Rome (de 754 à 63 av. J.-C.)

 

CHAPITRE VII

 

 

DE 448 A 376 Av. J.-C. - Valerius et Horatius traitent avec le peuple révolté. - Vengeances. - Èques et Sabins défaits. - Défense du patriciat. - Les censeurs. - Invasion repoussée des Volsques. - Mort de Spurius Mœlius. - Cincinnatus, dictateur. - L’armée. - Tribuns et plébéiens. - Assassinat de Posthumius. - Victoires de Rome. - Camille. - Invasion des Gaulois. - Destruction de la Rome antique. - Intervention des prêtres. - Rome rebâtie. - Réformes militaires. - Le Latium pacifié.

 

DÈS que l’abdication des décemvirs fut connue, deux sénateurs, Valerius et Horatius, se rendirent au mont Sacré et promirent aux révoltés le maintien du droit d’appel au peuple, le rétablissement du tribunat, l’oubli de tous les crimes commis, l’amnistie. Le grand pontife tint les comices pour l’élection des tribuns ; le peuple nomma Valerius et Horatius consuls, et aussitôt, les promesses faites furent sanctionnées par des lois : Aucun jugement ne sera soustrait au droit d’appel ; les décisions du peuple, — plébiscites, — seront définitives ; aucune poursuite ne sera exercée contre un tribun ; les lois seront conservées sur l’Aventin, dans le temple de Cérès, confiées à la garde des édiles, magistrature plébéienne ; le magistrat qui ne convoquera pas les comices au temps voulu pour l’élection des tribuns, sera fouetté de verges et frappé de mort par la hache.

Il ne restait au peuple qu’à venger ceux que les décemvirs avaient bravés. Virginius accusa les décemvirs du meurtre de sa fille ; le plus coupable, Appius, se suicida dans sa prison. Oppius, également, se donna la mort. Les autres s’exilèrent. Tous les biens des décemvirs furent confisqués.

Tranquillisée, Rome revenait aux préoccupations de sa sécurité extérieure. Les deux consuls, Valerius et Horatius, reprirent les opérations contre les Èques et les Sabins. Horatius remporta sur ces derniers une éclatante victoire (448). Les Èques, à leur tour, furent battus, mais moins que les Sabins. Le Sénat, comme s’il voulait donner une preuve de son autorité, et pensant que ces succès si rapides, si on les célébrait, augmenteraient encore la popularité des consuls, les discuta, et finalement refusa le triomphe. Le peuple, intervenant, accorda par un vote ce que les sénateurs venaient de refuser aux vainqueurs. Cette humiliation imposée au Sénat enhardit les tribuns qui, par des lois nouvelles, enlevèrent aux patriciens le tribunat, la connaissance des crimes, la garde du trésor, l’administration exclusive de l’État (448-447).

Les tribuns préparaient d’autres lois qui devaient livrer au peuple le droit de décider de la guerre et de la paix ; permettre les mariages entre plébéiens et patriciens ; partager le consulat, jusqu’alors réservé aux Grands par l’usage, entre la plèbe et l’aristocratie. Le Sénat s’émeut, s’indigne, proteste. Le peuple se soulève, se retire en masse sur le Janicule, comme il s’était retiré jadis sur l’Aventin, et le Sénat se soumet, acceptant tout.

Le patriciat, décidément trop amoindri, encore menacé, prépare sa défense (444). Il essaiera, par ses concessions mêmes, de ressaisir son pouvoir. S’il n’est plus possible de lutter contre les tribuns maîtres du peuple, peut-être qu’en abusant de leur inexpérience, de leur joie, de leurs prétentions, on les compromettra. Le Sénat, donc, accorde que les questeurs du trésor seront choisis dans les deux ordres, se réservant de ne désigner, en fait, que des patriciens, et il n’abandonne le consulat qu’après avoir démembré les attributions dès consuls. En effet, une magistrature nouvelle fut créée : Deux censeurs reçurent une partie des attributions consulaires. Les innovations plaisaient au peuple, curieux ; il acceptait que l’on essayât de nouveaux fonctionnaires ; par la création de fonctions nouvelles, le Sénat s’assurait toujours un certain temps de repos, favorable aux intrigues, aux combinaisons.

