1547-1550. Madame d'Estampes donne les
bagues du roy François à madame de Valentinois, et sort par la porte dorée[1]. Cruelle humiliation,
la blonde souveraine qui présidait à la table des dames, dans le palais de
Fontainebleau, qui avait tous les honneurs et tous les pouvoirs d'une reine,
qui s'était plu durant dix ans à encourager les railleries contre Diane de
Poitiers, à déjouer ses desseins, à la soumettre à ses caprices, devait
maintenant se présenter devant cette ennemie, remettre les bijoux entre ses
mains, obtenir de pouvoir se retirer sans être maltraitée. Quand, sous les
yeux de toute Diane venait d'être créée duchesse de Valentinois, à
l'avènement du nouveau Roi, et de prendre la place qu'occupait la duchesse
d'Étampes à la tête de la table des dames. Elle avait près de cinquante ans. Vieille comme elle est, dit un ambassadeur, le Roi, qui l'a aimée, est encore son amoureux et son
amant. Il la voit chaque jour, une heure et demie[2]. Sa beauté
restait assez parfaite pour inspirer les sculpteurs, et faire le désespoir de
la Reine[3]. Henri II se
parait des emblèmes de Diane : Le Roi a un pourpoint
de cuir blanc, brodé de deux croissants d'or et d'une H entre deux D. Les
Suisses et les Écossais de la garde avaient le même chiffre sur leurs
uniformes ; on le grava sur les palais et sur les médailles[4], avec une
profusion si outrageante pour Claude de Guise agissait plus par ses fils que par
lui-même dans Les projets du second fils, promu cardinal à vingt-trois ans, étaient encore plus vastes ; après avoir échoué dans sa prétention de prendre le titre de cardinal d'Anjou[14], le cardinal Charles demanda au Roi, le 15 novembre 1547, à être aidé dans une entreprise sur le royaume de Naples[15], où l'appelaient, disait-il, les partisans de la maison d'Anjou : ils me bailleront gens et argent et me mettront dans ledit royaume pour le bailler à un de mes frères ; il voulait que le Roi lui assurât l'appui du Grand Seigneur, ou pour le moins du roi d'Alger, qui pourraient prêter quarante ou cinquante galères. Tandis qu'il s'efforçait d'attirer une invasion de musulmans dans l'Italie méridionale, le jeune cardinal s'occupait de faire désigner comme pape au prochain conclave son oncle Jean, le premier cardinal de Lorraine. Ainsi, l'idée fixe des fils est encore l'agrandissement de la maison : comme leur père, ils ne perdent de vue un seul instant ni leurs intérêts, ni leurs prétentions. Aussi libre dans ses opinions et dans ses mœurs que son oncle le cardinal Jean, le cardinal Charles avoit l'esprit prompt et subtil, le langage et la grâce, avec de la majesté et le naturel actif et vigilant[16]. Il était doué d'une telle vivacité d'intelligence que les ministres étrangers[17] s'étonnaient de le voir deviner où ils voulaient en venir, aussitôt qu'ils avaient ouvert la bouche ; d'une mémoire si merveilleuse qu'il n'oubliait aucun détail des affaires de l'Europe dont il se faisait constamment rendre compte ; enfin de talents de séduction qui lui gagnaient les dévouements. Ces extraordinaires qualités étaient gâtées par une cupidité qui ne reculait pas pour se satisfaire devant les moyens déshonnêtes et une duplicité qui le faisait considérer comme ne disant jamais la vérité[18]. La liberté de ses mœurs, et les relations intimes qu'il entretenait avec les luthériens d'Allemagne, ne donnaient pas confiance dans sa sincérité religieuse : On le tenoit, dit Brantôme, pour fort hypocrite en sa religion. Sans s'entourer des novateurs, comme son oncle, il affecta d'assister Ramus dans son procès devant le Parlement[19]. Il aimait les artistes et les poètes. C'est lui qui fit venir de Bourges et qui prit pour page un jeune homme aux cheveux dorés, sourd, hardi, élégant, fils d'un monnoyer du Roi ; il lui fit donner plus tard une compagnie de gendarmerie et lui céda une des tours de son château de Meudon ; c'était le capitaine Ronsard, qui acquit plus de gloire par ses vers que par son épée[20]. On voit dans la salle des gardes de l'archevêché de Reims un portrait du cardinal Charles de Lorraine, peint en 1547 ; il avait vingt-trois ans : sa figure longue, fatiguée, son menton proéminent, semblent indiquer un épicurien spirituel, nerveux, irascible. Archevêque de Reims à neuf ans, il parvint à réunir peu à peu dans ses mains autant de bénéfices que son oncle[21]. Cet homme heureux et léger, dont le caractère se retrouvera en partie dans son neveu Henri, le troisième duc de Guise, ne fut ni aimé, ni estimé[22]. Les pamphlets ne tarissent pas en railleries sur le contraste entre sa témérité orgueilleuse dans le conseil et ses terreurs trop vives pour être dissimulées