1581-1586. Une démarche imprudente d'un des partisans des Guises
révéla à Henri III l'imminence du danger : Rosières, archidiacre de Toul,
publia un livre pour répandre la légende qui rattachait Henri de Guise à
Charlemagne, et prouver la nécessité de revenir à la vieille dynastie. De
pesantes dissertations sur la généalogie ne pouvaient avoir beaucoup
d'influence sur les esprits, mais elles montraient les prétentions toujours
éveillées, le plan suivi avec persévérance, et la faute commise par le Roi en
s'enfermant dans Henri III sembla sortir de son apathie et comprendre que l'autorité
royale s'agitait dans l'isolement, entre deux partis irréconciliables. Il
remarqua qu'il ne pouvait trouver un point d'appui pour le gouvernement ni
chez les ligueurs, ni chez les huguenots : on ne gouverne pas avec des
factions ; les opinions extrêmes ne savent qu'exiger représailles,
persécutions, oubli de l'intérêt de la nation pour les avantages du parti. A
cette époque, pour constituer l'opinion modérée, les éléments ne manquaient
pas : le Roi pouvait avoir près de lui les trois Montmorencys ; il avait des
hommes de guerre comme Grillon, Sancy, Givry, ou des hommes de tête comme Montaigne,
Pasquier, Pibrac, Pithou. Il craignit de ne trouver dans ces politiques ni
assez de docilité, ni assez de ressources : il les jugea trop engagés avec
les huguenots, et supposa qu'il serait entraîné par eux jusqu'à servir les
intérêts de Mais au lieu de s'obstiner dans son alliance maladroite avec les ligueurs, il imagina une ressource ingénieuse. Pour mieux restaurer la suprématie légale du trône, il voulut l'environner d'une aristocratie puissante qu'il élèverait de ses mains, à l'aide des éléments militaires et féodaux de l'époque. Étaient-ils encore assez forts pour constituer à nouveau l'ossature de la nation ? La noblesse française n'a jamais essayé de s'organiser en aristocratie. Elle se composait de gens braves, spirituels, amis des arts, non adonnés à l'ivrognerie ni à des vices grossiers, prêts à tous les dévouements et à toutes les générosités, mais qui, à toutes les époques de notre histoire, ont préféré des privilèges à des droits, ont ignoré ce qu'est l'esprit de corps, ont eu de l'envie contre les familles dominantes. Comme, en même temps, les vieilles races s'épuisaient par
les guerres, et que la noblesse était recrutée incessamment par des soldats
de fortune, tels que Paulin, baron de La noblesse anglaise, au contraire, se constitua de bonne heure en aristocratie, c'est-à-dire en une fédération de familles dirigeantes qui savaient défendre et modérer les libertés de la nation ; elle fut hardie contre les abus de la royauté, elle fournit des hommes comme Derby, Vane, Halnpden, et ensuite Russel, Talbot, Halifax ; elle parla du droit et de la loi à l'heure où, chez nous, on ne songeait qu'aux privilèges et aux intérêts ; elle eut la force que donnent les richesses, la terre, les pouvoirs politiques, les services héréditaires, l'affection du peuple, l'application à ses devoirs, les lumières. Au lieu de s'attarder avec frivolité dans ses privilèges féodaux, elle s'est placée entre les prétentions envahissantes des monarques et les convoitises exaltées des chefs populaires, masse inébranlable devant laquelle s'écrasèrent aussi bien Henri VIII que Cromwell. Cette aristocratie, disciplinée par une vingtaine de familles, a écarté l'étranger, maintenu la dynastie qu'elle avait choisie, assuré la prospérité et la gloire de l'Angleterre. La noblesse flamande a su de même combattre pour les droits de la nation ; Bruxelles a des monuments aussi bien pour les comtes d'Egmont et de Horn que pour les plus récents défenseurs de sa liberté, comme le comte de Mérode. Rien de tel chez nous. Que Henri III ait eu l'idée bien nette d'une aristocratie
nationale et de la force qu'elle donnerait à Une telle organisation des ressources de la noblesse
aurait été facile sous François Ier, qui semble en avoir eu le premier l'idée,
mais nos guerres avaient détruit les hommes les plus importants. De tous ceux
dont Henri III a fait l'élévation, un seul a été à la hauteur de sa tâche, et
c'est encore Mais ces dépenses étaient insignifiantes en comparaison de
celles qui avaient marque l'avènement de l'autre favori. Le duc de Joyeuse
fut destiné à devenir un héros catholique en rivalité avec le duc de Guise.
