DE L’ARRIVÉE de Pyrrhus en Italie allait mettre en contact les Grecs et les Romains. Pyrrhus excitera l’étonnement d’abord, l’admiration ensuite, puis le mépris ; mais, par lui, les Romains comprendront Alexandre, et les destinées de Rome seront définitivement fixées. Alexandre n’avait que vingt ans lorsqu’il succéda à Philippe, roi de Macédoine (336). Régent du royaume pendant que son père combattait les Scythes, il s’était fait aimer des soldats, fiers de l’intrépidité de leur chef, frappés de sa générosité extravagante. Roi par l’assassinat de son père, Alexandre se débarrasse des complices réels ou supposés de l’assassin Pausanias, fait tuer ou oblige à se suicider ses compétiteurs, écarte par la mort un chef de troupes qui le gêne et pacifie le royaume. En dix jours, il bat les Triballes, rase la capitale des Gètes, et manifeste sa puissance en recevant à merci les envoyés des peuples barbares, parmi lesquels des Celtes voisins du golfe adriatique, acceptant leurs hommages, ne les admettant pas à le servir. De faciles victoires lui ayant livré les Illyriens,
l’agitation qui avait suivi la mort de Philippe, appelle Alexandre en
Hellénie. Les Thébains viennent d’égorger deux chefs de leur garnison
macédonienne. Treize jours après, Alexandre entre en Béotie avec trente-trois
mille hommes. Chez les Athéniens, Démosthène se prononce contre le roi de Thèbes vaincue devant ses murs,
6.000 Thébains périrent ; 30.000 furent pris, avec un énorme butin. Alexandre
fit raser la ville entièrement, sauf la maison de Pindare. Les captifs sont
vendus, et le vainqueur décrète qu’aucun Grec ne
recevra un Thébain sous son toit ; qu’Orchomène et Platée seront rebâties.
La forteresse de Thèbes, Alexandre réclame aux Athéniens ses neuf principaux adversaires, parmi lesquels
Démosthène. Démade propose d’offrir seulement au Macédonien victorieux la
juste punition des otages qu’il a
désignés. Alexandre, continuant la politique de Philippe, accepte la
proposition de Démade, accorde aux Athéniens, généreusement, le droit de
recevoir les fugitifs de Thèbes. Revenu en Macédoine, Alexandre réunit en
conseil les chefs de son armée et les
consulte sur l’expédition en Asie qu’il avait décidée. Des sacrifices aux
dieux, des jeux magnifiques en l’honneur des Muses et de Jupiter, des festins extraordinaires, des fêtes auxquelles
assistèrent les envoyés de L’empire perse, désagrégé, formé de peuples indifférents à leur sort, victimes des rivalités de leurs satrapes sanguinaires et cupides, avec un pouvoir central ne se maintenant que par l’intrigue, les trahisons et les meurtres, était une proie facile, tentante. Le Roi des rois n’était guère défendu que par des Grecs mercenaires, achetés. La dynastie régnante, les Achéménides (485-330) n’offrait qu’une succession de rois illégitimes, parvenus au trône par l’assassinat, l’ambition des femmes et des eunuques. Des neuf successeurs de Darius, six seulement, — Xerxès Ier, Artaxerxés Ier (Longue main), Xerxès II, Artaxerxés II, Ochus et Arsès, — avaient succédé à leur père ; Sogdien et Darius II, fils illégitimes, et Darius III, usurpateur de la royauté, s’étaient imposés. Des cruautés épouvantables, des voluptés sanguinaires, des châtiments où l’imagination féroce des Asiatiques inventait des tortures terrifiantes, — mutilations lentes, seins coupés, langues arrachées, — faisaient de Suse une sentine, un lieu de malédiction. L’eunuque Bagoas y avait été qualifié de faiseur de rois, par l’empoisonnement. Arsès se vantait d’avoir immolé quatre-vingts de ses parents. Les satrapes des vingt satrapies accaparaient les gouvernements et faisaient assassiner les envoyés du Roi des rois, leur maître, porteurs de remontrances. D’autres, déléguant leurs pouvoirs à des lieutenants, exploitaient leurs provinces avec des mercenaires, peu sûrs et exigeants. La garde du Roi des rois, seule, était composée de Perses qui vivaient de la vie royale, abominablement corrompus. Le Roi des rois ne conservait que le prestige de ses
richesses énormes ; on énumérait, en les exagérant au-delà de toute mesure,
de toute possibilité, les munificences de la cour, les étoffes magnifiques tissus d’or et d’argent, les lits, les
cratères, les coupes, les bijoux et les épées d’or.
