1589-1610. Le coup du 23 décembre 1588 suffit pour terrasser à jamais les Guises. Les derniers descendants s'épuisèrent dans la trahison et l'impuissance, et finirent dans le grotesque. Ainsi fut précipitée, par un déclin subit, la race qui, de
toutes les familles françaises, avait atteint la plus haute fortune. La
témérité du troisième duc fit déchoir en un jour la maison qu'avaient élevée
la patiente avidité du premier duc et le génie du second. Claude de Guise,
avec un esprit étroit et obstiné, avait su se tenir en dehors des orages de
la cour, et conserver sa faveur à l'aide de services modestes dont il savait
habilement exagérer l'importance et réclamer le salaire. Héritier de sa haute
position, François de Guise se montra grand homme de guerre, recouvra des
villes françaises, consacra son génie aux intérêts de Pour l'étendue des idées, l'aptitude à concevoir des vues d'ensemble et des projets concentriques, pour la puissance cérébrale, Henri de Guise était l'égal de son père. Mais le père avait des qualités d'honnêteté, de patriotisme et de fierté qui manquaient à Henri de Guise. Il laissait les petites intrigues à son frère le cardinal ; il subordonnait les avantages de sa maison à ceux du pays ; il ne courtisait, pour s'en faire des adhérents, que les hommes d'épée. Henri de Guise s'embarrassa dans des projets criminels avec don Juan d'Autriche, avec Philippe II, avec les quartiers de Paris ; il se laissa associer aux intérêts de la politique espagnole ; il rechercha la basse popularité par des complaisances sans dignité pour la petite bourgeoisie, semblant préférer le titre de roi des halles à celui de roi des braves. Il ne savait pas, comme son père, rester possesseur de son sang-froid dans le danger, prévoir les conséquences des ordres qu'il donnait ou des entreprises dans lesquelles il s'engageait, demeurer maître de ses desseins, pour les suivre dans toute leur étendue. Après lui, la décadence fut rapide. Charles de Guise avait dix-sept ans à la mort de son père[1] ; c'était un enfant vaniteux et violent ; sa taille chétive et son nez camard ne lui permettaient ni les séductions, ni les grands airs de son père. Lorsque les Parisiens voulurent en faire un roi, on leur répondit : Et les ligueurs bien estonnés Se sont avisés d'une ruse, C'est de se faire un roi sans nez. Il faillit être mis en liberté quelques jours après la mort de son père. Il était enfermé avec les autres prisonniers dans le château d'Amboise, sous la garde de Le Gast, que le Roi croyait s'être attaché par les liens de la reconnaissance. Mais ce parvenu se mit à proposer aux Parisiens de leur vendre les prisonniers. Prévenu du trafic, Henri III courut à Amboise afin de ressaisir sa proie ; mais Le Gast, son geôlier de confiance, lui interdit l'entrée du château et lui offrit de lui revendre ces mêmes prisonniers : Ainsi il ne s'était défait du duc de Guise que pour voir le plus misérable de ses favoris lui tenir tête avec une semblable impudence. Il fallut entrer en composition. Le Roi se soumit à cette effronterie, et obtint de remmener le jeune duc de Guise et le cardinal de Bourbon, sous la condition d'autoriser Le Gast à mettre en liberté contre rançon les autres captifs, et notamment les députés parisiens. Quand le Roi arriva à Tours, où il fit enfermer le duc de Guise, il apprit que son autre favori, M. de Lognac, l'avait abandonné. Le maréchal de Retz vint en même temps lui demander permission de faire un voyage pour sa santé en Italie. Henri III pleura de rage. Tout croulait autour de lui ; ceux qu'il s'était plu à combler des bienfaits les plus exagérés étaient les premiers à fuir au moment du péril. Ces traîtres ne tirèrent pas profit de leur défection. Lognac fut assassiné quelques semaines plus tard ; Retz, surpris sur la route par un parti de ligueurs, fut dépouillé de tout ce qu'il emportait en Italie, puis dut payer cinquante mille écus de rançon, arriva à Lucques, vécut cinq ans caché dans un couvent, et ne revint en France qu'en 1594, lorsqu'il put discerner avec évidence quel parti était décidément le plus fort. Pendant que le Roi se débattait au milieu des défections,
