1610-1675. Henri IV avait compris que l'on ne gouverne pas avec une minorité. Il s'était détaché de celle qui l'avait soutenu pendant près de vingt ans, et il s'était appuyé presque uniquement sur l'ancienne majorité qui l'avait combattu. Sauf Sully et Turenne, il ne garda au pouvoir aucun des anciens chefs huguenots, ni Coligny le fils, ni Duplessis-Mornay, ni d'Aubigné. Il se servit des modérés, comme Montmorency, Bellegarde, Harlay, et des Ligueurs auxquels il confia des provinces, comme le duc de Guise. Le tact du maître et sa supériorité intellectuelle, autant que le besoin du repos, firent accepter cette évolution au point de laisser assoupir les anciens dissentiments. A sa mort, le lien qui nouait ces intérêts se brisa
subitement. Les idées de coalition des puissances catholiques pour
l'extirpation de l'hérésie, et celles de rébellion pour établir Il n'hésita pas à prodiguer l'argent parmi ses partisans et à défendre avec acharnement ses prérogatives plus ou moins légitimes. Malgré l'énormité de ses revenus, les besoins d'argent étaient la cause de ses principaux ennuis. Il crut y remédier en se mariant, bien qu'il fût âgé de près de quarante ans, avec la veuve de l'homme le plus riche de France. Très hault et très puissant
prince Charles de Lorayne, duc de Guyse, pair de France, et très haulte et
très puissante princesse madame Henriette-Catherine de Joyeuse, duchesse
douairière de Montpensier, furent espousés le 5 de janvier 1611 par Monsieur
le cardinal de Joyeuse[1]. Mais la fille
que la nouvelle duchesse de Guise avait eue de son premier mari, le duc de
Montpensier, fut fiancée peu de temps après à Gaston d'Orléans, frère de
Louis XIII, et il fallut rendre compte des grands biens dont elle était
héritière. D'ailleurs, l'Espagne n'envoyait plus de doublons. Guise se trouva
bientôt accablé de dettes. Il remarqua que le prince de Coudé, catholique et
uni d'intérêts avec le Florentin Concini, attirait vers lui la plus grosse
part des trésors amassés par la prévoyance de Henri IV, et se faisait donner
des terres, des châteaux, des villes. Il comprit aussitôt les avantages de ce
jeu et tendit également la main vers Du moins, le duc de Guise ne terminait plus ses querelles
par des coups d'épée imprévus, comme celui qui l'avait débarrassé du maréchal
de Le plus jeune, Paris de Lorraine, que l'on nommait le
chevalier de Guise, avait grandi au milieu d'une génération de bretteurs,
dont le plus fameux était le fils de Balagny, le
plus galant homme du monde, puisqu'il avait tué huit ou neuf hommes eu duel.
Quand Balagny entrait dans un bal, c'était un murmure d'admiration parmi les
dames, qui le priaient à l'envi de s'asseoir près d'elles[2]. A côté d'un tel
modèle, le chevalier de Guise était impatient de se signaler. Il apprit, à la
fin de 1612, qu'un des gentilshommes de la suite de Concini, le baron de Luz,
s'était vanté d'avoir intercepté, vingt-quatre ans auparavant, un avis qui
prévenait le Balafré des dispositions prises par Henri III pour le tuer.
