1562. Il semble que la réforme, telle que la concevaient les
premiers protestants, n'était pas un progrès dans l'évolution de la pensée
chrétienne : la doctrine catholique n'est nullement incompatible avec l'idée
de progrès ; elle comporte les réformes dans la discipline, la promulgation
de dogmes nouveaux, la domination de l'Église vivante sur le texte froid.
L'Église explique et développe l'Écriture ; elle est affranchie par
l'inspiration ; elle traduit la lettre. Quand ils donnaient l'Écriture pour
règle unique au chrétien, les premiers réformateurs s'asservissaient à des
formules, liaient l'esprit humain à un livre, soumettaient la foi à un fait
matériel. En même temps, ils se trouvaient presque forcément enfermés dans
l'Ancien Testament. Le Nouveau, en effet, est déjà l'Église ; il a été ignoré
au moins de la première génération des disciples de Jésus ; le Symbole des
apôtres, à moins qu'on en conteste l'authenticité, doit être reconnu comme
antérieur de plusieurs années au plus ancien de nos Évangiles. Le Nouveau
Testament est plus récent que les pouvoirs de l'Église, pouvoirs contre
lesquels les protestants se mettaient en lutte. En outre, le Nouveau
Testament se prête peu à l'exaltation des esprits ; même en torturant le
texte des Évangiles avec la perversité la plus ingénieuse, on ne saurait le
faire paraître favorable aux passions violentes. Calvin est aussi intolérant que Henri VIII. Clément Marot,
chassé de France par les catholiques, ne peut pas davantage rester à Genève ;
il est forcé de se réfugier en Italie ; le huguenot Henri Estienne trouve
encore plus de paix pour ses presses à Paris qu'à Genève. L’Apologie pour
Hérodote avait révolté la piété des ministres protestants ; les Dialogues
du nouveau langage français italianisé furent saisis par leurs ordres ;
l'auteur fut cité devant les magistrats et accusé de n'avoir pas publié son
manuscrit tel qu'il l'avait présenté à la censure ; c'est à Paris qu'il dut
chercher un refuge. Quand il put rentrer à Genève, Henri Estienne dut
soumettre, feuille à feuille, à un ministre, son traité de droit, Juris
civilis fontes et rivi ; il ne se crut pas contraint à cette formalité
pour la publication des Fastes consulaires, de Sigonius, et le livre
fut saisi et brûlé[1].
A Genève, à partir de 1560, le crime d'adultère fut puni de mort. Les
polémiques se terminèrent par un appel au bras séculier. Spifame, évêque de
Nevers, converti au calvinisme, fut mis à mort, à Genève, par ses nouveaux
coreligionnaires. Calvin dénonça au saint Office Michel Servet, qu'il savait
caché en France, et qu'il regardait comme criminel pour avoir combattu ses
doctrines, en même temps que celles de l'Église catholique, dans son livre Christianismi
restitutio ; Servet, ignorant quel était son délateur et traqué par
l'inquisition, vint naïvement chercher refuge à Genève. Calvin le fit arrêter
; il s'était procuré, avec cet acharnement du pédant réfuté, le seul exemplaire
du livre de Servet qui eût échappé au bûcher ; l'exemplaire unique fut soumis
au consistoire : Servet fut condamné ; il fut brûlé vif en même temps que le
livre. Le livre glissa sur les fagots, tomba à terre, fut ramassé par un
adepte qui le porta à Paris : il y est encore. On le voit à Mais déjà, à vivre dans les rêveries bibliques, les esprits s'étaient emportés vers une direction où ils devaient rencontrer de dangereux ennemis. Au milieu des révolutions, la vie est précipitée ; l'expérience de plusieurs années s'amasse en quelques heures ; les vieilles méthodes de la pensée sont violemment rejetées, les nouveautés qui inspiraient le plus de répugnance ou de terreur deviennent en quelques jours familières, puis tolérables, enfin séduisantes. Les réformés commençaient à dire que les rois ne pourroient avoir aucune puissance que celle qui plairoit au peuple ; autres preschoient que la noblesse n'estoit rien plus qu'eux[6]. On prétendait même qu'ils parlaient de Charles IX avec dédain : Celuy-là est un petit royaut ; nous lui donnerons des verges et lui donnerons mestier pour lui faire apprendre à gaigner sa vie comme les autres[7]. Parmi les saints se glissaient les forcenés : déjà l'on avait vu les anabaptistes, qui voulaient que tous les hommes fussent frères, saccager les châteaux, au nom de cette fraternité, emporter les dépouilles et égorger les prisonniers. Pendant que les dangers étaient ainsi menaçants et les
