MŒURS ROMAINES

 

LIVRE II — LA COUR DES EMPEREURS

CHAPITRE II — Les officiers, affranchis et esclaves de la cour impériale.

 

 

§ 1.

La cour, dans l’acception restreinte du mot, se composait du personnel, très nombreux dès l’origine, et de la hiérarchie, à degrés multiples, des officiers et des domestiques de l’empereur et de la famille impériale. Dans un sens plus large, elle comprenait en outre tous ceux qu’on appelait les amis de l’empereur.

Durant la majeure partie du premier siècle de notre ère, les empereurs, à l’instar des particuliers, employèrent leurs esclaves et leurs affranchis, non seulement à tout ce qui concernait le service de leur maison, mais aussi, comme aides et mandataires, à tous leurs travaux, dans l’administration de leurs biens et des établissements qui en dépendaient, ainsi qu’à la gestion de toute espèce d’affaires. Ils avaient une double raison polir agir de la sorte : le désir de conserver à la cour impériale, vis-à-vis de la multitude, dont il importait de ne pas froisser les habitudes, le caractère d’une maison particulière, et une autre, à tendance politique, diamétralement opposée, mais nullement inconciliable avec cette affectation de simplicité. Il était à prévoir que ces fonctionnaires de la cour impériale, de quelque basse extraction qu’ils fussent, et malgré leur condition subalterne ou le peu de considération qui s’attachait à leur état civil, ne manqueraient pas d’arriver bientôt, par le fait, à un pouvoir qui devait les élever au-dessus des hommes de la plus grande naissance. Or, rien n’était plus conforme à la nature du césarisme, dans la première période de son développement. surtout, que cette manière d’accentuer le peu de cas qu’il faisait de la différence des rangs sociaux et l’adoption d’un système de nivellement, pour briser les résistances de l’ancienne aristocratie, comme pour montrer que le bon plaisir impérial dominait tout, qu’il dépendait entièrement de lui d’élever un homme de l’état le plus humble à la plus haute position, et que devant lui tous les sujets de l’empire étaient égaux. C’est à cela que Tacite[1] faisait évidemment allusion en disant que, chez les Germains, les affranchis avaient rarement de l’influence sur les affaires domestiques, et ne pouvaient quelque chose dans l’État qu’exceptionnellement, chez les tribus gouvernées par des rois, où ils arrivaient à primer les nobles comme tout le reste des hommes libres, tandis que chez les autres tribus leur état subalterne donnait la mesure de la liberté. Or, déjà le premier des Césars faisait parade, sans ménagements, des superbes dédains de la monarchie nouvellement établie pour la tradition et les anciennes lois. Il confia la direction de la Monnaie à des esclaves, leur commit le soin du recouvrement d’une partie des impôts et nomma commandant de la légion qu’il laissait à Alexandrie Rufion, son ancien mignon, fils d’un affranchi[2].

Mais dans la suite, avec le développement plus régulier des formes et des institutions de la monarchie absolue, dans l’empire romain, les offices de la maison et de la cour des empereurs prirent, en partie du, moins, l’importance et le caractère de dignité de hautes fonctions publiques, réservées pour des hommes libres de naissance et bien nés. La monarchie était arrivée à un point où il n’était plus possible, ni même désirable, de sauver les apparences de l’origine démocratique du trône. La nécessité de mettre l’omnipotence impériale en relief, par l’élévation de serviteurs de bas étage, avait également disparu. Les affranchis impériaux furent alors éliminés de quelques-uns des principaux offices de cour. On les y remplaça par des chevaliers, les réduisit à des positions subalternes, dans l’administration des affaires publiques, et ne les maintint généralement en fonctions qu’au service de la personne et de la maison du souverain. Même après ce changement, ils eurent souvent encore beaucoup de crédit et de pouvoir ; mais la nature de celui-ci n’était plus la même qu’auparavant. Dans le premier siècle de l’empire, il se fondait en partie sur l’importance de leur position officielle ; dans le deuxième et le troisième, il ne dérivait plus que de l’influence dont ils étaient censés jouir, ou qu’ils avaient réellement, à la cour. Les affranchis qui régnaient au nom de Claude, étaient les chefs du ministère des comptes (a rationibus), c’est-à-dire de toute l’administration des finances impériales, du secrétariat d’État (ab epistolis) et du département chargé de statuer sur toutes les pétitions et tous les griefs (a libellis) ; les affranchis tout puissants à la cour de Commode étaient simplement des valets de chambre.

Jusqu’à Vitellius, les affranchis eurent, en quelque sorte, le monopole des offices de cour, qui avait fait passer dans leurs mains presque tout le pouvoir, depuis Caligula. Vitellius fut le premier qui conféra quelques-unes de ces charges à des chevaliers[3]. Cependant cette nouvelle pratique resta longtemps incertaine, tantôt parce que les convenances personnelles des empereurs, qui y décidaient, devaient les porter souvent à nommer des serviteurs obéissants et dévoués, plutôt que des hommes de qualité, tantôt par la raison. qu’il pouvait se trouver parmi les affranchis des hommes d’une capacité éprouvée, ou particulièrement aptes à remplir ces fonctions. Sous Domitien, deux des trois grands postes mentionnés plus haut étaient occupés par des affranchis, à savoir celui de chef du département des pétitions et requêtes, par Entelle[4], et le secrétariat d’État, par Abascantus[5]. Il semblerait même, d’après un passage de Suétone[6], que ce prince avait, de propos délibéré, dérogé par ces nominations à la pratique de Vitellius, de Vespasien et de Titus, polir revenir à celle de leurs prédécesseurs. Plus tard, nous retrouvons le secrétariat occupé, deux fois sous Nerva et une fois sous Trajan, par des hommes de qualité, tels que Titinius Capiton[7], sous ce dernier ; d’autres fois, sous le même, aussi par des affranchis. Adrien nomma de nouveau des chevaliers aux deux postes mentionnés, ce qui passa en coutume depuis lors[8]. Ce fut lui qui marqua les traits fondamentaux de cette hiérarchie de fonctionnaires dont le système, si compliqué et poursuivi, dans la suite, jusqu’au classement le plus minutieux, n’arriva toutefois à son complet développement que sous Constantin[9]. Le fait est que, depuis Adrien, nous voyons ces fonctionnaires élevés, par degrés ou d’emblée, aux premières dignités de l’empire, notamment à la vice-royauté d’Égypte et au gouvernement militaire de Rome. On peut, généralement, en dire autant de la direction des finances impériales, mais sous une réserve ; car c’est là, particulièrement, que se reproduit l’anomalie de la promotion d’affranchis à cet office, même à l’époque où il marqua un degré si élevé sur l’échelle des grands emplois. Ainsi Basséus Rufus, parvenu, sous Marc-Aurèle, de la condition la plus infime à l’office de préfet du prétoire, devint chef du département des comptes (procurator a rationibus), après avoir administré plusieurs provinces[10], et ce fut encore un affranchi impérial, Cosme, qui lui succéda dans ce dernier poste. Outre que de pareilles anomalies trouvent leur explication dans la nature même de l’absolutisme, il n’est pas étonnant que la considération de la capacité administrative, ou la confiance en tel homme plutôt qu’en tel autre, dût souvent l’emporter, précisément dans le choix de ce fonctionnaire, et que l’on y songeât aussi, particulièrement, à se ménager contre lui la possibilité d’un emploi plus facile de moyens de contrainte, dans les cas de malversation. D’après Dion Cassius (LII, 25), Auguste déjà aurait reçu, de Mécène, le conseil d’employer surtout des affranchis dans l’administration financière.

Quand toutes les autres charges eurent entièrement, ou presque généralement, cessé d’être accessibles aux affranchis, l’office de grand camérier (cubicularius, a cubiculo) fut celui par lequel ils conservèrent encore le plus de chance d’arriver au pouvoir. L’importance qu’il prit alors est aussi caractéristique pour les derniers temps de l’empire que l’avait été, pour les premiers temps du césarisme, celle des autres grands offices. Bien que les valets de chambre eussent eu beaucoup d’influence à toutes les époques, leur position officielle avait été très humble, dans les commencements ; mais, avec l’empiétement successif des usages orientaux, le préposé de la chambre à coucher de l’empereur, prœpositius sacri cubiculi, comme on l’appela dès lors, grandit en dignité. L’habitude d’investir généralement des eunuques de cette charge, dans les derniers siècles de l’empire, est un des signes les plus certains de l’accomplissement de cette transformation de l’étiquette, à la cour des empereurs romains. Non seulement les Eusèbe et les Eutrope gouvernaient à Byzance et à Ravenne, en maîtres plus absolus que ne l’avaient jadis été les Narcisse et les Pallas, à Rome ; ils étaient de plus, même légalement, assimilés en rang aux plus hauts fonctionnaires de l’empire. Un décret du Code Théodosien, de l’an 422, traite les grands camériers d’égaux des préfets du prétoire et de la ville. C’est sur ce grand office de chambellan que se modela plus tard celui des majordomes ou maires du palais francs. Mais, avant d’entrer dans plus de détails sur les attributions de tous ces fonctionnaires, il importe de bien considérer la position des affranchis impériaux, abstraction faite de leurs états de service, et de jeter un coup, d’œil sur la suite des modifications qu’elle subit, sous les règnes des deux premiers siècles.

§ 2.

C’est dans les contrées de l’Orient, ces foyers primitifs de la civilisation antique, la Grèce, l’Asie Mineure, la Syrie et l’Égypte, que se recrutait presque exclusivement, à cette époque, la domesticité du palais impérial, ainsi que celle des autres grandes maisons de Rome. Tandis que le Nord et l’Occident fournissaient surtout les gardes du corps, auxquels les empereurs confiaient la défense de leur personne, ce furent des Grecs et des Orientaux qu’ils choisissaient de préférence pour leur service particulier et la gestion de leurs affaires. On vit ainsi continuellement reparaître au faîte du pouvoir des hommes sortis du sein des nations que l’orgueil romain méprisait le plus profondément, entre toutes. C’est que les Orientaux, comme un des leurs, Hérodien (III, 8, 11), s’est complu à le faire sonner, avaient le plus de sagacité. Dans une des fameuses satires du temps, le Grec ; à Rome, apparaît comme un homme doué d’un esprit vif et prompt, d’une étourdissante volubilité de langage, capable de se faire à tout, passé maître dans l’art de flatter et de dissimuler, né comédien, d’une effronterie sans exemple, sans scrupule et sans vergogne dans le choix des moyens, pour arriver à ses fins[11]. Tacite a très bien jugé de l’imagination des Grecs, facile à exciter, ainsi que portée à la nouveauté et au merveilleux, en disant que ce qu’ils feignaient, ils le croyaient aussi[12]. Le portrait de Juvénal est peut-être trop chargé de couleurs. Il oublie trop les qualités qui brillaient encore chez ce peuple, jusque dans sa décadence, l’instruction plus haute des Grecs, le tour plus fin de leur esprit et l’élégance de leurs manières, ce qu’il y avait chez eux d’ingénieux, leur grande habileté en affaires surtout, par laquelle ils s’étaient anciennement déjà rendus, à la cour de Suse et de Persépolis[13], aussi indispensables que plus tard à Rome.

Les Syriens passaient pour être des hommes prudents, très forts sur la plaisanterie, moqueurs, frivoles et amis du changement, mais aussi perfides que rusés[14].

Le caractère national des Égyptiens présentait, au jugement des Grecs et des Romains, un bizarre amalgame de qualités opposées, mais peu aimables et mauvaises pour la plupart, que le mélange de races diverses pouvait seul expliquer, chez ce peuple. On vantait la supériorité et la sagacité de leur esprit[15], réputé aussi caustique et incisif qu’obscène et bouffon[16] ; on était choqué de leur insolence et de leur outrecuidance[17] ; de la hardiesse, de l’effronterie sans exemple de leur langage. Sensuels et voluptueux[18], ils n’en supportaient pas moins les tortures avec une admirable constance[19] ; très inflammables et irascibles[20], querelleurs et grands amis du changement[21], ils étaient en même temps d’une profonde astuce[22] et d’une sombre obstination, dont témoignait notamment aussi leur fanatisme religieux, dominé par toute espèce de superstitions[23].

Les destinées de ces serviteurs de la cour impériale, dont plus d’un parvint à soumettre à ses volontés son propre maître, comptent parmi les plus étranges singularités de cette époque, si riche en bizarreries. Beaucoup d’entre eux, amenés à Rome pour y être vendus, avaient débuté sur l’estrade où il était d’usage d’exposer les esclaves à vendre aux regards des amateurs, qui tenaient à les examiner de près et à les visiter. Avant de tomber par achat, donation ou succession dans la maison impériale, oit d’y être admis comme affranchis, ils avaient peut-être passé de main en main et subi toutes les humiliations de la servitude. De même que les affranchis d’un empereur passaient, après sa mort, sous le patronage de son successeur, ceux des personnes qui avaient institué l’empereur leur héritier, devenaient sans doute aussi les protégés de celui-ci. Ils pouvaient, alors, ou garder le nom de famille de leur ancien patron, ou prendre celui de l’empereur. Les affranchis des personnes frappées de proscription pissaient très souvent aussi sous l’égide de la maison impériale[24]. Leurs aptitudes et leurs talents, ou le pur hasard, attirant sur eux les regards du maître, ils sortaient tout d’un coup, ou peu à peu, de la tourbe des serviteurs. Ainsi beaucoup d’entre eux sont arrivés à influer sur les destinées du monde, et ont leur biographie consignée dans les pages de l’histoire. Sur d’autres qui, de fonctions subalternes, s’élevèrent, par un avancement graduel, à des positions moins brillantes, mais plus sûres, honorées et très considérables encore, nous avons des renseignements fournis par les monuments de l’époque. Il n’est pas sans intérêt de suivre également les serviteurs de cette catégorie dans leur carrière.

Ainsi les affranchis, comme on le voit par une multitude d’inscriptions, occupaient à la cour impériale et dans les maisons des grands, à. Rome, toute sorte d’emplois, comme ceux de prégustateurs[25], d’inspecteurs des tables ou tricliniarques[26], etc. ; on les nommait intendants ou sous-intendants (curator ou procurator) des jeux de gladiateurs (a muneribus ou munerum) et des chasses (venationum)[27], des eaux (aquarum), etc., quelquefois même intendants des camps (procurator castrensis). Telle fut du moins, d’après une inscription trouvée à Céré (Henzen, 6337.), la filière des promotions de Bucolas, un des affranchis de Claude.

L’office d’inspecteur de table était sans doute l’emploi de cet Euphème que Martial pria de remettre ses vers à l’empereur Domitien, dans le moment le plus propice, en lui adressant à ce sujet la recommandation suivante :

Hora libellorum decima est, Eupheme, meorum,

Temperat ambrosias cura tua cura dapes.

Tune admitte jocos, etc...

La charge de curateur des eaux était déjà d’un ordre plus élevé, et le plus souvent donnée à des personnes de rang sénatorial, auxquelles on adjoignait, comme aides ou procureurs, des chevaliers ou des affranchis impériaux[28]. Un traitement de 100.000 sesterces était attaché aux fonctions de ces procureurs, dans la première moitié du troisième siècle (Orelli, 946). Quant à celles de procurator castrensis, tout ce qu’on en, sait est qu’elles se rapprochaient le plus, par leur importance, de la procuration de province, à laquelle des affranchis ne parvenaient que rarement.

Un avancement plus extraordinaire fut celui de Nicomède, dont il sera encore question plus loin, et qui, comme nous l’apprend l’inscription d’un grand mausolée de la voie Appienne[29], passa du service de la chambre (a cubiculo) aux fonctions d’instituteur de Lucius Verus (Divi Veri nutritor et educator), fut revêtu de hautes dignités sacerdotales et militaires, nommé directeur des postes (præfectus vehiculorum) et, finalement, procureur summarum rationum, emploi de finance considérable, mais dont nous ne connaissons pas exactement les attributions. Quant à la préfecture des postes, on la donnait ordinairement à des chevaliers, de préférence à d’anciens officiers de l’armée.