le frère de Henri de Guise, le duc de Mayenne, marchait sur Tours à la tête
d'une armée. Les ligueurs se soulevaient dans toute La situation du Roi empira chaque jour. L'armée qu'il avait mise sous les ordres du duc de Nevers se fit battre en détail par Henri de Navarre. Les autres régiments dont il pouvait disposer furent assiégés par les ligueurs dans Argenton. Mayenne approcha de Tours. C'est à ce moment que Diane de France, cette fille
légitimée de Henri II, qui était veuve de l'aîné des Montmorencys, vint
trouver Henri III. Femme d'une volonté ferme, d'une intelligence large, d'une
dignité incontestée, elle avait su prendre sur tous les Valois cette
influence que donnent l'honnêteté et l'élévation du caractère. Elle parla en
petite-fille de François Ier, en Française. Elle montra à son frère l'Espagne
envahissante, Henri de Navarre, au même moment, se dérobant par une feinte à l'armée royale du duc de Nevers, qu'il combattait, s'était porté rapidement sur Argenton, et venait de délivrer avec une généreuse hardiesse l'autre armée royale, qu'assiégeaient les ligueurs. Henri III l'appela à lui, le reconnut comme son héritier. Le cœur français de Diane et son honnête inspiration nous sauvaient de l'Espagne. Il était temps. Le 7 mai 1589, le duc de Mayenne enlève un
faubourg de Tours et écrase, sous les forces supérieures d'une armée tout
entière, les régiments des gardes, restés seuls près du Roi. Le lendemain, il
donnera l'assaut ; rien pour l'arrêter. Le Roi peut encore s'échapper ; il
hésite. Vers neuf heures du soir,. on annonce l'approche de troupes, qui
semblent doubler le pas. La ville serait-elle investie ? Ces nouveaux soldats
sont bientôt sous les murs ; ils ont l'écharpe blanche. Ce sont les huguenots
qui viennent sauver le roi de France, conduits par Coligny, le fils aillé de
l'amiral ; ils comprennent ainsi la revanche de Dès que Henri III eut une armée, il trouva des partisans. Il
fut rejoint par le duc d'Épernon, que son ennemi, le vieux maréchal d'Aumont,
prit par le bras à son entrée à Tours et accompagna près du Roi ; le duc de
Nevers ramena les débris de son armée, et les mêla aux régiments huguenots.
Le brave Sancy apparut bientôt avec des Suisses qu'il avait levés sans
argent, Montmorency-Thoré avec des Allemands. La royauté semblait renaître
depuis qu'elle s'était alliée à Henri de Navarre. Toutes les forces de Paris, depuis la mort du duc de Guise, vivait dans une sorte de frénésie. La veuve du duc, Catherine de Clèves, fut acclamée à l'Hôtel de ville. Quelques jours après, estant accouchée d'un fils, le prévost des marchands et les eschevins le portèrent aux fonts, et il fut nommé Paris de Lorraine. Le baptesme fut faict dans Saint-Jean en Grève, où tous les colonels et capitaines de la ville assistèrent avec des cierges[2]. Mais ce fut sa belle-sœur Catherine de Guise, duchesse de Montpensier, qui devint la véritable reine de Paris. En apprenant la mort de son frère, elle s'était fait porter dans les rues, nue et drapée dans un crêpe, étalant fièrement la blancheur de son corps sous la gaze noire, et haranguant le peuple. C'est peut-être à la suite de cette prouesse qu'elle fut atteinte d'une inflammation des articulations, qui la retint plusieurs jours au lit[3]. L'admiration du peuple fut poussée au délire ; on la nommait une Judith, une Tomyris, dans les sonnets : Seule tu suffirois, invincible princesse, Ainsi qu'une Judith, pour nous meure au repos, Quant l'avare cercueil garderait en dépos Tous tes frères meurtris sous une foi traistreue. Le couard inhumain qui va tremblant sans cesse Battu d'un fouet retors, sent desjà dans ses os Les glaçons de la mort qu'une pasle Atropos Environne asprement de honte et de tristesse... Mais quand elle se vit assiégée dans Paris par Henri III,
certaine de tomber en ses mains, abandonnée, sans espoir de secours, au
milieu d'un peuple affamé et affolé, la peur et la haine lui rendirent la
santé pour susciter le libérateur qui, par un coup de couteau, sauva Paris.
