Rome (de 754 à 63 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XVII

 

 

DE 281 A 189 Av. J.-C. - L’Orient attire le Sénat. - L’Asie. - Le royaume des Séleucides. - Derniers efforts des Grecs. - Achéens et Etoliens. - Aratus. - Cléomène. - Situation de Rome. - Antiochus. - Philippe V, de Macédoine. - Guerre déclarée à la Macédoine. - T. Quintius Flamininus. - Bataille de Cynocéphales. - La Grèce libre. - Annibal chez Antiochus. - Antiochus chassé de Grèce. - Lucius Scipion. - Manlius Vulso. - Les Galates. - Eumène répond de l’Asie. - Fin des Grecs.

 

ROME est attirée par l’Orient, dont elle suppute les richesses, qu’elle sait faible, divisé, en proie aux satrapes regorgeant d’or. Allons, Déméa, dit un personnage de Térence, engage ton satrape de frère à payer. Plaute parlera des montagnes d’or de la Perse et des Scythes d’Asie habitant des montagnes d’or. S’emparer de ces richesses, abandonner ensuite l’Asie dépouillée, telle était, alors, la politique du Sénat.

L’Asie, c’était le royaume des Séleucides, allant de la mer Égée à l’Indus, plein de peuples asservis, indifférents aux changements de maîtres, gouverné par une cour d’aventuriers, défendu par une armée de mercenaires grecs, généralement macédoniens. Il fallait donc, avant d’entreprendre une guerre contre les Asiatiques, en finir avec l’Hellénie, où l’Asie recrutait ses soldats. Les Athéniens voluptueux et lettrés ne désiraient plus que le repos ; Thèbes s’abîmait dans sa perpétuelle orgie ; Corinthe ne s’occupait que d’affaires et de plaisirs ; Sparte s’épuisait en de cyniques révolutions. Les Étoliens seuls, en Hellénie, pirates infatigables, étaient encore énergiques, et les Achéens tâchaient de former une Ligue des Grecs.

Les Hellènes du Péloponnèse septentrional étaient encore vivants. Les peuples de cette côte déshéritée, las de voir l’indigne Corinthe s’enrichir des trafics qui passaient devant eux, sans s’arrêter, et les vieilles cités de l’Égialée, dont Hérodote vante l’antique confédération, et qui souffraient de leur dépendance, — le roi de la Macédoine leur ayant donné à chacune un tyran, — s’unissaient déjà pour leur commune délivrance. Au moment, (281) où les Macédoniens faiblirent, les Achéens prirent résolument une attitude d’action. Aratus sanctionna l’œuvre achéenne en faisant entrer Sicyone dans la ligue avouée.

Aratus de Sicyone, élevé à Argos, y avait entendu les philosophes discoureurs, s’y était exercé, en même temps, aux travaux athlétiques. Stratège inhabile, il suppléait à cette insuffisance par l’appareil de sa force physique, son esprit ingénieux, rusé, son activité, sa bravoure. Il voulait affranchir Sicyone, que tenait le tyran Nicoclès. Un récit romanesque nous est resté de l’expédition d’Aratus, réglant ses pas sur la marche de la lune, surprenant Sicyone dès la nuit venue, dès la lune couchée, s’emparant de Nicoclès, appelant les citoyens au théâtre, les armant pour la conquête de leur liberté, faisant incendier le palais du tyran en fuite, rendant enfin Sicyone au peuple sans avoir versé une seule goutte de sang. Mille bannis revinrent à la cité, qui entra dans la Ligue achéenne. Le roi de Macédoine était le maître de Corinthe et d’Athènes.

La Ligue achéenne reposait sur d’équitables conditions. Aux assemblées générales, comprenant tous les citoyens âgés de trente ans, les voix étaient comptées par cités ; le magistrat suprême, ou stratège, élu chaque année, s’appuyait d’un Conseil permanent de 10 ou 12 démiurges ; les fonctions, les lois, les monnaies, les mesures, les poids étaient identiques. Aratus rêvait de faire entrer tout le Péloponnèse dans la Ligue, pour tenir à distance le roi de Macédoine, Antigone Gomatas, et contenir les Étoliens pillards, très redoutés.