dans les moments de danger. Bien qu'intimement uni toute sa vie avec lui, son frère le Balafré passait pour se méfier de ce génie turbulent et insatiable : Aussy a-t-il dict plusieurs fois de luy : Cet homme enfin nous perdra[23]. À côté des Guises, qui tenaient tant de sièges épiscopaux, les gouvernements de Bourgogne, Champagne, Savoie et Dauphiné, les charges de général des galères et de colonel général de la cavalerie, et vingt compagnies de gendarmerie, on voyait la maison de Montmorency possédera la fois les offices de connétable, de grand maître de la maison du Roi, d'amiral, de colonel général de l'infanterie, les gouvernements de Guyenne, Languedoc, Isle-de-France et trente compagnies de gendarmerie[24]. Dès que François Ier est enterré, le connétable de Montmorency est mandé du roi Henri. Il luy avait donné plusieurs prudents conseils secrets pendant qu'il se contenoit sagement relégué en sa maison[25]. Il était le seul vieux capitaine de cette jeune cour, et ne retrouvait parmi ses anciens rivaux de Fontainebleau que le duc de Guise pour balancer sa faveur. Mais la confiance, poussée jusqu'à la tendresse, de Henri II pour le connétable, qu'il nommait son compère, témoignait d'une inclination naturelle[26] que le duc de Guise n'avait pas su conquérir. On se demandait même si le Roi ne préférait pas son compère à Diane, et l'hésitation dura quelques jours ; mais aujourd'hui, écrit l'ambassadeur vénitien[27], on reconnaît que Madame est aimée davantage. Le vieux courtisan sut profiter de la confiance du Roi
pour prendre la direction des affaires ; il essaya d'en détourner l'esprit
peu capable d'application de son jeune maître, et l'encouragea à continuer
ses exercices violents de chasse, de jeu de paume, de tournois, en lui
persuadant qu'il éviterait ainsi l'obésité, que le
Roi redoutait beaucoup[28]. Il se risqua
même, dans son ardeur à écarter Henri II de l'administration du royaume,
jusqu'à lui chercher des distractions d'une autre nature, et à lui faciliter
des entretiens secrets avec une fille d'honneur de Pour les fêtes seulement, la duchesse de Valentinois
cédait le premier rang à Henri II avait eu toujours une véritable répugnance pour
la chambre de sa jeune femme ; il n'y pénétrait que sur les instances de sa
vieille favorite. C'était Madame qui
l'exhortait à y dormir[34]. De son côté, La réserve discrète, la sorte de soumission dans laquelle
elle était tenue, lui permit, du moins, de ne pas se trouver mêlée au
déchaînement des cupidités durant les premières années du règne. La nouvelle
Cour avait hâte de recevoir ou d'extorquer des dons. A chaque avènement, le
fisc percevait des droits pour la confirmation de tous les offices du
royaume, des charges vénales, des immunités ou privilèges de corporations. Le
produit de cet impôt fut abandonné à Diane en pur don ; elle en tira la
valeur de quatre millions de notre monnaie actuelle[38]. Elle reçut
aussi le château de Chenonceaux, qui avait été confisqué sur les biens de
Semblançay ; ce château sera sa rançon dans quelques années ; en le cédant à
Catherine, elle apaisera ses royales rancunes. Un de ses gendres, Claude,
fils du duc de Guise, reçut en cadeau toutes les terres vacantes du royaume[39] ; l'autre
gendre, Robert de Ce maréchal de Saint-André a joué toute sa vie le rôle de
lien entre Guise et Montmorency, de manière à profiter de la faveur des deux
et à s'enrichir des débris qu'il pouvait recueillir entre eux. C'étoit un fin et rusé courtisan, d'entendement vif,
d'entregent fort agréable, de beaucoup de valeur, adroit aux armes[41]. Il est un curieux exemple de ces courtisans qui se sont mêlés à toutes les grandes affaires et ont amassé des richesses considérables, sans qu'il soit possible de leur attribuer une part directe dans les événements. Ce n'était pas une mauvaise spéculation que de s'attacher en même temps aux Guises et aux Montmorencys, car il ne leur échappoit non plus qu'aux hirondelles les mouches, état, dignité, évesché, abbaye, offices, qui ne fust incontinent englouti, et avoient pour cet effet gens apostés pour leur donner advis de tout ce qui mouroit parmi les titulaires[42]. Mais a quoi bon se quereller pour se partager des charges
de cour, des gouvernements, des pensions ? Le trésor royal n'était pas
inépuisable : on découvrit des moyens de s'enrichir encore après qu'on se le
serait partagé. On imagina d'inventer des coupables pour leur vendre le
pardon ; on transforma la justice en instrument d'extorsion. Ce trafic avait
déjà été exercé, sous le règne précédent, par le connétable de Montmorency,
qui avait échangé contre des écus d'or sa protection pour le mari de la
