MŒURS ROMAINES

 

LIVRE VI — LES SPECTACLES.

CHAPITRE II. — Le Cirque.

 

 

Le vallon oblong et resserré qui s’étend entre les revers, presque parallèles, de l’Aventin et du Palatin, apparaît comme un théâtre formé tout exprès par la nature pour des luttes de vitesse et, particulièrement, pour des courses de chars. Dès les temps les plus anciens, les citoyens avaient l’habitude de se coucher, avec femmes et enfants, sur le gazon des pentes de ces collines, quand, à l’occasion des fêtes, rares alors, on leur donnait, en cet endroit, le spectacle d’une de ces courses ou d’un pugilat ; c’était là aussi que la légende avait placé le théâtre de l’enlèvement des Sabines par les premiers Romains. Avec l’accroissement de l’importance de la ville naissante et de sa puissance, on vit augmenter aussi les splendeurs et la solennité du culte. Les fêtes des dieux indigènes ainsi que celles des dieux étrangers reconnus par l’État, ordinairement terminées par quelque réjouissance au cirque, devinrent de plus en plus fréquentes en même temps qu’elles se régularisaient ; mais, indépendamment de ces fêtes tombant sur des jours fixes, les occasions extraordinaires qui réunissaient le peuple au cirque, se multiplièrent aussi. Déjà les rois y avaient fait établir des sièges pour la commodité du public. Les estrades en bois furent remplacées, avec le temps, par des bâtiments en pierre, jusqu’à ce qu’à la fin on y vit succéder le marbre au tuf et la riche dorure à la simple peinture en couleur. Le grand cirque, depuis que Jules César en acheva la construction, figura parmi les plus somptueux édifices de Rome. Il avait, d’après la description qu’en a laissée Denys d’Halicarnasse (III, 68), une longueur de 3 stades et demi (645 mètres) et une largeur de 4 plèthres (400 pieds grecs ou 424 mètres). L’hippodrome était bordé d’un fossé de plus de 3 mètres de large et d’une profondeur égale ; des arcades à trois étages superposés l’entouraient. Dans l’intérieur de ces arcades les rangs de sièges s’élevaient en amphithéâtre. Les gradins inférieurs seuls étaient en marbre, les degrés supérieurs en bois, et l’on s’en tint, dans la construction de ceux-ci, à l’emploi de la charpente, en grande partie du moins, puisqu’il y est fait mention d’écroulements jusque dans les derniers temps de l’empire. Sous Antonin le Pieux un de ces accidents coûta la vie à plus de 4.400 spectateurs ; sous Dioclétien et Maximin il paraît même, au dire des biographes de ces empereurs, qu’il y eut 13.000 victimes d’une catastrophe pareille. Les tribunes du grand cirque, au temps de César, présentaient une longueur totale de 8 stades, ou 1.473 mètres, et un développement sur lequel il y avait place pour 150.000 spectateurs. L’accroissement de la population et la passion toujours aussi croissante pour les jeux du cirque y déterminèrent, à plusieurs reprises, des constructions nouvelles et l’élargissement des anciennes. C’est par Néron que la première grande reconstruction parait avoir été entreprise, à la suite du terrible incendie de l’an 64, qui éclata au cirque et le détruisit probablement presque-en entier. Ce prince fit aussi combler le fossé qui entourait l’hippodrome et profita de l’espace, qu’il gagna ainsi, pour augmenter le nombre des places[1], que Pline l’Ancien dit avoir été de 250.000, déjà sous le règne de Titus[2]. Une nouvelle reconstruction, également à la suite d’un incendie, fut commencée par Domitien, puis continuée et achevée par Trajan[3]. Parmi les restaurations et les agrandissements postérieurs, quelques-uns seulement ont été mentionnés à l’occasion dans les écrits du temps. Toutes ces reconstructions avaient fini par porter, au quatrième siècle, le nombre des places à 385.000.

Les tribunes les plies basses et les plus voisines de la lice étaient affectées aux sénateurs, celles du degré immédiatement supérieur aux chevaliers ; toutes les autres étaient abandonnées au troisième ordre. Il n’y avait point, au cirque, de places séparées pour les femmes, comme aux autres spectacles ; elles y étaient assises au milieu des hommes. L’empereur et sa famille avaient leurs places auprès des sénateurs ; là se trouvaient aussi les loges que plusieurs empereurs se firent construire.

L’ornement principal de cet édifice, magnifiquement aménagé sous tous les rapports, ainsi que richement décoré, c’était l’obélisque qu’Auguste y avait fait ériger, au milieu de l’hippodrome, et auquel Constance en joignit un second, plus grand encore[4]. Extérieurement, tout le cirque était entouré d’un vestibule à corridors, dans lequel étaient pratiqués les portes d’entrée et les escaliers, disposés de telle façon que des milliers de personnes pussent entrer ou sortir commodément et sans qu’il y eût pressé. Ce vestibule contenait en outre des boutiques, des magasins d’étalage, des salles pour la conversation et toute sorte d’établissements à l’usage du public, avec les logements des entrepreneurs. ou débitants au dessus. Aussi régnait-il toujours là une animation aussi bruyante que variée, mais dont .les allures n’étaient rien moins que décentes. Des marchands y détaillaient leurs denrées, et ce sont leurs échoppes qui paraissent avoir surtout alimenté les commencements du grand incendie néronien[5] ; les gargotes y fumaient[6] ; des baladins y faisaient leurs farces devant une tourbe de spectateurs du plus bas peuple[7] ; des astrologues de carrefour[8], du temps d’Ennius déjà, et d’autres devins conseillaient les gens simples, répondaient à leurs questions et calculaient pour eux avec de petits cailloux, sur des tables, les chances de l’avenir[9] ; des filles de mauvaise vie, dont il y avait là toujours foule, et parmi elles beaucoup de Syriennes et d’autres Orientales, dans les costumes de leur pays[10], y exécutaient leurs danses lascives, au sors du tambourin, des cymbales et des castagnettes.

Deliciæ populi, magno notissima circo,

Quintia, vibratas docta movere nates,

Cymbala cura crotalis, pruriginis arma, Priapo

Ponit et adducta tympana pulsa manu[11].

Les spectacles du cirque avaient, comme tous les autres spectacles, singulièrement gagné, dans le cours des siècles, sous le rapport de la longueur, de la variété et des magnificences de la mise en scène. Au cirque, les principaux furent de tout temps les courses dé chars. En outre de celles-ci, il s’y tenait des courses entre cavaliers, qui, à l’imitation d’un ancien exercice romain, passaient en voltigeant, pendant la course même, de leur cheval sur un autre. C’est probablement aux jeux du cirque aussi que l’on voyait ces autres tours de force et d’adresse, dont il est souvent fait mention, d’écuyers couchés ou debout sur leurs chevaux, pendant la course, ou sautant par-dessus des quadriges. Des boxeurs, des coureurs et des lutteurs s’y produisaient également, dans les premiers temps et même plus tard encore, à l’époque où déjà ces luttes avaient lieu d’ordinaire dans les stades, construits ad hoc. Ainsi, par exemple, il y eut, en l’an 44 de nôtre ère, un combat d’athlètes au cirque. C’est là que, du temps de la république, de jeunes citoyens organisaient des combats simulés et d’autres spectacles militaires, dans lesquels il paraissaient en armure complète. Sous l’empire, la mise en scène des représentations de ce genre fut plus souvent opérée par des détachements de troupes, tant d’infanterie que de cavalerie. D’autres spectacles encore étaient donnés, au cirque, par l’ordre équestre, qui paraissait, dans ces occasions, réparti entre les six escadrons (turmœ) dont il était composé, sous la conduite d’autant de chefs, ayant à leur tête le prince de la jeunesse, lequel, ordinairement, n’était autre que l’héritier du trône, on n’en saurait douter, dans sa plus riche tenue de fête. De même, les jeunes fils des familles nobles se montraient publiquement comme acteurs, au cirque, dans le jeu dit de Troie, qu’Auguste remit en honneur, avec d’autres vieilles, coutumes tombées en désuétude, et qui fut repris plusieurs fois sous les empereurs de la famille de César, dont on connaît la prétention de descendre d’Énée. Des jouvenceaux, de famille sénatoriale principalement, auxquels venaient se joindre aussi les princes de la maison impériale, y exécutaient des manœuvres d’équitation, couverts d’armes étincelantes et rangés suivant leur âge, par détachements ; comprenant les uns les jeunes garçons, jusqu’à onze ans probablement, les autres les adolescents jusque vers dix-sept. Les combats d’animaux et de gladiateurs mêmes, qui, depuis le commencement de l’empire, avaient lieu ordinairement dans l’arène de l’amphithéâtre, étaient aussi quelquefois donnés au cirque, surtout les représentations à grand spectacle.

Des jeux du cirque proprement dits, dont nous venons de faire mention, aucun, quel qu’en fût d’ailleurs l’éclat, emprunté à la qualité des personnes qui y paraissaient, ou la magnificence d’aspect, n’eut jamais, il s’en faut de beaucoup, une vogue comparable à celle des fameuses courses de chars. L’amour de ce spectacle, qui exerçait une fascination si extraordinaire sur les masses, ne dérivait pas, comme autrefois dans les jeux sacrés des Grecs, de l’intérêt que l’on portait aux personnes qui se disputaient le prix de la -course, ni, comme dans nos courses modernes, de celui qu’on prenait aux chevaux en lice, mais particulièrement de la circonstance que l’on prenait fait et cause, dans un sens ou dans un autre, pour ce qu’on appelait alors les factions, auxquelles chevaux et conducteurs appartenaient. A mesure que la passion pour l’hippodrome grandit et se répandit, l’intérêt pour ces derniers en particulier dut naturellement aussi croître, et, bien qu’il ne se manifestât, dans l’origine, qu’à l’occasion des chevaux, ne pas tarder à prendre un caractère de sympathie personnel et direct.