Un contemporain de Nicomède, Prosénès, affranchi de Marc-Aurèle, suivant l’inscription d’un sarcophage trouvé près de la Via Labicana[30], commença de même par être valet de chambre (a cubiculo), et devint ensuite successivement trésorier (procurator thesaurorum), officier dont, les fonctions à la cour impliquaient celles d’intendant de la garde-robe et des joyaux, intendant du domaine privé (proc. patrimonii), des jeux (munerum), et des vins ou tributs en nature de certains districts vignobles d’Italie (vinorum), dans la régie qui reçut plus tard le nom d’arca vinaria, et dont le préposé fut désigné alors sous le titre de rationalis, synonyme de celui de procurator, dans bien des cas. La dernière promotion de cet affranchi fut sa nomination, par Commode, à un emploi supérieur dans l’intendance des camps (ordinatus in castrense).

A une époque postérieure, enfin, d’après une inscription découverte par Cyriaque d’Ancône près du temple de Junon, à Corinthe[31], un affranchi d’Alexandre Sévère, Théoprèpe, d’abord garde des cristaux (præpositus a crystallinis), puis des boucles (a febulis), avec lesquelles on faisait grand luxe dès le deuxième siècle[32], c’est-à-dire chargé de deux emplois subalternes, qui relevaient probablement du trésorier, puis tricliniarque, fut ensuite préposé, avec le titre de procureur, à l’administration de. deux domaines impériaux (le saltus Domitiani et les prœdia Galliana) ; il devint ultérieurement procureur a mandatis, chargé de l’expédition des ordres et des instructions du cabinet impérial aux proconsuls, propréteurs et procureurs des provinces ; procureur des Éphémérides (ab Ephemeride), c’est-à-dire rédacteur en chef du journal officiel de la cour[33] ; intendant des pourpres (rationalis purpurariarum), fonctions probablement identiques avec celles du baphis prœpositus, ou directeur général des teintureries impériales, que remplit pareillement, sous le même règne, Aurelius Probus, inventeur d’une pourpre nouvelle et probablement aussi affranchi de l’empereur[34] ; enfin la dernière et plus haute récompense des services de Théoprèpe fut la procuration des provinces d’Achaïe, d’Épire et de Thessalie.

Bornons-nous à ces exemples ; ils suffisent pour faire juger, à tous les degrés, de l’importance du rôle des affranchis, dans l’administration impériale comme à la cour, ainsi que des perspectives de carrière qui s’y offraient à leur ambition.

La position des affranchis dépendant entièrement de la nature de leurs rapports avec le souverain, la considération et le pouvoir dont ils jouissaient, comme serviteurs de sa maison, même en dehors de la sphère de leurs attributions officielles, différaient naturellement beaucoup, selon les inclinations personnelles et les maximes de gouvernement de chaque empereur. Mais, quoique leur influence extra officielle fût relativement bornée sous les règnes des bons princes, elle n’était pas à dédaigner même alors, comme on le verra tout à l’heure. Seulement, il ne faut pas oublier que les exemples qui en témoignent, arrivés à notre connaissance, n’ont que l’autorité de faits isolés, dont le scandale qu’ils avaient causé perpétua le souvenir.

Auguste, qui visait à la parade du rigorisme d’un simple particulier sur le trône, se montrait dans l’occasion d’une extrême sévérité pour ses esclaves et ses affranchis, quand ils se permettaient, à Rome, d’abuser de leur situation favorisée dans sa maison[35]. Mais, dans les provinces, ils avaient les coudées plus franches ; du moins, le Gaulois Licinus, ancien esclave de César, exerça-t-il, comme procureur à Lyon, un pouvoir absolu dans sa patrie et en tira-t-il des sommes énormes par ses exactions. Il s’est rendu célèbre par sa division de l’année financière en quatorze mois, pour les impôts qui se percevaient mensuellement, en alléguant que novembre et décembre ne devaient, d’après leurs dénominations, compter que pour le neuvième et le dixième, auxquels il y avait lieu, par conséquent, d’en ajouter deux autres, qu’il appela mois augustéens. Malgré les plaintes des Gaulois et le mécontentement d’Auguste, il réussit à s’assurer l’impunité par un grand sacrifice d’argent, qui lui en laissa cependant assez pour que sa richesse restât proverbiale et le fît placer sur la même ligne que les Crassus et les Pallas. Son superbe mausolée en marbre, près de la Via Salaria, qui paraissait érigé pour l’éternité, devait encore prêter aux réflexions amères des générations postérieures et inspirer l’épigramme suivante :

Marmoreo Licinus tumulo jacet, et Cato parvo,

Pompejus nulle. Quis putat esse deos ?[36]

Ce qui montre encore le prix qu’on attachait, dès cette époque, aux bons offices des affranchis de la maison impériale, c’est le testament d’Hérode, qui leur fit une part dans ses legs, ainsi que le rapporte Josèphe.

Tibère, cependant, était une nature trop aristocratique pour accorder sciemment et publiquement à des esclaves de l’influence sur sa volonté. Ses esclaves étaient modestes, son état de maison limité à un petit nombre d’affranchis, dit Tacite des premiers temps du règne de cet empereur[37]. Plus tard, depuis la mort de Drusus surtout, cela changea probablement, comme toute sa conduite. L’Égypte, la plus importante des provinces de l’empire, fut, après la mort de Séjan, commise par intérim, quoique pour peu de temps, à l’administration d’un affranchi du nom de Sévère[38]. Hérode Agrippa, roi des Juifs, se ruina presque en cadeaux pour les affranchis de Tibère, dont il acheta ainsi les bons offices. Il est vrai que le Samaritain Thallus, un d’entre eux, s’était trouvé en mesure de lui prêter jusqu’à un million de deniers[39].

Mais la monstrueuse anomalie d’un gouvernement dans lequel des hommes méprisés et même encore privés de la jouissance d’une partie des droits civils, se trouvaient, ostensiblement, placés à la tête d’un empire embrassant le monde et décidaient de ses destinées, selon leur caprice, ne commença réellement à se produire que sous Caligula. On vit alors Calliste, d’abord esclave d’un particulier, qui le vendit, puis attaché, dans la même qualité, à la maison impériale, arriver, par la faveur de ce prince, à une puissance presque égale à celle de son nouveau maître, ainsi qu’à une immense fortune[40]. Maintes fois, dans la suite, le premier maître fit vainement antichambre à la porte de son ancien esclave[41]. L’intercession de ce favori fut assez puissante pour sauver la vie d’un homme qui avait été l’accusateur de la mère de l’empereur[42]. Ayant fini par tremper lui-même dans la conjuration contre Caligula, il réussit à garder sa position sous le successeur de ce prince[43].

Le règne de Claude fut le temps des saturnales pour les affranchis[44]. Sous lui, Calliste, Narcisse et Pallas se partagèrent le pouvoir, et, d’accord avec les autres affranchis de la cour, dont Sénèque et Suétone nous ont également transmis les noms, ainsi qu’avec Messaline, ils trafiquèrent non seulement du droit de cité, des places et des gouvernements, mais aussi de l’impunité des coupables et des sentences de mort. Le pouvoir exercé par les affranchis de Néron ne fut guère moindre[45]. En l’an 61, Polyclète, un des voleurs les plus éhontés de cette cour, fut envoyé dans l’île de Bretagne, comme arbitre entre le légat et le procureur de cette province, ainsi qu’avec la mission de pacifier le pays, agité par des tribus rebelles. Voyageant avec une suite innombrable, dont l’entretien fit gémir l’Italie et les Gaules, il apparut au lieu de sa destination comme un sujet de terreur pour l’armée, mais de risée pour les barbares, qui, ignorant encore le pouvoir des affranchis, ne pouvaient comprendre qu’une armée, avec son général victorieux, dût s’incliner devant un esclave[46]. Un autre, Hélius, que Néron, pendant son voyage en Grèce, avait laissé à Rome investi de ses pleins pouvoirs, en usa avec si peu de réserve qu’il ne craignit pas de faire exécuter des arrêts de confiscation, de mort et de proscription contre des chevaliers et des sénateurs, sans même en prévenir son maître, ce qui fit dire à Dion Cassius que Rome avait alors deux empereurs et qu’il n’y avait de doute que sur la question de savoir lequel des deux était le pire (LXIII, 12). Ce même Hélius, affranchi de Claude, puis intendant des domaines de son successeur en Asie, avait déjà servi d’instrument à Agrippine, dans l’affaire du meurtre de Junia Silana[47]. Suétone mentionne une des lettres qu’il adressa en Grèce à Néron.

Galba fit mettre à mort Hélius et Polyclète, avec plusieurs des autres affranchis de son prédécesseur, dont les noms étaient le plus hautement signalés à la vindicte publique[48], et parmi lesquels figurait aussi ce Patrobe[49] auquel Martial a fait allusion en disant :

Vexat sæpe meum Patrobas confinis agellum,

Contra libertum Cæsaris ire times.

Cela n’empêcha pas Galba de montrer pour ses propres affranchis la plus honteuse faiblesse. L’autorisation de lever des impôts, l’exemption de ceux-ci, l’application de peines à des innocents et l’impunité des coupables, continuèrent à former des objets de trafic et de faveur à la cour. Halotus, un des plus affreux émissaires de Néron, peut-être le même que l’eunuque prégustateur dans l’empoisonnement de Claude, ne fut pas seulement épargné, mais obtint même de Galba une charge de procureur des plus lucratives[50]. Le plus puissant toutefois, sous ce règne, fut un favori personnel de l’empereur, Icèle, homme d’antécédents infâmes[51], mais qui avait fait preuve de dévouement pour son maître[52]. Il fut promu à l’ordre équestre, par la remise de l’anneau d’or, et même désigné pour candidat au gouvernement militaire de Rome, autrement dit à l’office de préfet du prétoire[53]. Lui aussi abusa de son pouvoir pour se livrer aux rapines les plus scandaleuses[54]. Othon le fit exécuter[55], mais il réintégra en même temps dans leurs places les affranchis et les procureurs de Néron, ce qui répandit partout l’inquiétude[56].

A la cour de Vitellius on vit Asiaticus, affranchi du nouvel empereur, s’élever, d’une condition non moins abjecte que celle d’Icèle, à un pouvoir égal. Fatigué de son maître, qui avait abusé de sa personne, il s’était sauvé à Puteoli (Pouzzoles), où il gagnait sa vie comme débitant d’une boisson consommée par les gens de la plus basse classe. Arrêté et rentré en faveur, il irrita de nouveau Vitellius à tel point que celui-ci, dans sa colère, le vendit au chef d’une troupe de gladiateurs qui courait les foires ‘et marchés ; mais l’ayant repris, malgré ces antécédents, une seconde fois dans sa maison, il finit par l’affranchir.

Dès le jour de l’avènement du nouvel empereur, Asiaticus fut promu chevalier et, en moins de quatre mois, il avait tout fait pour égaler les affranchis les plus décriés des cours précédentes. Il périt avec son maître, probablement à la croix[57].

On a peu de données sur les affranchis des deux premiers Flaviens. Cependant, même sous Vespasien, Hormus, homme très mal famé de cette classe, qui avait pris une part active à la guerre civile, et auquel on imputa la destruction de Crémone, fut élevé au rang de chevalier[58]. De plus, Suétone rapporte que Vespasien aimait assez donner les emplois lucratifs aux plus rapaces de ses procureurs, afin de se ménager l’occasion de les faire condamner plus tôt et de profiter alors du fruit de leurs rapines[59], conduite qui fait paraître sous un mauvais jour l’avarice connue de cet empereur. Il est certain que, sous Domitien, les affranchis regagnèrent des offices importants et un grand pouvoir[60]. Les camériers Parthénius et Sigère furent de puissants personnages à cette cour, et l’empereur, en conférant au premier la juridiction criminelle sur les troupes, le rendit presque l’égal du gouverneur civil et militaire de Rome[61].

Les règnes de Nerva et de Trajan amenèrent un changement considérable dans la position des affranchis de la maison impériale. Cependant, le ton sur lequel Pline le Jeune vante les nouvelles maximes de gouvernement, permet de reconnaître qu’ils étaient encore assez puissants. La plupart des princes antérieurs, dit-il, étaient à la fois les maîtres des citoyens et les esclaves des affranchis, dont les conseils et les signes guidaient l’empereur, qui n’entendait que par leurs oreilles et ne parlait que par leur bouche. C’est par l’entremise des affranchis, ou plutôt directement auprès d’eux, qu’on sollicitait la préture, les dignités sacerdotales et le consulat. Vous rendez encore, il est vrai, seigneur, à vos affranchis, les honneurs qui leur sont dus, mais en les traitant comme des gens de leur classe, convaincu qu’une réputation d’honnêteté et d’intégrité doit parfaitement leur suffire ; car, vous savez que l’air de grandeur des affranchis rapetisse le prince. D’ailleurs, vous n’en avez auprès de vous aucun qui ne vous soit cher, à vous, ou à votre père, et à tous les gens de bien. Puis, vous leur recommandez chaque jour de se tenir à leur place et de ne pas envisager leur position comme la vôtre, mais avec toute réserve. Aussi sont-ils d’autant plus dignes de recevoir nos hommages, que nous ne sommes pas forcés de leur faire honneur[62]. Avec tout cela, de l’aveu du même auteur (Lettres, VI, 31), accuser un affranchi de la maison impériale, passait pour une affaire très scabreuse, même sous ce règne.

Il paraît qu’Adrien, pour assurer son adoption, ne dédaigna pas de gagner les affranchis de Trajan par des présents et par des attentions. Lui-même tenait, il est vrai, à ce que ceux de sa propre maison ne se répandissent pas dans le public, et n’était guère disposé à leur accorder de l’influence sur sa volonté. Sévère contre quiconque osait se vanter d’en avoir auprès de lui, il avait coutume de dire que les empereurs des premiers temps portaient justement la responsabilité des vices de leurs affranchis[63].

Antonin le Pieux aussi était très sévère à l’égard de ses affranchis. Il pensait, avec raison, que le plus sin’ moyen d’anéantir l’influence de la domesticité de cour et de l’empêcher de vendre ses communications, c’était de’ prendre directement ses informations sur toutes choses[64]. Mais Marc-Aurèle était trop placide, du moins vis-à-vis de l’influence des affranchis Géminas et Agaclyte, favorisés par son corégent, Lucius Verus, pour chercher à la briser. Il souffrit même que Verus mariât le second avec la veuve de son cousin, Annius Libon, mort gouverneur de Syrie, en 165[65], et assista lui-même à la noce, malgré sa répugnance pour ce mariage. Après la mort de Verus cependant, il éloigna, sous d’honnêtes prétextes, tons les affranchis de son collègue, à l’exception d’Eclectus, qui devint plus tard le meurtrier de son fils[66]. Sous Commode, les affranchis déployèrent un arbitraire aussi effréné que du temps de Claude même, et Cléandre, l’un d’eux, occupa réellement le poste de gouverneur militaire de Rome, le plus élevé en dignité après le trône. Pertinax s’attira la haine mortelle de la domesticité de cour par les mesures énergiques qu’il prit contre ses déportements, et cette haine ne fut pas ce qui contribua le moins à précipiter sa chute[67].

Enfin, parmi les empereurs de l’âge suivant, qui sortent déjà du cadre de cette période, il faut encore mentionner Septime. Sévère comme rigide à l’égard des affranchis, qui se rattrapèrent par un ascendant d’autant plus grand sur son fils Caracalla, dont ils partagèrent la destinée[68]. Mais bientôt, sous Héliogabale, les saturnales revinrent pour eux[69].

