1561. Dans cette catastrophe, Je duc de Guise pouvait essayer de défendre son pouvoir. Il avait pour lui la force matérielle, l'armée et les boulevards d'Orléans ; il pouvait s'emparer de la personne du jeune Roi, faire exécuter Condé, tuer le roi de Navarre et Coligny. Mais devant qui se tenait Catherine de Médicis : ce n'était plus le temps où on la menaçait de la renvoyer ignominieusement à Florence : elle avait étendu son influence personnelle, et était sûre de plusieurs commandants de place ou capitaines de compagnies d'ordonnance. Elle n'avait pas attendu que son fils eût rendu le dernier soupir pour appeler le connétable : elle semblait prête à s'unir à Jeanne d'Albret, aux Montmorencys, aux Châtillons, à rassembler les vieux soldats de Henri II, pour protéger ses droits et ceux de ses enfants contre les usurpations des étrangers lorrains. Le duc de Guise sentit la nécessité de désarmer devant elle ; il vit s'écouler entre ses doigts cette puissance absolue sur le royaume qu'il tenait depuis près de deux ans et qu'il tentait, la veille encore, de rendre indisputable, en écrasant tous ses compétiteurs. Ceux-ci comprirent, tant la situation était claire, que
toute menace de danger avait disparu ; et lorsque Coligny, rêveur devant le
feu, le cure-dents à la bouche, fut appelé par son secrétaire Fontaine qui
lui disait : Monsieur, c'est trop resver, il n'y a
point de propos, vos bottines en sont toutes bruslées. — Ah ! Fontaine, s'écria-t-il, il n'y a pas huit jours que
toy et moy en eussions voulu estre quittes chacun pour une paire de bottines
; c'est bon marché[1]. Les soldats de
la garnison d'Orléans eux-mêmes étaient-ils bien sûrs ? Ils offrirent leur service audit sieur de Guise de corps et de
biens, jusqu'à la dernière goutte de leur sang[2]. Mais ces mêmes
hommes n'osèrent faire feu quelques minutes plus tard sur l'escorte du
connétable, quand il se présenta devant les fossés : le connétable était le
chef légal de l'armée, c'était le vieux général des guerres d'Italie : trouvant grosse garde à la porte Banière, il menaça les
capitaines qui y commandaient de les faire pendre ; c'était son ancien
langage : ils reconnurent le chef, ils cédèrent à l'habitude de la discipline,
ils baissèrent le pont-levis ; le connétable entra en grondant, et vint avec
ses gentilshommes chez Mais le pouvoir royal était bien déchu et bien impuissant
à cet avènement du jeune Charles IX. Le royaume était partagé entre plusieurs
souverains : dans le petit nombre de mois qu'ils étaient restés dépositaires
de l'autorité, les Guises avaient laissé ruiner le respect de la couronne :
chaque gouverneur s'était rendu indépendant dans sa province, et Un comte de Laval, parent des Montmorencys, se confia dans la protection du connétable et fit assassiner l'un des huit cents gentilshommes qui servaient d'escorte au duc de Guise : c'était le bâtard du Bueil, fils du comte de Sancerre ; ce bâtard s'était vanté d'être le favori de la dame de Gié, que le comte de Laval voulait épouser[4]. Jamais le duc n'abandonnait un de ces gentilshommes qu'il appelait ses espées de chevet. Il poursuivit la vengeance du meurtre avec tant d'ardeur, que le comte de Laval dut prendre la fuite, et que ses biens furent confisqués. Cet échec du connétable n'empêcha pas le roi de Navarre de chercher une autre querelle au duc de Guise. Il réclama, en sa qualité de premier prince du sang, les clefs de la chambre royale que Guise possédait comme grand maître de la maison du Roi. Mais les deux rivaux furent étonnés et blessés de voir intervenir une force supérieure qui les soumit également tous les deux : Catherine déclara que les clefs lui seraient remises, et qu'elle les conserverait seule. Ainsi Au lieu des largesses et des pillages qui avaient signalé l'avènement de Henri II, les seigneurs trouvaient devant eux la main de Catherine pour les tenir et les diriger : ils comprirent en quelques semaines que leurs divisions achèveraient de les ruiner, et qu'en présence d'une femme comme Catherine, ce n'était pas trop d'une indissoluble union pour soutenir