§ 1.Dans l’immense majorité de cet élément de la population de Rome qu’on peut qualifier de troisième ordre, le prolétariat, dont toute l’existence pivotait sur la maxime du pain et des spectacles, et que l’immigration des provinces, attirée par l’appât de ces prodigalités, ne cessait pas de renouveler ou d’accroître, était sans doute très prépondérant. D’autre part, le nombre des artisans, industriels et petits marchands, appartenant au même ordre, devait y être d’autant plus borné que non seulement le travail non salarié des esclaves faisait, dans ces branches, à l’industrie des hommes libres une concurrence contre laquelle il était presque impossible de lutter, mais les distributions de blé mettaient même les plus pauvres en état de vivre absolument, ou presque tout à fait, sans travail. Cependant il n’y avait dans cette classe de la population non plus manque de gens aisés et même riches, surtout parmi ceux qui ne dédaignaient pas d’exercer des professions réputées viles ou déshonorantes d’après les idées romaines[1], mais en partie très lucratives de fait, comme l’entreprise des funérailles[2], les boulangeries ou les maisons de bains, l’entreprise de travaux et la gestion d’affaires d’établissements publics, la ferme des latrines et vidanges[3], les ventes publiques, où se faisait la vente à l’encan tantôt d’objets du plus haut prix, tantôt de vieux mobiliers et de toute sorte d’effets[4]. Galien[5] signale, en termes généraux, comme ayant le plus de chances pour s’enrichir, les gens d’affaires des riches, les fermiers généraux et les négociants importateurs. Cependant la profession de crieur public et commissaire priseur (prœco) était notamment lucrative[6], de qui suppose un mouvement d’une rapidité extraordinaire dans lés mutations de propriété à Rome. Arronce Evareste, commissaire priseur, qui joua un rôle dans le désordre occasionné par le meurtre de Caligula, était par sa fortune, au rapport de Josèphe, l’égal des Romains les plus riches de son temps, et avait alors comme il garda longtemps encore assez d’influence pour faire, à Rome, tout ce qu’il voulait. Dans Martial (VI, 8), la main d’une jeune fille est recherchée par dix poètes, sept avoués, quatre tribuns et deux crieurs publics, et le père n’hésite pas à se prononcer pour l’un de ces derniers. Le même poète (V, 56), dans l’intérêt de l’avenir d’un jeune garçon qui doit faire son chemin dans le monde, conseille que l’on se garde surtout de lui faire faire des études classiques ou des vers, qu’on le laisse plutôt s’appliquer au luth ou à la flûte, ou bien, s’il a la tête dure, qu’on fasse de lui un commissaire aux ventes ou un entrepreneur de bâtiments. Les musiciens et tous les artistes travaillant pour le luxe ou pour le plaisir du public, étaient en général très largement payés, les acteurs et les danseurs notamment aussi ; on vit même des maîtres d’escrime et des conducteurs de chars du cirque acquérir de grandes fortunes. D’après Juvénal, celle d’un cocher du cirque en renom pouvait faire envie à cent avocats. Les professions savantes aussi, comme les beaux-arts et les professions techniques, quand elles ne demeuraient pas abandonnées aux esclaves, étaient presque exclusivement embrassées par des personnes appartenant au troisième ordre, de la catégorie de celles du moins qui ne reculaient pas devant des années d’études pénibles, pour s’y préparer, et qui avaient les moyens de se passer, pendant tout ce temps, des gains qu’un simple métier procurait beaucoup plus tôt[7]. Galien[8] mentionne comme les principales branches du savoir et de l’art à acquérir ou à choisir pour profession, la médecine, la rhétorique et la musique, la géométrie et l’arithmétique, la logique, l’astronomie, la grammaire et le droit, auxquels il ajoute encore les arts plastiques et graphiques. Nous avons quelques données sur l’existence et la position sociale que procuraient ces diverses professions. Juvénal en a fait, dans sa septième satire, un tableau très triste, mais qui tombe certainement dans l’exagération, à force de généraliser. Le professorat manquait encore en majeure partie, il est vrai, dans les premiers siècles, d’une existence bien assurée et de la considération extérieure qui s’attache à des fonctions publiques. L’enseignement n’était, au commencement de l’empire, regardé d’aucune façon comme une affaire de l’État ; il ne le devint que dans une mesure très bornée au deuxième siècle, et on n’y reconnut même probablement qu’à cette époque un objet d’intérêt général pour les communes[9]. Vespasien et Adrien confirmèrent aux professeurs certaines immunités[10]. Cependant le nombre des professeurs publiquement institués et rétribués ne paraît avoir été grand ni à cette époque, ni même plus tard, à Rome pas plus qu’ailleurs. Par un rescrit, destiné à faire loi premièrement en Asie, Antonin le Pieux permit d’accorder l’exemption des charges municipales, dans les grandes villes, à dix médecins, cinq rhéteurs et cinq grammairiens ; dans les moyennes, à sept médecins et quatre maîtres ou professeurs, dans les petites, enfin, à cinq médecins et trois maîtres, pour l’enseignement de chacune des deux autres branches[11]. Si ces chiffres représentent, comme il y a lieu de le croire, l’état normal des médecins et du personnel enseignant modes chaires entretenues par l’État, il est clair qu’il ne devait suffire aux besoins nulle part, et que, même abstraction faite de l’instruction élémentaire et des autres branches de l’enseignement général, celui-ci devait en majeure partie reposer sur les leçons particulières de maîtres et professeurs libres. Il y avait cependant des chaires publiques de grammaire, instituées par les villes, à Rome même, notamment à l’Athénée, bien qu’Aulu-Gelle[12], qui parle souvent des grammairiens professant dans la capitale, ait omis de mentionner ce fait. Parmi les maîtres particuliers, les uns : donnaient des leçons au domicile ‘de leurs élèves, comme le père de Stace par exemple[13], ou entraient assez souvent aussi, pour un temps, comme précepteurs, dans de grandes maisons ; les autres, et c’est ce que paraissent avoir généralement préféré les plus habiles et les plus doctes, tenaient école et faisaient des cours chez eux[14]. C’étaient probablement presque toujours des personnes de condition modeste qui se vouaient au professorat ; à Rome, notamment des affranchis, des provinciaux et des étrangers, dont Jules César déjà s’était appliqué à y attirer un grand nombre, en leur conférant le droit de cité[15]. Beaucoup d’entre eux étaient originaires des provinces grecqués et de l’Orient hellénisé, ce qui s’explique par la faveur toute particulière dont l’enseignement de la langue et de la littérature grecques jouissait à Rome. La plupart de ces maîtres n’enseignaient point par vocation ; ils ne s’étaient mis à donner des leçons que pour gagner leur vie. Cela résulte déjà dû fait que, même parmi les grammairiens ou philologues les plus renommés et les plus distingués par leurs travaux, dont il est fait mention à Rome au premier siècle de l’empire, notamment dans Suétone, plusieurs n’étaient arrivés. à se tourner vers les études que par l’effet du hasard, ou après avoir mal réussi dans d’autres carrières. Quelques-uns acquirent, comme esclaves ou affranchis, au service de savants, ou en accompagnant des fils de famille à l’école, le fonds des connaissances dont ils devaient faire leur spécialité plus tard. Le célèbre Orbilius avait commencé par être garçon de bureau auprès d’un magistrat, puis servi, à pied et à cheval, dans l’armée. Un autre professeur encore plus célèbre, Marcus Valérius Probus, de Béryte (Beyrouth) en Syrie, ne s’appliqua aux études linguistiques qu’en désespoir d’obtenir une place d’officier subalterne qu’il avait longtemps sollicitée. Un troisième avait auparavant figuré comme athlète dans les combats du pugilat, un quatrième couru les théâtres et gagné sa vie en prêtant sa collaboration aux farces qu’on y jouait[16]. L’empereur Pertinax, au contraire, fils d’un affranchi, marchand de bois, avait débuté par le professorat, et ce furent les déceptions qu’il y éprouva qui le décidèrent à embrasser l’état militaire, marchepied de sa haute fortune[17]. Dans l’opinion générale, c’était gagner durement son pain que d’être obligé de tenir école et d’instruire les enfants[18]. Les peines et les déboires étaient grands, les avantages très minces, et peu de ces instituteurs avaient, pour se consoler et se relever dans leur esprit, la conscience de la noble mission d’initier des âmes jeunes et candides aux bonnes mœurs et à l’étude de ce que la science et les lettres ont de sacré[19]. L’école s’ouvrait avec ou même dès avant l’aube. Le maître était obligé de se lever plus matin que le forgeron ou le tisserand, puis de respirer les émanations des lampes apportées par les écoliers, et dont la fumée noircissait les bustes d’Homère et de Virgile placés dans la salle[20]. La classe continuait même après midi[21]. Le plus difficile pour le maître, suivant Juvénal, était de ne jamais perdre de vue les mains et le jeu des prunelles de tant de jeunes garçons, sur la moralité desquels son devoir était de veiller comme un père. L’usage du bâton et du martinet paraît, du reste, avoir été un des moyens dont on se servait le plus fréquemment, pour main tenir l’ordre dans la classe. Il y avait, en outre, à compter avec mille prétentions injustes des parents, sur les incroyables exigences, en tout ce qui touchait leurs enfants, et les susceptibilités d’amour propre desquels Orbilius déjà écrivit tout un livre plein de doléances[22]. La poussière de l’école, il est vrai, devait peu incommoder les instituteurs romains, car ils enseignaient dans des salles à demi ou entièrement ouvertes au grand air, sur les plates-formes des maisons où devant celles-ci, du côté de la rue même. De plus, même abs, traction faite des nombreux jours de fête, les vacances d’été doraient quatre mois : l’essentiel, suivant l’idée du temps, étant d’avoir ses enfants bien portants dans cette saison, sans leur infliger le tourment de l’école[23]. Les précepteurs domestiques, les Grecs surtout, se plaignaient beaucoup, et souvent avec raison, sans doute, des traitements indignes et des humiliations de tout genre qu’ils avaient à subir, ainsi que de l’exiguïté de leurs appointements, avec lesquels ils parvenaient à peine à suffire au payement des mémoires du médecin ; du cordonnier et du fournisseur d’habits. Lucien[24] mentionne un salaire de 200 drachmes, avec la table et le logement, comme la rétribution d’un précepteur grec. Les Romains, de leur côté, croyaient avoir à se plaindre de ce qu’on leur préférât, dans les grandes maisons, ces étrangers qui savaient trop souvent, par leurs intrigues et leurs infamies, usurper le rôle des véritables maîtres du logis[25]. Généralement, l’instruction grammaticale était mal payée à Rome, du moins dans la mesure des prétentions qu’avaient alors les maîtres, probablement un peu plus élevées que celles de leurs confrères d’aujourd’hui. D’après Juvénal[26], en effet, les honoraires de l’école, par enfant, calculés sur le pied le plus modique, pour une année scolaire de huit mois seulement, comme nous l’avons vu, auraient été de 5 pièces d’or (aurei), c’est-à-dire d’environ 435 francs de notre monnaie, ce qui, pour une classe de vingt à trente enfants, devait procurer à l’instituteur un revenu suffisant pour vivre. Or de bons maîtres recevaient certainement plus. Là concurrence était très grande, sans doute, puisque, déjà dans les derniers temps de la république, il y eut parfois, à Rome, jusqu’à vingt écoles de grammaire, toutes plus ou moins fréquentées[27]. Beaucoup d’écoles étaient d’ailleurs dirigées par deux maîtres, qui s’en partageaient les émoluments[28]. Cependant certains professeurs très recherchés acquirent de la fortune ; Verrius Flaccus, qu’Auguste logea au palais avec toute son école, obtint de lui, pour l’instruction de ses petits-fils, un traitement annuel de 100.000 sesterces ou plus de 26.000 francs[29]. Un autre, Remmius Palémon, tirait de son école un revenu annuel de 400.000 sesterces, et presque autant de sa fortune privée, dont son enseignement avait probablement aussi formé le noyau, mais qu’il s’appliqua à faire valoir et fructifier, en outre, avec autant d’activité que de savoir-faire, par un commerce d’effets d’habillement et la bonne exploitation de ses biens ruraux[30]. Épaphrodite de Chéronée, qui enseigna sous Néron et les empereurs suivants, jusqu’à Nerva, et mourut âgé de soixante-quinze ans, possédait deux maisons à Rome et une bibliothèque de trente mille volumes, comprenant beaucoup d’ouvrages rares et précieux[31]. Cependant des emplois autres que ceux de bibliothécaires publics ne paraissent avoir été donnés, parfois, à des grammairiens qu’à Rome et à Alexandrie ; au secrétariat d’État ou département de la correspondance, ils ne trouvaient à se caser qu’exceptionnellement, dans les postes élevés du moins, comme Hyginus[32] et Denys d’Alexandrie. Les rhéteurs ou professeurs de l’art oratoire eurent en partie à subir les mêmes désavantages et les mêmes contrariétés que les maîtres élémentaires ou grammairiens. Eux aussi avaient beaucoup à pâtir des exigences absurdes et de la sotte vanité des parents[33], ainsi que de la polissonnerie des enfants mal élevés[34], et, comme il y avait forte concurrence dans cette branche également, on ne vit que trop de rhéteurs descendre à des flatteries et à des complaisances indignes de leur profession, pour compléter leur auditoire[35]. Ils avaient de même à supporter des ennuis mortels, à force de faire répéter continuellement des exercices oratoires sur les mêmes thèmes, ou, suivant l’ex-pression de Juvénal, d’être obligés de manger sans cesse du même chou réchauffé. Il arrivait souvent aussi qu’on les payât mal ou refusât net de les payer, ce qui faisait, alors, même d’une chaire de rhétorique une position sociale illusoire et stérile[36]. Cependant rappelons, à leur sujet aussi, que les professeurs de ce temps-là avaient des prétentions plus élevées que ceux du nôtre. En général, les honoraires des rhéteurs étaient supérieurs à ceux des grammairiens[37]. Juvénal[38] parle d’honoraires annuels de 2.000 sesterces, par élève, pour les leçons d’un rhéteur, ce qui ne laisse pas que d’être un assez bon prix. La position d’un professeur d’éloquence n’était pas seulement plus avantageuse, elle était aussi entourée de plus de considération déjà, parce qu’il était chargé d’un enseignement supérieur, auquel participaient, outre les enfants et les adolescents, quelquefois même des hommes faits, et qui avait trait immédiatement aux intérêts de la vie pratique, car la parole facile et abondante, élégante et choisie, était regardée comme un élément capital de la bonne