la Campanie, les uns pour chercher dans ce paradis, en quelque sorte destiné par la nature à défrayer l’oisiveté de jouissances, mais surtout sur les bords du ravissant golfe de Naples[42], de la récréation ou le recouvrement de la santé, les autres pour s’y abandonner à toute sorte d’orgies et de débauches. Cette contrée était, depuis longtemps, le lieu de rendez-vous du beau monde[43]. Sur ce golfe, auquel une suite continue de bourgs, de villes et de brillantes villas prêtait une bordure comparable à un collier de perles, depuis Misène jusqu’au gracieux bourg de Sorrente[44], se trouvait Baïes, la plus luxueuse ville d’eau du monde ancien, assise sur la plage même, dans l’encadrement d’une guirlande de vertes montagnes. Cette petite ville était richement pourvue d’établissements grandioses pour le traitement des malades, de magnifiques habitations et de somptueux édifices pour l’amusement des visiteurs bien portants[45] ; elle resplendissait de nombre de palais impériaux, dans la construction desquels chaque souverain avait mis son amour-propre à éclipser ses prédécesseurs par sa magnificence. Des villas s’y élevaient partout, les unes dominant sur des hauteurs d’où la vue s’étendait au loin, les autres bâties sur le bord de la mer[46], ou y formant saillie[47]. Tous ces bâtiments somptueux formaient entre eux comme une ville à part[48], dont l’étendue allait probablement toujours en croissant ; du moins distinguait-on, déjà au commencement du deuxième siècle, entre l’ancienne Baïes, où mourut Adrien[49], et la nouvelle. Il paraît qu’elle continua à s’agrandir même dans les siècles suivants, puisqu’on sait, par la biographie d’Alexandre Sévère (chap. XXVI), que ce prince y fit élever de magnifiques palais, ainsi que d’autres constructions, et établir des étangs alimentés par la mer. Pendant cinq siècles au moins, Baïes resta la ville de plaisir la plus renommée et la plus fréquentée du monde ancien[50]. C’est plus tard seulement que la malaria, dont l’influence paraît d’ailleurs s’y être un peu fait sentir en tout temps[51], s’appesantit sur ses plages, de plus en plus abandonnées[52]. Mais auparavant, la merveilleuse beauté de la nature, l’admirable transparence et la douce sérénité de l’air, l’azur du ciel et de la mer, tout y conviait à jouir du présent et à oublier le reste du monde, dans la béatitude. Des fêtes splendides, auxquelles un pareil cadre prêtait un double charme, s’y succédaient sans interruption. Sur les vagues dé la plus douce des mers se balançaient d’innombrables barques et gondoles, peintes de toutes couleurs. Par moments, on voyait majestueusement voguer au milieu d’elles une superbe galère impériale[53], ou bien les barques lutter de vitesse entre elles dans des régates[54]. Des bandes joyeuses, parées de couronnes et de guirlandes de roses, étaient réunies pour festiner, soit à bord des embarcations, soit sur la plage, où rien n’était plus commun que de voir des personnes avinées se promener à pas chancelants. Du matin au soir, le rivage et la mer qui le baigne retentissaient de chants d’allégresse et d’une musique bruyante[55]. Des couples tendres cherchaient la solitude dans les bosquets de myrtes[56], ou se faisaient ramer en mer. La fraîcheur du soir et des nuits étoilées invitait à de nouvelles fêtes et parties de plaisir[57] ; aussi le sommeil des baigneurs était-il interrompu, tantôt par des sérénades, tantôt par des disputes de rivaux en conflit. La mollesse et la licence effrénée du genre de vie qu’on menait aux bains de Baïes étaient proverbiales. Sénèque appelle cette ville une hôtellerie de vices, et déjà Cicéron craignait qu’on ne lui fit un reproche de s’y rendre ; dans un temps de calamité publique[58]. Des viveurs, que leur insolvabilité avait chassés de Rome, mangeaient à Baïes l’argent de leurs créanciers en festins d’huîtres[59]. Ceux qui, comme Aulu-Gelle (XVIII, 5, 1), s’y contentaient d’innocents et honnêtes plaisirs, n’y furent probablement jamais très nombreux. Baïes était surtout beaucoup courue pan les femmes, et plus d’un baigneur, dit Ovide[60] au lieu d’en revenir guéri, comme il l’avait espéré, en rapportait une blessure au cœur. Jadis, dit un autre poète[61], l’eau était froide à Baïes ; Vénus y fit nager Cupidon ; une étincelle de son flambeau en y tombant l’échauffa et, depuis lors, qui s’y baigne est pris d’amour. C’était un endroit réputé extrêmement dangereux pour la vertu des femmes. Dans ses élégies, Properce (I, 11, 27) gémit de plus d’une tendre liaison qui y fut rompue. Les cas semblables à celui que raconte Martial (I, 63), d’une dame très austère, qui, arrivée à Baïes avec les airs d’une Pénélope, en repartit comme une autre Hélène, c’est-à-dire s’y laissa enlever par un séducteur, n’étaient probablement pas de rares exceptions.

Après l’Italie, c’était sans doute la Sicile, attrayante par les merveilles que la nature y offre, telles que l’Etna surtout, par la douceur de son hiver, la beauté et la célébrité de ses villes, ainsi que par une foule de souvenirs historiques, remontant jusqu’aux temps de la mythologie, qui invitait le plus à des voyages de plaisir, en raison de sa proximité même[62]. Lucrèce[63] dit de la contrée qui pouvait se vanter de posséder l’Etna et le gouffre de Charybde :

Qum cura magna modis multis miranda videtur

Gentibus humanis regio visendaque fertur.

Parmi les légendes siciliennes, on affectionnait particulièrement celle de l’enlèvement de Cérès, près d’Enna, sur une prairie, tellement couverte de violettes et d’autres fleurs odoriférantes que la forte senteur faisait complètement perdre aux chiens de chasse la piste du gibier, dans cet endroit curieux. A côté se trouvait un gouffre béant, par lequel, disait-on encore, Pluton avait fait une sortie, et, dans la ville même, l’antique, vénérable et fameux temple de Cérès[64]. Sénèque[65] énumère les agréments d’un voyage en mer à Syracuse, où se rendit aussi Caligula pour son plaisir[66]. Le voyageur avait l’occasion d’y voir la fabuleuse Charybde, inoffensive tant que le vent ne soufflait pas de l’est, mais dont la gueule, large et profonde, s’ouvrait avec ce vent et engloutissait les navires ; puis, il voyait la fontaine Aréthuse, tant célébrée par les poètes avec son miroir éblouissant d’eau glaciale, limpide et transparente jusqu’au fond ; puis, le plus tranquille de tous les ports naturels et artificiels, protégeant le mieux contre la fureur des tempêtes même les plus violentes ; ensuite, le lieu où avait été brisée la puissance des Athéniens, les carrières creusées jusqu’à une profondeur énorme, qui servaient de prison naturelle pour des milliers de détenus ; enfin, la grande cité même avec son territoire plus étendu que celui de tant d’autres villes. Sénèque aussi se montre enchanté de la douceur d’un climat, où, même en hiver, il ne se passe pas un jour sans soleil[67].

 

2° Grèce.

Cette illustre contrée était le but le plus rapproché pour l’extension ultérieure des voyages. Dans la Grèce les Romains, de bonne heure déjà, révéraient le pays où la civilisation avait pris naissance ; ils le révéraient en raison de sa haute célébrité, de son antiquité même ; son passé, avec les brillants exploits et les autres grands événements qui s’y rapportent, avec ses fables même, était vénérable à leurs yeux[68].

Fama manet, fortuna perit : cinis ipse jacentis

Visitur, et tumulo est nunc quoque sacra suo[69].

Le pays, où s’attachait presque à chaque pocue de terrain un souvenir important, où le voyageur était arrêté à chaque pas par d’innombrables monuments, provenant de ce grand passé, par les chefs-d’œuvre les plus célèbres dans toutes les branches de Pari ; le pays dont les villes et les temples étaient encore en partie aussi riches de beauté, d’éclat et de magnificence que d’ancienneté et de gloire, était aussi, depuis les guerres puniques, de tous les pays étrangers, le plus visité par les Romains. La plupart d’entre vous, disent, dans Tite-Live (XXXVII, 54), les ambassadeurs de Rhodes aux membres du sénat romain, en 191 avant J.-C., ont vu les villes de la Grèce et de l’Asie. Paul-Émile fit en automne, dans l’année 169 av. J.-C., un voyage en Grèce, pour apprendre à bien connaître les choses que le prestige de la renommée, en les amplifiant, fait paraître, à celui qui ne sait que par ouï-dire, plus grandes qu’elles ne se montrent, en réalité, à celui qui les voit de ses propres yeux. Le ton de cette relation de voyage, empruntée à Polybe, indique assez que ce dernier avait vu lui-même ce qu’il décrivait[70]. Le général romain visita, en Grèce, les temples et les villes les plus célèbres, ainsi que d’autres lieux mémorables par des souvenirs historiques, comme l’Aulide, ou à divers autres titres, comme Chalcis avec son pont-digue sur l’Euripe. Ce qui l’impressionna le plus fut Olympie, où l’aspect du Jupiter de Phidias le saisit et le remua, comme s’il avait été en présence du dieu lui-même.

Parmi les autres lieux célèbres qu’il vit, son historien nomme encore les temples de Delphes, de Lébadée, d’Orope et d’Épidaure, ainsi que les villes d’Athènes, de Corinthe, de Sicyone, d’Argos, de Sparte, de Pallantium et de Mégalopolis.

L’attrait de la Grèce pour les Romains augmenta, plutôt qu’il ne diminua, dans les siècles suivants ; malgré les progrès de la ruine et de la désolation, que ne purent arrêter quelques effets bienfaisants de l’administration et de la culture romaines[71].

L’image du passé si grand de cette contrée ne ressortait que plus imposante, en frappant davantage l’esprit du voyageur, dans le calme profond de la solitude, gagnant de plus en plus la campagne et les villes. Le nombre des villes était très considérable encore, il est vrai, puisque, dans le Péloponnèse seul, on n’en comptait pas moins de soixante, au temps des Antonins ; mais, de ces villes, beaucoup n’étaient plus que l’ombre d’elles-mêmes, comme celle de Panopée en Phocide, grande et superbe jadis, qui, au temps de Pausanias, se trouvait réduite à une agglomération de pauvres huttes, parmi lesquelles il ne restait plus ni palais, ni théâtre, ni marché, ni gymnase, ni même un puits[72]. Ailleurs, des moutons broutaient l’herbe devant la maison communale, et l’emplacement du gymnase était devenu un champ de blé, au milieu des épis mouvants duquel on apercevait à peine les têtes des anciennes statues de marbre[73]. De beaucoup de villes il ne restait plus que des ruines ; le pays était dépeuplé, s’il faut en croire Plutarque[74], affirmant que toute la Grèce n’était plus guère en état de fournir un contingent de plus de 3.000 hoplites. De vastes espaces gisaient en friche[75] et, dans les parties solitaires d’un caractère plus sauvage, le voyageur aimant, comme Dion de Pruse, à converser avec les pâtres et les chasseurs[76], découvrait çà et là des huttes et des fermes écartées, dont les habitants, n’ayant peut-être jamais mis le pied dans une ville, mais dérobés par leur isolement complet à toutes les influences du raffinement et de la corruption de l’état civilisé, avaient conservé toute la simplicité et l’insouciance des premiers âges[77].

Mais le grand nombre des voyageurs se bornaient, sans doute, à visiter les villes, dont les moindres, celles même qui étaient déjà tombées à moitié, ou complètement, en ruines, n’avaient pas cessé d’être riches en monuments et débris du passé, pendant que d’autres villes, d’une importance majeure, avaient en partie conservé leur ancien éclat, ou même continué de s’agrandir et de s’embellir, sous la domination romaine. Athènes surtout, même après la ruine complète de sa prospérité matérielle[78], resta incomparablement belle, dans sa morne solitude[79] ; si bien que le démon de la jalousie, au dire d’Ovide, pleurait de dépit à la vue de la splendeur irréprochable de cette ville[80].

Le visiteur romain, même le moins sensible à l’impression des beautés de l’art, ne pouvait se soustraire au charme des admirables chefs-d’œuvre dont l’âge de Périclès avait orné Athènes[81] ; après cinq siècles d’existence ils paraissaient encore comme neufs et fraîchement sortis des mains de l’artiste ; le temps ne les avait pas entamés, et, d’après le parfum de virginité qui s’exhalait de ces merveilles, on, eût dit qu’elles étaient animées d’une éternelle jeunesse, inépuisable dans sa fleur[82]. Adrien, auquel Athènes dut une splendeur nouvelle[83], les Antonins[84], Hérode Atticus, ornèrent la ville de nouveaux édifices d’une grande magnificence, bien que très inférieurs aux chefs-d’œuvre plus anciens. Mais non seulement la ville, toute l’Attique n’était pas moins resplendissante des beautés de la nature que de celles de l’art, et partout, on y sentait le souffle caressant et léger de la grâce[85]. L’aspect riant des champs cultivés et des vallées, l’éclat et la majesté du profil des montagnes, produisaient un effet d’autant plus magique que l’air était plus pur, et plus transparent, le jour plus vif et plus lumineux[86]. Une excursion en mer, sur les côtes de cette contrée, était comme un beau rêve ; elle purifiait l’âme en quelque sorte, et l’élevait comme pour la préparer à jouir avec recueillement du superbe coup d’œil sur la ville d’Athènes même[87].