Comment résister à la convoitise que de tels récits entretenaient, alors que Alexandre considérait comme facile et nécessaire la
conquête de l’Asie, où les mercenaires, se rencontrant sur les champs de
bataille, s’épargnaient pour faire durer les hostilités lucratives, où les
victoires résultaient surtout de trahisons payées. En Égypte, que Darius II (Nothon) avait affranchie
(405),
Nectanébo Ier (Nakhthorheb),
fondateur de Alexandre partit de Pella au printemps de l’an 334. Il était à Sestos vingt jours après, avec 30.000 fantassins et 4.500 chevaux, ayant laissé en Europe 12.000 hommes d’infanterie et 1.500 cavaliers sous les ordres d’Antipater. A Sestos, le Macédonien immole un taureau, offre une libation, avec une coupe d’or, à Neptune et aux Néréides, fait le simulacre théâtral d’une prise de possession, en lançant son javelot sur la terre avant de débarquer, en débarquant ensuite le premier. Sur l’emplacement de Troie, il invoque Pallas-Athénèe, inconséquence singulière, Pallas ayant concouru, sinon présidé, à l’anéantissement des Troyens. Puis, il sacrifie à Priam, pour apaiser son ombre. L’armée persique attendait l’armée d’Alexandre au Granique. Les satrapes, discutant le meilleur moyen de défense, ne s’entendaient pas. Les Perses avaient 20.000 cavaliers et 20.000 étrangers à leur solde, selon Arrien ; 10.000 cavaliers et 100.000 fantassins, selon Diodore. Les Macédoniens passent le fleuve, en masse ; les Perses, accablés de traits d’abord, ensuite enfoncés par la cavalerie, se dispersent, s’enfuient. La victoire d’Alexandre était décisive ; n’échappèrent, que ceux qui s’étaient cachés sous les cadavres. Le vainqueur dédia au temple de Pallas, à Athènes, 300 trophées de dépouilles, avec cette inscription : Sur les Barbares de l’Asie, Alexandre et les Grecs, à l’exception des Lacédémoniens. Il n’y avait, cependant, dans son armée, que peu de Grecs, tandis que des coureurs thraces ou péoniens, des archers syriens, des Odryses, des Triballes et des Illyriens y figuraient en très grand nombre. Alexandre s’empare de L’année suivante (333), Alexandre soumit Memnon, en effet, après l’incendie volontaire d’Halicarnasse, prenant le commandement de la flotte persique, a porté la guerre en Grèce. Il a pris Chio, menace Lesbos, assiège Mitylène. Cette diversion heureuse pouvait arrêter net la marche d’Alexandre en Asie. Les Athéniens, de plus en plus trompés par Démosthène, ne songeaient pas qu’une défaite d’Alexandre, maintenant, livrerait l’Europe à l’Asie. La mort emporta Memnon « à la veille de son succès » ; la flotte persique resta sans chef. Darius Codoman, avec 400.000 fantassins et 10.000
cavaliers, marchait pour disputer La discipline et la tactique macédoniennes l’emportèrent sur la force véritable et le nombre. Une palissade défendait les points abordables du fleuve. La phalange macédonienne, — 30.000 Grecs et 60.000 Cadurques pesamment armés, — s’avança lentement, irrésistible, masquant les masses qui suivaient. Les Perses ne résistèrent pas à ce mur vivant ; mais l’effort avait été si considérable, que la phalange se rompit. Par l’issue, les mercenaires grecs de Darius, intrépides, pénétrèrent dans l’armée macédonienne, et ce fut un carnage horrible, pendant que la cavalerie de Darius, bien conduite, fondait sur les cavaliers de Thessalie. Les Macédoniens l’emportèrent. Les Perses, en pleine déroute, les chevaux foulant les vaincus, disparurent en retraite folle. Arrien, dramatisant la fuite de Darius, comme les Grecs avaient fait de Xerxès, le montre désespéré, jetant ses armes et sa robe de pourpre, ayant toutefois, sauvé le trésor royal, transporté à Damas, où Parménion s’en fut le prendre. Alexandre, blessé, se prodigue, distribue des largesses, ordonne de pompeuses funérailles, prononce l’éloge des héros qui ont succombé. Le conquérant imite les Grecs ; il copie Philippe. Parmi les prisonniers se trouvaient deux députés de Thèbes, un de Sparte