Eut-elle le courage de récompenser d'avance frère Jacques Clément, en
l'envoyant frapper Henri III dans son camp de Saint-Cloud ? Était-il si
nécessaire de faire tant d'honneur à ce moine niais et malpropre ? Des
contemporains l'ont cru[4]. On peut estimer
cependant qu'il eût été plus habile de promettre les
faveurs que de les donner. Le prieur Bourgoin était bien plus capable de le
déterminer, que la plus grande beauté de la terre[5]. Malgré le serment de fidélité à Henri IV qu'avait obtenu
d'eux Henri III mourant, les seigneurs catholiques avaient horreur d'un roi
hérétique ; mais quelques-uns lui vendirent leur concours, quand ils virent
que les Suisses, au nombre de douze mille, sur la promesse qu'on leur
payerait les deux mois de solde arriérée, consentaient à servir le nouveau
roi. Le jour est venu de faire nos affaires,
disait le vieux Biron, qui se faisait donner le gouvernement héréditaire du
Périgord, tandis que les autres recevaient diverses charges, dont on leur
assurait le privilège à l'exclusion des huguenots et des ligueurs, tandis que
d'Épernon, suivi de sept mille Gascons, abandonnait l'armée pour s'installer
en souverain dans l'Angoumois, et que le huguenot Affaibli par ces défections, Henri IV dut s'éloigner de Paris et tenir la campagne contre le duc de Mayenne. Bientôt apparut un nouveau compétiteur. Le jeune duc de Guise, bien que gardé à vue continuellement, voire mesme allant à la garde-robe[6], avait préparé son évasion de la prison de Tours pour le mois d'août 1591. Il comptait sur la protection de Notre-Dame de Lorette, à laquelle il avait voué un pèlerinage, et sur les chances cabalistiques qui désignaient le mois d'août comme singulièrement propice à la famille de. Guise. Son agilité le servit davantage. Le jour de l'Assomption, il fait
ses pasques, et avec luy Pénard, exempt des gardes, qui le devoit accompagner
ce jour-là[7].
A dix heures, il déjeune avec Pénard ; il lui propose, en sortant de table,
de monter à cloche-pied l'escalier de la tour.