Si Athènes attirait l’ami de l’art, des antiquités et de la science, Corinthe avait un attrait non moindre, quoique d’une autre nature. Le contraste entre ces deux villes présentait, à maint égard, de l’analogie avec celui qui existe aujourd’hui entre Rome et Naples. Dans la première tout était grave et silencieux, et l’on ne rencontrait partout que monuments et souvenirs de la grandeur du passé ; dans la seconde, au contraire, tout était moderne, et la vie, luxueuse, agitée, bruyante, celle d’un monde n’aspirant qu’à jouir du présent. Corinthe surpassait même Athènes par la beauté de son site, et ne le lui cédait probablement guère en éclat et en magnificence ; elle brillait surtout par le nombre et l’excellence de ses sources, fontaines et ouvrages hydrauliques, ornements principaux de la ville[88]. Strabon a décrit la vue dont on jouissait des hauteurs de l’Acrocorinthe[89]. La reconstruction de Corinthe, commencée par César et achevée par Adrien, en fit une ville toute neuve et toute romaine. Pausanias nomme, parmi les édifices romains qui y surgirent, un temple de Jupiter Capitolin[90]. Dans la population de cette ville, l’élément romain était, sinon prépondérant[91], du moins assez fort pour exercer une influence décisive sur le genre de vie et les mœurs, comme le montre surtout la grande faveur qu’y obtenaient les jeux de la gladiature et les chasses de l’arène. Peut-être Corinthe était elle-même déjà dans cette période, comme elle le fut plus tard, la résidence du gouverneur romain de la province. En même temps cette place, par son incomparable situation dans l’isthme, sur deux mers et comme au centre de la Grèce, était naturellement un lieu de rendez-vous et de passage pour les étrangers, qui y affluaient sans cesse de l’Est et de l’Ouest, et comme une ville appartenant à toute la communauté des Hellènes. C’était une vraie merveille de luxe et de plaisirs, faite pour égarer, par ses tentations, les esprits les plus fermes et toujours, comme auparavant déjà, la ville d’Aphrodite. Elle n’était pas moins riche en trésors de livres, étalés partout, dans les rues et sous les portiques, et l’apanage des traditions mythologiques ne lui faisait pas plus défaut que celui des souvenirs historiques[92].

Après Corinthe c’est, dans le Péloponnèse, le sanctuaire d’Esculape à Épidaure, grandement remis en vogue sous l’empire, qui pourrait bien avoir été visité le plus par les Romains. Des murs complétaient l’enceinte de ce lieu de guérison sacré, en partie déjà naturellement séparé de tout le voisinage par les pans des montagnes environnantes. Dans ces limites, établissant le ressort du temple, était situé le petit bois fourré, sous les ombrages duquel se promenaient les malades cherchant leur guérison, et se couchaient ceux qui venaient participer aux fêtes locales. Les divers bâtiments, consacrés aux usages du culte et à ceux de la thérapeutique, étaient disséminés dans ce bois ; la masse de ruines encore existante prouve l’étendue des constructions affectées à ces établissements. La libéralité de l’empereur Antonin les avait beaucoup agrandis. Parmi les bâtiments nouveaux qu’il y fit élever, figurait une maison spéciale pour les moribonds et pour les accouchements, que l’on avait cru devoir établir à l’extrémité de l’enclos sacré, parce qu’il était défendu de donner le jour à un enfant, ainsi que de se laisser mourir dans ses limites. Cette vallée close paraît avoir été un des plus gracieux sites de la Grèce ; tant qu’elle eut pour joyaux de sa parure toute la magnificence de ses temples et autres bâtiments, établis pour les fêtes entre les hauteurs boisées, couvertes de plantations d’un caractère religieux. C’était un beau jardin en même temps qu’un riche musée d’art, rempli d’innombrables monuments, dont le dotèrent successivement tous les siècles pendant lesquels la gloire du dieu d’Épidaure y attirait des patients de toutes les parties du monde alors connu[93].

Mais la ville la plus importante de la Grèce, pendant toute cette période, ce fut Rhodes, la capitale de l’île du même nom. Aucune autre ville grecque, de l’aveu de Strabon (IV, p. 652), ne surpassait, n’égalait même de loin la superbe Rhodes, comme l’appelle Horace (Odes, I, 7, 1). Elle était, à la fin du premier siècle de notre ère, la cité la plus riche et la plus florissante de la Grèce[94], et conserva ces avantages jusqu’au terrible tremblement de terre qui en fit tomber la majeure partie en ruines, vers le milieu du deuxième[95]. A la veille de cette catastrophe encore, elle paraissait, comme à l’époque de sa suprématie maritime, aussi neuve qu’une ville sortant de la main des maçons[96], et si belle qu’elle méritait en tous points le surnom de ville de Phébus[97]. Les môles de ses ports se projetaient au loin dans la mer ; ses immenses chantiers de construction ressemblaient, à vol d’oiseau, à des campagnes flottantes, ses galères à trois rangs de rames, ses trophées d’éperons de navires et d’autres souvenirs d’anciennes victoires, rappelaient les temps de sa puissance et de son indépendance. Au-dessus du quartier maritime s’élevait, en amphithéâtre, sur le rivage, la ville proprement dite[98], ceinte de murailles extrêmement fortes, protégées elles-mêmes par des tours[99], avec des rues larges et droites, bordées de maisons tellement uniformes que tout semblait construit d’une pièce[100]. Ses temples et ses sanctuaires resplendissaient de statues et de tableaux. Rhodes seule avait été préservée du brigandage exercé par Néron sur les objets d’art[101]. Le rhéteur Aristide exagère beaucoup, sans doute, en disant (page 553, 11 J) que, même après le tremblement de terre, il restait à cette ville tant de chefs-d’œuvre de l’art qu’il y aurait eu largement de quoi suffire encore à l’embellissement de plusieurs autres villes. D’après Mucien[102], on aurait compté à Rhodes 3.000 statues, ce qui ne serait guère plus, cependant, que dans les villes d’Athènes, de Delphes et d’Olympie, après qu’elles eurent été pillées par Néron. D’ailleurs, l’île tout entière ne se distinguait pas moins sous le rapport des beautés de la nature et celui de la salubrité du climat ; aussi les Romains la choisissaient-ils volontiers peur séjour d’été[103].

L’énumération, ne fût-ce que des villes d’une célébrité majeure, des temples avec leurs chefs-d’œuvre artistiques et leurs trésors, des points historiquement remarquables et des ruines diverses du passé, qu’allaient visiter les voyageurs en Grèce, remplirait à elle seule un volume. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de reparler plus loin des lieux et des curiosités que les amateurs de l’art, de l’antiquité et de l’histoire recherchaient de préférence.

Parmi les lieux de plaisir, il faut mentionner comme le plus célèbre Edepsus, dans l’île d’Eubée, au bord de la mer, avec dés sources thermales, encore aujourd’hui visitées par des malades. C’était alors un rendez-vous pour toute la Grèce, mais où il n’y avait, naturellement, non plus manque de visiteurs romains, parmi lesquels figurait déjà Sylla, qui y fit un séjour[104]. Les bains y présentaient le plus d’animation au printemps.

On y avait pourvu, d’une, manière exemplaire, au logement des visiteurs, par la construction de bâtiments d’habitation avec salles et portiques, ainsi qu’aux bains, par l’établissement de bassins. La terre et la mer fournissaient à l’envi, pour les festins, qu’on aimait surtout à y donner sur la plage, abondance des mets les plus friands. Cependant il paraît que les excès de la bonne chère et du luxé n’y étaient pas à l’ordre du. jour comme à Baïes, mais qu’on y trouvait un ton de société agréable et beaucoup d’occasions pour se procurer des jouissances plus nobles[105].

 

3° Asie-Mineure.

La plupart des Romains, après avoir voyagé en Grèce, visitaient certainement aussi l’Asie-Mineure. Les îles de la mer Égée, jadis florissantes et populeuses, maintenant désertes[106] ou seulement habitées par des proscrits, offraient aux passants ample matière à des considérations sur la fragilité de toutes les choses terrestres, mais ne devaient, par la même raison, guère les tenter de s’y arrêter. Cependant Cicéron fit, au mois de juin de l’an de Rome 703, le voyage d’Athènes à Délos, où il n’arriva que le sixième jour, s’étant arrêté en passant à Zoster, à Céos, à Gyaros et à Scyros[107]. Il paraît qu’Ovide aussi fit un séjour à Délos[108], lors d’un voyage en Grèce et en Asie-Mineure[109].

En outre Cicéron[110], comme Horace[111], fait un grand éloge de Mytilène, qu’Agrippa choisit pour sa retraite[112]. Germanicus donna une direction et une extension certainement inaccoutumées à son voyage de l’an 18[113], quand, après avoir gagné d’Athènes la côte d’Asie, par l’Eubée et Lesbos, il visita Périnthe et Byzance avec la Propontide, pénétra dans le Pont-Euxin, plein du désir d’apprendre à connaître les lieux antiques et célèbres qui s’y trouvent, et ne fut empêché que par des vents contraires de visiter aussi l’île de Samothrace, à son retour. Si les côtes et îles du bassin septentrional se dérobaient encore aux visites de la majorité des voyageurs romains, la plupart d’entre eux ne pouvaient, cependant, se dispenser d’aller voir Ilion et ce qu’il y avait là de vénérable, au point de vue des vicissitudes du sort et des origines de Rome même.

La petite ville d’Ilion, habitée par des Grecs Éoliens et relativement peu ancienne, n’avait été, jusqu’à l’occupation conquérante de l’Asie par les Romains, qu’une chétive bourgade ayant tout l’air d’un village, sans mur d’enceinte et où les toits n’étaient même pas couverts de tuiles[114]. Cependant, elle avait la gloire, que personne ne songeait encore alors à lui contester, d’être située à la même place que la sainte Ilie (Ίλιος) d’Homère. Celle-ci, prétendaient les habitants de la localité, n’avait même jamais cessé d’exister, mais avait été rebâtie, après le départ des Grecs, par des réfugiés troyens, revenus dans leur patrie[115]. Pallas, fléchie par les prières d’Hécube et d’Andromaque, était restée la divinité tutélaire de la ville nouvelle. Xerxès et Alexandre le Grand y avaient offert des sacrifices à la déesse, dans le temple de laquelle on avait même montré au second la lyre de Pâris et les armures des héros d’Homère[116]. Les Romains, tout aussi convaincus de l’identité d’Ilion avec l’ancienne Troie, firent de la ville à laquelle ils rapportaient leur origine la capitale de tout le littoral voisin ; aussi parvint-elle, par suite de l’immunité d’impôt et d’autres faveurs multiples, qui lui furent accordées, à s’élever au rang d’une ville de second ordre assez considérable. L’érudition avait, il est vrai, tenté de faire tomber, sous les coups des armes de la critique, la gloire à laquelle Ilion devait sa nouvelle prospérité. Deux auteurs, l’un grammairien, l’autre une femme estimée pour ses commentaires d’Homère, contestèrent l’identité d’Ilion avec Troie, en se fondant sur de doctes arguments. Chez tous les deux, natifs de villes du voisinage, l’esprit dé jalousie, fomenté par des rivalités locales, était peut-être pour quelque chose dans les mobiles de cette attaque, d’autant plus redoutable qu’elle partait d’Alexandrie, c’est-à-dire du foyer principal des études de grammaire et d’archéologie grecques. Cette nouvelle manière de voir, trouva, comme il paraît, de l’écho dans le monde savant ; au moins gagna-t-elle, dans la personne de Strabon, l’appui d’une autorité de grand poids ; mais, hors du cercle des érudits de profession, il ne semble pas qu’elle eût fait son chemin auprès du grand public lettré, même en Grèce. Pour les Romains, comme on le voit par Tacite[117], l’identité d’Ilion avec Troie ne fit jamais l’objet du moindre doute ; et leurs voyageurs ne se laissaient guère arrêter, par les scrupules de l’esprit critique, dans la recherche du plaisir que leur procurait la satisfaction de retrouver, sur ce sol classique, chacun des points dont il est fait mention dans l’histoire de Troie. Les gens d’Ilion continuaient de montrer, comme par le passé, le temple et la place où se trouvait l’image de Pallas, transférée depuis à Rome, comme l’attestent ces vers d’Ovide[118] :

Creditur armifèrve signum cœleste Minervæ,

Urbis in Iliacæ desiluisse juga.

Cura videre fuit : vidi templumque locumque,

Hoc superest illi, Pallada Roma tenet.

En général, ces braves gens ne se faisaient pas faute de repaître l’esprit et les yeux des curieux les plus insatiables[119]. Strabon, Pomponius Méla (I, 18) et Artémidore[120] sont entrés, tous les trois, dans plus ou moins de détails en décrivant ces curiosités. Pausanias (VIII, 12, 4) crut même devoir invoquer, comme preuve de l’ensevelissement d’Anchise près de Mantinée, en Arcadie, la circonstance que les Ilions ne montraient pas son tombeau. Les voyageurs consciencieux ne manquaient pas, sans doute, de parcourir, indépendamment de la ville et des environs, à la main de leurs guides, toute la plaine jusqu’à la mer, sur les bords de laquelle s’élevaient les tertres marquant les fosses tumulaires des héros grecs. On mentionne Apollonius de Tyane[121] et Caracalla[122] parmi les personnages qui y offrirent des sacrifices. Sur la tombe de Protésilas, se trouvaient ces arbres qui se desséchaient dès que leurs faites arrivaient à la hauteur de laquelle on pouvait découvrir Ilion, puis recommençaient de nouveau à pousser[123]. Dans le poème de Lucain, César visite ce pays, après la bataille de Pharsale, ce qui fournit au poète l’occasion de mettre à profit ses propres souvenirs de voyage, pour le décrire[124]. Ce dernier pouvait, d’ailleurs, très bien y être allé d’Athènes, où il fit positivement un séjour, comme nous l’apprend un passage de Suétone[125]. On montrait aussi la grotte dans laquelle Pâris prononça son fameux jugement[126]. Des forêts improductives et des troncs vermoulus, dit Lucain, ont envahi les palais royaux et pris racine dans les temples des dieux ; tout Pergame est couvert de broussailles ; même les ruines ont disparu. Il voit le rocher auquel on avait attaché Hésione, fille de Laomédon, et l’appartement d’Anchise caché dans l’épaisseur d’un bois, la caverne dans laquelle était assis le juge de la beauté des trois déesses, la place de laquelle Ganymède fut enlevé et porté au ciel, la roche sur laquelle jouait la nymphe Œnone ; il ne se trouve pas là une pierre qui n’ait un nom. Il avait, sans même s’en apercevoir, franchi un ruisseau presque desséché, serpentant sur le sol poudreux : c’était le Xanthe. Ne se doutant de rien, il met le pied dans l’herbe haute ; l’homme du pays l’avertit de ne pas fouler la cendre d’Hector. Les pierres étaient dispersées, nul vestige ne trahissait qu’elles avaient formé, un sanctuaire ; et tu ne regardes pas, lui dit son guide, les autels au pied desquels tomba Priam ?