Fidèle à ce sentiment de vengeance que les Guises se transmettaient de père
en fils, il se mit à la recherche du baron de Luz, l'aperçut dans un
carrosse, le 3 janvier 1613, rue de Grenelle, près de la barrière des
Sergents, lui cria de descendre, lui passa son épée au travers du corps,
avant qu'il eût le temps de se mettre en garde, et courut se vanter près des
dames de ce coup heureux, pendant que le vieux râlait dans l'allée d'une
maison où il s'était réfugié pour mourir. Quelques jours après, le 31
janvier, le fils du baron de Luz, jeune, hardi et inexpérimenté, voulut venger
la mort de son père, et fit appeler le
chevalier de Guise. Celui-ci monta à cheval immédiatement, rejoignit l'enfant
au faubourg Saint-Antoine, le tua et se retira dans l'hôtel du duc son frère
pour recevoir les félicitations de toute la cour. Ce double exploit sur le père
et le fils fut célébré comme une bataille gagnée ; les poètes le rimèrent ; Les filles du Balafré portaient dans leur passion la même violence que leurs frères : l'une d'elles, qui avait épousé le prince de Conti, inquiète de voir son frère le duc de Guise s'embarrasser de plus en plus dans les dettes, le suppliait un jour de ne jouer plus. — Ma sœur, dit-il, je ne jouerai plus quand vous ne ferez plus l'amour. — Ah ! le meschant, reprit-elle, il ne s'en tiendra jamais ![3] Le duc de Guise n'en était pas moins le principal
conseiller politique de C'était une lutte entre favoris. Ceux de Concini
triomphaient avec le duc de Guise ; ils s'attendaient à recueillir les
pensions et les gouvernements des vaincus. Mais tout à coup Louis XIII
s'éveilla, fit casser la tête à Concini, rappela ses armées et donna le
pouvoir suprême à un homme d'une vieille famille des bords de Le duc de Nevers accourut près du Roi, et figura à son
tour parmi les favoris. Il appuya la politique autrefois rêvée par Catherine
de Médicis, tentée actuellement par le connétable de Luynes, et qui sera
bientôt réalisée par le cardinal de Richelieu : forcer à la docilité les
réformés de France et assurer ensuite, par la protection des réformés à
l'étranger, la prépondérance de Un de ses frères continuait en même temps les querelles
avec le duc de Nevers. Celui-ci prétendait disposer à son gré d'une abbaye
dont le cardinal Louis de Guise voulait faire remettre la possession à un de
ses fils naturels ; le cardinal se mit en pourpoint, entra chez le duc de
Nevers avec quelques hommes bien armés, le souffleta, et prit la fuite avant
que Nevers eût pu le rejoindre. Il fut enfermé quelque temps à Mais l'époque de l'indulgence allait disparaître. Déjà le
pouvoir arrivait aux mains d'un homme qui n'était plus d'humeur à tolérer
l'opposition, ni même l'indocilité. Le cardinal de Richelieu essaya
d'utiliser le duc de Guise ; il le fit venir avec ses galères de Cet exemple ne fut pas utile à l'aîné. Avec sa manie
héréditaire de soulever sans cesse des conflits de préséance, le duc de Guise
prétendit se prévaloir de sa charge d'amiral du Levant, pour soustraire nos
flottes de Henri, ce cinquième duc de Guise, possédait à quatorze ans quatre cent mille livres de rente en biens d'église et l'archevêché de Reims. Il prit d'abord pour modèle son oncle le cardinal Louis de Guise, qui portait le justaucorps de buffle et l'épée, faisait appeler en duel, et avait cru pouvoir épouser Charlotte des Essars, ancienne maîtresse de Henri IV, dont il avait six enfants. De même le neveu, pendant ses visites pastorales à l'abbesse d'Avenay, dans son diocèse de Reims, avait su plaire à la jeune sœur de l'abbesse et vaincre ses scrupules par une promesse de mariage du style le plus galant : A l'incomparable et adorable princesse Orante. Moy, soussigné, Henry de Lorraine, dans l'extrême passion que j'ay d'honorer et servir très généreuse et très vertueuse princesse madame Anne de Gonzague, jure et proteste de n'aimer ni épouser jamais autre personne qu'elle. Et pour plus grande sûreté de la foi du mariage que je lui ai promis, je lui ai envoyé la présente promesse écrite et signée de mon sang, 29 juin 1636. La jeune pensionnaire eut sans doute des remords, car Henri obligea deux ans après un de ses chanoines de Reims de le marier avec sa charmante Anne de Gonzague, dans la chapelle de l'hôtel de Nevers. La mort de son père et de son frère aîné lui permit de se