Tandis que le crédule exempt se fatigue, le jeune homme bondit jusqu'à la
porte du haut, la pousse sur Pénard, la ferme au verrou, court sur la
plate-forme, fixe à un créneau une corde qui lui avait été apportée la veille
en la panse d'un luth, et se laisse glisser
le long de cette corde contre les parois de la tour. Les gardes, appelés par
le pauvre Pénard, font feu sur lui de toutes les meurtrières, le manquent. La
tête nue, les mains écorchées, il descend dans le Cher, gagne la berge,
rencontre un homme à cheval, le pousse, le démonte, saute en selle à sa
place, et rejoint un parti de cavaliers que Il écrit aussitôt à Philippe II qu'il se regarde comme son instrument ; à peine libre, il cherche le maître sous lequel fut lié son père. Je veux que mes actions ne dépendent que des volontés de Sa Majesté, n'entreprenant rien sans son exprès commandement, soumis jusqu'à n'essayer que ce qu'il lui plaira me commander comme à sa créature, dépendante de sa seule volonté et clémence[8]. Mais Philippe II avait d'autres affidés qui lui
inspiraient une plus grande confiance et lui semblaient moins coûteux à
entretenir. Les membres de la commune de Paris avaient proposé, dans le
conseil de Deux mois après, les membres de la commune font pendre un président et deux conseillers au Parlement qui étaient opposés au parti espagnol : ils sont bientôt dépassés eux-mêmes en violence par les curés de Paris. Ceux-ci deviennent rois dans leurs paroisses : Aubry, curé de Saint-André des Arcs ; Hamilton, curé de Saint-Cosme, qui célèbre la messe sanglé dans une cuirasse ; Lepelletier, curé de Saint-Jacques, qui déclare frappés d'excommunication tous ceux qui parlent de paix ; Boucher, curé de Saint-Benoît, le délégué de Philippe II ; Poncet, le prédicateur burlesque de la cathédrale, qui avait osé faire autrefois une réponse effrontée au duc d'Épernon : Monsieur nostre maistre, lui avait dit le favori, on dit que vous faites bien rire les gens à vostre sermon. Cela n'est guères beau. — Aussi, fit Poncet, n'en ay-je jamais tant fait rire en ma vie comme vous en avez fait pleurer[11]. Dans les bras de l'Espagne tombait aussi le duc de Mayenne,
qui avait quelque temps espéré obtenir la couronne pour lui-même, et essayé
de lutter à la fois contre le roi d'Espagne et contre les autres princes de sa
famille, tout en réclamant leur secours pour combattre Henri IV. Comme il voulait
d'abord gagner du temps et fortifier son influence sur le parti de Il perdit dans ces campagnes sa réputation militaire. Mon cousin de Mayenne, disait Henri IV, est un grand capitaine, mais je me lève plus matin que lui. L'ardeur bouillante du jeune duc de Guise était plus
nuisible encore au succès des armées de Il est vrai que le jeune duc de Guise n'était pas heureux lorsqu'il avait un commandement. Le Roy ayant sceu que M. de Guyse avec son escadron de cavalerie qu'il commandoit, comme ayant charge de l'avant-garde du prince de Parme, estoit logé dans un gros bourg, nommé Bures, il se résolut d'essayer à l'enlever. Il fut rendu peu de combat, la cavalerie n'ayant quasy songé qu'à fuyr, sauver le moule du pourpoint, et laisser la cornette verte et le bagage pour les gages[14]. La défaite fut plus sérieuse quelque temps après. On peut
même dire que le duc de Guise décida la perte définitive des Espagnols en
causant celle du seul général qui pût tenir tête à Henri IV. Le duc de Guise
occupait Yvetot, avec des troupes : le Roi s'approcha presque seul de la
ville. Il y entendit une merveilleuse rumeur de
divers cris confus, ce qui luy fit discerner qu'il y avoit quelque désordre
parmy ces gens-là, duquel il falloit profiter. Il fit attaquer si
furieusement ce quartier que le prince de Parme fut contraint d'y venir de sa
personne[15].
Parme rallia, avec le gros de son armée, les troupes en déroute que
commandait Guise, et fut atteint, en couvrant leur retraite, d'une
arquebusade au bras, dont il mourut au bout de quelques semaines. Plus humiliant qu'une défaite était le refus d'un combat singulier. Ne pas répondre à un défi, c'était, à cette époque, renoncer à toute autorité sur les hommes ; celui que déclina le jeune Charles de Guise était particulièrement insultant et public. Henri Unton ambassadeur d'Angleterre, lui écrivit. : Je vous dis qu'avez misérablement menti en mesdisant de ma souveraine et mentirez toujours quand vous taxerez son honneur, et croyez qu'elle ne peut estre taxée par la bouche d'un traistre et perfide à son Roy et à sa patrie, comme vous estes. Et sur ce, je vous deffie de vostre personne à la mienne, avec telles armes que vouldrez choisir, soit à pied ou à cheval. Si vous ne vous en resentez, je vous tiendrai et vous ferai tenir partout pour le plus meschant poltron et le plus coilart qui soit en France[16]. L'appel était en bon français : le Balafré aurait bondi.