les privilèges contre les revendications de la royauté. La nécessité d'une trêve entre les haines de cour et d'une alliance de toutes les faveurs et de toutes les convoitises fut bientôt démontrée par l'apparition à un danger plus redoutable encore. Le cardinal de Lorraine, à l'époque où il se débattait contre les difficultés du gouvernement, avait eu l'idée de convoquer à Orléans les États généraux : peut-être croyait-il que sa parole élégante lui procurerait une majorité assez puissante pour donner la sanction de l'assentiment national aux mesures qu'il voulait prendre contre les princes du sang et à la substitution des Guises aux Bourbons dans le cérémonial comme dans le droit public. Peut-être aussi n'attendait-on aucune réforme, ni aucun effort des États généraux, et ne fut-on amené à les convoquer que pour donner une satisfaction aux mécontents, une pâture aux conversations. Cette pensée d'États généraux se présentait aux époques de malheurs publics, comme un remède vague, une ressource extrême : le peuple semblait oublier ses maux aussitôt qu'il avait reçu la liberté de les formuler, et jusqu'alors cette faculté de se plaindre n'avait pas paru dangereuse, pourvu qu'elle ne fût pas trop fréquemment accordée. Les États généraux restaient plutôt comme un instinct que
comme un souvenir du droit populaire : ils n'avaient jamais été que le germe
de ce que l'on peut appeler des assemblées publiques qui contrôlent les actes
du gouvernement et consentent les impôts : germe qui était arrivé à parfaite
maturité en Angleterre seulement, mais qui était devenu stérile sur le
continent, au milieu des guerres continuelles et des armées permanentes.
Henri VIII, assez puissant pour retourner par caprice la conscience de ses
sujets, reculait devant les votes de blâme de Aussi le cardinal ne croyait avoir rien à redouter du simulacre d'États qu'il avait assemblés à Blois. Les États ne parlèrent en effet ni de liberté, ni de vote d'impôts, ni de contrôle des actes de l'autorité. Menace bien autrement redoutable, les Etats demandèrent une liste des dettes de la couronne et la révocation des dons faits pendant les deux règnes précédents. Cette pensée d'une restitution sema l'effroi parmi tous les favoris, et leur inspira l'oubli de leurs rivalités pour faire face au danger commun ; Diane, puissante encore par ses richesses et par ses gendres, réapparut aussitôt sur la scène. Elle courut chez le connétable ; elle inquiéta le cupide Saint-André, l'envoya chez le duc de Guise pour lui rappeler ce qu'ils risquaient tous si les États généraux persistaient dans leur importune enquête sur les enrichis des deux règnes. A la première nouvelle de cette prétention des Etats, le cardinal de Lorraine s'était enfui à Reims, où il s'était enfermé avec sa nièce Marie Stuart. Il reculait devant la difficulté d'expliquer comment il avait profité de son crédit près de François II pour recueillir encore de l'argent : il s'était fait donner les droits de justice haulte, moyenne et basse à Saint-Denis ; quelques heures avant la mort du Roi, le duc et lui avaient fait porter à leur hôtel quatre-vingt mille livres de l'argent de l'Epargne[6]. Ainsi, deux craintes réunissaient des ennemis divisés par tant d'outragés, de persécutions, d'années de luttes. Contre la supériorité du génie de Catherine, ils sentaient la nécessité de se coaliser ; aux demandes de restitution, ils voulaient opposer leur réconciliation. Catherine tenta d'empêcher un accord qui se faisait en réalité contre l'autorité royale et sous l'influence détestée de Diane. Elle prorogea la session des États sous le prétexte que le froid incommodait les députés, elle réussit à maintenir le roi de Navarre en dehors de l'intrigue, par les artifices de la belle Rouhet ; elle rechercha l'alliance de Condé et de Coligny, et avec eux celle des réformés qui constituaient déjà un parti considérable. Mais cesser de se montrer hostile aux protestants, c'était se compromettre sans acquérir leur appui ; ils n'entendaient le prêter que s'ils recevaient en échange une protection efficace. De nouveau se trouvaient en présence les deux rivales :