démettre de toutes ses charges ecclésiastiques et de succéder au titre de duc
de Guise, en 1640. Il se hâta d'entrer en lutte contre le cardinal de
Richelieu et de se présenter comme un chef de mécontents : il fut forcé de s'enfuir
dans les Pays-Bas, comme son père avait dû se retirer en Italie ; il conspira
avec le comte de Soissons, ne fut pas présent à la bataille de Anne de Gonzague lui fut fidèle dans cette disgrâce ; mais
il lui avait déjà donné une rivale. Cessant d'imiter son oncle le cardinal,
le nouveau duc de Guise suivait, dette fois, l'exemple de son cousin le duc
de Lorraine. Ce bon seigneur avait obtenu Après un tel exemple, Henri de Guise n'eut aucun scrupule à se marier aussi une seconde fois ; il n'était pas depuis deux mois à Bruxelles qu'il avait déjà épousé Honorée de Berghes, veuve d'Albert de Hénin, comte de Bossu. Le mariage fut célébré par un évêque parent de la dame[7]. Pendant ce temps-là, Anne de Gonzague s'était échappée de son couvent pour rejoindre son mari. Elle s'habilla en homme et s'en alla droit à Besançon, pour passer de là en Flandres ; elle s'y fit appeler madame de Guise[8]. Elle dut se retirer en voyant que le titre était porté par
une autre femme, revint à Paris et reprit son nom de
Anne, la princesse Anne, comme si de rien n'étoit, épousa Edouard,
prince palatin, fort gueux et jaloux, elle d'humeur
fort galante[9]. Elle devint la
célèbre princesse palatine de Le duc fut réintégré dans ses biens, après la mort de
Louis XIII, par la régente Anne d'Autriche, le 25 juillet 1643, et reçut le
pardon du crime pour réparation duquel il avoit esté
condamné à mort et exécuté en effigie[11]. Il rentra à
Paris et se trouva, dès les premiers jours, l'un des plus brillants dans la
cour avide de plaisirs qui s'était groupée autour de La duchesse de Montbazon, ennemie de la duchesse de
Longueville, voulut faire croire que cette dame était dans un commerce de
galanterie avec Coligny ; elle lut et montra une lettre qui avait été trouvée
dans son salon, et fit courir le bruit que cette lettre avait été écrite par
la duchesse de Longueville et perdue par Coligny. La vérité est que la lettre
était adressée par madame de Fouquerolles à M. de Maulevrier[12]. Coligny était le petit-fils de l'amiral, mais les vrais
héritiers du grand Coligny étaient les fils de sa fille, les princes d'Orange
; celui qui portait son nom n'avait aucune qualité intellectuelle, ni
militaire ; il étoit foible et peu adroit, et il
relevoit d'une longue maladie ; il choisit d'Estrades, qui depuis a été
maréchal de France, pour appeler le duc de Guise, qui se servit de Bridieu,
et ils prirent leur rendez-vous à la place Royale. Le duc de Guise, en
mettant l'épée à la main, dit à Coligny : — Nous
allons décider les anciennes querelles de nos deux maisons, et on verra
quelle différence on doit mettre entre le sang de Guise et celui de Coligny[14]. Le jugement fut
promptement prononcé, le duc de Guise eut de l'avantage
sur le martyr de madame de Longueville ; il lui donna un grand coup d'épée
dans le bras[15]. Peut-être le coup du plat de l'épée est dû à l'imagination des salons, comme la légende de Coligny renversé demandant la vie à son rival qui aurait pu le tuer par terre, suivant les lois du duel : S'il a demandé la vie, Ne l'en blâmez nullement, C'est pour être votre amant..., disait la chanson à madame de Longueville qui passa pour avoir été spectatrice du duel, dans un des hôtels de la place Royale, chez la vieille duchesse de Rohan, cachée à une fenêtre ; mais elle eut peu de satisfaction de ce combat[16]. Ce souvenir, ou plutôt cette parodie des luttes entre les