Dans l’ancien temps, les citoyens avaient tantôt participé aux courses de chars avec leurs attelages et leurs esclaves seulement, tantôt même conduit en personne leurs chars dans l’hippodromes la couronne que l’on y gagnait étant réputée assez honorable pour qu’on la déposât sur le cercueil des vainqueurs, après leur mort[12]. Mais, plus tard, l’opinion imprima également une tache, pour le citoyen, à cette manière de prostituer sa personne, pour l’amusement du public. Le conducteur de chars ne passa pourtant jamais pour infâme comme l’acteur de la scène et le gladiateur ; mais, ce métier difficile et périlleux était tombé dans le domaine des gens de peu, des affranchis et des esclaves, qui arrivaient quelquefois à gagner la liberté par leurs victoires. La loi mit cependant une digue à ces affranchissements, en disposant que les esclaves dont le peuple aurait exigé l’émancipation de l’ordonnateur des jeux, ne seraient pas libres pour ce fait[13]. D’ordinaire, les récompenses consistaient soit en palmes et en couronnes, soit en prix d’une somme d’argent, ou bien, suivant une habitude des temps postérieurs, en habits riches et somptueux. Par la libéralité des donateurs de fêtes et la concurrence des partis, dont chacun cherchait à s’attacher lis virtuoses du genre, les conducteurs arrivaient assez souvent à faire des fortunes considérables. Le cocher Scorpus, qui acquit une grande célébrité sous Domitien, gagna une fois, pour prix de ses victoires, dans l’espace d’une seule heure, au rapport de Martial (X, 74), quinze bourses remplies d’or, et le revenu d’un autre conducteur de chars, du parti des rouges, égalait, d’après l’estimation de Juvénal[14], ceux de cent avoués. Quelquefois aussi, les cochers avaient les moyens de, prendre eux-mêmes un intérêt dans la direction des partis. Plus tard, leurs revenus augmentèrent encore dans une forte mesure, et, au quatrième siècle, on se plaignait des prodigalités du temps, qui faisaient tomber dans leurs mains, à titre de récompenses, des domaines entiers[15].

Les conducteurs de chars n’étaient pas, d’ailleurs, inféodés à une faction, mais changeaient souvent de parti[16]. Aussi, le cocher Scirtus fit-il preuve de constance en passant douze années (de 766 à 778 de Rome) au service des blancs[17]. Comme nous l’avons dit, les héros de l’hippodrome attiraient l’attention et excitaient l’intérêt du public pour leur personne même au plus haut degré. Des acclamations et des vœux pour leur succès, les accueillaient et les accompagnaient dans la lice, et, bien que l’on ait tout lieu de croire que là, comme au théâtre, ces applaudissements étaient parfois achetés[18] par des suborneurs intéressés, les conducteurs de chars en renom ne manquaient jamais d’un grand nombre de partisans et d’amis franchement dévoués, qui les suivaient partout où ils se montraient en public[19]. Martial a chanté, dans deux poésies[20], Scorpus ; la gloire du cirque en émoi, les délices de Rome et l’objet de ses applaudissements, après, que la mort l’eut prématurément enlevé à l’âge de vingt-sept ans ; or les oisifs habitués du portique de Quirinus ne commencèrent à s’occuper des dernières épigrammes du poète, de l’aveu de celui-ci même, qu’après qu’ils en eurent assez des conversations et des paris engagés au sujet du fameux Scorpus et du coursier Incitatus[21]. L’étranger, visitant Rome vers le milieu du deuxième siècle de notre ère, était frappé de la multitude de statues représentant les cochers du cirque, dans leur costume original[22], et, encore aujourd’hui, nombre de monuments de tout genre montrent que tous les arts se réunissaient pour éterniser le souvenir de leur gloire et de leurs victoires. L’intérêt qu’ils inspiraient, jusque dans les régions les plus élevées de la société, ne tenait pas seulement à la participation des hautes classes au mouvement des factions, mais aussi au goût passionné de ces classés principalement pour l’art de conduire les voitures, passion que des censeurs indulgents pardonnaient d’ailleurs volontiers à la jeunesse. Des jeunes gens de la plus haute noblesse non seulement guidaient leurs chevaux eux-mêmes sur les grandes routes, mais ne dédaignaient pas d’enrayer de leurs propres mains, ni de verser de l’orge dans les mangeoires, et tous juraient, à L’envi des cochers et des muletiers, par Épone, la déesse des chevaux[23]. Vitellius, qu’on avait vu souvent, dans sa jeunesse, étriller les chevaux dans les écuries du parti des bleus[24], gagna la faveur de Caligula et de Néron, par son application fervente à l’art de conduire les voitures[25], art que le premier de ces deux princes cultivait en amateur et dans lequel le second chercha même à briller comme virtuose[26].

Parmi les favoris de Caligula figurait le conducteur de chars Eutychès, de la faction des verts, auquel il fit, après une orgie, un cadeau de 2 millions de sesterces[27], et pour les chevaux duquel les prétoriens furent employés à construire des écuries[28]. Lucius Verus[29], Commode[30], Caracalla et Geta[31], Héliogabale[32], eurent tous aussi plus ou moins de préférences pour cet art et les virtuoses qui y brillaient. Héliogabale en particulier choisit ses favoris parmi ces derniers, et éleva la mère du principal d’entre eux, Hiéroclès, de la condition d’esclave au rang consulaire. Il n’est pas étonnant dès lors, mais dans la nature des choses, que les cochers du cirque, se voyant aussi généralement reconnus et traités comme personnes d’importance, se fissent remarquer par leur impudence et leur effronterie. Dès le commencement de l’empire s’était établi l’abus de les laisser, probablement à certains jours, rôder dans la ville et y commettre, sous le prétexte de la farce ; jusqu’à des escroqueries et des vols, ce qui fut ensuite défendu sous Néron[33]. Mais, des mesures isolées étaient naturellement impuissantes à contenir le débordement d’une licence effrénée, lequel, même abstraction faite dès faveurs prodiguées à ces gens par les empereurs, rien que la conscience d’être devenus indispensables ne pouvait que ranimer et surexciter constamment chez eux.

Les meilleurs chevaux de course venaient des provinces, bien que l’on se livrât aussi à l’industrie chevaline en grand dans quelques districts de l’Italie, notamment dans les vastes pâturages de la Pouille et de la Calabre[34]. Les élèves les plus estimés y étaient ceux du pays des Hirpins.

En général, Pline assure que les chevaux d’Italie ne le cédaient à ceux d’aucun autre pays dans les courses de chars avec un attelage de trois. La Sicile, où dès le commencement de l’empire, avec les progrès de la dépopulation, les champs de blé s’étaient de plus en plus transformés en pâturages[35], possédait d’immenses haras. Encore à l’époque où le pape Grégoire le Grand voulut faire vendre tous les chevaux qui se trouvaient dans cette île, sur les domaines de l’Église, le nombre de quatre cents, qu’il s’agissait d’y retenir, parut une bagatelle, qui n’entra pas en considération dans le prix de la vente[36]. Les coursiers de la Sicile étaient aussi réputés des meilleurs. Parmi les chevaux des autres provinces, ceux d’Afrique, notamment les races croisées de sang espagnol, étaient également renommés pour leur vélocité. Diori Chrysostome[37] mentionne aussi les chevaux de Mysie comme supérieurs à ceux de Thessalie. Au troisième siècle et au quatrième, c’étaient au contraire les chevaux de la Cappadoce[38] et de l’Espagne qui tenaient le premier rang. A cette époque, Antioche, l’opulente capitale de la Syrie, avec son cirque, dont les jeux étaient célèbres entre tous[39], ne reculait ni devant les difficultés, ni devant les frais qu’entraînait l’énormité de la distance, pour faire courir, dans son hippodrome, les nobles animaux nourris sur les bords du Tage et du Guadalquivir[40]. Elle avait cependant à proximité les haras de la Cappadoce ; mais, peut-être ceux-ci étaient-ils alors exclusivement impériaux. L’âge voulu pour faire courir les chevaux dans l’hippodrome était de trois ans[41], suivant d’autres, de cinq[42]. Il va sans dire que le prix de ces animaux était souvent très élevé[43], et que l’on apportait grand soin à la reproduction, pour laquelle on recherchait notamment des coursiers ayant déjà remporté des victoires[44]. Amateurs et connaisseurs étaient au courant des noms, de l’origine et de la souche, de l’âge, des états de service et des exploits des plus fameux chevaux du cirque ; ils en savaient les généalogies par cœur et avaient mainte anecdote à raconter sur l’intelligence de ces animaux et la méthode appliquée à leur dressage. Ainsi, par exemple, il arriva, suivant Pline[45], aux jeux séculaires donnés par l’empereur Claude, qu’un conducteur de char du parti des blancs ayant fait une chute, dès le commencement de la course, ses chevaux prirent la tête et s’y maintinrent, malgré tous les efforts des autres compétiteurs, firent spontanément tout ce qu’ils auraient pu faire sous la direction du guide le plus expérimenté, remportèrent la victoire et s’arrêtèrent d’eux-mêmes au but. Aux courses des quadriges, les plus fréquentes de toutes, le meilleur cheval était toujours employé comme cheval de main de gauche ; comme il fallait une grande agilité pour tourner la borne, la victoire dépendait surtout de la vitesse et du bon dressage de ce cheval, sur lequel se portait, en conséquence, presque toute l’attention des spectateurs[46].

Les noms des chevaux de l’espèce étaient dans toutes les bouches ; on les acclamait hautement dans l’hippodrome, de même que les cochers[47] ; la foule, au cirque, savait très exactement si le cheval en lice était Passerinus ou Tigris, et Martial, malgré toute la vogue qui finit par s’attacher à ses poésies, n’avait pas, à Rome, plus de notoriété que le coursier Andrémon. Il existe encore des monuments avec la figure de ce cheval et celles d’autres coursiers fameux. Souvent la passion pour les chevaux de race dégénérait en véritable manie On prétend que Caligula s’était mis en tête de nommer consul l’étalon Incitatus. La veille du jour où il devait courir, on donnait aux soldats la consigne d’empêcher que l’on ne fît aucun bruit dans le voisinage, pour que son repos ne fût point troublé. Épictète[48] raconte qu’un spectateur, ayant vu son cheval favori distancé dans la lice, s’enveloppa de son manteau et s’évanouit. Le cheval ayant repris la tête contre toute attente, il fallut asperger d’eau cet homme impressionnable pour lui faire recouvrer ses sens. Néron pensionna des chevaux de course émérites, réformés par suite de leur grand âge. On rapporte des faits semblables de Lucius Verus et de Commode.