§ 3.

En général, à chaque changement de règne, la domesticité de la maison impériale passait tout entière de la cour de l’empereur défunt à celle de son successeur. Cela permettait à la plupart de ses membres d’acquérir une expérience qui leur apprenait l’art de conduire leur barque dans toutes les eaux[70]. Claude dit Etruscus, qui mourut octogénaire, vers 93, sous Domitien, était arrivé presque enfant à la cour, sous Tibère, et servit dix empereurs, sans encourir, comme il parait, plus d’une seule fois dans sa vie une courte disgrâce[71]. Six de ces princes avaient péri de mort violente ; mainte ancienne famille avait disparu, dans le cours de tant de règnes sanglants ; de terribles commotions avaient bouleversé le monde. Cela n’empêcha pas le vieil affranchi de marcher tranquillement, en pleine jouissance de la considération qu’il avait obtenue et de ses immenses richesses, à une fin paisible. Ainsi grandirent et parvinrent, dans les palais des empereurs, des centaines d’affranchis, qui surent se plier successivement aux volontés de tous leurs maîtres et survécurent à tous. Qui aurait pu raconter tout ce qu’ils savaient ? La sécurité de leur position allait, il est vrai, en diminuant, à mesure qu’ils s’élevaient davantage. Comme on a pu le voir par ce qui précède, en ajoutant aux exemples de Calliste et de Pallas celui de Doryphore, un des plus puissants affranchis de Néron, qui le fit, dit-on, empoisonner en 62, pour avoir voulu empêcher son mariage avec Poppée, beaucoup d’entre eux marchaient à leur ruine, du moment où leurs richesses commençaient à exciter la convoitise de l’empereur[72], quand le maître oit d’autres favoris prenaient ombrage de leur pouvoir, ou que, dans les révolutions de palais, fréquentes à cette époque, et dans les conjurations qui se faisaient autour du trône, ils se trouvaient parmi les chefs du parti vaincu ; toutes les fois, enfin, que les conséquences de leur participation à des actes graves, ou de fatales circonstances, venaient se retourner contre eux-mêmes. Ces dangers, pour eux, étaient d’autant plus à craindre qu’il ne leur arriva que trop souvent d’exercer une influence décisive dans les conspirations contre les empereurs, le choix de leurs épouses ou l’adoption de leurs successeurs.

Les richesses qui affluaient dans leurs mains, par suite de leur position. privilégiée, étaient une des principales sources de leur pouvoir. Il est certain qu’à cette époque, où l’opulence des affranchis était devenue proverbiale, très peu de particuliers pouvaient rivaliser, à cet égard, avec cette classe de serviteurs de la maison impériale. Pallas possédait trois cents millions de sesterces qu’environ soixante-quinze millions de francs[73] ; Narcisse, Calliste, Doryphore, Épaphrodite[74] et d’autres, passaient pour avoir des richesses non moins colossales, et on verra plus loin qu’il y avait encore des affranchis énormément riches, dans des positions moins élevées. Claude se plaignant de ce que son trésor fût à sec, on entendait dire partout que ses coffres regorgeraient d’argent, si ses deux affranchis, Narcisse et Pallas, voulaient bien partager avec lui[75]. Épictète raconte qu’un de ces Crésus, auquel on avait fait rendre gorge, s’étant jeté aux genoux d’Épaphrodite en lui représentant son malheur d’être réduit à ne plus posséder que soixante millions de sesterces (environ quinze millions de francs), ce dernier compatit profondément à une disgrâce dont il ne se serait jamais consolé lui-même[76].

Indépendamment de ce que leur rapportaient des postes lucratifs, les affranchis avaient, dans les provinces comme à Rome, dans les administrations fiscales comme au service particulier de l’empereur, mille occasions d’accroître leur fortune, en profitant habilement des circonstances, même sans précisément commettre des rapines et des exactions. Il va sans dire, d’après cela, que les affranchis employés au service de la cour se faisaient payer toute démarche, réelle ou feinte, pour faire parvenir une requête à l’oreille du prince, ainsi que toute influence directement ou indirectement exercée sur ses résolutions. Il se faisait un trafic de nouvelles très profitable avec tout ce qui pouvait intéresser dans les paroles, les intentions, les moindres velléités de l’empereur. Souvent ces renseignements, vendus à prix d’or, n’étaient que de la fumée (fumi), suivant l’expression du poète Martial, représentant à l’honnête homme pauvre qu’il n’y a pas moyen de vivre à Rome pour qui ne sait se faire dénonciateur et abuser le monde,

Vendere nec vanos circum palatio fumos (IV, 5, 7).

Les mesures réitérées des empereurs contre ce trafic de faux bruits et de rapports fallacieux, montrent l’impossibilité d’empêcher le renouvellement de ce genre d’abus. On vante, dans l’Histoire auguste, la rigueur avec laquelle Antonin le Pieux et Alexandre Sévère procédaient contre ceux qui s’étaient rendus coupables de pareils méfaits[77]. Ce dernier alla jusqu’à les livrer au supplice de la croix et n’hésita même pas à faire asphyxier au pilori, sur la place publique, Vetronius Turinus qui, étant de ses amis, avait fait métier de ce trafic. Pendant l’exécution, le héraut présent criait au peuple : Ainsi périsse par la fumée celui qui a vendu de la fumée. Ce que l’auteur de la Vie d’Héliogabale raconte, sur le ton puéril des biographies d’empereurs de cette époque, de la conduite d’un favori de ce prince, s’applique aussi à d’autres temps. Ce favori, du nom d’Aurelius Zoticus, fils d’un cuisinier de Smyrne, trafiquait, en faisant naître toute sorte d’espérances chimériques et leurrant avec la perspective d’immenses richesses, de tout ce que disait et faisait l’empereur. Menaçant les uns et promettant à d’autres, il trompait tout le monde. Sortait-il de chez l’empereur, il abordait tel ou tel en lui disant : Voilà ce que je viens de dire de vous, ce que je viens d’entendre sur votre compte, ou bien voilà ce qui vous arrivera, à la manière des gens de son espèce, qui, admis à une grande familiarité avec des princes, bons ou mauvais ; mais aveuglés, arrivent, en trafiquant de leurs noms et abusant de leur sottise ou de leur candeur, à s’engraisser par ces infâmes tromperies[78]. Souvent aussi le prince s’apercevait du mal, sans pouvoir y remédier. Tel est, évidemment, le sens de ces paroles de Dioclétien : on vend l’empereur.

Possesseurs de si énormes richesses, les affranchis de la maison impériale éclipsaient tous les grands de Rome par leur luxe et leur magnificence. Leurs palais surpassaient le Capitole en splendeur[79] ; la terre leur prodiguait tout ce qu’elle offre de plus rare et de plus précieux. Si Cornélius Balbus encore avait été tout fier de pouvoir montrer, dans son théâtre, quatre colonnettes d’onyx, Pline l’Ancien[80] ne vit pas moins de trente colonnes de cette matière précieuse, ornant une salle à manger qu’avait fait construire Calliste. Pour Juvénal, c’est Licinus qui est le type de l’affranchi opulent. Le luxe que les hommes puissants de cette classe déployaient dans leurs bains, passait pour quelque chose de fabuleux, même à Rome. Stace et Martial nous ont laissé la description d’une petite salle de bain (balneolum, thermulœ), que le fils de Claude Etruscus fit construire pendant le court exil de son père. On n’avait admis, pour la décorer, que les marbres les plus rares. Il paraît que les voûtés y étaient ornées de mosaïques en verre de couleurs diverses, représentant des sujets variés, comme nos vitraux d’église. De larges coupoles y répandaient un jour éclatant. L’eau ruisselait, par des conduits d’argent, dans des bassins du même métal. Une eau courante de la transparence la plus parfaite traversait le grand bassin, encadré de marbre, et la salle du jeu de paume était chauffée au moyen d’un calorifère souterrain[81]. Un autre bain (balneum) célèbre, celui d’Abascantus, dans un des premiers quartiers de Rome, pourrait bien avoir été construit par l’affranchi de ce nom, du temps de Domitien. Dans les serres de ces hommes opulents, que Martial, en parlant de celles d’Entelle, procureur des pétitions et requêtes (a libellis) sous le même empereur, compare aux jardins d’Alcinoüs, le raisin pourpre mûrissait en plein hiver (VIII, 68). Leurs parcs et leurs jardins étaient les plus vastes et les plus beaux de la capitale ; leurs villas, les plus splendides des environs[82]. La renommée des jardins de Pallas et d’Épaphrodite est parvenue jusqu’à nous[83]. Phlégon de Tralles[84] fait aussi mention d’un prétoire de Pallas, dans le pays des Sabins. Ce fut un riche eunuque affranchi, admis sous Claude dans la maison de l’empereur, qui naturalisa le premier en Italie, dans sa villa de la banlieue, le platane de l’espèce toujours verte[85]. Les affranchis, dans l’intérêt de leur popularité, embellirent Rome et d’autres villes de l’empire de somptueux édifices et de constructions d’utilité publique. Cléandre, le camérier de Domitien, se distingua surtout sous ce rapport, en faisant construire, entre autres les thermes auxquels fut. attaché plus tard le nom de Commode[86]. Les inventions du luxe le plus raffiné portaient le nom d’affranchis : telles les cuves de bains appelées Bajœ Posidianæ, d’après Posidès affranchi de Claude. Elles étaient chauffées au moyen d’un jet d’eau thermale, de Baïes[87].

Les obsèques des affranchis se faisaient avec une pompe tout orientale. Stace, dans ses Silves, décrit celles de Priscille, épouse d’Abascantus, ainsi que celles de Claude Etruscus. Des monuments de dimensions colossales, à l’ornement desquels tous les arts contribuaient à l’envi, comme le mausolée de Pallas, près de la voie Tiburtine, et celui de L. Aurelius Nicomède, s’élevaient au-dessus du dépôt de leurs cendres, et d’ambitieuses épitaphes proclamaient les mérites des défunts à la postérité. Sur le premier on lisait :

HVIC SENATVS OB FIDEM PIETATEMQVE ERGA PATRONOS ORNAMENTA PRÆTORIA DECREVIT ET SESTERTIVM QVINGVAGIES CVJVS HONORE CONTENTVS FVIT[88].

La plus haute aristocratie de Rome rivalisait d’hommages et d’obséquiosité envers les serviteurs tout-puissants de l’empereur, quelque profond mépris que ces descendants de familles antiques et glorieuses eussent, intérieurement, pour des hommes stigmatisés, à leurs yeux, par la tache indélébile de la servitude,. et qui se trouvaient d’ailleurs encore, à maint égard, placés légalement au-dessous du mendiant de naissance libre ; car, les affranchis de la maison impériale n’avaient guère, par cela seul, plus de droits que les autres membres de leur classe. L’élévation de quelques-uns d’entre eux en particulier, promus par les empereurs et le sénat à un rang supérieur, les autorisait tout au plus à prétendre aux droits de la’ deuxième classe, c’est-à-dire de l’ordre équestre, bien que certaines distinctions extérieures de la première y fussent, parfois, exceptionnellement jointes. Les promotions les plus fréquentes furent, dès le premier siècle de l’empire, celles à l’ordre équestre, par la remise de l’anneau d’or. Cependant les empereurs paraissent avoir été, dans ce siècle du moins, sobres de la dispensation de cet honneur. Comme il ne fut précisément conféré qu’aux plus méritants ou aux plus choyés de ces favoris, il faut croire qu’il n’avait pas encore alors, à force d’être prodigué, perdu son relief, malgré l’affirmation contraire de Pline l’Ancien. On connaît l’élévation de Pallas à l’ordre équestre par le sénat. Peut-être Narcisse avait-il aussi reçu l’anneau d’or. Si cet affranchi, de même qu’un chevalier, du nom de Lacon, reçut du sénat les insignes de la questure[89] et Pallas même ceux de la préture[90], comme Séjan, le premier chevalier qui en fut honoré, et plus tard aussi Macron[91], on ne saurait y voir qu’une des anomalies du régime des affranchis de l’époque, ainsi que dans la permission d’assister aux séances du sénat, accordée aux deux favoris de Claude[92]. Généralement, la présence d’affranchis y passait pour une irrégularité. Icèle[93], Asiaticus[94], Hormus[95] et Claude Etruscus[96] furent aussi promus au rang de chevaliers, les deux derniers par Vespasien ; Crispin le fut par Néron ; mais de ce que Juvénal (IV, 32) l’a appelé princeps equitum, par ironie sans doute, on ne peut conclure, avec certains érudits, qu’il ait été préfet du prétoire. Il n’y a même pas d’exemple d’affranchis honorés du cheval de l’État (equus publicus), qu’un fils d’affranchi, Marc-Aurèle Ménophile, obtint cependant. Souvent l’élévation au rang de chevalier était accompagnée de l’attribution d’un nouveau nom. Icèle reçut ainsi le surnom de Marcien[97]. Il est possible que le fait de pareils changements de nom, qui se renouvela pour Aurelius Zoticus, favori d’Héliogabale[98], ne fût pas rare, et c’est probablement ainsi que s’expliquent les noms romains de l’Égyptien Crispin et du Smyrniote Etruscus. Il se pourrait aussi que ce nom d’Etruscus eût été substitué à celui de Lydus, car on sait, par Suétone et Martial, que les affranchis aimaient assez à changer leurs noms grecs contre des noms italiens ou romains. Le changement dans la position sociale dut aussi. parfois déterminer celui du nom.

Claude, en conférant à tous ses procureurs. une juridiction en matière fiscaié, éleva légalement jusqu’à lui, comme le fait observer Tacite (Ann., XII, 60), les affranchis qu’il avait préposés à l’administration de son domaine privé. Narcisse et Parthénius, camérier de Domitien, portèrent même le glaive, insigne d’une haute juridiction criminelle[99]. Le droit de se servir d’une litière, en ville, et celui d’offrir le. divertissement de spectacles au peuple, accordés par Claude à son affranchi Harpocras, paraissent avoir été des privilèges de l’ordre sénatorial[100]. Des sacerdoces et même des distinctions militaires ont été exceptionnellement conférés à des. affranchis de la maison de l’empereur. Claude Etruscus obtint de Vespasien la faveur d’une place dans le cortége, lors du triomphe de Judée[101], avec la couronne d’olivier, donnée à ceux qui, sans avoir pris part à la guerre, avaient pris soin d’organiser la cérémonie triomphale[102]. Aurelius Nicomède fut gratifié du javelot, de la bannière et d’une couronne murale[103], et, en outre, honoré de fonctions sacerdotales, ordinairement remplies par des chevaliers, telles que le sacerdotium Cœninense et le pontificat mineur.