En général, cette partie des côtes de l’Asie-Mineure était très riche en curiosités. L’Ionie notamment ne le cédait pas, sous ce rapport, même à la Grèce, qu’elle surpassait par la beauté de son climat[127]. C’est là que se trouvaient les temples les plus fameux, les plus vastes et les plus anciens, celui de Colophon, que Germanicus aussi visita et dont il consulta l’oracle[128], ainsi que ceux d’Éphèse et de Milet ; là s’élevaient aussi les plus belles villes, dans lesquelles on n’avait pas cessé de prodiguer les édifices somptueux et surtout les bains[129]. Parmi ces villes, les plus visitées étaient probablement Éphèse et Smyrne, que Dion Chrysostome[130] propose, avec Tarse et Antioche, comme modèles à Pruse. La première, une des plus riches places de commerce de l’Asie citérieure[131] et l’un des joyaux de la contrée[132], ainsi que la capitale de la province sous les Romains, passait pour une des villes les plus populeuses, les plus belles et les mieux bâties du monde[133]. Mais la gloire d’être la plus magnifique entre toutes appartenait, déjà du temps de Strabon, à Smyrne, bien que les rues y fussent encore très sales, à cette époque, faute d’égouts[134]. Plus tard, on remédia probablement à cet inconvénient ; aussi la ville s’agrandit et s’embellit-elle de plus en plus, pendant les deux premiers siècles, ce qui l’autorisait véritablement à se vanter d’être la première de la contrée, en étendue et en beauté comme en splendeur, la vraie métropole de l’Asie[135]. Aristide l’a décrite, avec cette exagération qui lui est propre, vers la fin de la période qui nous occupe, avant les ravages du tremblement de terre qui y eut lieu[136] entre 178 et 180. S’élevant en amphithéâtre de l’a mer et du port, dans une situation sans pareille, elle offrait partout le même aspect superbe, soit que l’on regardât des hauteurs voisines de ses faubourgs lé panorama de la mer et de la ville même, ou que l’on vit celle-ci de l’entrée du port. Mais l’intérieur surpassait encore ce qu’elle promettait vue à distance. Elle se présentait là avec un tel air de prospérité, d’aisance et de grâce, que l’on eût dit une ville, non construite peu à peu, mais ayant poussé de terre d’un seul jet. Rien n’égalait la splendeur de ses gymnases, de ses places publiques, de ses théâtres, de ses temples et des sanctuaires adjacents. Pour les bains, non moins nombreux, on y avait l’embarras du choix, outre qu’elle offrait des allées de toute espèce, couvertes ou découvertes, les unes plus belles que les autres, pour la promenade ; des sources et des fontaines, dans chaque maison et même en nombre supérieur à celui des maisons, des rues larges comme de vraies places et se coupant à angles droits, pavées de marbre et bordées d’arcades à un ou deux étages ; il y avait en outre, dans cette ville, des établissements de tout genre, tant étrangers que nationaux, pour l’instruction et l’éducation, abondance de fondations de prix à donner au concours, de spectacles et d’autres moyens de réjouissance. Les produits de l’industrie humaine et de l’art y rivalisaient avec ceux de la terre et de la mer. On y jouissait, enfin, du plus beau climat, car les vents d’ouest, soufflant de la mer, contribuaient à faire également de cette ville un lien de plaisance, en été comme au printemps. En un mot, c’était un séjour qui convenait parfaitement aux deux nations, aux Romains non moins qu’aux Grecs, soit que l’on n’y songeât qu’au plaisir, ou que l’on voulut s’y occuper sérieusement d’études et de la culture de l’esprit[137], pour laquelle les ressources ne manquaient pas. Ainsi Galien, à l’âge de vingt-et-un ans, alla à Smyrne, pour y suivre les cours de Pélops, élève de Numésien, et ceux du Platonicien Albin. Quant à l’école de médecine mentionnée par Strabon (XII, p. 580), elle avait cessé d’exister.

 

4° Égypte

Il est probable que les voyages entrepris seulement dans un but d’instruction et de plaisir, mais non de science à proprement parler, ne s’étendaient que rarement, par terre, dans les directions de l’est et du sud, au-delà de cette province d’Asie où l’on arrivait si facilement. L’île de Chypre, la Syrie et la Palestine, dont chacune offrait bien assez de choses curieuses et dignes d’être vues, méritaient certainement aussi d’être visitées ; mais la longueur et la difficulté du voyage par mer devaient en détourner la plupart des touristes. Cependant Tacite raconte une visite de Titus à Paphos[138]. Avant le troisième siècle, même la superbe Antioche, d’ailleurs encore très peu mentionnée dans les auteurs latins des deux premiers siècles de l’ère chrétienne[139], et la célèbre Jérusalem[140], ne voyaient probablement que bien peu de voyageurs romains désireux, comme Pausanias (V, 7, 3), de contempler le Jourdain et la mer Morte. Mais il en partait. d’autant plus, chaque année, des ports de l’Italie comme de ceux de la Grèce, pour aller visiter l’Égypte, unie notamment avec l’Italie, pendant la saison de la navigation, par des relations commerciales aussi actives que suivies. La ligne régulièrement desservie entre ces deux contrées, allait d’Alexandrie à Pouzzoles. Ce port commerçait avec tout le monde connu[141]. Une forêt de mâts s’y pressait dans un bassin formé par de puissants môles, se projetant au loin dans la mer. Les navires de tous les pays riverains de la Méditerranée, ceux de l’Espagne[142], de la Sardaigne et de l’Afrique, comme ceux de Chypre, de la Phénicie et de l’Égypte, s’y rencontraient[143]. La population de Pouzzoles était fortement mélangée d’éléments orientaux, nombre de Grecs et de Juifs[144], d’Égyptiens, et, de Syriens étant venus s’y établir à domicile. Les grandes villes de commerce de l’Orient, telles qu’Hiérapolis, Béryte, Tyr et, sans doute, bien d’autres encore, avaient à Pouzzoles leurs factoreries et des établissements religieux ; pour la célébration de leurs cultes[145]. Il y avait là certainement à l’ancre, en tout temps, des navires alexandrins, de toutes lés grandeurs et de toutes les espèces, depuis le petit navire fin voilier[146] jusqu’au gigantesque bâtiment de charge, affecté au transport des grains. Tels, mesurant près de 60 mètres en longueur, sur plus de 15 dans leur plus grande largeur, avec un tirant d’eau de plus de 13 mètres, pouvaient bien rapporter, annuellement, à leurs propriétaires 12 talents attiques (70.730 francs) et au delà. Ils étaient peints et décorés, de chaque côté de l’avant, d’une image de la divinité dont ils portaient le nom, sans parler de beaucoup d’ornements accessoires. Ceux des visiteurs du port qui n’avaient encore rien vu de semblable ne manquaient pas de se faire conduire partout ; regardant avec admiration les mâts et les voiles, les agrès, les ancres, les cabestans et les cabines sur le pont, ils ne voyaient pas avec moins de surprise les matelots basanés grimper, intrépidement, dans les cordages[147]. C’est aussi sur les chantiers de Pouzzoles qu’on avait vu l’Acatus, le premier navire alexandrin. entré dans le port d’Ostie, sous le règne d’Auguste, et par lequel, était venu à Rome l’obélisque dressé au grand cirque. Auguste avait fait exposer ce navire, à Pouzzoles, comme une curiosité ; mais, consumé plus tard par un incendie, il n’existait déjà plus à l’époque où écrivait Pline l’Ancien[148]. Il avait, dit-on, à son bord en arrivant, outre l’obélisque, douze cents passagers et tout un chargement de papier, de nitre, de poivre et de toile, avec quatre cent mille boisseaux romains (environ trente-cinq mille deux cents hectolitres) de froment[149]. Un autre navire, plus grand encore, qui apporta, l’obélisque érigé au cirque du Vatican, fut coulé dans le port d’Ostie, par ordre de Claude[150]. Ainsi, le voyageur qui s’embarquait à Pouzzoles avait. déjà sous les yeux une partie des aspects de l’Orient, reflétés dans le spectacle de l’agitation de ce port, où l’on voyait tous les costumes et tous les types, en même temps qu’on y entendait parler tous les idiomes des peuples orientaux, et où les marchandises et les produits des contrées les plus lointaines étaient emmagasinés et mis en vente[151].

On doit pouvoir évaluer à douze jours et plus la durée moyenne d’une bonne traversée de Pouzzoles à Alexandrie, s’il est vrai que la plus rapide connue n’avait, comme dit Pline l’Ancien[152], duré que neuf jours. L’Égypte n’était donc alors, pour les Romains, guère plus proche que l’est aujourd’hui, pour les Anglais, l’Amérique du Nord. Il est possible que la navigation prît ordinairement, en partant de la Sicile, sa direction sur Malte, la Crète et Chypre. L’île de Malte, à huit cents stades, c’est-à-dire moins d’une journée de marche de Syracuse[153], avait de bons ports, de même que celles de Gaulos (Gozzo) et de Cereina (Kerkéni), et se trouvait dans une situation prospère. On se rappelle que l’apôtre saint Paul rencontra à Malte un bâtiment d’Alexandrie, en hivernage[154]. Le navire d’Alexandrie décrit par Lucien[155] mit d’abord sept jours pour se rendre de ce port dans l’île de Chypre et fut, ensuite, tellement ballotté par la tempête qu’il ne parvint à gagner le Pirée que le soixante-dixième jour. Le voyage de Métius Céler à Alexandrie, dont il est question dans les vers de Stace[156], passe par la Crète. Le poète, après avoir parlé de la mer de Lucanie et des dangers du gouffre de Charybde, désirerait apprendre du voyageur :

Quos tibi eurrenti præceps ferat Adria mores,

Quæ pax Carpathio, quali te subvehat aura

Doris Agenorei furtis blandita juvenci.

L’approche de la côte si dangereuse de l’Égypte était signalée, à là distance de trois cents stades (soit de cinquante à soixante kilomètres) déjà, par les feux du phare[157], qui éclairait encore les navigateurs au XIe siècle[158]. Sa lumière brillait comme une étoile dans les ténèbres de la nuit[159], jusqu’à ce que l’on vit, avec le point du jour, se dresser, au-dessus du miroir bleu de la mer, la ligne éblouissante de blancheur de sa haute tour, construite en marbre[160], et que l’on pût, finalement, même distinguer les palmiers dans l’île de Pharos[161].

Le Grec, le Romain, en mettant le pied sur la terre d’Égypte, pouvaient se croire transportés dans un nouveau monde. Si, de tout temps, elle leur avait apparu comme un pays unique dans son genre et complètement différent de tous les autres[162], il dut en être ainsi à plus forte raison dans cette période ; car, plus la domination universelle de Rome durait, plus le monde s’uniformisait. La civilisation, toute romaine en Occident et gréco-romaine en Orient, nivelait de plus en plus ce que les nationalités et les paysages avaient conservé d’originalité saillante. L’Égypte était la seule contrée où se fussent conservés des restes, pour ainsi dire momifiés, d’une civilisation comparativement à la haute antiquité de laquelle celle de la Grèce et de Rome semblait ne dater que de la veille ou du jour même, et l’on voyait cette terre du passé, avec ses merveilles et ses mystères, se poser comme une vaste pétrification en face des réalités vivantes du présent. Elle était ainsi de nature à exciter la curiosité plus vivement que toute autre. L’étranger contemplait avec vénération ce fleuve sacré, le plus célèbre du monde, roulant ses flots puissants et bienfaisants, ce Nil, dont l’origine entourée de mystère provoquait déjà, irrésistiblement, la curiosité de l’explorateur, quoique nous ne connaissions bien qu’un seul de ces voyages de découverte, mentionné comme une tentative entreprise non sans succès[163] : c’est l’expédition qui fut envoyée par Néron à la recherche des sources du Nil, et dont parle Sénèque[164]. Au fort de l’été, la crue du fleuve couvrait toute la Basse Égypte d’une immense nappe d’eau, de laquelle des villes, des bourgades et des maisons, bâties sur des éminences naturelles ou artificielles, sortaient semblables à des îles. D’innombrables embarcations, ne consistant en grande partie qu’en troncs d’arbre creusés[165], ou en ajustements de vases d’argile rattachés ensemble ; s’y croisaient dans tous les sens[166].

Les nombreux paysages égyptiens dans les mosaïques et les fresques dont on ornait les appartements et d’autres locaux[167], témoignent de l’impression profonde que la bizarre originalité de la végétation et du règne animal, en Égypte, avait produite sur les Romains, et montrent jusqu’à quel point elle occupait leur imagination. On y voit des oiseaux de marais nager dans des eaux couvertes des fleurs blanches du lotus ; l’hippopotame se cache et le crocodile est à l’affût dans des massifs de roseaux élancés et d’arbustes ; au bord, l’ichneumon se glisse en tapinois, le serpent joue de la langue et l’ibis se nettoie avec son bec crochu ; enfin, au-dessus de toute cette végétation touffue, des palmiers balancent majestueusement leurs couronnes ailées, soutenues par la svelte tige de l’arbre[168]. Dans ces paysages, on voit des maisonnettes de forme bizarre, comme il s’en trouve, à ce qu’il paraît, encore aujourd’hui dans le pays de Dongola[169], et les hommes y sont remplacés par des pygmées, comme si ce pays de merveilles avait dû nécessairement aussi être habité par des êtres appartenant au monde de la fable. On se complaisait, d’ailleurs, dans des imitations en grand de l’architecture et des sites de l’Égypte, comme celle de Canope, qu’Adrien fit exécuter dans sa villa à Tibur[170], ou celles d’un labyrinthe et de Memphis, sur un domaine de Septime Sévère[171]. Et de même que la nature, en Égypte, offrait toujours et partout les mêmes aspects merveilleux, de même les monuments de ce pays sont les plus anciens, les plus gigantesques et les plus étonnants que l’antiquité connût.