Catherine, appuyée sur les Bourbons, essayait d'opposer l'un à l'autre le
connétable et le duc de Guise, tandis que Diane cherchait à rétablir l'accord
entre ces deux adversaires par les soins du maréchal de Saint-André. Les fi|s
et les neveux du connétable étaient avec Les sermons du carême étaient prêches à la cour par l'évêque de Valence, Jean de Montluc, fin, deslié, rompu et corrompu autant pour son sçavoir que pour sa praticque[7], qui parlait avec complaisance des doctrines de la réforme : On le tenoit luthérien, puis calviniste, contre sa profession épiscopale, mais il s'y comporta par bonne mine et beau semblant[8]. Révolté dans sa loi, le vieux connétable était descendu, avec sa femme, aux cuisines du château pour y entendre le sermon d'un religieux jacobin qui prêchait pour les gens de service ; il y rencontra le duc de Guise et le maréchal de Saint-André. Le soir même, les trois hommes se trouvèrent unis pour assurer leur autorité commune, combattre les progrès des réformés et arrêter les demandes indiscrètes des états[9]. Catherine, les Bourbons, les Châtillons n'étaient plus
assez puissants pour résister. Gondé et les Châtillons étaient liés aux
Eglises protestantes, .habitués à recevoir d'elles des subsides, contrôlés
par leurs ministres, et enfermés dans une foi nouvelle qui leur ôtait toute
autorité en dehors de ses adeptes. Le roi de Navarre, attaché à Catherine par
les soins de mademoiselle de Rouhet, attiré vers l'Espagne par la promesse
fallacieuse d'une restitution de Le duc de Guise, le connétable, le maréchal de Saint-André furent surnommés les triumvirs, par un souvenir de l'antiquité classique. Saint-André, qui vivait d'exactions et d'emprunts, n'existait dans le triumvirat que comme lien entre Guise et le connétable ; il prévenait les froissements et prenait pour lui la plus large part des profits de l'association. Le maréchal de Brissac, vieilli et fatigué, n'avait su occuper qu'un rôle subalterne, et s'était entièrement subordonné au duc de Guise. Guise reprit aussitôt pour son compte la politique de
Henri II. Il se mit en relations directes avec le roi d'Espagne, et se
présenta à ses yeux comme le chef des catholiques français. A cette époque
commença la longue série des lettres échangées entre les Guises et les agents
de l'Espagne : les malentendus furent oubliés, le duc de Guise devint le
confident de Chantonnay, ambassadeur de Philippe II ; il proposa l'union de
tous les princes pour l'extermination de l'hérésie, dénonça Ainsi, il feignait de devenir le collègue du maréchal de
Saint-André, qu'il méprisait, pour mieux gagner l'alliance des Montmorencys,
tout en rejetant vers les huguenots les Châtillons et Exalté par cet appui inattendu que les personnages les plus considérables de France venaient prêter à la politique de son maître, l'ambassadeur Chantonnay devenait hautain près de Catherine, et avait toujours des menaces de guerre à la bouche[10]. Catherine, qui connaissait ses liaisons secrètes avec le duc de Guise, se préparait lentement un champion ; elle versait avec amour sa science des cœurs, son mépris de l'humanité, son art de séduire par la parole, toutes ses forces, et toutes les corruptions qu'elle prenait pour des forces, dans l'esprit de son fils préféré, son Alexandre, Henri de Valois, duc d'Anjou ; rien que par son nom d'Anjou, cet enfant devenait l'ennemi des Guises, puisqu'il possédait le titre qu'ils avaient cherché à usurper. Henri de Valois fut présenté par sa mère avec orgueil comme le vengeur prédestiné, comme le maître qu'elle leur préparait à tous, assis dans les cérémonies du sacre à la droite du jeune Charles IX. . Mais il n'était encore qu'un enfant ; pour combattre les triumvirs, Catherine devait avoir recours, jusqu'à ce qu'il grandit, aux hommes qui savaient porter la cuirasse ; elle se tourna vers les protestants. Sous son influence, le roi de Navarre s'engagea à désavouer le concile de Trente, qui étudiait des réformes dans la discipline ecclésiastique, et à convoquer en un concile tous