Il fut maréchal de France, reçut la préséance sur tous les ducs, excepté ceux
de Guise, Nemours et Nevers, qui se vantaient d'appartenir à des maisons
souveraines[5]
; enfin, il épousa Marguerite de Vaudémont, sœur de Henri III dépassait le but. En accablant de tant de
pouvoirs et d'honneurs des hommes jeunes qui ne s'étaient signalés par aucune
action d'éclat, il excitait leur vanité et attirait sur eux l'envie. Ils se
firent nommer les ducs, devinrent insolents
et amassèrent tous deux sur leurs têtes autant de haines que tous les mignons
réunis. Les gens de guerre se plaignaient[8] que les princes, vieux seigneurs et capitaines sont reculés de
la cour, du moins du cabinet du Roy, l'entrée duquel n'est que pour les
sieurs d'Espernon et de Joyeuse, qu'on a eslevés jusqu'à les faire ducs et
pairs, jeunes gentilshommes qui, par leur bas âge, ne pouvoient avoir acquis
grand mérite comme les vieux seigneurs. Il eut fallu les astreindre à
réorganiser les forces militaires, à réviser les actes des financiers ; mais
au lieu de rendre des services qui leur auraient procuré de la force, ils
reçurent des honneurs de cour. Au moins, ils avaient assez de pouvoir pour
attirer vers eux quelques-uns des partisans du duc de Guise et pour affecter
un ton de rivalité qui faisait dire d'eux : Les ducs
sont jaloux[9].
Ils recevaient avec dédain au Louvre ceux qui sortaient de l'hôtel de Guise. Mais au bout de peu de temps, Joyeuse cessa ce simulacre d'opposition aux Guises. Il se laissa entraîner par sa femme dans une sorte de familiarité avec la maison de Lorraine. La jeune reine, qui avait attiré son frère à la cour et l'avait fait créer duc de Mercœur, entretenait autour du Roi la petite coterie des Vaudémont, dont l'esprit ne pouvait être que lorrain, et servait innocemment les intérêts du duc de Guise. Catherine de Médicis elle-même se laissait entraîner à ce courant, et, dépossédée du gouvernement par les mignons, s'excusoit que, voyant son fils sans enfant, elle désiroit jetter la coronne au marquis de Pont, fils de sa fille[10]. Ainsi Henri III était enlacé peu à peu dans les liens de l'influence lorraine, à l'heure même où il essayait d'étayer la monarchie sur les forces d'une aristocratie. En même temps, le duc de Guise reculait toujours devant une révolte ouverte contre le roi de France, et, pour échapper à cette nécessité, il suivait avec ardeur ses plans sur l'Angleterre et agitait l'Europe entière. Dès le mois d'avril 1578, il avait été en mesure d'exécuter les vastes projets qu'il avait médités avec don Juan d'Autriche ; il avait réuni une armée de dix mille hommes, qu'il pouvait conduire et embarquer à Calais en quelques heures ; don Juan s'était tenu prêt à prendre la mer à Gravelines avec dix mille Allemands ; ces deux armées devaient en trois jours aborder à Leith, délivrer Marie Stuart, révolutionner l'Angleterre et restaurer la foi catholique. On n'attendait plus que l'autorisation du roi d'Espagne. Un mot de Philippe II va transformer le Nord[11]. Guise et l'ambassadeur Vargas insistent, deviennent pressants, impatients. Le roi paperassier, entouré de ses secrétaires, écrit, compulse ; prend des notes, laisse écouler l'été ; il veut réfléchir. Après plus de six mois, il répond encore : Comme c'est chose de tant de poids et de conséquence, il convient de cheminer avec un pied de plomb[12]. L'un