passions animées, pendant que les triumvirs l'appelaient pour sauver
l'Église, le duc de Guise semblait hésiter, soit répugnance contre la
persécution, soit défiance de ses alliés, soit même vacillation dans les
convictions religieuses ; c'était l'heure où la reine Catherine ignorait
encore si elle entendrait la messe en latin ou les psaumes en français, où la
reine Elisabeth, protectrice de la foi protestante, cherchait à interdire le
mariage des prêtres, et allumait en secret des cierges devant un crucifix[8], où les
Montmorencys restaient indécis entre le catholicisme de leur père et la foi
nouvelle des Châtillons. François de Guise choisissait ce moment pour
reprendre avec les princes allemands les négociations que son frère avait
commencées au moment du colloque de Poissy. Peut-être voulait-il simplement
s'assurer la* neutralité de ces chefs luthériens, les empêcher d'aider les
calvinistes de France dans le cas où la guerre civile deviendrait inévitable,
et feindre près d'eux une indépendance religieuse qu'il ne possédait pas. Il
se rendit le 14 février 1562 avec les deux cardinaux et le grand prieur, ses
frères, et avec son fils aîné Henri, prince de Joinville, au château de
Saverne, près du duc Christophe de Wurtemberg, le plus honnête et le plus populaire
des chefs luthériens[9]. Le cardinal de
Lorraine essaya d'exciter le fanatisme luthérien contre les calvinistes. La
dialectique subtile fit une certaine impression sur les théologiens du duc
Christophe[10].
Persécuter les doctrines de Genève, s'appuyer à la fois sur le Pape qu'on
avait défendu contre l'Espagne, et sur les luthériens d'Allemagne qu'on
cherchait à rallier : mettre Mais un tel rôle exigeait plus de souplesse que de bonne foi. Il allait tromper ou Philipe II, ou le duc Christophe, et garder des relations avec les deux : déjà, à Saverne, les Guises durent faire au duc de Wurtemberg des concessions sur le dogme, et lui laisser croire qu'ils introduiraient en France la confession d'Augsbourg[11]. Ils ne pouvaient d'ailleurs se soustraire à la loi qui porte nécessairement aux extrémités tous les esprits engagés dans une lutte : quelle que fût leur sincérité au moment de l'entrevue de Saverne, ils ne pouvaient qu'être emportés dans les rangs des plus ardents de l'un des partis dès qu'ils commenceraient à frapper ou à être combattus. De cette entrevue ne résulta aucun bien ni pour la
religion, ni pour Ces semblants de pacte avec l'hérésie furent subitement troublés par un coup sanglant, qui trancha toutes les tergiversations, et mit dehors toutes les colères. Parmi les divers événements qui pouvaient amener une rixe,
le hasard voulut que l'accident inévitable se présentât précisément sur le
chemin du duc de Guise, de telle sorte qu'au moment où il sortait de ses
pourparlers avec les luthériens, il se trouvait porté en un seul jour à la
tête des catholiques. Les conférences de Saverne s'étaient terminées le 18
février. Le duc de Guise revenait à Paris, où l'appelaient les triumvirs
qu'il y avait laissés. Le 1er mars, il devait dîner vers midi à Vassy ; les officiers qui alloient devant trouvèrent que les
protestants y faisoient leur presche en une grange près de l'église, et y
pouvoit avoir six ou sept cents personnes de toutes sortes d'âge. Lors, comme
souvent m'a dit le duc de Guise, aucuns de ses officiers et aultres qui
estoient allés devant, curieux de voir telle assemblée et nouvelle forme de
prescher, sans aultre dessein, s'approchèrent jusqu'à la porte du lieu, où il
s'esmeut quelque noise avec parolles d'une part et d'aultre[12]. Il est possible
qu'irrités de ces regards curieux et malveillants, inquiets de voir ces
étrangers armés qui s'amassaient devant leur porte, les bourgeois de Vassy et
les paysans des villages voisins, réunis dans la grange, aient voulu les
écarter, et aient jeté des pierres aux gens de cuisine, et les appelèrent papistes et idolastres[13]. On peut croire