Abstraction faite de quelques périodes de courte durée, les distinctions extérieures des serviteurs de la maison impériale étaient cependant fort modestes. Au dehors du moins, on s’appliquait à maintenir et à faire sauter aux yeux leur rang subalterne et l’infériorité de leur origine, vis-à-vis des dignitaires impériaux de haute naissance, relevés. par l’éclat de noms sonores et toute espèce de pompes. Mais, dans la réalité, les rapports étaient tout autres et même assez souvent en parfait désaccord avec ces apparences. Ces esclaves, si méprisés, avaient alors la satisfaction de voir s’humilier le plus profondément devant eux les plus grands personnages de Rome. De sots flatteurs imaginèrent de dresser pour Pallas un arbre généalogique, qui le faisait descendre d’un. roi d’Arcadie, son homonyme, et un descendant dés Scipions proposa au sénat le vote d’une adresse, pour remercier ce rejeton d’une maison royale de subordonner au bien de l’État l’illustration de son antique noblesse, et de vouloir bien être le serviteur du chef de l’empire. Sur la motion de l’un des consuls (de l’an 52), les insignes de la préture et un présent considérable en argent (15 millions de sesterces) lui furent offerts, comme on l’a vu plus haut par son épitaphe. Pallas n’accepta que les premiers. Suivit un décret, que Pline le Jeune retrouva un demi-siècle plus tard, dans les archives du sénat, et dont la lecture le fit rougir, de honte et l’indigna. Le sénat, y était-il dit, avait alloué à cet homme d’un si grand mérite une sommé considérable sur le trésor public, et plus le donataire s’était montré désintéressé, plus les donateurs, de leur côté, avaient cru devoir insister auprès de l’empereur, père de la patrie, pour qu’il engageât son grand trésorier à se rendre aux voeux de l’assemblée. Mais, comme l’empereur avait, suivant le désir et au nom de Pallas, refusé ce présent, le sénat s’empressait de déclarer que, malgré le plaisir, accompagné d’excellentes raisons, qu’il avait eu à voter la somme offerte et les honneurs décernés à Pallas, il croyait devoir se rendre, sur le point de l’argent, à la volonté du prince, qu’il serait malséant de contrarier en quoi que ce fût. Ce décret, gravé sur une table de bronze, fut publiquement exposé à côté d’une statue de Jules César, revêtu de son armure, et le possesseur d’une fortune de 300 millions de sesterces, dont l’origine prêtait à tant de suppositions, prôné comme un modèle de désintéressement[104]. Plus tard, le rigide et vertueux Sévère désapprouva, en termes très vifs, l’intention du sénat de voter un pareil décret en l’honneur et au bénéfice de son affranchi Euhode[105]. L. Vitellius, homme très haut placé et père de l’empereur du même nom, mais d’une bassesse qui scandalisa même ses contemporains, avait associé au culte de ses dieux pénates des bustes dorés de Narcisse et de Pallas[106]. Souvent on vit se promener entre les deux consuls Polybe, l’amant de Messaline, à l’instigation de laquelle il fut mis à mort (vers 47 ou 48)[107]. Rien n’est plus caractéristique, pour la position à laquelle étaient parvenus ces ci-devant esclaves, que le fait qu’ils réussirent souvent à épouser les filles des plus nobles maisons et même des parentes de la famille impériale, à une époque où la noblesse était encore si fière de son origine historique et du nombre de ses ancêtres. La loi julienne[108] aussi défendait de fiancer et de marier à des affranchis les filles, petites-filles et arrière-petites-filles de sénateurs issues d’eux en ligne masculine ; mais l’empereur pouvait dispenser de cette défense, comme de celle qui interdisait aux sénateurs d’épouser des affranchies[109]. Le procureur de Judée, Félix, frère de Pallas, devint l’époux de trois filles de rois, dont la première, Drusilla, était petite-fille d’Antoine et de Cléopâtre[110], une autre, aussi nommée Drusilla, fille du roi Hérode Agrippa. On ne connaît pas le nom de la troisième. La femme de Claude Etruscus, distinguée par sa beauté, était la sœur d’un consul qui avait commandé dans la première guerre contre les Daces, en 86[111]. Il ne l’épousa probablement qu’après son élévation à l’ordre équestre, en 71. Antistie Priscille aussi, la première femme d’Abascantus, était de noble race[112]. Plusieurs Antistius avaient été consuls, sous les premiers empereurs. Nous avons déjà fait mention du mariage d’Agaclyte avec la veuve d’Annius Libon, cousin de l’empereur Marc Aurèle et gouverneur de Syrie[113]. De ces cas, dont nous devons la connaissance au hasard, il est permis d’inférer que. les alliances matrimoniales d’affranchis des empereurs avec des familles nobles n’étaient pas rares.

Ainsi, tout se réunissait pour surexciter au plus haut point l’orgueil de ces parvenus, sortis souvent de très bas. L’insolence dont ils faisaient parade était d’autant plus provocante qu’ils se savaient plus méprisés, au fond du coeur, des hommes de libre et haute naissance. D’après un vers d’une pièce de théâtre, il n’est personne d’insupportable dans la bonne fortune comme un valet qui a été souvent rossé. Ce vers ayant été un jour dit en scène, et tous les regards se dirigeant aussitôt sur Polybe, présent à la représentation, celui-ci, loin de se déconcerter, répliqua sur-le-champ : oui ; mais le même poète a dit aussi qu’on a vu des chevriers devenir rois[114]. Pallas, dont le sombre orgueil ne se démentait pas, même vis-à-vis de Néron, auquel il avait contribué à procurer le trône, il est vrai, mais fini par se rendre insupportable[115], fut traduit en justice, sous l’accusation du crime de haute trahison, en 55. A l’allégation que plusieurs de ses domestiques avaient eu connaissance de ses desseins, il répondit que jamais il n’avait donné d’ordres dans sa maison autrement que par signes ou par gestes, et que, des explications devenant nécessaires, il les avait toujours fournies par écrit, pour ne pas s’encanailler avec ses gens en leur adressant la parole[116]. Jamais, il est vrai, les affranchis n’eurent plus de pouvoir et d’arrogance que sous le règne de Claude ; cependant celle-ci fut grande en tout temps. Des mille anecdotes qui circulaient sur leur compte, il en est une qui nous a été transmise par Plutarque[117] et qui mérite d’être rapportée. Un affranchi de la maison impériale, parvenu de fraîche date, après avoir accablé, dans un festin, d’insolentes et grossières plaisanteries un philosophe qui se trouvait parmi les convives, finit par lui demander comment il se faisait que les fèves noires comme les fèves blanches se réduisent en purée jaune. Cela tient sans doute à la même raison, répartit l’homme de science piqué au vif, qui fait que des lanières blanches et des lanières noires causent également des bleus. Rien n’amusait, à ce qu’il paraît, ces parvenus du temps comme d’embarrasser les savants, à table surtout, en leur adressant toute sorte de questions captieuses. Martial qui, dans une de ses pièces de vers (IX, 79), ne se lasse pas de vanter la tenue des affranchis de Domitien, n’y mérite pas plus créance que dans ses autres éloges de ce règne. Autrefois, dit-il, la valetaille des princes était détestée et l’orgueil des gens du palais en très mauvaise odeur, à Rome. Mais maintenant, les gens de l’empereur sont si généralement aimés que chacun en fait plus de cas que de ceux de sa propre maison, tant ils ont de douceur et d’égards pour tout le monde, tant leur réserve est grande et leur contenance modeste. Aucun affranchi ne fait valoir sa personnalité ; tous se règlent sur leur maître : tel est le bon genre de cette puissante cour.

§ 4.

Dans l’administration proprement dite, les affranchis n’occupèrent toutefois fille rarement et exceptionnellement de hautes positions officielles. La règle, dès le premier siècle de l’empire, fut plutôt d’y élever des chevaliers. Dans les emplois de procureurs des perceptions et autres administrations fiscales importantes, les inscriptions mentionnent presque exclusivement des membres de l’ordre équestre. Parmi vingt-deux inscriptions relatives à des procureurs de l’impôt de 5 % sur les successions, une seule se rapporte à un affranchi. Mais, dans les rangs supérieurs de l’administration Escale des provinces, les affranchis sont moins rares. Les inscriptions en accusent huit sur quatre-vingts procureurs provinciaux, dont elles nous ont transmis les noms et qualités. Quelques-uns d’entre eux, il est vrai, ne furent que des officiers de district, mais la plupart semblent avoir été chefs de, l’administration de provinces entières, telles que la Pannonie supérieure et la Gaule lyonnaise, dont par exemple Licinus, que nous avons déjà fait connaître, plus haut, avait été procureur. Mais, généralement, les affranchis ne figurent en nombre que dans des emplois inférieurs, comme adjoints ou subalternes. Cependant, les intendants ou administrateurs des domaines impériaux paraissent avoir toujours été pris dans cette classe. Leurs traitements réguliers ne sauraient donc avoir été bien élevés ; peut-être même leurs revenus n’étaient-ils pas toujours fixes, niais dépendant des circonstances et de l’activité qu’ils déployaient. Il va sans dire, toutefois, qu’ils ne manquaient pas d’occasions pour s’enrichir. On peut, d’après cela, trouver surprenant qu’ils aient été, pendant presque tout le premier siècle de l’empire, titulaires des trois plus hautes procurations, de celle des comptes (a rationibus), de celle des pétitions et requêtes (a libellis) et du secrétariat, chargé de la correspondance (ab epistulis), et qu’ils en aient même encore été parfois investis dans le siècle suivant. Cela tient évidemment à ce que, dans la nomination à ces offices, il était moins nécessaire d’avoir égard à la considération personnelle du fonctionnaire, comme lorsqu’il s’agissait de choix pour les postes de l’administration provinciale surtout, qu’à sa fidélité, à son dévouement et à son aptitude. C’est par la même raison que les procureurs du patrimoine de l’empereur étaient si souvent choisis parmi les affranchis.

Dans l’office des comptes étaient centralisées les recettes de toutes les caisses impériales et s’ordonnançaient toutes les dépenses du trésor. Une pièce de vers déjà plusieurs fois citée de Stace (Silves, III, 3, 84), qu’il composa sur la commande du jeune Claude Etruscus, pour la glorification de son père, après la mort de celui-ci, contient quelques indications sur l’importance de la sphère et l’étendue des attributions de cet office. D’autres renseignements que l’on a sur la manière de parvenir et la position des affranchis à la cour, peuvent servir à les compléter. S’il manquait au père Etruscus, dit le poète, un ancien lignage et un arbre généalogique, la fortune l’en avait amplement dédommagé. Il ne fut obligé de subir les volontés d’aucun maître vulgaire, mais n’eut que des maîtres auxquels l’Orient et l’Occident rendent hommage. Il n’eut pas à en rougir, car, qu’est-ce qui pourrait subsister, sur la terre comme au ciel, sans la loi commune de l’obéissance ? Le soleil, la lune et toutes les étoiles du firmament, n’obéissent-ils pas à des lois immuables ? Hercule et Phébus eux-mêmes n’ont-ils pas servi ? De Smyrne, Etruscus était venu à Rome, où il avait débuté, dès l’adolescence, à la cour de Tibère. Émancipé jeune par cet empereur, il avait conservé sa position sous Caligula et obtenu une place, modeste encore, dans sa suite, lors de son voyage dans les Gaules. Sous Claude avait commencé son avancement et, à l’avènement de Néron, il n’y eut, comme il paraît, aucun changement dans sa position. Il avait donc heureusement conduit sa barque dans toutes les eaux. Puis (probablement encore sous Néron), on lui confia le dépôt sacré des trésors impériaux, c’est-à-dire l’administration générale des finances de l’empire. Comme l’impérieux Pallas[118] venait de résigner ces fonctions en l’an 56, il se peut que l’on fût bien aise de lui donner pour successeur un homme jusque-là peu important. Le produit des mines d’or de l’Ibérie et de la Dalmatie (généralement comprises dans le domaine impérial), celui des moissons de l’Afrique et de l’Égypte, des bancs de perles des mers orientales, des troupeaux tarentins, des fabriques - de cristaux transparents d’Alexandrie, des forêts de la Numidie et du marché d’ivoire de l’Inde, le recouvrement de tous ces tributs, poussés parles vents, de tous les points cardinaux, dans le port de Rome, est désormais commis exclusivement à son administration. L’allocation des fonds pour les dépenses lui incombe de même. Par ses mains passent, chaque jour, toutes les sommes nécessaires pour l’entretien des armées, les distributions de blé à Rome, les constructions de temples, d’aqueducs et de digues, l’embellissement des palais impériaux, l’érection de statues aux dieux, la monnaie, etc. Son sommeil et ses repas sont courts ; il évite tous les festins, et son esprit, toujours au travail, n’est jamais au plaisir. On ne sait pas au juste combien de temps Etruscus occupa ce poste. Il paraît qu’il n’y était plus quand il tomba en disgrâce, sous Domitien, et fut relégué sur la côte de Campanie. On permit cependant à son fils de l’accompagner dans cet exil[119], tandis que son adjoint ou secrétaire intime[120], que l’on traita avec plus de rigueur, fut exilé outre-mer. Le vieil Etruscus ne tarda pas, d’ailleurs, à obtenir son pardon et, peu de temps après, il mourut plus qu’octogénaire. Son tombeau fut couvert de fleurs du parfum le plus exquis, et les essences les plus fines se mêlèrent à ses cendres, dans l’urne qui les renfermait. Peintres et sculpteurs se mirent à l’œuvre, pour immortaliser de leur pinceau, ou fixer en relief, sur les matériaux les plus précieux, les traits du ci-devant esclave, et les deux poètes les plus célèbres d’à temps, Stace et Martial (VII, 40), le chantèrent dans des élégies, qui ont transmis son nom et son histoire à la postérité[121].

L’office ou département des pétitions et requêtes était administré, sous le règne de Claude, par Polybe, déjà mentionné plusieurs fois et auquel Sénèque adressa, de son propre exil en Corse, à l’occasion de la mort d’un frère cadet du ministre, des consolations dont le ton laudatif n’est rien moins que digne d’un philosophe. Il trouve, entre autres, un motif de consolation, pour le frère du défunt, dans la nature et l’importance de son office, qui lui fait un devoir de ne pas s’abandonner à sa douleur. Les yeux de tous ne sont-ils pas fixés sur lui ? Aucune faiblesse ne lui est permise, le monde lui demande et attend de lui de grandes choses. Vous avez, lui dit-il, tant de milliers de solliciteurs à entendre, tant de milliers de requêtes à classer. Pour qu’une telle masse d’affaires, qui vous arrivent de tous les coins du monde, puissent être soumises avec l’ordre nécessaire à la décision du souverain, il faut que vous remontiez votre propre esprit. Il ne sied pas de pleurer à qui est obligé d’écouter tant de gens qui pleurent. Pour sécher les larmes de tant d’hommes en péril, qui désirent obtenir grâce et miséricorde de l’empereur, il faut que vous commenciez par sécher les vôtres[122]. Polybe joignait d’ailleurs encore d’autres fonctions à cet office principal ; il était aussi conseiller d’études (a studiis) de l’empereur[123], emploi qui paraît avoir également formé un office de cour régulier[124]. Il avait, entre autres écrits, composé des paraphrases de Virgile et d’Homère, et, dit à ce sujet Sénèque, tant que la langue latine conservera son empire et la grecque son charme, le nom de Polybe vivra, avec ces grands génies. Polybe est le seul des hommes puissants à la cour qu’il y ait non seulement intérêt, mais plaisir à avoir pour ami. Avec toutes les facilités qu’il a pour s’enrichir, il n’en tire pas d’autre parti que l’avantage moral du mépris des richesses. Personne ne porte envie à sa fortune, tant il est estimé. Tout l’écrit du philosophe est sur ce ton.

Polybe, qui avait succédé dans cet office à Calliste, dont la faveur datait du règne de Caligula, y fut remplacé successivement, sous Néron, par Doryphore et par Épaphrodite, puis, sous Domitien, par Entelle, derniers affranchis investis de la direction de ce département, à la tête duquel on ne voit plus figurer dans la suite que des chevaliers.