des chefs des catholiques anglais, l'archevêque de Glascow, ose lui écrire dans son dépit : Je vais vous déclarer la simple vérité : vous êtes si long à vous résoudre et vous appliquez vos remèdes si lentement, que je ne sais que vous dire ![13] C'était peut-être à dessein que Philippe II refusait de s'engager à la suite des deux jeunes capitaines. Quand il avait fait assassiner Escobedo, le secrétaire de don Juan d'Autriche, il avait dû apprendre, par les papiers saisis, que les jeunes conquérants ne se préoccupaient pas uniquement des avantages de sa couronne. Pendant la durée de ces soupçonneuses hésitations, don Juan d'Autriche mourut subitement, peut-être empoisonné. Ses papiers, son cadavre même disparurent. Le duc de Guise, laissé seul protecteur des droits de Marie Stuart, fut contraint de se borner à soutenir le parti du roi d'Espagne dans les Pays-Bas ; il comprit que l'Ecosse et l'Angleterre ne pourraient être réduites si les Pays-Bas appartenaient à un prince français. Ainsi, l'expédition de François de Valois, avec les faibles moyens dont elle était pourvue, tenait en échec à la fois le duc de Guise et Philippe II. Mais Henri III ne sut pas secourir son frère, qui luttait seul contre toutes les forces de l'Espagne avec ses bandes indisciplinées, et qui finit par être odieux aux Flamands eux-mêmes, par les excès de ses soldats. Il fut atteint subitement d'une maladie inconnue, et succomba en quelques semaines, âgé de moins de trente ans, comme don Juan[14]. Les contemporains ne mirent pas en doute que ces deux princes eussent été détruits lentement par un poison secret. Les soupçons d'empoisonnement étaient accueillis avec avidité ; de 1473 à 1591, on publia, en Italie seulement, dix traités complets sur la science des poisons. La légende était plus riche encore ; on racontait des merveilles de la cantarella des Borgia ; de la précieuse aqua tofana qui n'avait ni odeur, ni goût : une goutte par semaine tuait en deux ans ; de la clef du prince Savelli, dont la poignée était ornée d'une petite pointe, imbue de poison : les doigts serraient la clef dans la serrure, étaient légèrement écorchés, la mort le lendemain ; des bagues munies de fines griffes en acier dont le poison donnait la mort quand on pressait une main ou un bras nu. En Italie, une famille avait son poison ; le secret était la dot de la fille[15]. Le principal secret parait avoir été le talent d'éveiller la crédulité populaire. Les Borgia ne demandaient pas tant de mystère : ils ne se donnaient pas plus de gène que Néron avec Britannicus ; c'était dans un festin, devant tous les convives, par un poison foudroyant, que le père tuait les cardinaux dont il voulait revendre les chapeaux ; peut-être cherchait-il même, comme l'empereur romain, la volupté de regarder la pitié, la bassesse et la terreur sur les visages des convives pendant les rapides convulsions de la victime. Philippe II ne cherchait pas davantage à cacher ses moyens d'action ; il ne désavoua jamais les nombreux assassins qu'il avait continuellement à ses gages, et écrivit de sa main, avec une minutieuse prévoyance des plus simples détails, les instructions pour faire étrangler le comte de Montigny, qu'il avait traité longtemps en favori. Il prit soin d'écrire également lui-même les ordres pour poignarder Antonio Ferez, un de ses ministres. Contre la reine