éducation, indispensable même, dans beaucoup de positions sociales, pour tous les hauts emplois notamment. Aussi les chaires des professeurs d’éloquence latine et grecque furent-elles, à Rome et ailleurs aussi peut-être[39], les premières et longtemps les seules qui fussent dotées par l’État. Le traitement qui y était attaché s’élevait à 100.000 sesterces, quadruple de celui d’un tribun militaire, ce qui égalait ces professeurs, pour la rétribution, dans la catégorie des centeniers (centenarii), à des fonctionnaires de l’importance du procureur des eaux[40] ou de celui de la province d’Adrumète[41] (en Afrique), par exemple. Le premier titulaire de la chaire créée par Vespasien, l’Espagnol Quintilien, ne devint pas seulement très riche, mais obtint même, comme précepteur des princes, les insignes consulaires[42]. Déjà sous Néron, par suite de ce goût pour la rhétorique dont il faisait parade, beaucoup de maîtres de cet art s’étaient, comme on l’a vu plus haut, élevés d’une condition infime à la dignité sénatoriale et aux plus grands honneurs. Verginius Flavus, un d’entre eux, devint ainsi un homme assez important pour qu’on crût devoir le bannir à la suite de la conjuration de Pison[43]. Dès le premier siècle, mais bien plus fréquemment encore dans le suivant, des rhéteurs célèbres arrivèrent à la position influente de secrétaires de l’empereur, celle du rhéteur Secundus auprès d’Othon, et elle leur servit quelquefois de marchepied pour monter plus haut encore. On comprend ainsi que même des hommes appartenant à l’ordre équestre, dès les premiers temps de l’empire, à l’exemple de Blandus[44], aient pu faire choix de cette profession. Les promotions de rhéteurs dans cet ordre par les empereurs furent sans doute assez fréquentes aussi, d’après ce que Philostrate[45] rapporte de Denys de Milet, sous Adrien, et d’un nommé Héliodore, sous Sévère probablement. On ne cite aucun grammairien honoré de la même faveur. Il y avait d’ailleurs à tirer de l’art oratoire, à la barre des tribunaux, encore plus de parti qu’à l’école. Ceux qui avaient le savoir et le talent nécessaires pour le professorat n’étaient pas toujours, il est vrai, également bien doués pour la plaidoirie. Cependant beaucoup de rhéteurs unirent les deux professions, comme Quintilien, ou passèrent de l’une à l’autre, comme on le voit par ce distique de Martial[46] : Dum
modo causidicum, dum te modo rhetora fingis, Et non decernis, Laure, quid esse velis, etc. On vit notamment des avocats préférer, sur leurs vieux jours, les occupations plus tranquilles du professorat[47]. Pour attaquer et défendre en justice il fallait, alors, surtout de la faconde ; une profonde connaissance du droit était moins nécessaire qu’elle ne l’est aujourd’hui. Aussi, même les avocats qui prenaient leur profession le plus au sérieux, s’appliquaient-ils tout particulièrement à l’art oratoire et traitaient-ils plus ou moins l’étude du droit, même en ne la négligeant pas, comme un objet secondaire. Quant à la tourbe des avocats, ainsi appelés à cette époque déjà, et ne voyant dans leur profession qu’un métier, ils n’avaient que leur faconde, sans aucune connaissance du droit ; aussi s’adjoignaient-ils, dans les procès, des hommes de loi, espèce d’avoués dits pragmatici, que les parties étaient tenues de payer à part[48] ; mais il parait que les honoraires de ces derniers étaient maigres et qu’ordinairement les membres du barreau qui ne réussissaient pas comme avocats[49], faute d’avoir le don de la parole, se décidaient seuls pour l’autre profession, à un déserteur de laquelle s’adressent ces vers de Martial[50] : Deseris
urbanas, tua prædia, Pannyche, lites, Parvaque
sed tritæ præmia certa togæ. Frumentum,
milium, ptisanamque fabamque solebas Vendere
pragmaticus, nunc, emis agricola. La profession d’avocat était, évidemment, le chemin que prenaient de préférence, pour parvenir, les hommes de tête et d’ambition du troisième ordre ; c’est par la toge, ou robe que l’on endossait pour la plaidoirie, que s’élevait le peuple[51], au sein duquel, Juvénal l’a dit[52] : . .
. . . . . . . . tamen ima plebe Quiritem Facundum
invenies ; solet hic defendere causas Nobilis
indocti ; veniet de plebe togata Qui
juris nodos et legum ænigmata solvat. Dans le reste de l’Italie et les provinces, c’est la même profession que choisissaient, le plus volontiers, les jeunes gens les mieux doués et les plus désireux de se pousser des classes inférieures, comme Lucien par exemple. Dans la colonie de Pétrone[53], l’affranchi qui veut donner un état à son fils compte faire de lui, sinon un commissaire-priseur, du moins un homme du barreau. Le fait que la profession d’avocat était la plus honorable des carrières civiles dont pussent faire choix des hommes du troisième ordre, résulte déjà de la circonstance que, de toutes les professions accessibles à ce dernier, elle était aussi la seule que des sénateurs même pouvaient exercer sans déroger. C’était de plus la seule carrière civile qui offrit à des hommes d’humble naissance le moyen de s’élever, par leur talent et la fortune aidant, jusqu’à la dignité du premier ordre. C’est ainsi, en effet, que Marcellus Éprius et Vibius Crispus parvinrent à obtenir le consulat et l’amitié des empereurs, la plus haute considération et un grand pouvoir[54]. Les avocats plaidants célèbres menaient une existence très fastueuse ; leurs noms étaient dans toutes les bouches ; les hommes haut placés et les riches leur faisaient des avances ; des étrangers, ayant entendu parler d’eux dans les municipes et les colonies romaines de leur province, ambitionnaient de faire leur connaissance[55]. A défaut des avantages du rang et d’un état supérieur, ces avocats, dont les portes étaient littéralement assiégées par les parties[56], acquéraient du moins de grandes fortunes[57], et cette manière d’en acquérir était réputée très honorable[58]. Mais, à côté de ces avocats courus et largement rétribués, il y avait naturellement aussi nombre d’avocats sans cause, trop heureux de recevoir dans l’occasion, pour trois ou quatre plaidoyers, quelque chose comme une pièce d’or, parfois encore sujette à une retenue pour les émoluments de l’avoué[59], quand les clients ne préféraient pas s’acquitter par un envoi en nature de mauvais vin, de fruits confits, de vaisselle en poterie commune ou d’autres cadeaux semblables, envers eux qui, de cette manière, n’arrivaient pas même à gagner leur loyer[60]. Dans les procès paraissent aussi, mais postérieurement, il est vrai, à côté de l’avocat plaidant (causidicus), des honorarii et des pragmatici ou jurisperiti, légistes qu’on lui adjoignait pour le conseiller, ainsi que des avoués (advocati, dans l’acception restreinte du mot). Ajoutons qu’il est fait mention de tel procès, en province, dans lequel les honoraires payés à tous ces gens de loi ne dépassaient pas la modique somme de 100 deniers[61]. Il y avait, certes, encombrement dans la carrière des avocats ; aussi les voyait-on assez généralement recourir à tous les moyens du charlatanisme, pour se faire connaître et se procurer des clients. Les avocats plaidants qui désiraient appeler sur eux l’attention, ne se séparaient jamais d’une grande liasse de papiers ; ils cherchaient à amadouer la clientèle par leur mise soignée, les apparences du luxe, une suite d’esclaves et de clients, entourant leurs chaises à porteur ; parfois même, ils louaient des bagues précieuses, en vue d’amener le client, qui les voyait briller à leurs doigts, pendant là conférence, à leur accorder des honoraires plus élevés[62]. Ils renvoyaient les personnes qui venaient leur confier leurs procès à des aides, chargés de recevoir préalablement les communications des parties sur l’état de la cause, ou bien ils ne les mandaient chez eux que pour la veille ou la matinée même du jour d’audience, afin de paraître encombrés d’affaires ou de faire admirer leur sagacité et la promptitude avec laquelle ils voulaient avoir l’air de résoudre toutes les difficultés en un clin d’œil[63]. Dans leurs harangues, ils avaient recours aux moyens les moins dignes pour gagner les applaudissements de l’auditoire[64]. Ils soudoyaient des claqueurs, chargés de battre des mains et de les acclamer par des bravos[65], et se ménageaient l’accompagnement d’une suite nombreuse, en rentrant chez eux du Forum[66]. Beaucoup d’entre eux, n’atteignant pas leur but, malgré toute la peine qu’ils se donnaient, n’en étaient pas moins obligés de se déclarer insolvables ou d’aller tenter la fortune dans les Gaules ou en Afrique[67]. Naturellement, il y avait assez d’avocats toujours prêts à vendre leur éloquence, au premier venu qui les payait, et à se charger de toute cause quelle qu’elle fût, juste ou injuste[68] ; souvent aussi on stipulât d’avance la somme à payer, à la mode des pirates, comme dit Quintilien[69] et l’expliquent ces vers de Martial[70] : Egi,
Sexte, tuam pactus duo millia causam, Misisti
nummos quod mihi mille, quid est ? « Narrasti
nihil, inquis, et a te perdita causa est. » Tanto
plus debes, Sexte, quod erubui. On comprend, après cela, qu’aux yeux de bien des gens, l’ordre des avocats tout entier passât pour une engeance vénale[71]. Il en fut surtout ainsi du temps de Claude, sous le règne duquel les avocats plaidants firent de brillantes affaires, tandis que les jurisconsultes n’y trouvaient pas de quoi vivre[72]. Ce qui contribua beaucoup aussi à déconsidérer l’ordre, c’est l’habitude de ses membres non seulement d’invectiver la partie adverse, ce qu’ils faisaient souvent à la demande expresse de leurs clients mêmes, mais encore de s’accabler d’injures entre eux[73] ; or le nombre de ces maîtres chicaneurs et aboyeurs était si grand, que les adversaires de la profession purent qualifier de cynique le genre d’éloquence des avocats en général[74]. La profession médicale s’exerça sous des formes multiples jusqu’aux derniers temps de l’empire ; ce furent peut-être principalement des affranchis[75] et des esclaves qui s’y livraient. Justinien encore permit de demander, pour des esclaves de l’un ou de l’autre sexe habiles dans cet art, le maximum du prix d’un esclave, c’est-à-dire jusqu’à soixante pièces d’or, tandis que le prix d’un eunuque même était limité à cinquante pièces d’or[76]. Les médecins libres, à Rome, étaient en majeure partie des étrangers, auxquels Jules César conférait, ainsi qu’aux professeurs, le droit de cité, quand ils s’y établissaient[77]. Les Romains, dit Pline l’Ancien, ne s’occupaient qu’exceptionnellement de l’art de guérir les malades[78]. La plupart de ces médecins étrangers étaient Grecs ou Orientaux, particulièrement des Égyptiens, que l’on appelait souvent tout exprès à Rome, pour le traitement de certaines maladies, endémiques dans leur patrie, telles qu’une éruption contagieuse qui, d’Asie, se répandit dans la capitale, sous le règne de Tibère[79]. Lucien parle aussi de médecins de Damas, en Syrie, qui prétendaient avoir un remède souverain contre la goutte[80]. En général, les patients avaient plus de confiance dans les étrangers[81]. Cependant il y eut aussi des médecins romains notables et courus, surtout parmi les médecins de la cour, dans les premiers temps de l’empire. Vettius Valens, que nous avons déjà nommé comme un des médecins de celle de Claude, appartenait même à l’ordre équestre, auquel furent peut-être souvent aussi promus d’autres médecins de la cour, tels que, par exemple, l’affranchi Antoine Musa, qui avait sauvé, par l’application hardie d’un traitement hydrothérapeutique, Auguste déjà condamné par les autres médecins. Comme on ne connaissait, dans l’antiquité, ni l’épreuve des examens, ni le principe de la responsabilité des médecins, nombre de gens sans vocation ni instruction spéciale, dès classes inférieures surtout, se mêlaient d’y exercer l’art de guérir, qui devenait très profitable en cas de succès. Cordonniers, charpentiers, teinturiers, forgerons, croque-morts, renonçaient à leurs métiers pour se faire médecins ; ou vice versa, ce qui fit dire à Martial[82] : Nuper
erat medicus, nunc est vispillo Diaulus. Quod
vispillo facit, fecerat et medicus. Les préparateurs d’onguents et de produits pharmaceutiques marquaient déjà comme des personnages parmi tous ces charlatans. Galien assure que la plupart de ceux qui, de son temps, se vouaient à la profession médicale ne savaient même qu’imparfaitement lire[83], et il recommande à ses collègues de se tenir en garde contre les fautes de grammaire, dans la conversation avec des malades lettrés[84]. L’affluence des adeptes vers cette carrière s’accrut surtout depuis que Thessalus, fils d’un tisserand, et qui avait débuté comme apprenti de son père, mais n’en obtint pas moins un immense succès comme médecin, sous Néron, eut déclaré que six mois étaient un temps suffisant pour acquérir les connaissances médicales nécessaires[85]. Les médecins, dans leurs visites aux malades, étaient d’ailleurs ordinairement suivis par un essaim d’élèves, dont la présence devenait souvent un véritable tourment pour les malades. Philostrate[86] nous montre Séleucus de Cyzique et Stratoclès de Sidon accompagnés de plus de trente élèves, dans une visite à Philisque malade, et Martial[87] met ces vers dans la bouche d’un patient, incommodé par cet usage : Languebam,
sed tu comitatus protinus ad me Venisti
centum, Symmache, discipulis. Centum
me tetigere manus aquilone gelatæ. Non
habui febrem, Symmache, nunc habeo. Peut-être cette manière d’exercer la profession médicale comme un métier, contribua-t-elle à multiplier le nombre des médecins à spécialités, dont les écrits du temps mentionnent une grande variété, sans compter les simples aides des médecins[88]. Il n’y avait pas seulement des oculistes, pour le traitement des yeux, et d’autres spécialement opérateurs (clinici chirurgi ocularii), des dentistes, des médecins pour les maux d’oreilles, des sages-femmes (medicœ) pour les accouchements[89] et le traitement des autres maladies qui affectent leur sexe[90], mais aussi des médecins qui s’occupaient tout spécialement de celui des hernies, des fistules, des maladies de la luette[91], etc. Martial[92] a précisé quelques-unes de ces spécialités, dans ces vers : Eximit
aut reticit dentem Cascellius ægrum, Infestos
oculis uris, Hygine, pilos ; Non
secat et tollit stillantem Fannius uvam, Tristia
servorum stigmata delet Eros. Enterocelarum
fertur Podalirius Hermes, etc.,
etc. Les médecins non chirurgiens s’abstenaient généralement, à Rome, d’opérer dans aucun des cas qui sont du domaine de la chirurgie[93]. Il va sans dire qu’il était difficile, dans ces conditions de l’exercice de la médecine, d’établir une ligne de démarcation positive entre le métier et l’art médical. Les honoraires et revenus des médecins en renom, qui
avaient leur clientèle dans l’aristocratie de Rome, étaient fort élevés.