Les donateurs des fêtes n’étant qu’exceptionnellement en état de suffire aux besoins des jeux du cirque avec leurs gens et leurs propres chevaux, des associations de capitalistes et de grands propriétaires d’esclaves et de haras se chargeaient de la fourniture et de l’équipement des uns et des autres. Comme il y avait ordinairement quatre chars se disputant le prix de la course, il se forma aussi quatre sociétés pareilles, dont chacune fournissait respectivement un char pour chaque course, et, depuis que. chars et conducteurs prirent des couleurs diverses pour signes distinctifs, elles adoptèrent chacune sa couleur, pour se distinguer également entre elles, d’où on les appela partis ou factions. A la tête de chacune il y avait un ou plusieurs directeurs, appartenant d’ordinaire à l’ordre équestre, comme en général tous les chefs des grandes entreprises et compagnies, à Rome. Cependant, on l’a déjà fait remarquer, même de simples cochers s’élevèrent à des positions pareilles. Les ordonnateurs des jeux étaient obligés de s’entendre sur la fourniture des chevaux, des voitures et des hommes avec ces sociétés, dont les prétentions variaient naturellement, selon les circonstances. Après que Néron eut, dès le début de son règne, tellement amplifié les jeux du cirque, qu’ils remplirent des journées entières, les directeurs des partis ne voulurent plus consentir au louage de leur personnel pour des jeux d’une durée moindre, et se mirent à traiter avec la dernière arrogance les propositions des consuls et des préteurs. En l’an 54, le préteur Aulus Fabricius, n’ayant pas voulu se rendre à leurs exigences déraisonnables, fit paraître en lice des chars attelés de chiens dressés, au lieu de chevaux. Cette démonstration amena bien le parti des rouges et celui des blancs à céder, mais les bleus et les verts se rendirent seulement lorsque Néron eut fixé les prix lui-même. On raconte de Commode que, s’il avait tant multiplié les jeux du cirque, c’était pour enrichir les directeurs des partis. Il n’était probablement pas rare que les partis reçussent, de ce côté, des subventions et des dons. Ainsi le premier Gordien, n’étant encore que simple particulier, leur distribua cent chevaux de Cappadoce et autant de Sicile, pour l’acceptation desquels il fallut une permission de l’empereur, et Symmaque leur fit présent, à chacun, de cinq esclaves, à l’occasion des jeux donnés pour la questure de son fils. On ne mentionne qu’un seul exemple de spectacles donnés, en l’an 6 de notre ère, par les directeurs des partis à leurs propres frais, et, comme il paraît, de concert avec des pantomimes ; cependant, ce fait peut s’être renouvelé souvent, comme tendent à le faire penser plusieurs mentions postérieures de spectacles donnés par des artistes de cette dernière catégorie[49].

Le personnel très nombreux des factions du cirque se composait en partie d’esclaves, en partie d’hommes libres salariés ; il ne comprenait pas seulement les gens nécessaires au service des haras, des écuries et du’ manége, mais encore bon nombre d’artisans, d’artistes et d’employés de genres différents. Dans des actes et des registres du temps figurent, comme au service de ces partis, des charrons, des cordonniers, des tailleurs, des ouvriers travaillant en perles, ainsi que des médecins, des instructeurs dans l’art de conduire, des facteurs, des concierges et des administrateurs, qui tous, souvent aussi, passaient du service d’une faction à celui d’une autre. Les écuries des quatre partis se trouvaient ensemble flans la neuvième région, probablement au pied du Capitole et près du cirque de Flaminius[50]. Elles avaient été, comme les cirques, en partie du moins, construites par des empereurs. Vitellius notamment avait, dans la courte durée de sou règne, dépensé de fortes sommes à de pareilles constructions. Il paraît aussi que l’aménagement intérieur de ces écuries était d’une magnificence vraiment impériale, puisque Caligula se plaisait à passer nue grande partie de son temps dans celles des verts et même à y prendre ses repas. Mais, ce qui touche les rapports des factions du cirque avec le fisc et avec l’administration municipale, de, Rome n’est point éclairci. Les couleurs distinctives des partis étaient le blanc, le rouge, le vert et le bleu. Dans l’origine, les deux premières avaient été seules en usage ; depuis quand, on l’ignore ; car, il n’y a pas de mention contemporaine de cet arrangement antérieure au dernier siècle avant Jésus-Christ. Peut-être que le vert et le bleu ne vinrent s’y joindre qu’au commencement de l’empire. Domitien introduisit, en outre, deux nouvelles couleurs, la pourpre et l’or, qui avaient peut-être seulement le caractère d’une livrée impériale, et paraissent d’ailleurs avoir été bientôt abandonnées ; du moins n’en est-il plus jamais question dans la suite. Les verts et les bleus avaient, dès l’établissement de l’empire, éclipsé lés deux autres partis plus anciens ; mais ils finirent par s’associer, les blancs avec les verts, et les rouges avec les bleus, sans toutefois jamais cesser entièrement d’exister comme partis distincts. Il y avait quatre couleurs au neuvième siècle encore, à Constantinople ; mais un auteur du douzième parle des factions comme d’une chose passée.

La fièvre de l’esprit de parti, dans la population de Rome et de Constantinople, pour les couleurs des factions du cirque, est un des phénomènes les plus significatifs et les plus curieux de l’ère impériale. Elle eut pour effet de partager la massé du peuple romain, à commencer par les maîtres du monde, jusque dans les bas-fonds du prolétariat et de la tourbe des esclaves, d’abord en quatre et plus tard en deux camps. Il n’y a rien de plus caractéristique pour l’état anormal des rapports politiques du temps que la concentration de l’intérêt général sur une pareille misère ; rien ne fait aussi clairement ressortir les progrès de la décadence intellectuelle et morale de Rome. Le gouvernement voyait sans doute avec plaisir l’agitation des partis tourner dans ce sens ; il n’était pas fâché de voir les passions des masses aller à la dérive, dans une direction où elles pouvaient se donner un libre cours, sans danger apparent pour le trône ; elle paraît avoir été favorisée même par les meilleurs princes, et l’on ne mentionne, de la part d’aucun d’eux, une tentative de remédier du mal. Bien au contraire, plusieurs des empereurs prirent eux-mêmes parti dans ces querelles, aussi ouvertement que possible : ainsi Vitellius[51] et Caracalla[52] pour les bleus ; Caligula[53], Néron[54], Lucius Verus[55], Commode[56], Héliogabale[57] pour les verts, qui, dans les premiers temps de l’empire, paraissent avoir eu le plus souvent le dessus. Cela est du moins certain pour le temps de Juvénal[58]. Le poète Martial aussi était un partisan des verts[59]. Il est vrai qu’après la chute de l’empire d’Occident, Théodoric crut nécessaire de les prendre sous sa protection, pour les soutenir contre les bleus[60] ; mais à Constantinople, ces derniers, constamment favorisés par les empereurs depuis Justinien, reprirent carrément l’avantage.

Les empereurs ne se contentaient pas, d’ailleurs, d’attiser le feu, dans ce mouvement des partis du cirque, en s’y intéressant eux-mêmes ; on les vit parfois aussi comprimer et terroriser la partie adverse sans défense, de la façon la plus violente et la plus brutale. Dans le peuple, les factions pouvaient compter sur dé nombreux adhérents et sur une influence dont les ramifications s’étendaient au loin, par la raison déjà qu’elles avaient une organisation bien arrêtée, disposaient de sommes considérables, occupaient et faisaient vivre une multitude de gens, et ne négligeaient certainement aucun moyen pour gagner du terrain et s’affermir. Mais un point bien plus important encore, c’était la distinction des quatre couleurs en elle-même, faite comme exprès pour le besoin de la masse de prendre parti, pour ou contre, dans toute rivalité qui se produit sous ses yeux. Ce qu’il lui faut, c’est un cri de guerre, personne ne s’inquiétant de quoi il s’agit au fond. Il n’y avait relativement que peu de connaisseurs, avec leurs adhérents, qui pussent réellement s’intéresser aux chevaux et au mérite des cochers ; mais les couleurs passionnaient tout le monde. Chevaux et conducteurs de chars changeaient ; les couleurs restaient. Pendant cinq siècles, le cri de guerre, dont elles donnaient comme le signal, se perpétua d’une génération à l’autre, au sein d’une population qui s’abrutissait de plus en plus, et, bien que le tumulte et des excès fussent l’accompagnement, ordinaire de tous les spectacles, le cirque principalement était devenu le. théâtre de scènes d’un caractère sauvage et parfois même sanglantes.

Peu importait que le monde fût gouverné par un Néron ou par un Marc-Aurèle, que les frontières de l’empire fussent menacées par les barbares ou que ceux-ci fussent repoussés par les armées romaines ; dans la capitale de l’empire, la question de savoir si la victoire serait aux bleus ou aux verts avait toujours la même importance pour tout le monde, grands et petits, hommes libres et esclaves, hommes et femmes, et c’est de ce côté que se dirigeaient une foule d’espérances et d’appréhensions. Les esclaves n’étaient pas seulement admis aux spectacles, fait dont témoignent expressément plusieurs passages d’auteurs contemporains[61] ; ils y prenaient parti avec le reste du public.

Dans Pétrone, par exemple, on voit ceux de Trimalcion se prononcer et parier pour les verts[62]. Il y a tout lieu de croire que les adhérents des factions portaient les couleurs de celles-ci, au cirque du moins, bien que Martial seul y ait fait allusion dans ces vers :

Lacernæ coccineæ.

Si veneto prasinove faves, cur coccina sumes ?

Ne fias ista transfusa sorte vide (XVI, 131).