aussi que les religieux de Vassy, blessés depuis plusieurs jours par ces
cérémonies, ont excité le zèle des laquais et de la populace, qui se
sentaient soutenus par la garnison et par l'escorte du duc[14]. Il est certain
que les pages et laquays, en jurant Mais son mari semble, au premier moment, n'avoir eu aucune conscience de l'acte ; il fut tout étonné de s'en voir attribuer l'honneur, d'être acclamé dans toutes les villes catholiques comme un sauveur, et salué comme le chef vigoureux qui venait de choisir le seul parti digne de l'Église, celui de la répression sans pitié. Trop humain pour oser se vanter d'une action aussi inutilement cruelle, et trop instruit de l'état des esprits pour ne pas supposer qu'elle serait le signal d'une guerre d'extermination, le duc fut un peu inquiet de l'attitude que prendraient à cette nouvelle Catherine, son ancienne adversaire, et le duc Christophe de Wurtemberg, son allié récent. Catherine se crut assez forte pour interdire au duc de Guise l'entrée de Paris ; elle avait sous la main le prince de Condé, avec cinq cents cavaliers. Mais au lieu d'intimider le duc de Guise, elle ne fit que le déterminer à s'entourer de tous ses adhérents, et à se présenter avec des forces menaçantes. Le connétable et le maréchal de Saint-André vinrent au-devant de lui jusqu'à Nanteuil, le 16 mars, de bonne heure, bien accompagnés et à armes découvertes[23]. Le même jour, les triumvirs ainsi réunis, suivis de deux mille gentilshommes armés, firent leur entrée par la porte Saint-Denis, selon l'itinéraire des rois qui pénétraient dans la capitale. Le duc de Guise était devenu, en effet, le vrai roi des Parisiens. Le prévôt des marchands s'avança pour le recevoir jusqu'au rempart ; des harangueurs le saluèrent du nom de défenseur de la foi ; le peuple cria : Vive Guise ! Dans la rue Saint-Honoré, le cortège triomphal croisa l'escorte du prince de Condé, qui revenait du prêche avec ses cinq cents gentilshommes. Les deux chefs se saluèrent[24]. Ils hésitaient encore à tirer l'épée, même dans ce jour qui rendait la guerre inévitable, tant il semblait révoltant d'armer les uns contre les autres, pour de telles querelles, les défenseurs de Metz et ceux qui avaient succombé ensemble à Saint-Quentin, et ceux qui avaient escaladé Calais et Thionville. Le duc de Guise ne partageait pas, du reste, la joie générale sur ce qu'on a nommé plus tard le malentendu de Vassy[25], et voulait s'excuser juridiquement de ces meurtres commis sous ses yeux dans une ville royale. Le mémoire qu'il publia paraît n'avoir pas été rédigé par lui ; bien que son style ait toujours été inférieur à celui des autres hommes de guerre de son temps, il était moins diffus que celui de ses secrétaires, et surtout que le langage de l'auteur de cette justification. Il y dit : J'allegueroye la modération et patience qui fut jadis en un Périclès poursuivy par un importun mesdysant ; puis il cite Miltiade, Thémistocle, injustement accusé ; aussi avons-nous en admiration un Camillus, et poursuit sur ce ton durant plusieurs pages[26]. Lorsque le duc entra dans le Parlement pour déclarer qu'il était étranger aux meurtres de Vassy, les présidents Séguier et Harlay quittèrent leurs sièges et sortirent de la salle[27]. Après quelques mots assez dédaigneux prononcés par le duc, le Parlement ordonna des poursuites contre les paysans de Vassy, coupables d'avoir attaqué à coups de pierres un duc et pair suivi de trois cents cavaliers, devant une garnison de quarante hommes d'armes. Mais la servilité du Parlement et les acclamations de la
populace parisienne ne pouvaient satisfaire le duc Christophe, qui venait
d'entendre ses hôtes de Saverne lui vanter leur désir de conciliation, dix
jours avant le massacre. Les premières lettres du duc de Guise au duc de
Wurtemberg sont perdues : on voit par la dernière qu'il cherchait à démontrer