les évêques de France et d'Angleterre[11] pour déterminer, en dehors de l'influence pontificale et sans le clergé espagnol, les changements qui pouvaient être apportés au dogme et au culte. Ces concessions auraient pu, selon Catherine, recueillir, dans les deux opinions opposées, les gens pratiques, les caractères modérés, et créer un parti de gouvernement à l'aide duquel elle aurait reconstitué l'autorité royale. Elle résumait elle-même les modifications dans les usages de l'Église qui pouvaient le mieux rallier les dissidents, sans froisser les catholiques ; elle estimait qu'une plus sévère discipline dans le clergé, l'autorisation pour les fidèles de la communion sous les deux espèces et des chants pieux en langue vulgaire, l'interdiction du culte des images et de la rétribution des messes, suffiraient pour arrêter les progrès du calvinisme. C'est du moins par ces propositions qu'elle formula, le 31 décembre 1561, ses demandes au Pape[12]. Une copie de ses instructions au cardinal de Ferrare a été conservée, et reste[13] comme un curieux témoignage des révolutions qu'a éprouvées le génie de cette femme extraordinaire, et delà chance qui a été laissée quelques instants à l'humanité pour échapper aux guerres religieuses et aux fureurs de la persécution. Cette attitude de Catherine accueillait, elle écoutait les principaux
ministres protestants ; Calvin pressa Pierre Martyr d'entrer en relation avec
elle : celui-ci écrivit à l'Église de Turin que Le cardinal de Ferrare, légat du Pape, assistait quelquefois à ces réunions nocturnes : on eût dit que chacun ne désirait que l'harmonie[19]. Pour les Guises, qui avaient déjà eu des relations secrètes et des promesses échangées avec les luthériens de Wurtemberg et du Palatinat, qui d'ailleurs pouvaient invoquer comme garants de leur orthodoxie Chantonnay et Philippe II, ces conférences n'étaient qu'un divertissement. Mais le jeu était dangereux pour Catherine. A se lancer ainsi au milieu des réformateurs qui se préoccupaient beaucoup plus des scrupules de leurs consciences que des intérêts de sa politique, elle risquait l'avenir même de la dynastie, sans avoir dans les mains une arme bien sûre, sans pouvoir se fier à la fidélité de ses alliés plus qu'à la bonne Foi de ses ennemis. Elle se sentait dans une crise : son fils même lui
échappait par instants. Violent, brusque, sujet à des accès de fureur,
Charles IX se soumettait encore au regard froid, a ta voix musicale, à la
grâce paisible de sa mère ; mais aussitôt qu'il n'était plus à ses côtés, il
s'échappait comme en délire. Aussi elle le perdait de vue rarement, le
faisait dormir dans sa chambre, le suivait même à la chasse, et pour que sa
présence ne lui devint pas importune au milieu de ses divertissements, plutôt
que de le retenir dans sa fougue au milieu des forêts, elle aimait mieux
partager ses dangers dans ses courses et pousser son cheval derrière le sien
à travers les taillis. Ces exercices violents étaient moins pernicieux pour Ces Italiens, qui s'enrichissaient rapidement, qui se faisaient donner les grosses abbayes et les riches héritières, furent la principale cause de l'impopularité et des échecs de Catherine de Médicis. Bien qu'on ne doive accepter qu'avec méfiance ce que disent des Italiens les auteurs de Mémoires, tous jaloux de leurs gains, on peut difficilement éviter de regarder Birague comme un scélérat dont les conseils ne pouvaient être que déshonorants pour la couronne. Quant aux Gondis, leur fortune fut extraordinaire : ils étaient trois fils d'un banquier de Florence, qui possédaient ensemble deux mille écus de rente, à la mort de Henri II : leur mère, que Ton nommait à la cour la dame du Perron, avait élevé tous les enfants de Catherine. L'aîné des Gondis épousa Claude-Catherine de Clermont, veuve du maréchal d'Annebaut, la femme la plus spirituelle et la plus savante du seizième siècle ; son premier mari était un fascheux qui estoit indigne de posséder un sujet si divin et si parfait[21] ; le second en était moins digne encore, mais les services qu'elle sut rendre à Catherine