Son fils se laissa répéter trois fois le défi. Il en fut tellement amoindri
aux yeux des militaires que, l'année suivante, quand il se présenta à Reims,
le sieur de Rosne, que Mayenne avait créé maréchal de France avec Brissac et Une telle aventure n'était pas propre à le réhabiliter ; aussi n'eut-il bientôt plus d'autres partisans que plusieurs curés de Paris et les agents de l'Espagne. C'est en Espagne qu'il plaça toutes ses chances en se posant comme prétendant à la main de la fille de Philippe II. Philippe II crut le succès si bien assuré qu'il refusa une partie des sommes demandées par Mendoza pour acheter les députés des états généraux assemblés à Paris en 1593. Après avoir échoué dans sa tentative pour faire reconnaître sa fille comme reine propriétaire du royaume de France, il réussit à faire adopter, le 20 juin, par les états un vœu ainsi conçu : S'il plaisoit à Vostre Majesté Catholique avoir pour agréable le choix qui sera faict de l'ung de nos princes pour estre roy, et l'honorer de tant pour le bien de la chrestienté et de ce royaume que de lui donner en mariage la sérénissime infante sa fille. C'étaient les termes mêmes dont- s'était servi Mayenne, qui écrivait à Philippe II : S'il plaisoit à Sa Majesté avoir pour agréable le choix d'un prince françois pour estre roy et lui donner en mariage madame l'infante, les Estats lui auroient infinie obligation[18]. Mais Mayenne, qui suivait cette combinaison pour son fils, était joué par Mendoza, dont le véritable candidat était le duc de Guise : ce jeune homme se faisait déjà appeler Sire par sa mère et par ses gentilshommes. Il tenait une sorte de cour, et il n'y avoit fils de bonne mère qui ne l'allast saluer[19]. Il écrivait à Philippe II, le 4 août 1593 : J'estimay estre de mon devoir de commencer mes premières actions par le vœu de submission et obéissance que je dois à Vostre Majesté et me rendre en cela vray successeur de mon père, qui n'a doubté de signaler de son sang les preuves de sa fidélité. J'ay depuis réglé le plus curieusement qu'il m'a esté possible, tous mes vœux et desseings à l'observation de vos commandements et de tout ce que j'ay estimé estre agréable à Vostre Majesté. De tout ce qui s'est passé sur la proposition d'une royauté, je me contenteray de confirmer et de renouveler à Vostre Majesté le tesmoignage de la fidélité et l'obéissance que j'employerai éternellement avec ma vie à l'exécution de ses commandements[20]. Ce triste compétiteur du vainqueur d'Ivry gagnait peu à
peu des voix dans les États. A cette heure, Henri IV semblait véritablement
perdu. Il voyait les Espagnols maîtres de Paris et des plus fortes places, de
Ce mouvement national est en quelque sorte incarné et
comme vivant dans Ils démasquent Philippe II, ils l'invectivent comme
l'auteur de tous nos maux : Pensez-vous qu'il
voulust se mettre seulement en peine de souhoibter si petite chose que la
seigneurie de France ?... Quand il sue, ce sont des diadésmes ; quand il se
mousche, ce sont des couronnes ; quand il rote, ce sont des sceptres ; quand
il... Nous sçavons trop bien que les
Espagnols sont nos anciens et mortels ennemis, qui demandent de deux choses
l'une : ou de nous subjuguer et rendre esclaves s'ils peuvent, pour joindre Déjà les états généraux de Paris commençaient À devenir
impopulaires : un meunier, nommé le Grand Jacques, fut fouetté pour avoir
voulu faire entrer son âne dans la salle des séances ; un savetier fut arrêté
pour avoir maudit ceulx qui empeschoient la paix.