L’usage de la distinction des couleurs dans les jeux du cirque, en province, est également attesté par les mosaïques de Lyon et d’Italica, ainsi que par des inscriptions[63]. Quand le christianisme eut détrôné les anciens dieux, en l’honneur desquels avaient été institués les jeux du cirque, les factions n’en continuèrent pas moins à s’y disputer la prééminence. Les chrétiens, non plus que les païens, ne se laissèrent dissuader de la fréquentation des spectacles par les sermons de leurs prédicateurs. Ils objectaient qu’il ne fallait pas dédaigner les récréations offertes aux hommes par la bonté divine. Ils invoquaient même les saintes écritures, en alléguant que puisque Élie était monté au ciel dans un char, l’art de conduire les chars ne pouvait être un péché[64]. Léon le Grand encore se plaignait amèrement, devant ses ouailles, de ce que ces odieux spectacles fussent un aimant qui attirait plus de monde que les sépulcres des saints martyrs, dont la protection avait pourtant sauvé la ville de l’horrible destruction dont la menaçaient les hordes d’Attila[65]. Cependant, le délire des factions atteignit son point culminant, non à Rome, mais à Constantinople, où, bien que les deux factions plus faibles n’eussent pas cessé d’exister, la partie véritable n’était plus qu’entre les verts et les bleus. Dans cette dernière capitale, où la discorde prenait, de temps en temps du moins, une couleur religieuse et politique, elle redoubla de violence, dans son délire, et remplit l’empire de séditions. On prodiguait sa fortune, souffrait la torture et la mort, ou commettait même des crimes pour l’amour de son parti ; l’intérêt de parti l’emportait sur les liens de la parenté et de l’amitié, la maison et la patrie, la religion et la loi. La contagion de ce mouvement vertigineux gagna même les femmes, qui ne fréquentaient pas alors de spectacles ; c’était une manie générale poussée jusqu’à la démence. La sédition, connue sous le nom de révolte de Nica, qui éclata en 532 au cirque, à Constantinople, aurait coûté le trône et la vie à Justinien, sans la présence d’esprit de sa femme Théodora et la fidélité de Bélisaire. Trente mille personnes y perdirent, dit-on, la vie.

Il est trop rarement fait mention, par les contemporains, du cirque de Rome et des partis qui s’y étaient formés pour qu’il soit possible de poursuivre, dans leur enchaînement, les causes dont l’action successive, peu apparente dans les commencements, porta finalement le mal à ce degré d’énormité monstrueux. Nous pouvons seulement conclure de symptômes isolés à la gradation que suivirent les progrès du mal. Nous savons, par exemple, que dès le dernier siècle de la république, lors des funérailles d’un cocher nommé Félix, de la faction des rouges, un de ses partisans se précipita sur le bûcher, au moment où l’on y déposa le corps du défunt. Pline l’Ancien rapporte ce fait d’après l’indicateur public, source nullement suspecte dans le cas dont il s’agit. On pourrait croire que l’homme dont il parle ne fût qu’un pauvre fou ; mais Pline ajoute que le parti contraire, pour amoindrir la gloire qui devait en rejaillir sur l’artiste décédé, représenta ce suicide comme la suite d’un étourdissement, causé par l’odeur des parfums employés dans la crémation, lorsqu’il paraît certain pourtant que ‘ce parti n’aurait pas manqué d’en chercher la cause dans une aliénation mentale, s’il y avait eu moyen de trouver quelque crédit pour cette version. Mais, quoi qu’il en soit de ce fait isolé, il n’est pas possible que l’organisation des partis ait eu dès lors, ni même au temps d’Auguste, le grand développement qu’elle présente un demi-siècle plus tard. Ovide a choisi le cirque pour théâtre d’une de ses élégies ; il regarde la course, à côté de sa bien-aimée ; il parle de la troupe à diverses couleurs qui s’élance hors des barrières[66], mais l’intérêt que lui-même et la jeune femme prennent à la représentation se porte sur la personne d’un conducteur de char, non sur une couleur[67]. Horace, qui fait souvent mention de l’engouement de ses contemporains pour le théâtre et les gladiateurs, n’a que peu de mots pour le cirque, dans ses vers, et n’y parle jamais des factions ; mais, dans le cours du premier siècle de notre ère, en partie sous l’impression de l’intérêt passionné qu’y prirent les Caligula, les Néron, les Vitellius, le mouvement des factions gagna de l’intensité. Nous avons déjà mentionné la passion de Caligula pour les verts, poussée si loin qu’il fit, si l’on peut en croire Dion Cassius (LIX, 14), empoisonner des chevaux et des cochers du parti opposé. Déjà dans son enfance, Néron s’attira une réprimande de son précepteur, à force de bavarder continuellement des jeux du cirque. Ayant une fois, bien que ce sujet de conversation lui fût interdit, proféré vis-à-vis de ses condisciples des lamentations sur le malheureux sort d’un cocher des verts qui avait été traîné par ses chevaux, cet élève plein d’espérance, de nouveau grondé par son maître, trouva pour excuse qu’il avait entendu parler d’Hector traîné par Achille autour des murs de Troie[68]. Empereur, il ne se contenta pas de montrer la plus grande partialité pour les verts, mais se produisit lui-même avec cette couleur au cirque, où la lice fut, dans cette occasion, sablée de vert de gris, lors des spectacles qu’il offrit au roi des Parthes, Tiridate. Il arrivait aussi parfois qu’on parsemait le cirque d’éclats ou lamelles de pierre spéculaire[69]. Vitellius, qui, comme nous l’avens dit, n’avait pas dédaigné de,faire le service de palefrenier auprès des bleus, paraît avoir été redevable de sa promotion au gouvernement de la Germanie inférieure à un homme puissant à la cour de Galba, T. Vinius, auquel il était attaché par les liens du parti dont ils étaient tous les deux. Parvenu au trône il brigua bassement, au cirque, la faveur du bas peuple, par les avances qu’il fit au parti en vogue[70], ce qui ne l’empêcha pas, cependant, de faire mettre à mort des gens du peuple, qui avaient invectivé les bleus, manifestation qu’il interpréta comme un témoignage de leur mépris pour son auguste personne et comme trahissant l’espoir d’une révolution prochaine[71]. Malgré la neutralité que gardèrent ses successeurs, le développement de l’esprit de parti marcha naturellement de front avec celui de la fièvre générale pour les spectacles, et cette passion qui, déjà vers la fin du premier siècle de notre ère, dominait si complètement les esprits, qu’elle n’y laissait aucune place pour une culture plus noble, était bien faite pour remplir de graves soucis quiconque réfléchissait. On n’entendait plus la jeunesse parler d’autre chose, à la maison comme dans les salles des cours d’enseignement, et les professeurs se croyaient eux-mêmes obligés de prendre part à ces conversations[72].

Même dans les cercles d’hommes à l’esprit cultivé, les bleus et les verts formaient un sujet de conversation à la mode, par cela même qu’il n’avait point de côté politique compromettant[73]. Ce fut la période d’éclat de l’empire que celle où les intérêts les plus chers du peuple romain pouvaient se résumer dans la fameuse devise, panem et circenses, mots probablement sortis de la bouche de quelque homme d’État du temps, sinon d’un empereur même. A cette époque, sous le règne de Trajan, des observateurs impartiaux s’étonnaient de voir qu’au cirque tant de milliers d’hommes se laissassent captiver, non par l’agilité des chevaux et l’art des écuyers, mais par le charme d’un simple chiffon de telle ou telle couleur. Or il suffisait peut-être d’un échange des couleurs, pendant la course, pour que l’intérêt et-la faveur du public prissent également le change et que les personnes qui ne croyaient reconnaître et n’applaudissaient chevaux et cochers que de loin, les abandonnassent aussitôt. Il parait, du reste, que l’échangé des couleurs n’était pas sans exemple[74]. Encore si cet engouement pour une misérable tonique n’avait existé que chez la populace !Mais des hommes sérieux même ne pouvaient se rassasier de la jouissance que leur procurait un divertissement pareil, et Pline le Jeune[75], auquel noms empruntons ces considérations, éprouvait quelque satisfaction d’être lui-même au-dessus de ces futilités. Si les verts venaient à perdre au cirque, écrivait Juvénal[76], à cette époque ou peu de temps après, Rome serait dans la même consternation et le même abattement qu’après la bataillé de Cannes. Marc-Aurèle, élevé à la cour d’Adrien, crut devoir une reconnaissance particulière à son gouverneur de l’avoir préservé du ridicule de devenir un partisan des verts ou des bleus[77]. Cet aveu de l’empereur renferme sans doute une allusion à son corégent Lucius Verus, qui n’était pas seulement un amateur passionné des jeux du cirque en général, au sujet desquels il entretenait une correspondance très étendue avec des amis de province, mais aussi un très chaud partisan des verts, pour lesquels il affichait sa partialité de la manière la plus inconvenante, ce qui lui attira souvent des avanies de la part des bleus, même en présence de Marc-Aurèle[78]. Fronton lui-même, le grave précepteur des deux princes, ne fut point garanti, par ce pédantisme magistrat qui lui était naturel, de cette manie devenue comme épidémique ; il était, comme on pouvait s’y attendre, du blême bord que son auguste élève et même une chiragre très douloureuse ne put le retenir de la fréquentation du cirque[79]. Dans une description de Rome, composée vers le même temps par un auteur grec, habitué de ces spectacles, celui-ci fait ressortir, comme des traits caractéristiques pour cette capitale, l’agitation du cirque, les statues érigées aux conducteurs de chars, les conversations à ce propos, dans les rues et sur les places, ainsi que la propagation d’une véritable hypomanie, qui s’était emparée de beaucoup d’hommes d’apparence très respectable[80]. S’il n’a pas aussi fait mention des partis, c’est que la portée de cette agitation factice pouvait, on le comprend, échapper à un observateur étranger. Avec l’extrême pénurie de rapports du troisième siècle, le cirque et les factions qui y rivalisaient, à cette époque, n’y forment aussi que rarement et accessoirement l’objet d’une mention. Nous n’en savons un peu plus long que parla transmission de certains détails du temps de Caracalla, qui n’eut point de vergogne de conduire lui-même son char dans l’hippodrome, sous les yeux du public[81]. Un jour même, des invectives ayant été lancées contre un conducteur de char de son propre parti, celui des bleus, il remplit le cirque d’une scène de tumulte sauvage, de violences et de meurtre, en donnant à la garde l’ordre de faire main basse sur tous ceux qui avaient crié[82]. Un siècle et demi plus tard, Ammien Marcellin décrivit les mœurs de Rome à une époque où le délabrement intérieur de l’empire était arrivé à son comble, et où les dangers, qui le menaçaient du côté de l’Orient comme de celui de l’Occident, prenaient un aspect de plus en plus sinistre. Or, chose assez bizarre, lui aussi, que la passion des Romains pour le cirque remplit tellement de stupéfaction et de mépris, néglige de parler des manœuvres des factions. Pour la masse, le cirque était à la fois un temple, une demeure, un lieu de rendez-vous et le but de tous les désirs. Partout on voyait des groupes dans la plus grande animation s’entretenir des courses ; des hommes d’âge, protestant de leur longue expérience, y juraient par leurs rides et leurs cheveux gris que c’en était fait de l’empire, si l’issue venait à différer de leurs prédictions. Les jours où il y avait fête au cirque, le peuple affluait vers l’hippodrome dès avant l’aube ; bien des gens passaient même, les nuits à veiller dans l’attente de cet événement, l’esprit tendu et plein d’anxiété. Il n’y avait rien de curieux comme de voir cette foule innombrable suivre toutes les phases de ces luttes dans un état d’agitation fébrile. Or la superbe noblesse, dans les cercles de laquelle les messagers annonçant un nouveau début de cochers et de chevaux étaient reçus comme jadis les Dioscures, quand ils apportèrent la nouvelle du triomphe de Rome sur les Tarquins, n’y prenait pas un intérêt moins vif[83]. Un siècle et demi plus tard encore, à une époque où l’empire se trouvait depuis longtemps brisé par les flots de la migration dés peuples et où le roi des Goths, Théodoric, gouvernait à Rome, les mêmes passions séculaires continuaient d’agiter le cirque. Théodoric accorda souvent aux Romains le passe-temps de leurs spectacles favoris, ce qui lui valut d’être salué par eux des noms de Trajan et de Valentinien, empereurs dont il avait pris les règnes pour modèle du sien[84]. Son secrétaire intime, le savant Cassiodore, s’étonnait de trouver au cirque une agitation beaucoup plus grande qu’à tous les autres spectacles[85]. Le vert gagne l’avance, une partie du peuple se morfond ; le bleu la reprend, voilà qu’une autre partie se désole. On se passionne pour le triomphe d’une chose qui ne rapporte rien, on retombe dans la douleur ou le chagrin sans avoir éprouvé la moindre perte qui le motive ; on apporte aux plus vaines disputes la même ardeur que s’il s’agissait de repousser un danger menaçant la patrie. Toujours encore, comme par le passé, les jeux du cirque bannissaient de la société la gravité morale et le, sérieux, occasionnaient les plus sottes querelles, détruisaient toute probité et formaient une source permanente de dissentiments et de discordes.