Pline mentionne un cas dans lequel une somme de 200.000 sesterces (plus de 54.000 francs)
fut stipulée comme récompense pour le médecin réussissant dans sa cure[94]. Galien[95] reçut du
consulaire Bœthus, pour la guérison de sa femme, 400 pièces d’or, soit près
de 11.000 francs. Nous avons déjà eu l’occasion de parler des traitements
accordés aux médecins de la cour et de la brillante clientèle urbaine de
Stertinius. Crinas de Marseille laissa une fortune de 10 millions de
sesterces, où plus de 2.700.000 francs, après avoir fait reconstruire les murs
de sa ville natale et exécuter, à ses frais, d’autres travaux non moins
dispendieux[96].
Le chirurgien Alcon fut condamné par Claude à une amende de 10 millions,
somme qu’il regagna cependant en peu d’années, pendant son exil dans les
Gaules et après son rappel à Rome[97]. Ce n’est pas la délicatesse des médecins, dit
Pline, qui modère les demandes d’honoraires
auxquelles ils savent si bien faire acquiescer les malades, au moment du
danger, c’est la concurrence seule[98]. Le
charlatanisme médical se produisait sous toutes les formes, depuis le grave
froncement des sourcils, dans les cas les plus simples[99], jusqu’à la
préconisation, de remèdes universels[100] et la mode
d’opérer publiquement au théâtre, devant une multitude de spectateurs[101]. Une certaine
publicité dans l’exercice de la pratique médicale était, il est vrai,
déterminée par les habitudes mêmes de la vie antique. Les médecins faisaient
leurs consultations, vendaient et délivraient leurs remèdes, faisaient même
leurs opérations dans des échoppes ou boutiques ouvertes sur la rue[102]. Les plus
ignorants n’étaient pas les moins soucieux d’en garnir les montres de bottes
en ivoire, de ventouses en argent et de couteaux à manches dorés[103]. Épictète dit (III, 23, 27) que
les médecins, à Rome, en étaient venus au point d’inviter directement les
patients à entrer chez eux. Du reste, les exemples de médecins faisant
publiquement, dans de grandes salles, des leçons accompagnées de
démonstrations, comme le fit Galien au temple de La vente des médicaments aussi, que les médecins préparaient en grande partie eux-mêmes, était pour eux une source de profits d’autant plus considérables que, dans l’opinion commune, les remèdes les plus chers devaient être les plus efficaces[104]. Le mode de préparation des médicaments les plus recherchés était sans doute gardé comme un secret[105]. Il s’est conservé plus de soixante-dix[106] échantillons de l’espèce de timbres dont on marquait les bocaux, et il se trouve, par l’effet du hasard, qu’ils proviennent tous d’oculistes. Cependant, déjà Pline l’Ancien[107] se plaignait d’avoir à constater que la préparation des remèdes, cette affaire capitale en médecine, commençait à être négligée par les médecins, qui, trouvant plus simple d’acheter leurs emplâtres et onguents tout préparés, chez les marchands et fabricants, étaient ainsi souvent trompés par des fournisseurs de mauvaises drogues. On retrouve des plaintes semblables dans Galien[108]. Beaucoup de médecins abusaient de leur profession non seulement pour débiter des cosmétiques[109], mais aussi pour en imposer par les pratiques d’une prétendue magie et pour composer des poisons[110]. Criton écrivit même un Traité des cosmétiques en quatre livres. D’autre part, les médecins s’appliquaient aussi très activement à la recherche et à la préparation de contrepoisons[111], dont beaucoup de personnes avaient l’habitude de prendre des doses régulièrement, comme préservatif[112]. Andromaque, le premier des deux médecins de ce nom, adressa même à Néron une poésie dans laquelle il célébrait la découverte d’un contrepoison, trouvé par lui. On comprend qu’une profession qui n’était interdite à personne et dont les adeptes se trouvaient exposés à de si fortes tentations, dût renfermer dans son sein beaucoup d’éléments impurs. Nous avons déjà vu ailleurs qu’on n’épargnait pas aux médecins les accusations d’empoisonnement, ni surtout d’adultère[113]. A ces imputations venaient se joindre d’autres sujets de reproche, en partie déjà mentionnés : l’avidité poussée jusqu’à la rapacité, une humeur querelleuse[114], une jalousie de métier, que la grandeur du gain qu’il y avait moyen de faire dans la capitale devait y enflammer plus qu’ailleurs[115], et qui occasionna non seulement des calomnies et des persécutions odieuses, mais des assassinats même[116] et l’expulsion de Rome de plus d’un médecin, celle de Galien entre autres ; enfin, le charlatanisme, l’ignorance, que Galien reproche si souvent à ses confrères, et ce mépris que les gens vivant de la routine ont pour les études scientifiques et la véritable instruction. On blâmait aussi, dans la conduite des médecins, tantôt un excès d’orgueil et de rudesse, qui les faisait détester des malades, tantôt une basse servilité, qui les rendait méprisables[117]. Les changements continuels dans les systèmes de médication et les méthodes curatives[118], parmi lesquelles l’hydrothérapeutique, introduite à Rome par Antoine Musa, sous Auguste, puis sous Néron, par Charmide, médecin marseillais, y revint plusieurs fois à la mode[119], paraissent avoir été, en partie du moins, déterminés par le vif désir des médecins de faire parler d’eux et d’attirer des patients. Asclépiade de Bithynie, qui, dans les derniers temps de la république, avait commencé par se produire à Rome comme professeur d’éloquence, mais, ne trouvant pas ses leçons assez productives, se jeta ensuite tout à coup sur la médecine, réussit, par une méthode toute nouvelle, principalement fondée sur un bon régime, par son talent de se plier à tous les caprices des patients et par un charlatanisme inouï, à soumettre à ses lois, suivant l’expression de Pline, et à rendre tributaire de sa caisse l’humanité presque tout entière. On eût dit un homme descendu du ciel[120]. Il était redevable d’une grande partie de ce succès à des artifices qu’il qualifiait de magie. Il prétendait connaître des herbes ayant la vertu de dessécher les lacs et les rivières, de forcer toutes les clôtures et serrures, de mettre en fuite les armées ennemies et de procurer l’abondance de toutes choses[121]. En général, la magie venait s’associer à la médecine dans une foule de circonstances, et les médecins y recouraient non seulement par charlatanisme, mais peut-être non moins souvent de très bonne foi ; car la grande majorité des médecins du temps fait, certainement, plus ou moins imbue des énormes superstitions dont la médecine était entachée dans l’antiquité[122]. Galien lui-même n’en était pas exempt. Les principaux exorcistes étaient des Juifs[123]. Ceux-là même qui repoussaient tous les moyens de la magie n’osaient pas trop contester la valeur des calculs astrologiques[124], que l’on prenait, en Égypte surtout, pour base de la thérapeutique, et que nombre de gens, médecins et non médecins[125], regardaient comme des auxiliaires indispensables. L’astrologie aussi était un art profitable, toléré malgré toutes les défenses, tant qu’on s’abstenait de l’étendre à ce qui concernait la personne de l’empereur ou les affaires de l’État. Plus tard, on soumit même les astrologues à un impôt régulier, qualifié de taxe des fous (βλαxεννόμιον) à Alexandrie[126]. Des astrologues grecs, orientaux et égyptiens pour la plupart[127], hantant la cour et les palais des grands, étaient dans la confidence la plus intime de ces derniers, et, figurant comme instigateurs et conseillers dans les entreprises les plus périlleuses, se trouvèrent ainsi fréquemment impliqués dans des procès de haute trahison. L’astrologue Pammène[128], banni pour avoir eu la main dans des affaires pareilles, recevait de fréquents messages et toutes sortes de demandes d’avis jusque dans son exil, où il touchait annuellement une pension du consulaire P. Antéjus[129]. L’astrologie était, à proprement parler, la forme aristocratique de la divination ; et, quant à la considération dont elle jouissait, aux formes populaires de ces superstitions, à peu près ce que, de nos jours, le somnambulisme, les tables tournantes et les esprits frappeurs, le spiritisme, le psychographe et leurs analogues sont à la divination par la fonte de l’étain, le marc du café, les cartes, etc. Il y avait seulement la différence qu’à cette époque la manière de prédire, que favorisaient exclusivement ou principalement les hautes classes, était également très répandue dans les autres couches de la société, et qu’à côté des prophètes du grand monde, prétentieux et vénérés[130], on trouvait partout à Rome, mais surtout près du cirque, des astrologues de carrefour, qui prédisaient l’avenir aux bonnes gens pour la bagatelle de deux oboles, par exemple[131], comme ces autres charlatans qui tiraient des prédictions des traits du visage, de la conformation physique, des lignes de la main (chiromancie), des dés, des vases, des seaux, du fromage et du feu, et évoquaient les esprits. Artémidore[132] qui n’avait qu’une médiocre confiance dans les horoscopes et qu’un souverain mépris pour les espèces plus vulgaires de la divination, ne croyait, lui, qu’à l’interprétation des songes, aux présages fondés sils l’inspection du foie et des entrailles des victimes ; dans les sacrifices aux augures du vol des oiseaux et aux prophéties directement tirées désastres. C’étaient les devins de la rue qui apprenaient au cultivateur l’amélioration du temps[133] ou le résultat de la récolte, au marchand l’issue de l’affaire intéressante pour lui[134], à l’homme guettant un héritage l’époque de la mort du riche qui lui avait fait une part dans son testament. C’est même sur ce point que les astrologues étaient le plus consultés[135]. Des fiancés se faisaient indiquer par eux le jour le plus propice pour la noce ; des propriétaires disposés à bâtir le plus favorable pour la pose de la première pierre de leur maison, des voyageurs le moment de se mettre en route. On trouve dans Apulée[136] la mention d’une somme de 100 deniers (108 fr. 75 c.) payée pour honoraires d’une consultation de cette dernière espèce. Parmi les autres professions que mentionnent encore accidentellement les auteurs du temps, l’économie rurale et la navigation ne sauraient avoir occupé une grande partie de la population de Rome. Ce n’est pas que Columelle[137] ne célèbre l’agriculture comme la plus belle de ces professions, préférable à toutes les autres, parmi lesquelles il nomme l’état militaire, l’industrie maritime et le négoce, le prêt à intérêt, le barreau et la clientèle[138]. Signalons comme des emplois certainement très recherchés les fonctions subalternes du service auprès des magistratures et des sacerdoces[139]. Elles étaient toutes accessibles aux affranchis, qui en remplissaient la majeure partie. Tous ces emplois étaient donnés à vie et rétribués ; on se les procurait aussi par achat. Les crieurs et les messagers publics étaient les plus humbles de ces officiers subalternes ; les licteurs jouissaient déjà de plus de considération ; mais les mieux placés, sous le triple rapport du rang, de l’influence et de la rémunération, étaient sans contredit les commis (scribæ) des questeurs et des édiles curules. Les subalternes des degrés inférieurs joignaient souvent, accessoirement, à leurs fonctions l’exercice d’un métier ou d’un commerce. On trouve des licteurs et des messagers marchands d’habits, d’huile ou de perles, fondeurs de vases, etc. ; il y avait dans leurs rangs des gens qui n’étaient pas sans influence. A un licteur consulaire la corporation des pêcheurs et plongeurs du Tibre crut devoir ériger un monument, pour leur avoir procuré le droit de canotage[140]. On voit aussi figurer même parmi les chevaliers romains des fils de grands licteurs (lictores proximi). Quant aux commis des questeurs et des édiles curules, c’étaient, paraît-il, ordinairement des hommes de naissance libre. Après la guerre civile, Horace lui-même acheta une de ces charges, recherchées même par maint chevalier, comme nous l’avons déjà fait remarquer. La preuve de la considération qui s’attachait à ces places de commis résulte du fait qu’on en voit quelquefois les titulaires investis subsidiairement d’autres charges plus relevées, d’offices militaires et de sacerdoces. Avec la grande pratique des affaires acquise par eux dans un si long exercice de leurs fonctions, ils ne pouvaient manquer d’avoir beaucoup d’influence sur leurs chefs, qui changeaient tous les ans ; il est même certain que souvent les chefs d’emploi se reposaient entièrement sur leurs commis du soin des affaires de leur charge, et comme ceux-ci pouvaient alors prendre des arrêtés de leur autorité propre, notamment en matière de police des marchés et d’administration des caisses publiques, ils ne manquaient pas d’occasions de rendre service non seulement aux villes d’Italie, à celles du voisinage de la capitale surtout, mais à des villes de province plus éloignées même, qui, en témoignage de reconnaissance, leur conféraient souvent des offices honoraires et d’autres distinctions. C’est vers l’état militaire qu’il y avait peut-être le plus d’affluence d’hommes faits et de jeunes gens des rangs du peuple. La garnison de Rome, formée d’un corps de dix mille prétoriens, mais qui n’avaient pas tous leurs quartiers dans la ville même, et de quatre à six mille soldats des cohortes urbaines, se recrutait exclusivement parmi les hommes libres de naissance ; le corps, organisé militairement aussi, des pompiers (vigiles), fort d’environ sept mille hommes, qui faisaient en même temps le service du guet, pendant la nuit, et celui d’une troupe de police, parmi les