grands hommes du siècle précédent, amusa les beaux-esprits, mais n'ajouta
guère à la considération du duc de Guise. Il a donné,
disait-on à la cour, de si grandes marques de sa
légèreté, soit dans la galanterie, soit dans l'amour légitime, qu'une femme
ne sauroit jamais le louer sans manquer à ce qu'elle doit à son sexe[17]. Mazarin le
regardait comme un homme léger et capable de se compromettre dans toutes les
méchantes affaires[18]. La propre mère
du duc de Guise ne cachait pas le peu d'estime que lui inspirait la conduite
d'un fils jugé sévèrement par les gens sérieux. Son autre fils, le duc de
Joyeuse, n'offrait pas davantage l'exemple de la constance. Il s'éprit
d'abord de la petite-fille du duc d'Épernon[19]. Ce fut principalement dans ces bals-là qu'il témoigna tout
à fait sa passion pour mademoiselle d'Épernon, et mademoiselle d'Épernon n'en
avoit pas moins pour ce mariage. Pour moi, je le souhaitois beaucoup aussi,
dit mademoiselle de Montpensier[20] ; cependant les chuchoteries de mademoiselle de Guise sur
cette affaire envers madame sa mère ruinèrent ce dessein. Dominé par
les caprices de sa sœur, le duc de Joyeuse tomba amoureux de mademoiselle de
Guerchy[21],
et oublia la pauvre Anne d'Épernon qui s'enfuit, belle, enviée, héritière
unique, aux carmélites de la rue Saint-Jacques, sous le nom de sœur
Anne-Marie de Jésus. Bientôt mademoiselle de Guerchy fut oubliée également,
et le duc de Joyeuse adressa ses galanteries à Marie de Valois, fille unique
du duc d'Angoulême. Tous les petits-fils des grands Guises n'étaient pas descendus à ce degré de frivolité et d'oisiveté. Un homme restait, mais un seul dans toute la famille. C'était le comte d'Harcourt, né en 1601, fils du duc d'Elbeuf[22]. Tête froide, soldat actif, adroit politique, il savait donner des ordres et les faire exécuter, diriger des manœuvres rapides, instruire des chefs. Presque tous les lieutenants généraux de la première moitié du règne de Louis XIV avaient été formés à son école. Ses campagnes d'Italie ont été regardées longtemps comme un modèle de stratégie, et pendant les guerres civiles il a été l'adversaire souvent heureux du grand Condé. Il avait épousé une cousine de Richelieu[23], et resta presque constamment fidèle à la fortune de Mazarin[24]. Le duc de Guise ne figura pas non plus parmi les ennemis
de Mazarin ; mais s'il évita de se mêler aux désordres de Après sept mois de sollicitations près du Saint-Père, il
n'obtenait pas de solution, lorsqu'il imagina subitement un moyen d'acquérir
une influence prédominante près du trône pontifical, et d'offrir à sa bien
aimée une couronne conquise pour elle. Il s'avisa de faire valoir ses droits
sur le royaume de Naples, en rappelant les prétentions des premiers Guises à
représenter la dynastie angevine, et de se montrer ainsi à l'Europe comme le véritable portrait de nos anciens paladins[28]. Le peuple de la
ville de Naples venait à ce moment de secouer la domination espagnole ; le
chef qu'il s'était élu, Thomas Aniello, avait été massacré après un règne de
trois jours ; le prince de Massa, qui lui avait succédé, avait été égorgé de
même. Le meneur de ces meurtriers, l'armurier Gennaro Annese, craignant un
sort semblable, voulut s'abriter derrière un paladin, accueillit les offres
