DE ROME est attirée par l’Orient, dont elle suppute les
richesses, qu’elle sait faible, divisé, en proie aux satrapes regorgeant d’or. Allons,
Déméa, dit un personnage de Térence, engage
ton satrape de frère à payer. Plaute parlera des montagnes d’or de L’Asie, c’était le royaume des Séleucides, allant de la mer Égée à l’Indus, plein de peuples asservis, indifférents aux changements de maîtres, gouverné par une cour d’aventuriers, défendu par une armée de mercenaires grecs, généralement macédoniens. Il fallait donc, avant d’entreprendre une guerre contre les Asiatiques, en finir avec l’Hellénie, où l’Asie recrutait ses soldats. Les Athéniens voluptueux et lettrés ne désiraient plus que le repos ; Thèbes s’abîmait dans sa perpétuelle orgie ; Corinthe ne s’occupait que d’affaires et de plaisirs ; Sparte s’épuisait en de cyniques révolutions. Les Étoliens seuls, en Hellénie, pirates infatigables, étaient encore énergiques, et les Achéens tâchaient de former une Ligue des Grecs. Les Hellènes du Péloponnèse septentrional étaient encore vivants.
Les peuples de cette côte déshéritée,
las de voir l’indigne Corinthe s’enrichir des trafics qui passaient devant eux, sans s’arrêter, et les
vieilles cités de l’Égialée, dont Hérodote vante l’antique confédération, et
qui souffraient de leur dépendance, — le roi de Aratus de Sicyone, élevé à Argos, y avait entendu les
philosophes discoureurs, s’y était exercé, en même temps, aux travaux athlétiques. Stratège inhabile, il
suppléait à cette insuffisance par l’appareil de sa force physique, son
esprit ingénieux, rusé, son activité, sa bravoure. Il voulait affranchir
Sicyone, que tenait le tyran Nicoclès. Un récit romanesque nous est resté de
l’expédition d’Aratus, réglant ses pas sur la
marche de la lune, surprenant Sicyone dès la nuit venue, dès la lune couchée, s’emparant de Nicoclès,
appelant les citoyens au théâtre, les armant pour la conquête de leur
liberté, faisant incendier le palais du tyran en fuite, rendant enfin Sicyone
au peuple sans avoir versé une seule
goutte de sang. Mille bannis revinrent à la cité, qui entra dans Les promoteurs de Athènes, tombée aux pieds des rois, ne possédait plus qu’une flotte de trois navires ; Thèbes mangeait ; Corinthe acceptait de payer sa paix fructueuse au prix des plus honteuses humiliations ; Argos consentait à la tyrannie ; Sparte massacrait ses éphores, vendait la royauté au plus offrant, — et il n’y avait que 700 Spartiates à Lacédémone, dont cent, à peine, y ayant la vie à peu près assurée ; — d’Égine et de Mégare, des Phocidiens et des Eubéens, on ne parlait plus ; les Éléens, les Messéniens et des villes de l’Arcadie obéissaient aux Étoliens ; les Crétois étaient en anarchie. Aratus, malgré tout, poursuit son œuvre. Il délivre Argos, Mégalopolis, Herminone, Phlionte (281-243), et d’autres villes ; il fait entrer dans la ligue, Épidaure, Trézène et Mégare ; et provoquant les Macédoniens, il leur enlève l’Acrocorinthe, qu’il rend aux Corinthiens. Athènes, entraînée, chasse les soldats macédoniens qui gardaient la ville. Mais les Étoliens, seuls redoutables en Hellénie, jaloux ou payés, organisèrent une Ligue rivale, où les assemblées, — le panétolicon, — formées de Villes et de Peuples, annuelles, tenues à Thermos chaque automne, décideront de la guerre ou de la paix, des députés, — apoclètes, — y résidant en permanence. Les conditions de l’alliance étaient diverses ; la ligue comprenait des Confédérés, des Alliés et des Sujets. Le roi Démétrius II, qui venait de succéder à son père Antigone Gomatas comme