affranchis. Les simples soldats de la garnison de Rome étaient supérieurs en rang à ceux des légions et mieux payés. Le temps de service était de vingt années dans les cohortes urbaines, de seize dans la garde prétorienne ; la solde, à ce qu’il paraît, de deux deniers par jour dans celle-ci et d’un denier dans celles-là. A cette paye venait s’ajouter l’aubaine de présents très considérables, dans les occasions extraordinaires, comme l’avènement d’un nouvel empereur au trône. Dans ces cas, les gardes recevaient toujours le plus. Ainsi, par exemple, sous Claude, chaque homme de ce corps, après avoir déjà reçu quinze mille sesterces à son avènement, recevait encore une gratification de cent sesterces à chaque anniversaire de cette solennité. L’attrait de l’état militaire n’était d’ailleurs pas seulement déterminé par la solde, la perspective de l’avancement et des honneurs militaires, ou le goût pour le métier des armes et l’éclat des armures, mais bien certainement aussi par la considération dont jouissait l’armée et son importance toujours croissante. Dans une de ses satires, Juvénal fait particulièrement ressortir, entre autres avantages de l’état militaire, l’impunité des violences du soldat à l’égard des gens du civil[141]. Un soldat avait-il frappé un homme en toge, celui-ci non seulement n’osait pas rendre le coup, mais ne se hasardait même pas à porter plainte en justice contre l’homme qui lui avait cassé une dent ou arraché un œil ; car, devant les tribunaux militaires, seuls compétents pour juger les délits des soldats, toute la cohorte prenait aussitôt fait et cause contre le plaignant, si bien que personne n’osait plus témoigner en faveur de ce dernier. Il était effectivement plus facile de trouver un faux témoin contre une personne du civil qu’un témoin- véridique contre un soldat. Dans les provinces, naturellement, la brutale arrogance des légions ne le cédait en rien à celle des gardes dans la capitale. Il y a dans l’Âne d’or, d’Apulée, un récit très caractéristique pour ces faits[142]. Un soldat légionnaire rencontre sur une grande route, dans la province de Macédoine, un jardinier monté sur un âne. Il lui adresse en latin, sur un ton plein d’arrogance et de superbe une question à laquelle l’autre, ne comprenant pas, est fort embarrassé de répondre. Le soldat, ne pouvant retenir l’insolence dont il était coutumier, suivant l’expression de notre auteur, assène aussitôt un grand coup de bâton sur la tête du jardinier, qu’il met en sang et jette à bas de son âne. Le jardinier s’excuse humblement. Le soldat, persistant dans sa violence, veut lui arracher son âne ; le jardinier a recours aux supplications, puis, le soldat n’y répondant que par des menaces brutales, se ranime, le jette à terre et le roue de coups à son tour, jusqu’à ce que son adversaire prend le parti de contrefaire le mort ; ne lui voyant plus donner aucun signe de vie ; l’autre lui enlève ses armes et se sauve dans la ville la plus proche ; où il se cache chez un ami. Le soldat arrive dans la même ville ; et somme ses camarades de le venger. Ils s’entendent pour accuser le jardinier, auprès des autorités, de s’être approprié un vase d’argent du gouverneur. On découvre sa retraite, et on le jette en prison, pour lui faire expier ses méfaits par le supplice. L’engagement dans la garde, le corps le plus favorisé,
était, comme il va sans dire, le plus recherché, mais aussi le plus difficile
à obtenir ; on n’y admettait probablement que des hommes d’élite, pour la force
et la taille, dont la mesure était fixée à Dans les commencements de l’empire, toute la garnison de
Rome était formée exclusivement de levées fournies par Rome et l’Italie[144] ; plus tard, on
recourut aussi, pour les compléter, à des provinces, telles que l’Espagne, Le sujet capable entrant au service comme simple soldat
terminait ordinairement sa carrière militaire par le centurionat, lorsqu’il
n’avait pas la chance plus rare d’avancer jusqu’au tribunat d’une légion ou à
la préfecture d’un détachement de cavaliers ; mais il ne pouvait jamais
monter plus haut. Cependant, même des hommes du troisième ordre réussissaient
aussi quelquefois, à la faveur de protections et de bonnes recommandations, à
se faire admettre d’emblée comme centurions dans l’armée, position déjà considérable
et très recherchée par conséquent[146]. De là on
pouvait, avec du bonheur, du mérité ou de la protection, s’élever par degrés
jusqu’à la dignité sénatoriale, bonne fortune qui parait toutefois avoir été
très rare dans les deux premiers siècles de l’empire, ou du moins il y avait
possibilité d’arriver à l’ordre équestre, et même, comme nous l’avons déjà
fait observer, d’atteindre aux plus hautes positions accessibles à des
chevaliers. Justus Catonius, centurion en premier dans une légion de
Pannonie, en l’an 14, mourut, en 43, gouverneur militaire de Rome[147]. Pertinax, qui
finit par être empereur, avait obtenu le centurionat par la recommandation du
consulaire Lollius Avitus, s’éleva promptement, après s’être distingué dans
la guerre contre les Parthes, à divers offices équestres de plus en plus
considérables, dans l’armée, la flotte et l’administration, et, par cette
filière, jusqu’à la dignité sénatoriale et au consulat[148]. Basseus Rufus
aussi, dont nous avons déjà mentionné l’humble naissance, et qui avait grandi
sans éducation, à l’époque des Antonins[149], commença sa
carrière comme centurion, devint tribun du corps des pompiers de Rome, et,
après avoir avancé jusqu’au tribunat d’une cohorte des gardes, successivement
procureur ; impérial en Espagne, dans le Norique, § 2.Enfin, il doit y avoir eu, à Rome, une masse de gens
vivant exclusivement ou subsidiairement, en y joignant le gagne-pain d’une
autre profession, de ce qu’on appelait des services de client[151]. Or cette
clientèle est un phénomène si caractéristique pour La diminution du nombre des petits propriétaires aisés, l’appauvrissement de la masse et la concentration : des fortunes dans les mains. d’une oligarchie, avaient opéré ce changement, sans doute. Dans les derniers temps de la république, la clientèle avait pourtant encore gardé quelque chose de son ancien caractère : témoin ce que rapporte Horace de la relation entre le consulaire L. Marcius Philippe et Voltéjus Ménas. Le premier attire le second, dont la manière d’être lui avait plu, dans sa maison, après des informations portant que c’était un homme de condition fort modeste, il est vrai, mais sans reproche, jovial du reste et de la société duquel un homme surchargé d’affaires pouvait se promettre un commerce agréable et du bon temps. Dans cet espoir, le consulaire fait de Ménas un commensal journalier et son compagnon de voyage, pendant qu’il s’applique à lui procurer, par une donation accompagnée d’un prêt, une existence modeste, mais bien assurée[152]. Cet intérêt personnel du patron pour le client, toutefois, et mutuel en tant que celui-ci le payait de retour, s’évanouit peu à peu, à mesure que le nombre des clients se multipliant dans chaque maison, des rapports plus superficiels s’établissaient entre eux et leur patron. On voyait se développer de plus en plus l’usage, de tradition républicaine, que tout homme de marque s’entourât d’une suite, dont la grandeur et l’importance répondissent à sa qualité et à sa fortune et missent, en même temps, celles-ci en relief ; d’une suite qui remplît chaque matin son atrium et lui fît partout escorte en public, en un mot destinée à rendre son apparition aussi imposante et brillante que possible. Comme, avec le temps, cet usage se généralisa tellement que tout homme dans les affaires, même avec peu de fortune, se voyait en quelque sorte obligé d’entretenir, dans l’intérêt du maintien de son crédit, un certain nombre dé clients, pour le cortége de sa chaise à porteurs[153], la clientèle, dès les premiers temps de l’empire, devint une condition pour vivre. Il arriva ainsi, avec la répugnance marquée des Romains pour les petites professions honnêtes, mais laborieuses, qu’une multitude d’indigents se mirent, pour un menu salaire, à la disposition des riches et des grands, dont ils formaient ou contribuaient à renforcer l’escorte ou la cour[154]. On leur accordait, pour une série déterminée de services, une indemnité fixe, consistant principalement en une pitance ou une pension alimentaire. Le mode de rémunération des clients est un point très difficile à résoudre et très mal éclairci, sur lequel on ne sait rien de bien positif pour les temps antérieurs au règne de Domitien. Les sportules qu’ils recevaient peuvent s’entendre de repas donnés ou de rations fournies en nature, aussi bien que d’une pension alimentaire, forme qui paraît avoir été substituée aux précédentes déjà du temps de Columelle, né au commencement du premier siècle de l’ère chrétienne, puisque cet auteur les appelle mercenarii salutatores et qualifie de quotidianum tributum leurs visites journalières, ou peut-être sous Néron, mais indépendamment de la fausse conclusion tirée par le savant Becker d’un passage de Suétone[155], passage qui s’applique uniquement aux festins publics ou banquets populaires organisés parla munificence des empereurs. On ne saurait donc fonder sur ces témoignages une affirmation générale du fait. Cependant la pension alimentaire ne devait pas, nécessairement, exclure quelques grands repas donnés, de temps en temps, pour régaler les clients en masse. Il est seulement certain qu’il y eut, sous Domitien, suppression temporaire du salaire en argent, rétablissement de l’usage de fournir aux clients la pension quotidienne en nature, ce qui faisait peu leur affaire, parce que la nourriture était généralement mauvaise, et qu’avec l’argent, qu’on leur donnait autrefois, ils, s’étaient arrangés de manière à fournir également à leurs autres besoins. Aussi, le bruit du retrait de ce salaire (sportularum fabula) et du mécontentement excité par la mauvaise chère qui le remplace, fait-il rebrousser chemin, dans Martial[156], à un pauvre hère qui, venu d’Espagne à Rome, dans l’espoir d’y trouver bonne aubaine, apprend au pont Milvien la terrible nouvelle ; mais la suppression fut courte et, dès avant la fin du premier siècle, la sportule en argent était redevenue le salaire régulier des clients[157]. Elle était ordinairement de 100 quadrants ou 10 sesterces par jour, eu voyage, quand, par exemple, le client suivait son patron à Bales, comme en ville. Elle parait avoir, cependant, varié quelquefois selon la qualité, la fortune du patron, ou la nature des services du client. Nombre de clients étaient aux gages. de plusieurs patrons ; mais beaucoup de ceux-ci payaient fort final[158]. Ce fut sans doute la concurrencé entre les clients qui déprima de plus en plus leur salaire, déjà si maigre, et rendit leur condition de plus en plus mauvaise en général. Au temps de Martial et de Juvénal, les clients se plaignaient de la lésinerie et de la dureté des grands, ainsi que des mauvais procédés de ces derniers à l’égard de leurs humbles amis[159] ; tandis qu’ils portaient aux nues la générosité et l’affabilité des Memmius et des Pison, des Cotta et des Sénèque du bon vieux temps[160] : avec raison ou à tort, comme ce n’est que trop souvent le cas dans ces jérémiades sur les temps passés ? point que nous ne déciderons pas, d’autant moins qu’à un contemporain de ces hommes, tant célébrés sous ce rapport, la situation des clients en général apparaissait déjà comme assez misérable[161]. Indépendamment de la rémunération régulière, qu’elle consistât en argent ou en nature, les clients avaient, nous le répétons, un casuel de bonnes aubaines de circonstance. Telle était, par exemple, la faveur d’une invitation à la table du patron, quand il y avait une place à donner dans un moment où il éprouvait quelque léger remords d’avoir longtemps et par trop négligé son pauvre client. Pareille récompense de longs services, plus commune autrefois, au temps d’Horace encore, était grandement appréciée de part et d’autre[162]. Les clients recevaient aussi parfois un cadeau, tel qu’un manteau usé, une toge déjà passée deux ou trois fois à la lessive, voire même quelques milliers de sesterces[163], ou quelques arpents de terre[164], comme récompense finale de services continués pendant de longues années. Le petit bien microscopique donné à Martial, et dont il nous a laissé la description[165], était probablement aussi le don de quelque patron. D’autres jugeaient plus utile à leurs intérêts de faire des vieux clients hors de service les inspecteurs de leurs biens, et parfois cette faveur tombait, comme dit Columelle[166], sur quelque mercenaire, qui se refusait à continuer son service quotidien, sans pourtant entendre goutte à l’affaire dont on lui confiait la gestion. Souvent le patron logeait le client gratis[167]. Il paraît que celui-ci pouvait aussi parfois compter encore sûr l’aide du patron, sous forme d’un prêt, d’Une caution, de l’assistance en justice, ou de sa protection dans d’autres cas, et n’était pas toujours déçu dans son attente[168]. Mais, à tout prendre, les ressources de la clientèle n’aboutissaient qu’à un bien maigre résultat. Beaucoup de clients n’étaient jamais nourris que d’espérances et de promesses, et pour deux ou trois que la visite de l’atrium d’un grand fait réellement vivre, dit Martial (III, 38, 11), il y en a une multitude que la faim rend blêmes. Le maigre salaire qui, comme on l’a vu, était, au temps de ce poète, habituellement de 10 sesterces par jour, devait être gagné par une suite de services pénibles, dont le plus fastidieux, mais le plus essentiel, était