Rome (de 754 à 63 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXI

 

 

Finances romaines. - Fausse monnaie. - Banquiers. - Manieurs d’argent et usuriers. - Commerce et marine. - Accapareurs. - Industrie. - Agriculture. - Misère générale. - Délateurs. - L’armée. - Recrutement. - Infanterie et cavalerie. - Science militaire. - Subsistances. - Généraux et soldats. - Corruption universelle. - Indifférence. - La Rome nouvelle.

 

Fs revenus de Rome avaient d’abord résulté de l’affermage des « propriétés du peuple romain », d’un impôt foncier, de la perception de droits de douane, des produits ou redevances des mines et salines en exploitation, d’une taxe de capitation. Des fermiers louaient, moyennant la dîme, un champ à l’État ; des pasteurs achetaient un droit de pâture, à tant par tête de bétail. Les contributions des vaincus vinrent accroître le Trésor (201-189), considérablement, et tromper ainsi les calculs des timides, des prévoyants.

Paul-Émile, un jour, victorieux, n’avait-il pas apporté 45 millions ? Ces aubaines invraisemblables, et qui paraissaient devoir se continuer, n’étaient pas faites pour donner à Rome des industriels et des commerçants. Nul ne s’imaginait que ces apports de richesses, brutalement versés, troublaient la valeur véritable des choses, donnaient une apparence trompeuse de prospérité, habituaient les Romains à des dépenses auxquelles ils ne pourraient pas toujours satisfaire. L’État croyait franchir indemne les crises financières en fabriquant de la fausse monnaie.

Les banquiers, trafiquants de monnaie, ou manieurs d’argent, profitaient à la fois des prodigalités temporaires, folles, en accaparant les fortunes, et des réactions, des pénuries fatales, en prêtant à usure l’argent qu’ils avaient accaparé. Les Romains tombaient alternativement dans ce double piège, avec une désespérante régularité.

Les banquiers déposaient leurs fonds dans les temples, ou bien enfouissaient leurs réserves. La crainte des voleurs, de plus, faisait que les capitalistes portaient leur argent aux banquiers, et ceux-ci, en sus de la sécurité offerte, payaient un intérêt aux déposants. On conçoit la puissance énorme des financiers de Rome, accapareurs, usuriers, et impitoyables. De cette aristocratie de la richesse, Plaute a dit : Leur reconnaissance ne pèse pas plus qu’une plume ; leur fait-on la moindre offense, leur vengeance tombe sur vous comme le plomb. Tout, un instant, à cette époque, dépendit du bon plaisir des riches.

L’usure, ce fléau du peuple, se pratiquait par l’intermédiaire d’esclaves ; les affaires d’argent se traitaient au forum. L’opération infernale des usuriers était double parfois, car l’emprunteur ne recevait que du papier, des obligations à échéance, qu’il était donc obligé d’escompter, pour en faire argent, à un autre usurier. A ce régime, avec une très grande rapidité, les bénéfices fabuleux de la Rome guerrière, enrichie, victorieuse, disparaissaient.

Pour refaire les fortunes que les financiers détruisaient, les Romains de marque n’avaient, à l’étranger, que l’exploitation des provinces dont ils obtenaient le gouvernement ; dans Rome, la vente des influences dont ils disposaient dans les magistratures diverses. Les propriétés foncières passaient toutes aux usuriers, et Rome perdait ainsi, peu à peu, la disposition de son propre territoire. Tandis que Rome marchait à la conquête du monde, les banquiers phéniciens s’emparaient des victorieux, par la démoralisation et la ruine.

Les Romains, dédaigneux des labeurs, ne trafiquaient, ne commerçaient que par l’entremise d’affranchis ou d’étrangers. Envoyer son fils faire le commerce au loin c’était, pour un père de famille, à Rome, infliger une correction sévère à un coupable. Rome a l’Espagne, la Grèce, les côtes de l’Adriatique, l’Asie Mineure jusqu’au Taurus, une Afrique calmée, où a vécu la Carthage richissime, l’Égypte qu’elle protège et qui lui obéit, une alliance avec les juifs, et c’est à Marseille qu’elle emprunte un port, des navires et des pilotes pour naviguer du Var à l’Èbre ; et c’est aux Grecs qu’elle abandonne l’exploitation des vaisseaux marchands fréquentant les ports orientaux et africains.