La distribution des charges enlevées aux consuls, et notamment les fonctions militaires, l’exercice de la justice civile, le droit de présider les comices et le Sénat, la garde exclusive de la cité et des lois, fut extrêmement délicate. Sous le nom de tribuns militaires, titre absolument plébéien, plusieurs généraux reçurent une part d’autorité ; il en résulta une Rome guerrière en face de la Rome plébéienne, et deux sortes de tribuns. Le Sénat divisait ainsi les Romains, pour les mieux reprendre.

Une invasion soudaine des Volsques (444) donna tout de suite une grande importance à l’organisation guerrière ébauchée. Quinctius, envoyé, détruisit l’ennemi et se fortifia à Verrago. Satisfait, le Sénat reprit son travail, tâchant d’écarter les plébéiens du consulat. Après des alternatives diverses, comme en un jeu, l’antagonisme entre la plèbe et le Sénat divisa nettement Rome en deux partis irréconciliables. Il y eut, désormais, trois classes : les patriciens, les soldats, les plébéiens.

Un chevalier, Spurius Mœlius, très riche et très ambitieux, qui venait de distribuer de larges aumônes, de secourir des quantités de misérables affamés, inquiétait les sénateurs. Le vieux Cincinnatus, nommé dictateur, appelle Spurius Mœlius, qui, refusant de comparaître, se rend au forum suivi d’une foule. Le Sénat envoie au forum le maître de la cavalerie, Ahala, qui s’approche de Spurius, lui reproche sa désobéissance, et au nom de la loi violée, le tue. Cincinnatus, approuvant le meurtre, ordonna l’application complète de la loi ; la maison de Spurius fut rasée. Le peuple, terrorisé, ne dit rien.

Les Véiens et les Volsques menaçaient toujours Rome. Les Fidénates (436), après avoir chassé les colons romains, réclamaient la protection des Véiens. Tolumnius, leur roi, attaqué par Cornélius Cossus, trouva la mort dans un combat décisif. Véies obtint une trêve de trente années (424) ; les Volsques, battus à leur tour, eurent une trêve dé huit ans.

Ces victoires disciplinaient les légions, leur donnaient le sentiment de leur importance, faisaient cette Rome ambulante que le Sénat désirait, pour l’opposer à la Rome ingouvernable du forum. Le peuple, naturellement porté, par jalousie basse, à contrecarrer toute puissance nouvelle, servait aveuglément les intentions du Sénat. Pendant la guerre contre les Èques, les consuls vaincus ayant refusé d’exécuter l’ordre qui leur avait été donné de désigner un dictateur (428), ce furent les tribuns du peuple qui intervinrent eux-mêmes pour rappeler les consuls au respect du Sénat.

Bientôt, les tribuns eux-mêmes se défièrent des plébéiens. Cette masse ignorante, stupide, capable de tous les excès, fière de ses triomphes successifs, et qui avait toujours suivi ses meneurs, exécuté leurs ordres, conservait, au fond, un respect quasi religieux pour ceux qu’il supplantait, le sentiment de la supériorité des aristocrates. C’est ainsi qu’absolument libre de ses choix dans les élections, la plèbe désignait ordinairement des patriciens. Les tribuns pensèrent qu’au moment solennel du vote, le peuple se laissait prendre à la pompe traditionnelle des comices, où la robe blanche des candidats patriciens les faisait distinguer, et il fut interdit aux candidats de revêtir la robe blanche.

Il fallait maintenant imaginer une revendication nouvelle, susceptible de rendre aux plébéiens cette ardeur belliqueuse, ce plaisir de la lutte, sans lesquels l’armée révolutionnaire, visiblement, se débandait. Les tribuns songeaient toujours à la loi qui devait livrer au peuple le droit de guerre et de paix ; mais n’osant pas réclamer ce droit nettement, ils s’opposèrent aux levées que le Sénat venait d’ordonner (427) pour continuer la guerre aux Véiens. Par ce moyen, la question de décider de la guerre se trouvait soumise aux comices centuriates.