et un d’Athènes. Alexandre renvoya l’Athénien et les Thébains, garda le Spartiate. Darius offrit la paix ; Alexandre la refusa, car il voulait toute l’Asie. En Phénicie, Alexandre reçut la soumission de toutes les villes, sauf Tyr, qui lui ferma ses portes. Le siège de Tyr dura sept mois (333-332). Il fallut construire un môle pour relier l’île à la cité. Bloquée, Tyr vit ses murs de cent pieds s’écrouler sous les coups des machines. Les vainqueurs massacrèrent 8.000 Tyriens ; 30.000 furent vendus. Alexandre sacrifia à l’Hercule tyrien, présida aux jeux gymniques, dédia à Melkarth la catapulte qui avait ouvert la première brèche. Gaza, assiégée, résista pendant trois mois. A Jérusalem, le grand-prêtre Iaddus, revêtu de ses habits sacerdotaux, déployant une pompe extraordinaire, apporta la soumission des juifs. Alexandre sacrifia à Jéhovah, et le grand-prêtre lut un passage du livre de Daniel où il était écrit : un Grec renversera l’empire des Perses. Les juifs, exemptés de l’impôt pendant l’année sabbatique, conservèrent toutes leurs lois. Les Israélites de Samarie furent plutôt maltraités. L’Égypte se donna simplement au roi de Macédoine ; car elle avait l’horreur des Perses et ne connaissait plus de Pharaons nationaux. Frappé des richesses qu’il avait trouvées dans Tyr, dues aux seuls trafics des Phéniciens, Alexandre choisit un point de la côte égyptienne pour y fonder une cité rivale de la cité de Melkarth. Il traça l’enceinte d’Alexandrie, ses rues futures se coupant à angles droits, et il ordonna la construction de deux temples, un grec et un égyptien, pour marquer l’union des deux peuples. Chios, Cos et Lesbos, entrèrent dans l’alliance macédonienne. Maître de la moitié de l’empire rêvé, Alexandre voulait une sorte de consécration religieuse. L’oracle de Delphes, corrompu par l’or de Philippe, et compromis, n’eût rien ajouté à son prestige ; l’oracle de l’Ammon égyptien, mystérieux, qui ne s’était lamais prononcé pour un parti dans les querelles grecques, qui tenait sous son influence les nations d’Orient, reçut la visite pieuse d’Alexandre ; le Dieu salua le Conquérant du titre de fils de Jupiter. Cyrène se soumit (331). Ayant donné à l’Égypte deux satrapes égyptiens, comme
administrateurs, avec des chefs macédoniens à la tête de l’armée, Alexandre
revint à Tyr pour y faire célébrer des jeux ; et de là, avec une grande
solennité, il partit à la recherche de Darius. Il traverse La bataille de Gaugamèle et Arbèles eut lieu le Alexandre se voit le maître du monde. Babylone l’attire et le perd. Les prêtres, les magistrats et le peuple, réunis, accourus, les bras chargés d’offrandes, reçoivent le triomphateur, qui s’avance portant au front le diadème de pourpre mêlé de blanc de Darius, suivi d’une cour nombreuse, s’entretient avec les mages, sacrifie au dieux assyriens, ordonne de relever le temple de Bel, ainsi que ceux que Xerxès avait détruits. En quittant Babylone, Alexandre était définitivement asiatisé ; à Suse, pleine de richesses laissées, il put se croire dieu. Une armée nouvelle, formée de 15.000 Macédoniens, Thraces et Hellènes du Péloponnèse, le rejoignit. Sur la route de Suse à Persépolis, Alexandre bat les Uxiens, passe les portes persiques, écrase l’armée d’Ariobarzane, — 340.000 hommes, — et entre dans Persépolis, la plus riche des cités que le soleil éclaire, dit Diodore. Là vivaient, misérables, des Grecs et des Perses exilés, réduits eu esclavage, beaucoup traînant leurs corps meurtris, torturés, mutilés, hideux à voir. Malgré le spectacle lamentable de ces Grecs suppliants, Alexandre ordonna le pillage de Persépolis, se réservant une part énorme du butin : 120.000 talents (630 millions de francs). La nuit qui suivit le sac de Persépolis ne fut qu’une immense orgie de guerriers, parmi les ruines. De ces heures maudites, qui marquèrent la fin du conquérant européen et l’avènement du despote asiatique, il est resté ce trait de la courtisane Thaïs l’entraînant à mettre le feu, de sa main, au palais des rois. De Persépolis, Alexandre se rendit à Pasargades, la ville sainte des Achéménides. Il y respecta