que les catholiques étaient égorgés dans toute A ces propos peu sincères, à ces offres de la vie, le duc Christophe reconnaît la fourberie, il se voit pris pour dupe, il reproche sévèrement aux deux frères d'avoir répondu par des propos va{pies à ses demandes d'explications précises sur l'affaire de Vassy. Pourquoi n'ont-ils donné aucun détail au gentilhomme qu'il avait envoyé auprès d'eux, M. de Rascalon ? Il ajoute loyalement : On dit et escrit que ce a esté commis à vostre bon escient. A quoy aussy donne plus grande vigueur et corroboration ce que depuis vostre advénement en cour a esté faict à Paris. Vous scavez avec quelle asseurance vous m'avez respondu que l'on vous faisoit grand tort de ce que l'on vous vouloit imposer estre cause et autheur de la mort de tant de povres chrestiens[29]. Fermes et honnêtes paroles d'un homme médiocre, mais convaincu, qui cherche à deviner par quels secrets ressorts des gens qui se sont montrés à lui indifférents et peut-être incrédules en sont arrivés à se faire les inspirateurs d'une persécution religieuse, La barbarie de cette persécution semblait moins révolter le prince luthérien que la duplicité avec laquelle on se jouait de sa confiance, et il écrivait à Charles IX : Combien que l'édit que avez dernièrement au mois de janvier faict publier par tout vostre royaume permect que ung chascun puisse vivre selon sa conscience, toutes fois, au contraire d'iceluy, en plusieurs endroits de vostre dict royaume et mesme en vostre ville capitale de Paris, sont advenus batteries, pilleries, meurtres et aultres effusions de sang. Et à la reine Catherine qui s'était aussi présentée comme acquise à la cause de la réforme[30], il répondait : Puis doncq, madame, que j'ay entendu que demeurez permanente en la confession chrestienne de la saincte doctrine de l'Évangile, je vous prie bien humblement que vous ny monseigneur le Roy vostre fils ne veuillez autant que possible entreprendre chose dommageable contre ceux qui confessent la vraie religion chrestienne et ont abandonné les superstitions et idolastries du Pape. Ce chef luthérien dont l'estime était briguée à la fois
par Catherine et les Guises, avait compris dès le premier jour les
conséquences de l'affaire de Vassy. Qu'il y ait eu dans la grange cinquante
tués, ou qu'il y en ait eu deux cents comme le prétendaient les pamphlets
protestants, le nombre est insignifiant, comparé à celui des malheureux qui
furent torturés et égorgés dans A Sens, un capitaine protestant avait organisé les réformés de la ville pour qu'ils pussent se défendre : il s'absenta deux jours ; quand il rentra à Sens, il n'y avait plus de réformés, ils avaient tous été égorgés par la populace : elle se rua alors sur cet homme qui arrivait seul et sans défiance, le renversa de cheval, lui lia les jambes, le traîna dans les rues en allumant des bottes de foin sur son ventre et en criant : Gardez bien vos pourceaux, nous tenons le porcher. Lorsque le Parlement ordonna une enquête sur ces meurtres, bien fut prouvé quelles huguenots avoient les premiers provoqué les catholiques. Un jeune avocat qui avait essayé de démontrer le contraire dut se cacher pour détourner la fureur de la justice[31]. A Paris, il y eut moins de tués, mais les vols et le pillage furent autorisés en plein jour et pendant plusieurs semaines contre les nouveaux convertis : Dieu sçait que plusieurs povres crocheteurs et portefaix furent faits riches et plusieurs huguenots povres[32]. A Troyes, Robert, procureur du Roi, apprenant que son propre fils était calviniste, le pendit[33]. Dans le Midi, Montluc s'empressa de suivre l'exemple donné par son général : il se procura deux bourreaux[34], lesquels on appela depuis mes lacquais parce qu'ils estoient souvent après moy. On lui amena quatre prisonniers qu'on accusait de prêcher l'hérésie : il en poussa un lui-même par terre, dit à un de ses bourreaux : Frappe, vilain ! — Ma parole et son coup fut aussi tost l'un que l'autre. Je fis pendre les deux autres à un orme qui estoit tout contre. Quant au quatrième, comme il n'avait que dix-huit ans, Montluc ne voulut pas le faire mourir aussi vite, mais bien lui fis-je bailler tant de coups de fouet par les bourreaux, qu'il me fut dict qu'il estoit mort au bout de dix ou douze jours après. Il envoya une compagnie de gens de guerre à Terraube pour dépescher tous ceux qui estoient là, et après qu'ils furent morts, les jettèrent tous