de faire chaque jour, avec l’aube, une visite au seigneur ou roi ; un atrium journellement rempli de monde étant, nous l’avons déjà fait remarquer, de rigueur pour l’air d’une maison respectable[169]. Les visites du matin se faisaient, en général, dans la première et la deuxième heure du jour. Mais, comme les clients étaient tenus d’être exacts, qu’ils aimaient mieux attendre à la porte que d’arriver trop tard et avaient, d’ailleurs, souvent un long chemin à faire, ils étaient ordinairement obligés de se mettre en route dans l’obscurité, dès avant le point du jour[170], et n’avaient même souvent pas le temps de dormir leur soûl, ni même de bien achever leur digestion[171]. Quand la lueur des astres commence à devenir incertaine, dit Juvénal (Sat., V, 19), le pauvre client s’arrache à son sommeil et s’habille avec tant de hâte qu’il oublie de nouer les cordons de ses chaussures, de peur que l’armée des visiteurs n’ait terminé son défilé avant qu’il arrive. Martial (X, 74) surtout ne tarit pas en plaintes à ce sujet ; il dit qu’il ne demande, pour prix de ses petits vers, que d’avoir la nuit pour dormir. L’impossibilité d’arriver à l’accomplissement de ce souhait, comme, en général, les tracas et les misères sans fin d’un service si mal rétribué, finit par le chasser de Rome. C’est dans son pays seulement qu’il retrouva du repos et du sommeil[172]. Une autre corvée, très incommode pour le client, résultait de l’étiquette, qui ne lui permettait de paraître devant son patron que dans le costume d’apparat et de fête des Romains, la toge, espèce de robe ou de manteau de drap très chaud et très lourd. De moins, en moins portée à Rome, depuis le commencement de l’empire, elle ne tarda pas à devenir le vêtement distinctif des clients, bien qu’elle formât, d’ailleurs, un article de dépense considérable pour des pauvres[173]. C’est dans cette tenue maudite qu’ils se mettaient ordinairement en course, comme nous l’avons dit, dès avant l’aube, alors qu’on ne voyait encore dans les rues que les boulangers, criant leurs pains, et leurs premiers chalands, les petits écoliers, se rendant à l’école[174], la lampe à la main, ou, par-ci par-là, un rôdeur de nuit, revenant de quelque orgie prolongée. Aucun temps ne dispensait le client de remplir ce devoir ; ni les sifflements de l’aquilon, ni la grêle, ne devaient le retenir, ni même la neige tombante, empêchement admis dans toute autre condition, pour excuser pleinement qui manquait de se rendre à une invitation acceptée[175]. Il y avait en outre la boue des rues[176], l’énormité des distances[177], d’autant plus que la plupart des clients avaient plusieurs visites quotidiennes à faire ; puis, quand les rues commençaient à s’animer de la bruyante agitation du jour, des obstacles à chaque pas, sans parler des dangers dont les piétons étaient menacés, notamment de la part des voitures pesamment chargées[178]. Le renouvellement quotidien de toutes ces tribulations devait, semble-t-il, suffire pour dégoûter bien des gens de ce genre de vie. Aussi, dans Martial (VII, 39), un client, fatigué de ces visites matinales de tous les jours, feint-il d’avoir la goutte. La visite ou salutation du matin était l’obligation la plus importante des clients. Aussi les appelait-on salutatores ou togati, d’après, leur costume ; mais la plupart d’entre eux étaient occupés de leur service une grande partie du joug, ou même jusqu’à la soirée, tenus, comme on l’a déjà dit, de faire cortège à leur maître, partout où il se produisait en public. Ils devaient précéder ou suivre sa chaise à porteurs ou sa litière[179], l’accompagner dans ses visites[180], finalement, peut-être même vers la dixième heure du jour, aux thermes d’Agrippa, tandis qu’eux-mêmes auraient été fort aises de prendre leur bain aux thermes de Titus, à une demi-heure de chemin de là[181]. Ils étaient chargés de lui frayer le passage dans la foule, au besoin même à l’aide de gros mots et de coudoiements[182]. Le patron allait-il à la campagne ou en voyage, ils étaient obligés de se tenir prêts à occuper la place vide dans sa voiture[183]. Lui plaisait-il de faire lecture des vers qu’il avait composés, ils donnaient, en se levant et par leurs gestes admiratifs, le signal des applaudissements à l’auditoire[184], comme les claqueurs de nos théâtres parisiens ; s’il parlait en justice, la cohue en toge éclatait encore en bravos[185]. Toujours dévoués et soumis[186], ils étaient là pour louer tout ce qu’il disait ou faisait, ce qui n’empêchait pas le patron, dans les grandes circonstances, d’enrôler encore d’autres claqueurs à gages, hors du cercle de ses clients[187]. Sénèque[188] raconte à ce sujet une anecdote assez piquante. Chez Célius, qui était extrêmement irascible dînait un jour un client d’une patience à tonte épreuve, lequel, à force de dire toujours oui, réussit à éviter toute dispute, jusqu’à ce que Célius lui-même, fatigué de cette approbation continuelle, finit par s’écrier : Contredis-moi donc une bonne fois, pour marquer au moins que nous sommes ici deux interlocuteurs ! Ajoutons que les services exigés des clients n’étaient pas toujours sans péril ; car ils durent parfois se prêter comme instruments à la perpétration de desseins et de complots qui, découverts ou déjoués, devenaient funestes à quiconque y avait participé. Ainsi Junia Silana obligea deux de ses clients, Iturius et Calvisius, à se porter accusateurs d’Agrippine ; mais, ce plan ayant échoué, tous les deux furent envoyés en exil[189]. Les clients avaient d’ailleurs à subir les plus grandes humiliations non seulement de la part de leur maître, mais aussi de celle de ses esclaves. Columelle[190] appelle leur métier l’oisellerie mensongère du visiteur à gages, qui voltige sur le seuil du puissant patron pour conjecturer d’après les on-dit comment a dormi son roi. Car à leurs questions, sur ce qui se passe dans l’intérieur du palais, les esclaves dédaignent de répondre, et souvent, repoussé par le chien de garde enchaîné à la porte, le pauvre client n’a d’autre parti à prendre que de rester couché la nuit devant cette porte inhospitalière. Les visiteurs avaient-ils une affaire pressante, pour laquelle il leur importait de ne pas se laisser éconduire par les prétextes ordinaires que le maître n’était pas à la maison[191], qu’il était à se faire raser ou occupé à recueillir solennellement la chevelure d’un esclave favori, auquel on venait de la couper pour la première fois : ils étaient obligés de recourir aux moyens de la corruption auprès de la domesticité et, de cette manière, maint tribut, prélevé sur le salaire durement gagné de clients beaucoup plus pauvres que ces petits-maîtres d’esclaves, venait grossir les épargnes de ceux-ci[192]. Même après avoir réussi à se glisser par la porte entr’ouverte[193], les clients avaient encore à surmonter, dans l’intérieur de la maison, l’insolence d’autres esclaves plus huppés, tels que l’huissier introducteur (nomenclator), ou le valet de chambre[194], pour arriver à être enfin reçus. Ordinairement, le. maître de la maison ne condescendait le matin qu’à prendre acte de la salutation de cette troupe de visiteurs, qu’on faisait défiler devant lui dans un ordre déterminé, et n’ouvrait pas même la bouche pour répondre à leurs compliments[195]. Que de personnages, dit Sénèque[196], encore tout endormis, par suite de la fatigue. d’une orgie de la veille, n’ouvriront qu’à demi les lèvres ; quand on leur aura soufflé mille fois le nom du visiteur, et n’apostropheront qu’avec des bâillements pleins de mépris ces malheureux, qui s’arrachent à leur propre sommeil, en attendant qu’un heureux de la terre ait fini le sien ! C’était déjà bien de la condescendance que le maître daignât seulement se rappeler le nom de son humble visiteur[197]. Le client, de son côté, ne pouvait se permettre d’aborder le patron qu’avec le plus profond respect, ni de l’appeler autrement que Seigneur et roi, s’il ne voulait pas s’attirer sa disgrâce et encourir la perte de la récompense espérée, comme on le voit par ces vers de Martial : Cura
te non nossem, dominum regemque vocabam, Nunc
bene te novi, jam mihi Priscus eris[198], Mane
salutavi vero te nomine casu, Nec
dixi dominum, Cæciliane, meum. Quanti
libertas constet mihi tanta, requiris ? Centum
quadrantes abstulit illa mihi[199]. De longues années de service n’apportaient pas le moindre changement dans ces rapports[200], et il n’était rien dont on se consolât, à Rome, plus facilement que de la perte d’un client[201]. Mais nulle part les clients n’étaient traités d’une façon
plus humiliante qu’à la table même de leur patron. Juvénal s’est étendu sur
la description d’un de ces repas, dans sa 5e satire. Il est
possible qu’il en ait trop chargé de couleurs certaines parties, mais la
concordance avec Martial et d’autres auteurs garantit la fidélité de
l’ensemble du tableau. En effet, dans beaucoup de maisons, les clients, de
même que les autres commensaux de condition inférieure, notamment les
affranchis, étaient, en tous points, autrement traités que le maître et les
convives ses égaux. Les mets, la boisson, le couvert et le service, tout
était différent pour les uns et les autres, et on n’épargnait rien pour faire
sentir aux clients, de toutes les manières, la distance entre eux et lés
invités auxquels on voulait faire honneur. Martial[202] revient
continuellement sur cette inégalité, que mentionne aussi Suétone, dans Le maître de la maison buvait dans des coupes précieuses ; mais si l’on en confiait une pareille au client, c’est qu’il y avait près de lui un gardien pour compter les pierres fines, dont elle était ornée, et regarder, sur les doigts du pauvre convive ; ou bien ce, dernier ne recevait qu’un vase en terre, quelquefois même fêlé. Tandis que la fleur de la jeunesse de l’Asie Mineure était affectée au service de la personne du maître, il faisait servir le client par quelque valet de pied africain, fin nègre à main osseuse, qu’on eût été fâché de rencontrer la nuit sur la grande route. C’est en vain que le pauvret appelle les esclaves ; ils sont ennuyés d’avoir à servir un vieux client, mécontents de le voir couché sur un sofa et se mêlant de leur donner des ordres, à eux, obligés de se tenir debout derrière lui. Ils lui présentent du pain moisi et dur comme la pierre, en réservant pour le maître le bon pain de froment, blanc et tendre. Le client ose-t-il toucher à ce pain, on lui dit : Veux-tu bien ne prendre, pour te garnir la panse, que ce qu’il y a dans ton panier ? Au maître on sert un poisson magnifique, avec des asperges de grosseur phénoménale et l’huile la plus fine, au client un mauvais poisson du Tibre et de l’huile qui sent la lampe. Il ne peut se permettre d’inviter le maître à boire ; pour peu qu’il ouvre la bouche, sans avoir été interpellé, il risque de se faire mettre à la porte ; mais il faut qu’il se prête, en toute circonstance, comme cible aux outrageants sarcasmes du maître de la maison et de ses convives[205]. Quelque grande qu’apparaisse déjà, dans ces relations, la distance entre les clients et le patron, elle ne fit qu’augmenter avec le temps, soit par suite de la concurrence, qui déprima la valeur des services de la clientèle, soit, particulièrement depuis le deuxième siècle, par l’influence toujours croissante des exemples de l’Orient, qui rendirent de plus en plus générale la servile humilité des petits, vis-à-vis des grands. Cependant la disparition de l’ancienne noblesse devait d’autant moins entraîner l’abandon des maigres avantages de la clientèle, qu’ils dérivaient non de la naissance, mais de la fortune du patron, et que, pour chaque famille qui s’éteignait, on envoyait, continuellement, surgir de nouvelles, non moins favorisées sous le rapport de la richesse, de l’influence et du rang. On ne saurait admettre que le nombre des familles sénatoriales, à Rome, ait été, au deuxième siècle et au troisième, moindre qu’au premier. Or l’affaiblissement de la clientèle, quoi qu’en ait dit le savant Marquardt, n’aurait pu résulter que du déclin de l’institution du sénat même, sans que nous prétendions dire, pour cela, qu’à aucune époque de l’empire tout, homme puissant et riche ne pût avoir de nombreux clients, sans être sénateur. Déjà dans Épictète, dont les mentions accidentelles de la salutation du matin[206] s’accordent entièrement avec celles de Martial et de Juvénal, on voit les grands de Rome se laisser baiser la main par des solliciteurs[207]. Les relations de Lucien ajoutent des traits nouveaux aux précédents, bien que les rapports de la situation des clients et leur manière de vivre n’eussent pas sensiblement changé, quant au fond. D’après lui encore, ils se lèvent à minuit, courent par toute la ville, sont éconduits à la porte du maître par des esclaves et obligés de se laisser appeler chiens, flatteurs, etc.