Avant l’organisation du secrétariat ou département des dépêches, et lettres, Auguste avait écrit à Mécène pour le prier de lui céder Horace, qu’il aurait voulu s’attacher comme aide, dans sa correspondance[125]. Après l’organisation du service de ce département, ses chefs furent généralement des affranchis, jusque vers la fin du premier siècle. Des deux divisions, l’une grecque, l’autre latine ; qu’il comprenait, chacune dut avoir, de tout temps, son chef particulier. Cependant, la haute direction du département entier, pendant le premier siècle de l’empire, paraît avoir été constamment dans une seule main. Il est du moins impossible que le tout-puissant Narcisse, chargé du secrétariat sous Claude, n’ait été qu’un simple chef de division, car cette position ne lui aurait pas permis de tenir son rang à côté de Calliste et de Pallas. Sous Domitien aussi, le titulaire ab epistolis dirigeait l’ensemble de ce département. En effet, Abascantus, le secrétaire impérial du temps, paraît avoir été, d’après Stace (Silves, V, 1, 83), en correspondance avec toutes les parties de l’empire, les pays de langue grecque comme ceux de langue latine, et, de la part de cet auteur contemporain, des erreurs grossières et palpables ne pourraient se concevoir, même comme des licences poétiques. Mais, dans le siècle suivant, il y eut un changement, à ce qu’il paraît, peut-être lors de la réorganisation de toute l’administration impériale, par Adrien. A cette époque, en effet, le bureau de la correspondance latine et celui de la correspondance grecque paraissent avoir été constitués en sections entièrement distinctes. L’extrême encombrement des affaires pourrait bien avoir fait reconnaître, alors, l’opportunité et l’urgence même de cette séparation, d’autant plus qu’avec la centralisation croissante, ce fut précisément dans cette branche que le travail prit le plus d’extension ; car, dit Stace, en parlant de l’empereur :

.................................... Ille subactis

Molem immensam humeris et vix tractabile pondus

Imposuit (nec enim numerosior altera sacra

Cura domo), etc. ..................

Cette citation est empruntée à la pièce de vers adressée par l’auteur des Silves à l’affranchi Abascantus, après la mort de son épouse, Antistie Priscille. Il dit l’avoir composée dans son application constante à témoigner, dans la mesure de ses faibles moyens, de son profond dévouement pour tout l’entourage de l’auguste maison du souverain, attendu que celui qui adore les dieux avec un coeur fidèle doit aimer aussi les ministres de leurs autels. L’empereur, à la pénétration duquel n’avaient pas échappé -les capacités et les talents rares d’Abascantus, jeune encore, n’avait-il pas cru devoir poser lui-même sur les épaules de son protégé l’énorme charge du département le plus encombré d’affaires de sa maison sacrée ? Priscille en exprima sa joie et sa reconnaissance au prince, en se jetant à ses genoux. Abascantus eut désormais à expédier les ordres de son maître dans le monde entier, à diriger les forces et à administrer toutes les ressources de l’empire, à recevoir les messages de victoire de l’Euphrate, du Danube, des bords du Rhin, des pays les plus reculés, de Thulé même : en un mot, d’aussi loin qu’avaient pu pénétrer les armées romaines ; car, sous un règne glorieux, ce n’est jamais avec la plume, le signe des mauvaises nouvelles, mais avec la lance entourée de lauriers qu’arrivent les messagers.

C’est lui qui expédie les promotions dans l’armée, par lui que l’on apprend qui a obtenu un centurionat ou un tribunat militaire, le commandement d’une cohorte ou celui d’un escadron de cavalerie. Il est obligé de s’informer si le débordement du Nil a été suffisant pour assurer la récolte ; s’il a plu en Afrique ; ainsi que de mille autres choses encore. Ni Mercure, ni Iris, ne sont chargés d’aussi nombreuses commissions. Abascantus, suivant son panégyriste, conserva toujours, après son élévation, la même égalité d’humeur et le même calme, sa probité et sa modestie. Par la frugalité de ses repas et le sobre usage qu’il faisait de la coupe, sa manière de vivre ressemblait à celle des paysans de l’Apulie ou de la Sabine. Il paraît avoir été fort riche cependant. Stace nous montre Priscille, sur son lit de mort, conjurant son époux de faire placer, en son nom, au Capitole, une statue en or de l’empereur, du poids de cent livres, représentant une valeur de 450.000 sesterces ou plus de 112.000 francs. Ses obsèques furent célébrées avec une magnificence royale. On prodigua tous les parfums de l’Orient pour l’embaumement de son corps, étendu sur des coussins de soie et enveloppé de pourpre. Elle fut ensevelie à la voie Appienne, près de l’Almo. Son mausolée était un palais. L’image de la défunte s’y trouvait reproduite sous les figures de plusieurs déesses, sous celles de Cérès et d’Ariane en bronze, ainsi que sous celles de Maïa et de Vénus en marbre. D’après Morelles et Markland, la momie de Priscille aurait été retrouvée intacte, en 1471, sous le pontificat de Sixte IV. Après la mort d’Antistie Priscille, Abascantus, qui passa ensuite du secrétariat d’État à un autre office (a cognitionibus), épousa en secondes noces, une affranchie impériale, Hespéride[126]. Le tombeau d’Abascantus est orné de l’image d’un célèbre conducteur de chars du temps, Scorpus[127], dont il fut sans doute un des protecteurs.

La direction du département de la correspondance exigeait, d’ailleurs, un certain degré d’instruction littéraire, ou du moins de facilité dans l’usage des langues, toutes les lettres et tous les rescrits impériaux devant y être rédigés par les chefs de service, au nom de l’empereur même.

Quelques noms d’affranchis employés dans ce département, qui nous ont été transmis, indiquent chez eux une instruction pareille et l’habitude de travaux scientifiques. Ce sont des noms qu’ils avaient probablement reçus de leurs maîtres, en raison de la nature même de leurs études et de leurs occupations : ainsi ceux de T. Claude le Philologue, de T. Flavius Ilias, peut-être aussi de Flavius Hermès. Ce n’est donc point par une coïncidence purement accidentelle que l’on retrouve des commis de ce ministère également employés aux bibliothèques. Un certain T. Claude Alcibiade, par exemple, conservateur de la bibliothèque latine d’Apollon, fonctionnait en même temps comme rédacteur à la division de la correspondance latine (Orelli, 41). La considération qui s’attachait au poste du chef de ce département, comme aux autres offices impériaux, ayant grandi de plus en plus, surtout depuis l’établissement de la règle de n’y plus nommer que dés chevaliers, on peut admettre aussi celui de l’usage de ne le confier qu’à des hommes d’une réputation littéraire bien reconnue. Titinius Capiton, qui dirigea le secrétariat sous Nerva et Trajan, est cité comme un des ornements du siècle par Pline le Jeune (Lettres, VIII, 12), qui l’appelle le restaurateur d’une littérature vieillissante. Il s’était essayé même en vers. Sous Adrien, le secrétaire impérial ne fut autre que Suétone, écrivain docte et fécond, dans les Vies des Empereurs[128] duquel on reconnaît parfaitement l’habitude du style clair et précis, ainsi que la sobriété de rédaction d’un homme versé dans le maniement des affaires. Il perdit son emploi pour s’être montré trop familier avec l’impératrice Sabine[129]. Dans le deuxième siècle, la direction du service de la correspondance hellénique paraît avoir formé surtout le grand but de l’ambition des rhéteurs et des sophistes grecs, dont plus d’un l’atteignit en effet. Ils n’y avaient pas seulement en vue la sanction impériale de leur renommée littéraire, mais aussi la perspective des promotions de ce poste à d’autres encore plus élevés et plus lucratifs. Le rhéteur Avidius Héliodore, qui occupa le secrétariat sous Adrien, parvint jusqu’à la vice-royauté d’Égypte, et son fils, Avidius Cassius, put même oser étendre sa main vers la couronne impériale.

D’ailleurs, pour des hommes aux yeux desquels l’art du langage et du style apparaissait comme le but suprême de toute application studieuse, n’était-ce pas déjà un beau résultat d’être en quelque sorte brevetés, du fait de l’empereur, par leur élévation au secrétariat, comme les premiers hommes de style de leur temps ? C’est ainsi du moins qu’eux et leurs amis comprenaient et interprétaient cette haute faveur. L’atticiste Phrynique vante le rhéteur Cornélien, chargé du secrétariat hellénique sous Marc-Aurèle et Commode, comme un homme s’exprimant avec une pureté antique, le seul capable de ramener la rhétorique à l’ancienne forme éprouvée ; il lui attribue le mérite d’avoir complètement hellénisé, par son atticisme, la haute cour de justice de l’empereur, et le propose comme maître et modèle à tous les autres tribunaux, non seulement pour sa diction correcte, mais aussi pour l’extérieur, les manières, le regard, la voix et la tenue. C’est pour ces qualités, continue notre atticiste, avec une emphase et une exagération ridicules, que les empereurs ont jugé Cornélien digne du premier poste de l’État, et lui ont confié l’administration de toutes les affaires helléniques, en le plaçant à côté d’eux comme un gardien, le nommant, officiellement, leur secrétaire, mais le choisissant en réalité pour leur corégent. L’office a cogintionibus, que le même semble avoir rempli à côté de celui de secrétaire, comme plus tard Marcius Agrippa, sous Caracalla, d’après Dion Cassius (LXXVIII, 13), avait été, précédemment, aussi tenu par Abascantus[130].

Les grands camériers impériaux, comme nous l’avons déjà fait observer, n’ont commencé qu’après les autres grands officiers du palais, dont il a été question jusqu’ici, à occuper une position mise en évidence à la cour. Ils étaient à la tête d’un personnel nombreux, formé en partie d’affranchis, en partie d’esclaves, et dont tous les membres, suivant la nature de leur emploi, approchaient plus ou moins de là personne du prince ; d’où probablement aussi la distinction en valets de chambre de première et de seconde classe[131].

Dans les premiers temps de l’empire, les cubicularii ne furent jamais des hommes libres. S’il fallait une preuve de l’influence qu’eux aussi étaient en position d’acquérir, à toutes les époques[132], en sachant habilement profiter des circonstances, on ne saurait mieux la trouver qu’à la cour de Caligula, dans l’exemple de l’Égyptien hélicon, que nous connaissons par le rapport de Philon[133] sur l’ambassade des Juifs d’Alexandrie. Hélicon, d’abord esclave d’un particulier, qui lui avait fait donner une certaine éducation, puis avait cédé le jeune domestique à Tibère, n’arriva que sous Caligula à la position de valet de chambre auprès de la personne même de l’empereur, avec lequel cet emploi lui procura des rapports directs et de tous les instants. Que Caïus jouât à la paume ou se livrât à d’autres exercices du corps, qu’il fût au bain, qu’il déjeunât, ou qu’il se couchât, toujours et partout le valet de chambre se tenait près de l’empereur, dont il avait ainsi l’oreille en toute occasion, avec plus de facilité que personne, pour lui parler tout à loisir. D’après Philon, il devait surtout son influence à ce talent propre aux gens de sa nation pour la moquerie, le sarcasme et les bons mots ; qu’il savait assaisonner du venin de sa profonde méchanceté égyptienne. Ce fut lui qui, donnant le mot à une troupe de ses compatriotes, communiqua à l’empereur cette haine pour les Juifs qu’il tenait de sa naissance et de son éducation. On le disait de plus gagné par les Alexandrins, dans le même but de prévenir et d’indisposer Caligula contre les Juifs, yen partie à prix d’or, en partie par la perspective des honneurs qu’on devait lui faire à Alexandrie, s’il y venait lui-même, à la suite de l’empereur. Les Juifs, de leur côté aussi, avaient songé aux moyens de se le rendre favorable ; mais ils échouèrent, n’ayant trouvé personne qui osât l’approcher, à cause de ses façons hautaines et abruptes avec tout le monde. Philon le qualifie d’esclave, bien qu’il fût peut-être affranchi. Claude le fit supplicier dans la suite, pour d’autres méfaits.

A la cour de Domitien, ses deux camériers, Parthénius et Sigère, comptaient parmi les plus importants personnages. Martial (IV, 78), faisant le portrait d’un vieux fou qui se targuait de ses accointances à la cour, dit qu’on le voyait remonter la rue du palais dix fois par jour, n’ayant que Parthénius et Sigère à la bouche. De ces deux camériers, le premier avait la plus haute position. Suétone[134] le qualifie de préposé à la chambre à coucher (cubiculo prœpositus), titre qui devint d’un usage plus général dans la suite. Il possédait à un haut degré la faveur de Domitien, qui lui conféra, comme on l’a déjà vu plus haut, une juridiction militaire, probablement limitée au palais. Martial (V, 6), le priant de vouloir bien présenter son cinquième livre à l’empereur, ajoute : Vous connaissez les moments de sérénité de Jupiter, quand il rayonne de cet air de mansuétude qui lui est propre et le fait paraître d’humeur à ne rien refuser aux suppliants. Parthénius et Sigère n’en prirent pas moins une part active au meurtre de Domitien[135], ainsi qu’à l’élévation de Nerva[136], à la cour duquel le premier resta en faveur. A cette époque encore bien des affaires passèrent par ses mains. Il avait tant de requêtes à lire qu’il ne lui restait guère de temps à consacrer aux muses ; sans cela, il n’eût pas manqué de se vouer à la sienne, Martial[137] nous assurant que son protecteur faisait très bien lés vers. Ce poète lui dédia également une poésie sur le cinquième anniversaire de la naissance de son fils Burrhus (IV, 45), et une autre de remerciements pour le cadeau d’une toge (VIII, 28). Puis Martial revint à la charge auprès du camérier, avec la prière de recommander ses poésies à l’empereur ; s’il trouvait un moment de loisir, ce qu’il était à peine permis d’espérer, hélas (XII, 11) ! Mais, lorsqu’en 97 les prétoriens réclamèrent de Nerva le châtiment des meurtriers de Domitien, et les tuèrent, malgré son refus[138], Parthénius paraît avoir été de ceux qui périrent ; cela est du moins vraisemblable, bien qu’Aurelius Victor seul le dise expressément.

Telle était la position des camériers au premier siècle de l’empire. Nous la retrouvons tout autre cent ans plus tard, à la cour de Commode, où on les voit déjà, comme jadis dans les grands empires despotiques de l’Orient, se succéder comme des lieutenants omnipotents de l’empereur, d’autant plus que celui-ci, déjà habitué par le préfet Perennis à vivre entièrement pour ses plaisirs, abandonnait tout au caprice de ses affranchis et était, d’ailleurs, la majeure partie du temps lui-même absent de Rome. Déjà le premier dans l’ordre des camériers de cette cour, Saotéros de Nicomédie, qui obtint du sénat, pour sa ville natale, le droit d’instituer une fête périodique et d’ériger un temple en l’honneur de l’empereur[139], fut un homme puissant. Cléandre le supplanta et le livra au bourreau, avec d’autres victimes. Cléandre[140], Phrygien de naissance, amené comme esclave à Rome pour y faire le service de porte-faix, puis vendu publiquement, passa dans la maison de l’empereur, où il s’éleva jusqu’à l’office de camérier. Dans cette position il exerça un pouvoir inouï, au point de faire, par exemple, vingt-cinq nominations de consuls dans une année, et il ramassa, par des exactions de tout genre, une fortune colossale. Après que le préfet du prétoire Perennis eût été, en partie à son instigation, livré à la fureur des soldats, il fit et défit pendant quelque temps, à son gré, les nouveaux titulaires de cet office, le plus proche du trône impérial en pouvoir, si bien qu’il finit par l’occuper lui-même, en s’y adjoignant deux collègues[141]. On le soupçonnait d’aspirer au pouvoir souverain. La fureur populaire s’étant déchaînée contre lui, lors d’une disette, Commode l’abandonna en 189. On lui coupa la tête, qui fut promenée dans Rome, au bout d’une lance, et ses principaux adhérents tombèrent avec lui. Le dernier camérier de Commode fut l’Égyptien Eclectus, qui, voyant sa propre vie menacée par les caprices de despote de l’empereur[142], conspira sa mort ; avec le préfet Létus et Marcie, la concubine favorite de son maître, puis éleva Pertinax au trône, mais ne tarda pas à périr avec lui, massacré par les soldats, après une vaillante résistance[143].