Cette démonstration, trop habile, ne dut pas être comprise, car les tribuns l’abandonnèrent et reprirent, sans succès d’ailleurs, la réclamation de la loi agraire (427-420). Ils obtinrent que des plébéiens pourraient être nommés questeurs, et que les censeurs pourraient compléter le Sénat en choisissant des sénateurs dans tous les ordres. Les patriciens, très docilement, se soumettant aux vœux des tribuns, manœuvraient de telle sorte, qu’en s’humiliant ils ne faisaient, en réalité, que des apparences de concessions. La possibilité de désigner des plébéiens pour remplir les fonctions de questeurs, ou de les élever à la dignité de sénateurs, étant le contraire d’une obligation, laissait aux patriciens le droit de choisir. Les tribuns, inintelligents ou mal suivis, s’usaient en de vaines tentatives, concevant plutôt des taquineries que des revendications. La plus extrême méfiance régnait au forum ; la plèbe surveillait ses tribuns ; les tribuns n’osaient pas s’appuyer sur la plèbe.

L’activité révolutionnaire, l’esprit de brigandage, l’excès des prétentions, se manifestaient plutôt, maintenant, hors de la cité, parmi les légionnaires. Les tribuns du peuple ayant demandé que désormais les conquêtes bénéficiassent aux pauvres, et 3.000 arpents de terres de Labicum ayant été distribués à 1.500 familles plébéiennes (420-414), une distribution de terres de Bola fut réclamée (414) ; le tribun militaire Posthumius s’opposa à la demande, et on l’assassina dans une émeute au camp. Cet incident épouvantant les Romains, le Sénat ressaisit toute son influence, nomma des consuls de son choix pendant cinq années.

De grandes actions militaires au dehors, soutiennent Rome qui, dans ses murs, se débat et s’amoindrit en d’interminables querelles. Par la prise d’Anxur (406), la République retrouve les frontières de la Rome royale. Le Sénat décrète que l’infanterie recevra désormais une solde prélevée sur le trésor public. Le légionnaire sera comme un Romain exerçant un métier ; il recevra un salaire. L’armée permanente, constituée, assumera la responsabilité de la vie romaine matérielle. Les champs seront abandonnés, les trafics ne se développeront pas, l’usure elle-même ne suffira plus à l’enrichissement des capitalistes, et Rome reviendra à ses origines : la guerre doit la nourrir et l’enrichir, indéfiniment.

La trêve de Véies est finie (405) ; deux armées romaines sont devant la ville, que l’on réduira en l’affamant. Les Étrusques, appelés par les Véiens, ne répondent pas à leur appel. Les légionnaires ont accepté leur mission ; pour la première fois, l’hiver venu ne suspend pas l’ouvre guerrière. A Rome, quelques insuccès ont réveillé la plèbe. Aux élections (400), quatre plébéiens arrivent au Tribunat consulaire. Troublé, le Sénat profite d’un soulèvement en Étrurie pour nommer Furius Camillus dictateur.

Camille arme tous les citoyens, part, arrête des secours destinés aux Véiens et active le siège de la ville (400-395). Le choix du Sénat avait été heureux. Le dictateur devint légendaire. On racontait qu’à sa voix, et pour lui préparer de sûres victoires, des lacs débordaient, des canaux se creusaient d’eux-mêmes, des prodiges favorables aux armées romaines éclataient. Véies tombée, ses défenseurs furent massacrés ou vendus, tous (395). A la nouvelle du désastre de Véies, Falérie demande la paix et le pardon. Une victoire remportée à Sutrium reculait la frontière du Nord jusqu’à la sombre et impraticable forêt ciminienne.