Les promoteurs de la Grande ligue, Aratus, Philopœmen et Lycortas, avaient proclamé l’égalité de tous les peuples unis contre la royauté de la Macédoine. Cette déclaration froissa l’aristocratie achéenne, révolta Sparte, inquiéta les marchands de Corinthe, ne fut pas comprise des Klephtes d’Étolie. Mais beaucoup d’Hellènes, corrompus par l’or asiatique, ou devenus indifférents à tout, se moquaient d’Aratus.

Athènes, tombée aux pieds des rois, ne possédait plus qu’une flotte de trois navires ; Thèbes mangeait ; Corinthe acceptait de payer sa paix fructueuse au prix des plus honteuses humiliations ; Argos consentait à la tyrannie ; Sparte massacrait ses éphores, vendait la royauté au plus offrant, — et il n’y avait que 700 Spartiates à Lacédémone, dont cent, à peine, y ayant la vie à peu près assurée ; — d’Égine et de Mégare, des Phocidiens et des Eubéens, on ne parlait plus ; les Éléens, les Messéniens et des villes de l’Arcadie obéissaient aux Étoliens ; les Crétois étaient en anarchie.

Aratus, malgré tout, poursuit son œuvre. Il délivre Argos, Mégalopolis, Herminone, Phlionte (281-243), et d’autres villes ; il fait entrer dans la ligue, Épidaure, Trézène et Mégare ; et provoquant les Macédoniens, il leur enlève l’Acrocorinthe, qu’il rend aux Corinthiens. Athènes, entraînée, chasse les soldats macédoniens qui gardaient la ville. Mais les Étoliens, seuls redoutables en Hellénie, jaloux ou payés, organisèrent une Ligue rivale, où les assemblées, — le panétolicon, — formées de Villes et de Peuples, annuelles, tenues à Thermos chaque automne, décideront de la guerre ou de la paix, des députés, — apoclètes, — y résidant en permanence. Les conditions de l’alliance étaient diverses ; la ligue comprenait des Confédérés, des Alliés et des Sujets.

La Ligue étolienne, offensive, turbulente, belliqueuse, conduite par des pirates de terre et de mer, provoqua la Ligue achéenne, plutôt défensive, sage, ordonnée. Aratus dut marcher au secours des Béotiens que les Étoliens menaçaient. Il arriva trop tard, après la défaite des Béotiens à Chéronée. Les Étoliens victorieux se dirigèrent vers Corinthe, excellente à piller. Cette fois, aidé d’un corps de Lacédémoniens, Aratus arrêta la horde. La lutte s’interrompit soudain, au bruit de nouvelles graves survenues.

Le roi Démétrius II, qui venait de succéder à son père Antigone Gomatas comme roi de Macédoine, descendu en Grèce, avait chassé les Étoliens de la Béotie. Ce coup de force allait sans doute faire l’union des deux ligues helléniques, lorsqu’une révolution éclatée à Sparte ruina cet espoir d’Aratus. Le roi de Sparte Agis IV a voulu réformer les mœurs lacédémoniennes, rétablir les lois de Lycurgue ; l’autre roi, Léonidas, a ameuté les femmes et les riches contre Agis, qui est mort étranglé ; et le fils même de ce Léonidas (227), Cléomène, s’est prononcé contre le roi victorieux par le meurtre de son collègue, a provoqué ensuite la Ligue achéenne, pour justifier simplement l’acte audacieux qu’il vient d’accomplir, en s’emparant et en emmenant l’armée lacédémonienne.

Cléomène, trois fois victorieux (227), entre à Sparte, pour y reprendre l’œuvre réformatrice d’Agis. En Hellénie, de Corinthe à Sicyone, les peuples s’agitaient ; les villes, révolutionnées, rêvant d’utopies, de chimères, se détruisaient. Aratus, désespéré, mais résolu, intervenait, résistait, ordonnait même des exécutions qui le compromettaient. Corinthe, toujours lâche, se donna au roi Cléomène et bloqua Aratus dans la citadelle. Aratus, perdu, voulant encore sauver l’Hellénie, proclame Antigone Doson généralissime des armées de terre et de mer de la confédération achéenne, lui remet la citadelle de Corinthe, comme salaire de son travail belliqueux, et Antigone prend Corinthe, puis Tégée, Orchomène, Mantinée en Arcadie, et se retire à Égine.