le tombeau de Cyrus, et se dirigea vers Ecbatane, toujours à la poursuite de
Darius. Après avoir congédié les Grecs alliés qui le suivaient, en leur
abandonnant leur part de butin, il franchit en onze jours Un nouveau départ de guerriers Grecs, prouve que les Hellènes supportaient mal le contact des troupes asiatiques. Alexandre, en effet, offrit en vain, pour les retenir, à ceux qui resteraient, le triple de ce qu’il donnait à ceux qui le quittaient. Cette défection des Grecs, renouvelée, coïncidait avec une révolte en Hellénie contre les Macédoniens. Sparte, qui avait plutôt favorisé les ambitions de Philippe, qui s’était abstenue à Chéronée, s’agitait maintenant contre la puissance macédonienne, ou plutôt contre l’ennemi des Perses. Les Scythes du Danube venaient de battre un chef macédonien, les Thraces étaient en insurrection, et Sparte voulait profiter des embarras d’Antipater (331), laissé en Macédoine par Alexandre, pour affranchir l’Hellénie. Les Spartiates, réclamant le concours des Athéniens, mettent le siège devant Mégalopolis. Démosthène, logique, propose de s’allier à Sparte ; le peuple refuse. Antipater pacifie Alexandre, dédaignant ce qui se passait en Occident, en
Europe, dompte les Mardes et les Hyrcaniens (331-330), prend Alexandre se dirige vers les défilés du Paropamisus (Hindou-Kousch) ; fonde deux Alexandries, — dont Candahar (Samarcande) ; envoie soumettre les Ariens révoltés, et entre en Bactriane. Là, dans un pays difficile, il se heurte à une nation. La nature et les hommes, en Bactriane, s’opposent aux progrès jusqu’alors faciles du dominateur. Bessus, qui était roi, a tout détruit ; l’armée ne pourra pas vivre sur le pays. Cependant Aornos, l’imprenable, est prise ; aussi Bactres ; et l’Oxus est passé. Bessus, trouvé parmi les prisonniers, est battu de verges devant l’armée réunie, atrocement mutilé, livré ensuite aux parents de Darius pour qu’ils se vengent. Alexandre n’est plus qu’un monstre. En Sogdiane, Maracanda tombe ; l’Iaxarte est atteint ; un corps de Scythes est battu, — de ces Scythes qui, selon Quinte-Curce, n’ont pas, comme les autres barbares, l’esprit grossier et sans culture, mais possèdent parmi eux des Sages, — Aryens, adorateurs de la lumière, du soleil, sacrificateurs du cheval. — Une nouvelle Alexandrie est fondée (Khojend ?), et le conquérant retourne au sud pour châtier le chef Spitamène, révolté (329). Un an après, Spitamène se révolte de nouveau ; prend Typhon. Alexandre, accouru, s’empare en un seul jour du roc Sogdien ; et ayant trouvé dans la forteresse la fille d’un seigneur perse, la belle plus que toutes Roxane, la prend pour épouse, voulant, par cet exemple, a-t-on dit, montrer combien il désirait l’union des Asiatiques et des Grecs ? Alexandre n’était plus Grec, Roxane était belle, désirable, et comme un vulgaire satrape d’Asie, le fils de Philippe, victorieux, appliquant son droit au butin, prenait Roxane, avec une certaine solennité toutefois, parce que cette union lui valait, à titre de possession régulière, la soumission de la province. Les difficultés augmentaient. Véritable successeur du Roi des rois, Alexandre en subissait l’héritage. Douze villes furent fondées en Sogdiane, pour arrêter la menace des Scythes du nord. Il parcourait lui-même la province, tâchant de la pacifier, lorsque Spitamène, rencontré, le battit. Parmi les Scythes, que le succès de Spitamène devait enhardir, il y avait des Massagètes favorables aux Macédoniens, et qui envoyèrent au « pacificateur » la tête de son ennemi. Alexandre, en effet, semble, maintenant, poursuivre une œuvre de pacification ; il s’arrête, il ne menace plus, il surprend par ses attitudes et ses actes, et devient légendaire : On raconte qu’il a refusé de boire, un jour, avant ses soldats ; qu’il a attaqué un lion ; que sa naissance est divine. Héros mystérieux pour ses soldats, Alexandre, — troublé par ses succès mêmes, préparant une expédition vers l’Inde, — est un grave sujet d’inquiétude pour le reste de la vieille noblesse macédonienne demeurée près de lui, et qui se désaffectionne, quand elle ne se moque pas de son roi, quasi fou. Alexandre a adopté tous les usages perses. Son front est ceint du diadème ; il porte, seul, la tunique blanche, ayant imposé la robe de pourpre aux officiers de sa cour ; une garde de jeunes Perses veille constamment sur sa personne ; des devins et des sophistes, des parasites et des courtisanes encombrent les salles où le Grand Roi se tient. Alexandre est au-dessus des dieux ; il est plus qu’adoré. Le vieux Clitus, un jour, ose montrer à son maître quelle indiscipline, quelles conspirations, quelles traîtrises cachent les flagorneries dont on l’accable ; Alexandre, ivre, tue Clitus d’un coup de lance, ce Clitus qui lui avait sauvé la vie au Granique ! Et Clitus mort, Alexandre s’enferme, pleure, appelle sa victime. Dans une circonstance à peu près semblable, dans un autre accès de folie, Alexandre fit tuer Callisthène, disciple et neveu d’Aristote, rhéteur, semi courtisan, semi satirique, flatteur insupportable et exigeant, parce qu’il avait refusé d’adorer le dieu nouveau, le fils de Jupiter Ammon. Alexandre reçoit de Taxile, roi du pays entre le Haut-Indus et l’Hydaspe, une demande de secours contre un autre prince indien, Porus, qui le menaçait. Alexandre part avec 120.000 hommes de pied et 15.000 chevaux (327). Taxile attendait l’armée macédonienne dans la vallée du Cophen. Perdiccas et Éphestion, en suivant la vallée, arrivent à l’Indus, le second fleuve où l’on trouve des crocodiles avait dit Hérodote. Alexandre était allé réduire les Assicéniens et les Guréens, au nord de Cophen, peut-être pour voir par ses yeux la valeur de ces peuples. Il prend une ville imprenable, où Hercule avait échoué, et sur le mont Mérou, invoquant Bacchus, se donne en spectacle. Revenu, Alexandre franchit l’Indus (326), traverse les états de Taxile, s’étonne des brahmanes austères qu’il rencontre, arrive à l’Hydaspe, où campait Porus, le bat et lui laisse son royaume, pensant, a-t-on dit, que la rivalité de Taxile et de Porus lui conserverait de sa conquête ? Alexandre allait devant lui, sans réflexion, les incohérences de ses actes répondant aux incertitudes de ses pensées. Il fonde deux Alexandries, — Nicée et Bucéphalie, — du nom de son cheval, qu’il a perdu. Devant l’Hyphase rapide et profond, l’armée d’Alexandre, lasse, affaiblie, mal vêtue, énervée, assourdie par les orages, assaillie de pluies diluviennes, effrayée au récit fabuleux des Gangarides et des Prasiens innombrables, naissant de la terre et menant des éléphants par centaines, l’armée refusa d’aller plus loin. Arrien, faisant le récit de cet étrange incident, met dans la bouche d’Alexandre un discours où le conquérant expose son projet, prend les bornes du monde pour son empire, offre tout le pays et tous les trésors qu’il contient à ses soldats, jure de soumettre l’Afrique et l’Asie, d’aller au Gange, qui est peu loin ?... Arrien ajoute, que l’armée resta silencieuse, immobile, et qu’Alexandre se retira ; et que le lendemain, renonçant aux promesses, il essaya de l’intimidation, accusant ses soldats, leur disant : Partez, allez annoncer aux Grecs que vous avez abandonné votre prince ! Nouveau silence de l’armée. Alexandre, enfin, reconnaît que les auspices sont défavorables, et il ordonne la retraite. En suivant le cours de l’Hydaspe, de l’Acésine et de l’Indus (326-325), Alexandre soumet les peuples riverains, sauf les Malliens et les Oxydraques, qui résistent. A l’attaque infructueuse d’un point fortifié par les Malliens, blessé d’un coup de flèche, Alexandre s’évanouit. Pendant que la flotte, conduite par Néarque, explore les
