DE ROME ne pouvait exister, après Alexandre et après Pyrrhus, — chaque capitaine heureux devant rêver la domination du monde, — qu’à la condition de détruire toute force naissante, d’annuler toute puissance acquise. Les Romains se trouvaient condamnés à la guerre perpétuelle. L’Asie, récemment partagée, n’avait que des satrapes impuissants qui se jalousaient, et l’Hellénie était agonisante ; mais il y avait, chez les Asiatiques et chez les Hellènes, des richesses matérielles et des peuples qu’il ne fallait pas dédaigner. Ces Grecs, maintenant accablés, avaient été des mercenaires invincibles ; Athènes représentait une civilisation supérieure à la civilisation des Étrusques, prise telle quelle par les premiers Romains, bien lourde, bien grossière, insuffisante au moins à l’aristocratie des patriciens, si désireux de jouir avec intelligence de leurs richesses et de leur pouvoir. Il fallait aux Romains une sécurité définitive et une civilisation nouvelle. Rome prendra le Sud de l’Italie (272-267) ; et très forte, trop
forte, embarrassée de ses armées, elle subira, comme Athènes jadis, l’irrésistible
tentation de Après le départ de Pyrrhus, les hostilités continuèrent chez les Italiotes du sud. Papirius Cursor et Sp. Carvilius en finirent avec les Samnites et les Lucaniens. Tarente se donna à Milon (272), qui démolit ses murailles, lui prit toutes ses armes et tous ses vaisseaux. A Rhegium, qu’il fallut enlever (271), la décapitation de 300 légionnaires révoltés terrifia les Italiotes. Le Sénat, maintenant, procédait avec cruauté, à la manière des despotes asiatiques. Les Picenins, les Sarsinates, les Salentins, les Messapiens et les Ombriens se tinrent à la discrétion du Sénat. Chez les Étrusques, les nobles de Vulsinii appelèrent les Romains, pour mettre à la raison le peuple soulevé, et la ville fut détruite ; les Romains y prirent, dit-on, plus de 2.000 statues. Le Sénat donna bientôt la mesure de toute l’ingratitude et
de toute la sottise dont il était capable. Les Étrusques, chassés de De l’Égypte aux Colonnes d’Hercule, le nord de l’Afrique s’était
peuplé. Après Cyrène, vers l’occident, il y avait les deux Syrtes
; ensuite, les autels des Philènes, où
commençait l’empire des Carthaginois ; après, les villes
puniques ; puis les Numides ; enfin, devant l’Espagne, les Maures,
Des Grecs, appelés par Battus II en Cyrénaïque, ayant pris aux Libyens une partie de leur territoire, menacés, s’adressèrent au pharaon Ouahprahet qui les secourut. Le chef Libyen Adicran battit les Égyptiens à Irisa, près de la fontaine de Thesté (570) ; et cette défaite coûta son trône au pharaon. Le successeur d’Ouahprahet, Ahmès, recherchant l’amitié des Grecs, épousa, en signe d’alliince, la fille de Battus, Laodicée. Les Cyrénéens grecs, aryens, forts de l’amitié des Égyptiens, tranquilles à l’est, se trouvèrent en hostilité avec leurs voisins de l’ouest, les Carthaginois, ces Asiatiques de Phénicie. La plaine sablonneuse et toute unie qui séparait le territoire de Carthage du territoire de Cyrène, fut le champ de bataille, continuellement ensanglanté, où de longues luttes, limais décisives, accentuant l’antagonisme, préparaient les armées futures, irréconciliables. Les suspensions d’hostilités entre Cyrène et Carthage n’étaient
dictées que par la nécessité de faire face à d’autres ennemis. C’est ainsi qu’une
paix étant devenue désirable, il en résulta un accord, que l’hypocrisie
carthaginoise accepta comme expédient. Il fut convenu que deux députés partiraient, l’un de Cyrène, l’autre de
Carthage, et que là où ils se rencontreraient serait la frontière commune,
infranchissable. Les deux frères Philènes acceptèrent la mission, se
sacrifiant, car il avait été dit par les prêtres : Les dieux n’accorderont la paix, que si les deux députés sont enterrés
vivants sur le lieu même de leur rencontre. Les deux autels des frères Philènes marquèrent le lieu
consacré, au fond de Les richesses des Carthaginois étonnaient et inquiétaient les Romains ; comme Alexandre, jadis, avait été surpris et troublé par les richesses de Tyr. Carthage, avec un soin jaloux, dissimulait ses relations avec l’intérieur de l’Afrique, cachait ses voies commerciales fréquentées, en éloignait les curieux, et refusait tous les intermédiaires, par crainte des trahisons. Voués à cette exploitation commerciale entourée de mystères, les Carthaginois, satisfaits, laissaient à leur métropole, Tyr, le monopole des trafics maritimes. Hérodote avait parlé des explorateurs venus du Niger au Nord de l’Afrique ; des contrées marécageuses avoisinant le lac Tchad, peuplées de nains, ces nègres d’une stature fort inférieure à la taille moyenne des hommes ; des produits du centre africain et des villes bâties dans ces régions ; mais, qui connaissait les récits d’Hérodote, à Rome ? Tyr recevait chaque année une ambassade carthaginoise,
venant sacrifier à l’Hercule tyrien, Melkarth, et, satisfaite elle aussi de
ses trafics, — car elle tenait En héritant de Tyr, pour ainsi dire malgré elle, Carthage,
devenue métropole phénicienne, devait sa protection aux Tyriens traqués, aux
Turditans de Les Massaliotes, en grands progrès depuis l’arrivée d’Euxène
(600),
cherchant la route de l’Espagne, avaient occupé le pays des Ségobriges, aux
embouchures du Rhône, que gouvernait Namm. En épousant la fille de Namm,
Euxène ouvrit cette colonie aux Massaliotes, qui y envoyèrent un essaim conduit par Protis (598). A ce moment,
des Grecs bâtissaient Rhoda (Rosas) en Espagne. Les Massaliotes, très enhardis,
entreprenants, comptaient profiter de l’effacement de Tyr, pour enlever aux
Phéniciens l’exploitation des mines de Marseille étendait de plus en plus sa domination
commerçante. Les Phocéens d’Ionie
venus à Massalia, avaient fondé Alalia, ou Aléria, en l’île de Cyrné, — Corse,
— comme point de relâche entre Les Massaliotes et les Carthaginois, forcés de se disputer
la mer, se rencontrèrent (542), et la flotte de Marseille l’emporta. Carthage,
inquiète, appela à son aide, en leur montrant le
danger grec, les Tyrrhéniens de l’Étrurie qui entretenaient une
grande flotte dans leurs ports de Populonia et de Campanie. Les Étrusques maritimes attaquèrent les Phocéens d’Alalia comme des rivaux, et ils les
battirent (536).