Le temps paraissait impuissant, dans sa marche, à l’égard de ces montagnes de pierre artificielles, de ces temples énormes, de ce dédale immense de galeries et de caveaux taillés dans le roc, de ces forêts de colosses et de sphinx et de ces murailles innombrables couvertes de peintures aux couleurs éclatantes et d’inscriptions mystérieuses. C’étaient toujours les mêmes objets, regardés avec étonnement, décrits et dépeints par des milliers de curieux et d’observateurs, depuis des siècles, et c’était pourtant toujours nouveau, toujours également imposant. Il n’y avait pas là de constructions ni de créations modernes, faisant tort à l’unité de ces ouvrages surhumains, attendu que même l’architecture des temples nouveaux et les sculptures récentes étaient modelées sur les anciens types, et que l’on continuait, comme par le passé, d’y faire usage des hiéroglyphes[172]. Dans ce pays, enfin, s’étaient maintenues nombre de coutumes étranges, inouïes dans le reste du monde, notamment en ce qui touchait le culte et l’adoration des animaux, laquelle devait, on le comprend, exciter surtout la curiosité et l’étonnement des étrangers. Aussi, l’intérêt pour l’Égypte resta-t-il non seulement toujours vivant, mais aussi toujours le même, quant à sa nature et à son objet. Jusque dans les derniers temps de l’antiquité, les récits et les rapports ayant cette contrée pour sujet furent ceux qui sonnaient le mieux aux oreilles des Grecs, comme certainement aussi à celles des Romains, et les auditeurs ne tarissaient point en questions sur les pyramides, les tombeaux des rois et toutes les autres merveilles de ce pays de fables[173].

A plus forte raison l’Égypte excita-t-elle toujours vivement, comme but de voyage, la curiosité des empereurs et des princes, dont la plupart étaient, sinon exclusivement, du moins principalement poussés par l’intérêt que leur inspirait le pays à entreprendre ces tournées, sur plusieurs desquelles nous reviendrons plus loin. Ainsi Germanicus, en l’an 19. Caligula[174] et Néron[175] projetèrent, tous les deux, des voyages en Égypte, le premier mu par une prédilection pour Alexandrie. Si Vespasien[176] ne put étendre celui qu’il y fit d’Alexandrie à l’intérieur, c’est que probablement le temps lui manqua pour cela, comme il avait manqué à Lucullus[177]. Titus vit au moins Memphis[178], Marc-Aurèle et Lucius Verus visitèrent aussi l’Égypte, selon toute apparence[179], Adrien y fit un voyage avec Sabine, en l’an 130, et Septime Sévère, qui y fut avec Caracalla et Julia Domna[180], poussa jusqu’à la frontière d’Éthiopie[181] en l’an 200[182] ou 203[183]. Alexandrie cependant, la capitale de l’Égypte, produisait sur les étrangers une impression toute différente de ce qu’on éprouvait dans le reste du pays. Les éléments, pour la description de cette ville, ne manquent pas, et peut-être on nous pardonnera d’en faire ici largement usage. Alexandrie, à en considérer le plan et l’architecture, était une ville toute moderne, nullement égyptienne, mais moitié grecque, moitié orientale, et qui, selon toute probabilité, ne différait pas essentiellement des autres villes fondées dans la période macédonienne. Elle avait plus de 22 kilomètres de circuit[184] et s’étendait sur le rivage de l’est à l’ouest. Ses deux rues principales, qui se dirigeaient, l’une du nord au sud, l’autre de l’est à l’ouest, avaient une largeur de 100 pieds chacune, se coupaient à angles droits et étaient, comme il parait aussi, bordées d’arcades. La seconde n’avait pas moins de 30 stades, ou peut-être 6 kilomètres, en longueur[185]. Toutes les deux regorgeaient de temples et d’autres édifices somptueux. Les maisons, toutes en pierre massive, avaient des toits plats[186]. Dès les premiers temps de l’empire, Alexandrie était si riche en temples, en palais, en autres bâtiments somptueux et en promenades publiques, que le quart et jusqu’au tiers de la ville en était couvert[187]. Vis-à-vis du grand port s’élevait l’Augusteum, consacré au premier des empereurs, vaste quartier dépendant d’un temple, avec des portiques, de grandes salles, des bibliothèques, des bois sacrés, des propylées, rempli d’offrandes, de statues et de tableaux, ainsi que tout resplendissant d’or et d’argent[188] ; mais, de tous les établissements de cette ville, le plus magnifique et le plus grandiose était le Sérapéum, qui ne le cédait peut-être qu’au Capitole à Rome[189].

La population, qui flottait probablement entre un demi million et un million d’âmes, était composée en partie d’Égyptiens, de Grecs et de Juifs, en partie d’un élément bâtard[190], issu principalement, mais non exclusivement, du mélange des deux premières de ces races. Les Juifs, suivant Philon[191], habitaient surtout deux, suivant Josèphe[192], un seul des cinq quartiers de la ville, désignés par des lettres, mais ils étaient en outre disséminés dans tous, puisque dans tous on retrouvait leurs synagogues, entourées d’arbres[193]. La principale, pleine de magnificence, d’après les auteurs juifs, fut, comme il paraît, détruite sous Trajan. Même indépendamment de la forte garnison et du nombreux personnel de fonctionnaires, les Romains et les autres Européens avaient, paraît-il, toujours formé un élément assez considérable de la population, tant flottante que sédentaire. D’ailleurs, le commerce international y attirait une foule de gens des tribus les plus éloignées de l’Asie et de l’Afrique, en plus grand nombre que dans aucune autre ville du monde. On y voyait des Éthiopiens, des Libyens et des Arabes à côté de Scythes, de Perses, de Bactriens et d’Indiens[194].

La situation d’Alexandrie, favorable comme nulle autre, sur le littoral d’une contrée pourvue d’immenses ressources, mais n’ayant, sur la Méditerranée, pas d’autre port sûr, depuis Joppé jusqu’à Parétonium, ligne de côtes de 5.000 stades, et à l’embouchure de l’unique voie fluviale de l’Égypte, sur les confins de deux parties du monde, et rapprochée plutôt qu’éloignée de la troisième par une mer intérieure pleine de sinuosités[195], voilà ce qui faisait de cette ville le plus grand entrepôt commercial de l’ancien monde et comme la seconde métropole de l’empire romain[196], où Antioche n’occupait que le troisième rang[197]. Geta hésitait entre ces deux villes dans le choix d’une, nouvelle capitale. Au temps de Diodore, Alexandrie passait même, auprès de bien des gens, pour être la première cité du monde, avec laquelle Rome n’aurait, paraît-il, encore pu rivaliser alors[198]. Cependant, au temps d’Hérodien, Carthage aussi se releva, de manière à pouvoir rivaliser avec Alexandrie[199]. C’est toutefois seulement après que l’Égypte fut devenue une partie intégrante de cet immense corps de domination, que sa capitale parvint à jouir de tous les avantages de sa position. Le commerce y prit aussitôt un puissant essor. Les importations de l’Arabie et de l’Inde y montèrent, dès les premiers temps du règne d’Auguste, au sextuple de ce qu’elles avaient été sous les derniers Ptolémées. Strabon rapporte[200] qu’à l’époque où il accompagna Élius Gallus dans son expédition (en 24 av. J.-C.), environ cent vingt navires partaient annuellement de l’Égypte, pour aller chercher des marchandises dans l’Inde, tandis que précédemment, on n’en comptait pas plus d’une vingtaine. L’importation des produits de l’intérieur de l’Afrique ne s’accrut pas moins[201]. Or, le débit des marchandises qui formaient l’objet du transit d’Alexandrie vers l’Italie et tout l’Occident, ne peut qu’avoir augmenté considérablement encore, avec les progrès du luxe et de la civilisation dans les provinces, pendant les premiers siècles. Caravanes et flottes marchandes y apportaient, chaque année, les trésors du Midi et de l’Orient, ainsi que des pays les plus reculés, encore placés dans le domaine de la fable et du merveilleux. Tout ce que le monde connaissait de plus rare et de plus précieux y était déposé en masses. La poudre d’or, l’ivoire et l’écaille de tortue du pays des Troglodytes, les épices de l’Arabie, les perles du golfe Persique, les pierres précieuses et la toile fine dite byssus de l’Inde, la soie de la Chine, toutes ces marchandises, avec une infinité d’autres, de la plus grande valeur pour la plupart, étaient réexportées de cette place, pour être ultérieurement revendues, à Rome et ailleurs, en partie au centuple du prix d’achat.

A côté de ce commerce embrassant le monde et qui non seulement faisait vivre, mais enrichissait des milliers d’hommes, depuis le grand négociant jusqu’aux simples portefaix du port[202], Alexandrie avait une industrie grandiose. Les métiers de tissage fournissaient les tissus les plus fins de lin et de byssus ; ses verreries, les vitrifications les plus brillantes, les plus artistement travaillées et les plus précieuses, de toutes les formes et de toutes les couleurs ; les fabriques de papyrus, toute espèce de papier, .depuis le plus fin pour écrire jusqu’au plus, commun pour l’emballage. L’incessante activité de son immense population, toute laborieuse, industrieuse et poursuivant le lucre, frappait, surtout comparativement à l’agitation stérile de la foule oisive de Rome. Ce fut là surtout, avec le mélange et la confusion de toutes les religions et de tous les cultes, phénomène très naturel dans un port de mer ouvert aux peuples du monde entier, ce qui excita l’étonnement d’Adrien, lors d’un second voyage qu’il fit à Alexandrie, après avoir déjà visité l’Égypte une première fois en 130 : Personne, écrivit-il à son beau-frère Servien (probablement dans l’année de son troisième consulat, en 134), n’est inactif ici ; chacun a quelque profession. Les goutteux ont de la besogne, les aveugles sont affairés, les chiragres eux-mêmes ne sont pas oisifs. L’argent est le dieu qu’ils adorent, tous sans exception, juifs, chrétiens, etc.[203]

On comprend que la population d’une ville de fabrique et de commerce aussi opulente fût arrogante, au plus haut degré. L’orgueil de ce peuple marchand de l’Égypte était encore rehaussé par le sentiment qu’il avait d’être indispensable à Rome, dont l’existence dépendait en grande partie du résultat des récoltés et de l’importation des grains de cette contrée[204]. Quelqu’un se met-il à faire l’éloge du Nil, dit Dion Chrysostome aux Alexandrins[205], vous prenez un air aussi fier que si vous arriviez voguant d’Éthiopie en droiture. Là où il était si facile de gagner des millions, le luxe et le libertinage aussi devaient être grands. L’humeur satirique et moqueuse, particulière aux Égyptiens, n’admettait pas de frein dans leur capitale, où elle allait jusqu’à la licence la plus effrénée, n’épargnant pas les plus puissants, pas même les empereurs qui avaient été leurs bienfaiteurs[206]. Le danger même ne les retenait pas. Sénèque put faire honneur à la réputation de sa tante maternelle d’être restée, pendant seize ans, bien qu’elle fût la femme du vice-roi d’Égypte, à l’abri de tous les mauvais propos, dans une ville aussi spirituelle et loquace toutes les fois qu’il s’agissait. de bafouer le gouvernement[207]. La folâtrerie, le rire et la joie bruyante y dominaient partout, ne laissant aucune place pour la réflexion sérieuse et le recueillement de l’esprit, en vue d’intérêts plus élevés[208]. Là aussi tout pivotait autour de la fameuse maxime Du pain et des spectacles[209]. Bien qu’Alexandrie eût un amphithéâtre déjà du temps de Strabon (XVII, p. 795), les jeux qu’on y goûtait le plus, cent ans plus tard du moins, étaient ceux du cirque et du théâtre, et, à part les farces et les représentations des jongleurs, c’est surtout la danse et la musique que le peuple y aimait avec passion[210]. La musique alexandrine était célèbre dans le monde entier, depuis le siècle d’Auguste[211] ; on prisait notamment les joueurs de flûte[212] et de cithare[213], ainsi que les chanteurs de cette ville[214], dans laquelle la musique devint un objet d’enseignement public[215]. On la regardait comme une panacée universelle[216], et les prouesses des chanteurs, des cantatrices et des harpistes y transportaient les masses jusqu’au délire[217]. L’intérêt passionné qu’on prenait à l’issue des courses de chars y conduisit aussi, souvent, à des scènes tumultueuses et même sanglantes[218], d’autant plus que les classes inférieures devaient, parfois, arriver au spectacle dans un certain état d’ivresse, causé par l’usage immodéré d’une bière d’orge, que l’on y goûtait fort[219]. En général, la plèbe d’Alexandrie était des plus dangereuses, non seulement comme toute populace d’un grand port de mer, mais parce qu’elle était tout particulièrement un mélange bâtard, formé de l’écume des diverses nations dont elle procédait. Il suffisait d’une étincelle pour mettre le feu aux matières inflammables de ce volcan ; un rien pouvait changer cette ville de luxe, avide de plaisirs, en un sauvage et bouillant chaos d’éléments en fermentation[220]. Aux moindres sujets, tels qu’un salut non rendu, une saisie de denrées alimentaires, le refus de faire droit à une requête insignifiante, le mécontentement excité par la punition d’un esclave, des masses de peuple s’attroupaient, les armes étincelaient, les pierres volaient de tous côtés[221], et, bien que ces émeutes de la rue se terminassent quelquefois par des chansons[222], il fallut néanmoins plus d’une fois, pour réprimer le désordre, faire marcher des corps de troupes considérables[223].

Probablement le fanatisme religieux des Égyptiens occasionnait, assez souvent, aussi des troubles[224], et, bien qu’Adrien, comme nous l’avons déjà dit, ne vît avec raison, sans doute, dans. leur religion qu’un mélange confus de croyances judaïques, chrétiennes et païennes, qui s’explique très bien dans le plus grand entrepôt maritime du monde d’alors[225], ces croyances n’en contrastaient pas moins entre elles, et les contrastes, envenimés et renforcés parles antipathies de races, durent, dans l’occasion, amener des explosions telles que la grande persécution des Juifs sous Caligula, décrite par Philon[226].

Parmi les voyageurs, de catégories certainement très différentes, qu’attirait cette grande et magnifique cité, si originale à tant d’égards, il faut distinguer particulièrement ceux qui venaient pour y rétablir leur santé, ou pour y puiser l’instruction et la science. Les médecins recommandaient notamment un voyage de mer en Égypte, pour arrêter la consomption dans sa première phase[227].

Sous le doux ciel d’un pays où il ne tombait jamais de neige[228] (or la neige était peut-être le seul article que l’on ne pût se procurer à Alexandrie[229]), d’un pays où les roses fleurissaient même en hiver[230] et il n’y avait pas un jour sans soleil[231], pendant que, d’autre part, les vents alizés tempéraient les chaleurs de l’été[232], plus d’un malade, pour lequel le climat de l’Italie s’était trouvé trop rude, pouvait espérer guérir de sa toux sanguinolente[233]. Aussi, les médecins d’Alexandrie ; ou du moins originaires de l’Égypte, étaient-ils souvent appelés à Rome, et y avaient-ils le plus de célébrité[234]. Cette circonstance, jointe à celle que l’on trouvait dans les écoles de médecine de cette ville la meilleure occasion de se perfectionner dans la science médicale[235], décidait constamment nombre d’élèves, aspirant à cet art, à établir là leur séjour ; car c’était, pour un jeune médecin, une excellente recommandation d’avoir fait ses études à Alexandrie[236].