comtesse de Châteaubriant, accusé de s'être approprié les fonds recueillis
par les États de Bretagne pour la canalisation de Le Balafré ne resta pas étranger à ces spéculations. S'il fit rendre à la dame de Bavay la fille qui lui avait été enlevée, il assura l'impunité au ravisseur en se faisant céder par lui les terres du comté de Varay[45] ; il sauva également du châtiment de ses crimes le comte de Grignan, gouverneur de Provence, qui avait brûlé vingt-cinq villages et égorgé la totalité de leurs habitants suspects d'hérésie. Grignan n'eut même rien à payer, et ne fut astreint qu'à rédiger un testament qui léguait à François de Guise l'universalité de ses biens, parmi lesquels figuraient les terres des victimes. La succession ne fut ouverte qu'en 1563 ; François de Guise était mort, l'influence de sa maison momentanément éclipsée, et le Parlement de Toulouse annula le testament[46]. Les seules personnes qui ne purent acheter la clémence
furent celles qui avaient blessé l'orgueil de la duchesse de Valentinois. Le
secrétaire des finances Bayard, seigneur de Gui Chabot, comte de Jarnac, neveu de l'amiral Chabot de Brion, avait fait ses premières armes comme volontaire en Italie en 1544[47]. Jeune, grand, élégant, il se livrait à de telles dépenses à la cour de François Ier et suffisait à entretenir un si grand faste qu'on le regardait comme enrichi par les dons secrets de la duchesse d'Étampes. Henri, encore dauphin, l'interrogea sournoisement pour lui faire avouer ces faveurs et perdre ainsi l'ennemie de Diane ; il prétendit que Jarnac lui avait répondu qu'il tiroit de grosses sommes de Madeleine de Puiguyon, la seconde femme de son père, le gouverneur d'Aunis. Jarnac nia avoir tenu ce propos. A cette époque, les princes du sang eux-mêmes n'éprouvaient aucun scrupule à recevoir des dons de la main des femmes qu'ils aimaient. Gondé, quelques années plus tard, se fit donner un château par la maréchale de Saint-André, car enfin toute grande dame, pour son bonneur, doit donner, soit peu ou prou, soit argent, soit bagues ou joyaux[48]. Jusque sous le règne de Louis XIV[49], cette dégradante coutume a souillé les gens dont l'honneur était le plus scrupuleux sur tous-les autres points. Mais s'il n'était pas honteux de recevoir des terres ou des pièces d'or, il était malhonnête de publier de quelle main on les tenait ; il était infâme surtout, comme il le serait aujourd'hui, de sauver, par crainte d'un danger personnel, la réputation de la favorite du Roi en compromettant celle de la femme de son propre père. Qu'il fût ou non l'amant de la duchesse d'Étampes, le comte de Jarnac ne pouvait, sans déshonneur, avouer ni feindre des relations avec Madeleine de Puiguyon. Il est vrai qu'une confidence faite au Dauphin pouvait s'excuser par la foi dans la discrétion de ce prince ; mais Henri se plaisait précisément à répéter ces sortes de scandales par une habitude de mesquine perfidie, qu'adopta également son fils Henri III, en la poussant au point de se faire des ennemies de toutes les femmes et de sa sœur même. Ce qui était grave surtout dans les idées de l'époque,
c'est que Jarnac avait nié le propos que le Dauphin lui prêtait ; il y avait
démenti, l'affront le plus cruel pour le temps. Le mal n'était pas de mentir,
mais de se laisser dire qu'on avait menti ; on ne devait rien céder à
personne, et le plus grand éloge qui pût s'adresser à deux adversaires était
: Tous deux estoient hauts à la main, qui ne
vouloient céder d'un point l'un à l'autre, tous deux pointilleux, harnieux et
scalabreux[50]. Au milieu de
ces incidents, François Ier était mort. Le nouveau roi ne pouvait appeler
Jarnac en combat singulier ; il prit pour champion un duelliste robuste et
redouté, le comte de Ce fut une fête. La noblesse accourut des provinces
voisines. En réalité, on comprenait que Jarnac était attaqué comme le
chevalier de la duchesse d'Étampes, et que L'issue inattendue du combat, la colère mal dissimulée du
Roi, la déception des femmes, qui auraient voulu voir le vaincu achevé et
désarmé, le départ précipité de Diane et des Guises, mirent un tel désordre dans
cette foule, que le peuple, attiré autour de la terrasse de Saint-Germain par
ce concours de grands seigneurs, put se précipiter sur le festin préparé pour
célébrer le triomphe de Dans ce duel fameux, François de Guise avait vu soutenir
par Antoine de Bourbon l'adversaire de celui dont il s'était déclaré le
parrain. Pour la seconde fois, depuis l'entrée à Chambéry, il rencontrait
devant lui ce duc pauvre et ambitieux. La maison de Bourbon n'était pas
encore relevée du désastre qu'elle avait subi par la disgrâce du connétable ;