Le Parlement et Le 18 septembre 1593, les bourgeois de Lyon forment des
barricades, attaquent les gens d'armes du duc de Nemours, s'emparent du
château de Pierre Encize, et font prisonniers le duc lui-même et ses
courtisans. Puis ils s'arrêtent dans leur victoire ; administrés par leur
archevêque, indépendants de tous les partis, ils se contentent d'être libres
et Français, et attendent sous les armes le moment de se rattacher à l'unité
nationale. Cet exemple n'est pas isolé. Toulon, Digne, Tarascon et toute Et Paris ? Ô Paris, qui n'es plus Paris,
mais une spelunque de bestes farouches, une citadelle d'Espagnols, Wallons et
Neapolitains : un asile et seure retraicte de voleurs, meurtriers et
assassinateurs, ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité, et te souvenir
ce que tu as esté au prix de ce que tu es, ne veux-tu jamais te guarir de
cette frénésie qui pour un légitime roy t'a engendré cinquante roytelets et
cinquante tyrans ? Te voyla aux fers, te voyla en l'inquisition d'Espagne,
plus intolérable mille fois et plus dure à supporter aux esprits nés libres
et francs, comme sont les François, que les plus cruelles morts dont les
Espagnols se sauroyent adviser... tu endures
qu'on pille tes maisons, qu'on te rançonne jusques au sang, qu'on emprisonne
tes sénateurs, qu'on chasse à bannisse tes bons citoyens et conseillers :
qu'on pende, qu'on massacre tes principaux magistrats : tu le vois et tu
l'endures : tu ne l'endures pas seulement, mais tu l'approuves et le loues,
et n'oserois et ne sçaurois faire autrement. Paris se réveille aussi. Le 22 mars 1594, les bourgeois de Paris s'arment sous la direction du prévôt des marchands, et introduisent Henri IV. Le mouvement s'achève sans effusion de sang. A dix heures du matin, le Roi entend un Te Deum à Notre-Dame, puis il occupe le Louvre sous la protection de la garde bourgeoise. Les Wallons sont bloqués dans leurs quartiers et les Napolitains assiégés dans la porte Bussy. A trois heures, ces étrangers capitulent et défilent par la porte Saint-Denis. Adieu, messieurs, leur dit le Roi ; mais n'y revenez plus. Ce coup prodigieux et inespéré rétablit merveilleusement
la fortune de Henri IV ; sur tous les points de Henri IV devenait, de fait comme de nom, le roi de Les protestants s'étaient divisés ou attiédis dans les subtilités
de la casuistique. L'Église, dirigée par Mais pour attirer ù lui les chefs de la noblesse, il dut
dépenser des sommes considérables. Les généraux qui s'étaient rendus
indépendants étaient bien ayses de lever toutes les
tailles, décimes, aydes, magazines, fortifications, guet, corvées, imposts,
sans estre tenus d'en rendre compte à personne[25]. Ils
prétendirent faire racheter ces droits qu'ils avaient usurpés. A prix
d'argent vinrent s'offrir d'Épernon, Villars, Brissac, Des exigences exagérées ou insolentes furent tolérées par
Henri IV. Sans compter les pensions, les charges de cour ou les gouvernements,
il dépensa en dons gratuits, pour se faire reconnaître par tous les rebelles,
trente-deux millions de livres, ou près de trois cents millions de nos
francs. Ce n'était pas trop pour assurer une pacification immédiate. Le