Galien, qui y avait étudié lui-même, nous apprend que l’on y avait toute facilité pour acquérir des connaissances ostéologiques, par autopsie, et rapporte, entre autres faits curieux intéressant sa profession, y avoir vu souvent mettre à mort, instantanément et sans douleur, des condamnés qu’on faisait mordre par un aspic[237].

Mais, pour la plupart des autres sciences aussi, on trouvait d’ans cette ville les meilleurs professeurs et les meilleurs établissements d’instruction, qui ne cessaient pas d’y attirer nombre d’étrangers, naturellement surtout des pays de langue grecque[238]. Alexandrie resta la grande école pour la philosophie, la grammaire et l’étude des belles-lettres, les mathématiques et l’astronomie, branche d’enseignement à laquelle on rattachait aussi l’astrologie, la magie et d’autres sciences occultes, que les Égyptiens se vantaient d’avoir approfondies plus que nul autre peuple, et qui se maintinrent chez eux jusqu’aux derniers temps de l’antiquité[239].

Le Muséum, comme on appelait l’académie fondée par les Ptolémées, et la Bibliothèque, continuaient à former le centre de tout ce mouvement d’études. Enfin, il est probable que des mobiles religieux, notamment la foi dans le culte du dieu Sérapis, si secourable dans une foule de crises et particulièrement en grande vénération à Alexandrie, où sa fête principale se célébrait en été, y déterminaient un pèlerinage de nombreux adorateurs de ce dieu[240]. Tels furent les motifs de Septime Sévère[241], sinon aussi ceux de son fils Caracalla[242] et du rhéteur Annius Florus[243]. Les étrangers, séjournant à Alexandrie, ne négligeaient ordinairement pas, sans doute, d’aller visiter les lieux de plaisance et les bains du voisinage, les deux Taposiris et Éleusis, mais surtout Canope. Tous les trois se remplissaient chaque année de visiteurs[244]. Les bords du canal, long de 22 à 23 kilomètres, qui joignait Canope à la capitale, étaient couverts d’hôtelleries luxueuses. Sur le parcours de la même route[245], Éleusis offrait aussi, comme pour donner un avant-goût des délices et, des plaisirs de Canope[246], de nombreuses habitations, en partie munies de belvédères, généralement aménagées avec le plus grand luxe et toutes prêtes à recevoir les étrangers ; à plus forte raison Canope même, lieu de délices, si jamais il en fut, où l’on se sentait comme transporté en rêve dans un autre monde, sous le ciel le plus radieux, auprès de l’haleine douce et rafraîchissante des brises de la mer et du léger murmure de l’onde[247]. Des malades surtout venaient là visiter le temple de Sérapis, objet d’une vénération toute particulière, pour y recevoir pendant le sommeil les prescriptions du dieu, données sous forme d’oracles, dont ils espéraient leur rétablissement[248]. Mais une grande partie des visiteurs ne recherchaient Canope que pour s’y livrer aux débauches effrénées dont cette ville était le théâtre et pour lesquelles elle avait acquis, dans le monde de ce temps-là, une réputation proverbiale, à laquelle n’atteignait aucune autre ville de plaisirs[249]. Nuit et jour, du temps de Strabon, le canal était couvert de canots, qui y amenaient, d’Alexandrie, des sociétés d’hommes et de femmes. Beaucoup de ces canots, munis de cabines, s’arrêtaient à l’ombre des touffes de la plante qui produit la fève égyptienne (nelumbium speciosum), et qui s’élève à une grande hauteur au-dessus de l’eau. C’est là qu’on voyait les bandes joyeuses tenir leurs repas, au milieu des séductions du parfum et du riche éclat des fleurs, ou exécuter, sur d’autres barques, les danses les plus extravagantes, au son des flûtes[250].

On trouve encore, dans le cabinet réservé du Musée Bourbonien, de ces scènes du Nil, que l’obscénité des sujets ne permettait pas de placer ailleurs[251]. Les barques sont laites d’un seul bloc (monoxyla). La mosaïque de Palestrine aussi contient la représentation d’une orgie avec une joueuse de flûte, sous un berceau de vigne dont le feuillage est tendu d’une rive à l’autre du canal.

Mais, quelle que fût la profusion de spectacles et d’excitations de tout genre offerte par Alexandrie et les environs, cette ville ne pouvait captiver longtemps les voyageurs qui, comme Germanicus, visitaient l’Égypte pour apprendre à en connaître les antiquités. C’est que la capitale du pays, avec tout le mouvement et la vie qui y régnaient, appartenait tout entière au présent. Or, il suffisait d’une excursion à l’intérieur faite parterre, à dos de chameau, d’Alexandrie même[252], ou par le fleuve, qu’on pouvait remonter, comme le fit Germanicus de Canope[253], sur une barque du Nil, pour transporter le voyageur du milieu du tumulte et du bruit, de l’éclat et des splendeurs, dans la région du silence et une solitude, où tout autour de lui respirait la plus haute antiquité. Le but le plus proche, pour les voyageurs hors de la catégorie de ceux qui allaient religieusement, de place en place, examiner toutes les curiosités, l’une après l’autre, devait être Memphis, non parce que cette ville était alors encore la seconde de l’Égypte, pour l’étendue et la population, mais à cause de la grande célébrité des monuments de ce siège de l’antique royauté[254]. Les palais des plus anciens Pharaons y étaient, il est vrai, des ruines ; les rangées de sphinx conduisant au temple de Sérapis, à demi ou complètement ensevelies dans les sables mouvants ; mais les injures des siècles mêmes n’avaient pu entamer les pyramides. On les voyait, de bien loin déjà, se dresser comme des monts, sur un plateau de rocher élevé et solitaire, à l’ouest de la ville, du milieu de collines de sable accumulées par le vent et difficiles à franchir[255]. Leur aspect, alors, différait un peu de celui qu’elles présentent aujourd’hui ; les blocs de pierre, étagés par degrés, étaient munis d’un revêtement complet[256] ; leurs côtés formaient ainsi quatre plans inclinés, parfaitement unis et recouverts d’hiéroglyphes[257], jusqu’au sommet en pointe. Les gens du bourg voisin de Busiris n’en parvenaient pas moins déjà à les gravir jusqu’à ce sommet[258], adresse que dès lors, sans doute, ils ne manquaient pas de déployer pour de l’argent aux yeux des étrangers, comme plus tard aussi les Arabes, au moyen âge[259]. Les prêtres égyptiens assuraient que la profondeur des fondations des pyramides égalait la hauteur de celles-ci au-dessus du sol[260].

Là aussi, des voyageurs grecs et romains s’appliquèrent à perpétuer le souvenir de leur visite par des inscriptions, gravées dans le revêtement des pyramides, avec lequel elles ont disparu. Cependant, des voyageurs européens en lurent et copièrent encore quelques-unes, au XIVe siècle : ainsi les suivantes, copiées en 1336 par Guillaume de Baldensel :

Vidi pyramidas sine te, dulcissime frater,

Et tibi, quod potui, lacrymas hic mœsta profudi,

Et nostri memorem luctus hic scripsi querelam.

Puis :

Sic nomen decimi anni pyramide alta ?

Pontificis comitisque tuis Trajane triumphis

Lustris sex intra censoris, consulis esse ? [261]

Il existe un certain nombre d’autres inscriptions, gravées sur la griffe d’un lion colossal à tête d’homme, près de la pyramide de Khephren, masse qui a été retirée, de notre temps seulement, des sables qui la couvraient[262].

Un but favori de pérégrination ultérieure, pour les voyageurs romains et grecs, c’étaient les ruines gigantesques de Thèbes, dont le vaste champ s’étendait, des deux côtés du Nil, sur un espace de 15 kilomètres du nord au sud. Germanicus aussi les visita en l’an 19, et peut-être le jeune prince comprit-il l’avertissement sérieux que contenait, également pour le peuple-roi, le grand spectacle d’u ne telle splendeur éteinte ; car, ce qu’un vieux prêtre égyptien lui lut, sur sa demande, des hiéroglyphes qui restaient encore sur ces monuments, lui apprit que l’antique royaume de Thèbes n’avait pas eu moins de grandeur et de puissance que l’empire romain et celui des Parthes en avaient de son temps. C’est avec une armée de sept cent mille hommes, y lisait-on, que le roi Ramsès avait parcouru et subjugué la Libye, l’Éthiopie et une grande partie de l’Asie, et les tributs imposés, dans cette marche conquérante, aux peuples vaincus, en or et argent, chevaux et armes, ivoire et encens, blé et produits de toute nature, y étaient également consignés[263].

Germanicus contempla aussi la statue vocale de Memnon, statue qui, paraît-il, ne tarda pas à attirer l’attention des voyageurs plus vivement que tous les autres débris de Thèbes, peut-être même que toutes les autres merveilles de l’Égypte, sans exception[264].

Sur la rive occidentale du Nil s’élevaient, au milieu d’une foule de débris épars, deux colosses établis sur leur séant, que l’on apercevait déjà à une distance de 14 lieues. Ils étaient taillés chacun d’un seul bloc de rocher, de 60 pieds de hauteur, tous les deux nus ou du moins sans autre vêtement qu’un pagne, jeunes de visage, le haut du corps droit, les bras baissés et le serrant de près, les mains posées sur les genoux. Depuis qu’un tremblement de terre, peut-être en l’an 27 avant J.-C., avait renversé la partie supérieure de l’un, de façon qu’il n’y eut plus que les jambes, avec les mains posées sur les genoux, attenantes au tronc ; les visiteurs des ruines de Thèbes y observèrent un singulier phénomène. Quand, au lever du soleil, les deux colosses commençaient à projeter leurs grandes ombres sur le désert silencieux, celui des deux qui avait été brisé rendait un son faible, mais parfaitement intelligible. Strabon, qui le premier rapporte ce phénomène, parle d’un bruit comme celui qu’on entend en frappant un léger coup. D’autres comparaient ce son à celui d’une corde d’instrument qui saute, d’autres encore à celui d’un vase en cuivre sur lequel on frappe. Bien des gens trouvaient même qu’il avait quelque chose d’un accent de la voix humaine. On fut ainsi conduit à penser que la statue devait être celle de Memnon, qui, d’après une croyance longtemps très répandue chez les Grecs, passait pour avoir fait construire ces palais, et que ce son c’était le salut du fils de l’Aurore à sa mère. Il n’est pas possible de déterminer exactement l’époque où la désignation de statue de Memnon commença à être appliquée au colosse et à se faire accepter généralement ; elle apparaît pour la première fois dans l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, ouvrage dont la composition peut bien remonter jusqu’au temps de Néron[265]. Depuis lors, le colosse eut un attrait nouveau pour les voyageurs grecs et romains. Beaucoup de personnages, voulant se distinguer du commun des gens qui faisaient le pèlerinage de Thèbes pour voir la statue, firent graver leurs noms, certains aussi la date de leur séjour, avec des remarques plus ou moins concises, voire même des poésies, assez généralement sur les jambes du colosse, couvertes de ces inscriptions presque jusqu’aux genoux.

Sur 72 inscriptions relevées, 35 sont datées, une du temps de Néron, la plupart des autres, soit plus exactement 27, de celui d’Adrien. Les noms mêmes de ce prince et de sa femme, avec ceux de différentes personnes de sa suite, y rappellent une visite qu’il fit à la statue au mois de novembre de l’an 130[266]. On y trouve, en outre, les noms de 8 vice-rois d’Égypte, de 2 épouses de vice-rois, de 3 commandants de la Thébaïde, de divers autres officiers, de 2 juges supérieurs, d’un prêtre de Sérapis d’Alexandrie, d’un poète homérique du Muséum de cette ville, etc. Les dernières inscriptions datées sont du temps de Septime Sévère. Ce prince fit probablement, lors de son séjour en Égypte de l’an 200, restaurer le colosse, restauration quia eu pour effet de le conserver jusqu’à nos jours ; mais, la pression des énormes masses de pierres superposées au fragment plus ancien, empêcha la vibration qui, autrefois, produisait ce son, avec la grande variation de température qu’amenait chaque matin le lever du soleil, de se reproduire. La statue de Memnon, devenue muette, tomba de plus en plus dans l’oubli.

Dans beaucoup d’inscriptions conservées, les voyageurs rendent hommage à Memnon ; comme à un être surnaturel et divin, à la grâce duquel ils se recommandent. Souvent, ils le l’ont en y comprenant des personnes chères à leur cœur, mais qui sont loin, qu’ils voudraient avoir auprès d’eux, ou auxquelles ils donnent un souvenir, sous une forme ou une autre. Tel est, généralement, aussi le caractère ordinaire des autres inscriptions qu’il reste à mentionner, en Égypte comme ailleurs. Elles portent en grande partie le cachet d’une vénération spéciale pour la divinité, tutélaire du pays ou du lieu, dans le temple de laquelle se trouvait, ou sous la haute protection de laquelle entendait se placer l’étranger, loin du foyer domestique et des siens[267].

Après le colosse de Memnon, ce que les Grecs et les Romains admiraient surtout, près de Thèbes, c’étaient les tombeaux des rois, dans la seconde chaîne libyenne à l’ouest de cette ville. Les Grecs appelaient syringes (tuyaux) ces tombeaux formés de chambres souterraines, de caveaux, de galeries et de salles, taillés dans le roc à de grandes profondeurs[268]. Là aussi beaucoup d’inscriptions, au nombre de plus de cent, ont été trouvées par des voyageurs. Elles sont légèrement gravées dans le roc à la lueur des torches, ou peintes en rouge, et pour la plupart de la période romaine ; les dates de celles qui en ont se rapportent aux temps écoulés depuis le règne de Trajan jusqu’à celui de Constantin ; aucune, ne remonte plus haut que l’époque des Ptolémées[269]. Deux, portant les noms d’Aurèle Antonin et de Lucius Aurèle, dans les syringes, sont attribuées par Letronne[270] aux empereurs Marc Aurèle[271] et Lucius Verus, qui paraissent avoir visité l’Égypte l’un et l’autre, le second probablement en 162[272]. Les autres aussi ne comprennent, pour la plupart, que des noms et des dates, ou quelque courte phrase admirative. Qui n’a point vu ce monument n’a rien vu, porte une inscription grecque, sur le tombeau du neuvième Ramsès ; heureux ceux qui ont vu ce monument[273].