Ainsi la rivalité des couleurs survécut à l’empire d’Occident et ne finit à Rome qu’avec les jeux du cirque même. Ce fut le roi des Goths Totila qui, le dernier, en 549, fit courir des chars dans cette ville, déjà bien dépeuplée et bien appauvrie[86].

Pour donner de l’échelle grandiose sur laquelle les hauts fonctionnaires de Rome organisaient d’habitude, déjà dans les premiers temps de l’empire, les jeux qu’ils avaient à donner au cirque, il est une source de renseignements de beaucoup postérieure, la correspondance encore existante de Symmaque, qui vivait à la fin du quatrième siècle, au sujet des préparatifs pour les jeux par lesquels il célébra la préture de son fils. En effet, il n’est guère probable que les sénateurs de Rome, dans les trois siècles antérieurs, le cédassent en richesse princière et en amour du faste princier, à leurs descendants de l’époque du règne de Théodose, mais il y atout lieu de présumer qu’il n’y eut dans les apprêts des uns et des autres, pour leurs spectacles, guère de différence, à part celle qu’il pouvait y avoir dans les mesures à prendre pour l’acquisition de l’effectif nécessaire en hommes et en chevaux. Au commencement de l’empire, il paraît que l’entreprise de ces fournitures était l’affaire des partis, tandis que Symmaque, d’après ce qui résulte du moins de ses lettres, dut se charger directement lui-même d’acheter ou de louer les chevaux, comme d’engager les cochers. Si d’ailleurs Symmaque, nous l’avons déjà fait observer ailleurs, n’était pas précisément un des sénateurs les plus riches de son temps et que les spectacles donnés par son fils peuvent avoir été beaucoup surpassés par l’éclat d’autres fêtes, il est certain, néanmoins, que ces spectacles firent grande sensation et donnent la mesure de jeux d’une magnificence extraordinaire.

Quintus Aurelius Symmaque, dont le palais dominait Rome de la hauteur que couvrent aujourd’hui les jardins désolés de la Villa Casali, avait été revêtu des plus hantes charges de l’État et fut, sous tous les rapports, un des hommes les plus éminents de son temps. De concert avec un certain nombre d’amis, unis de tendance avec lui, il appliqua tous ses efforts au soutien de la cause, déjà perdue, du paganisme contre le christianisme victorieux. Ces efforts tendaient à ressusciter la littérature classique, en même temps que les croyances du polythéisme, avec lequel les spectacles avaient la liaison la plus intime ; et, par cela même que ceux-ci étaient abhorrés des chrétiens, comme une abomination de l’idolâtrie, Symmaque dut précisément regarder comme un devoir sacré de maintenir debout, de toutes ses forces, une institution si importante pour sa religion en péril, d’autant plus qu’il était personnellement investi de deux des plus hauts sacerdoces. D’autres motifs, d’un intérêt temporel, devaient encore stimuler son zèle : une haute idée de ce qui convenait à la dignité du peuple romain, le souci de la grandeur de sa maison et le désir de ne pas rester en arrière de ses pairs[87]. Aussi employa-t-il tous les moyens dont sa grande influence, sa fortune toujours considérable, et ses relations étendues lui permettaient de disposer, pour surpasser encore, si possible, dans la célébration de la préture de son fils, l’attente que l’éclat de jeux précédemment donnés par lui avait fait concevoir au public[88]. Il fit venir d’Espagne presque exclusivement les chevaux nécessaires pour les Jeux du cirque. Il ne pouvait être difficile à un homme posé comme il l’était d’obtenir l’usage de la poste impériale pour ses agents. Une lettre de remerciements à Stilicon, qui. avait contribué à lui procurer cette faveur, prouve qu’il l’avait obtenue[89]. Nombre de ses agents se rendirent donc en Espagne, munis de fonds considérables[90], d’états descriptifs et de lettres adressées aux possesseurs des meilleurs haras, parmi lesquels sa correspondance nomme Eupraxius, Pompéja et Fabianus, aux meilleurs connaisseurs de chevaux, chargés de les assister dans le choix à faire, et de plus bien recommandés à l’appui de personnages influents et des autorités en Espagne[91]. Symmaque croyait nécessaire de tenir compte de l’amour du public pour le changement[92], et ses agents avaient ordre de faire choix des meilleurs coursiers, parmi les races de toutes les provinces.

Le grand soin recommandé dans le choix fit traîner en longueur une affaire qui demandait naturellement déjà beaucoup de temps. Il pouvait donc arriver que l’hiver survenant interrompît la navigation et partant aussi le transport en Italie. Pour ce cas, Symmaque avait écrit à un ami habitant le midi de la France, pour le prier d’héberger et de nourrir dans ses écuries, pendant les trois ou quatre mois de l’hiver, les chevaux achetés et l’autoriser, s’il se trouvait dans le pays d’Arles même des chevaux de course éprouvés, à en faire également l’acquisition[93]. Mais, avec un transport de si longue durée, il était à prévoir que des maladies et d’autres accidents pussent réduire considérablement le nombre des chevaux[94] ; aussi des offres d’éleveurs d’Italie furent-elles également acceptées[95].

A cause de l’état défectueux et de l’irrégularité des communications par mer, les cochers, bien qu’il n’y dit qu’à les faire venir de Sicile, firent aussi beaucoup de soucis à Symmaque. Aussitôt que son agent sicilien l’eut informé de leur départ de cette île, il manda à son gendre, qui vivait près du golfe de Naples, d’envoyer des gens de confiance le long de la côte jusqu’à Salerne, avec la mission de les recevoir au débarqué. Un ami commun était chargé, en outre, de les pourvoir de tout le nécessaire et de préparer les moyens pour la continuation de leur voyage par mer, jusqu’à Rome. Mais le temps s’écoulant sans que l’on apprît rien de leur arrivée, Symmaque demanda l’aide d’un fonctionnaire pour s’enquérir le long de la côte de ce qu’ils étaient devenus. On ne nous dit pas si, après toutes ces démarches, le navire arriva en temps opportun[96].

L’approche de fêtes pour lesquelles se faisaient des préparatifs aussi gigantesques, remplissait toute la ville de Rome d’une émotion fébrile. Les conversations, les disputes et les paris sur l’issue des courses mises en expectative ne tarissaient pas[97]. On allait jusqu’à interroger les devins, à ce sujet[98], et à consulter des sorciers, auxquels on attribuait le pouvoir d’accélérer ou de paralyser la course des chevaux[99]. Le fait est qu’on attachait des clochettes aux chevaux, pour les garantir contre l’ensorcellement[100].

Le jour si ardemment désiré était-il venu enfin, les routes se remplissaient déjà dé curieux quelques heures avant l’aurore. Caligula, avant été une fois dérangé dans son sommeil, au milieu de la nuit, par le bruit de la foule affluant vers lé cirque, ordonna de la disperser à coups de bâton et, dans la bagarre qui s’ensuivit, périrent vingt membres de l’ordre équestre, autant de femmes mariées et une multitude de gens du commun[101]. Sous Claude et Néron, les chevaliers et les sénateurs obtinrent des sièges à part et naturellement d’un accès facile, tandis que la tourbe des gens du troisième ordre ne parvenait à gagner ses places ; malgré le grand nombre des avenues, qu’à travers la presse d’une épouvantable cohue ; car, avec la curiosité de cette population immense pour les spectacles, il n’y avait, dans les premiers siècles de l’empire du moins, jamais assez de places. La possession de deux solides esclaves de Mœsie, sous la protection desquels on pût se procurer sans péril une bonne place, était, au temps de Trajan, un des principaux souhaits des personnes peu aisées[102]. Il parait aussi qu’on vendait, pour l’usage du public, au cirque même, des coussins grossièrement rembourrés de jonc (tomentum circense)[103]. Vu l’impossibilité de couvrir le cirque tout entier d’une tente, il n’y avait pas d’autre abri contre le soleil que des chapeaux et des ombrelles, contre le vent et la pluie, que de grands manteaux. Le cirque n’en était pas moins très couru, même parles femmes, qui, bravant la foule, la chaleur et la poussière, s’y montraient en grande toilette, et dont la présence donnait au spectacle un attrait de plus pour les hommes, au milieu desquels elles prenaient place, comme nous l’avons déjà dit.