dans le puyts de la ville qui estoit fort profond et s'en remplit tout, de sorte qu'on les pouvoit toucher avec la main. Ce fut une très belle despesche de très mauvais garçons. A Cahors, les protestants avaient eu le dessus, et ils avaient dans la lutte tué six cents catholiques[35] ; Montluc accourût, les chassa de la ville ; puis, saisi de fureur en voyant arriver un conseiller au Parlement que Catherine avait chargé de faire une enquête sur les événements de Cahors, il se précipita sur ce conseiller et ses greffiers, et cria[36] : Je te pendrai moy-mesme de mes mains, car j'en ay pendu une vingtaine de plus gens de bien que toy, meschant paillard ! — Je tiray de moitié mon espée, tous gaignèrent la porte et se mirent à fuir eu criant, si estonnés qu'ils sautèrent les degrés sans compter. C'est à Tours que la nouvelle de l'affairé de Vassy fut
accueillie avec le plus de joie : la population s'empara de tous les réformés
de la ville, au nombre de trois cents, et les enferma dans l'église de Les persécuteurs de tous les temps semblent inspirés par une volupté sauvage quand ils ont à faire souffrir ces corps de femmes, qui n'ont pas été formés pour la douleur : plus la chair est délicate, plus la torture donne de plaisir. La femme les excite par son mépris et sa constance : elle n'a pas la douce résignation du martyr, elle résiste avec la vaillance hautaine du combattant. On avait déjà vu de tels spectacles dans les luttes entre les sectes chrétiennes du quatrième siècle, quand les donatistes, les priscilliens, les ariens se plaisaient à dépouiller de leurs vêtements les vierges consacrées, a les déchirer sous les verges, à brûler la pointe de leurs seins en l'enfermant dans une demi-coquille d'œuf rougie au feu[38], ce qui faisait dire à un témoin de ces horreurs : Jamais les bêtes sauvages n'ont montré tant de férocité pour les hommes que les sectes chrétiennes[39]. Les enfants étaient peut-être plus maltraités que les femmes : ceux qui ne marchaient pas encore n'étaient pas toujours tués. Pendant les massacres de Tours, on les mettait en vente. Ils s'y vendoient un escu[40]. De ces petits êtres que pouvait faire l'acheteur ? Mieux aurait valu, sans doute, les assommer avec leur mère qui les regardait marchander et emporter. D'autres mères étaient plus malheureuses encore. A Provins, une femme puisait de l'eau à la fontaine, en tenant sur ses bras un enfant de six semaines. Elle fut dénoncée comme hérétique : on lui enleva l'enfant, on le fit baptiser^ dans l'église Saint-Ayoul. Le père fut délaissé entre les mains de soldats passants, qui sans doute se divertirent à le faire mourir sous les coups ; la mère fut emmenée par les hommes d'armes d'une compagnie d'ordonnance, et n'en ay depuis oüy nouvelles[41]. L'indignation devant de tels faits est spontanée ; peut-être elle est juste ; mais avant de se laisser entraîner à ce sentiment facile, il faut se représenter la véritable indifférence avec laquelle chacun était prêt à verser son propre sang : on s'était accoutumé à la douleur, et l'on ignorait nos accents de sensibilité, notre sécurité de vie, et notre sérénité de mœurs qui ne nous permet guère d'émotions vives que par l'imagination ou les excitations factices. L'habitude du meurtre donne le mépris de la mort ; on s'accoutume à regarder une vie comme chose insignifiante ; bientôt on s'irrite de cette dignité des victimes, on se croit défié par elles, et l'on invente des tortures. Quelqu'un demanda un jour au baron des Adrets, ce monstre fameux par l'implacable barbarie avec laquelle il traitait ses prisonniers catholiques ou huguenots, selon son parti du moment, quel genre de plaisir il trouvait à les faire souffrir : — Le seul moyen, répondit-il, de faire cesser la cruauté des ennemis est de les imiter : rendre la cruauté n'est pas cruauté ; de plus, en ostant l'espoir de tout pardon, il falloit que mes soldats ne vissent de vie qu'en la victoire[42]. Ainsi les esprits entraient dans une sorte de délire : une
période de haine et de rage allait s'ouvrir. Gomme précurseur des maux qui
commençaient à s'abattre sur |
[1] Léon FEUGÈRE, Notice sur Henri Estienne, p. 125.
