Marche rétrograde des Aryens. - Philippe et Alexandre. -
Athènes et Rome. - La péninsule italique. - La mer et les îles. - Italiotes
et émigrants. - EN refusant à Philippe de Macédoine la gloire de diriger les destinées des Grecs, Démosthène a donné le coup de mort à l’Hellénie, cette Grèce restreinte, amoindrie, incapable désormais de continuer la marche de l’exode aryen vers l’Occident. Le successeur de Philippe, Alexandre, rétrogradera vers l’Asie, avec ses Macédoniens. Rome, que rien ne gêne, sans traditions, libre, ignorante, innovera le brigandage organisé. Ni les hymnes védiques, ni les préceptes de Zoroastre, ni la noblesse des premiers Perses, ni l’humanité des vieux Égyptiens, ni le catholicisme des vrais Grecs ne prévaudront. Refoulés vers l’Orient, c’est-à-dire vers leurs origines, les Aryens laisseront l’Europe à l’exploitation grossière des races qui en détenaient le nord, Finnois et Scandinaves, chasseurs et pêcheurs, parés d’ambre et de dents d’animaux, pillards et gloutons, qui s’illustrèrent en détruisant Troie et qui fondèrent Sparte. Rome questionnera trop tard les Athéniens, et la lie de Romulus, dont parle Cicéron, dominera le monde. Les fondateurs d’Athènes, bâtissant leur cité, s’étaient laissé prendre à la séduction du décor, à la grâce du site ; les fondateurs de Rome, stupides, choisirent, pour s’y installer, l’aire la moins favorable de toute la péninsule italique. Les fils de la louve firent leur tanière aux bords du Tibre, sans réflexion, comme les premiers Athéniens avaient fait leur nid au grand air, devant les flots bleus, d’instinct ; ne se souciant de l’avenir ni les uns ni les autres, également incapables de vivre sur leur propre territoire. Athènes, trop ouverte aux émigrants, devait finir dans la confusion ; Rome, trop fermée, devait s’exaspérer, étouffer dans ses limites. Ces deux commencements excluent toute communauté de race possible. Athènes fut une cité ; Rome, un camp. Le «pont» jeté sur le Tibre, unique voie par laquelle les premiers Romains communiquaient avec les autres Italiotes, fut fait de bois, ainsi qu’un pont-levis de forteresse, toujours prêt à être rompu. Athènes, imprudente et généreuse, rayonne et perd la chaleur de son foyer central ; Rome, avide, avare, absorbe tout en elle, et se consume jusqu’à la mort dans son propre creuset. Des Alpes au détroit de Messine, de la mer toscane aux côtes orageuses de la mer Adriatique, la
péninsule n’est qu’une succession de murs séparatifs, enchevêtrés. Les
Apennins, d’une hauteur moyenne de mille mètres, — sauf le mont Velino et le
mont Corno, plus élevés, — coupent le pays de vallées profondes ;
distribuant, pourrait-on dire, par les caprices de leur ossature, toutes
sortes de climats, séparant les peuples par vallées. Des fleuves innavigables
et des lacs insignifiants ; une mer difficile en Adriatique ; tourmentée de
cyclones vers le golfe du Lion, devant Gênes ; méchante
sur les côtes de Au nord, l’Italie alpestre, fière de ses vignes et de ses mûriers, de ses pâturages, que coupent des plaques de roches nues, que dominent des monts chargés de glaces éblouissantes, sites effroyables et tentateurs, d’apparence fertiles, où ne vivent, misérables, que des populations constamment trompées. Le fleuve indomptable, le Pô travailleur, avec ses trente affluents, jadis navigable, maintenant divisé en lacs successifs, presque fermés, ne reprenant ses eaux que pour devenir capricieux et menaçant, indisciplinable, dévastateur, ravageant les terres qu’il a lui-même apportées et dont il change continuellement les superficies, exhaussant ses berges, élevant son lit, reculant la mer. A l’ouest, le Piémont, aux plaines surgissantes, conservant
dans ses lacs les preuves de leur communication avec la mer, de ses fjords
antiques. A l’est, les Alpes vénitiennes, dont les lacs anciens ont disparu,
dont les lacs actuels sont des réservoirs, et qui menacent Vers l’Adriatique, les lagunes désolées, où chantent les pins gémissants, où survivent des
chênes, des aubépines et des genévriers ; des îles disparues ; des forêts détruites,
remplacées par des roseaux. Venise et Ravenne s’enfonçant dans l’intérieur
des terres et s’éloignant de plus en plus de la mer. Et comme contraste, à l’ouest
de cette Italie supérieure, sorte de Hollande toujours inondée, Au sud extrême de la péninsule, la chaîne transversale des
Apennins, les monts Samnites, dont les pentes douces vont disparaître sous
les tables argileuses (tavoliere), déposées en Pouille par la mer ;
territoire désolé où les fenouils sauvages envahissent les prés verdoyants.