il ne restait plus que la branche de L'aîné ne tarda pas à se trouver de nouveau le compétiteur de François de Guise ; cette fois, il ne s'agissait plus d'une dispute de préséance, ni d'un intérêt à prendre dans un duel ; les deux rivaux se disputaient la main de la nièce de François Ier. La sœur de ce roi, Marguerite de Valois, n'avait eu qu'une
fille, Jeanne d'Albret, de son mariage avec Henri II, roi de Navarre, fils de
Jean d'Albret et de Catherine de Foix, que Ferdinand le Catholique avait dépossédés
de leur royaume en 1512. Jeanne d'Albret, après avoir obtenu l'annulation de
son mariage avec le duc de Clèves, était recherchée par l'empereur Charles-Quint,
qui voulait l'unir à son fils Philippe, afin de consacrer sa possession de Inférieur à Jeanne d'Albret en intelligence et en volonté, il hésita tout à coup et sembla reculer au moment où le jour du mariage était déjà fixé. L'Empereur, qui ne renonçait pas à ses projets, avait imaginé de dissuader Antoine de Bourbon d'un mariage avec une jeune fille déjà épousée par le duc de Clèves ; bien que toutes les cérémonies eussent été publiques, huit ans auparavant, quand la jeune fille n'avait que douze ans, les agents de l'Espagne firent croire un moment à Antoine de Bourbon que le mariage avait été consommé. Au bout de quelques jours, cet esprit vacillant changea de nouveau ; le mariage fut enfin célébré, et le chef de la famille de Bourbon devint l'héritier de la couronne dé Navarre. François de Guise épousa presque au même moment Anne d'Este, fille du duc de Ferrare et petite-fille de Louis XII. Hercule II, duc de Ferrare, était le mari de Renée de France[54], fille de Louis XII ; Anne d'Este, leur fille, avait dix-huit ans en 1549 ; elle était la plus belle de la cour, possible quand je dirois de la chrestienté ne mentirois-je[55]. Le Roi paya la dot d'Anne d'Esté, mais ne lui donna pas le titre de petite-fille de France. Un titre de ce genre était porté par une jeune fille dont le mariage fut célébré dans le même temps. Diane, légitimée de France, qui passait pour la fille de Henri II et de Philippe Duc, fut unie à Horatio Farnèse, duc de Castro, dont le père était fils naturel du pape Paul III. Le Roi cherchait toujours l'alliance du Saint-Siège et croyait l'assurer par ce mariage entre bâtards, oubliant que Paul III avait déjà quatre-vingts ans, que le futur Pape ne porterait aucun intérêt aux descendants de ce vieillard, et que lui-même avait déjà vu, malgré sa propre union avec une nièce de pape, son père abandonné par la cour apostolique, dès qu'un Médicis avait cessé d'y régner. Ces mariages à la cour se célébraient au milieu d'une
série de fêtes dans lesquelles les gentilshommes se consolaient par des
galanteries de ces quatre longues années de paix. Nous
estions lors de loysir en nostre garnison, et n'ayant rien à taire, il le
faut donner aux daines. En ce temps-là, je portois gris et blanc d'une dame
de qui j'estois le serviteur lorsque j'avois le loysir[56]. François de
Guise figura parmi les tenants du tournoi qui fut donné pour célébrer, en
1549, rentrée solennelle du Roi et de Le baron des Guerres et le seigneur de Fendilles, les deux
champions, arrivèrent à Sedan[58], très-bien accompagnés de leurs parents et amis, parrains
et confidents, et ledit sieur de Fendilles ne voulut jamais entrer dans le
camp, tant il estoit bravache et fendant, qu'il n'eût veu un feu allumé, et
une potence pour y attascher et brusler son ennemy après sa victoire, tant
espéroit-il en avoir boii marché. De premier abord. Fendilles donna un grand
coup de son espée à travers la cuisse dudit baron, qui lui fit une telle ouverture
à cause de la largeur de l'espée, que le sang en sortit en si grande
abondance, qu'il commençoit desjà à diminuer de la force dudit baron qui, en
prévoyant son inconvénient, s'avisa d'aller aux prises et à la lutte, y ayant
esté très-bien dressé par un petit prestre breton, et ayant aussitôt porté
son homme par terre, et le tenant soubs luy, n'ayant ne l'un ne l'autre
nulles armes offensives, car elles leur estoient désemparées des mains pour
mieux se servir de la lutte, parquoy le baron eut recours aux mains et aux
poings dont il en donnoit de très-grands coups à son ennemy, et cependant
cela n'estoit rien, et de tant plus s'alloit-il affoiblissant de la playe et
de son sang qui lui couloit fort toujours. La fortune voulut que le combat
estant en tels termes de suspension, un eschafFaut qui estoit là tout auprès
du camp vinst à se rompre et tomber, où il y avoit force dames et damoiselles,
gentilshommes et autres qui s'y estoient mis pour voir le cruel passe-temps.