Elisabeth, il entretint constamment des meurtriers de tous les pays. Enfin, un mois juste après la mort de François de Valois, il fit casser la tête, par Balthazard Gérard, à son plus redoutable ennemi, le prince d'Orange, et ne cacha pas sa joie à la nouvelle du succès. Il n'a jamais avoué des entreprises contre François de Valois ; le seul poison qui détruisit ce prince était le sang que sa mère lui avait transmis. Mais l'opportunité de cette mort, qui précédait de si près celle du prince d'Orange et laissait Philippe II seul maître des Flandres, fut une fortune étrange à ce déclin de la monarchie espagnole. L'appui que le duc de Guise se trouvait forcé de donner à l'Espagne, sans arrière-pensée depuis la mort de don Juan, rendait le roi d'Espagne maître absolu du continent. En France, le duc de Guise exerçait une domination à peu
près souveraine, soit par lui-même, soit par les princes de sa famille, sur Sa petite-fille, la reine d'Ecosse Marie Stuart, était, au contraire, le lien qui rapprochait sans cesse le duc de Guise de Philippe II. Elle avait réussi à obtenir la promesse d'une descente en Angleterre. Dans une réunion secrète tenue à Paris chez le nonce du Pape, en juin 1583, le duc de Guise et son frère, le duc de Mayenne, conclurent une convention avec le duc Albert de Bavière ; ce prince s'engageait à débarquer dans le Northumberland avec quatre mille hommes levés de ses derniers, au moment même où Mayenne descendrait en Sussex avec pareil nombre de Français[16] ; enfin cinq mille Allemands pouvaient s'embarquer à Dunkerque pour apparaître simultanément dans le Norfolk. Mais les jésuites anglais prétendaient procurer la couronne d'Angleterre, non pas à Marie Stuart, mais à Philippe II. Ils objectaient, du reste, avec raison que l'esprit national des Anglais ne tolérerait pas la présence des soldats français. Xe Père Allen, leur délégué, avait les pleins pouvoirs du roi d'Espagne ; il demanda à être lui-même le chef de l'expédition et à prendre possession de son évêché de Durham, à la tête d'une armée de quatre mille Italiens et Espagnols[17]. Le duc de Guise, bridé par sa pension et ne voulant pas se
laisser briser comme don Juan, se soumit à cette combinaison du Père Allen ;
mais Philippe II la trouva encore trop téméraire, hésita comme toujours au
moment favorable, et demanda des explications[18]. L'ambassadeur
Mendoza lui répondit de se défier des Français[19], qui n'ont
habituellement, selon lui, qu'un médiocre souci de la religion, et de ne
donner que des soldats espagnols au duc de Guise, dans le cas où il le laisserait
partir pour l'Angleterre. Dans ces tergiversations, l'été s'écoulait, et
Philippe II n'approchait pas d'une décision. Humilié de cette dépendance,
ruiné par les dépenses des corps de troupes qu'il tenait prêts à partir au
moindre signal, le duc de Guise disait avec désespoir à Mendoza : Au point où j'en suis avec le Roi, je suis réduit à la
guerre : j'aime mieux la faire en Angleterre qu'en France[20]. Il avait du
moins, comme un dernier scrupule d'honneur, le mérite de reculer devant une
guerre civile, et de s'attacher avec une obstination désespérée à cette
chimère d'une descente en Angleterre pour y combattre les vieux ennemis de Henri de Navarre était au courant de ces opérations et
avait envoyé le comte de Ségur près d'Elisabeth pour la prévenir du danger.