Les jeux du cirque étaient précédés d’une solennité religieuse. Une grande procession, avec nombre d’images des dieux, descendait du Capitole, traversait le forum décoré pour la fête, puis, en prenant à droite et passant entre les boutiques du quartier toscan, le velabrum et le marché aux bœufs, pour faire ensuite son entrée au cirque par la grande porte du milieu et, finalement, le long de l’hippodrome, le tourdes colonnes terminales. Le magistrat ordonnateur des jeux la conduisait, lorsque c’était un préteur ou un consul, debout sur un char élevé, dans le costume d’un général triomphateur, drapé des larges plis flottants de la toge de pourpre brodée d’or, par-dessus la tunique à palmes également brodées, le sceptre d’ivoire avec l’aigle à la main, pendant qu’un esclave de l’État tenait au-dessus de sa tête une énorme couronne de feuilles de chêne, en or et garnie de pierreries. Il paraît que ses enfants aussi prenaient place dans le même char ou montaient les chevaux qui le traînaient, suivant l’étiquette adoptée pour le triomphe. Une bande de musiciens et une partie de l’escorte, formée en colonne, précédaient le véhicule, qu’entourait une troupe de clients en toges blanches. Auguste, lors d’une indisposition, se fit porter en tête du cortége dans une litière, pour ne pas perdre le bénéfice dé l’honneur qui lui était dû. La procession avançait au son des flûtes et des trompettes ; les images des dieux étaient les unes portées sur des brancards et sur des trônes, les autres promenées sur des chars somptueux, richement décorés et, traînés par des mulets, des, chevaux et des éléphants ; ces chars avaient pour ornements les attributs de chaque divinité ; les collèges de prêtres et des corporations religieuses en formaient la nombreuse escorte. Le cérémonial de la procession était arrêté jusque dans les moindres détails, avec la minutie pédantesque du culte romain, et la moindre dérogation aux règles établies suffisait pour annuler toute la solennité. Il fallait alors recommencer les jeux. Or, comme il dépendait entièrement de ceux qui trouvaient leur compte à ces reprises d’en ramener la nécessité à plaisir, en contrevenant au cérémonial, Claude prit le parti de limiter à un seul jour la durée des jeux du cirque ; dans ces cas de renouvellement, ce qui coupa court en quelque sorte à cet abus. La foule assemblée recevait le cortége triomphal en se levant, avec des battements de mains et des acclamations ; et, de même que l’on voit encore aujourd’hui en Italie, lors des processions dans lesquelles on promène les images des saints, nombre d’assistants invoquer leur patron céleste et se recommander à sa bienveillance tutélaire, de même, à cette époque, les campagnards acclamaient Cérès, les soldats Mars, les amoureux Vénus, et n’étaient souvent peut-être même pas éloignés d’interpréter le branlement d’une figure divine sur son char, comme un signe de tête à leur adresse. Cependant, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, les sympathies politiques et les vœux de la population éclataient aussi, quelquefois, dans ces occasions. Celles-ci y prêtaient d’autant mieux qu’aux processions dont il s’agit, outre les images des dieux, on portait aussi celles des empereurs et de membres de leurs familles, notamment de ceux auxquels avaient été décernés les honneurs divins dont on était alors si prodigue ; ou d’autres personnes encore à la mémoire desquelles on voulait particulièrement rendre hommage. On comprend quelles graves et lugubres pensées devaient revenir à l’esprit de l’homme méditatif, aux temps du règne d’un Titus ou d’un Trajan, quand il voyait repasser sous ses yeux les figures des hommes si beaux et des femmes si belles de la famille des Césars, et que ses regards se,portaient sur les traits dans lesquels s’exprimait si bien le génie du grand Jules, sur l’air de profondeur impénétrable de la physionomie d’Auguste, et sur la beauté sans tache de la femme qui le gouvernait, sur le superbe Germanicus et la magnanime Agrippine, son héroïque épouse, sur tant d’autres portraits encore, et finalement sur la plus touchante de ces figures, celle du jeune Britannicus, dont la tendre adolescence, si riche d’espoir, avait succombé au plus odieux des assassinats. Tout cela pouvait impressionner vivement ; mais la masse, le gros des spectateurs ne voyait, eux, dans cette éternelle procession, qu’ils avaient déjà vue tant de fois et qui les désespérait par sa lenteur solennelle, qu’une cérémonie interminable ; aussi la comparait-on à une préface ennuyeuse.

Pour déterminer la direction de la course, on avait érigé, aux deux extrémités arrondies de l’espace à parcourir, trois colonnes ou bornes de forme conique et pratiqué au milieu, entre ces deux lignes terminales, dans toute la longueur de l’hippodrome, un mur bas (spina) sur le massif duquel se dressaient les deux obélisques déjà mentionnés plus haut, et qui était surmonté, en outre, de colonnes, de statues des dieux et d’objets moindres consacrés aux divinités. Quand, et c’était là probablement le nombre auquel on se bornait le plus souvent, quatre chars entraient en lice pour se disputer le prix de la course, ils s’élançaient des quatre portes les plus rapprochées du mur à la droite de celui-ci, parcouraient la lice jusqu’aux colonnes terminales de l’extrémité opposée et, après en avoir fait le tour, revenaient par la gauche du mur au point de départ de la course. Avaient-ils ainsi arpenté sept fois consécutivement l’hippodrome, sur toute sa longueur, dans les deux sens, en allant et revenant, le vainqueur était celui qui franchissait le premier, à la fin du septième tour, une ligne tracée par terre avec de la craie, près de l’entrée. Afin que les spectateurs pussent, à tout instant, se rendre compte du nombre de tours déjà faits, on avait placé sur le mur de séparation entre les colonnes terminales, à une hauteur suffisante, sept dauphins avec autant de boules ovales, que l’on avait soin de descendre successivement après chaque tour.

Le nombre des courses, de sept tours chacune, variait. Dans les premiers temps de l’empire encore, le programme, ordinairement, comprenait de dix à douze courses par jour. En l’an 37, Caligula ordonna, pour la première fois, lors de l’inauguration d’un temple érigé à la mémoire d’Auguste, une suite de vingt courses pour le premier jour et de vingt-quatre pour le second.

Ce nombre, avec lequel le spectacle remplissait toute la journée, du matin au soir, ne tarda pas à devenir la règle, et depuis Néron même, comme il paraît, une règle fixe, ne comportant une réduction que dans les fêtes secondaires : à celle de Carna et de Lorius par exemple, où l’on se bornait à douze courses[104]. Le nombre de vingt-quatre courses fut dépassé dans des spectacles extraordinaires, comme lorsqu’il y avait coïncidence de deux fêtes sur un même jour. Ainsi au quatrième siècle, l’anniversaire de la naissance de Trajan et celui de la victoire de Constantin sur Licinius tombant tous les deux le 8 septembre, et les deux anniversaires de la naissance de Nerva et de Constance II, le 8 novembre, on solennisa la réunion de ces deux fêtes en doublant aussi, c’est-à-dire portant à quarante-huit, le nombre des courses[105]. Pour trois autres jours de fête, particulièrement tenus en honneur, on admit respectivement trente et trente-six courses, à savoir : trente pour le 13 novembre (Jovis epulum) et pour le 25 décembre (natalis invicti, id est Solis), qui devint plus tard la fête du Christ, trente-six pour le 22 octobre (ludorum Solis dies extremus)[106]. Cependant, il faut croire que l’on abrégeait, au besoin, la durée de chaque course, quand il y en avait plus de vingt-quatre, ce nombre ne devant pas laisser beaucoup de marge dans une journée même des plus longues, lorsqu’il s’agissait de courses pleines.

Les courses ordinaires se faisaient avec des attelages de deux ou quatre, plus rarement de trois chevaux. Les débutants commençaient par s’essayer avec deux chevaux, témoin cette épitaphe :

Hoc rudis aurigæ requiescunt ossa sepulcro

Nec tamen ignari flectere lora manu.

Jam qui quadrijugos auderem scandere currus

Et tamen a bijugis non removerer equis[107].

Mais les virtuoses se disputaient le prix de la course avec des chars attelés de six, sept et huit chevaux[108]. Néron parut même, à Olympie, avec un attelage de dix chevaux, avec lequel il remporta le prix, bien que l’issue de la course n’eût été rien moins qu’heureuse[109]. Les chars, dont nombre d’images, que nous a léguées l’antiquité, font connaître la forme, étaient petits et très légers. Dans les quadriges, l’attelage préféré pour les, courses, les chevaux étaient tous les quatre attelés de front, le meilleur servant, comme nous l’avons déjà dit, de cheval de main à la gauche, tandis que ceux du milieu avaient le cou passé sous le joug. Les conducteurs se tenaient- debout sur leur char, vêtus d’une tunique courte sans manches, étroitement. serrée au haut du corps, coiffés d’un bonnet en forme de casque, lequel, couvrant aussi le front°et les joues, servait à les garantir, jusqu’à un certain point, dans le cas d’une chute.. Ils tenaient le fouet à la main, et leur large ceinture portait un couteau pour couper les rênes, au besoin, précaution d’autant plus nécessaire qu’elles étaient ordinairement attachées à la ceinture du cocher. Les tuniques, comme certainement aussi les chars et tout le harnachement, étaient d’une des quatre couleurs distinctives. Parmi les médicaments que l’on employait pour guérir les blessures provenant de ces chutes, Pline l’Ancien mentionne les excréments du sanglier, administrés soit à l’extérieur, soit même en potions. Il paraît que Néron lui-même usa du remède suivant la dernière formule[110].