Le roi de Sparte, Cléomène, ne désarme pas ; il saccage Mégalopolis, menace Argos, continue la guerre malgré l’hiver, affranchissant les pilotes, tenant en haleine son armée, comptant sur un secours de Ptolémée, qui ne viendra pas. Au printemps, Cléomène avait une armée de 20.000 hommes ; Antigone Doson lui opposait 28.000 fantassins, 1.200 chevaux et la phalange macédonienne, forte de 10.000 hommes. Cléomène, à Sellasie, admirablement retranché, impose au roi de Macédoine une action longue et sanglante. Le roi de Sparte, solidement campé sur le mont Olympe, très brave, résistait victorieusement, lorsque Philopœmen, par une attaque invraisemblable de cavalerie, réussit à l’ébranler ; Antigone, aussitôt, doubla sa phalange, et piques baissées l’emporta sur Cléomène, qui dut s’enfuir.

Antigone, vainqueur, rétablit immédiatement les éphores à Sparte, afin que la Cité tombât de nouveau dans l’anarchie, et il revint en Macédoine où les Illyriens menaçaient son trône. Victorieux, Antigone Doson mourut sur le champ de bataille, eu criant un ordre (220).

Cléomène s’était réfugié en Égypte, trompé de nouveau par les promesses du Ptolémée Philopator (222), que ses femmes menaient, et qui ne donna rien au vaincu. Abandonné, Cléomène prêchait la délivrance des Hellènes, émotionnait les Grecs d’Alexandrie, préparait une expédition. Le Ptolémée, inquiet, dit-on, de l’influence que valait à Cléomène l’énergie de son langage et l’austérité de ses mœurs, le fit emprisonner, ou garder à vue, avec ses amis, treize des siens. Alors Cléomène projeta de donner aux Grecs d’Alexandrie d’abord, l’indépendance qu’il rêvait pour les Hellènes, et il essaya de les soulever. Les Alexandrins, hébétés, ne comprirent pas ce que voulait dire ce prédicant, ce fou, qui venait les troubler dans leurs jouissances paisibles ; Cléomène, découragé, se suicida. Le Ptolémée fit écorcher et mettre en croix le cadavre du dernier des Spartiates.

En Hellénie, comme l’avait prévu Antigone Doson, Sparte agonisait ; la Ligue achéenne se disloquait ; les Macédoniens campaient en plein Péloponnèse. Aratus voyait les résultats de son imprudence. C’est lui qui avait mis aux mains de l’ennemi l’Acrocorinthe et Ithome, les deux cornes du bœuf, et son cœur se brisait. Il mourut empoisonné, peut-être par l’ordre du roi de Macédoine. La Grèce tout entière appartiendra à qui la voudra prendre, maintenant.

Rome n’oublie pas qu’Annibal a eu pour allié, un instant, le roi de Macédoine. Le Sénat a terminé à sa gloire les deux guerres puniques ; Carthage est ruinée ; Massinissa suffit pour empêcher la reconstitution des forces africaines ; cependant l’Espagne n’est pas sûre, car il s’y passe des choses singulières, et il y a beaucoup de Gaulois en Gaule, où se recrutent ces Cisalpins, ces Gaulois du nord de l’Italie, redoutables ; et enfin au nord-est, du côté de la Germanie inconnue, des mouvements de peuples se manifestent... Mais, fascinés par les richesses, de l’Asie, les Romains ne peuvent plus détourner leur regard fixé du côté de l’Orient.

Le royaume des Séleucides est aux mains d’Antiochus, le roi sacrilège, détesté des Asiatiques parce qu’il demande tout aux Grecs de l’Hellénie, ses ministres, ses courtisans, ses généraux et ses soldats. Les sénateurs, à Rome, avaient donc raison de signaler la Grèce comme l’arsenal des forces d’Antiochus. Il fallait agir promptement (220), puisqu’en Étolie, un stratège, Scopas, imitant Cléomène venait de soulever les peuples contre les Macédoniens, promettant l’abolition des dettes, la réforme complète des lois et le secours des Romains.

La Macédoine est forte, réorganisée par le nouveau roi, Philippe V, qui tient la Thessalie et l’Eubée, Oponte en Locride, une grande partie de la Phocide, Élatée, la forteresse de Corinthe, Orchomène en Arcadie, les Cyclades, Thasos, des villes en Thrace et en Asie, une partie considérable de la Carie. Les rois d’Égypte et de Pergame, qui redoutent les ambitions macédoniennes, seront avec ceux qui se déclareront contre Philippe. En Hellénie, Athènes, Sparte et les Étoliens, qui gardaient les Thermopyles, osaient braver le roi de Macédoine.