le firent créer comte, puis duc de Retz, marquis de Belle-Isle, maréchal de France : il amassa plus de deux cent mille livres de revenu ; ce serait deux millions et demi de notre monnaie. Son frère fut cardinal et évêque de Paris ; le troisième, doué de sentiments délicats, s'attacha à Charles IX d'une amitié sincère, réussit quelquefois a le calmer dans ses accès de mélancolie, et mourut de chagrin quelques jours après lui. Au milieu de ces Italiens solliciteurs, des filles d'honneur qu'il fallait tenir sous une discipline rigoureuse, et des gentilshommes qui se partageaient entre les Guises et les Châtillons, Catherine ne parvenait pas à assurer sa supériorité sur le triumvirat : son génie se dissipait dans mille petites intrigues, tandis que ses ennemis se dirigeaient vers leur but avec netteté et persévérance. Pour rendre plus intime leur union avec l'Espagne, les Guises entreprirent de marier à don Carlos, fils de Philippe II, leur nièce Marie Stuart. La jeune veuve de François II vivait alors à Reims près du
cardinal de Lorraine et semble ne pas s'être opposée à des pourparlers qui
lui auraient évité l'exil dans son triste royaume d'Écosse. Catherine employa
toute l'influence de sa fille Elisabeth sur Philippe II pour empêcher ce
mariage ; les négociations se prolongèrent plusieurs mois, et ne furent pas
interrompues, même après que Marie Stuart eut débarqué en Écosse[22]. On ne sait pas
exactement quelles causes firent rompre ce projet. Il est probable que les
conseils de la reine Elisabeth d'Espagne et les plaintes de lu reine Elisabeth
d'Angleterre, n'auraient pas réussi à détourner Philippe II d'une alliance
qui lui donnait les couronnes d'Ecosse et d'Angleterre, si d'autres motifs ne
l'en avaient écarté. Peut-être a-t-il redouté le pouvoir qu'auraient pris sur
le faible cerveau et le cœur violent de don Carlos les charmes de Marie
Stuart[23] et les artifices
du cardinal de Lorraine ; peut-être jugeait-il que des vassaux comme les
Guises lui seraient plus utiles dans les États du roi de France que dans les
siens, et que donner de tels oncles à son fils, c'était se donner à lui-même
des sujets trop dangereux. Déshonorantes transactions que l'on voudrait
croire entretenues, contre le gré du vainqueur de Calais, par le seul
cardinal de Lorraine. De même qu'en faisant prendre à François II le titre de
roi d'Angleterre, aux risques d'une guerre ruineuse, les Guises n'avaient eu
en vue que l'orgueil de leur maison et non les avantages de L'Espagne pour eux, du reste, n'était qu'une alliance ; c'est en France qu'ils devaient chercher leur véritable point d'appui. Ils résolurent de le placer dans la population parisienne. On a vu à toutes les époques une fascination exercée sur les génies les plus solides, et même sur les esprits les plus sceptiques, par les applaudissements des désœuvrés d'une grande ville. Le premier duc de Guise avait passé sa vie a courtiser les bourgeois de Paris ; il était considéré comme leur général. Le Balafré, qui avait épuisé toutes les jouissances que peuvent donner les cris d'enthousiasme des soldats vainqueurs, les entrées parla brèche, sous les arquebusades et les incendies, dans les villes prises d’assaut, trouvait encore des joies dans le concours des Parisiens qui sortaient des boutiques, encombraient les rues, montaient sur les toits pour le saluer, chaque fois qu'il s'offrait à eux dans des entrées solennelles. Il voyait en outre, dans ces cérémonies un peu théâtrales, une manière de tenir en haleine ses partisans, de se rappeler à la mémoire des badauds, et de combattre l'influence rivale que les Montmorencys cherchaient à asseoir dans la capitale. Dès qu'avaient commencé à circuler de vagues inquiétudes
sur les tendances de la cour en faveur des réformés et des bruits sinistres
sur les enfants égorgés dans des assemblées secrètes, au chant des psaumes ,
le duc de Guise était accouru pour- rassurer les bourgeois, et se montrer à
eux comme le protecteur contre le péril social et religieux ; suivi de quatre
cents gentilshommes en armes, il s'avançait sur un cheval à housse de velours