Au moment de l’ouverture du spectacle, un bruit sourd, semblable au mugissement des vagues de la mer, parcourait la .foule agitée. Les yeux de tous étaient fixés sur les barrières des portes d’entrée, derrière lesquelles se tenaient les attelages, en trépignant et soufflant d’impatience, dans l’attente de la course. Le magistrat présidant à la fête, du haut d’un balcon, pratiqué au-dessus de l’entrée principale, donnait le signal du départ, en jetant un mouchoir blanc dans la lice[111]. Si déjà Ennius[112] avait vu et décrit le peuple attendant le signal du consul au cirque, près de quatre siècles plus tard, un auteur chrétien, Tertullien, auquel ce spectacle païen semblait un péché damnable et le mouchoir comme un symbole de Lucifer, précipité du ciel[113], décrivit encore en termes identiques l’attitude de ce même peuple. On entendait soudain craquer les verrous ; toutes les barrières s’ouvrant au même instant, les chars s’élançaient dans l’hippodrome et d’immenses clameurs, s’élevant de tous côtés, remplissaient l’air. Bientôt, un épais nuage de poussière enveloppait les chars lancés, quelque peine que l’on se donnât, sans doute, pour arroser convenablement le sol[114]. Les conducteurs, le corps fortement penché en avant, excitaient leurs chevaux par des cris.

La distance qu’ils avaient à parcourir, en mesurant quatorze fois la lice, était d’environ 7 ½ kilomètres ; chaque course ne pouvait donc guère durer moins d’une demi-heure. Les cochers expérimentés savaient ménager les forces de leurs coursiers pour le dernier tour, qui était décisif, et reprenaient alors aisément l’avance sur les novices qui, après les avoir dépassés d’abord, s’efforçaient vainement, à la fin, de stimuler à grands coups de fouet l’ardeur expirante de leurs chevaux épuisés. Souvent il arrivait aux conducteurs de tomber eux-mêmes et d’être traînés par leurs chevaux ; mais la difficulté principale, le plus grand danger de ces courses, était dans le tour de la borne du fond, qu’il y avait à faire sept fois. Dans les efforts suprêmes qu’on y faisait pour tourner avec la moindre perte de terrain possible, les chars étaient souvent lancés les uns contre les autres, ou se heurtaient contre la borne même ; les suivants se renversaient aussitôt sur l’obstacle qui leur barrait le chemin, et, dans un clin d’œil, on ne voyait plus qu’un abatis tout ensanglanté d’hommes, d’animaux et de débris, couchés par terre pêle-mêle.

Mais le spectacle le plus curieux, c’étaient, comme l’a fait observer avec justesse un auteur chrétien[115], les spectateurs eux-mêmes. Les tribunes et rangs de sièges, disposés en amphithéâtre, à une grande hauteur et sur un espace immense, à perte de, vue, étaient couverts d’une mer mouvante de centaines de milliers d’hommes, et toute cette multitude, animée d’un intérêt passionné, voisin du délire. Plus la course approchait de son terme, plus on voyait croître l’anxiété, les craintes ou la rage, se manifester la jubilation, ou éclater la pétulance du public. Ne perdant pas un moment-les chars des yeux, les spectateurs battaient des mains et criaient à tue-tête, bondissaient sur leurs sièges, se penchaient en avant, agitaient leurs mouchoirs et leurs vêtements, excitaient les chevaux dé leur parti par des clameurs, étendaient en gesticulant les bras vers la lice, grinçaient les dents, menaçaient de la mine et du geste, se querellaient, proféraient des invectives, ou se délectaient dans la jouissance de leur triomphe. Le premier char atteignait-il enfin le but, la jubilation des gagnants, à laquelle se mêlaient les jurons et les imprécations des perdants, retentissait au loin, comme un tonnerre ; sur les rues désertes de Rome, où elle annonçait la fin de la lutte aux personnes restées à la maison[116], et, arrivait encore à l’oreille du voyageur, quand il avait déjà la ville loin derrière lui[117].

Bien que les courses durassent ordinairement depuis l’aube jusqu’au soir, avec quatre pauses, dont la principale avait lieu vers l’heure de midi[118], pendant laquelle beaucoup de spectateurs s’absentaient probablement, le peuple ne s’en lassait pas, malgré l’ardeur du soleil ou les giboulées, mais persistait à suivre jusqu’au bout, avec la même ardeur infatigable, son spectacle favori.

Le vallon jadis si magnifiquement orné et si plein de vie, ainsi que de bruit, entre l’Aventin et le Palatin, est maintenant une des parties les plus désolées, les plus mornes et les plus désertes de l’ancienne Rome. Sur le mont Palatin se trouvent les vastes ruines des palais impériaux, sur l’Aventin quelques églises et couvents isolés s’élèvent au-dessus des vignes et des jardins. Des masses de décombres, provenant de la ruine des temples et des palais qui, jadis, embellissaient aussi ce dernier, ont glissé sur ses pentes jusque dans la vallée. Au milieu de cette triste solitude, il y a un champ de repos, d’un aspect pauvre, misérable, dépourvu même de clôture : c’est le cimetière des Juifs. Le fond du vallon est arrosé par le ruisseau de Marrana, sur les deux bords duquel on n’entend que le murmure et le bruissement causés par le vent, qui se joue dans une épaisse forêt de roseaux poussant à plus de hauteur d’homme. Sic transit gloria mundi.

 

 

 

 



[1] Pline, Hist. nat., VIII, 7, 21.

[2] Ibid., XXXVI, 24, 101.

[3] Tel paraît du moins être le sens d’un passage de Pausanias (V, 12, 4), bien que cela ne soit pas très clairement exprimé.

[4] Il se trouve maintenant sur la place du Latran ; l’autre, sur la place del Popolo.

[5] Initium in ea parte circi ortum, quæ Palatino Cœlioque montibus contigua est ; ibi, per tabernas, quibus id mercimonium inerat, quo flamma alitur, simul cœptus ignis et statim validus ac vento citatus longitudinem circi corripuit (Le feu prit d'abord à la partie du Cirque qui tient au mont Palatin et au mont Célius. Là, des boutiques remplies de marchandises combustibles lui fournirent un aliment, et l'incendie, violent dès sa naissance et chassé par le vent, eut bientôt enveloppé toute la longueur du Cirque). Tacite, Annales, XV, 38.

[6] Popa Licinius nescio quis de circo (un je ne sais quel Licinius établi dans le grand cirque). Cicéron, Pro Milone, chap. XXIV.

[7] Triviales ex circo ludios. Suétone, Auguste, chap. 74.

[8] De circo astrologos. Cicéron, Div., I, 58, 132.

[9] Plebeium in circo positum est et in aggere fatum, dit Juvénal, VI, 588.

[10] Ad circum jussas prostare puellas, dit Juvénal, III, 65. — Hist. Auguste, Vie d’Héliogabale, chap. 26 : Omnes de circo, de theatro, de stadio et omnibus locis et balneis meretrices (Il rassembla dans un bâtiment public toutes les prostituées du cirque, du théâtre, du stade et de tous les lieux possibles, y compris les bains).

[11] Priap. 26. (Anthologie latine, éd. Meyer, 1642. ) — Dans les hippodromes grecs les choses se passaient de même, mais avec moins d’indécence, comme il appert d’un passage de Dion Chrysostome (Or., XX. p. 264, M).

[12] Pline, Hist. nat., XXI, 7 : Inde illa XII tabularum lex : qui coronamparit ipse pecuniave ejus, virtutis suæ ergo duitor ei. — Cassiodore, Var., III, 5 1.

[13] Digeste, XL, 9, 17.

[14] Dans la satire VII, vers 112, il dit :

Si libet, hinc centum patrimonia causidicorum

Parte alia solum russati pone lacernæ.

(Qu'on mette d'un côté l'avoir de cent avocats, d'un autre celui du seul Lacerta, le jockey à la casaque rouge)

[15] Libanius, édition Reiske, II, 190, 12.

[16] Voir, entre autres inscriptions, Henzen, 6197.

[17] Ibid., 7419.

[18] Les seuls témoignages positifs du fait ne datent pourtant que des dernières époques de l’empire. Saint Jérôme, le premier, dit (Lettres, 83) : Favorem populi in aurigarum morem pretio redimere. — Voir aussi Symmaque, Lettres, VI, 42.

[19] Pline, Hist. nat., XXIX, 5, dit : Nullus histrionum equorumque trigarii comitatior egressus.

[20] X, 50 et 53.

[21] Ibid., XI, 1.

[22] Lucien, Nigrin, 29.

[23] Juvénal, VIII, 146, etc. S’il ajoute, au vers 163, fecimus et nos hoc juvenes, c’est assez dire que ce qui, de la part du consul Latéran, était inconvenant, on le trouvait très excusable chez des jeunes gens. — Suétone (Néron, chap. 4) dit de Domitius, père de cet empereur, qu’il était aurigandi arte in adolescentia clarus. — La sévérité du jugement porté par Tacite (Annales, XIV, 14) sur ces goûts de Néron (fœdum studium) s’explique quand on songe au contraste qu’ils forment avec les devoirs d’une aussi haute position.

[24] Dion Cassius, LXV, 5.

[25] Suétone, Vitellius, chap. 4.

[26] Dion Cassius, LIX, 5 ; LXI, 17.

[27] Suétone, Caligula, chap. 55.

[28] Josèphe, Ant. Jud., XIX, 4, 4. — Il ne faut pas confondre cet Eutychès avec un de ses confrères (Gruter, 340, 4), un mime et d’autres artistes du même nom (Orelli, 2625 et 2645). On connaît aussi plusieurs cochers et gladiateurs qui, de même, portaient tous le nom de Félix.

[29] Hist. Auguste, Vie de Verus, chap. 6.

[30] Vie de Commode, chap. 2.

[31] Hérodien, III, 10.

[32] Vie d’Héliogabale, chap. 6.

[33] Suétone, Néron, chap. 16.

[34] Le scoliaste de Juvénal, I, 155, dit : (Tigellinus) saltibus in Apulia et Calabria comparatis quum studiose equos aleret quadrigarios, amicitiam Nerouis nactus, primus illum ad studium circensium movit. — Voir aussi Varron, R. R., II, 7, 1.