supplément de ces larrons.. Ceulx qui, après avoir faict révolter les villes contre le Roy et faict la guerre tant qu'ils ont peu tenir, exercé toutes sortes de tyrannies sur le pauvre peuple, et qui, se voyant ne pouvoir plus subsister et n'y avoir plus rien que prendre, ont vendu chèrement les places au Roy, seront bien marrys si on les appelle traistres ; mais si sera-t-il malaysé qu'il n'en eschappe quelque mot aux Parisiens mesmement contre ceulx qui ont pris de l'argent et qui ont marchandé et barguigné pour parvenir à un certain prix... Ils ne peuvent se sauver qu'on ne les appelle traistres, concussionnaires, marchands et vendeurs de leurs pays ! Mais Henri IV devait éprouver une véritable volupté à regarder ses ennemis, qui tendaient la main de cette manière. Pour une âme à idées larges, le pardon est la plus douce des vengeances. Sauf le duc d'Aumale, tous accoururent, besogneux, souples, impatients de se montrer des courtisans aussi soumis qu'aux beaux jours de François Ier. Le Roi vit arriver même la fière Catherine de Guise, même le duc de Guise. Ce dernier, toutefois, ne fit sa paix qu'après l'issue d'une aventure qui aurait pu lui rendre toutes ses chances. Un batelier d'Orléans était devenu follement épris d'une des suivantes de Marguerite de Valois. Le mépris et le ridicule le rendirent féroce ; il voulut faire un acte extraordinaire pour être signalé à celle qui le dédaignait. Le curé Aubry, de Saint-André des Arcs, qu'il vint consulter, le conduisit chez Varade, le recteur des jésuites ; on lui donna un couteau ; on l'adressa à Henri IV. Varade lui promit une grande gloire en paradis. Un dominicain connut ce projet, le dénonça. Aubry et Varade prirent la fuite et se cachèrent en Italie. Le duc de Guise fit sa paix avec le Roi, le 22 octobre 1594 ; il se démit de la charge trop dangereuse de grand-maître[27], reçut celles de gouverneur de Provence et d'amiral du Levant, avec quatre cent mille écus et des pensions pour entretenir quatre compagnies de gens d'armes ou gardes, avec l'archevêché de Reims et cinq grosses abbayes pour ses jeunes frères, avec douze mille écus de pension qu'il touchait pour eux, et trente mille écus pour leur équipage. Les premiers ducs de Guise auraient été aussi âpres pour
se faire remettre de l'argent ; mais ils auraient profité de leur
réconciliation avec le Roi pour combattre près de lui contre les ennemis de Il s'en va, ce cruel vainqueur ; Il s'en va plein de gloire, Il s'en va méprisant mon cœur, Sa plus noble victoire. Ses autres victoires, à la vérité, ne consistaient qu'en
de maladroites intrigues. Après avoir échoué dans ses prétentions à la, main
de l'infante Claire-Eugénie, il essaya vainement d'épouser la riche héritière
des Les personnages du seizième siècle disparaissent
promptement au seuil du suivant. La duchesse de Montpensier, Catherine de
Guise, meurt en 1596, à quarante-cinq ans ; la veuve de Henri III s'éteint en
1601, à quarante-sept ans ; Mayenne, devenu gouverneur d'Ile-de-France, mais
assez assoupli par l'étiquette de cour pour n'être plus un embarras dans la
nouvelle monarchie, meurt bientôt aussi. Les autres gouverneurs n'avaient
plus les pouvoirs de ceux qui s'étaient accoutumés à être les souverains de
leurs provinces depuis la mort de Henri II. Montmorency dans le Languedoc,
d'Épernon dans l'Angoumois, Longueville dans Le duc de Guise, aussi effacé qu'eux, se tenait dans son
gouvernement de Provence, occupé surtout à excuser les fautes de ses frères,
qui jouaient encore du couteau comme aux beaux temps de Il était clair que les Guises ne recouvreraient jamais
leur influence, tant que se prolongerait le règne de Henri IV. Durant une
minorité, au contraire, leurs chances pouvaient renaître. Malgré cet intérêt
à avancer l'époque où le trône ne serait plus rempli que par une Florentine
et un enfant, doit-on croire que le duc de Guise fut complice du mystérieux
assassinat de Henri IV ? Dans les deux seules époques où |
[1] Né le 20 août 1571, mort le 30 septembre 1640. Voir les tableau : généalogiques de la fin du premier volume.