Ne doutant plus de leur force, les légions osent franchir la forêt, attaquent et battent les Vulsiniens, et ils ne leur accordent une trêve de trente années qu’à la condition de payer aux légionnaires la valeur d’une année de solde (390). L’armée romaine n’est déjà plus seulement un groupement d’ouvriers occupés aux travaux de Mars ; ses chefs traitent de la victoire comme d’une affaire. La guerre doit rapporter. Victorieux et résolument offensifs, exerçant, pour en bénéficier, un brigandage glorieux, les Romains sont au milieu des Volsques. La République s’annexe tout ce qu’elle prend.

Très populaire, et glorifié avec raison, Camille va se perdre dans son triomphe. Il ne voit pas qu’il excite la jalousie du Sénat ; il ne comprend pas plus l’idée romaine que la politique sénatoriale, et naïvement, comme l’eût fait un Grec, un Aryen, il croit que les services qu’il a rendus lui assurent la gratitude des sénateurs, la reconnaissance du peuple. Camille a fait le vœu de consacrer à l’Apollon pythien la dîme du butin de Véies ? Qu’est-ce que cet entrepreneur de guerres qui dispose de ses bénéfices en faveur d’une divinité ? Qu’est-ce que ce général victorieux qui ose se montrer au peuple si supérieur, qui attente à la majesté du Sénat ?

Les tribuns, à ce moment, prétendant affirmer la conquête romaine, et voulant surtout agrandir Rome aux dépens de Rome, — où l’omnipotence du patriciat leur paraissait inattaquable, — proposaient de transporter à Véies une partie du peuple romain et du Sénat, idée géniale, qui tendait à donner à la civilisation romaine un meilleur centre d’action. Camille, honnêtement, correctement respectueux des lois, soumis au Sénat malgré tout, s’oppose au vœu des tribuns. Les sénateurs trouvèrent l’occasion excellente de perdre Camille, en le livrant à la colère des tribuns, au peuple ameuté. On l’accusa de concussions ! Devant ses juges, Camille ne vit pas un seul de ses clients qui osât le défendre. Condamné, ses clients offrirent cependant de payer l’amende pour lui. Camille refusa ce secours méprisant, et il quitta Rome, maudissant la cité (390).

Privée de Camille, Rome ne tarda pas à frémir sous le poids de la malédiction légendaire. La nation gauloise, si fatale aux Romains, arrivait du nord, bruyante, formidable, vengeresse.

Vers l’an 600, des hordes gauloises, — Celtes de la Gaule, — passaient le Rhin, allaient au Danube, dont ils suivaient la vallée, et s’installaient sur les deux rives du fleuve, au nord de la Macédoine. Pendant trois siècles (600-300), ils avaient vécu là, ne laissant aucun témoignage précis de leur existence. L’histoire ne les retrouve qu’au moment où les Arcadiens (369), appellent les Thébains à leur secours, contre Athènes et Sparte alliées. Épaminondas, répondant à cet appel, franchit l’isthme de Corinthe, prend Sicyone et Pellène, et, battu, se retire, parce qu’il vient d’apprendre que Denys de Syracuse envoie des mercenaires gaulois.

A l’époque (600) où l’exode celtique, de la Gaule vers l’est, s’accomplissait, de nombreux Gaulois vivaient déjà au nord et vers le centre de la péninsule italique, comme arrêtés par les Apennins, qu’ils n’osaient pas franchir. Après le départ de Camille (390), immédiatement, des Gaulois, les Serions, au nombre de 30.000, survenus, demandèrent un territoire aux Clusins. Ceux-ci, effrayés, réclament le secours de Rome, et le Sénat envoie trois Fabius, plutôt ambassadeurs que généraux. L’un des Fabius rencontre un chef gaulois et le tue. Le collège des féciaux, à Rome, instruit, insiste pour que l’on accorde aux Gaulois la satisfaction qui leur est due et qu’ils exigent. Mais il suffisait maintenant que l’on fit une proposition quelconque au forum, pour qu’aussitôt on y opposât un avis contraire, soutenu par une fiction. Les clients des Fabius, — la gens Fabia, — l’emportèrent sur les féciaux. Toute satisfaction fut refusée aux Gaulois. Les Serions marchèrent sur Rome.