Philippe s’allie aux rois de Syrie et de Bithynie, Antiochus et Prusias, en leur offrant les villes de Thrace et d’Asie qui seront enlevées au roi d’Égypte. Ptolémée Épiphane, prévenu, s’allie aux Rhodiens et au roi de Pergame, Attale. Sulpicius part de Rome avec deux légions seulement, et porte la guerre dans la Dassaretie montagneuse, où la phalange macédonienne ne pourra pas manœuvrer. En effet, malgré son armée de 24.000 hommes, Philippe dut reculer jour à jour devant les légions romaines, pendant qu’une flotte délivrait les Cyclades et ravageait les côtes macédoniennes. Arrivé en Macédoine, Sulpicius s’en fut hiverner à Apollonie.

Le consul Villius (199) ne trouva plus à Apollonie qu’une armée en révolte. Philippe en profita pour s’installer sur les deux rives de l’Aoüs, près d’Antigonie, l’inexpugnable. Le Sénat, impatienté de l’inaction de Villius, nomme consul, malgré son grand âge, T. Quintius Flamininus, qui va camper en face de l’ennemi et reste quarante jours sans attaquer. Le quarantième jour, un chef épirote conduit 4.000 Romains sur une hauteur, se précipite sur le camp de Philippe, en faisant pousser des clameurs à ses soldats, et les Macédoniens surpris, fuyant de toutes parts, ne se ressaisirent qu’en Thessalie, poursuivis par les Étoliens qui y pénétrèrent à leur suite.

Ayant brûlé toutes les villes sur son passage, Philippe s’est retranché dans la vallée du Tempé. Flamininus, après avoir imposé à ses soldats la discipline la plus sévère, le respect absolu de tous les biens des Grecs en Hellénie, avançait lentement, sûrement, en bon ordre. Atrax l’arrêta sur les bords du Pénée (198). Flamininus résolut d’hiverner au centre de la Grèce, afin que les Hellènes apprissent à connaître à la fois la puissance et la générosité du peuple romain. Il obtint l’alliance des Achéens et des Béotiens. Le printemps venu, son armée de 26.000 hommes comptant 8.000 Grecs, il marche sur la Thessalie, où Philippe avait réuni 25.000 hommes, parmi lesquels un grand nombre d’adolescents. Dans les plaines de Cynocéphales (juin 197) la légion romaine écrasa la phalange macédonienne, définitivement.

La Thessalie déclarée libre ; les villes et les îles grecques restituées ; la flotte macédonienne livrée, moins 5 vaisseaux de transport ; l’armée licenciée, moins 500 hommes ; une indemnité de 500 talents et un tribut annuel de 50 talents à payer pendant dix années ; le renoncement à toute entreprise de guerre sans l’approbation du Sénat, et la livraison de six otages, parmi lesquels son jeune fils Démétrius, telles furent les conditions imposées à Philippe par le vainqueur.

Titus Quintius Flamininus proclama la liberté des Grecs d’Europe et d’Asie et quitta l’Hellénie, libérateur confiant, sans y laisser un seul soldat. En réalité, le prétendu libérateur venait de détruire la dernière armée capable de s’opposer aux vues du Sénat sur la Grèce et sur l’Orient, livrait simplement les Hellènes à leurs querelles inévitables, leur laissant le soin, en les abandonnant, de leur propre destruction. Aux jeux qui furent célébrés dans l’isthme en l’honneur de Flamininus, après qu’il eut donné lecture, deux fois, du décret qui disait : Tous les Grecs d’Europe et d’Asie sont libres ! le consul faillit être étouffé sous les couronnes. Flamininus enleva Argos et Gythion à Sparte, afin de provoquer sûrement de rapides dissensions.

La politique de Flamininus, qui consistait, après avoir écrasé les Macédoniens, à annuler les Grecs en les accablant de bienfaits, était d’autant plus habile, qu’Annibal travaillait à opposer aux Romains une coalition de peuples. Il avait obtenu déjà le renversement des Grands qui gouvernaient Carthage, régularisé les finances de la ville, reconstitué l’armée. Alors que Philippe V tenait encore contre les Romains, Annibal avait conseillé à Antiochus de marcher au secours des Macédoniens.