du duc de Guise, et proposa de le proclamer général de C'est à cet intrigant, faux et lâche, que se confia naïvement le duc de Guise : il s'avança, le 15 novembre, avec deux hommes, dans une chaloupe, au milieu de la baie de Naples : sous le feu de la flotte espagnole, il débarqua, sans soldats, sans argent, sans poudre. Ces salves de l'artillerie ennemie, cette audace à apparaître seul, en plein jour, dans un pays inconnu, à travers une flotte de blocus, donnaient à cette entreprise un aspect théâtral qui fut suffisant pour soulever l'enthousiasme des lazzaroni. On lui brûla de l'encens sous le nez, on se battit pour s'arracher les sequins qu'il tirait de ses poches. La femme du général Annese, qui n'était ni belle, ni propre, lui fit la chemise qu'il mit le lendemain[29]. Il put bientôt apercevoir les résultats de son imprévoyante folie ; s'il visitait un poste avancé, tous les hommes y étaient accablés du sommeil de l'ivresse ; sans ami, dans une ville prise de démence, au milieu d'une population criarde et fuyarde, il n'avait plus, comme son grand-père, au temps des barricades, les gardes bourgeoises qu'endoctrinaient les curés, mais des chefs insolents, l'armurier Annese, qui se disait son collègue, et des gens qui l'abandonnaient au moment des sorties, ou qui livraient ses projets aux Espagnols. De toutes les trahisons, la plus cruelle et la moins soupçonnée fut celle de la jeune fille pour laquelle il s'était jeté dans ces aventures. La belle Suzanne de Pons ne fut pas touchée par tant de périls encourus pour lui plaire. Cela ne l'empéchoit pas de se divertir. Cette âme, gloutonne de plaisir, n'étoit pas satisfaite d'un amant absent qui l'adoroit, d'un héros qui, pour la mériter, vouloit se faire souverain et mettre à ses pieds toutes ses victoires[30]. Elle oublia promptement le pauvre duc ; elle lui fit sentir, à son tour, les infidélités qu'il avoit faites à la princesse Anne de Gonzague et à la comtesse de Bossu. Et, par un échange honteux pour elle, l'écuyer de ce prince prit enfin dans son cœur la place de son maître[31]. Ce qui acheva de perdre dans le ridicule le conquérant de
Naples fut sa robuste crédulité dans la constance de Suzanne et son
obstination à ne pas croire à la félicité de l'écuyer Malicorne, qu'il avait
placé près d'elle. Il ne sut pas déguiser son indignation contre Il fut moins aveugle avec Gennaro Annese, lui retira son commandement, et ne réussit, par cette mesure incomplète, qu'à précipiter le dénouement. Annese introduisit les Espagnols dans la ville, et fut aussitôt pendu par eux, comme il le méritait doublement. Le duc de Guise, fait prisonnier le lendemain, fut embarqué pour l'Espagne, et resta plusieurs années enfermé. Il s'abaissa, pour obtenir sa liberté, aux promesses les plus fausses et aux offres les plus honteuses ; ses lettres au roi d'Espagne existent encore dans nos archives. Il offre d'introduire en France les armées espagnoles à travers son gouvernement de Provence ou ses domaines de Guise : il se déclare prêt à employer, pour les intérêts de l'Espagne, sa personne, son crédit, sa vie et celle de tous ses amys. Il attend avec une impatience extraordinaire les intentions de Sa Majesté pour y obéir avec autant de ponctualité qu'il en apportera toute sa vie à l'exécution de ses volontés[33]. Ses véritables ennemis sont en France, comme ceux de l'Espagne, et il n'a jamais souhaité la liberté que pour rendre à Sa Majesté des services considérables, restablir sa maison, et se venger de tous les mauvais traitements et injures que ses prédécesseurs et luy avoient receu delà couronne de France[34]. Après quatre ans, il fut enfin mis en liberté. Le prince de Condé, sans avoir aucune habitude avec lui, par pure générosité, le demanda aux Espagnols au lieu de sommes fort considérables qu'ils lui dévoient[35]. Mais avant de le laisser retourner en France, le roi d'Espagne lui fit promettre, sous la foi du serment, et lui fit signer un engagement écrit de ne prendre part à aucune expédition contre le royaume de Naples. Ainsi libre par la protection du prince de Condé et sous la promesse de ne plus retourner à Naples, le duc de Guise s'empressa de faire deux choses : il prit séance au Parlement et vota, dès