noir brodé d'argent, au milieu des cris d'allégresse ; il portait un
pourpoint et des chausses de satin cramoisi, un manteau et une toque de
velours noir avec une plume rouge. Ce costume éclatant, cette entrée
bruyante, lui ravirent tous les cœurs. Manœuvre habile qui excitait les
imaginations vers la résistance, au moment où Elle avait obtenu qu'une conférence serait tenue à Poissy, entre les principaux prélats de France et les délégués des Églises réformées, pour étudier les moyens de conciliation sur le dogme et sur les cérémonies sacrées. Plusieurs délégués calvinistes avaient été dans les ordres, comme Théodore de Bèze, ancien prieur de Longjumeau, et Malo, ancien vicaire de Saint-André des Arcs. Ils ressentirent un gonflement de vanité et comme une malheureuse inspiration d'orgueil en se voyant appelés à enseigner des doctrines théologiques à des évêques et à des cardinaux ; ils ne comprirent pas qu'ils étaient plutôt méprisés que tolérés, et qu'ils pouvaient espérer des concessions seulement par une attitude modeste devant des prélats qui tenaient moins à la foi qu'aux intérêts temporels. Théodore de Bèze, dont le langage était habituellement sage, mit tant de roideur dans son discours aux prélats assemblés, qu'ils commencèrent à fort murmurer[24], puis ne purent contenir leur indignation, se levèrent et s'élancèrent hors de la salle en criant : Il a blasphémé, il a blasphémé Dieu ![25] Vainqueur dès son enfance dans les luttes scolastiques, et savant dans les secrets de la vieille polémique, le cardinal de Lorraine fit le lendemain une réponse pompeuse qui ne pouvait ni apaiser les colères, ni résoudre les questions contestées, Bèze essaya de répliquer, pour obtenir un peu de franchise dans la polémique au lieu des arguties[26] ; mais on s'eschauffa si bien en la dispute, que l'ardeur surpassa la raison de part et d'autre, qui hit cause que le Roy diminua le nombre jusqu'à cinq de chaque costé[27]. Les protestants n'apportaient pas plus de bonne foi que les prélats dans la discussion ; ils cherchaient à écarter toutes les idées de transaction, toutes les offres de concessions. Nous craignons, écrit l'un d'eux[28], beaucoup plus les moyenneurs, qui sont tièdes en diverses façons, que les ennemis ouverts qui se monstrent en front et chauds. Le cardinal de Lorraine avait imaginé un stratagème qui devait mettre fin au débat et couvrir de confusion les calvinistes ; il prétendit les faire convaincre d'erreur et maudire comme hérétiques par leurs propres frères les luthériens d'Allemagne, sûr que l'esprit d'intolérance, les colères théologiques, les haines de la controverse étaient également âpres dans toutes les Églises. Ce sceptique disert, qui préparait pour le concile de Trente des harangues favorables aux réformes, pendant qu'il en prononçait à Poissy pour soutenir les usages établis, se tenait depuis longtemps en relation avec les princes luthériens d'Allemagne ; il possédait parmi eux tout le prestige que procuraient, dans une nation dont le métier était de se donner en location pour faire la guerre, les exploits des ducs de Guise. Ces Allemands avaient servi sous son père ou son frère ; ils le regardaient comme un des patrons de la. maison qui pouvait encore leur donner de l'ouvrage ; ils le ménageaient pour être favorisés par les recruteurs de son frère. Aussi, le duc de Wurtemberg et les princes palatins reçurent avec honneur l'homme que leur adressait le cardinal de Lorraine pour leur demander des théologiens luthériens. Cet homme était un jurisconsulte d'Arras, nomme Beaudouin, deux fois apostat, qui avait été secrétaire de Calvin, et qui venait choisir cinq ministres luthériens pour combattre les calvinistes au profit des catholiques. Ce pian ingénieux ne put réussir, malgré lu bonne volonté des Allemands. Du Rhin à Paris, le voyage était long. Le jour où les Allemands arrivèrent à Paris, épuisés de fatigue, l'un d'eux fut atteint de la peste et mourut dans la nuit ; les quatre autres, frappes d'épouvante, se remirent en route dès le lendemain pour leur pays, sans