Les Phocéens de Corse se réfugièrent à Marseille ; — un certain nombre
allèrent fonder Velia, en Italie. Carthage, dédaignant De graves événements s’accomplissaient à Carthage même. Après leur victoire sur les Massaliotes, les Carthaginois avaient chargé Malchus d’aller prendre l’île de Sardaigne, à cause de sa fertilité et de ses naines d’argent. Malchus échoua, fut banni, et revint en Afrique, avec son armée, protester contre sa condamnation. Il prit la ville, fit égorger dix sénateurs rétablit le régime des lois ; mais, bientôt accusé de tyrannie, arrêté, Malchus fut mis à mort. Le Conseil des Dix, maître de Carthage, choisit Magon comme chef des troupes. Magon prit Les marins trafiquants
se répandirent alors dans l’Atlantique. Hannon, dont la relation de voyage
fut déposée dans le temple de Baal-Hamon, comme le récit d’une expédition
sacrée, atteignit au huitième degré de latitude, visita les côtes du Gabon, créa
des colonies et’ rapporta des peaux de gorilles, ces femmes aux corps velus que les interprètes appelaient
gorgones. Amilcar, allant au nord, aux Iles Britanniques, pour y
rétablir le commerce de l’étain, s’étonna du grand trafic que les Chananéens
et les Gaditains du pays des Namnètes (Nantes), faisaient
par En Afrique occidentale, la colonie de Cerné (île d’Arguin ?) prit une importance considérable : Une grande foire s’y tenait, en face de l’île, sur la terre ferme ; les pasteurs au teint noir, à la longue chevelure, à la taille élevée, cavaliers et tireurs exercés, — les Touaregs modernes sans doute, Libyens-Aryas refoulés vers le centre africain, — y venaient en foule. Là, s’échangeaient des parures, des harnais, des coupes ciselées, des poteries, du vin et du lin d’Égypte, contre de l’ivoire, des cuirs, de la laine et des peaux de fauves. Les indigènes, attirés, fondèrent la ville de Cerné, organisèrent des pêcheries dont les produits, salés et séchés, étaient expédiés à Carthage, qui s’en était réservé le monopole. Partis de Cerné, des explorateurs découvrirent les districts aurifères de Sierra-Leone et du Dahomey ? Cerné se trouvait à l’extrémité occidentale du monde : Gorée, Madère, île d’Arguin, Canaries ? Pour s’approprier ces découvertes, les exploiter en paix, en éloigner les curieux, les Carthaginois racontaient, sur ces pays, des choses effrayantes, tandis qu’ils envoyaient leurs marins toujours un peu plus loin, jusqu’à l’île flottante dont parle Festus Avienus, la mer des Sargasses. A la mort de Magon (535), ce fondateur
de Aristote parle de plusieurs traités intervenus entre
Carthage et les Étrusques. Polybe cite
le premier accord des Carthaginois avec les Romains (509) : Rome s’engageait, pour elle et pour ses alliés, à ne
pas aller au delà du beau promontoire, — le cap Bon, — de ne
trafiquer, ni en Afrique, ni en Sardaigne, ni dans la partie de Ainsi rassurée, Carthage s’abandonna à ses trafics, à son
enrichissement. Les Carthaginois, véritables Tyriens, se seraient largement
contentés de ce rôle, si les chefs de l’armée, moins Phéniciens, n’avaient eu
d’autres aspirations. Au faîte de sa puissance, Carthage apprend que le
satrape d’Égypte, Aryandès, vient d’anéantir Barcé, et elle envoie aussitôt
des ambassadeurs, avec un tribut, rendre hommage à Darius, fils d’Hystaspe ;
mais Amilcar, lui, prépare la guerre ; il veut toute |