son retour, avec les autres pairs, la condamnation du prince de Condé et de toute sa famille pour crimes de haute trahison et de lèse-majesté ; il fut présent à tout ce qui se passa contre tout le monde[36] ; puis il prépara une nouvelle expédition dans le royaume de Naples. Il se glissa dans les bonnes grâces de Mazarin afin de faire mettre une flotte française au service de ses prétentions. Contre sa parole, il reparut à Naples le 6 octobre 1654, enleva Castellamare, et, après quelques combats douteux, jugea prudent de se rembarquer sur les vaisseaux français et de se réfugier à Paris, non sans avoir fait tuer un grand nombre des jeunes gentilshommes qui l'avaient suivi dans l'espoir d'une glorieuse conquête. Il montrait moins de fermeté à garder la reconnaissance des services rendus ou la foi jurée qu'à repousser les supplications de la femme qu'il avait épousée à Bruxelles. La comtesse de Bossu chercha à le rencontrer après ce second échec de Naples. Mademoiselle de Montpensier, fille du duc d'Orléans, qui vint la voir dans le couvent où elle s'était retirée à Paris, dit : Je la trouvai au lit ; elle me parut fort agréable' Elle est flatteuse, a de l'esprit, et dans une conversation le peu de jugement ne paroist pas. Je la fis lever pour voir sa taille, elle l'a assez belle. Quelque temps après, elle la fit appeler dans sa chambre, au Luxembourg, un jour que Guise y était seul. En entrant, la comtesse de Bossu se jeta aux pieds de M. de Guise, lui disant : — Ayez pitié de moi, songez à l'état où je suis et à celui où vous devez être, à l'amitié que vous avez eue pour moi. — Il lui dit : — Madame, levez-vous, je suis votre serviteur. — Force civilités d'un air froid et peu attendri. Elle lui disoit : — Mais vous m'avez aimée, vous m'avez trouvée belle ! — Oui, mais je ne vous aime plus, parce que vous êtes changée. Il lui dit assez de duretés[37]. Au milieu de ces difficultés avec ses trois femmes et les lazzaroni,
le duc de Guise s'amoindrit ; ses voyages, ses années de prison l'écartèrent
des événements de Le duc de Guise mourut en 1664, laissant son titre au fils aîné de son frère, le duc de Joyeuse. Ce sixième duc de Guise, Louis-Joseph, était un enfant de seize ans, dont la tante entreprit d'assurer la fortune. Cette tante, mademoiselle de Guise, étoit une personne de beaucoup d'esprit et de desseins fort dignes des Guises ses pères[40]. Elle eut assez de crédit pour faire épouser à son jeune neveu une fille de Gaston d'Orléans. Bossue et contrefaite à l'excès, elle avoit mieux aimé épouser le dernier duc de Guise, en mai 1667, que de ne se point marier[41]. Le nouveau duc de Guise put éprouver, par cette union, à quel degré sa maison était déchue. Ce n'était plus le temps où la petite-fille d'un duc de Guise devenait reine de France et luttait contre Catherine de Médicis. Le mariage parut si peu important qu'on oublia une partie des préparatifs. On y avoit si peu pourvu qu'ils n'eurent point de carreaux. On alla en chercher, on ne trouva que ceux des chiens de madame de Montespan. Madame de Montespan me le conta le plus plaisamment du monde. Elle dit : J'étois dans la tribune ; quand ils se levèrent à l'évangile, et que je vis les carreaux de mes chiens ainsi honorés et servant à une telle noce, cela me fit rire[42]. Mais la nouvelle duchesse de Guise n'en fut que plus exigeante
sur le cérémonial de chaque jour : Tous les respects
dus à une petite-fille de France furent conservés. M. de Guise n'eut qu'un
ployant devant madame sa femme. Tous les jours, à dîner, il lui donnoit la
serviette, et quand elle étoit dans son fauteuil, et qu'elle avoit déployé sa
serviette, M. de Guise debout, elle ordonnoit qu'on lui apportât un couvert,
qui étoit toujours prêt au buffet. Ce couvert se mettoit en retour au bout de
la table, puis elle disoit à M. de Guise de s'y mettre, et il s'y mettoit.