Dans la Rome active, le pilote des îles grecques, avec son bonnet roux, son manteau court, son écharpe au bras, est presque un personnage ; il rivalise, dans la Cité, avec le marchand d’esclaves sans conscience, au cœur dur. Pourquoi les Romains s’adonneraient-ils au commerce, et surtout à la navigation, ces choses si incertaines, si dangereuses, si préoccupantes surtout ? Celui, dit Adelphasi, qui veut se préparer beaucoup d’embarras, n’a qu’à se donner deux choses : un vaisseau et une femme.

Aux banquiers pratiquant l’usure, épuisant Rome, s’associèrent les accapareurs, les marchands de blé qui en ont des tas gros comme des montagnes, ceux qui possèdent d’immenses provisions d’huile, qui se syndiquent, qui s’entendent sur le quai de Vélabre. Un seul commerce, assez simple pour être compris d’un jeune Romain, est celui que pratiquaient dans Rome même des fils de familles patriciennes et que le Ballion de Plaute explique à son élève : Achète de l’huile à crédit et vend-la comptant ; tu embourseras ainsi deux cents mines. C’est l’escroquerie.

Des ateliers d’esclaves, — dans les carrières, très peuplées, l’esclave devait fournir huit pierres par jour, — soutenaient des industries que des affranchis administraient au bénéfice de patriciens. L’activité industrielle de Rome était limitée dans son développement, par l’usage d’avoir dans chaque famille des esclaves spéciaux répondant à tous les besoins : tisserands, ciseleurs, brodeurs, médecins, précepteurs, etc.

L’agriculture, cette mère de la Rome antique, conservait un dernier prestige ; mais, aux yeux du Romain nouveau, rien n’était plus odieux que le spectacle, imaginé, du labeur agricole. L’esclavage le plus dur n’était rien, pensait-on, auprès du travail incombant au laboureur : Plutôt labourer toute ma vie, s’écrie très sincèrement, et désespéré, le Charin de Plaute, que d’aimer ainsi ! L’accaparement systématique n’a pas épargné les petites propriétés rurales ; les champs étroits ont disparu, absorbés dans les vastes domaines.

L’usure a eu raison du campagnard qui a livré son bien, qui est venu grossir la foule misérable de la Cité, y vivant aux dépens du trésor public. Plus de cultures, difficiles à surveiller, sujettes aux incertitudes du temps, mais des pâturages généralisés, des fermes avec des troupeaux ne réclamant qu’un gardiennage. Et Rome s’augmente de la dépopulation des campagnes, nouvelle cause de ruine que nul ne pressent.

Une agitation populaire incessante, que rien ne calmait, qu’aucune concession ne parvenait à satisfaire, qui n’obtenait un avantage que pour en réclamer un autre immédiatement, tenait en éveil les sénateurs, vivant au jour le jour, dans une vague inquiétude. Au forum, et sur toutes les places publiques, dans les gymnases, dans les boutiques, au tribunal, au marché, chez les barbiers, chez les chirurgiens, dans les temples, on discourait, on s’excitait, on déblatérait. Il n’y avait pas de différence entre le droit que s’arrogeaient les consuls et les légionnaires de prendre des villes, de les piller, de se partager les butins, de vivre de la guerre, et le droit qu’exerçaient les tribuns et le peuple de se faire nourrir et distraire par l’État.

Beaucoup, trouvant insuffisante la vie matérielle que l’État leur assurait et ne s’amusant plus aux fêtes publiques, devenaient criminels. Le vol, l’escroquerie, le faux témoignage, la délation, l’exercice de métiers infâmes, et jusqu’à la prostitution de soi, donnaient aux Romains des classes infimes les moyens de vivre mieux. Le rapt, l’avarice, l’envie triomphent, et ces désordres me désespèrent ! s’écrie Plaute, qui, subissant lui-même la contagion, va trouver presque méritoire le délateur : Celui, dit-il, qui remplit cette mission pour le bien de l’État, et non dans un intérêt personnel, doit être regardé comme un bon et fidèle citoyen !