Le Sénat, instruit des conseils donnés à Antiochus, glorieux du prestige que valait aux Romains la victoire retentissante de Cynocéphales, envoya trois ambassadeurs à Carthage réclamer la tête d’Annibal (195), que les Grands détestaient, et qui dut s’enfuir secrètement auprès d’Antiochus. Ce roi, absolument incapable, entouré de flatteurs, s’imagina, lorsqu’il eut Annibal près de lui, qu’il pouvait prétendre à l’empire du monde. Il réclama l’héritage de Séleucus Nicator, c’est-à-dire l’Asie occidentale, la Thrace et la Macédoine. Avec les 11.000 hommes et les 100 vaisseaux d’Antiochus, Annibal aurait voulu commencer une troisième guerre punique ; il dut s’incliner devant l’orgueil d’Antiochus, qu’un Étolien, Thoas, subjuguait, qui promettait au roi de faciles triomphes.

Thoas montrait les Étoliens très audacieux, indomptables, ayant déjà remporté des succès en Hellénie (195-192) : N’avaient-ils pas osé, après le départ des Romains malgré l’enthousiasme des Hellènes pour leur vainqueur, attaquer Chalcis, Démétriade et Lacédémone ? Chalcis s’était défendue, mais Démétriade avait été prise, le roi de Sparte Nabis avait été égorgé et sa ville mise au pillage. Thoas affirmait que les Étoliens se seraient rendus les maîtres de l’Hellénie, si Philopœmen n’était venu reprendre Sparte pour la donner à la Ligue achéenne.

Antiochus, entraîné par l’Étolien Thoas, n’écoutait plus Annibal ; il débarqua à Démétriade (septembre 192) avec 10.000 hommes. Cette démonstration, et une rencontre des deux rois, peut-être, où l’outrecuidance et la sottise d’Antiochus étonnèrent Philippe, donna au roi de Macédoine le prétexte qu’il cherchait de s’allier aux Romains, desquels il pouvait tout attendre.

Antiochus perdit l’hiver à Chalcis, joyeux, infatué, y célébrant un nouvel hymen. Au printemps, les troupes d’Apollonie, réunies à des soldats de Philippe, débloquent Larisse et s’emparent de villes en Thessalie. Le Sénat vient d’envoyer Acilius Glabrion, qui traverse l’Adriatique, soumet toute la Thessalie, marche aux Thermopyles où Antiochus l’attend. Les Étoliens, au nombre de 2.000, défendaient le sentier d’Éphialte. Un lieutenant d’Acilius, Caton, les surprend, les bat, et passe. Antiochus s’effraya des cohortes lourdes qui descendaient l’Œta, et il disparut, fuyant jusqu’à Chalcis, puis jusqu’à Éphèse. Les pertes des Romains avaient été insignifiantes ; ils dédaignèrent de poursuivre leur ennemi.

Sur mer, Livius venait de remporter de franches victoires ; la défaite de l’amiral syrien Polyxénidas, livrait la mer Égée à l’empire. Il échoua cependant devant Éphèse et Patara, tandis que les Rhodiens succombaient à Samos (190). Il infligea ensuite une défaite à Annibal, trahi par l’impéritie d’un courtisan d’Antiochus, Apollonios. Ces rencontres, ces tentatives, incohérentes, préparaient l’action générale voulue par le Sénat romain (190). Les légions romaines partirent, conduites par Lucius Scipion, ayant pour lieutenant Scipion l’Africain, son frère, à son service, subordonné.

Lucius Scipion accorde une trêve de six mois aux Étoliens, traverse la Macédoine, trouve Lysimachie évacuée, passe l’Hellespont et rencontre l’ennemi (5 octobre 190) près de Magnésie du Sipyle : 30.000 Romains se heurtèrent à 82.000 Asiatiques ? Le consul, victorieux, dit qu’il avait tué ou pris 52.000 Syriens, en ne perdant que 350 hommes ? Antiochus, battu, accepta de remettre ses éléphants au roi de Pergame, Eumène ; d’incendier sa flotte ; d’évacuer l’Asie Mineure jusqu’au Taurus en s’interdisant d’y revenir jamais ; de payer 80 millions au Sénat romain et 2 millions et demi à Eumène. Annibal demeura fidèle à Antiochus.