roi de Macédoine, descendu en Grèce, avait chassé les Étoliens de Cléomène, trois fois victorieux (227), entre à Sparte, pour y reprendre l’œuvre réformatrice d’Agis. En Hellénie, de Corinthe à Sicyone, les peuples s’agitaient ; les villes, révolutionnées, rêvant d’utopies, de chimères, se détruisaient. Aratus, désespéré, mais résolu, intervenait, résistait, ordonnait même des exécutions qui le compromettaient. Corinthe, toujours lâche, se donna au roi Cléomène et bloqua Aratus dans la citadelle. Aratus, perdu, voulant encore sauver l’Hellénie, proclame Antigone Doson généralissime des armées de terre et de mer de la confédération achéenne, lui remet la citadelle de Corinthe, comme salaire de son travail belliqueux, et Antigone prend Corinthe, puis Tégée, Orchomène, Mantinée en Arcadie, et se retire à Égine. Le roi de Sparte, Cléomène, ne désarme pas ; il saccage Mégalopolis, menace Argos, continue la guerre malgré l’hiver, affranchissant les pilotes, tenant en haleine son armée, comptant sur un secours de Ptolémée, qui ne viendra pas. Au printemps, Cléomène avait une armée de 20.000 hommes ; Antigone Doson lui opposait 28.000 fantassins, 1.200 chevaux et la phalange macédonienne, forte de 10.000 hommes. Cléomène, à Sellasie, admirablement retranché, impose au roi de Macédoine une action longue et sanglante. Le roi de Sparte, solidement campé sur le mont Olympe, très brave, résistait victorieusement, lorsque Philopœmen, par une attaque invraisemblable de cavalerie, réussit à l’ébranler ; Antigone, aussitôt, doubla sa phalange, et piques baissées l’emporta sur Cléomène, qui dut s’enfuir. Antigone, vainqueur, rétablit immédiatement les éphores à
Sparte, afin que Cléomène s’était réfugié en Égypte, trompé de nouveau par les promesses du Ptolémée Philopator (222), que ses femmes menaient, et qui ne donna rien au vaincu. Abandonné, Cléomène prêchait la délivrance des Hellènes, émotionnait les Grecs d’Alexandrie, préparait une expédition. Le Ptolémée, inquiet, dit-on, de l’influence que valait à Cléomène l’énergie de son langage et l’austérité de ses mœurs, le fit emprisonner, ou garder à vue, avec ses amis, treize des siens. Alors Cléomène projeta de donner aux Grecs d’Alexandrie d’abord, l’indépendance qu’il rêvait pour les Hellènes, et il essaya de les soulever. Les Alexandrins, hébétés, ne comprirent pas ce que voulait dire ce prédicant, ce fou, qui venait les troubler dans leurs jouissances paisibles ; Cléomène, découragé, se suicida. Le Ptolémée fit écorcher et mettre en croix le cadavre du dernier des Spartiates. En Hellénie, comme l’avait prévu Antigone Doson, Sparte
agonisait ; Rome n’oublie pas qu’Annibal a eu pour allié, un instant,
le roi de Macédoine. Le Sénat a terminé à sa gloire les deux guerres puniques
; Carthage est ruinée ; Massinissa suffit pour empêcher la reconstitution des
forces africaines ; cependant l’Espagne n’est pas sûre, car il s’y passe des choses singulières, et il y a beaucoup de
Gaulois en Gaule, où se recrutent ces Cisalpins, ces Gaulois du nord de l’Italie,
redoutables ; et enfin au nord-est, du côté de Le royaume des Séleucides est aux mains d’Antiochus, le
roi sacrilège, détesté des Asiatiques
parce qu’il demande tout aux Grecs de l’Hellénie, ses ministres, ses
courtisans, ses généraux et ses soldats. Les sénateurs, à Rome, avaient donc
raison de signaler Philippe s’allie aux rois de Syrie et de Bithynie,
Antiochus et Prusias, en leur offrant les villes de Thrace et d’Asie qui
seront enlevées au roi d’Égypte. Ptolémée Épiphane, prévenu, s’allie aux
Rhodiens et au roi de Pergame, Attale. Sulpicius part de Rome avec deux