[2] Palma CAYET, p. 82-87.
[3] L'ambassadeur d'Angleterre décrit
cette infirmité : A swelling of the ankles, to which
she was subject.
[4] Voir Prosa cleri Parisiensis ad ducem de Mena. Bibliothèque nationale, Saint-Germain, fr., 1545, p. 458.
[5] VOLTAIRE, le Pyrrhonisme dans l'histoire.
[6] PASQUIER, Lettres, liv. XIV, lettre XII.
[7] PASQUIER, Lettres, liv. XIV, lettre XII.
[8] Ces lettres sont dans les cartons de Simancas, aux Archives nationales ; elles ont été publiées par M. DR BOUILLÉ, t. IV, p. 54.
[9] POIRSON, Histoire du règne de Henri IV, liv. I, p. 59.
[10] POIRSON, Histoire du règne de Henri IV, liv. I, p. 104.
[11] L'ESTOILE, édit. Petitot, t. I, p. 255.
[12] TAVANNES, Mémoires, édit. Didier, p. 170.
[13] TAVANNES, Mémoires, p. 170.
[14] SULLY, Économies royales, édit. Didier, p. 93.
[15] SULLY, Économies royales, p. 98.
[16] M. Dupuy, vol. 33, fol. 27 ; document publié par BOUILLÉ, t. IV, p. 92.
[17] SAINT-SIMON, Mémoires, édit. Chéruel, t. IX, p. 144.
[18] Ms. Simancas, B. 75, pièce 43.
[19] L'ESTOILE.
[20] Ms. Simancas, B. 75, pièce 59.
[21] Satire Ménippée.
[22] Voir le discours de l'imprimeur.
[23] Lettre aux états généraux de 1589.
[24] Le passage est à citer tout entier. Madame Duplessis-Mornay rédigeait un récit de la vie de son mari, pour l'instruction de son fils (1549-1606). Ce fils fut tué au siége de Gueldres : Sçachant bien qu'il ne me pourroit déguiser son visaige, mon mari se résoleut qu'il falloit mesler nos douleurs ensemble et d'entrée. — Ma mye, me dict-il, c'est aujourd'hui que Dieu nous appelle à l'espérance de sa foy et de son obéissance ; puisqu'il l'a faict, c'est à nous à nous taire. Auxquels propos, doubteuse jà que j'estois, entrai en pamoison et convulsion. Je perdis longtemps la parole, non sans apparence d'y succomber, et la première qui me revint fut : — La volunté de Dieu soit faicte ; nous l'eussions peu perdre en ung duel ! — Le surplus se peult mieux exprimer à toute personne qui a sentiment par ung silence. Nous sentismes arracher nos entrailles, retrancher nos espérances, tarir nos deueings et nos désirs. Nous ne trouvions un long temps que dire l'ung à l'autre, que penser en nous-mesmes, parce qu'il estoit seul, après Dieu, nostre discours, nostre pensée, et nous voyions qu'en lui Dieu nous arraschoit tout. Et icy il est raisonnable que ce mien livre finisse pour luy, qui ne feut entreprins que pour luy.
[25] Satire Ménippée.
[26] Augustin THIERRY, Recueil des documents de l'histoire du tiers état, t. II, p. 1045.
[27] Père ANSELME, t. III, p. 488.
[28] CHATEAUBRIAND, Vie de Rancé.
[29] PERRENS, les Mariages espagnols, p. 8.
[30] BAZIN, Histoire de France sous Louis XIII, t. I, p. 11 à 15.
[31] L'ESTOILE, Journal de Henri IV.