Lorsque près de l’Allia, à une demi-journée de marche de la cité, les Romains virent la masse des Celtes Serions, entendirent l’armée hurlante de la Gaule chevelue, l’épouvante dispersa les légionnaires ; et sans combattre (16 juillet 390), poursuivant les fuyards jusqu’au Tibre, le Gaulois farouche entra dans la cité de Romulus.

Une partie de l’armée romaine s’était réfugiée dans l’enceinte de Véies ; une autre, intacte, ayant exécuté sa retraite régulièrement, repliée sur Rome, occupait la citadelle du Capitolin, où vinrent s’enfermer les prêtres, les magistrats, le Sénat, mille jeunes patriciens. Les vestales avaient emporté les objets sacrés à Cœre. Étonnés de leur succès, décontenancés par la facilité même de leur conquête, les Gaulois ne pénétrèrent réellement dans Rome que le surlendemain de leur victoire. Ils parcouraient la ville désertée, ainsi que des enfants jetés devant un spectacle inattendu, tantôt effrayés à la vue d’un Romain demeuré dans la ville, marchant comme une ombre et tantôt insolents, sans le vouloir, par une question ou par un geste, envers un vaincu rencontré. Vraie ou fausse, l’anecdote par laquelle les annales expliquent l’incendie de Rome est caractéristique : Un Gaulois, en passant, touche la barbe de Papirius ; celui-ci, outragé, frappe le Gaulois de son bâton d’ivoire ; le Gaulois tue Papirius ; et ce meurtre devient le signal du pillage, de l’incendie, de la destruction totale de la cité.

Cependant, le feu n’ayant pas atteint le Capitole, les Gaulois l’attaquent et sont repoussés. Bloquant la forteresse, les incendiaires campent pendant sept mois sur les ruines. Un automne pluvieux rend intenable leur situation ; la famine et les maladies les déciment ; ils se répandent, en bandes affamées, aux environs de Rome, qu’ils ravagent, et vont assez loin pour que les Latins et les Étrusques s’en inquiètent. Ce n’est plus seulement de Rome qu’il s’agit, mais du Latium et de l’Étrurie, que ces barbares menacent ; c’est la péninsule italique tout entière que les envahisseurs paraissent convoiter.

Camille revient, patriote généreux, s’offrant. Ardée, l’ancienne ville des Rutules, dans le Latium, donne à Camille ses premiers soldats. Un groupe de Gaulois aventurés dans la campagne, surpris, est impitoyablement massacré. Les Romains réfugiés à Véies reconnaissent Camille comme dictateur. Plus tard, les annalistes diront que les Romains de Véies s’inquiétèrent de l’illégalité de leur décision, Camille, condamné, exilé, n’étant plus citoyen, ne pouvant être investi d’aucune fonction, et que Camille lui-même ne se crut pas en droit de sauver Rome ; qu’un plébéien, — Cominius, — trompant la surveillance des Gaulois bloquant le Capitole, traversa le Tibre à la nage, pénétra dans la forteresse, et rapporta à Camille le décret du Sénat qui, l’absolvant, lui rendait son titre de citoyen. Les Gaulois ayant reconnu, aux pas marqués de Cominius, le passage unique par lequel on pouvait atteindre au Capitole, en tentèrent l’assaut pendant la nuit, et ils auraient réussi, dit encore la légende, si Manlius, averti par les cris des oies de Junon, effrayées, n’avait eu le temps de repousser les barbares.

Rappelé au nord par une attaque des Vénètes, le Brenn, ou chef gaulois, traita de la rançon de Rome. Sulpicius consentit à payer mille livres d’or, — 326 kilogrammes et 340 grammes, — à fournir les vivres et les moyens de transport indispensables à la retraite. Les historiens romains, en imitation des historiens grecs, s’appliquèrent, plus tard, à dramatiser de récits émouvants, de scènes sauvages, de manifestations singulières, l’invasion des Celtes Serions. Le Brenn, au moment de peser l’or de la rançon, mettant de faux poids dans la balance, et rappelé à l’exécution loyale de l’accord intervenu, aurait jeté dans le plateau sa lourde épée et son bouclier, s’écriant : Malheur aux vaincus !