De sorte que la confusion s'en ensuivit si grande, tant par la chute dudit
eschafFaut et par les cris, les plaintes et le mal que se faisoient et enduroient
les damoiselles, si bien qu'on ne sçavoit a quoi s'amuser ou de voir la fin
du combat, ou aller secourir ces pauvres créatures, se blesans, se pressans
et s'estouffans si misérablement les unes les autres ; cependant sur ce grand
esclandre, tintamarre et trouble, y eut quelques-uns des amis et parents du
baron des Guerres qui, prenant l'occasion h propos, se mirent à crier :
Jetez-lui du sable dans les yeux et la bouche ; ce qu'ils n'eussent osé faire
sur la vie, sans cet escandale de cet eschaffaut rompu, d'autant que par les
lois du camp cela est fort deffendu. Pour fin, le baron, amassant du sable,
ne faillit d'en jeter dans la bouche et les yeux de son ennemi, si bien qu'il
fut contraint de se rendre, ce disant les partisans du baron, dont crièrent :
Il se rend. Ceux de Fendilles disent que non... Tant de divertissements, tant de largesses, tant de pensions appesantissaient la charge de l'impôt. Au milieu d'une promenade triomphale dans l'Italie du nord y qu'il avait entreprise comme une fastueuse prolongation à son entrée dans la ville de Paris, Henri II apprit que les impôts de gabelle avaient tellement accablé ses sujets de Guyenne et de Saintonge, qu'un soulèvement de ces deux provinces venait d'amener de graves désordres. Le comte de Monneins, lieutenant du Roi en Guyenne, avait été assassiné par lu populace de Bordeaux ; les bureaux de la ferme, en Saintonge, avaient été pillés, et le sel jeté dans les ruisseaux. François de Guise fut chargé de commander les soldats que
le Roi envoya en Saintonge pour rétablir son autorité. Il eut l'humanité de
pacifier le pays sans massacres et sans cruauté, et le bon sens de s'en faire
honneur. Il raconte lui-même qu'il avait pu réduire En Guyenne, au contraire, la répression fut atroce. A l'approche du connétable, les séditieux s'étaient dispersés. La municipalité de Bordeaux envoya jusqu'à Langon un navire drapé d'or aux armes de Montmorency, pour fléchir par ce présent et par la perspective des plaisirs d'un voyage sans fatigue sur le fleuve le terrible connétable qui proférait des menaces effroyables contre la ville. L'ordre établi avait été troublé ; c'était à ses yeux le plus grand des crimes. Il répondit qu'il n'entrerait à Bordeaux que par la brèche, et parla d'abandonner la ville à force et à pillage, ce qui mit les habitants en grand espouvantement, principalement les femmes et les filles. François de Guise l'avait rejoint avec ses troupes de Saintonge ; ils entrèrent ensemble à Bordeaux. Durant un mois, ce ne furent que pendus, décapités, roués, empallés, desmembrés à quatre chevaux et bruslés, mais trois d'une façon dont nous n'avions jamais ouy parler, qu'on appeloit mailloter ; on les attacha par le milieu du corps, sur l'eschaffaut à la renverse, sans estre bandés, ayant les bras et jambes délivrés et en liberté, et le bourreau, avec un pilon de fer, leur rompit et brisa les membres, sans touscher à la teste ni au corps[60]. Les plus jeunes des habitants furent à cause de leur jeunesse seulement fouettés. Tous les survivants, hommes et femmes, furent contraints d'aller s'agenouiller devant le cadavre en décomposition du comte de Monneins, qui avait été exhumé, et de faire publiquement amende honorable pour le crime commis ; cette repoussante cérémonie était surtout pénible pour les jeunes filles qui étaient épiées par les soldats, suivies et soumises aux traitements les plus grossiers : Vieilleville se fit beaucoup d'ennemis dans l'armée, et passa pour un caractère bizarre, parce qu'il protégea contre les outrages les filles et les nièces du conseiller au Parlement de Bordeaux, chez lequel il était logé. Il dut Faire prendre les armes à sa compagnie pour les sauver du viol. Plusieurs semaines après les exécutions, les jurats et les conseillers du Parlement espérèrent que le connétable était adouci, et osèrent lui demander de restituer à un armateur de la ville le Montréal, navire de trois cents tonneaux qui avait été abandonné aux soldats pour être dépecé et brûlé. Montmorency leur répondit : Et qui estes-vous, messieurs les sots, qui me voulez contreroller et me remonstrer ? Vous estes d'habiles veaux d'estre si hardis d'en parler. Si