[208] Mais les réceptions des grands de Rome, décrites dans Nigrin, portent déjà un fort cachet oriental[209]. Ils se pavanent dans des vêtements de pourpre, étendent les doigts, pour faire voir leurs bagues, et font généralement étalage d’une pompe outrée et sans goût. Ceux qui les approchent doivent s’estimer trop heureux d’avoir obtenu la faveur d’un regard muet du maître et d’une parole de quelqu’un de sa suite, se chargeant de suppléer à son silence. Les plus orgueilleux de ces patrons souffrent même que l’on se prosterne devant eux, à peu près comme c’était la mode chez les Perses ; ils tiennent à ce que l’on s’incline de loin dès qu’on les aperçoit, en signe d’humilité, et que le corps en témoigne par une attitude conforme ; il est de rigueur qu’on leur baise la poitrine ou la main droite, faveur enviée par, tous ceux qui n’en sont pas honorés. La récompense de toutes ces bassesses, dont l’usage paraît s’être maintenu, d’après Ammien Marcellin[210] et Claudien[211], jusque dans les derniers temps de l’empire, était quelque régal ignominieux, dans lequel les convives, souvent obligés de s’enivrer, malgré eux, et amenés à divulguer leurs secrets dans la jaserie de l’ivresse, rentraient finalement chez eux avec des imprécations contre le festin, la lésinerie de l’hôte et les mépris dont on les avait accablés. On les voyait se soulager, aux coins des rues, de ce qu’ils avaient bu et mangé de trop, ou s’engager dans des rixes devant des maisons mal famées. Le lendemain, ils étaient alités pour la plupart et obligés de faire venir le médecin, ceux du moins qui avaient le temps d’être malades, loisir qui n’était pas donné à tous. La plupart des gens qui se prêtaient à cette indigne obséquiosité étaient, il est vrai, de basse condition, des gens à manteaux troués, comme dit Juvénal (V, 130). Parmi eux on remarquait, au commencement de l’empire, aussi des soldats. Il fallut que Claude leur défendît expressément d’aller faire leurs salutations dans les maisons sénatoriales[212]. Cependant il paraît, d’après Lucien[213], que, même de son temps, des soldats figuraient encore dans ces visites. Mais, en outre, bien des gens, qui avaient vu des jours meilleurs, étaient obligés par des revers dé fortune à se réfugier dans la clientèle, pour vivre. On voyait même des hommes bien élevés, comme Martial et l’auteur de l’apologie envers de Pison, réduits par l’indigence à se mêler à la troupe grossière faisant le service de clients, dans les grandes maisons. Nous pouvons en croire l’apologiste de Pison, quand il nous dit que celles où l’on s’appliquait à ne choisir pour clients que des hommes ayant reçu de l’éducation, étaient d’heureuses exceptions, parmi lesquelles il compte tout d’abord la maison de son protecteur. Tous les adhérents de celui-ci étaient versés dans quelque art, ou quelque science, et toujours pleins du désir de s’instruire. Pison ne se serait point accommodé d’une vile troupe de clients balourds et grossiers, ne sachant faire autre chose que courir en avant de leur maître et lui faire place dans la foule. Aussi, sa maison n’était-elle pas de celles où l’on dédaignait l’ami humble et foulait orgueilleusement aux pieds le client. La clientèle avait d’ailleurs ses inconvénients pour les patrons aussi, surtout dans les premiers temps, où les clients étaient encore un peu plus que des gens d’escorte salariés. A plus d’un maître, le va et vient continuel de cette tourbe ne laissait aucun moment de loisir ; le patron, suivant la maxime d’Horace[214], se sauvait par une porte de derrière, pendant que les clients attendaient dans l’atrium, ce que Sénèque[215], toutefois, trouvait plus inhumain que de les renvoyer simplement. Les clients importunaient sans cesse le patron de plaintes au sujet de leurs affaires, ou de leurs supplications de mendiants[216] ; par leurs cancans, ils ébruitaient les secrets de sa maison[217] ; à sa table, ils se comportaient mal ; souvent même il s’élevait des rixes entre eux et les affranchis[218]. Aux Saturnales et au nouvel an, ils apportaient de petits cadeaux, tels que des serviettes ; de petites cuillers, des bougies de cire, du papier, une corbeille, avec des prunes de Damas ; mais ce n’étaient là, comme dit Martial (V, 18), que des hameçons, avec lesquels ils espéraient pêcher des dons plus considérables. Le pauvre, ajoute le même poète (V, 19, 14), ne saurait être plus généreux, avec son ami riche, qu’il l’est en ne lui faisant jamais de cadeau. Souvent toutefois, les présents faits en retour ne répondaient pas à l’attente des clients ; il était rare qu’un patron fît sonner pour eux ses pièces d’or. Au lieu d’une quittance de son loyer annuel, dont il espérait la remise, le client ne recevait parfois qu’un flacon de vin, un lièvre ou une pièce de volaille[219]. Les esclaves, de leur côté, détournaient beaucoup, ou bien ils venaient en troupe apporter les cadeaux et demander chacun un pourboire[220]. Huit porteurs trapus, raconte Martial (VII, 53), avaient, à l’occasion des Saturnales, remis chez lui fine foule d’objets ne valant guère ensemble plus de 30 sesterces ; un seul aurait été bien moins en peine de lui porter cinq livres d’argent. Du reste, le pauvre était tenu de s’extasier sur le cadeau du riche, tandis que sa propre offrande n’était que trop souvent dédaigneusement jetée à l’écart. Au sujet de ces fêtes, pendant lesquelles il était d’usage de régaler les clients en corps, Lucien reproduit, presque mot pour mot, le chapitre des lamentations de Juvénal sur la manière indigne dont les clients étaient traités et servis, à la table du patron ; seulement il reconnaît qu’eux aussi, par leur conduite, donnaient fréquemment sujet à des plaintes[221]. L’emploi du mot Domine, Seigneur, — que l’usage du théâtre classique, depuis le siècle de Louis XIV, a rendu familier aux oreilles françaises —, était surtout de rigueur, pour accentuer le profond respect que les clients ne devaient jamais manquer de témoigner à leurs patrons, en leur adressant la parole. Si personne n’en a fait mention avant Martial, cela tient uniquement, sans doute, à ce que personne ne s’était encore étendu comme lui sur toutes les particularités de ces relations ; car nous voyons déjà le patron qualifié de roi dans Horace[222] et dans Columelle[223]. § 3.Il importe de rappeler ici une dernière fois, avant de conclure, que la population de Rome était devenue, dans toute la force du terme, un amalgame de toutes les nationalités, surtout par suite de l’introduction continuelle d’une masse d’esclaves, amenés dans la capitale de toutes les parties de l’empire, comme des pays barbares, et que l’affranchissement de beaucoup d’entre eux poussait, chaque année, par milliers dans les rangs du troisième ordre. Encore aujourd’hui, les tombes d’affranchis forment
l’immense majorité des tombes qui bordent, des deux côtés, les voies
militaires aux portes de Rome. Une mesure d’Auguste, limitant au maximum,
assez large comme on voit, de cent le nombre des esclaves auxquels un
particulier pouvait donner la liberté par son testament, fait juger des
proportions qu’avait gagnées, dès lors, ce mouvement d’émancipation, qu’il
n’entendait favoriser d’aucune manière. Il faut tenir compte ensuite de l’immigration,
continuelle aussi, d’une multitude de sujets libres de toutes les provinces,
mais particulièrement de celles du midi et de la partie orientale de
l’empire, dont les flots inondaient Rome et y disputaient, de plus en plus,
le terrain aux enfants de la capitale. Rome, d’après les plaintes de ces
derniers, au commencement du deuxième siècle de notre ère, était devenue une
ville grecque. Cependant la moindre partie de ces intrus de langue hellénique
étaient réellement originaires de Précisément les affranchis d’origine étrangère étaient souvent en possession de grandes richesses, acquises par eux, soit au service des grandes maisons[226], où notamment les Grecs et les Orientaux savaient se rendre indispensables, ainsi que se faire aimer ou craindre, soit dans des entreprises industrielles et mercantiles, affaires en grande partie concentrées dans les mains de ces fils actifs et adroits des pays du Levant. L’opulence des affranchis, on le répète, était devenue proverbiale, dès le commencement de l’empire[227]. Les miroirs devant lesquels se paraient leurs filles coûtaient plus d’argent que n’en avaient reçu en dot de l’État, dans les anciens temps, les filles des hommes ayant le mieux mérité de la patrie[228]. Par leur luxe sybaritique, les affranchis rivalisaient avec les plus grands et les plus nobles personnages ; ce que Sénèque (Lettres, 86, 7) dit des bains des affranchis le prouve. La trivialité de leurs mœurs, la bassesse de leurs sentiments, leur ignorance et leurs façons brutales provoquaient d’autant plus la risée et le mépris. Eux, autrefois élevés dans la crainte du fouet, qui avaient dû s’appliquer à dissimuler, à l’aide de mouches, les vestiges de stigmates antérieurs, ou les faire extirper de leur épiderme par des médecins discrets[229], trouvaient maintenant leur plus grande jouissance à faire sentir à d’autres, valant mieux qu’eux, tout le poids de leur orgueil de parvenus. Le riche affranchi était, à cette époque, le véritable type du parvenu commun, effronté, vantard, comme le Zoïle dont Martial a fait le représentant de cette classe à Rome, ou le Trimalchion de Pétrone dans la colonie. Le premier porte à ses doigts des bagues presque aussi lourdes que les anneaux qu’il avait naguère à ses jambes ; il fait le malade, uniquement pour se donner la satisfaction de montrer aux personnes qui viennent le voir les coussins ; recouverts de housses de vraie pourpre et d’écarlate, qu’il a fait venir d’Égypte ; il change de toilette onze fois pendant un repas ; il se régale des mets et des vins les plus exquis, pendant qu’il fait servir à ses convives les plats les plus ordinaires, avec un vin détestable ; s’il s’endort à table, ils sont obligés d’écouter ses ronflements, dans un respectueux silence, et ne peuvent s’inviter à boire que par signes[230]. Le pouvoir de leurs confrères à la cour ne contribua pas peu, sans doute, à relever la haute idée que ces gens avaient d’eux-mêmes, une partie de l’éclat de ce pouvoir se réfléchissant sur la classe entière. Aussi n’était-il pas rare que leurs fils et petits-fils, comme on l’a déjà fait remarquer, s’élevassent aux plus hautes positions des deux ordres supérieurs. Déjà du temps de Néron, beaucoup de familles équestres, et même des familles sénatoriales, descendaient de pareils ancêtres. Mais à côté de ce plat orgueil, dont faisaient parade de ci-devant esclaves enrichis, on trouvé aussi parfois l’expression d’une fierté plus noble, chez l’homme libre, né dans une humble sphère, mais capable et ayant pleine conscience de sa force, vis-à-vis d’une aristocratie inepte et corrompue. Les danses et les chants impudiques de l’Espagne, dit Juvénal (XI, 162-176), ne sont pas à leur place dans nue maison modeste, mais bons pour les somptueux palais des riches. Les dés et l’adultère, regardés par les petits comme infâmes, sont chez les grands comme des brevets d’amabilité et de savoir-vivre. Dans le plus bas peuple, dit le même poète, vous trouverez des hommes diserts ; ce sont eux qui conduisent les procès du noble ignorant ; du peuple sortent ceux qui débrouillent les écheveaux du droit et les énigmes des lois, ainsi que la jeunesse exercée au métier des armes, toujours prête à courir sur l’Euphrate, ou à se ranger autour des aigles qui surveillent les Bataves domptés ; tandis que ceux qui n’ont à faire valoir d’autres titres que leur incommensurable généalogie d’aïeux, ressemblent à des statues sans bras, comme celles d’Hermès (VIII, 39-55) ; c’est que, dans les hautes positions, le bon sens est rare (VIII, 73). Mais par quels degrés s’opéra l’élévation progressive de ces éléments plus vigoureux des couches inférieures de la population, pendant que, d’un autre côté, les éléments énervés des classes supérieures descendaient peu à peu jusqu’au fond ? Comment et par quelle suite ininterrompue de vicissitudes et de transitions les trois ordres parvinrent-ils à s’absorber ainsi, jusqu’à un certain point, mutuellement et à tour de rôle ? Voilà ce que l’incohérence des faibles données qui nous ont été transmises sur l’état social de cette époque ne permet de reconnaître que d’une manière très imparfaite. |
[1] Quintilien, I, 12, 17 : Dicant sine his multi et æquirant, dum a locupletior aliquis sordidæ mercis negotiator et plus voci suæ debeat præco.
[2] Ou, si l’on veut, des pompes funèbres, Libitina (voir plus haut, et Juvénal, III, 31, etc.). Dans le personnel de cette entreprise (libitinarii), on distinguait les dissignatores, ordonnateurs des funérailles et maîtres des cérémonies, comme aussi des præcones, hérauts. Tous les officiers des pompes funèbres étaient, d’après la table héracléenne, exclus des offices municipaux.
[3] Juvénal, ibid., 38 : Conducunt foricas. — Voir aussi ibid., VII, 4, et, sur les foricarii, Cujas, Observ., 22-34.
[4] Juvénal, III, 33 ; VII, 5, etc.
[5] Prolégomènes, chap. XIV, éd. Kuhn, I, p. 38.
[6] Horace, Satires, I, 7, 55, etc. — Martial, I, 85. — Josèphe, XIIX, 1, 18. — Cependant il paraît qu’elle ne l’était encore que médiocrement du temps d’Horace, qui dit ailleurs (Sat., I, 6, 86) :
Si prœco parvas aut, ut fuit ipse, coactor
Mercedes sequerer. . . . . .
Les coactores argentarii se chargeaient, à leur risque et péril, du recouvrement des fonds et des payements dans les ventes publiques (Digeste, XL, 7, 40, § 8 : Argentarius coactor, quum pæne totam fortunam in nominibus haberet), et cela moyennant une commission d’un pour cent en sus du prix de la vente (Cicéron, Pro Rabir., 11, 30).
[7] Lucien, Somn., 1.
[8] Prolégomènes, chap. XIV, éd. Kuhn, I, p. 38.
[9] Pline le Jeune (Lettres, IV, 13) dit, au sujet d’une cotisation entre les familles intéressées, pour la rétribution d’un professeur, dans la ville de Côme, où il n’y en avait pas encore : Totum enim pollicerer, nisi timerem, ne hoc munus meum quandoque ambitu corrumperetur, ut accidere multis in locis video, in quibus præceptores publice conducuntur (Il n'y a qu'un remède à ce mal, c'est de réserver aux parents seuls le choix des maîtres, et de leur inspirer en outre le scrupule d'un choix judicieux en les obligeant à apporter leur contribution).