Sous les empereurs suivants, bornons-nous à mentionner encore, avant de passer outre, le camérier de Septime Sévère, Castor, tué par Caracalla, le camérier de celui-ci, Festus, et Aurèle Zoticus, déjà nommé comme le favori d’Héliogabale...

 

Après les grands officiers de la cour, les comédiens, mimes et danseurs de celle-ci peuvent également prétendre à une mention dans ce chapitre, bien qu’ils ne fussent pas tous affranchis de l’empereur. La multiplicité des rôles que les artistes de l’espèce eurent l’occasion de jouer dans le palais impérial, est caractéristique pour cette époque. Les célébrités parmi eux n’étaient pas celles qui eussent alors le moins de retentissement. Tels furent les Bathylle, les Pylade, les Mnester, les Paris. On sait que Bathylle était un affranchi de Mécène, mais qui, après la mort de son patron, passa probablement dans la maison impériale. De Pylade, on peut supposer qu’il fut un affranchi d’Auguste même. Quant à Marc Lépide Mnester, qui mourut en 48 après J.-C., avec Messaline[144], il paraît avoir été un affranchi de Lépide, dont il aurait pris le nom. Il y eut un autre Mnester, affranchi d’Agrippine[145]. Le pantomime Paris[146], premier du nom, qui eut tant d’influence sur Néron, et mourut en 67, était affranchi de Domitia, tante de cet empereur. Un deuxième Pylade, pantomime chéri de Trajan[147], ne paraît avoir reçu sa liberté que d’Adrien. Il eut un élève encore plus célèbre, du même nom, qui fut émancipé par Marc-Aurèle et Lucius Verus, dont il partagea la faveur avec Apolaustus[148]. Ce dernier eut certainement aine position considérable à la cour, puisque, enveloppé dans la chute de Cléandre, il dut mourir avec lui. Le danseur Théocrite, que Caracalla nomma au commandement d’une armée en Arménie, avait été esclave de Saoteros, camérier de Commode[149].

Parmi les nombreux acteurs attachés à la maison impériale, les pantomimes tenaient le premier rang. Les hautes classes étaient surtout passionnées pour ce genre de représentations scéniques, les femmes plus encore que les hommes. Plus, d’un virtuose de ballet put se vanter de la faveur d’une impératrice. L’intercession ou la protection d’un danseur était quelquefois plus efficace et plus puissante que toute autre, à la cour. Maint solliciteur, dit Épictète (Diss., IV, 6, 31), réfléchit, en se levant le matin, à qui de la maison impériale il doit présenter ses hommages, dire quelque chose d’agréable, ou faire un présent ; comment il pourra plaire au danseur, ou gagner les bonnes grâces de l’un, en calomniant l’autre. Sous Domitien, Paris, qui régnait sur la scène, excita tellement la jalousie de l’empereur que celui-ci- répudia sa femme et fit assassiner le pantomime, en pleine rue. A lui s’appliquait, dit-on, ce premier essai de la verve satirique de Juvénal (Sat. VII, 90-92), disant : ce que les grands né pourront faire pour vous, un danseur le pourra ; vous avez beau solliciter dans les palais : c’est une Pélopée qui fait les préfets, une Philomèle, les tribuns. Ces vers d’une satire, qui ne fut publiée que plus tard, eurent, dit-on, des conséquences fatales pour le poète. Comme il y avait à la cour du temps où elle parut, c’est-à-dire à celle de Trajan, ou peut-être d’Adrien, un autre pantomime en grande faveur, et dont les protégés étaient vivement poussés tous les jours, on crut devoir rapporter à ces faits l’allusion de l’auteur, et on le bannit pour le punir d’un froissement, cette fois peut-être involontaire de sa part[150].

On cite encore d’autres artistes de théâtre comme ayant exercé, dans l’occasion, de l’influence à la cour. Apelle d’Ascalon, le plus célèbre tragédien de son temps, fut le conseiller inséparable de Caligula et put, comme tel, faire librement tout ce qu’osent les gens de son espèce, arrivant au pouvoir[151]. Les Juifs envoyés d’Alexandrie auprès de cet empereur pensèrent qu’ennemi de leur peuple, comme Ascalonite, il devait être, avec le camérier Hélicon, la personne qui avait le plus indisposé contre eux le souverain. Mais plus tard il tomba en disgrâce, pour avoir montré de l’hésitation dans sa réponse à cette extravagante question de Caligula : Qui des deux lui paraissait le plus grand de Jupiter ou de l’empereur ? Celui-ci, non content de la fustigation qu’il lui fit infliger, se mit à faire l’éloge du beau timbre de voix de ce malheureux, au milieu des cris et des hurlements que lui arrachait la douleur[152]. C’est par le mime Alityre, Juif en grande faveur auprès de Néron, que Josèphe fut présenté, à Puteoli, à l’impératrice Poppée, avec l’appui de laquelle il obtint la mise en liberté de quelques prêtres de sa nation, que le procureur Félix avait fait mettre aux fers et envoyés à l’empereur. Le mime Latinus, maître dans son art, et favori de Domitien, était fier d’être connu de toute,la capitale pour le serviteur de son Jupiter, comme on le voit par ce distique de Martial (X, 28).

Vos me laurigeri parasitum dicite Phæbi

Roma sui famulum dum sciat esse Jovis.

Il l’apportait à l’empereur les nouvelles du jour, et ses dénonciations le faisaient craindre partout.

Dans l’armée des autres serviteurs de la cour, bornons-nous à mentionner, en passant, les pages et les mignons (delicati), sans soulever davantage le voile, qu’il vaut mieux laisser étendu sur ce côté des mœurs antiques : Il suffit, d’ailleurs, de nommer Antinoüs pour rappeler le degré d’influence auquel eux aussi parvenaient quelquefois. Antinoüs fut-il esclave, ou affranchi comme Earinus, l’échanson de Domitien[153] ? Toute affirmation, sur ce point ; paraît aussi hasardée dans un sens que dans l’autre.

 

Il est naturellement peu question de la domesticité féminine, attachée soit à titre d’affranchies (libertinœ), soit à celui d’esclaves, à la maison impériale. Cependant, on ne saurait passer sous silence quelques faits caractéristiques pour leur position. Ainsi la juive Acmé[154], esclave de Livie, se laissa gagner, au moyen de fortes sommes, par le bâtard d’Hérode le Grand, Antipater, pour le seconder activement dans une intrigue contre la sœur d’Hérode, Salomé. Une lettre de cette correspondance ayant été interceptée, Acmé, qui l’avait écrite, paya son imprudence de la vie[155]. Othon, qui devint plus tard empereur, était entré dans l’intimité de Néron par l’entremise d’une affranchie très influente, qu’il combla d’égards et dont il feignit même d’être épris, quoiqu’elle fût déjà d’un grand âge[156].

On comprend que, de toutes les femmes du palais, les concubines des empereurs eussent le plus de chance d’acquérir de l’influence et du pouvoir. Narcisse se servit de deux concubines de Claude pour faire parvenir à l’oreille de ce prince ses délations contre Messaline[157]. Quelques-unes. réussirent à exercer sur des empereurs une fascination durable. Cependant, il n’y eut jamais dans l’empire romain de règne de maîtresses. Ce chapitre est le seul sur lequel les amateurs de scandale risquent d’éprouver quelque désappointement. Cela tient à la différence essentielle entre les rapports des deux sexes, dans l’antiquité et les temps modernes. Le premier empereur qui se prêta à une pareille liaison amoureuse fut Néron, pendant qu’il n’était encore qu’un jeune homme de dix-neuf ans ; la belle dont il s’éprit, l’esclave Acté ; la patrie de celle-ci, l’Asie Mineure ; mais, cette liaison choquait tellement les idées du temps que le préfet de la garde de nuit, Annæus Sérénus, dut se prêter à passer ostensiblement pour l’amant d’Acté. L’impératrice mère se prit de rage quand elle eut connaissance de cet amour pour une esclave, qui menaçait de paralyser son influence ; tandis que les amis plus âgés de l’empereur voyaient cette inclination de bon œil, la regardant comme un moyen de le détourner sans péril d’autres penchants beaucoup plus funestes. Sa passion pour Acté fut telle qu’il songea même à l’épouser. Des consulaires offrirent d’affirmer sous serment qu’elle était du sang royal des Attales[158]. Mais cette flamme ne tarda pas à changer d’objet ; d’autres supplantèrent la favorite, et Poppée finit par l’emporter sur elle. Cependant elle survécut à Néron et lui rendit même les honneurs suprêmes, avec deux de ses anciennes gouvernantes[159]. Ses obsèques, dont elle était sans doute assez riche pour supporter les frais, coûtèrent 200.000 sesterces (environ 50.000 francs). Sur le mont Célius, dans les jardins de la villa Mattéi, on a trouvé des pierres sépulcrales de quelques-uns de ses esclaves et affranchis.

Ce fut par des qualités d’un autre genre que Cénide, sans avoir l’éclat de la jeunesse et de la beauté, sut conserver jusqu’à sa mort l’attachement de Vespasien. Elle avait été affranchie de la mère de Claude, Antonia, qui, tirant parti de sa mémoire extraordinaire et de ses talents, non moins remarquables que sa fidélité, l’avait employée à écrire des lettres importantes[160]. Vespasien l’avait connue et aimée jeune. Il la reprit chez lui après le décès de sa femme Flavia Domitilla, morte dès avant son avènement au trône, et la traita presque comme une épouse légitime. Elle devait déjà avoir une quarantaine d’années à cette époque. Suétone rapporte, comme un trait de l’insolence que montra de bonne heure le jeune Domitien, que cette amie de son père ayant voulu l’embrasser au retour d’un voyage, selon son habitude, il lui tendit froidement sa main à baiser[161].

L’influence qu’elle avait sur l’empereur lui procura les moyens d’acquérir d’immenses richesses. On prétend même que Vespasien se servit d’elle pour remplir ses coffres ; car elle recevait de l’argent de tous les côtés, en vendant des emplois, dés procurations, des commandements militaires, des dignités sacerdotales et même des décisions souveraines. Si Vespasien n’envoya jamais personne à la mort par cupidité, il fit cependant, pour de l’argent, remise à beaucoup de condamnés de leur peine. C’était Cénide, il est vrai, qui touchait cet argent, mais on soupçonnait fortement l’empereur de s’entendre avec elle. Cependant elle ne jouit pas longtemps du pouvoir, car elle mourut dès 71 après J. C., dans l’année qui suivit l’avènement de Vespasien au trône. Après sa mort, plusieurs maîtresses lui succédèrent dans la faveur de ce prince[162]. Sur Antonin le Pieux aussi, une concubine parvint à exercer assez d’influence pour que la rumeur publique pût lui attribuer la nomination d’un préfet des gardes dû corps. Cette femme, que le biographe de l’empereur ne nomme pas, paraît, d’après une inscription,, avoir été une affranchie de sa femme Annia Galéria Faustine[163].

Une maîtresse de Lucius Verus, la Smyrniote Panthée, doit son renom auprès de la postérité surtout aux hommages enthousiastes que lui adressa Lucien (Imagines), le plus spirituel écrivain du temps, pendant un court séjour à Smyrne, vers l’an 162. Se beauté, dit-il dans un de ses écrits, qui lui fut dédié, ne peut se décrire qu’autant que l’on se représente toutes les perfections des premiers chefs-d’oeuvre du pinceau et du ciseau grecs, toutes réunies dans sa personne. Sa voix est la plus suave que l’on puisse entendre ; dans l’art et la mélodie du chant elle surpasse le rossignol ; Orphée et Amphion trouveraient leur bonheur à l’écouter et à suivre chacune de ses notes. Elle joue du luth avec la même perfection. Non seulement elle a pour la poésie le goût le plus vif, mais elle tonnait aussi à fond les ouvrages des historiens, des orateurs et des philosophes. En expérience, en intelligence politique, sagacité et promptitude de conception, elle ressemble à Aspasie, ou plutôt elle lui est aussi supérieure que l’empire romain à l’État athénien de Périclès. Son panégyriste la compare ensuite à Théano, femme de Pythagore, à Sappho et à Diotime. Il ne se lasse pas de vanter sa bonté et son affabilité, sa douceur et sa gracieuseté pour les solliciteurs, sa modestie et sa fidélité à son auguste amant. La fortune ne l’a pas rendue orgueilleuse ; elle cause avec tous ceux qui l’approchent, sans contrainte et sur le pied d’égalité ; son air aimable gagne d’autant plus les coeurs qu’il n’y a rien d’affecter, mais que tout, chez elle, dénote la femme supérieure. Toute sa tenue, d’ailleurs, était en harmonie avec la hâte position qu’elle occupait. Une nombreuse et brillante domesticité, des femmes de chambre, des eunuques et des soldats l’entouraient. Cette belle femme, ayant trouvé l’éloge de l’écrivain un peu exagéré, lui fournit l’occasion de maintenir toutes ses louanges et d’y ajouter encore l’éloge d’une rare modestie (Pro imaginibus).

Panthée paraît avoir longtemps fasciné Verus et même lui avoir survécu longtemps. Marc-Aurèle[164] fait mention d’elle dans une de ses considérations mélancoliques sur la vanité de toutes les choses humaines. Panthée et Pergame, dit-il, sont-ils encore assis auprès du cercueil de leur maître ? ou Chabrias et Diotime, auprès de celui d’Adrien ? Mais cela ferait rire. Cela fût-il d’ailleurs, les défunts en auraient-ils le moindre sentiment ? et s’ils en avaient le sentiment, y trouveraient-ils du plaisir ? et, s’ils y trouvaient du plaisir, seraient-ils bien des immortels ? N’est-il pas dans la destinée de leurs compagnes et compagnons de vieillir aussi d’abord, pour mourir ensuite ? Et les uns morts, qu’y peuvent les autres ? Oui, tout n’est que vanité, pourriture et poussière.

Dans le harem de Commode, qui ne renfermait pas moins de trois cents concubines avec un nombre égal de jeunes esclaves[165], l’affranchie Marcie occupait la première place, à laquelle elle sut se maintenir neuf ans. Elle n’avait passé à l’empereur qu’après le supplice de Quadratus (en 183), dont elle avait été concubine jusque-là[166]. Commode aimant la voir en amazone, se faisait appeler lui-même Amazonius, et voulut absolument, pour l’amour d’elle, paraître dans l’arène en costume d’amazone[167]. Elle jouit de tous les honneurs d’une femme légitime et même d’une impératrice, à cela près qu’on ne portait pas le feu devant elle[168]. Chrétienne, ou du moins inclinant au christianisme, comme plusieurs des affranchis de cette cour, Prosénès et Carpophore entre autres, elle avait des intelligences avec l’évêque de Rome, Victor[169]. Il suffit d’un mot de sa bouche pour faire remettre en liberté les chrétiens condamnés au travail des mines en Sardaigne. On croit avoir retrouvé son portrait sur des monnaies, offrant, à côté de l’effigie de Commode, une tête de femme accompagnée d’un bouclier d’amazone. Il se pourrait, d’après une inscription (Henzen, 7190), qu’elle eût contribuée à la restauration des thermes d’Anagni, avec l’affranchi impérial Euhode, natif de cet endroit. Sentant sa vie menacée, elle conspira la mort de l’empereur avec Létus et Eclectus, qui passe pour voir été son amant[170]. Mais bientôt la Némésis l’atteignit elle-même et Didius Julianus la fit périr[171].

§ 5.