Manlius Vulso, qui prit le commandement (189) après L. Scipion, eut à agir contre les Galates ou Gallo-Grecs de l’Asie Mineure, dont la fougue téméraire inquiétait. Sans décret du peuple, sans ordre du Sénat, Manlius Vulso traverse et parcourt l’Asie Mineure, attaque les Galates réunis sur les monts Olympe et Magaba, bien retranchés, mais mal armés, et il les extermine. Le consul, toutefois, se rendant compte des causes de sa victoire, ne voulant pas exaspérer les Galates, leur fit donner un roi, Déjotarus, ne leur réclamant pas de tribut, ne leur imposant aucune humiliation ; et il se rendit à Éphèse (189) pour y distribuer des récompenses aux Alliés.

Le roi de Pergame, Eumène, eut la Lydie, l’Ionie, la Phrygie, la Lycaonie, la Mybiade, en Asie ; en Europe, la Chersonèse et Lysimachie. Le roi de Bithynie, Prusias, reçut l’ordre de rendre à Eumène ce qu’il lui avait enlevé de la Mysie. Les Rhodiens reçurent peu, relativement aux services qu’ils avaient rendus : quelques parties de la Carie et de la Lycie, où beaucoup de villes restaient libres. Le long de la côte, en Troade, Éolide et Ionie, les anciennes colonies grecques, sauf Éphèse, Élée et Sardes, données à Eumène, obtinrent l’immunité des terres et des hommes. Ilion, comme berceau du peuple romain, obtint deux villes voisines ; Dardanos, au même titre, entendit proclamer sa liberté. Eumène, largement favorisé, se chargeait de maintenir la paix en Asie, d’y exercer la police.

En Hellénie, le collègue de Manlius Vulso, Fulvius, vainqueur des Étoliens à Ambracie, leur imposait une indemnité de 500 talents et les obligeait à reconnaître l’empire et la majesté du peuple romain. Cette fois encore les consuls, abandonnant les Grecs à leurs dissensions, repassèrent l’Adriatique, apportant à Rome cette conviction, qu’il n’y avait désormais à l’est, ni Macédoniens, ni Étoliens, ni Syriens, ni Galates, ni Hellènes, mais des peuples frappés, dispersés, finis, des groupements d’hommes divers, se détestant, et se croyant libres ; que la Grèce et l’Asie, après avoir été pour les vainqueurs d’Annibal une conquête aisée et lucrative, une récompense et un délassement, une sorte de jeu, ne comptaient plus.

Le plus ingénieux des peuples, le peuple grec, s’était livré, joyeux, paré, presque en fête, à ses sacrificateurs. Athènes n’a même plus d’orateur après Eschine et Démosthène ; Iphicrate, Chabrias et Timothée avaient été les derniers capitaines ; et si les Athéniens continuaient à bavarder, c’était dans de longs décrets honorifiques ; comme les Corinthiens, à Corinthe, croyaient s’illustrer en multipliant dans la cité, par escadrons, les statues de leurs grands hommes.

Le Grec, l’Hellène, que l’on avait connu jadis si mesuré, devenu excessif, obéit tantôt à des tyrans sans frein, tantôt à des oligarques sans pitié, tantôt à une démocratie sans règle. Les Athéniens, se méfiant d’eux-mêmes, en étaient arrivés à faire juger leurs propres procès par des arbitres choisis à l’étranger. Sparte, qui prétendait jadis que huit Lacédémoniens suffiraient pour détruire les Perses, ainsi que le rapporte Xénophon, est silencieuse, soumise, anéantie. L’Hellénie, depuis longtemps, ne comptait plus que sur la vaillance ou l’intelligence d’un homme, et sur la victoire, oubliant que l’homme vieillit et meurt, que les victoires appartiennent au destin, et qu’il faudrait, pour que l’humanité acceptât cette sagesse, que le héros fut immortel, que les duels de peuple fussent équitables, que les citoyens restassent purs et devinssent clairvoyants.

Hérodote remarque avec satisfaction, que les Phéniciens grécisés, en commerce avec les Grecs, cessent de faire circoncire leurs enfants, deviennent comme des Hellènes ; il ne voit pas que ces Phéniciens, que ces Asiatiques insinuants, persévérants et corrupteurs, troubleront l’Hellénie, démoraliseront et achèveront les Athéniens.