[10] Digeste, L, 4, 18, § 30 : Magistris qui civilium munerum vacationem habent, item grammaticis et oratoribus et medicis et philosophis ne hospitem reciperent, a principibus fuisse immunitatem indultam et Divus Vespasianus et Divus Hadrianus rescripserunt.
[11] Ibid., XXVII, 1, 6, § 2.
[12] IV, 1 ; V, 4 ; VI, 17 XIV, 5 et 10 ; XV, 9 ; XX, 10.
[13] Silves, V, 3, 176, etc.
[14] Quintilien, I, 2, to : Nam optimus quique præceptor frequeutia gaudet ac majore se theatro dignum putat, at fere minores ex conscientia suæ infirmitatis hærere singulis et officio fungi quodammodo prædagogorum non indignantur (Car tout bon maître aime un nombreux auditoire, et se croit digne d'un grand théâtre ; tandis que d'ordinaire les hommes médiocres, par la conscience qu'ils ont de leur faiblesse, s'accommodent assez d'un seul élève, et descendent volontiers au rôle de pédagogues).
[15] Suétone, César, chap. XLII. — Le même, Auguste, chap. XLII (peregrinosque omnes, exceptis medicis et professoribus (il chassa tous les étrangers, à l'exception des médecins et des professeurs)).
[16] Suétone, Grammairiens illustres, 19, etc. ; 23, 9, 24, 22 et 18.
[17] Voir sa biographie, chap. I.
[18] O rem indignissimam ! et quam æquo istud fers animo ; sedere in scholis et pueris præcipere ! (Fragment d’Annius Florus, dans Jahn, Florus, p. 43.)
[19] Quam imperatorium, quam regium est sedere a suggestu præcipientem bonos mores et sacrarum studia litterarum, etc. Ibid., p. 44.
[20] Juvénal, VII, 222 ; etc.
[21] Colloq. scholast., p. 426.
[22] Suétone, Grammairiens illustres, 9.
[23] Martial, X, 62, 12 : Æstate pueri, si valent, satis discunt (si les enfants se portent bien l'été, ils en savent assez).
[24] De merc. cond., 35 et 38.
[25] Lucien, l. c., 17. — Juvénal, III, 69, etc.
[26] VII, 243 (Scholies).
[27] Suétone, Grammairiens illustres, 3.
[28] Digeste, XVII, 2, 71 : Duo societatem coierunt ut grammatica docerent, et quod ex eo artificio quæstus fecissent, commune eorum esset.
[29] Suétone, Grammairiens illustres, 17.
[30] Suétone, Grammairiens illustres, XXIII.
[31] Suidas, Épaphrodite.
[32] Suétone, Grammairiens illustres, XX.
[33] Pétrone, Satiricon, IV. — Quintilien, II, 4, 16.
[34] Juvénal, VII, 213.
[35] Tacite, Dialogue sur les Orateurs, chap. XXIX.
[36] Juvénal, Sat. VII, 157, 203.
[37] Le même poète (Ibid., 217) dit de la rétribution de ces derniers :
Quodcunque est minus est autem quam rhetoris
æra.
(ce pauvre salaire, plus pauvre que celui du rhéteur)
[38] Ibid., 186, etc.
[39] Vie d’Antonin le Pieux, chap. XI : Rhetoribus et philosophie per omnes provincias et honores et salaria detulit (Il accorda dans toutes les provinces des honneurs et des traitements aux rhéteurs et aux philosophes).
[40] Orelli, 946.
[41] Henzen, 6931.
[42] Juvénal, VII, 186.
[43] Tacite, Annales, XV, 71 : Verginium Flavum claritudo nominis expulit, nam studia juvenum eloquentia fovebat (Virginius dut son bannissement par ses leçons d'éloquence, qui entretenaient parmi les jeunes gens une émulation suspecte).
[44] Sénèque, Controverses, II, préface, p. 116, éd. Bursian : Habuit et Blandum rhetorem præceptorem qui eques romanus (primus ?) Romæ docuit. Ante illum intra libertinos præceptores pulcherrimæ disciplina continebantur et minime probabili more turpe erat docere quod honestum erat discere.
[45] Vies des sophistes, I, 22, p. 224, et II, 32, p. 273, etc. ; éd. Kayser.
[46] II, 64.
Indécis sur le choix où tu dois t'arrêter,
Avocat ou rhéteur, quel parti vas-tu prendre ?
A suivre une carrière on te voit hésiter,
Quand il serait pour toi plus que temps de
quitter.
Taurus, crois-moi, c'est trop attendre...
[47] Quintilien, XII, 11, 4.
[48] Quintilien, XII, 3. — Tacite, Dialogue sur les orateurs, chap. XXXI et XXXII.
[49] Quintilien, XII, 3, 9.
[50] XII, 72, 3 : Tu quittes Rome, le barreau, ton vrai patrimoine, et les minces mais sûrs profits de ta robe usée. Homme de loi, tu vendais couramment froment, millet, orge, fèves. Aujourd'hui, cultivateur, tu les achètes.
[51] Tacite, Annales, XI, 7 : Cogitaret plebem, quœ toga enitesceret (Que sera-ce du peuple, s'il en est dans cet ordre qui se distinguent au barreau ?).
[52] Satire VIII, 47 : . . . . . . c'est au fond de la plèbe que tu trouveras le citoyen éloquent, celui qui défend en justice le noble inculte ; il sortira de la plèbe méprisée, le juriste capable de deviner les énigmes des lois.
[53] Satiricon, c. 46.
[54] Tacite, Dialogue sur les Orateurs, chap. IX, XI, XIII.
[55] Ibid., chap. VI, VII.
[56] Sénèque, De ira, III, 37.
[57] Martial, I, 17, 76 ; II, 30 ; VIII, 16, 17.
[58] Quintilien, XII, 7, 10.
[59] Juvénal, VII, 122.
[60] Martial, IV, 46 ; X, 87 ; III, 38, 5.
[61] Colloq. schol. Labb. Gloss. II, p. 427. — Sur les actions en recouvrement d’honoraires, voyez Digeste, L, 13, 1, § 10-13.
[62] Juvénal, VII, 105-149.
[63] Quintilien, XII, 8.
[64] Tacite, Dialogue sur les Orateurs, chap. XXVI.
[65] Quintilien, XI, 3, 131. — Pline le Jeune, Lettres, II, 14, 4. — Juvénal, XIII, 29-31.
[66] Quintilien, XII, 8, 3.
[67] Juvénal, VII, 129, 147, etc.
[68] Quintilien, XII, 1, 25 ; 7, 7.
[69] Quintilien, XII, 7, 11.
[70] VIII, 17 : J'ai plaidé ta cause au prix convenu de deux mille sesterces, Sextus : combien m'en as-tu envoyé ? - Mille. - Et pourquoi ? - Tu as fort mal plaidé et, de plus, tu as perdu ma cause. - Raison de plus pour me bien payer, Sextus ; car tu dois me payer ma honte.
[71] Sénèque, Lud., 12, 3, 54 : O causidici, venale genus.
[72] Tacite (Annales, XI, 5) dit de ce temps : Nec quicquam publicæ mercis tam venale fuit quam advocatorum perfidia (Nulle marchandise publiquement étalée ne fut plus à vendre que la perfidie des avocats).
[73] Quintilien, XII, 9, 10 et 8. — Pline le Jeune, Lettres, IV, 8.
[74] Quintilien, XII, 9, 9 : Ea est enim prorsus canina, ut ait Appius, eloquentia (En effet, c'est, comme dit Appius, ravaler l'éloquence jusqu'au cynisme) .... — Columelle aussi (I, préface) appelle la cauisidicina (basoche) caninum studium. — Voir aussi Lucien, Le Pêcheur, 29, et Ammien Marcellin, XXX, 4, qui a longuement fait le portrait des avocats, de son temps.
[75] Digeste, XXXVIII, 1, 26 : Medicus libertus quod putaret, si liberti sui medicinam non facerent, multo plures imperantes (ce qui doit s’entendre, sans doute, des pratiques, aux ordres desquelles se trouve le médecin) sibi habiturum, postulabat ut sequerentur se neque opus facerent, id jus est necne ? Respondit jus esse dummodo liberales operas ab iis exigeret, hoc est ut acquiescere eos meridiano tempore et valetudinis et honestatis suæ rationem habere sineret.
[76] Code de Justinien, VII, 7, 1, § 5 ; VI, 43, 3. — Voir aussi Gaupp, De professoribus et medicis, p. 16.
[77] Suétone, César, chap. LXII. — Auguste, chap. LXII.
[78] Hist. nat., XXIX, 17 : Solam hanc artium græcarum nondum exercet romana gravitas in tanto fructu ; Quiritium paucissimi attigere et ipsi statim ad Græcos transfugæ.
[79] Ibid., XXVI, 3 : Advenerantque ex Ægypto genitrice talium vitiorum medici hanc solam operam adferentes magna sua præda.
[80] Lucien, Tragodop., 265. — Voir aussi Galien, éd. Kuhn, XIV, p. 389 (de parabilibus).
[81] Pline, Hist. nat., XXIX, 17.
[82] I, 30 ; VIII, 74 ; I, 47.
[83] Galien, De libr. propr., proœmium, éd. Kuhn, XIX, p. 9.
[84] Le même, Comm. in Hippocr. epid., IV, 9, éd. Kuhn, XVII, 2, p. 146.
[85] Le même, De meth. med.
[86] Vie d’Apollonius de Tyane, VII, 349, éd. Kuhn, p. 162.
[87] V, 9 : J'étais indisposé : tu vins chez moi, Symmachus, accompagné d'une centaine de tes élèves. Cent mains glacées par l'Aquilon me touchèrent : je n'avais pas la fièvre, Symmachus, je l'ai maintenant.
[88] Galien, in Hippocr. epid. VI comm., V, p. 507, éd. Kuhn, XVII, 2, p. 229.
[89] Orelli, 4230, 4231.
[90] Martial, XI, 71.
[91] Digeste, L, 13, 1, § 3 : Medicos fortassis quis accipiet etiam eos qui alicujus partis corporis vel certi doloris sanitatem pollicentur, ut puta si auricularius, si fistulæ, vel dentium. — Scribonius Largus, c. 5, 38 (à C. Jules Calliste) : Non præterit me, habere te prudentes ocularios.
[92] X, 56, 3 : Cascellius arrache ou guérit une dent qui fait mal ; tu brûles, Higinus, les poils qui incommodent la vue ; Fannius relève, sans la couper, la luette relâchée ; Éros efface les stigmates des esclaves ; Hermès passe pour le Podalire de ceux qui ont des hernies ; apprends-moi, Gallus, quel est celui qui guérit les éreintés.
[93] Galien, Meth. med., VI ; éd. Kuhn, X, p. 454, etc.
[94] Hist. nat., XXVI, 4 : Certum est Manilium Cornutum e prætoriis, legatum Aquitanicæ provinciæ, HS CC, elocasse in eo morbo (lichene) eurandum sese ; puis Ibid., XXIX, 29 : Notum est ab eodem Charmide unum ægrum ex provincialibus HS ducentis re (?) conductum.
[95] De prænot. ad Epig., p. 458, éd. Kuhn, XIV, p. 647.
[96] Pline, Hist. nat., XXIX, 8, 9.
[97] Ibid., 22.
[98] Ibid., 21 : Ne avaritiam quidem arguam rapacisque nundinas pendentibus fatis. — Digeste, L, 13, 3 : Si medicus, cui curandos suos oculos qui iis laborabat, commiserat, periculum amittendorum eorum per adversa medicamenta inferendo compulit, ut ei possessiones suas contra fidem bonam æger venderet (!), incivile factum prætor provinciæ coerceat, remque restitui jubeat. — Code Théodosien, XIII, 3, 8 : Quos (archiatros) ea patimur accipere, quæ sani offerunt pro obsequiis, non ea quæ periclitantes pro salute promittunt. Voir aussi Code de Justinien, X, 52, 9.
[99] Épictète, III, 10, 15 et ailleurs. — Celse, V, 20, 1 : Histrionis est parvam rem attollere, quo plus præstitisse videatur.
[100] Galien, De theriac. ad Pamphiliana, p. 471 ; éd. Kuhn, XIV, p. 305.
[101] Plutarque, De adulat. et amico, 32, p. 70.
[102] Épictète, III, 23, 30.
[103] Lucien, Adversus indoctos, 29.
[104] Pline, Hist. nat., XXIX, 24 et 28.
[105] Scribonius Largus, c. 23, 97 : Ad lateris dolorem compositio mirifica, non ignorata quidem ab antiquioribus propter effectus, sed præcipue a Pacchio Antiocho, auditore Philonidis Catinensis, usu illustrata. Fecit enim magnos quæstus ex ea propter crebros successus in vitiis difficillimis. Sed ne hic quidem ulli, se vivo, compositionem dedit. Post mortem autem ejus Tiberio Cæsari per libellum scriptum ad eum ex bibliothecis publicis posita venit in manas nostras, quam antea nulle modo extrahere potuimus, quamvis omnia fecerimus, ut sciremus quæ esset. Ipse enim cluses componebat, nec ulli, suorum committebat ; plura enim quam recipit ipsemet contundi jubebat pigmenta fallendi suos causa. — Voir aussi Lucien, Tragodop., 270.
[106] D’après Grotefend, Philol., XIII, 122.
[107] Hist. nat., XXIV, 108.
[108] De comp. med. sec. gen., III, 2, K., XIII, 571. — Voir aussi De antid., 424, K, XIV, 7.
[109] Martial, X, 56, 6.
[110] Pline (Hist. nat., XXIX, 20) dit : Quid enim venenorum feracius aut unde plures testamentorum insidiæ ? — Galien, De facult. simpl., X, 131, éd. Kuhn, XII, 251, etc.