je faisois bien, j'enverrois tout à ceste heure faire dépecer vos maisons au lieu du navire[61]. A l'époque où se terminaient ces expéditions, la famille de Guise fut frappée par la mort du duc, et presque en même temps par celle de son frère Jean, le premier cardinal de Lorraine. Le duc était à Fontainebleau ; il se sentit malade, déclara qu'on l'avait empoisonné, et se fit transporter à Joinville. C'est de là que la duchesse écrivait à François de Guise : Mon fils, mon amy, si fortune me faict ce tort de me l'oster, je feray avec les gens de bien que j'ay icy le mieux que je pourray, et vous advertiray de tout ; car, mon amy, après Dieu, je ne puis avoir espoir et consolation que de vous autres mes enfants. Je ne puis estre sans douleur tant grande qu'en vérité j'en ay ce que j'en puis porter. Vostre bonne mère, Anthoinette[62]. François prit après la mort de son père le titre de duc de Guise ; quelques jours plus tard, le cardinal Jean, qui revenait de Rome, succomba dans le trajet ; son neveu Charles prit son titre de cardinal de Lorraine ; il s'approprie tous les meubles de l'oncle qui estoient précieux, laisse toutes les dettes d'iceluy, qui estoient immenses, à ses créanciers, pour y succéder par droit de banqueroute[63]. Bien qu'il obtint ainsi plus de trois cent mille livres de rente, c'est-à-dire près de quatre millions de francs de revenu, le nouveau cardinal de Lorraine imita le désordre du premier, et évita comme lui de payer ses dettes, dont le chiffre devint considérable[64]. Ainsi, la disparition des deux chefs de la maison de Guise ne diminua pas son autorité. Le second duc de Guise et le second cardinal de Lorraine avaient plus de tête, plus d'activité, plus de valeur que ceux qu'ils remplaçaient. Ils étaient appuyés par leurs frères, ambitieux comme eux, et habiles à leur créer des partisans ; l'un d'eux, celui qui était le gendre de Diane, devint duc et pair, et prit le titre de duc d'Aumale que quittait son aîné à la mort de son père ; un autre reçut le titre de cardinal de Guise, que laissait son frère Charles pour prendre celui de cardinal de Lorraine. Rien n'est abandonné ; il reste des frères et de jeunes enfants pour recueillir les plus minces portions de l'héritage et pour accroître le trésor commun, depuis les deux duchés-pairies jusqu'à la dernière abbaye. Le plus jeune frère est déjà grand prieur de France et général des galères. Tous vivent dans l'union la plus intime, et s'entendent comme en un concert de convoitises, pour l'accroissement continuel de leur maison. C'est en rêvant sa grandeur que s'étaient fait tuer les frères du premier duc de Guise ; les frères du duc François sont prêts à se sacrifier également pour la même cause. Le duc d'Aumale lui-même, bien que pair de France comme son aîné, ne cherche pas à détacher ses intérêts des siens, à former une maison rivale ; c'est la maison de Guise seule qu'il soutient et veut élever ; les idées de chacun des frères ont un centre unique où elles aboutissent. Chaque matin, les quatre plus jeunes se rendent chez le cardinal de Lorraine, le suivent au lever de leur frère aîné ; de là, tous les six se rendent ensemble chez le Roi. Le nouveau duc de Guise prit une part active à
l'organisation de l'armée que levait Henri II pour appuyer les villes
d'Allemagne révoltées contre Charles-Quint. La jeune cour, lasse de la paix,
réclamait des conquêtes et de la gloire : le Balafré allait mettre au service
de |
[1] TAVANNES, Mémoires, édit. Petitot, p. 408.
[2] ALBERI, Relazioni veneti, t. IV, p. 78 ; Lorenzo CONTARINI, 1551 : Elle fut aimée du roi François, et de quelques autres, et en dernier lieu du Dauphin, il quale l'ha amata ed ama e gode cosi vecchia corne è.
[3]
Un historien anglais (WHITE,
Massacre of S. Bartholomew, p. 27) remarque que dans ces dernières
années, une statue a été élevée en France à Diane de Poitiers, et il ajoute
avec une affectation de pudeur prétentieuse : It is
painful to see a noble nation so déficient in self respect as to make idols of
the mistresses of their sovereigns. Si les maîtresses de Charles II
étaient les belles personnes que l'on croit, il vaudrait mieux voir leurs
statues dans les parcs de Londres que leurs arrière-bâtards à
[4]
Giovanni CAPELLO,
dans BASCHET,
[5]
Matteo DANDOLO,
dans BASCHET,
[6] Lorenzo CONTARINI, dans BASCHET, p. 434.