On trouve de pareilles inscriptions de voyageurs, gravées sur des temples, des obélisques, des pylônes (portails), etc., dans la plupart des stations échelonnées le long des deux rives du Nil, et cela non seulement jusqu’à Philé et Syène, lieux marquant la frontière de l’Égypte, mais jusqu’au mûrier sacré, point extrême de l’empire romain au sud, sur les confins de l’Éthiopie[274]. Peu d’entre elles offrent un intérêt particulier. Dans les ruines de la grande Apollinopolis (Edfou, dans la Haute Égypte), on lit ces mots : Le Juif Ptolémée, fils de Denys, loue Dieu ; — le Juif Théodote, fils de Dorion, sauvé de (le reste manque), loue Dieu. Ces voyageurs étaient probablement des Juifs d’Égypte, revenus d’un long et périlleux voyage de commerce. A Philé, on voit gravé le nom de C. Numonius Vala, le même avec lequel Horace, dans ses moments de doux loisir, entretenait jadis, une correspondance sur les agréments du climat et les autres avantages de Vélia et de Salerne. Il était à Philé, dans la 130 année du consulat de César, le 20 mars de l’an 2 avant notre ère ; 11 ans plus tard il trouvait la mort dans sa fuite vers le Rhin, après la terrible bataille où les légions romaines avaient été défaites par les Germains, dans la forêt de Teutobourg[275].

Des autres curiosités, de diverses. espèces, qui abondaient en Égypte, nous devons nous borner à mentionner ici quelques-unes de celles qui intéressaient le plus les étrangers. Dans tous les sanctuaires et temples, des prêtres servaient de guides et donnaient les explications désirées[276]. Ils montraient aussi, entre autres, les animaux sacrés, comme à Memphis le taureau Apis, à certaines heures, dans une cour spécialement affectée à cette parade[277]. Germanicus ne manqua pas d’aller voir cet animal[278], dont Titus honora même la consécration de sa présence[279]. Les prêtres montraient de même, à Arsinoé, le crocodile apprivoisé Sychos, que les voyageurs régalaient d’habitude de pain, de viande et de vin[280]. Parmi les grands monuments d’architecture, il paraît que les plus admirés, après ceux que nous avons déjà signalés plus haut, étaient le labyrinthe[281] et, parmi les ouvrages hydrauliques, le lac Mœris[282].

En fait de spectacles de la nature, un des plus renommés était l’aspect des villes frontières de l’Égypte situées sous le tropique, Éléphantine et Syène, à l’époque du solstice d’été. A l’heure de midi, il y avait alors, dans ces lieux, absence complète d’ombre, et tout ce que l’on y voyait debout, temples, obélisques et personnes, était radieux, recevant en plein la lumière du soleil. A Syène, il y avait de plus un puits sacré, au fond duquel apparaissait, le même jour et à la même heure, l’image du soleil, réfléchi tout entier par la surface de l’eau, qu’elle couvrait jusqu’au bord[283]. On allait aussi beaucoup visiter les petites cataractes du Nil, au-dessus de Syène. Le fleuve, quand les eaux sont hautes, s’y précipite d’un banc de récifs, formant comme des flots au milieu de son lit, sans que, près des deux rives, son cours en soit troublé. Quand il venait des gouverneurs, ou d’autres personnages, pour voir la chute d’eau, les mariniers, afin de leur offrir le divertissement d’un spectacle, remontaient avec leurs barques la rive occidentale, jusqu’au-dessus du banc de récifs, et se laissaient ensuite lancer par la cataracte au bas de celui-ci, ce qu’ils réussissaient à faire impunément[284]. Le rhéteur Aristide obtint, sur demande, du commandant de la garnison romaine à Syène, une escorte militaire, chargée de contraindre au besoin les mariniers à reprendre cette course, dont il voulut partager le danger avec eux[285]. Quant aux grandes cataractes du Nil, en Éthiopie, il paraît qu’elles ne furent que rarement abordées par les voyageurs du temps, et que les points plus éloignés des rives du fleuve, à l’ouest comme à l’est, n’étaient aussi que très rarement visités dans un but de simple curiosité. Ainsi le même Aristide parcourut l’Égypte quatre fois, dans toute son étendue, sans qu’il vît les fameuses carrières de porphyre dites du mont Claudien (Mons Claudianus), exploitées depuis le règne de Claude, sur la mer Rouge, où des centaines de condamnés, livrés, au milieu des horreurs d’un désert aride et sans eau, à toute l’ardeur d’un soleil brûlant, étaient occupés à travailler cette pierre si dure ; dont on faisait des colonnes et d’autres ornements pour les palais de Rome[286]. Un détachement de troupes, de 500 hommes pour le moins, y était chargé du maintien de l’ordre et de la police[287].

 

 

 

 



[1] Hominum natura novitatis ac peregrinationis avida (H. N., XVII, 86). — Voir aussi Sénèque, à Helvie, chap. 6.

[2] Manilius, Astron., IV, 513.

[3] Vie d’Adrien, chap. XVII.

[4] [M. Reinaud, dans ses trois mémoires précités, s’est appliqué à bien déterminer les idées des anciens sur les grandes divisions du globe et l’étendue réelle de leurs connaissances géographiques. (Voyez surtout, à ce sujet, sur les relations de l’empire romain avec l’Asie orientale, aux pages 61 à 77.) Le système d’Ératosthène, qui fut bibliothécaire d’Alexandrie vers 220 avant J.-C., avec les modifications qu’y introduisirent postérieurement les idées de Cratès, bibliothécaire de Pergame vers l’an 160 avant J.-C., et l’imagination des poètes, se maintint en honneur, chez les Romains, jusqu’à l’extinction de l’empire d’Occident. Le système du premier fut adopté par Pomponius Méla et Pline le naturaliste d’une part, ainsi que par Strabon de l’autre. Les idées de Cratès se retrouvent chez Cicéron, dans le Songe de Scipion, commenté par Macrobe. Le système de Ptolémée, postérieur d’un siècle et demi au règne d’Auguste, ne se répandit d’abord qu’en Orient, dans le monde hellénique. La manière de voir de l’auteur du Périple de la mer Érythrée tenait à la fois du système latin et du système grec. La presqu’île de Malacca formait alors le dernier terme de la navigation des bâtiments de l’Égypte dans les mers orientales.] C. V.

[5] Humboldt, Cosmos, II, 222.

[6] Orat., XVI, p. 242, éd. Jebb.

[7] Sénèque, Quæst. nat., IV, 2, 17. — Voir aussi Strabon, XVII, p. 839.

[8] Pline, H. N., V, 1 ; 5 ; etc. Les rapports semblables de Pomponius Méla (III, 9) ont été probablement puisés à la même source.

[9] Voir par exemple, pour l’Inde, saint Jérôme, Lettres, 124, 4.

[10] Plutarque, De def. orac., c. 18, p. 419 F.

[11] Claudien, In Rufinum, I, 23. — Procope, Bell. Goth., IV, 20. — Voir aussi Eusèbe, Pr. evang., V, 17.

[12] Strabon, II, p. 117 C.

[13] Pausanias, IV, 31, 5.

[14] Dion Chrysostome, Or., XII, p. 198 M.

[15] Germanie, chap. II. — Voir aussi Aristide, Or., XLVIII, p. 355, passage où il paraît être principalement question de gens d’affaires. — Le voyage du grammairien Démétrius de Tarse dans l’île de Bretagne, mentionné par Plutarque (De def. orac., c. II, et c. XVIII, p. 419 F), fut peut-être une espèce de voyage d’exploration scientifique.

[16] Cicéron, De prov. cons., c. XII.

[17] Voir aussi Pausanias, X, 4, 4.

[18] Florus, Épit., p. XLII, éd. Jahn : Inde rursus Italiam redii et tædio maris cum mediterraneam concupissem, secutus Gallicas Alpes en lustro populos Aquilone pallentes. Inde sol occidens placuit : flecto cursum. Sed statim par horrore, par vertice, par ille nivibus Alpinis Pyrenæus excepit.

[19] Ibid., p. XLIII.

[20] Sénèque, De tranquill. animi, 2, 13.

[21] Fronton, De feriis Alsiensibus, 3, 6 (maritimum et voluptarium locum).

[22] Perse, VI, 7. — Stace, Silves, IV, 4, 23.

[23] Minutius Felix, Octavius, 1 : Placuit Hostiam petere amœnissimam civitatem ; ibid., 4 : Modo in istis ad tutelam balnearum jactis et in altum procurrentibus petrarum obicibus residamus.

[24] Pline le Jeune, Lettres, II, 17.

[25] Ad fam., VI, 19 ; ad Atticum, XII, 40 ; XIII, 26.

[26] X, 30 : (Charmants rivages de la douce Formies, vous qu'Apollinaris préfère à tout autre séjour, quand il fuit les ennuis de Rome, et veut se délasser de ses pénibles occupations, l'aimable Tibur, patrie de sa chaste épouse, les retraites de Tusculum et d'Algide, Préneste et Antium même ont moins de charmes que vous à ses yeux. Ni l'enchanteresse Circé, ni Caiette que fondèrent les enfants de Dardanus ; ni Marica, ni Liris, ni Salmacis, que baigne l'eau du lac Lucrin, n'excitent ses regrets).

[27] D’après Westphal (La Campagne de Rome, p. 39 ; en all.), ces ruines s’étendraient jusqu’à trois milles d’Antium.

[28] Martial, V, 1 : (César, soit que tu résides sur les collines d'Albe, que chérit Pallas, et que de là tu étendes tes regards, d'un côté, sur le temple de la triple Hécate, de l'autre sur les plaines de Thétis; soit que tu habiles la ville où deux sœurs rendent tes oracles véridiques, à l'endroit où les flots de la mer viennent en s'abaissant baigner les faubourgs ; soit que tu préfères la demeure de la nourrice d'Énée, ou le palais de la fille du Soleil, ou le séjour d'Anxur, aux rochers blancs, aux ondes salutaires).

[29] Pline le Jeune, Lettres, VIII, 17 : Anio, delicatissimus amnium, ideoque adjacentibus villis velut invitatus retentusque magna ex parte nemora, quibus inumbratur, fregit et rapuit (L'Anio, la plus douce des rivières, et qui semble comme invité et retenu par les belles villas bâties sur ses bords, a déraciné et emporté les arbres qui le couvraient de leur ombrage).

[30] Fronton, Ad Marcum Cæsarem, II, 2, 7 : Jam primum (Neapoli) nox tepida, Laurentina. Tura autem Gallicinium frigidulum, Lanuvinum. Jam conticinium.... usque ad solis ortum gelidum, ad Algidum maxime. Exin ante meridiem apricum, Tusculanum. Tum meridies fervida, Puteolana. At enim ubi sol latum (?) ad occanum profectus, fit demum cœlum modestius, quod genus Tiburtinum.

[31] Horace, Épîtres, I, 15 :

Quæ sit hiems Veliœ, quod cœlum, Vala, Salerni.

(Quel hiver à Vélia ? Quel ciel, Vala, à Salernum ?)

[32] Horace, Odes, II, 6. — Sénèque aussi parle des hivers doux, dans son traité De tranquillitate animi (chap. II, 13).

[33] Digeste, XVII, 1, 16 (Ulpien, XXXI, ad Edictum) : Et ait Celsus libro septimo Digestorum, hoc respondisse se, quum Aurelius Quietus hospiti suo medico mandasse diceretur, ut in hortis ejus, quos Ravennæ habebat, in quos omnibus annis secedere solebat, sphæristerium et hypocausta et qumdam ipsius valetudini apta sua impensa faceret.

[34] Dion Cassius, LXI, 17.

[35] Lucrèce, III, 1063.

[36] Horace, Épodes, 4, 14 (et Appiam mannis terit).

[37] Cicéron, Pro Cœlio, 14, 39, etc.

[38] Properce, IV, 8, 15-26 ; voir aussi II, 32, 9.

[39] Ovide, Fastes, III, 269.

[40] Ovide, Art d’aimer, I, 259.

[41] Juvénal, IV, 1 17. — Le scoliaste de cet auteur dit qu’elle se composait surtout de Juifs. — La colonie existait près de Genzano, d’après Preller.

[42] Cicéron, ad Atticum, 2, 8, 2, dit : Crater ille delicatus ; puis, 5, 17 : Locus.... animos ad consolandos accommodatus. — Ovide, Métamorphoses, XV, 711 : Urbem in otia natam.

[43] Cicéron, Pro Plancio, chap. XXVI, 65 : Quum plurimi et lautissimi in iis lotis soleant esse (Au sortir de ma province, par hasard, et dans le seul dessein de voyager).

[44] Horace, Épîtres, I, 17, 52.

[45] Dion Cassius, XLVIII, 51.

[46] Pline le Jeune, Lettres, IX, 7.

[47] Horace, Odes, II, 18, 20. — Virgile, Énéide, IX, 709, etc.

[48] Strabon, V, 4, 7, p. 246 C.

[49] D’après le Catal. Imp.

[50] Déjà Varron composa une satire sous le titre de Bajæ (Recueil des fragments de satires, d’Œhler, X, 1), dans laquelle il dit, au sujet de la vie qu’on y menait, sans doute : Quod non solum innubæ fiunt communes, sed etiam veteres puellascunt (puerascunt ?) et multi pueri puellascunt.

Voir, à cet égard, pour les derniers temps de l’empire Vie de l’empereur Tacite, chap. VII ; Florien, chap. VI ; Symmaque, Lettres, I, 7, 8, V, 93 ; VII, 24 ; VIII, 23 ; Ausone, Mosella, 346 ; Ammien, XXVIII, 4, 18 ; Muller, Gen. ævi Theod., II, p. 34.

[51] Cicéron, Ad fam., IX, 12, 1 : Gratulor Baiis nostris, si quidem ut scribis, salubres repente factæ sunt, etc.