Les barbares partis, Camille déclare qu’il n’exécutera pas le traité de Sulpicius, ordonne aux villes alliées de fermer leurs portes, de tout refuser aux Gaulois en retraite ; de ne pas les combattre, mais de les harceler, de les attaquer isolément, par groupes, en leur refusant toujours la bataille. Le Latium se souleva.

Camille soutenait les courages, obligeait à l’obéissance. Des légions étaient déjà réorganisées. Les Cœrètes, conduits par Camille, se distinguaient par des marches habiles, des combats où l’on massacrait impitoyablement les Gaulois battus, jusqu’au dernier. A lire les narrations, évidemment exagérées, de cette poursuite, de la délivrance miraculeuse de Rome, les envahisseurs repoussés auraient été au nombre de 70.000 ? Après la retraite des destructeurs de la Rome antique, on constata qu’une grande quantité de Celtes étaient restés aux environs de la cité ; que d’autres, en nombre, s’étaient répandus au sud, jusqu’en Apulie.

Rome délivrée, la proposition fut renouvelée de transporter à Véies, — la ville à l’enceinte épaisse, et la magistrature et le Sénat romains. Camille, encore, et pour les mêmes raisons, appuyé des sénateurs, s’opposa à l’adoption du vœu. Mais, cette fois, un mouvement irrésistible menaçait d’entraîner le peuple hors de Rome, lorsqu’un présage ordonna aux Romains de rebâtir sur son ancien emplacement la ville ruinée.

Cette intervention des prêtres obéissant aux ordres de l’aristocratie, servant les intérêts des patriciens, coïncide avec une poussée de superstitions. Les augures étrusques exerçaient leur ministère avec ardeur ; les miracles se succédaient ; la science augurale se professait partout ; la religion d’État se manifestait comme moyen de gouvernement.

Il eût suffi d’un pontife ambitieux et intelligent, pour imposer alors à Rome la domination d’un sacerdoce. Les devins et les officiants de l’Étrurie n’étaient pas capables d’un tel effort ; ils ne laissèrent chez les Romains qu’une série de pratiques superstitieuses. On interrogeait, pour connaître la volonté des dieux : le vol et le chant des oiseaux ; les vacillations de la flamme sur le bûcher des sacrifices ; les cris, le mugissement, l’agonie des victimes sacrifiées, et la couleur et la forme de leurs entrailles, arrachées et étalées, et la grosseur de leur foie ; l’appétit des poulets sacrés. Chacun pouvait être l’instrument de la dictée divine ; tous s’écoutaient, s’étudiaient, interprétant les rêves, les tristesses subites, un faux pas fait en marchant, un seuil de maison heurté du pied, etc. Les futurs maîtres du monde se préoccupaient, jusqu’à ne plus vivre, du passage d’une corneille...

Un an après l’incendie, Rome étant suffisamment reconstruite, pour la repeupler, le droit de cité fut accordé aux habitants de Véies, de Capène et de Falérie, quatre tribus nouvelles, sur un total de vingt-cinq. Les ennemis étaient les Volsques, les Èques, une partie des Latins et les Étrusques de Tarquinies. Camille, second fondateur de Rome, répondant de tout, venait de réformer l’organisation militaire. Les soldats, armés de longues piques, portaient un casque d’airain ; leurs boucliers, cerclés de fer, résistaient aux armes mal trempées des barbares ; à l’ancienne phalange se substituait la division en manipules.

Camille consacra ces réformes en battant les Tarquiniens, ce qui pacifia le pays compris entre la forêt ciminienne et le Tibre. Les Prénestins, très audacieux, vinrent menacer Rome jusqu’à ses portes ; mais battus, ils durent implorer la paix (379). Les Antiates éprouvèrent, à leur tour, la force de la réorganisation romaine (376). Le Latium était pacifié, non soumis.