[7] BRANTÔME, Hommes illustres.
[8] CONTARINI dans BASCHET, p. 438.
[9]
PASQUIER, Recherches
de
[10] TAVANNES, Mémoires, édit. Didier, p. 137.
[11]
VIEILLEVILLE, Mémoires,
par Vincent CARLOIX,
édit. Didier, p. 60.
[12] Giovanni CAPELLO, Diario
[13] VIEILLEVILLE, Mémoires, p. 80.
[14] MARLOT, Histoire de l'église de Reims, t. II, p. 786 ; Père ANSELME, Histoire généalogique.
[15] BOUILLÉ, Histoire des ducs de Guise, t. I, p. 179.
[16] Michel DE CASTELNAU, Mémoires, p. 407.
[17] Jean MICHIEL, Relation publiée par TOMMASEO dans les Documents inédits de l'histoire de France, 1. 1, p. 458 : Oltre che stia d'un ingegno maraviglioso et d'uno spirito tanto vivo che non s'apre a fatica la bocca per parlargli, che ha subito inteso dove si vuol arrivare ; e ch'ablai ancora felicissima memoria, e sia accompagnato d'una molto grave e grata presenza, e oltra qucste parti dotato d'un grandissimo e raro dono della lingua e del parlare... ma d'una ingordigia inestimabile, con nome di valersi anco di vie poco oneste.
[18] Jean MICHIEL, Relation publiée par TOMMASEO dans les Documents inédits de l'histoire de France, t. I, p. 458 : Oltre questo, d'una gran duplicità, di dir poche volte il vero ; e tenuto per persona prontissima all' offendere, come vendicativa ; e come invidiosa, tarda al beneficare. Voir aussi Giovanni SORANZO, Relaz. amb. ven, ALBERI, p. 441, anno 1558 : Licenziosissimo per natura, ingordigia inestimabile, gran duplicità.
[19] GUILLEMIN, le Cardinal de Lorraine, p. 25, 453, 455, le présente comme partisan de la liberté illimitée de penser.
[20] DE SAULCY, Académie des inscriptions et belles-lettres, 25 juin 1875.
[21]
Charles de Guise, né le 17 février 1524, reçut la même année l'abbaye de Moustier-la-Celle
à Troyes, en 1548 celle de Moustier-Neuf à Poitiers, qu'il garda jusqu'en 1552.
Archevêque de Reims en 1538, consacré en 1545, cardinal en 1547, il obtint
l'évêché de Metz en 1550 et le résida l'année suivante. Il recueillit dans la
succession de son oncle, le cardinal Jean, les abbayes de Cluny, Fécamp et
Marmoutiers ; il posséda celle de Cormery de 1548 à 1565, de Saint-Martin de
Laon en 1550, de Saint-Remy de Reims en 1557, de Saint-Denis en France, de
Monstier en Der, de Saint-Urbain à Châlon ; il céda l'abbaye de Marmoutiers à
Jean de
[22] Jean MICHIEL, édition TOMMASEO, t. I, p. 458 : Odio universale conceputo contra lui.
[23]
L'AUBESPINE, Histoire
de
[24] TAVANNES, Mémoires, p. 137.
[25] TAVANNES, Mémoires, p. 136.
[26] TAVANNES, Mémoires, p. 137.
[27] ALBERI, Relazioni veneti, 1860. Lorenzo CONTARINI, t. IV, p. 78.
[28]
ALBERI, Relazioni
veneti, 1860. Lorenzo CONTARINI, t. IV, p. 78. Voir aussi BASCHET,
[29] ALBERI, Relazioni veneti, 1860. Lorenzo CONTARINI, t. IV, p. 78, et BASCHET, p. 438.
[30] ALBERI, Relazioni veneti.
[31] VIEILLEVILLE, Mémoires, liv. IV.
[32] François, né en 1543, mort en 1560 ; roi sous le nom de François II en 1559 ;
Élisabeth, née en 1545, morte en 1568 ; reine d'Espagne en 1559 ;
Claude, née en 1547, morte en 1575 ; duchesse de Lorraine en 1559 ; elle doit son nom au duc Claude de Guise dont la femme fut marraine de cette enfant (L'ESTOILE, t. I, p. 13) ;
Louis, né en 1548, mort en 1550 ;
Charles, né en 1550, mort en 1574 ; roi sous le nom de Charles IX en 1560 ;
Alexandre, né en 1551, mort en 1589 ; roi en 1574 sous le nom de Henri III ;
Marguerite, née en 1553, morte en 1615 ; reine de Navarre en 1578 ;
Hercule, né en 1534, mort en 1584 ; duc d'Alençon et duc d'Anjou ;
Victoire et Jeanne, deux jumelles nées et mortes en 1556.