se laisser décider a demeurer davantage dans une ville aussi dangereuse[29]. Les orateurs du colloque de Poissy ne tardèrent pas à se séparer également. Après avoir bien disputé l'espace de trois mois, il fut impossible d'accorder entre eux un seul article ; ce qui ne servit de rien, sinon de révoquer en doute la religion des uns et des autres[30]. Les calvinistes avaient cependant insisté à plusieurs reprises, durant les discussions, pour qu'on ne les confondît pas avec les athées ; ils poussèrent même le zèle jusqu à se plaindre qu'il n'y eût. pas de persécution organisée contre les incrédules ; et, avec autant de passion que les prélats contre eux-mêmes, ils en demandèrent contre tous ceux qui poussaient plus loin qu'eux les hardiesses de la pensée. Cette bruyante intolérance des ministres réformés leur procurait plus de prosélytes que ne l'auraient su faire la charité chrétienne et le respect des consciences. Aussitôt après la séparation des docteurs de Poissy, en décembre 1561, le duc de Guise s'éloigna de la cour. C'était une de ces éclipses momentanées qu'il jugeait quelquefois utiles à son influence. Il feignait de se retirer en Lorraine ; il négligeait pour un temps les intérêts du triumvirat, afin de mieux se montrer nécessaire à ses incapables associés, et de préparer avec plus d'éclat un nouveau retour. Il espérait qu'en son absence Catherine se compromettrait plus franchement, et ferait aux protestants les avances qu'elle n'osait tenter devant lui. En effet, à peine ce contrôleur menaçant et importun
s'était-il écarté, que Catherine fit publier un édit, de janvier 1562, qui
assurait aux réformés le libre exercice de leur culte, sous des conditions
destinées à garantir l'ordre public. C'était à peu près la législation à
laquelle on devait revenir plus de trente ans plus tard, avec l'édit de
Nantes, celle qui nous a procure un siècle de paix religieuse. Cette sage
mesure pouvait faire croire que |
[1]
Mss. V. G. Colbert, v.
[2] Claude HATON, t. I, p.
117.
[3] D'AUBIGNÉ, p. 104.
[4] VARILLAS, p. 10.
[5] TAVANNES, p. 246.
[6]
[7] BRANTÔME, édit. Panthéon, t. I, p. 338.
[8] BRANTÔME.
[9]
DE THOU, liv. XXVII ;
[10] TOMMASEO, Relaz. ven., t. II, p. 89.
[11] CONWAY, Ms.
Throckmorton to Cecil, 26 november.
[12] DE THOU.
[13] Cette lettre se trouve à la bibliothèque Brera de Milan, copie du dix-septième siècle, ancien catalogue, carton G. a. A., 33 : Scrittura data al cardin. di Ferrara sul modo da tenersi da nostro sign. per ordinare le cose della religione in Francia, mandata da SS. ill. l'ultimo di décembre 1561.
[14] TAVANNES, p. 254.
[15] CONWAY, Ms., Shakerley to Throgmorton, 14
december 1561.
[16] MARGUERITE DE VALOIS, Mémoires, édit. Petitot, p. 31.
[17] BAUM, Theodor Beza, appendix II, p. 40, Calvin à Pierre Martyr : Audio quidem regis matrem ita esse tui audiendi cupidam. Ibid., p. 63, Petrus Martyr senatui Turicensi : Dixit quod deinceps sæpius mecum sed secreto colloqui vellet.
[18] BAUM, Theodor Beza, appendix II, p. 45. Il peint l'altitude du duc à son égard : Vultu quam maxime potuit ad humanitatem composito.
[19] Martha FREER, Life of Jeanne d'Albret, t. I, p. 236. Voir la lettre du nonce Santa Croce au cardinal Borromeo.
[20] Giovanni MICHIELI, Relaz. ven. (TOMMASEO, t. I ; BASCHET, p. 510) ; Sigismundo CAVALLI (BASCHET, p. 561).
[21] Marguerite DE VALOIS, Mémoires, p. 32.
[22] L. PARIS, Négociations relatives au règne de François II ; MIGNET, Journal des Savants, juillet 1847 ; CHÉRUEL, Marie Stuart et Catherine de Médicis, chap. II.
[23] LABANOFF, Lettres de Marie Stuart, t. I et V.
[24] CASTELNAU, p. 447.
[25] BAUM, Theodor Beza, appendix II,
p. 66. Struckius ad Hubertum, 18 september 1861 : Adeo
exasperati et exacerbati sunt ut proruperint : Blasphemavit, blasphemavit Deum
!
[26] BAUM, Theodor Beza, appendix II,
p. 66. Beza ad Calvinum, 27 september 1561 : Ut
saltem æquiores nobis fiant.
[27] CASTELNAU, p. 447.
[28]
Lettre du ministre des Gallards, du 12 octobre, Record office, State
papers France, XXI, publiée par H. DE
[29] VARILLAS, t. I, p. 113, 117.
[30] CASTELNAU, p. 447.