Privée d’artistes, de savants, d’industriels, d’artisans et presque d’agriculteurs, Rome a des soldats. L’armée est tout ; c’est la dernière force et la dernière ressource : La valeur est préférable à toutes choses ; c’est elle qui défend et qui conserve la liberté, la vie, nos biens, nos parents, nos enfants ; cette vertu comprend tout ; aucun bien ne manque à celui qui la possède. Chaque citoyen était tenu de s’enrôler, de servir, jusqu’à l’âge de quarante-six ans : dix ans dans la cavalerie, dix ans dans l’infanterie. Ceux qui ne disposaient pas d’une propriété valant au moins 400 drachmes, étaient incorporés parmi les marins.

Sur une simple convocation, le peuple se réunissait au Capitole. Là, les tribuns tiraient au sort les citoyens à enrôler. Dans la tribu désignée, on choisissait 4 hommes de même taille, et de tribu en tribu, ainsi, les recruteurs continuaient. De cette manière, la légion formée se composait d’hommes de même force et de même âge. Les levées, chaque fois, donnaient de 4 à 5.000 soldats. Les cavaliers étaient choisis par les censeurs, parmi les citoyens les plus riches. Devant le tribun, un homme brave prononçait le serment que tous ensuite répétaient. Dans les provinces, les levées s’exécutaient de même, sur l’ordre des consuls.

La légion se composait de 600 triaires, ou soldats anciens, 1.200 princes, légionnaires les plus forts et les plus vigoureux, de 1.200 hastaires et des vélites, l’ensemble des soldats les plus jeunes et les moins riches. Les vélites, portant le casque sans crinière, recevaient une épée, un javelot et un bouclier rond ; les autres légionnaires, complètement armés, avaient un bouclier lourd, convexe, de bois, revêtu de cuir et garni de fer, un glaive épais, reposant sur la cuisse droite, deux javelots, un casque d’airain, orné d’un panache rouge ou noir, très haut, et des sandales ferrées. Les triaires, cependant, ne recevaient qu’un javelot pointé de fer, court. Des cuirasses pectorales se distribuaient. Les riches légionnaires portaient des cottes de maille.

Chaque corps recruté, formé, se divisait en 10 cohortes, ou manipules, ayant chacune un certain nombre de vélites. Des 20 centurions qui commandaient, le premier élu, avait voix délibérative dans les conseils. Les centurions choisissaient leurs lieutenants, les 20 officiers inférieurs. Il y avait deux enseignes par légion.

La cavalerie, dont l’unité était la turme, de 30 hommes, cuirassés, armés de la lance, de javelots et de flèches, exécutait ses charges en un ordre vigoureux, sans rompre. Des exercices continuels entretenaient l’énergique souplesse du cavalier. Les charges devaient s’exécuter en bon ordre, les cavaliers criant, les cris, dira César, étant le bouillonnement de l’âme. Les commandements se donnaient de la voix, du geste, par l’étendard, par le long tube d’airain.

Jusqu’au désastre de Cannes, jusqu’à la défaite de Varron, les légions seules avaient sauvé la République, agissant comme une force naturelle, brutale, irrésistible, une masse se ruant sur l’ennemi, triomphant de sa résistance d’abord, abusant ensuite de ses succès. Les premières difficultés sérieuses rencontrées suscitèrent des tacticiens. On peut dire que la guerre elle-même fit l’éducation des guerriers de Rome, incapables d’imaginer un art des combats. Les camps romains, si justement admirés, ne furent que l’imitation du camp de Pyrrhus. Les armes elles-mêmes ne recevaient les modifications indispensables, qu’après la constatation accentuée de leur insuffisance ou de leur défectuosité : le javelot à courte hampe ne fut employé que pour combattre les soldats de Persée.