Tout le reste étoit observé avec la même exactitude, et cela se recommençoit
tous les jours[43]. Si fière avec son mari, elle n'en était que plus
obséquieuse près du Roi, et s'efforçait de faire sa cour à une servante
espagnole que la reine Marie-Thérèse avait amenée avec elle pour soigner son
chocolat et ses bouillons. Cette fille, nommée Le jeune duc Louis-Joseph aimait Le titre de duc de Guise ne fut pas relevé par les autres descendants du fondateur de la race ; toutes les branches furent éteintes de bonne heure ; la seule qui se soit prolongée jusqu'à notre époque est celle du marquis d'Elbeuf, septième fils du duc Claude de Guise ; elle disparut avec le prince de Lambesc, qui, né en 1751, mourut en 1825. FIN DU SECOND ET DERNIER TOME |
[1] JAL, Dictionnaire historique. Extrait des registres de la paroisse de Saint-Eustache.
[2] Life of Herbert of
Cherbury written by himself, p. 110. Le
père de ce bretteur était Balagny, fils naturel de Montluc, évêque de Valence ;
il avait été élevé par Catherine de Médicis et désigné par elle comme
gouverneur de Cambrai, dont elle se prétendait propriétaire, comme héritière de
son fils François de Valois. Pendant les guerres de
[3] TALLEMANT DES RÉAUX, Princesse de Conti ; Agrippa d'AUBIGNÉ, le Baron de Fœneste, p. 178.
[4] Père ANSELME.
[5] Ms. Gaignières, v. 355, fol. 343, publié par BOUILLÉ, t. IV, p. 407.
[6] BAZIN, Histoire de France sous Louis XIII, t. III, p. 84.
[7] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires, édit. Didier, p. 64.
[8] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, édit. Chéruel, t. I, p. 283.
[9] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, édit. Chéruel, t. I, p. 283.
[10] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires, p. 64.
[11] JAL, Dictionnaire historique.
[12] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires, p. 58.
[13]
[14]
[15] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires.
[16] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires.
[17] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires.
[18] COUSIN, Journal des savants, 1854, p. 693, les Carnets de Mazarin, carnet III, p. 39 : Madama di Guisa disgutatissima di suo figlio. Ne ha parlato a M. di Chavigni... P. 63 : Il duca à leggiero e capace d'impegnarsi in ogni cattivo affare.
[19] La mère de mademoiselle d'Epernon était Gabrielle-Angélique de Bourbon, fille légitimée de Henri IV et de la marquise de Verneuil, et duchesse d'Épernon.
[20] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. I, p. 90.
[21] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. I, p. 108.
[22] Voir le tableau généalogique à la fin du premier volume.
[23] Marguerite de Cambout, veuve du duc de Puylaurens.
[24]
La mort de cet homme de guerre fut assez étrange ; elle fut la conséquence
d'une certaine défaillance qu'il eut, dans un monastère, à l'âge de
soixante-six ans. Les détails de cet accident sont donnés dans un manuscrit de
[25] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires, p. 64.
[26] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires, p. 161.
[27] Olivier D'ORMESSON, Journal publié par M. Chéruel.
[28] Madame DE MOTTEVILLE.
[29] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires, p. 141.
[30] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires, p. 154.
[31] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires, p. 154.
[32] Madame DE MOTTEVILLE, Mémoires, p. 151.
[33] Ms Simancas, A. 32, pièce 6 (Archives nationales).
[34] Ms. Simancas, B. 32, pièce 7 (Archives nationales).
[35] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. II, p. 221.
[36] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. II, p. 221.
[37] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. II, p. 440.
[38] Cardinal DE RETZ, Mémoires, éd. Petitot, t. I, p. 231.
[39] Olivier D'ORMESSON, Journal.
[40] SAINT-SIMON, Mémoires, t. I, p. 196.
[41] SAINT-SIMON, Mémoires, t. I, p. 196.
[42] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 45.
[43] SAINT-SIMON, Mémoires, t. I, p. 106.
[44] SAINT-SIMON, Mémoires, t. IV, p. 412.
[45] Mademoiselle DE MONTPENSIER, Mémoires, t. IV, p. 370.