[33] MARTHA FREER, Henry III king of
[34]
BASCHET,
[35]
BASCHET,
[36]
TAVANNES, Mémoires,
édit. Petitot, t. XXIV, p. 183 : Les factions de
Montmorency et de Guise croissent ; madame de Valentinois tient le milieu et
esloigne
[37] SURIANO : Gli occhi grossi proprii alla casa de' Medici. Voir H Giovanni CAPELLO, Documents inédits, publiés par TOMMASEO, t. I, p. 372.
[38]
CONTARINI, dans
BASCHET,
[39] Henri MARTIN, Histoire de France, t. VIII, p. 366.
[40] CONTARINI, dans BASCHET.
[41] L'AUBESPINE, Archives curieuses de l'histoire de France, t. III. Il ajoute : Il porte pénitence pour une grosse... qui le travaille le reste de sa vie. D'Albon de Saint-André était de la maison des dauphins de Viennois.
[42] VIEILLEVILLE, Mémoires.
[43] Ce château, situé près de Notre-Dame de Liesse (Aisne), devint la principale habitation de la famille de Guise. Il appartient aujourd'hui au prince de Monaco, qui t’a fait restaurer et meubler dans le style du seizième siècle ; les portraits des principaux personnages de la maison de Guise et de leurs contemporains y sont réunis.
[44] Jusqu'à la mort de son oncle Jean, le cardinal Charles portait le titre de cardinal de Guise, qu'il transmit son frère Louis, évêque de Troyes, promu cardinal en 1552.
[45] BOUILLÉ, Histoire des ducs de Guise, t. I, p. 199.
[46] Arrêt du 27 mars 1563. Voir Henri MARTIN, Histoire de France, t. VIII, p. 371.
[47] MONTLUC, Commentaires, édit. Petitot, p. 14.
[48] BRANTÔME, Dames galantes, discours II.
[49] MOLIÈRE, l'École des femmes, acte 1, sc. I :
L'un amasse du bien dont sa femme fait part
A ceux qui prennent soin de le faire cornard.
Voir aussi dans SAINT-SIMON, t. IV, p. 246, le portrait du comte de Marsan, extrêmement petit homme, trapu, qui n'avoit que de la valeur, du monde, beaucoup de politesse et du jargon de femmes aux dépens desquels il vécut tant qu'il put. Ce qu'il tira de la maréchale d'Aumont est incroyable. Cette coutume était encore si répandue au dernier siècle, qu'on voit un homme à bonnes fortunes se faire un mérite de n'avoir jamais reçu d'argent des femmes qui l'avaient aimé (Marquis DE VALFONS, Mémoires.)
[50] BRANTÔME, les Duels, p. 213, édit. de Leyde, 1722.
[51] RABUTIN, Commentaires, édit. Didier, p. 542, 562, 563.
[52] Claude HATON, Mémoires, t. I, p. 45.
[53] MARTHA FREER, Life of Jeanne d'Albret, p.
73-77.
[54] Hercule II, duc de Ferrare, de Modène et de Reggio, épousa eu 1527 Renée de France et mourut en 1558. Renée mourut en France en 1571. Ils eurent deux fils et quatre filles : Alphonse II, qui succéda à son père ; Louis, cardinal de Ferrare, opposé aux Guises ; Anne d'Este, duchesse de Guise, née en 1531, mariée en 1549, veuve en 1563, remariée en 1566 à Jacques de Savoie, duc de Nemours, morte en 1607 ; Lucrèce, duchesse d'Urbin ; Marfise, marquise de Carrare ; Bradamante, comtesse Bevilacqua. Voir SAINT-SIMON, Mémoires, t. XI, p. 165.
[55] BRANTÔME, Hommes illustres, M. d'Imbercourt, édit. Panthéon, p. 211 ; cependant, un historien des Guises dit quelle était un peu bossue. On ignore d'après quel document ; les portraits n'en laissent rien soupçonner et justifient le témoignage de Brantôme. Le mariage fut célébré le 4 décembre 1549.
[56] MONTLUC, Commentaires, édit. Petitot, t. XXI, p. 232.
[57] TAVANNES, Mémoires, édit. Didier, p. 152.
[58] BRANTÔME, les Duels, édit. de 1722, Leyde, p. 3.
[59] GUISE, Mémoires-journaux, p. 5.
[60] VIEILLEVILLE, Mémoires, p. 84 et suiv.
[61] BRANTÔME, Hommes illustres, t. I, p. 317.
[62] GUISE, Mémoires-journaux, p. 31.
[63] L'AUBESPINE, Histoire particulière de la cour de Henri II.
[64] DE THOU, Histoire naturelle, livre VI.