[52] Andrea, Dell’ aria di Raja, dans le Bull. Nap., N. S., II, p. 74, etc. — Voir aussi Cassiodore, Var., IX, chap. II. — Pétrarque, Ep. fam., V, 4 : Vidimus illum hybernis mensibus peramœnum sinum, quem sol estivus, nisi fallor, infestat. — Les bains de Baïes attiraient encore du monde au temps de Pétrarque, et même jusqu’au commencement du dix-septième siècle.

[53] A comparer avec le récit de la tentative faite pour noyer Agrippine dans Tacite, Annales, XIV, 5.

[54] Ausone, Mosella, 201, puis 345, etc.

[55] Sénèque, Lettres, 51. — Cicéron, Pro Cœlio, 15 et 20, et in Clodium, 4.

[56] Celse, II, 17, mentionne les bains super Bajis, in myrtetis.

[57] Tacite, loc. cit.

[58] Cicéron, Ad fam., IX, 3.

[59] Juvénal, XI, 40.

[60] Art d’aimer, I, 233.

[61] Régien ou Régillien, dans l’Anthologie latine de Meyer, 536.

[62] Jucunda suburbanitas, dit Cicéron, in Verrem, II, 2, 37.

[63] Voir De rerum natura, I, 727, ainsi que le poème de l’Etna, 593.

[64] Diodore, V, 3. — Cicéron, Verrines, II, 4, 48, etc.

[65] Ad Marc., c. XVII, 2. — Voir aussi le même, Consol. ad Polybium, 17, 36. — Cicéron (Verr., II, 5, 27, 68) dit : Lautumias Syracusanas omnes audistis, plerique nostis.

[66] Suétone, Caligula, chap. XXIV et LI.

[67] Au sujet d’une visite faite pendant l’hiver, en Sicile, par Mavortius Lollien, correcteur de la Campanie, a Firmicus Materne, ce dernier (Mathes., I, prœf.) dit : Scrutatus a me es, sicut meministi, totius Siciliæ quam incolositum... et omnia qua : veteres fabulæ prodiderunt, cum veræ rationis explicationem quæsisti. Quid velit ex se Scylla, qvidve Charybdis,.... quid faciant ignes qui ex Ætnæ vertice erumpant, qualis sit lacus qui prope alveum Simethi fluminis ostenditur cui Paliscus (sic) nomen est,.... cetera etiam omnia mecum recolens et requirens quæque tibi a primo ætatis gradu et Atticæ et Romanæ litteræ de admirabilibus provinciæ Siciliæ tradiderunt.

[68] Pline le Jeune, Lettres, VIII, 24.

[69] Anthol. lat. de Meyer, III, 876 (t. II, p. 1), V. 3.

[70] Tite-Live, XLV, 28, etc. — Du temple d’Esculape à Épidaure ; il dit, par exemple : Quod... nunc vestigiis revulsorum donorum, tum donis a dives erat (Aujourd'hui il présente à peine quelques vestiges de la magnificence dont on l'a dépouillé).

[71] Voir Curtius, le Péloponnèse, I, 83, etc.

[72] Pausanias, IV, 1.

[73] Dion Chrysostome, Orat., VII, p. 106 M (description qui paraît se rapporter à Chalcis, dans l’Eubée).

[74] De def. orac., chap. VII, p. 629.

[75] Voir Strabon et Pausanias, entre autres.

[76] Dion Chrysostome, Orat., I, p. 11 M.

[77] Ibid., VII.

[78] Ibid., XXXI, p. 348, 27.

[79] Horace, Épîtres, II, 2, 81 (vacuas... Athenas).

[80] Métamorphoses, II, 795. — Voir, en outre, la belle description du bois sacré et de la source du mont Hymette (Art d’aimer, III, 687), et la relation du voyage entre les îles, du même poste (Ibid., II, 79).

[81] Cicéron, ad Atticus, V, 10, 5 ; 11, 4. — Properce, III, 21, 29, etc.

[82] Plutarque, Périclès, chap. XIII, 3.

[83] Pausanias, I, 20, 4.

[84] Aristide, Orationes, XIII, p. 183 J.

[85] Ibid., p. 187, etc.

[86] Ibid., p. 100, etc.

[87] Ibid., p. 97.

[88] Aristide, Orationes, III, p. 23.

[89] VI, 22, p. 397.

[90] Pausanias, II, 4, 7.

[91] Ibid., II, 1, 2.

[92] Voir Pausanias, et particulièrement Aristide, Orat., III, p. 22-25 J.

[93] Curtius, le Péloponnèse, p. 423, etc., et 573.

[94] Dion Chrysostome, Orat., 31, p. 321, 31 M ; 327, 17 ; 341, 27. — Marquardt place l’époque à laquelle fut prononcé ce discours au commencement du règne de Vespasien.

[95] Aristide, Orat., 43, p. 550, 15, éd. Jebb.

[96] Ibid., p. 541, au commencement.

[97] Lucien, Amours, chap. VIII.

[98] Diodore, XIX, 45.

[99] Pausanias, IV, 31, 5.

[100] D’après la description d’Aristide, Orat., 43, p. 539, 8 ; p. 541, 3.

[101] Dion Chrysostome, Orat., 31, p. 355 M.

[102] Cité par Pline l’Ancien, Hist. nat., XXXIV, 36.

[103] Horace, Odes, I, 7, 1. — Suétone, Tibère, chap. XI. — Voir aussi une poésie d’Apollonidas (15) dans l’Anthologie grecque de Jacobs, II, p. 121, etc. — Néron également (Suétone, Néron, chap. XXIV) feignit, vis à vis de sa mère, de vouloir se retirer à Rhodes. — Annius Florus (Flori Epit., éd. de Jahn, p. XLII) nomme Rhodes et la Crète parmi les lieux qu’il visita.

[104] Plutarque, Sylla, chap. XXVI, 5.

[105] Le même, Quæst. conv., IV, 4, 1-4 et 8 ; de fraterno amore, c. XVII.

[106] Voir, à ce sujet, la lettre connue de Sulpicius (Cicéron, Ad fam., IV, 5, 4), les épigrammes d’Antipater de Thessalonique (35-37) dans l’Anthologie de Jacobs, II, p. 104, etc. (A. Pal., IX, 421), et Apollonidas, A. T., IX, 408.

[107] Lettres à Atticus, V, 11.

[108] Métamorphoses, XIII, 630 ; Héroïdes, 21, 95.

[109] Fastes, VI, 417-423.

[110] Contra Rull., II, 16, 40, où il en dit : Urbs et natura ac situ et descriptione ædificiorum et pulchritudine imprimis nobilis, agri jucundi et fertiles.

[111] Odes, I, 7, 1.

[112] Suétone, Tibère, chap. X.

[113] Tacite, Annales, II, 53.

[114] Strabon, XIII, p. 594.

[115] Ibidem, p. 600.

[116] Hérodote, VII, 43 ; Arrien, I, 11 ; Plutarque, Alexandre, chap. XV.

[117] Annales, IV, 55.

[118] Fastes, VI, 421 : (On croit que, du haut des cieux, une image de la belliqueuse Pallas descendit sur les collines de la ville d'Ilion. Je voulus m'en assurer par mes yeux ; je vis le temple, et le lieu où s'élevait la statue ; mais c'est tout ce qu'Ilion en a gardé ; c'est Rome qui possède Pallas.)

[119] Philostrate, Apollonius de Tyane, IV, 11, 148 ; p. 168, éd. K.

[120] Onirocr., IV, 47, p. 228.

[121] Philostrate, loc. cit.

[122] Dion Cassius, LXXVII, 16 ; Hérodien, IV, 8.

[123] Pline, Hist. nat., XVI, 238. — Philippe, Épigr., 75 (Anthologie grecque de Jacobs, II, p. 216).

[124] Pharsale, IX, 901, etc.

[125] Édition Roth, p. 299, 20.

[126] Diodore, XVII, 7.

[127] Pausanias, VII, 5.

[128] Tacite, Annales, II, 54.

[129] Aristide, Orat., XIII, p. 189 J.

[130] Orat., p. 489, 20 M.

[131] Strabon, XIV, 641, etc.

[132] Aristide, Orat., XLII, p. 522 J.

[133] Sénèque, Lettres, 102, 21.

[134] Strabon, XIV, 646.

[135] C. I. G., 3202, 3304-6, inscriptions du troisième siècle. — Voir aussi déjà Strabon, qui l’appelle la plus belle de toutes ; Aristide, Orat., XLI, p. 613 J, et Philostrate, Apollonius de Tyane, IV, 7, p. 67, éd. S.

[136] Dion Cassius, LXXI, 32.

[137] Les éléments de cette description sont empruntés à Strabon (l. c.) et à Aristide (Orat., XV, p. 232 J ; XX, p. 261, et XLII, p. 521).

[138] Hist., II, 2-4.

[139] Pline l’Ancien, qui parle si souvent d’Alexandrie, ne mentionne plusieurs fois Antioche qu’incidemment, à propos de géographie et de botanique, évidemment d’après des sources grecques.

[140] Pline, H. A., V, 70 : Hierosolyma longe clarissima olim urbium Orientis.

[141] Stace, Silves, III, 5, 75 : Littora mundi hospita. — Antiphile, Épigr., 16 (Anthol. grecque de Jacobs, II, p. 158.)

[142] Strabon, III, p. 145 C.

[143] Philostrate, Apollonius de Tyane, VII, 12, p. 134, éd. K.

[144] Minervini, dans le Bull. Nap., nouvelle série, tome III (1855), p. 105 : Giudei in Pozzuoli. — Voir aussi Actes des Apôtres, 28, 14.

[145] C. I. G., III, 5853, avec le commentaire de Franz. — Mommsen, I. R. N., 2476, 2488.

[146] Philon, in Flaccum, p. 533 M.

[147] Description empruntée à Lucien (De navig., 1-6 ; 13). Le navire dont il parle, étant de ceux que l’on voyait rarement au Pirée, avait attiré une multitude de curieux.

[148] H. N., XXXVI, 70 : Divus Augustus eam (navem) quæ priorem advexerat miraculi gratia Puteolis perpetuis (?) navalibus dicaverat ; incendio consumpta ea est.

[149] Catal. imp.

[150] Pline l’Ancien, l. c., et XVI, 201. — Dans la marine marchande du temps actuel, les grands trois-mâts sont du port de 1.000 à 1.250 tonneaux de mille kilogrammes. Parmi les bateaux à vapeur gigantesques les derniers construits, le Great Britain (de 1844) a 322 pieds de long sur 51 de large, le Persia (de 1856), 390 pieds de long sur 45 de large, avec une capacité de 5.400 tonnes, de sorte qu’après déduction de 1.400 tonnes, occupées par la provision de charbon nécessaire pour la traversée de l’Atlantique, il reste encore un espace de 4.000 tonnes pour le fret. Le Great Eastern enfin, long de 680 pieds et large de 83, est du port de 27.000 tonneaux et peut recevoir à son bord, en sus de l’équipage, 4.000 passagers, sans préjudice de l’espace réservé, en outre, pour le fret de 5.000 tonneaux de marchandises.

[151] Suétone, Auguste, chap. XCVIII.

[152] Hist. nat., XIX, 1.

[153] Diodore, V, 12.

[154] Actes des Apôtres, 28, 11.

[155] De navig., 7, 10.

[156] Silves, III, 2, 87.

[157] Josèphe, Bell. Jud., IV, 10, 5.

[158] Un affranchi impérial est mentionné comme gardien du phare (d’après Mommsen, I. R. N., 6846), dans l’inscription suivante : D. M. M. Aurelius Aug. lib. præpositus unctor. et proc. tari Alexandrie ad Ægyptum.

[159] Pline, Hist. nat., XXXVI, 83 : Periculum in continuatione ignium ne sidus existimetur, quoniam e longinquo similis flammarum adspectus est.

[160] Strabon, XVII, 1, p. 792.

[161] Ovide, Am., II, 13, 8 (palmiferamque Pharon).

Aujourd’hui, les seuls points d’orientation du côté de terre, desquels on puisse donner des signaux au loin, seraient, d’après Ritter, à l’ouest la tour des Arabes, puis, à l’approche d’Alexandrie, des groupes de dattiers et la colonne de Pompée.

On prétendait que l’eau de la mer, à l’embouchure du Nil, était potable, même à des endroits où il n’était pas encore possible d’apercevoir la terre. (Aristide, Orat., XLVIII, p. 334.)

[162] Hérodote, II, 35.

[163] Lucien, De navig., 44.

[164] Quæst. nat., VI, 8.

[165] Héliodore, Éthiopiques, I, 31.

[166] Strabon, XVII, p. 788. — Juvénal, XV, 126, etc.

[167] Jahn en a reproduit quelques-uns dans le Columbar. de la Villa Doria Panfili, p. 22. Toutefois la mosaïque de Palestrina, sur laquelle les animaux du monde réel sont entremêlés d’animaux fabuleux, est celle qui fait le mieux ressortir l’intérêt qu’on prenait aux espèces du règne animal particulières à l’Égypte. Voir Barthélemy, Mos. de Pal., p. 35, et le C. I. G., III, 6131 b. Malheureusement les inscriptions de cette mosaïque sont devenues en partie inintelligibles.

[168] Vie de Septime Sévère, chap. XVII : Jucundam sibi peregrinationem banc.... propter novitatem animalium vel locorum fuisse, Severus ipse postea semper ostendit (Sévère ne cessa, par la suite de rappeler le plaisir que lui avait procuré ce voyage… qui lui avait permis de contempler des monuments antiques et de voir des animaux et des lieux nouveaux).

[169] Westphal, la Campagne de Rome, en allemand, p. 104.

[170] Vie d’Adrien, chap. XXVI.

[171] Marini, Alti degli fr. Arv., p. 556 : Qui locus appellatur Memphi... Voir aussi ibid., p. 628, et Gruter, 1080, 3.

[172] Letronne, Recueil d’inscriptions, etc., I, p. 210. — Les ruines de la ville d’Antinoupolis, fondée par Adrien, font cependant exception.

[173] Héliodore, Éthiopiques, II, 27.

[174] Philon, Ad Caium, p. 595 M.

[175] Suétone, Néron, chap. XIX et XX.

[176] Le même, Vespasien, chap. VII.

[177] Plutarque, Lucullus, chap. II.

[178] Suétone, Titus, chap. V.

[179] Letronne, Recueil des inscriptions, II, p. 310.