[111] Galien, De theriac. ad Pisonem, c. 2, éd. Kuhn, XIV, 216.
[112] Le même, De antidotes ; I, 6, éd. Kuhn, XIV, 32.
[113] Voir Pline (Hist. nat., XXIX, 20) et Martial (VI, 31) ; qui n’a pas rougi de dire :
Uxorem, Charideme, tuam scis ipse sinisque,
A medico futui : vis sine febre mori.
(Ta femme a pour amant ton médecin ; tu le sais, Charidemus, et tu le souffres : tu veux mourir sans fièvre).
[114] Galien, De prænot. ad Epig., p. 460, K., XIV, 660.
[115] Ibid., p. 454, K., XIV, 621.
[116] Ibid., p. 451, K., XIV, 602 ; voir aussi De libr. propr., 362, K., XIX, 15.
[117] Galien, In Hippocr. epidem. comm., IV, 9, éd. Kuhn, XVII, 144, etc. ; De meth. med., I, 1, éd. Kuhn, X, p. 4.
[118] Pline, Hist. nat., XXIX, 2 : Mirumque et indignum protinus subit, nullam artium inconstantiorem fuisse aut etiam nunc sæpius mutari.
[119] Ibid., 10. — Sénèque, Lettres, 53 et 83.
[120] Pline, Hist. nat., XXVI, 12, etc.
[121] Pline, Hist. nat., XXVI, 18.
[122] Cependant Ulpien, liv. VIII, de omnibus tribunalibus (Digeste, L, 13, 1, § 3), dit qu’un médecin n’est plus à considérer comme tel, si incantavit, si imprecatus est, si, ut vulgari verbe impostorum utar, exorcizavit. Non sunt ista medicinæ ; genera, tametsi sunt qui hoc sibi profuisse cum prædicatione affirment.
[123] Josèphe, Antiquités Judaïques, VIII, 2, 5.
[124] Pline, Hist. nat., XXIX, 9. — Voir aussi les Prognostica de decub. ex math. scientia, faussement attribués à Galien, dans celui-ci, éd. Kuhn, XIX, 529.
[125] Juvénal, VI, 553, etc.
[126] Suidas et Casaubon à Suétone, Claude, chap. XL.
[127] Juvénal, III, 41. — Ammien Marcellin, XXII, 16, 18, etc.
[128] Chaldæorum arte famosus eoque multorum amicitiis innexus.
[129] Tacite, Annales, XVI, 14.
[130] Quintilien (
[131] Lobeck, Aglaoph., p. 253. — Horace, Sat., I, 6, 141. — Juvénal, VI, 588.
[132] Onirocr., II, 69.
[133] Columelle, XI, 2, 31 : In iis libris quos adversus astrologos composueram exigebatur id quod improbissime Chaldæi pollicentur, ut certis quasi terminis ita diebus statis æris mutationes respondeant.
[134] Pétrone, Satiricon, c. 76.
[135] Apulée, Apol., 553. — Lucien, Dialogues des morts, II, 1. — Galien, De prænot. ad Epig., p : 451, éd. Kuhn, XIV, 604.
[136] Métamorphoses, II, 28, etc.
[137] Voir sa préface, 1.
[138] Militia, mare et negotiatio, fœneratio, causidicina, clientela. — On lit dans Pétrone (Satiricon, c. 83) :
Qui pelago credit, magno se fœnore tollit,
Qui pugnas et castra petit, præcingitur auro.
Juvénal de son côté (VII, 32, etc.) dit :
. . . . . . . . . . Dum defluit ætas
Et pelagi patiens et cassidis atque ligonis.
[139] Mommsen, De apparitoribus magistratuum Romæ.
[140] Gruter, 391, 1.
[141] Juvénal, Satires, XVI, 7-34.
[142] Métamorphoses, IX, p. 203, etc.
[143] Dosithée, Adriani sent., § 2.
[144] Tacite, Annales, IV, 5 : Tres urbanæ, novera prætoriæ cohortes, Etruria ferme Umbriaque delectæ, aut vetere Latio et coloniis antiquitus romanis (Trois cohortes urbaines et neuf prétoriennes, levées en général dans l'Étrurie, l’Ombrie, le vieux Latium, et dans les plus anciennes colonies romaines).
[145] Dion Cassius, LXXIV, 2.
[146] Nempe si mihi maximus imperator vitem, id est centum homines regendos tradidisset, non mediocris honor habitus mihi videretur ; cedo si prœfecturam, si tribunatum, nempe idem honos, nisi quod merces amplior. (Fragm. de P. Ann. Florus dans Jahn, éd. de Florus, p. XLIV.)
[147] Tacite, Annales, I, 29. — Dion Cassius, XL, 18. — Sénèque, Lud., 13, 4.
[148] Vie de Pertinax, chap. I.
[149] Dion Cassius, LXXI, 5.
[150] Orelli, 3574 ; Henzen, III, p. 372.
[151] Tacite (Histoires, I, 4), dans le tableau qu’il fait des dispositions du public de la capitale, après la mort de Néron, y distingue cinq classes : 1° patres, 2° primores equitum ; 3° pars populi integra et magnis domibus adnexa, clientes libertique damnatorum et exulum, 4° plebs sordida ac circo ac theatris sueta, 5° miles urbanus.
[152] Horace, Épîtres, I, 7, 46, etc.
[153] Juvénal, VII, 144, etc.
[154] Manilius, V, 61, etc.
[155] Néron, chap. XVI : Publicæ cœnæ ad sportulas redactæ (Il réduisit les festins publics à de simples distributions de vivres).
[156] III, 30, 60, 7 et 14.
[157] Martial, IV, 26 ; VI, 88.
[158] Il ne faut pas confondre, toutefois, avec la sportule des clients celle des convives, également mentionnée par Juvénal (I, 100 à 117), c’est-à-dire le cadeau en argent qu’il parait avoir été d’usage de faire à Rome, même aux personnes de qualité et de haut rang qu’on invitait à sa table.
[159] Juvénal, V, 108-113.
[160] Martial, XII, 36, 8. — Voir aussi IV, 40, 1.
[161] Columelle, préface au livre I, 9 et 12.
[162] Juvénal, V, 12-18.
[163] Martial, X, 11, 6.
[164] Juvénal, IX, 59 :
Quantum erat exhausti lumbos donare clientis
Jugeribus paucis ! . . . . . . . . . .
(T'aurait-il coûté beaucoup d'offrir quelques arpents à un client dont tu fatigues les reins ?)
[165] Martial, XI, 18.
[166] Préface au livre I, 12.
[167] Digeste, VII, 8, 2 (Ulpien, livre XVII, ad Sabin.), § 1. — Ibid., IX, 3, 5 (Ulpien, livre XXIII, ad edictum), § 1.
[168] Martial, II, 32 ; X, 18.
[169] Sénèque (Lettres, 22, 7) dit : Nudum erit latus ? incomitata lectica ? atrium vacuum ?
[170] Non resalutantes video nocturnus amicos (Tantôt ce sont des amis qui viennent, le soir, me rendre la visite que je leur ai faite le matin), dit Martial, X, 70, 5.
[172] Martial, III, 4 ; XII, 68.
[173] Martial (XII, 18, 5) l’appelle sudatrix toga. Voir aussi IX, 100, et X, 96, 11, où il dit : Quatuor hic æstate togæ pluresve teruntur (Ici on use dans un été quatre toges et plus).
[174] Martial (XII, 57, 4) dit :
. . . . . . . . . . Negant vitam
Ludimagistri mane, nocte pistores.
(Comment tenir, dis moi, avec les maîtres d'école le matin, les boulangers la nuit)
Voir aussi Juvénal, VII, 225, et ces vers de Martial, XIV, 223
Surgite : jam vendit pueris jentacula pistor,
Cristatæque sonant undique lucis aves.
(Levez-vous ! déjà le pâtissier vend aux enfants leurs déjeuners : on entend résonner de toutes parts le chant du coq porte crête dont la voix vous annonce le jour).
[175] Sénèque (De beneficiis, IV, 30, 3) dit : Ad cœnam quia promisi ibo, etiamsi frigus erit : non quidem, si nives cadant.
[176] Juvénal, III, 247.
[177] Martial, I, 108 ; V, 22.
[178] Le même, V, 22, 7. — Juvénal, III, 243, etc.
[179] Martial, II, 18, 5 ; III, 46.
[180] Ibid., IX, 100, 3 :
Deinde hærere tuo lateri, præcedere sellam,
Ad vetulas tecum plus minus ire decem.
(attaché à tes côtés, ou précédant ta chaise, je t'accompagne chez dix ou douze veuves)
[181] Martial, III, 36.
[182] Ibid., III, 46 ; C. in Pisonem, 122 :
. . . . . . . . . . Nec enim tibi dura clientum
Turba rudisve placet, misero quæ freta labori
Nil nisi summoto novit præcedere vulgo.
[183] Horace, Épîtres, I, 7, 75.
[184] Martial, X, 10.
[185] Ibid., VI, 48 :
Quod tam grande sophos clamai tibi turba
togata,
Non tu, Pomponi, coma diserta tua est.
(Bien qu'une foule de parasites à longue toge
te prodigue les applaudissements les plus vifs, ce n'est pas toi, Pomponius,
c'est ton souper qui est éloquent).
[186] Ibid., XI, 24.
[187] Quintilien, XI, 3, 131. — Pline, Lettres, II, 14, 4. — Juvénal, XIII, 29-31.
[188] De Ira, III, 8, 6.
[189] Tacite, Annales, XIII, 19-21.
[190] Préface au livre I, 9.
[191] Martial, V, 22.
[192] Juvénal, III, 184-189.
[193] Sénèque, De beneficiis, VI, 34, 1.
[194] Le même, ad Serenum, 14, 1 : Ostiarii difficultatem, nomenclatoris superbiam, cubicularii supercilium.
[195] Juvénal, loc. cit.
[196] De brev. vitæ, 14, 4.
[197] Pétrone, Satyrique, c. 44.
[198] I, 113
Priscus, avant de te connaître,
Je t'appelais mon roi, mon maître ;
Maintenant que je te connais,
Tu ne seras pour moi que Priscus désormais
[199] VI, 88.
Un matin, par hasard, je t'ai salué simplement
par ton nom, Cécilianus, et sans te dire : Mon maître. Tu me demandes combien
me coûte une liberté si grande. Elle m'enlève cent quadrants.
Voir en outre sur le même sujet : II, 68, et IX, 92.
[200] Martial, III, 36.
[201] Juvénal, III, 125.
[202] III, 60, et IV, 85, où le maître de la maison s’appelle Pontique ; puis I, 20, VI, 11, et X, 49.
[203] Au chap. XLVIII.
[204] Voir entre autres : De merc. cond., 26.
[205] Voir, outre la satire V de Juvénal, l’ode à Pison (v. 104), dans la maison duquel, exceptionnellement :
. . . . . . Nullius subitos affert injuria
risus,
tandis qu’en général (v. 113) :
Nec quisquam vero pretium largitur amico
Sed miserum parva stipe focilat, ut pudibundos
Exercere sales inter convivia possit.
[206] Diss., IV, 37.
[207] Ibid., III, 24, 49.
[208] Lucien, Nigrin, 22.
[209] Ibid., 21, etc.
[210] XXVIII, 4, 10 : Il en est qui, lorsqu'à bras ouverts on vient les saluer, refusent la tête avec le geste d'un taureau qui menace des cornes, ne livrent aux étreintes de leurs clients et amis que leurs mains ou leurs genoux, et croient rendre ces gens-là trop heureux encore.
[211] Dans ses diatribes contre les deux ministres d’Arcadius, il dit de Rufin (I, 442) :
Illa manus . . . . . . . . . . . . . .
Cujus se totiens submisit ad oscula supplex
Nobilitas . . . . . . . . . . . . . .
et de l’eunuque Eutrope (II, 66) :
. . . . . Advolvi genibus, contingere dextram
Ambitus . . . . . . . . . . . . . . .
Dans l’Éloge de leur rival, Stilicon (II, 152, etc.), ministre d’Honorius, il s’étend au contraire sur la condescendance de son protecteur.
[212] Suétone, Claude, chap. XXV.
[213] Pro lapsu in salutando, 16.
[214] Épîtres, I, 5, 31.
[215] De brev. vit., 2, 4 ; 14, 4.
[216] Martial, IV, 88, 4 (querulus cliens).
[217] Ibid., VII, 62, 4 (niger obliqua garrulitate cliens).
[218] Juvénal, V, 25, etc.
[219] Lucien, Cronosolon, 15, etc.
[220] Ibidem.
[221] Lucien, Cronosolon, 17, etc. ; Ep. Saturn., 1, 22, 4, 38.
[222] Épîtres, 1, 7, 87, où il est dit :
. . . . . . . . . . Rexque paterque
Audisti coram, nec verbo parcius absens.
[223] Préface au livre I, 9. — Voyez en outre Martial, I, 112 ; II, 32, 8 ; II, 68 ; VI, 88 ; IX, 92.
[224] Tacite, Annales, II, 85.
[225] Dion Cassius, LVI, 33. — Tacite, Annales, IV, 27 : Minore in dies plebe ingenua (la population libre diminuait chaque jour).
[226] Déjà Démétrius, l’affranchi de Pompée, doit avoir laissé 4.000 talents, d’après Plutarque, Vie de Pompée, chap. II.
[227] Sénèque, Lettres, 27, 5 : Calvisius Sabinus nostra memoria fuit dives et patrimonium habebat libertini et ingenium : nunquam vidi hominem beatum indecentius. — Martial, V, 13, 6 ; III, 31 ; IV, 5. Dans ses épigrammes, Didyme et Philomèle aussi sont des affranchis.
[228] Sénèque, Q. N., I, 17, 10.
[229] Martial, II, 29 ; VI, 64, 26 ; X, 56, 6.
[230] Martial, II, 16, 42 ; III, 29, 82 ; V, 79 ; XI, 37.