Le centre de gravité de la politique se trouva transporté à Londres. Henri de
Guise et Henri de Navarre ont compris que détruire la réforme en Ecosse et en
Angleterre, c'est la supprimer en France et dans les Pays-Bas ; tout l'avenir
religieux se débat en ce moment autour d'Elisabeth. Philippe H semble ne pas
s'en rendre compte : peut-être a-t-il le pressentiment que c'est dans une
lutte contre l'Angleterre que sera sa ruine, et recule-t-il devant ce duel ;
peut-être craint-il que le duc de Guise, une fois maître des Îles-Britanniques
par Marie Stuart, échappe à ses doigts, devienne roi de France et s'empare à
son détriment de la dictature des catholiques. Henri III est plus aveugle
encore que le roi d'Espagne : il peut se substituer à Henri de Guise pour
soutenir en Angleterre les droits de sa belle-sœur Marie Stuart ; A peut, au
contraire, aider Elisabeth beaucoup plus efficacement que Henri de Navarre à
déjouer les projets de ses ennemis ; il ne songe qu'à jouir des mois de
tranquillité laissés par cette migration de toutes les ambitions au delà de Elisabeth elle-même a-t-elle compris que sous sa main s'agitent les destinées du monde ? Ses deux ministres, Burleigh et Walsingham, voient que l'Angleterre est devenue le centre de la lutte, que tout converge vers Elisabeth y mais ils s'épuisent en discussions, en concessions, en ruses patriotiques pour maintenir dans une politique suivie leur souveraine, malgré son intempérance d'humeur. Elisabeth est demeurée populaire chez les Anglais, parce
qu'à son règne se rattachent la grandeur de leur pays et le triomphe de leur
foi. Sa naissance même était le point de départ de la révolte de l'Angleterre
contre le trône pontifical ; sa vie fut une lutte continuelle avec le catholicisme.
Elle a eu le mérite de choisir, d'écouter souvent et de conserver ses deux
ministres, Burleigh et Walsingham. Elle représenta exactement les intérêts et
les passions de son peuple. Ses traits fortement accusés, sa voix rude, sa
démarche virile, sa familiarité avec les gens du peuple plaisaient à une
nation dont les habitudes étaient encore grossières, qui aimait à voir sa
reine cracher sur les courtisans qui lui déplaisaient, jurer, non pas avec les petits cris d'une femme de confiseur, mais avec de
gros blasphèmes qui roulent dans la gorge[22]. Son mot
habituel était par S'il ne put réussir à remporter même une des bagues de Jeanne d'Albret, Ségur put du moins éveiller l'attention d'Élisabeth sur les dangers qui la menaçaient et sur les menées du roi d'Espagne. Au moment où l'hiver était venu, où les soldats du duc de Guise, impatientés de ne pas voir arriver les vaisseaux attendus, commençaient à se débander, où le secret d'une conspiration mûrie une année entière parvenait aux oreilles des ministres, Philippe II, lymphatique, enfermé dans son bureau, calme au milieu de ses papiers, écrivait encore de bien étudier le projet et de ne rien précipiter[30]. En novembre, Burleigh et Walsingham arrêtèrent les Anglais qui devaient seconder l'entreprise du débarquement, les soumirent à la torture, apprirent d'eux tous les détails des projets de révolution. L'indécision criminelle de Philippe II venait de livrer aux plus effroyables supplices les catholiques anglais qui avaient eu confiance dans son secours[31]. Bernardine de Mendoza, intrigant de génie, dur, exact, avait un style d'une lucidité et d'une précision qui font contraste dans le fatras de la chancellerie espagnole ; il s'essayait alors sur l'Angleterre au rôle qu'il devait jouer en France, lorsqu'il apprit que le chef des conjurés anglais, Throgmorton, jeune, nerveux, impressionnable, ardemment épris de Marie Stuart, avait résisté à deux séances de tortures, et, les os écrasés, les fibres palpitantes, les nerfs distendus, était ramené une troisième fois sur le chevalet ; il comprit que tout était perdu, et considérant comme enjeu les corps de ces pauvres catholiques anglais, il les paya froidement, disant avec sécheresse : Ces Anglais n'ont plus d'énergie quand ils sont pris[32], et il se rendit en France pour risquer d'autres corps de catholiques dans une nouvelle combinaison. Mais le duc de Guise ne pouvait se consoler ainsi d'un