Même les esclaves de la maison impériale comptaient encore comme gens d’importance. Ils étaient souvent fort riches ; on sollicitait leur faveur et ‘on avait à subir leur arrogance. Adrien, voyant un de ses esclaves marcher entre deux sénateurs ; lui fit donner un soufflet, avec l’admonestation de ne plus se permettre de ces familiarités avec des hommes qui pourraient être ses maîtres[172]. Mais ces exemples de sévérité des empereurs pour leurs esclaves paraissent avoir été des exceptions, autrement les historiens du temps n’auraient pas cru devoir les signaler, comme Suétone[173] l’a fait pour Auguste et Dion pour Claude[174].

Comment se fait-il,» demande Epictète[175], qu’un homme acquière soudain de l’esprit, pour peu qu’on le nomme ne fût-ce qu’inspecteur des latrines (sic) au palais ? Qu’est-ce qui nous fait dire aussitôt : Félicion m’a parlé avec tant de raison ? Je voudrais, moi, qu’on le fit déguerpir de ses latrines, pour qu’il reparût un sot. Épaphrodite avait un cordonnier qu’il vendit, ne le trouvant bon à rien. Plus tard le même esclave, par un heureux hasard, fut acheté par une personne du palais et devint ainsi cordonnier de l’empereur. C’est alors qu’il fallait voir comme Épaphrodite l’honorait. Que fait le brave Félicion ? demandait-il sans cesse ; ou bien, rencontrant son ancien serviteur, il ne manquait pas de lui dire : Tu ne saurais croire, mon ami, quel cas je fais de toi. De même, quelqu’un de nous s’avisait-il de demander des nouvelles d’Épaphrodite, on répondait invariablement : Il est allé prendre conseil de Félicion... Je ne voudrais pas vivre, s’écrie le philosophe dans un autre passage, si ce devait être par la grâce de Félicion ; si j’étais condamné à subir les traits de son orgueil et de son insolence de valet[176]. Mais peu de gens pensaient comme Épictète. On baisait les mains d’un Numérius, d’un Symphore ; on passait la moitié de la nuit à faire antichambre à leur porte, en attendant leur lever, et on leur envoyait des cadeaux, pour s’assurer de leur appui en vue d’un avancement[177]. Des candidats à la préture, au consulat même, faisaient la cour aux esclaves du palais[178].

Parmi les esclaves les plus considérables de la maison impériale, on distinguait les dispensateurs (comptables et caissiers[179]), non seulement à la cour même, mais aussi auprès des nombreuses administrations de la capitale et des provinces[180]. On peut juger de l’importance de leurs recettes par le fait qu’Othon put, en retour dit service qu’il avait rendu à un esclave de la maison impériale en lui procurant une de ces places, auprès de Galba, lui extorquer un million de sesterces[181]. Rotundus, esclave dont Claude avait hérité de Drusilla, et qui fut dispensateur dans l’Espagne citérieure, possédait un vase d’argent de 500 livres, d’un travail si compliqué qu’il avait fallu, pour le faire, établir un atelier spécial. Plusieurs de ses adjoints avaient des vases semblables, quoique d’un moindre poids[182]. Dans un columbarium[183] sur la voie Appienne, à côté du tombeau des Scipions, on a découvert l’épitaphe d’un dispensateur de la principale caisse impériale de la Gaule lyonnaise, esclave de Tibère. Elle provient de seize de ses propres esclaves (vicarii), qui l’avaient accompagné dans un voyage à Rome, où la mort le surprit. On peut juger du grand état de sa maison, d’après cette escorte. Elle se composait de trois secrétaires (a manu), deux valets de chambre (a cubiculo), deux cuisiniers, deux valets de pied (pedisequi), deux argentiers (ab argento), d’un médecin, d’un maître de la garde-robe, d’un homme d’affaires, d’un intendant (sumptuarius) et d’un domestique dont l’emploi n’est pas désigné[184].

§ 6.

Il va sans dire que beaucoup de services nécessaires à une cour ne pouvaient, d’après leur nature, être remplis par des affranchis ou des esclaves de la maison impériale, au moins ceux qui exigeaient la connaissance d’un art ou d’une science professionnelle. Parmi les personnes attachées au service de la cour, sans pour cela appartenir à la maison impériale, celles dont il est fait le plus mention étaient les médecins particuliers de l’empereur, les astrologues de la cour et les précepteurs des princes.

Les précepteurs de la famille impériale furent quelquefois des hommes de qualité. Sénèque était déjà sénateur, quand il fut appelé à faire l’éducation du jeune Néron, alors âgé de huit ans[185] ; probablement aussi Fronton, quand il se chargea de l’instruction de Marc-Aurèle et de Lucius Verus, lorsqu’ils s’appelaient encore, le premier M. Antonius Verus, le second L. Commode[186]. On peut admettre qu’on portait ordinairement le choix, pour ces fonctions, sur des hommes jouissant d’une grande renommée, dans leur partie. Quintilien professait depuis vingt ans l’art oratoire à Rome, quand Domitien le chargea de l’instruction des petits-fils de sa soeur Domitilla[187]. Le fameux rhéteur Théodore de Gadara fut aussi le précepteur de Tibère[188]. Quand ces maîtres étaient de condition moindre, on les logeait probablement au palais. Lorsque Auguste nomma précepteur de ses petits-fils le célèbre grammairien Verrius Flaccus, il le prit dans sa maison avec toute son école, en ne lui demandant que l’engagement de ne plus admettre de nouveaux élèves, et il lui alloua un traitement de 100.000 sesterces ou 25.000 fr.[189]. Le stoïcien Apollonius, qu’Antonin le Pieux avait fait venir de Chalcis pour l’instruction du jeune Marc-Aurèle, refusa d’habiter le palais Tibérien, où demeurait son disciple ; et, comme il insista pour que celui-ci vînt chez lui, l’héritier du trône se rendit effectivement à son désir[190]. Ausone[191] nous a laissé la liste, incomplète cependant comme il paraît, des savants romains qui obtinrent la distinction d’honneurs consulaires à titre de précepteurs de princes. Sénèque et Quintilien, comme en 143 Hérode Atticus, précepteur de Marc-Aurèle, Fronton et plus tard aussi Titien, qui fut probablement le précepteur de Maximin le Jeune[192], en jouirent.

Bien que la maison impériale eût un personnel médical nombreux, ne fût-ce qu’à raison des spécialités multiples de la médecine du temps, qui en connaissait une jusque pour les maux d’oreilles[193], le choix des médecins attachés à la personne de l’empereur n’en dépendait pas moins de sa confiance, et celle-ci de leur réputation. Les autres officiers de santé de la maison impériale n’y étaient probablement employés que comme des aides subalternes ; car il y avait là aussi une certaine hiérarchie, et une ancienne inscription[194] distingue un médecin en chef (supra medicos) et un décurion des médecins (decurio medicus). Les médecins de l’empereur, dans les premiers temps de l’empire, recevaient un traitement annuel de 250.000 sesterces. On cite parmi eux Antoine Musa, qui fut peut-être un affranchi du triumvir[195], et le médecin d’Auguste, Marc Antoine Asclépiade, auquel on érigea un monument à Smyrne. Q. Stertinius fit valoir comme un sacrifice, qu’il s’imposait par dévouement pour la maison impériale, de s’être contenté du double de la somme indiquée ci-dessus, en certifiant, par l’énumération des familles qui se faisaient auparavant traiter par lui en ville, que cette clientèle ne lui rapportait pas moins de 600.000 sesterces. Le frère de ce Stertinius obtint un traitement égal de Claude, et, bien que tous les deux eussent fortement ébréché leur fortune par de grands travaux d’embellissement à Naples, ils laissèrent chacun 30 millions de sesterces à leur mort[196]. Il y eut aussi beaucoup de médecins grecs attachés à la cour des empereurs. Tels furent, entre autres, le médecin de Claude, Xénophon ; le principal médecin de Néron, Andromaque de Crète ; celui d’Adrien, Hermogène[197] et le célèbre Galien, qui fut médecin de Commode. Xénophon, de la famille des Asclépiades de Cos, obtint, en l’an 53 de notre ère, l’immunité d’impôt pour cette île. Il passe pour avoir empoisonné Claude l’année suivante, de complicité avec Agrippine[198]. En général les médecins du temps étaient souvent accusés d’empoisonnement par leurs ennemis, non moins que d’adultère avec les princesses, auprès desquelles leur profession leur donnait un libre accès. Pline[199] mentionne à ce sujet Vettius Valens d’Ariminum, où l’on à retrouvé plusieurs monuments de sa famille, médecin célèbre sous Claude et amant de Messaline, dont, il partagea le supplice en 48. Xénophon pourrait bien avoir été celui qui le remplaça. Eudème, médecin de la bru de Tibère, Livie, nommé parle même auteur, fut le confident des relations adultérines de cette princesse avec Séjan, et vécut lui-même dans l’adultère avec elle[200].

Les astrologues non plus ne manquaient à ces cours. C’étaient presque toujours des Grecs ou des Orientaux. L’astrologie avait pourtant ses dangers, particulièrement menaçants pour le trône. Ses prédictions réveillaient les passions de leur sommeil, excitaient aux pensées sinistres, et poussaient ses adeptes à l’action en leur prêtant le courage du fatalisme. Aussi renouvela-t-on continuellement des défenses interdisant la pratique de l’astrologie et édictant l’exil et d’autres peines rigoureuses contre les Chaldéens. On eut beau faire. Les empereurs eux-mêmes consultaient presque tous des astrologues, et plusieurs d’entre eux, tels que notamment Tibère, Adrien et Sévère, étaient profondément initiés aux mystères de cette prétendue science. La cour attribuait à l’astrologue Thrasylle, qui resta l’inséparable compagnon de Tibère jusqu’à la mort de l’empereur, une influence absolue sur ce prince généralement si taciturne[201]. Vespasien, non moins adonné à cette superstition, accorda comme une faveur spéciale, sur la demande de l’astrologue Barbillus d’Éphèse, l’institution d’une fête périodique, accompagnée de jeux, à cette ville, la seule qui obtint jamais de lui ce privilége[202]. Beaucoup d’inscriptions de vainqueurs font mention de ces jeux barbilléens. Barbillus n’était autre que le fameux astrologue d’après le conseil duquel Néron, à l’apparition d’une comète en l’an 65, fit exécuter plusieurs chefs de l’aristocratie, pour détourner de sa tête le danger dont on la disait menacée[203]. Il arriva plus d’une fois que la destinée des plus grandes familles fut ainsi à l’arbitre des astrologues de la cour. Le sujet auquel, d’après leur dire, son horoscope promettait le trône, n’avait ordinairement à choisir qu’entre deux extrémités, celle de conspirer ou d’aller tranquillement à sa perte[204]. Tibère, Domitien, Caracalla, ordonnèrent des exécutions sans plus de motifs. Domitien fit périr Metius Pomposianus sur un simple augure que la superstition populaire attachait à sa naissance[205]. Il parait que la mort de Nerva était aussi déjà presque résolue dans l’esprit du même tyran, quand un, astrologue, ami du premier, s’avisa, pour détourner le péril de sa tête, de faire accroire à l’empereur que Nerva n’avait plus que peu de jours à vivre[206].

Les astrologues et les médecins pouvaient, comme d’autres savants, se trouver placés à la cour dans une condition plus honorée que celle des serviteurs à gages, lorsqu’ils étaient compris dans les personnes qualifiées d’amis et compagnons de l’empereur, parmi lesquels ils ne figuraient toutefois, en pareil cas, que comme les derniers et les moins huppés. Il nous reste maintenant à parler plus au long de ces amis de l’empereur.

 

 

 



[1] De Moribus Germanorum, chap. XXV.

[2] Suétone, César, chap. LXXVI.

[3] Tacite, Hist., I, 58. Voyez cependant Plutarque, Othon, chap. IX.

[4] Dion Cassius, LVII, 5.

[5] Stace, Silves, V, 1.

[6] Vie de Domitien, chap. VII.

[7] Recueil d’Orelli, 801.

[8] Vie d’Adrien, chap. XXII.

[9] Aurelius Victor, Épitomé, c. XIV : Officia sane publica et palatina nec non militiæ in eam formam statuit, quæ paucis per Constantinum immutatis hodie perseverant.

[10] Dion Cassius, LXXI, 5. — Orelli, 3754.

[11] Juvénal, III, 57-114

[12] Annales, V, 10.

[13] Grote, History of Greece, vol. IV, p. 357.

[14] Hérodien, III, 11, 8.

[15] Jules César, De Bello Alexandrino, chap. III : Alexandrini homines ingeniosissimi atque acutissimi.

[16] Martial, Stace, Quintilien, Dion Chrysostome.

[17] Pline le Jeune, Panégyrique de Trajan, chap. XXXI : Ventosa et insolens natio. — Hist. auq., Saturnin, chap. VII : Ægyptii, viri ventosi, furibundi, jactantes, injuriosi, atqueadeo vani, liberi, etc.

[18] Juvénal, XV, 45.

[19] Ammien Marcellin, XXII, 16, 23.

[20] Plutarque, De Isi et Osiri. — Dion Cassius et Ammien Marcellin.

[21] Dion Chrysostome, Discours, XXIII, p. 366, 4.

[22] Jules César, De Bello Alexandrino, chap. XXIV, 4.

[23] Juvénal, Saturnales, XV. - Tacite, Histoire, I, 11.

[24] Tacite, Hist., II, 92. — Pline, Hist. nat., XII, 12.

[25] Orelli, 2993.

[26] Ibid. 794. — Becker, Gallus, III, p. 201.

[27] Suétone, Caligula, chap. XXVII.

[28] Frontin, De Aquis, ch. CV et CXII, éd. Bucheler.

[29] Henzen, 1857, p. 86, etc. — Orelli, 2533.

[30] Ibid., 6344.

[31] Inscr. ant., XVIII, 121.

[32] Voyant Adrien porter des boucles sans pierres précieuses, tout le monde admira son esprit d’économie. Gallien ne se fit pas scrupule d’en porter d’aussi richement ornées. Aurélien permit l’usage de boucles d’or même aux simples soldats, qui n’en avaient porté jusque-là que d’argent. Il est fait mention d’une boucle d’or, garnie de pierres précieuses, donnée en cadeau à un tribun de promotion nouvelle. Mais c’est principalement de camées que l’on ornait les boucles et les ceintures, comme on le voit par nombre de bustes et de statues du temps.

[33] Espèce de bulletin quotidien (commentarii diurni), sans publicité, dans lequel devaient être consignés tous les propos, faits et gestes de la cour. L’usage, imité sans doute de celui des cours de Perse et de Macédoine, en parait avoir été déjà introduit à Rome par Auguste (Voir Suétone, Octave, chap. LXIV). Il voulait que sa fille et sa petite-fille ne prononçassent jamais une parole qui fût de nature à ne pouvoir y être insérée. Plusieurs des empereurs attachaient une très grande importance à ce journal. Les commentaires et actes de Tibère formaient presque la seule lecture de Domitien (Ibid., Domitien, ch. XX). Après la mort de Néron, on demanda au sénat la permission de prendre connaissance des Commentarii principales, pour avoir les noms des délateurs de ce règne et ceux des personnes dénoncées par eux (Tacite, Hist. IV, 40). On voit par les Lettres de Pline le Jeune (X, 100), qui avait sollicité le droit de cité pour des personnes auxquelles il s’intéressait, que Trajan, ayant fait droit à sa demande, avait ordonné l’insertion de cette espèce de naturalisation des protégés de son ami dans ses Commentaires. Le biographe d’Aurélien (chap. I) utilisa pour son travail les Éphémérides de cet empereur, qui avait fait consigner sur des rouleaux de toile les événements de chaque jour de son règne. De là vint que l’on écrivit aussi, dans la suite, sous forme de journal, les biographies de plusieurs empereurs, comme les Éphémérides de la vie de Gallien, de Palfurius Sura, et celles de Turdulus Gallicanus, dont Vopiscus profita pour écrire sa Vie de Probus.