légions seulement, et porte la guerre dans Le consul Villius (199) ne trouva plus à Apollonie qu’une armée en révolte. Philippe en profita pour s’installer sur les deux rives de l’Aoüs, près d’Antigonie, l’inexpugnable. Le Sénat, impatienté de l’inaction de Villius, nomme consul, malgré son grand âge, T. Quintius Flamininus, qui va camper en face de l’ennemi et reste quarante jours sans attaquer. Le quarantième jour, un chef épirote conduit 4.000 Romains sur une hauteur, se précipite sur le camp de Philippe, en faisant pousser des clameurs à ses soldats, et les Macédoniens surpris, fuyant de toutes parts, ne se ressaisirent qu’en Thessalie, poursuivis par les Étoliens qui y pénétrèrent à leur suite. Ayant brûlé toutes les villes sur son passage, Philippe s’est
retranché dans la vallée du Tempé. Flamininus, après avoir imposé à ses
soldats la discipline la plus sévère, le respect absolu de tous les biens des
Grecs en Hellénie, avançait lentement, sûrement, en bon ordre. Atrax l’arrêta
sur les bords du Pénée (198).
Flamininus résolut d’hiverner au centre de Titus Quintius Flamininus proclama la liberté des Grecs d’Europe et d’Asie et quitta l’Hellénie,
libérateur confiant, sans y laisser un seul soldat. En réalité, le prétendu
libérateur venait de détruire la dernière armée capable de s’opposer aux vues
du Sénat sur La politique de Flamininus, qui consistait, après avoir écrasé les Macédoniens, à annuler les Grecs en les accablant de bienfaits, était d’autant plus habile, qu’Annibal travaillait à opposer aux Romains une coalition de peuples. Il avait obtenu déjà le renversement des Grands qui gouvernaient Carthage, régularisé les finances de la ville, reconstitué l’armée. Alors que Philippe V tenait encore contre les Romains, Annibal avait conseillé à Antiochus de marcher au secours des Macédoniens. Le Sénat, instruit des conseils donnés à Antiochus,
glorieux du prestige que valait aux Romains la victoire retentissante de
Cynocéphales, envoya trois ambassadeurs à Carthage réclamer la tête d’Annibal
(195), que les
Grands détestaient, et qui dut s’enfuir secrètement auprès d’Antiochus. Ce
roi, absolument incapable, entouré de flatteurs, s’imagina, lorsqu’il eut
Annibal près de lui, qu’il pouvait prétendre à l’empire du monde. Il réclama l’héritage de Séleucus Nicator, c’est-à-dire l’Asie
occidentale, Thoas montrait les Étoliens très audacieux, indomptables,
ayant déjà remporté des succès en Hellénie (195-192) : N’avaient-ils pas osé, après le
départ des Romains malgré l’enthousiasme des Hellènes pour leur vainqueur,
attaquer Chalcis, Démétriade et Lacédémone ? Chalcis s’était défendue, mais
Démétriade avait été prise, le roi de Sparte Nabis avait été égorgé et sa
ville mise au pillage. Thoas affirmait que les Étoliens se seraient rendus
les maîtres de l’Hellénie, si Philopœmen n’était venu reprendre Sparte pour
la donner à Antiochus, entraîné par l’Étolien Thoas, n’écoutait plus Annibal ; il débarqua à Démétriade (septembre 192) avec 10.000 hommes. Cette démonstration, et une rencontre des deux rois, peut-être, où l’outrecuidance et la sottise d’Antiochus étonnèrent Philippe, donna au roi de Macédoine le prétexte qu’il cherchait de s’allier aux Romains, desquels il pouvait tout attendre. Antiochus perdit l’hiver à Chalcis, joyeux, infatué, y célébrant un nouvel hymen. Au printemps, les
troupes d’Apollonie, réunies à des soldats de Philippe, débloquent Larisse et
s’emparent de villes en Thessalie. Le Sénat vient d’envoyer Acilius Glabrion,