échec qui l'amoindrissait aux yeux de son parti et le forçait à chercher sa
revanche dans une guerre civile' Il prit sa décision avec précipitation, et
sous le coup de la colère soulevée par les tergiversations de Philippe II. Le
31 décembre 1584, il rassembla à Joinville les principaux ligueurs, avec son
frère Mayenne et l'ambassadeur Mendoza, et fit présenter à Henri III une
sommation de garantir les Flandres à Philippe II ; de lui restituer Cambrai,
dernier débris de la principauté éphémère de l'infortuné François de Valois ;
d'accepter le concours de troupes espagnoles contre Henri de Navarre. Rien
dans toutes ces exigences ne dénotait un Français. Des Français s'étaient
réunis pour formuler des réclamations que Philippe II n'osait pas soutenir
lui-même ; c'est par ses propres sujets que Henri III recevait les menaces de
ses ennemis. Le roi de France voulut se préparer à se défendre et fit
recruter des Suisses ; mais il apprit que ce secours serait intercepté, car
le duc de Guise venait de se rendre maître, par surprise, de Châlons-sur-Marne,
pendant que son frère, le duc de Mayenne, prenait Dijon[33]. Par une marche
rapide. Guise se porta en quelques heures de Châlons sur Toul et sur Verdun,
dont il s'empara sans coup férir. Il aurait de même enlevé Metz, si d'Épernon
n'avait pas eu plus d'activité que Henri III. Le duc d'Épernon, fatigué de
conseiller inutilement au Roi des mesures énergiques, découragé de le voir
écouter les avis des Lorrains, qui le poussaient à faire sa soumission, était
parti en grande hâte se jeter au plus fort du danger, et avait fait son
entrée dans Metz quelques heures avant que le duc de Guise s'y présentât.
Sans être découragés par cet échec subi devant Metz, les ligueurs courent aux
armes dans toute Le triomphe du duc de Guise était complet ; il recevait,
outre les places fortes, les armées ; il obtenait le commandement de toutes
les armées, la nomination aux grades, le maniement des fonds destinés à la
solde, le droit de faire les monstres ou
revues d'effectifs, et de relever les absens desdites
monstres[35].
Ses affidés étaient imposés au Roi comme conseillers : d'Espinac, archevêque
de Lyon, et le jeune cardinal de Guise obtenaient l'entrée du conseil privé ;
Le parti lorrain qui entourait le Roi avait regardé comme un succès cette abjection. Le duc de Joyeuse, frivole et inintelligent, ne songea qu'à confondre de plus en plus ses intérêts avec ceux des Guises. Mais d'Épernon fut accablé, perdit de son insolence et apprint à congnoistre où estoit son chapeau, qu'il ne retirait jamais auparavant. Il reprocha durement à Joyeuse d'avoir trahi son bienfaiteur. Dans cette querelle de palais entre les ducs, Henri III, déconcerté et honteux, ne sut que pleurer. Les ducs se morguèrent deux jours, au grand regret de leur maître, qui en jeta maintes larmes[37]. Cet amoindrissement du fidèle d'Épernon et l'abandon de Henri de Navarre faisaient plus de tort à Henri III que toutes les faiblesses et toutes les défaites. Us montraient que personne ne pouvait se fier à la parole du Roi ; qu'on avait plus d'avantage à le combattre qu'à le servir. Qui oserait le soutenir, lui qui ne savait nuire qu'à ses défenseurs et qui devenait tout à coup confiant et caressant pour ses ennemis ? Ne valait-il pas mieux s'attacher au duc, plein de courtoisie et de libéralité, qu'au Roi trompeur et pauvre ? Henri de Navarre restait seul debout pour faire face au
prétendant qui avançait la main sur |
[1]
On a vu au chapitre XIV que le service militaire dans une compagnie d'hommes
d'armes a conféré la noblesse jusqu'au règne de Henri IV. De tout temps
l'argent a suffi quand il a été employé à l'achat d'un fief noble, malgré
l'édit de
[2] MONTAIGNE, Essais, chap. XLVI.
[3] Lettre au Roi du 15 décembre 1790.