[34] A la fin du quatrième siècle de notre ère, le commerce de la pourpre était devenu un monopole impérial. Les procureurs directeurs de toutes ces teintureries, en Orient comme en Occident, relevaient, dans les derniers temps de l’empire, du fonctionnaire appelé conte des largesses (comes sacrarum largitionum).

[35] Suétone, Octave, chap. LXVII.

[36] Meyer, Anthol. lat., I, 77.

[37] Annales, IV, 7.

[38] Dion Cassius, LVIII, 19.

[39] Josèphe, A. J., XVIII, 6. — Le denier valait quatre sesterces (un franc environ).

[40] Josèphe, A. J., XIX, 1, 10.

[41] Sénèque (Lettres, 47, 9) rapporte le fait comme témoin oculaire.

[42] Dion Cassius, LIX, 19.

[43] Tacite, Annales, XI, 29. — Dion Cassius, LIX, 29.

[44] Dion Cassius, LX, 19.

[45] Suétone, Néron, chap. XXXVII.

[46] Tacite, Annales, XIV, 39.

[47] Tacite, Annales, XIII, 1.

[48] Plutarque, Galba, chap. XVII. — Dion Cassius, LXIV, 3.

[49] Tacite, Hist., I, 49.

[50] Amplissima procuratio, suivant l’expression de Suétone, Galba, chap. XV.

[51] E veteribus concubinis. Suétone, Galba, chap. XXII.

[52] Plutarque, Galba, chap. VII. — Suétone, Néron, chap. XLIX.

[53] Tacite, Hist., I, 13. — Suétone, Galba, chap. XIV.

[54] Tacite, Hist., I, 37 ; II, 95.

[55] Ibid., I, 46.

[56] Suétone, Othon, chap. VII. — Dion Cassius, LXIV, 8.

[57] Servili supplicio. Tacite, Hist., IV, 11 ; II, 57 et 95. — Suétone, Vitellius, chap. XII.

[58] Tacite, Hist., III, 12 et 28 ; IV, 39.

[59] Creditur etiam procuratorum rapacissimum quemque ad ampliora officia ex industria solitus promovere, quo locupletiores mox condemnaret. Vie de Vespasien, chap. XVI.

[60] Suétone, Vie de Domitien, chap. VII.

[61] Dion Cassius, LXVII, 15.

[62] Panégyrique de Trajan, chap. LXXXVIII.

[63] Vie d’Adrien, chap. IV et XXI.

[64] Vie d’Antonin le Pieux, chap. VI et XI.

[65] Tillemont, II, p. 592.

[66] Vie de Lucius Verus, chap. IX, et de Marc Antonin, chap. XV.

[67] Vie de Pertinax, chap. XIV et XII. — Dion Cassius, LXXIII, 8-10.

[68] Ibid., LXXVI, 6, LXXVII, 18 et 21, LXXVIII, 10.

[69] Vie d’Héliogabale, chap. XI.

[70] Tacite, Annales, XIII, 47.

[71] Stace, Silves, III, 3.

[72] Josèphe, A. J., XII, 1, 10. — Suétone, Néron, chap. XXXV : Libertos divites et senes - veneno - intercepit. — Tacite, Annales, XIV, 65.

[73] Tacite, Annales, XII, 53, 3.

[74] Successeur du précédent. Épictète avait été l’esclave de ce même Épaphrodite, qui aida Néron à se suicider et fut plus tard mis à mort par ordre de Domitien.

[75] Suétone, Claude, chap. XXVIII.

[76] Dissertationes I, 26, 11. [Ces dissertations, qui forment tout un cours de morale et de philosophie, n’ont pas été rédigées par Épictète lui-même, mais par son disciple Arrien.]

[77] Vie d’Antonin le Pieux, chap. XI. — Vie d’Alexandre Sévère, chap. XXIII et XXXVI.

[78] Vie d’Héliogabale, chap. X. — Dion Cassius, LXXIX, 10.

[79] Juvénal, XIV, 91.

[80] Hist. nat., XXXVI, 60.

[81] Voyez Becker, Gallus, II, p. 206.

[82] Pline, Hist. nat., XVIII, 7.

[83] Frontin, De Aquis, 25, 19.

[84] Mirabilia, p. 92.

[85] Pline, Hist. nat., XII, 12.

[86] Dion Cassius, LXXII, 12.

[87] Pline, Hist. nat., XXXI, 5.

[88] Pline le Jeune, Lettres, VII, 29.

[89] Tacite, Annales, XII, 53.

[90] Pline le Jeune, Lettres, VIII, 6.

[91] Dion Cassius, LVII, 19, et LVIII, 12.

[92] Dion Cassius, XL, 16.

[93] Suétone, Galba, chap. XV. — Plutarque, Galba, chap. VII.

[94] Le même, Vitellius, chap. XII.

[95] Tacite, Hist., IV, 39.

[96] Stace, Silves, III, 3, 143-145.

[97] Suétone, Galba, chap. XIV.

[98] Dion Cassius, LXXIX, 16.

[99] Zonaras, p. 563. — Dion Cassius, LXVII, 15 ; LIII, 13.

[100] Suétone, Claude, chap. XXVIII.

[101] Stace, Silves, III, 3, 140.

[102] Aulu-Gelle, V, 6, 4.

[103] Hasta pura et vexillo et corona murali donatus. Cette couronne se donnait à celui qui était monté le premier à l’assaut d’une ville assiégée.

[104] Tacite, Annales, XII, 53. — Pline le Jeune, Lettres, VIII, 6.

[105] Dion Cassius, LXXVI, 6.

[106] Suétone, Vitellius, chap. II.

[107] Le même, Claude, chap. XXVIII.

[108] Digeste, XXIII, 2, 44.

[109] Ibid., 2, 31.

[110] Tacite, Hist., V, 9.

[111] Stace, Silves, III, 2, 115.

[112] Ibid., V, 1, 58.

[113] Tillemont, II, p. 592.

[114] Dion Cassius, LX, 29.

[115] Tacite (Annales, XIII, 2) dit de Pallas : Tristi arrogantia tædium sui moverat. Pline le Jeune (Lettres, VIII, 6) l’appelle fastidiosissimum mancipium. — Voir aussi Dion Cassius, LXI, 3.

[116] Tacite, Annales, XII1, 23. — Dion Cassius, LXII, 14.

[117] Qu. conv., II, 1, 12, 2, et Macrobe, Saturnales, VII, I, 12.

[118] Qui velut arbitrium regni agebat (Tacite, Annales, XIII, 14). — Il paraît avoir été un affranchi d’Antonia, mère de Claude.

[119] Martial, VI, 83.

[120] Curarum socius, mots qui pourraient du reste aussi s’appliquer à quelque chef d’un antre département.

[121] M. Friedlænder a consacré, dans le tome premier de son livre, à la hiérarchie du personnel et aux titulaires des trois départements a rationibus, a libellis et ab epistolis, ainsi qu’au mode d’avancement des affranchis en particulier, dans les deux premiers siècles de l’empire, une notice chronologique plus étendue, dont les éléments lui ont été fournis non seulement par les auteurs, mais surtout par les inscriptions du temps. Quelque intérêt qu’elle offre pour l’étude des détails de l’histoire de cette période, nous avons cru devoir nous borner à n’en utiliser, dans notre texte, que les données les plus saillantes, et renvoyons, pour le reste, à l’original allemand.

[122] Consolations à Polybe, chap. VI.

[123] Suétone, Claude, chap. XXVIII.

[124] Orelli, 719, 2, 958, 6, 356.

[125] Ante ipse scribendis epistolis sufficiebam ; nunc occupatissimus et infirmus Horatium nostrum a te cupio abducere : veniet ergo ab ista parasitica mensa ad hanc regiam, et nos in scribendis epistolis juvabit. (Suétone, Vie d’Horace.)

[126] Henzen, 6524. — Fabretti, 273.

[127] Martial, X, 50, 53 ; XI, 1, 15.

[128] Elles parurent dans l’année 120. Il n’est pas impossible que l’auteur eût obtenu le secrétariat dès l’an 117.

[129] Histoire auguste, Vie d’Adrien, chap. XI.

[130] Pour résumer ce qui concerne les distinctions de la hiérarchie administrative de l’empire, observons que le titre de procuratur était celui de presque tous les chefs suprêmes et directeurs généraux des grandes administrations ; cependant, il n’est pas certain que tous les chefs des trois ministères principaux l’aient porté ; cela n’est constant que pour ceux du secrétariat et du département des comptes. On y voit fonctionner en outre, à divers degrés, des procuratores summarum rationum, des proximi suminarum, des dispensatores et des actores a rationibus. Le personnel des trois départements, en général, comprenait des adjoints (adjutores, proximi), des secrétaires (tabularii), des archivistes (scriniarii), ainsi que des rédacteurs et des expéditionnaires (scribœ).

Le titre de magister epistolarum parait être postérieur au deuxième siècle, comme celui du magister libellorum et du magister memorix, qui, pour définir également ses attributions, adnotationes ovines dictat et emittit, et precibus respondet. Papinien, magister libellorum sous Sévère, devint ensuite préfet du prétoire. Ces mêmes titres figurent encore parmi ceux des dignitaires de l’empire d’Orient. L’office a diplomatibus paraît avoir formé une section de l’office a memoria ; a codicillis, une du secrétariat (ab epistolis).

[131] Cubicularii stationis primæ (dans Orelli) et secundæ (dans Henzen).

[132] Cicéron déjà se crut obligé de dire : Aditus ad me minime, provincialis. Nihil per cubicularium.

[133] Legalio ad Caïum, 571.

[134] Vie de Domitien, chap. XVI. — Dion Cassius, LXVII, 15. — Tertullien, Apologétique, chap. XXXV.

[135] Dans Suétone (Domitien, chap. XVII), selon toute probabilité, le Saturius, decurio cubiculariorum, n’est autre que Sigère.

[136] Dion Cassius, LXVII, 15.

[137] Voir XI, 1, où il dit de Parthénius :

Libros non legit ille, sed libellos ;

Nec Musis vacat, aut suis vacaret.

[138] Suétone, Domitien, chap. XXIII. — Pline le Jeune, Panégyrique de Trajan, 6. — Dion Cassius, LXVIII, 3.

[139] Dion Cassius, LXXII, 12 et LXXVII, 21.

[140] Hérodien, I, 12, etc. — Histoire auguste, Vie de Commode, chap. V-VII —Dion Cassius, LXXII, 9, etc.

[141] Tuneque primum tres prœfecti prætorii fucre, inter quos libertinus, qui a pugione appellatus est (Vie de Commode, chap. VI). A pugione, du poignard, doit se prendre ici comme on disait a rationibus, a cubiculo, etc., et voulait dire probablement, dans la bouche du peuple, un assassin. — Voir aussi Dion Cassius, LIX, 26.

[142] Cubicularios suos libenter occidit, quum omnia ex nutu eorum semper fecisset. Eclectus cubicularius cura videret eum tara facile cubicularios occidere, prevenit cum (Vie de Commode, chap. XV).

[143] Hérodien, I, 17. — Dion Cassius, LXXII, 22. — Vie de Pertinax, chap. IV et XI.

[144] Dion Cassius, LXI, 31. — Tacite, Annales, XI, 36.

[145] Tacite, Annales, XIV, 9.

[146] Ibid., XIII, 19-22.

[147] Dion Cassius, LXVIII, 10.

[148] Fronton, Lettres à Lucius Verus, 12. — Vie de Lucius Verus, chap. VIII.

[149] Dion Cassius, LXXVII, 21.

[150] Irati histrionis exul, dit Sidoine Apollinaire, IX, 266.

[151] Dion Cassius, LIX, 5. — Philon, Legatio ad Caïum, 576.

[152] Suétone, Caligula, chap. XXXIII.

[153] Stace, Silves, III, préface et ode 4.

[154] En syriaque, Hacma, sage ou prudente, d’après Letronne, Recueil des inscriptions de l’Égypte, vol. II, p. 359.

[155] Josèphe, A. J., XVII, 5, 7 ; B. J., I, 32, 6, 7.

[156] C’était une liberta aulica gratiosa, suivant l’expression de Suétone, Othon, chap. II.

[157] Tacite, Annales, XI, 29, etc. — Narcissus duas pellices ; quarum is (Claudius) corpori maxime insueverat, largitione ac promissis, et uxore dejecta plus potentiæ ostendando, perpulitdelationem (Messalinæ) subire.

[158] Dion Cassius, LXI, 7. — Tacite, Annales, XIII, 12, etc. — Suétone, Néron, chap. XXVIII.

[159] Ibid., chap. L.

[160] Dion Cassius, LXVI, 14. — Suétone, Vespasien, chap. III.

[161] Suétone, Domitien, chap. XII.

[162] Le même, Vespasien, chap. XXI.

[163] Henzen, Orelli, 5466.

[164] M. Antonin, Comm., VIII, 37.

[165] Vie de Commode, chap. V.

[166] Dion Cassius, LXXII, 4.

[167] Vie de Commode, chap. XI.

[168] Hérodien, I, 16, 4.

[169] Hippolyte, Ref. Haeres., IX, 2.

[170] Hérodien, I, 17. — Dion Cassius, LXXII, 22. — Vie de commode, chap. XVII.

[171] Dion Cassius, LXXIII, 16.

[172] Vie d’Adrien, chap. XXI.

[173] Vie d’Octave, chap. LXVII.

[174] Dion Cassius, LX, 12.

[175] Diss., I, 19, 16.

[176] Ibid., IV, 1, 149.

[177] Epictète, Diss., III, 8, 31.

[178] Ibid., IV, 7, 23.

[179] Voir Becker, Gallus, II, 97.

[180] Suétone, Galba, chap. XII. — Vespasien, chap. XXII.

[181] Le même, Othon, chap. V.

[182] Pline, Hist. nat., XXXIII, 145.

[183] Nom d’une construction affectée au dépôt d’urnes funéraires.

[184] Henzen, 6651.

[185] Suétone, Néron, chap. VII.

[186] Niebuhr, Préface à Fronton, p. XXI.

[187] Quintilien, livre IV, Préface.

[188] Suétone, Tibère, chap. LVII.

[189] Suétone, Grammairiens illustres, chap. XVII.

[190] Vie d’Antonin le Pieux, chap. X. — Vie d’Antonin le Philosophe, chap. III. — Marc-Antonin, Comment. I, 8.

[191] Ad Gratianum, éd. de Deuxponts, p. 290.

[192] D’après la biographie de ce dernier, chap. I.

[193] Orelli, 4227 : T. Ælius Amintas, Aug. lib. medicus auricularius. — Marc-Aurèle, VIII, 31.

[194] Columb. lib. Liviæ (Orelli, 2974).

[195] Dion Cassius, LIII, 30.

[196] Pline, Hist. nat., XXIX, 7.

[197] Dion Cassius, LXIX, 22.

[198] Tacite, Annales, XII, 61 et 67.

[199] Hist. nat., XXIX, 20. — Voir aussi Tacite, Annales, XI, 31 et 35.

[200] Tacite, Annales, IV. 3.

[201] Tacite, Annales, VI, 20, etc. — Suétone, Octave, chap. LXLVIII ; Tibère, chap. XIV et LXII. — Dion Cassius, LVII, 15 et LVIII, 27.

[202] Dion Cassius, LXVI, 9.

[203] Suétone, Néron, chap. XXXVI. — Tacite, Annales, XV, 47. — Dion Cassius, LXI, 18.

[204] Dion Cassius, LVII, 19, au sujet de Tibère, et LXXVIII, 2, au sujet de Caracalla.

[205] Suétone, Domitien, chap. X : Quod habere imperatoriam genesin vulgo ferebatur.

[206] Dion Cassius, LXVII, 15.