qui traverse l’Adriatique, soumet toute Sur mer, Livius venait de remporter de franches victoires ; la défaite de l’amiral syrien Polyxénidas, livrait la mer Égée à l’empire. Il échoua cependant devant Éphèse et Patara, tandis que les Rhodiens succombaient à Samos (190). Il infligea ensuite une défaite à Annibal, trahi par l’impéritie d’un courtisan d’Antiochus, Apollonios. Ces rencontres, ces tentatives, incohérentes, préparaient l’action générale voulue par le Sénat romain (190). Les légions romaines partirent, conduites par Lucius Scipion, ayant pour lieutenant Scipion l’Africain, son frère, à son service, subordonné. Lucius Scipion accorde une trêve de six mois aux Étoliens,
traverse Manlius Vulso, qui prit le commandement (189) après L. Scipion, eut à agir contre les Galates ou Gallo-Grecs de l’Asie Mineure, dont la fougue téméraire inquiétait. Sans décret du peuple, sans ordre du Sénat, Manlius Vulso traverse et parcourt l’Asie Mineure, attaque les Galates réunis sur les monts Olympe et Magaba, bien retranchés, mais mal armés, et il les extermine. Le consul, toutefois, se rendant compte des causes de sa victoire, ne voulant pas exaspérer les Galates, leur fit donner un roi, Déjotarus, ne leur réclamant pas de tribut, ne leur imposant aucune humiliation ; et il se rendit à Éphèse (189) pour y distribuer des récompenses aux Alliés. Le roi de Pergame, Eumène, eut En Hellénie, le collègue de Manlius Vulso, Fulvius,
vainqueur des Étoliens à Ambracie, leur imposait une indemnité de 500 talents
et les obligeait à reconnaître l’empire et la
majesté du peuple romain. Cette fois encore les consuls,
abandonnant les Grecs à leurs dissensions, repassèrent l’Adriatique,
apportant à Rome cette conviction, qu’il n’y avait désormais à l’est, ni
Macédoniens, ni Étoliens, ni Syriens, ni Galates, ni Hellènes, mais des
peuples frappés, dispersés, finis, des groupements d’hommes divers, se
détestant, et se croyant libres ; que Le plus ingénieux des peuples, le peuple grec, s’était livré, joyeux, paré, presque en fête, à ses sacrificateurs. Athènes n’a même plus d’orateur après Eschine et Démosthène ; Iphicrate, Chabrias et Timothée avaient été les derniers capitaines ; et si les Athéniens continuaient à bavarder, c’était dans de longs décrets honorifiques ; comme les Corinthiens, à Corinthe, croyaient s’illustrer en multipliant dans la cité, par escadrons, les statues de leurs grands hommes. Le Grec, l’Hellène, que l’on avait connu jadis si mesuré, devenu excessif, obéit tantôt à des tyrans sans frein, tantôt à des oligarques sans pitié, tantôt à une démocratie sans règle. Les Athéniens, se méfiant d’eux-mêmes, en étaient arrivés à faire juger leurs propres procès par des arbitres choisis à l’étranger. Sparte, qui prétendait jadis que huit Lacédémoniens suffiraient pour détruire les Perses, ainsi que le rapporte Xénophon, est silencieuse, soumise, anéantie. L’Hellénie, depuis longtemps, ne comptait plus que sur la vaillance ou l’intelligence d’un homme, et sur la victoire, oubliant que l’homme vieillit et meurt, que les victoires appartiennent au destin, et qu’il faudrait, pour que l’humanité acceptât cette sagesse, que le héros fut immortel, que les duels de peuple fussent équitables, que les citoyens restassent purs et devinssent clairvoyants. Hérodote remarque avec satisfaction, que les Phéniciens grécisés, en commerce avec les Grecs, cessent de faire circoncire leurs enfants, deviennent comme des Hellènes ; il ne voit pas que ces Phéniciens, que ces Asiatiques insinuants, persévérants et corrupteurs, troubleront l’Hellénie, démoraliseront et achèveront les Athéniens. |