[35] Strabon, VI, 2, 6, p. 273. — Voir aussi Cicéron, Verr., II, 1, 10, 28.

[36] Voir Gregorovius, Histoire de Rome au moyen âge, II, 64 (en allemand).

[37] Éd. Dindorf, I, 57, 29.

[38] Itiner. Hierosol., éd. Pinder et Parthey, p. 273. — Code Théodosien, XV, tit. X, 1 : Unde veniunt equi curules.

[39] Descriptio Orbis, dans Mai, Cl. auct., III, 396, où l’on trouve ce paysage : Habes ergo Antiochiam in ludis circensibus eminentem ; similiter et Laodiciam et Tyrum et Berytum et Cæsaream. Et Laodicia mittit aliis civitatibus agitato resoptimos, etc.

[40] Symmaque, Lettres, IV, 62.

[41] Columelle, VI, 29, 4, dit : Certaminibus autem expleto triennio (recte domatur equus).

[42] Pline, Hist. nat., VIII, 42, 162.

[43] Végèce, R. Vet. Præf., 10 : Quum mancipia sæpe vilioribus pretiis quam equi vendantur aut muli.

[44] Columelle, III, 9, 5 : Sacrorum certaminum studiosi pernicissimarum quadrigarum semina diligenti observatione custodiunt et spem futurarum victoriarum concipiunt, propagata sobole generosi armenti (Aussi les amateurs des combats sacrés conservent avec une scrupuleuse attention la race des coursiers rapides qui traînent les chars, et nourrissent l'espoir de victoires futures en propageant l'espèce de leurs généreux animaux).

[45] Hist. nat., VIII, 160.

[46] Digeste, XXXI, 65, 1 : Quadrigæ legatum equo postea mortuo perire quidem ita credunt, si equus ille decessit, qui demonstrabat quadrigam.

[47] Dion Cassius, LXXII1, 4.

[48] Diss. I, 11, 27

[49] Dion Cassius, LVI, 27.

[50] Outre celui-ci et le grand cirque, il y en eut plusieurs autres, dont les seuls connus furent ceux de Néron et de Caracalla.

[51] Suétone, Vitellius, chap. 7. — Dion Cassius, LXV, 5.

[52] Dion Cassius, LXXVII, 10, et LXXVIII, 8.

[53] Suétone, Caligula, chap. 55. — Dion Cassius, LIX, 14.

[54] Suétone, Néron, chap. 26. — Dion Cassius, LXIII, 6. — Pline, Hist. nat., XXXIII, 90. — Martial, XI, 33.

[55] Hist. Auguste, Caracalla, ch. 4 et 6.

[56] Dion Cassius, LXXII, 17.

[57] Ibid., LXXIX, 14.

[58] Satires, XI, 97.

[59] VI, 46, et XI, 33.

[60] Cassiodore, I, 20 et 27.

[61] Ainsi Horace, Épîtres, I, 14, 14 ; Columelle, 1, 8, 2 ; Ulpien, Digeste, XI, 3, 1, 5 ; Vénuléjus, ibid., XXI, 1, 65.

[62] Satiricon, chap. XL.

[63] Gruter, 339, 4 = C. I. G., 6803

Factionis Venetæ Fusco sacravimus aram, etc.

[64] P.-E. Muller, De gen. ævi Theodos., II, p. 59, adn. o.

[65] Gregorovius, Histoire de Rome au moyen âge, I, 197.

[66] Evolat admissis discolor agmen equis. Ovide, A. III, 2, 78.

[67] Ibid., 67, etc. — Voir aussi Art d’aimer, I, 145.

[68] Suétone, Néron, chap. 22.

[69] Pline, Hist. nat., XXXVI, 162.

[70] Tacite, Histoires, II, 91.

[71] Suétone, Vitellius, chap. 14.

[72] Tacite, Dialogue des Orateurs, chap. 29, après la mort de Domitien sans doute.

[73] Martial, X, 48, livre publié sous Nerva.

[74] Témoin ce passage de Vell. Longus, De orthographia : Inversis armis gladiatores pugnasse non est dicendum, sed versis hoc est transmutatis, sed nec inversis pannis agitasse aurigas sed versis.

[75] Lettres, IX, 6.

[76] XI, 197, etc.

[77] Marc Antonin, Commentaires, I, 5.

[78] Hist. Auguste, Vie de Lucius Verus, chap. 6.

[79] Fronton, Ad amicos, II, 3.

[80] Lucien, Nigrin, 29.

[81] Dion Cassius, LXXVII, 10.

[82] Hérodien, IV, 6.

[83] Ammien Marcellin, XIV, 6, 26 ; XXVIII, 4, 11 et 29. — Voyez aussi Symmaque, X, 29 et 25 : Exspectantur quotidie nuntii, qui appropinquare urbi munera promissa confirment ; aurigarum et equorum lama colligitur ; omne vehiculum, omne navigium scenicos artifices advexisse jactatur.

[84] Exc. Valesii, 60. (Ammien, éd. Wagner et Erfurdt, I, p. 620.) — Cassiodore, Chronicon, 519. — Voir aussi Gregorovius, Histoire de Rome au moyen âge, I, 286-295.

[85] Cassiodore, Var., III, 57, ainsi que I, 27 et 30-33.

[86] Gregorovius, I, 436.

[87] Symmaque, Lettres, IV, 60 ; IX, 132.

[88] Ibid., IV, 58-60 ; V, 82.

[89] Symmaque, Lettres, IV, 6. — Voir aussi VII, 48, 105, etc. ; IX, 22.

[90] Ibid., IV, 9, 20 ; 4, 60, 9, 18, etc. ; 12, 6, 5, 83 ; 7, 82, 105, etc. ; 23.

[91] Ibid., IV, 63 (à Eupraxius) : Fas sit dicere : Equorum curulium copia non egemus ; sed incitat nos præturæ mora ad desiderium muneris largioris. Si ergo dulcis est, ut adsolet, mandati mei executio, quatuor ex grege Laudacianorum quadrigas, quas tua defloret electio, ad me opto deduci, cum primum mare navigatio verna patefecerit. Credo mireris, ut non potius de gregibus tuis postulem, qui potissimos Iberorum nobilitate prævertunt. Fastidium uniformis spectaculi patitur civitas, cujus satietas mihi varietate vincenda est.

[92] Ibid., VII, 48.

[93] Symmaque, Lettres, IX, 20 et 24.

[94] Ibid., V, 56 (à Salluste) : Quadrigis quatuor gratuites auxisti numerum comparatum. Ex illis equos undecim superstites cæteris prosecutorum cura perd uxit. Nec longo intervallo pars succubuit traditorum.

[95] Ibid., 82 (à Helpidius) : Nam cum de Hispaniis copiam equorum spes certa mihi promittat, hos quos de proximo polliceris, securior diligentia debet excerpere.

[96] Ibid., VI, 42 et 33. La première de ces deux lettres, qui est la plus ancienne en date, commence ainsi : Eusebii nuper litteras sumsi, quibus aurigas... missos ad Campaniam nuntiavit. — Voici le commencement de la seconde : Si qua adhuc de Siçilia speramus incerta sunt. Nam, cum litteræ Eusebii nuntiaverint, dudum circi et scenæ artifices navigasse, etiam nunc de adventu eorem rumor in operto est.

[97] Juvénal, XI, 201. — Martial, XI, 1, 14. — Tertullien, Des spectacles, chap. XVI.

[98] Toutefois la seule mention que l’on ait de ce fait se trouve dans Tzetzes (Chil. XIII, hist. 497, 479).

[99] Arnobe, 1, 53. — S. Jérôme, Vie d’Hilarion, chap. VIII. — Végèce, De arte veterin., V (III), 73 (74). — Ammien Marcellin, XII, 3, 3 ; XVIII, 1, 27. — Cassiodore, III, 51. — Voir aussi Gothofredus, dans le Code Théodosien, IX, 16, 11 ; Lobeck, Aglaoph., p. 223.

[100] Jahn, Columbarium de la Villa Pamphili, p. 48.

[101] Suétone, Caligula, chap. 26.

[102] Juvénal, IX, 142.

[103] Martial, XIV, 160. — Sénèque, De vitæ brev., 25, 2.

[104] D’après les Fastes de Philocale, C. I. L., p. 334, etc.

[105] Mommsen, C. I. L., p. 387, etc.

[106] Aussi d’après les Fastes de Philocale.

[107] Anthologie latine, éd. Meyer, 1428 : Eulycheti aurigæ ann. XXII Flavius Rufinus et Semp. Diofanes servo b. m. f.

[108] Henzen, 6179 et 7429 (p. 509).

[109] Et quamvis id ipsum in rege Mithridate carmine quodam suo reprehendisset (quoique, dans une de ses pièces de vers, il eût blâmé le roi Mithridate de l'avoir fait) fait observer Suétone, Néron, chap. 24. — Mithridate, s’il faut en croire Appien (XII ; 112), allait même à seize chevaux, et un camée, décrit dans le Recueil de Caylus (I, t. 371, 1), représente un conducteur avec une palme, sur un char attelé de vingt chevaux.

[110] Hist. nat., XXVIII, 237.

[111] Silius Italicus, XVI, 315, etc. — Voir aussi, dans les Pères de l’Église, Lactance, VI, 20, et Grégoire Nyssen., De vita Mos., au commencement.

[112] Dans Cicéron, De div., I, 48.

[113] Des spectacles, chap. XVI.

[114] Frontin, De aquis, 97, dit : Circus maximus ne diebus quidem ludorum circensium nisi æditium aut censorum permissu irrigabatur : quod durasse etiam postquam res ad curatores transiit sub Augusto apud Atejum Capitonem legimus.

[115] Lactance, Inst. div., VI, 20, 32.

[116] Sénèque, Lettres, 83, 7. — Juvénal, XI, 197.

[117] Ratilius Numatianus, It., 201, etc.

[118] De là la distinction en antemeridianum et pomeridianum spectaculum, dans S. Augustin (Confessions, VIII, 6), et déjà dans Cicéron (l’Orateur, 47, 157), qui recommande cette dernière locution en ces termes : Pomeridianas quadrigas quam postmeridianas libentius dixerim (J'aime mieux pomeridianas quadrigas, que postmeridianas).