Mais, tout dépendant des armées, rien ne fut négligé de ce qui pouvait assurer la victoire. De l’étude préalable des champs d’action naquit une topographie ; de la notation des renseignements apportés par les cavaliers envoyés en reconnaissance et de l’indication des stratèges expérimentés, résultèrent des plans. L’attaque des villes fortifiées, des camps ennemis, le placement des machines de siège, la tactique des approches, etc., réglementés, inauguraient une certaine science militaire.

Le service des subsistances, admirablement conçu, donnait aux légionnaires un très grand sentiment de sécurité. C’était une administration impeccable. Les grains, les denrées et les fourrages étaient perçus, comme un impôt de guerre, sur l’habitant, au moyen de Bons émis par les officiers. Tout en vivant sur le pays, les stratèges ordonnaient de ménager les champs, en vue des récoltes futures. Des troupeaux de bêtes vivantes suivaient les armées. Des entrepôts bien gardés, vastes, étaient installés en un lieu choisi, à proximité du champ de bataille ; un service de transport, complet, reliait le magasin aux troupes en guerre.

Force organisée, sûre d’elle-même, confiante en ses chefs, on ne pourrait dire que l’armée romaine eût une âme. Presque toujours héroïque pendant l’action, au commencement surtout, l’indiscipline et le désordre succédaient ordinairement à la victoire. Les Alliés auxiliaires, les mercenaires s’engraissant au service, les anciens légionnaires, qui aspiraient à la retraite dans une des colonies où se distribuaient des terres cadastrées en damier, se demandaient, après chaque victoire, s’ils n’avaient pas suffisamment gagné la rétribution promise, ou d’usage. Aucun élan de patriotisme, aucun sentiment de gloire à acquérir ; une satisfaction de pirates nourris par la guerre, alléchés par le butin.

Un certain faste militaire, toutefois, s’était manifesté, se développait, concurremment avec les excès de la vie romaine. Les officiers tâchaient de faire ressortir leur personnalité, pour servir leurs ambitions, se rendre populaires dans la Cité ; et les soldats se donnaient de l’importance. Plaute se moquait, avec raison, des harangues que prononçaient les généraux, des fanfaronnades de la soldatesque. Si je n’étais insolent, est-ce qu’on me prendrait pour un homme de guerre ? En campane, bientôt, les serviteurs, esclaves, palefreniers, écuyers, etc., encombrèrent les armées. Après les victoires, les triomphes faisaient des généraux victorieux de véritables histrions paradant au milieu des foules ; le char de triomphe, attelé de quatre chevaux blancs, suivi des prisonniers de marque, du butin rapporté, devenait un spectacle.

Le besoin d’enrichissement, généralisé, qui avait déjà dévoyé les gouverneurs de provinces, après les magistrats de la cité, atteignait les généraux. La censure, d’abord indulgente, puis hésitante, enfin corrompue, avait perdu toute notion de morale. Un prince du Sénat et grand pontife, Lepidus, avait employé l’argent du trésor à fortifier et à améliorer ses propriétés. Le censeur Fulvius, qui devait bâtir un temple dans Rome, prit les marches du temple de la Junon lacinienne. Un roi d’Illyrie, accusé devant le Sénat, paya le rapport favorable d’un sénateur.

Des gouverneurs refusaient des provinces, simplement parce qu’elles ne rapportaient pas assez. Dans l’armée, un Metellus, rappelé d’Espagne, furieux, désorganise ses légions, détruit les vivres, tue les éléphants. Licinius, en Grèce, fait argent des congés qu’il vend à ses soldats. Fulvius Nobilior licencie une légion entière. Quant aux publicains, qui affermaient les impôts à percevoir sur les peuples conquis, ils allaient jusqu’à sextupler les charges, faisant participer des sénateurs influents à ces bénéfices criminels, intimidant les gouverneurs qui osaient leur faire des remontrances. Le Sénat finit par redouter les publicains.

Les généraux, en campagne, exploitant leur conquête, laissaient le moins possible aux gouverneurs et aux publicains qui allaient venir. Pendant la guerre contre Persée, les consuls pillèrent les villes grecques, pour eux, systématiquement, vendant aux enchères les prisonniers. Hostilius, après avoir réclamé aux habitants de l’Attique plus de blé qu’ils n’en possédaient, et cela malgré le blâme du Sénat, fit piller le pays, décapiter les chefs impuissants, vendre la population. Les soldats, imitant leurs officiers, saccageaient pour leur propre compte, même des villes alliées, — comme Chio, — qui les accueillaient, ou réclamaient leur congé, ou désertaient, quand ils jugeaient que la guerre entreprise leur devenait infructueuse.