[2] FLOURENS, Histoire de la découverte de la circulation du sang, p. 137, 139. Voir aussi H. MARTIN, Histoire de France, t. VIII, p. 485.
[3] Opera, t. VIII, p. 362.
[4]
VON HARTMANN,
[5]
MÉZIÈRES, le
Procès de Galilée, dans
[6] MONTLUC, édit. Petitot, p. 22.
[7] MONTLUC, édit. Petitot, p. 22.
[8] MACAULAY, Burleigh and his times. Les
protestants anglais ont toujours eu une tendance à conserver le sacrement de la
confession. Voir séance de
[9]
Bulletin de
[10] VARILLAS, t. I, p. 154, 155.
[11] BOUILLÉ, Histoire des ducs de Guise, t. II, p. 169.
[12] CASTELNAU, p. 452.
[13] CASTELNAU, p. 452.
[14] D'AUBIGNÉ, p. 130.
[15] GUISE, Mémoires-journaux, p. 470.
[16] D'AUBIGNÉ, p. 130.
[17] GUISE, Mémoires-journaux, p. 470, 475.
[18] D'AUBIGNÉ.
[19] Voir sur cet événement : Archives curieuses de l'histoire de France, t. IV, série I, p. 103 : Description du saccagement exercé cruellement par le duc de Guise et sa cohorte, en la ville de Vassy, le 1er jour de mars 1561, Caen, 1562 ; Mémoires de Condé, t. III, p. 111 : Relation de l'occasion du duc de Guyse exécutée à Vassy, en Champagne, composée par un huguenot ; ibid., p. 115 : Discours au vray et abrégé de ce qui est dernièrement advenu à Vassy, y passant M. le duc de Guise ; ibid. : Sept autres pamphlets. Voir aussi DE THOU, liv. XXIX ; CASTELNAU, liv. III, ch. 7 ; LE LABOUREUR, t. I, p. 760 ; VARILLAS, t. I, p. 161.
[20] GUISE, Mémoires-journaux, p. 484.
[21] GUISE, Mémoires-journaux, p. 484.
[22] En 1554. Voir Claude HATON, t. I, p. 10, 42.
[23] GUISE, Mémoires-journaux, p. 630 et suiv.
[24] Henri D'ORLÉANS, duc d'Aumale, t. I, p. 121.
[25] VARILLAS.
[26] GUISE, Mémoires-journaux.
[27] Henri MARTIN, t. IX, p. 87.
[28] GUISE, Mémoires-journaux, p. 489, 491, lettre du 22 mai 1562.
[29] GUISE, Mémoires-journaux, p. 491, 493.
[30] GUISE, Mémoires-journaux, p. 665. On n'a pas les lettres de Catherine ; mais elle venait de lui envoyer Courtelary dont les paroles avaient été si formelles, que le duc crut à la conversion de Catherine et écrivit cette lettre curieuse.
[31]
Claude HATON, Mémoires,
t. I, p. 193. On sait que Haton, bourgeois de Provins, était catholique ardent
et vassal fidèle de la maison de Guise. Voir sur les massacres de Sens, en
outre : Mémoires de Condé, édit. 1743, t. III, p. 187, 300, 315, 360, 433.
[32] Claude HATON, t. I, p. 276.
[33] VARILLAS, t. I, p. 247.
[34] MONTLUC, p. 216.
[35] D'AUBIGNÉ, p. 136.
[36] MONTLUC, p. 220.
[37] D'AUBIGNÉ, p. 131.
[38] GIBBON, The history of the décline and
fall of the
[39] AMMIANUS MARCELLINUS, XXII, 5 : Nullus infestas hominibus bestias ut sunt sibi ferales plerique christianorum, expertus.
[40] D'AUBIGNÉ.
[41] Registre des baptêmes de la paroisse Saint-Ayoul, f° 73, mairie de Provins, 18 décembre 1567 ; cite en appendice, Claude HATON, Mémoires, p. 1131.
[42] D'AUBIGNÉ, p. 155.
[43] Claude HATON, p. 226. On a vu au chapitre V que la peste existait déjà à Toul en 1552.
[44] Claude HATON, p. 224.
[45] Voir le Manuscrit d'Issoire, cité par IMBERDIS, Histoire des guerres religieuses en Auvergne, t. I, p. 108.