[180] C. I., 5973.

[181] Dion Cassius, LXXV, 13.

[182] D’après Tillemont.

[183] D’après Eckhel, VII, p. 180.

[184] 16.360 pas, d’après Mannert.

[185] Strabon, XVII, 1, p. 793. — Achille Tatius, V, 1. — Diodore (XVII, 52) porte même à 40 stades la longueur de la rue principale.

[186] César, Bell. Alex., I, 1.

[187] Strabon, XVII, 1, p. 795.

[188] Philon, Leg. ad Caium, 567 M.

[189] Ammien, XXII, 16,12.

[190] Philon, Leq. ad Caium, p. 563 M.

[191] In Flaccum, p. 525 M.

[192] Bellum Jud., II, 18, 7.

[193] Philon, Leg. ad Caium, 565 M.

[194] Dion Chrysostome, Orat., XXXII, p. 373 M.

[195] Ibid., p. 372.

[196] Ibid. — Aristide, Orat., XIV, p. 205 J.

[197] Josèphe, Bellum Jud., III, 2, 4.

[198] Diodore, XVII, 52.

[199] Hérodien, VII, 6, 2.

[200] Strabon, II, 4, 10, p. 113.

[201] Le même, XVII, 1, 13, p. 798.

[202] Lucien, Toxaris, 31.

[203] Vie de Saturnin, chap. VIII : Nummus illis deus est (d’après Lehrs).

[204] Pline le Jeune, Panégyrique, chap. XXXI : Superbiebat ventosa et insolens natio, quod victorem quidem populum pasceret tamen ; quodque in suo flumine, in suis navibus vel abundantia nostra, vel fames esset (Cette nation vaine et insolente s'enorgueillissait de nourrir ses vainqueurs, et de nous donner, à la faveur de son fleuve et de ses vaisseaux, l'abondance ou la famine).

[205] Orat. XXXII, p. 373 M.

[206] Ibid., p. 367. — Suétone, Vespasien, chap. XIX : Alexandrini Cybiosacten cum appellare perseveraverunt (Les habitants d'Alexandrie continuèrent de l'appeler Cybiosacte). — Dion Cassius, LXVI, 8. — Vie de Saturnin, chap. VIII (au sujet d’Adrien). — Hérodien, IV, 9, 2 (au sujet des moqueries des Alexandrins, qui occasionnèrent le massacre de Caracalla). — Dion Cassius, LXXVII, 22.

[207] Consolations à Helvie, 19, 6.

[208] Dion Chrysostome, l. c., au commencement ; puis 379 M.

[209] Ibid., 370 M.

[210] Dion Cassius, l. c., 361 M, etc.

[211] Ovide, Art d’aimer, III, 318 : Niliacis carmina lusa modis (répétez les airs que vous avez entendus au théâtre). — Voir aussi dans Martial, III, 63 (Cantica Nili).

[212] Properce, IV, 8, 30. — Tacite, Annales, XIV, 60.

[213] C. I. G., 6651.

[214] Pétrone, chap. XXXV.

[215] Julien, Lettres, 56.

[216] Dion Chrysostome, l. c., 367 M.

[217] Ibid., 371 M, etc.

[218] Ibid., 384 M, etc.

[219] Ibid., 387 M (description de pareils tumultes dans un centon homérique). — Voir aussi Vargès, p. 72.

[220] Philon, In Flaccum, p. 519 M et 537 (au sujet de la persécution contre les Juifs, organisée par le perturbateur Isidore). — Vargès, De statu Ægypti, p. 48.

[221] Histoire Auguste, les Trente Tyrans, chap. XXII (Émilien).

[222] Dion Chrysostome, l. c., p. 383 M.

[223] Dion Cassius, LXXVIII, 35. — Sur les troupes romaines qui formaient la garnison d’Alexandrie, voyez Vargès, p. 67, etc.

[224] Diodore, I, 83. — Vie d’Adrien, chap. XII : Alexandrina seditione turbatus, quæ nata est ob Apin (il fut alarmé par la nouvelle émeute éclatée à Alexandrie : c’était à cause du bœuf Apis).

[225] Vie de Saturnin, chap. VIII.

[226] Voir aussi Josèphe, B. J., II, 18, 7.

[227] Voir Celse, III, 22, mais aussi Pline, Hist. nat., XXXI, 63, et XXIV, 28.

[228] Sénèque, Quæst. nat., IV, 2, 20.

[229] Aristide, Orat., XLVIII, p. 335, etc., J.

[230] Martial, VI, 80.

[231] Ammien Marcellin, XXII, 16, 8.

[232] Diodore, XVII, 52.

[233] Pline le Jeune, Lettres, V, 19, 6.

[234] Pline l’Ancien, H. N., XXVI, 3 ; XXIX, 93.

[235] Galien, éd. Kuhn, III, 220 ; de Bâle, I, 119.

[236] Plutarque, Marc-Antoine, chap. XXVIII, 2. — Ammien, XXII, 16, 18, avec la note de Lindenbrog et Valesius, portant : Fulgentius Planciades, lib. I mythologiæ Alexandriæ in cunctis fere augiportis fuisse medicorum domicilia scribit.

[237] Galien, Πρός Πίσωνα περί τής θηριαxής, c. VIII, éd. Kuhn, XIV, p. 237.

[238] Strabon, XIV, 4, 13, p. 674. — Lucien, Alexandr., 44.

[239] Ammien, XXII, 17 : Nam et disciplinarum magistri quodam modo spirant et nudatur ibi geometrico radio quidquid reconditum latet, nondumque apud eos penitus exaruit musica, nec harmonica conticuit, et recalet apud quosdam adhuc licet raros consideratio mundani motus et siderum, doctique sunt numeros haut pauci, super his scientiam callent quæ fatorum vias ostendit (La géométrie y poursuit utilement ses découvertes; la musique y a toujours des zélateurs, et l'harmonie des interprètes. On y compte encore des astronomes, bien qu'ils soient devenus plus rares. La science des nombres y est généralement cultivée, ainsi que l'art de lire dans l'avenir). — Voir aussi, sur une école de magie à Canope, Burin, Hist. ecclés., II, 26, et sur l’arithmétique des Égyptiens, Hippolyte, Refut., IV, 43, etc.

[240] Aristide, Orat., VIII (p. 56). — Juvénal, VI, 525, etc.

[241] Vie de Septime Sévère, chap. XVII : Jucundam sibi peregrinationem hanc propter religionem dei Serapidis et propter novitatem animalium vel locorum fuisse, Severus ipse postea semper ostendit (Sévère ne cessa, par la suite, de rappeler le plaisir que lui avait procuré ce voyage, qui lui avait permis de connaître le culte du dieu Sérapis, de contempler des monuments antiques et de voir des animaux et des lieux nouveaux).

[242] Hérodien, IV, 8, 6.

[243] Je me rendis en Égypte, dit-il (Jahn, ed. Flori epit., p. XLII), ut ora Nili viderem et populum semper in templis otiosum peregrinæ deæ sistra pulsantem.

[244] Strabon, XVII, p. 799.

[245] Ibid., p. 801.

[246] Ibid., p. 800.

[247] Ammien, l. c., 14 : Hactenus (?) impendio locus et lattis diversoriis exstructus, auris et salutari temperamento perflabilis, ita ut extra mundum nostrum morari se quisquam arbitretur in tractibus illis agens, cura sæpe aprico spiritu immurmurantes audierit ventos (Cette ville abonde en hôtelleries commodes. L'air y est si pur et si tempéré, que l'étranger, qui n'y entend que le doux murmure du zéphyr, se croit transporté dans un monde différent de celui des humains).

[248] Strabon, p. 801. — Plutarque, De Isi et Osiri, c. XXVII. — Voir aussi Pausanias, II, 4, 7.

[249] Juvénal (VI, 84), qui dit ailleurs :

. . . . . . . . . . . . . Horrida sane

Ægyptus, sed luxuria quantum ipse notavi

Barbara famoso non cedit turba Canopo.

(L'Égypte est sauvage ; mais pour la débauche, autant que j'ai pu m'en rendre compte, elle n'a rien à envier à Canope la voluptueuse). XV, 44.

[250] Strabon, XVII, 15-18, p. 799, etc.

[251] Ainsi celle qui est décrite dans le Bull. Nap., III, 82. — Voir aussi, dans le même recueil, année 1856, p. 61, et 1857, p. 34.

[252] Philostrate, Apollonius de Tyane, V, 43, éd. Kayser, p. 104. — L’Itinéraire d’Antonin, p. 155, Ness, indique les relais de la route d’Alexandrie à Memphis.

[253] Tacite, Annales, II, 60.

[254] Strabon, XVII, 1, 32, p. 807, etc.

[255] Tacite, l. c.

[256] Comme l’a parfaitement prouvé Letronne, dans les Mélanges d’érudition, p. 377, sur le revêtement des pyramides de Gizeh. La démolition de ce revêtement ne remonte pas au-delà de la première moitié du quatorzième siècle ; à la grande pyramide elle était, d’après le témoignage d’un pèlerin français, déjà, très avancée en 1395. On regardait généralement, peut-être suivant une tradition des Juifs alexandrins, les pyramides comme des greniers construits par Joseph, d’où l’étymologie rapportée au mot πυρός (froment). Cyriaque d’Ancône put, déjà en 1440, faire l’ascension de la grande pyramide jusqu’au sommet. Le revêtement de la seconde existait encore en grande partie en 1638, d’après le témoignage du voyageur anglais Greaves ; celui de la troisième, appelée la rouge par les Arabes, encore à la fin du quatorzième siècle, ou au commencement du quinzième.

[257] Abdallatif, au commencement du treizième siècle, dit que les copies des inscriptions existant sur les deux grandes pyramides rempliraient plus de dix mille pages. — Voir d’ailleurs Hérodote, II, 125, 5, et Diodore, I, 64.

[258] Pline, Hist. nat., XXXVI, 76 : Vico ad posito, quem vocant Busirim, in eo sunt adsueti scandere illas.

[259] Abdallatif ayant appris que, dans un village voisin, il y avait des gens habitués à monter sur le sommet des pyramides, nous en fîmes venir un qui, pour une bagatelle, monta jusqu’en haut, etc. (Letronne, Recueil, p. 492.)

[260] Aristide, Orat., XLVIII, p. 363 J.

[261] Voir aussi un distique grec, recueilli par le scoliaste de Clément d’Alexandrie, éd. Klotz, IV, p. 113.

[262] C. I. Gr., III, App., 4700, b - l.

[263] Tacite, Annales, II, 60 ; Strabon, XVII, 1, 46, p. 816.

[264] Pour ce qui suit dans le texte, voyez Letronne, la Statue vocale de Memnon.

Philostrate, auteur dont l’exactitude est partout ailleurs très sujette à caution, a laissé, dans son Apollonius de Tyane (VII, 4, éd. K, p. 107), une description si claire du colosse de Memnon, qu’il y a lieu de croire qu’elle s’appuie réellement sur le témoignage de personnes qui avaient tout vu sur les lieux. Peut-être provenait-elle de Julia Domna elle-même, qui fut en Égypte avec Septime Sévère. (Voir C. I. Gr., 5973.)

[265] Pline, H. N., XXXVI, 58 : Non absimilis illi narratur in Thebis delubro Serapis, ut putant, Memnonis statuæ dicatus (scilicet lapis basanites), quem cotidiano solis ortu contactum radiis crepare tradunt. — On ne peut, évidemment, conclure du passage précité des Annales de Tacite (II, 61) : Memnonis saxea effigies, que le colosse portât le nom de Memnon dès lors (en l’an 19).

[266] Letronne, p. 13. — Parmi les autres inscriptions datées, trois sont du temps de Vespasien, trois de celui de Domitien, une de celui de Trajan. Sur les vingt-sept du règne d’Adrien, dix sont antérieures à l’an 130. Une inscription d’Apion, du savant alexandrin de ce nom, sans doute, parait même antérieure au règne de Néron.

[267] Voir, par exemple, C. I., 4917, et Plutarque, De curios., c. XI, p. 520 D.

[268] Voyez Héliodore, Éthiopiques, IX, 22.

[269] Letronne, la Statue vocale de Memnon, p. 242, etc.

[270] Recueil des inscriptions, II, p. 310.

[271] Dion Cassius, LXXI, 28.

[272] Voir C.I., 4775 et 4780, ainsi que les Addenda.

[273] C. I. G., III, App., 4821 c.

[274] C. I. G., III, 4832 ; etc. (à Latopolis), 4838 c. (à Apollinopolis, aujourd’hui Edfou), 4845-58 (à Silsilis), 4900-4947 (à Philé), 4951, etc. (dans l’Oasis de Thèbes), 4980-5037 (dans des carrières en Nubie), 5039-68 (à Talmis Kalabscha, en Nubie, dans un temple du dieu Mandouli), 5074-5108 (à Pselcis), 5110-5124 (à Hiera Sykaminos, dans un temple d’Isis et de Sérapis). — Voyez en outre l’Appendice, p. 1188-1239.

[275] Henzen, 5310.

[276] Voir Strabon, XVII, en divers passages ; Aristide, Orat., XLVIII, p. 331, 360 et 363 J ; Héliodore, Éthiopiques, IX, 22.

[277] Strabon, XVII, 31, p. 807.

[278] Pline, Hist. nat., VIII, 185.

[279] Suétone, Titus, chap. V.

[280] Strabon, XVII, p. 811, etc.

[281] Vie de Septime Sévère, chap. XVII : Nam et Memphim et Memnonem et pyramides et Labyrinthon diligenter inspexit (Il avait en effet minutieusement visité Memphis, la statue de memnon, les Pyramideset le Labyrinthe). — Pomponius Méla ne mentionne que les pyramides et le Labyrinthe.

[282] Tacite, Annales, II, 61.

[283] Aristide, l. c., p. 347.

[284] Strabon, l. c., p. 817, etc.

[285] Aristide, l. c., p. 343, etc.

[286] Ibid., p. 349.

[287] Voir, à ce sujet, une dissertation très intéressante de Letronne, dans les Recherches pour servir à l’histoire de l’Égypte. Le point central du ressort d’exploitation de ces carrières a été retrouvé, en 1823, par Burton et Sir H. Wilkinson, dans la chaîne de Djebel-Dochan ou des montagnes de la Fumée, sous 27° 20’ de lat. N.