En Italie, les Nobles, qui soutenaient tantôt le peuple et tantôt le Sénat, conservant ainsi leur indépendance entre ces deux forces, les utilisant l’une contre l’autre suivant les circonstances, exploitaient à outrance les Alliés et les Provinciaux. Les généraux victorieux, après avoir exigé des vaincus, pour eux, des couronnes d’or, faisaient payer par les Alliés les jeux et triomphes qui, pendant dix jours, célébraient la victoire. A Rome, les édiles essayèrent à leur tour d’imposer aux Alliés les dépenses de leur charge, les frais des spectacles et des fêtes donnés au peuple.

Le peuple suivait l’exemple des Grands. Les 80.000 soldats de Cépion, légionnaires, étaient servis par 40.000 valets, esclaves. Toute l’activité romaine, sa patience et sa force, s’employaient à la recherche et à l’accroissement des jouissances. Les passions de toutes sortes, seules obéies, menaient le peuple romain. La plèbe ne semblait vouloir l’emporter sur l’aristocratie que pour la dépasser en excès et en injustice.

L’instinct de la cruauté se réveillait, intense ; le goût du sang se répandait. Le spectacle le plus recherché, et le plus applaudi, était celui de la douleur humaine. Les courses de lièvres et les combats de cailles préludaient aux luttes des gladiateurs et des animaux féroces. Les esclaves noirs d’Égypte étaient des victimes désignées. Le jeu, l’ivrognerie et la débauche crapuleuse s’affichaient sans honte : J’ai amené le coup de Vénus ! Esclaves, applaudissez et versez !

Le domaine public était dilapidé, les lois restaient impuissantes, tous les dévergondages déchaînés, frappaient de stupeur. Ceux qui voyaient le mal, et s’en désolaient, n’avaient même plus la force de réagir : je ne déclame pas à table sur les affaires publiques ; je ne réforme pas les lois ; si quelqu’un me déplaît, je m’en vais.

La liberté personnelle était devenue comme un droit à l’oisiveté, à l’indifférence. Assis au pied des statues de la voie Sacrée, ou sur les bancs semi-circulaires bordant les routes, les derniers sages, les rares clairvoyants, silencieux, regardaient passer la foule. En frappant à coups de poing sur les pointes de fer, observe tranquillement le Dinarque de Plaute, on se perce les mains. L’amollissement des caractères fit que les réformateurs, les impatients et les écœurés, s’en remirent à l’aristocratie, contre les Gracques, du soin de relever Rome.

Le contact de l’Orient avait fait de ces brigands victorieux des satrapes, déjà, encore très avisés et très forts, mais cyniques, impérieux, presque fiers de leur corruption. Plaute nous a laissé le tableau de cette Rome nouvelle : Vous faut-il un parjure ? allez aux comices ; un menteur, un fanfaron ? allez au temple de Cloacine ; des maris prodigues et libertins ? vous en trouverez sous la Basilique (la Bourse), avec de vieilles courtisanes et des intrigants ; des gourmands ? courez au marché aux poissons. C’est au bas de la place que les gens de bien, les citoyens riches se promènent ; au centre, le long du canal, se pavanent les forts et les ambitieux ; au-dessus du lac, vous verrez les sots, les bavards, les diseurs de méchants propos, calomniant avec audace sur les moindres apparences du mal, sans songer à toutes les vérités qu’ils méritent eux-mêmes. Derrière le temple de Castor s’assemblent les emprunteurs et les usuriers, auxquels je ne vous conseille pas de vous fier ; dans la rue de Toscane, ceux qui se vendent eux-mêmes ; sur le quai de Vélabre, les boulangers, les bouchers, les devins, les faiseurs d’affaires, les dupes de la maison Leucadia-Oppia, rendez-vous des maris ruinés.