côtes méridionales de l’Asie, de l’Indus au Tigre, l’armée de terre (325), traverse le
pays des Arabites et des Horites, fonde une Alexandrie à Rambacia, pénètre
dans le désert de A Pasargades, Alexandre fait réparer le tombeau de Cyrus, puis se rend à Suse, par Persépolis. A Suse, de cruelles punitions châtient les satrapes qui, pendant l’absence du maître, ont commis des exactions. L’un d’eux, Harpalos, s’enfuit à Babylone avec 6.000 mercenaires résolus, ayant emporté le trésor (5.000 talents). Beaucoup de Grecs revenaient au roi de Macédoine à mesure qu’il se rapprochait. Alexandre, par défiance sans doute, hésitant à les enrôler, fondait des colonies où il les parquait, surtout en Perside. A ce moment, il épousait Barsine, la fille aînée de Darius. Le zèle avec lequel il favorisait les mariages entre ses officiers et les femmes persiques, encourageant les soldats à suivre l’exemple de leurs chefs, faisant des cadeaux appréciables à ceux qui se mariaient ainsi, prouve le renoncement d’Alexandre à la civilisation hellénique. Sur son ordre, les satrapes lui envoient 30.000 jeunes gens, — les Épigones, — qui seront la garde personnelle, toute asiatique, du Roi des rois. Les Macédoniens restés auprès d’Alexandre, certains maintenant qu’ils ne reverront plus leur pays, persuadés que leur maître a succédé à Darius beaucoup plus qu’à Philippe, se révoltent en protestant contre la formation du corps des épigones. Alexandre fit supplicier treize des principaux révoltés, disant à ceux qui voulaient partir : Allez dire aux Grecs qu’Alexandre abandonné par vous, s’est remis à la foi des Barbares qu’il avait vaincus. Trois jours après l’émeute, les commandements de l’armée étaient confiés à des Perses. Les Macédoniens se seraient soumis et Alexandre aurait fêté la réconciliation par un banquet de 9.000 convives ? Dix mille Grecs, licenciés et payés, partirent sous la conduite de Cratère, expressément désigné. Ce sont ces Grecs qui racontèrent les merveilles de la fin d’Alexandre, amplifiant beaucoup, imaginant davantage, fiers en somme d’avoir été les soldats d’un tel conquérant, se plaisant à justifier leur zèle, si longtemps aveugle, par l’incontestable supériorité de leur maître. Ils dirent que les funérailles d’Éphestion avaient coûté 52 millions à Alexandre ? Roi des rois, à la tête de son armée persique, Alexandre fit une courte expédition contre les montagnards Cosséens. Tous les prisonniers furent sacrifiés au dieu nouveau. L’entrée d’Alexandre à Babylone eut l’ampleur d’une apothéose. Il reçut des ambassades de Brutiens, de Lucaniens et d’Étrusques, venus d’Italie ; de Carthaginois, d’Éthiopiens et de Libyens, venus d’Afrique ; de Scythes, de Celtes et d’Ibères, venus d’Europe ; et l’existence de ces peuples, qu’ils ignoraient, surprit les Macédoniens. Comme s’il avait été dans sa capitale définitive,
Alexandre exécuta de très grands travaux à Babylone : Un port pour recevoir
mille navires construits en Phénicie ; l’enlèvement de barrages qui
obstruaient le cours du Tigre ; une réglementation des eaux de l’Euphrate,
exigeant l’emploi de dix mille travailleurs. Mais le Roi des rois, entouré de
prêtres Chaldéens, subissant le sort de tous ceux qui avaient régné en
Assyrie, livré (325-323) aux intrigues
savantes des sacerdotes, perdu dans son omnipotence, malade assurément,
s’achevant en ses propres excès, dans son harem, à sa table, partout,
Alexandre mourut, d’une fièvre violente, le Des Grecs étaient venus, quelques semaines avant sa mort, le reconnaître comme dieu et l’adorer. L’imagination hellénique se chargea de transmettre au monde la légende macédonienne. Cornélius Nepos écrira : En Macédoine, deux rois ont effacé tous les autres par la grandeur et l’éclat de leurs entreprises : Philippe, fils d’Amyntas, et Alexandre le Grand. Arrien, de Nicomédie, continuera le roman. Et l’histoire d’Alexandre, écrite ou racontée, obscurcie de merveilles, fabuleuse, va devenir le bréviaire des Romains. |