[4] Le fils du duc d'Épernon épousa Gabrielle, fille de Henri IV et de la marquise de Verneuil, qui était fille elle-même de Marie Touchet, la favorite de Charles IX. Ce second duc mourut en 1661. Le titre passa à la maison de Montespan et fut éteint en 1727 ; le roi Louis XV le donna à la maison de Noailles.
[5] Lorraine, Savoie, Mantoue.
[6] Martha FREER, t. II, p. 286.
[7] NEVERS, Mémoires, t. I, p. 163.
[8] Guillaume DE SAULX-TAVANNES, Mémoires, p. 469.
[9] Ms. Dupuy, 217, f° 19, lettre de Marguerite de Valois.
[10] TAVANNES.
[11] FROUDE, t. XI, p. 120 et suiv. ; TEULET, vol. V : don Juan de Vargas à Philippe II, 13 avril 1578.
[12] Y como es de tanto momento y consequencia, conviene caminar en el con el pié de plomo.
[13] I will
tell you the plain truth, you are so long in resolving and you apply your
remedies so slowly, that I know not what to say to you.
[14] Juin 1583.
[15] Dans des mains respectables, le poison devenait même quelquefois un procédé administratif. Quand Sixte Quint apprit qu'une trentaine de brigands bravaient sa police dans une position inexpugnable au milieu des Apennins, il fit pousser un convoi de mules chargées de viande et de vin empoisonnés dans la vallée qu'ils infestaient. Les brigands se jetèrent sur ces vivres, périrent tous, et les villages furent délivrés. Personne, à cette époque, n'aurait contesté la moralité de cette rose.
[16] FROUDE, t. XI, p. 580.
[17] TEULET, t. V. Tassis à Philippe II, 24 avril, 4 mai, 14 et 24 juin.
[18] TEULET, Philippe à Tassis, 6 juin ; Philippe à Mendoza, 6 juin.
[19] FROUDE, t. XI, p. 583-585.
[20] FROUDE, t. XI, p. 594, d'après Ms., arch. Espagne, Mendoza à Philippe, 9-19 août 1583 : Por el termino con que procedia con ellos el rey de Francia, tomar las armas on aquel Reyno, o en Inglaterra.
[21] FROUDE, d'après Ms. arch. esp., Menduza au secrétaire Idriaquez, 19-29 août 1583 : Por la cual el ha-vuelto a dar lo que se le habia entreguado, diciendo que no quiere engânar a nadie, pues falta occasion, que es muestra de que procedia con llaneza y que Dios no quiere que se haga el negocio en aquella manera.
[22] Voir FROUDE, Comfit-maker's
wife, but round, mouthfilling oaths.
[23] Burghley to Walsingham, 10-20
september 1586.
[24] TYTLER, State paper office, t.
VIII. — AGNES STRICKLAND, Lifes of the queens of England, t.
III, p. 39, 300,301, 445.
[25] Burghley à Hatton, lettres citées par CHANTELAURE, Procès de Marie Stuart.
[26]
Elle était née le 7 septembre ; l'Eglise célèbre le 8 septembre comme jour de
naissance de
[27] I assure
Your Majesty of my faith there is more beauty in Your Majesty's finger than in
any one lady among them all.
[28] John MORRIS, The letter-books of Amyas
Paulet, keeper of Mary queen of Scots, 22 march 1585.
[29] LABANOFF, t. VII, Appendice, Inventaire des joyaux saisis à Chartley en 1580.
[30] FROUDE, t. XI, p. 606.
[31] Throgmorton's treason, official narrative. June 1584, Ms., domestic.
[32] Al Rey, 8-10 enero 1584. Voir Ms., esp., Simancas.
[33] Guillaume DE SAULX-TAVANNES.
[34] Lettres missives, t. II, lettres des 7 et 10 juillet 1585.
[35]
[36] NEVERS, t. I, p. 170.
[37] Ms. Béthune, 8866, p. 67, cardinal de Guise au duc de Nevers, 17 janvier 1586.
[38]
Lettres missives, t. II, p. 132, à M. de