Le mont Gargano, formant l’éperon de la botte,
avec ses hêtres, ses pins, ses caroubiers et ses arbousiers, paradis des
abeilles. Les Apennins de Naples, que terminent l’ancien volcan du mont
Vultur, aux vals boisés, pays de la résine,
finissant à l’Aspromonte ; la terre de labour,
ou Napolitain, si tourmentée ; En Italie centrale, de l’Arno au Tibre, les Apennins toscans, ou monts de l’Étrurie, ou Alpes étrusques, blanches de neiges et de marbres, protégeant, avec des collines arrondies, une plaine grise, terne, argileuse, semée de marnes et de poudingues. Au sud, le plateau inégal de l’Étrurie méridionale, encombré de roches, mouillé d’eaux capricieuses, surgissantes et ;disparaissantes, ébranlé de feux souterrains, tiédi d’eaux minérales, « lieu maudit » dont Dante a parlé. L’Apennin du centre, nœud orographique de la péninsule,
avec ses vallées parallèles à l’Adriatique, — sauf l’éperon d’Ancône,
exceptionnel — et dont les pentes s’abaissent, faciles, vers Sans voies intérieures praticables, ni fluviales ni terrestres, les Italiotes avaient la nier : la mer de Toscane et la mer Ionienne, accessibles, avec des golfes vastes et des ports naturels ; eaux difficiles, traîtresses, et, simplement posées sur les flots bleus en repos, des îles charmantes, tranquillisantes. Les côtes de l’Adriatique, au contraire, plates, unies, sans criques, sans abris, sauf au fond, au nord, à Venise, où croyaient pouvoir se réfugier les marins, pirates ou marchands. La péninsule si diverse, inexplicable, pleine de séductions
et de terreurs, inhospitalière et attirante, énorme tentacule de pieuvre s’étendant
sur Parmi toutes les séductions de la nature italique, le mensonge du Tibre paraît avoir été celui qui a le plus trompé. Tous les fleuves de la péninsule étant impraticables, terribles au printemps, sans eau en été, le Tibre seul s’offrait au navigateur comme une porte constamment ouverte, toujours accessible. Aux bouches du Tibre se trouvent les plus anciens témoignages de la vie humaine : des silex travaillés et des vases de terre où sont tracés les dessins de maisons préhistoriques. L’histoire, vaguement, mais avec de suffisantes indications toutefois, signale sur les bords du Tibre et en Sardaigne, au temps de l’Égyptien Ramsès III (1288-1110), l’arrivée d’hommes blancs, venus par la mer. On a reconnu jusqu’à vingt-trois cités à la base des monts Lépini, où s’étendent maintenant les Marais Pontins. Le Tibre, remonté, conduisit les premiers Romains à l’emplacement
détestable où la charrue de Romulus traça le premier sillon de campement. La tanière des fils de la louve n’était pas sûre. Le fleuve d’apparence
si bien placé, entre les Latins, les Sabins et les Étrusques, était au
contraire une voie dangereuse ; et Rome, un détestable entrepôt, entre les
Apennins longtemps infranchissables et une mer difficile. Ce nid de pirates,
suffisant pour un groupe d’aventuriers, n’avait pas d’avenir normal. Rome
devait fatalement dépendre, un jour, des peuples tenant la plaine Padane au
nord et A Rome, les premiers fermiers, chaque soir chassés par la malaria, devaient revenir aux collines où l’entassement se produisait. Et contre ce fléau, rien à frire, car le germe du mal était dans la profondeur du sol, nulle force humaine n’étant capable de supprimer les pluies, d’arrêter les infiltrations du fleuve. Sans port, sans banlieue, entourée de miasmes mortels, Rome, enfermée, bloquée, devra construire de longues routes pour mettre ce qu’elle exploitera à sa portée. L’erreur vint sans doute de l’admirable tableau dont
furent frappés les yeux des premiers arrivants : L’hémicycle des monts
fermant la plaine ; la sérénité du Tibre, dont le regard suit les eaux calmes
longtemps, — jusqu’à la porte triomphale
d’où vient le fleuve, et qu’il semble qu’on peut fermer d’un geste ; — les
deux hautes cimes pyramidales de Soracte et du mont Gennaro, vigies
admirables ; le massif avancé des hauteurs de La première Rome fut sur le mont Palatin, protégée par les escarpements de la roche et les eaux da Vélabre, étalées en marécages. Tarquin, l’Étrusque, assèchera le marais en construisant des égouts qui seront des chefs-d’œuvre, et la ville naissante, peu à peu, descendra, en se ramifiant dans les ravins. Bientôt, les pentes descendues seront de nouveau gravies, parce que les habitants de la cité faite, agrandie, se diviseront, et qu’il faudra se protéger. Il y aura, en face des Romains palatins, campés sur leur hauteur, les Romains du Quirinal. La ville palatine, fortifiée, prendra la dénomination des sept collines — ou sept monts — et ses citoyens seront les montani. C’est sur le Palatin que sera creusée la cave de l’équipement, ce premier arsenal de
Rome ; c’est aussi là que tout citoyen, symbolisant son droit, et s’engageant
à le soutenir, apportera la motte de terre
; c’est là que se déposeront les reliques : le chaume de la maison de
Romulus, la cabane de son père
adoptif, le figuier sacré sous lequel naquirent les jumeaux. Mais pas de
temple, pas de sacerdoce, pas d’acte attachant ; rien ne retiendra le vaincu,
s’il doit partir. Servius Tullius tracera l’enceinte de la ville aux Sept
collines. Hors de cette limite, le
Romain n’osera pas s’aventurer. Les terres malsaines des environs seront
cultivées par des esclaves. Or, Les hypothèses du peuplement de l’Italie se compliquent de
la facilité avec laquelle, tout le long des côtes, chacun pouvait y
débarquer. Une invasion de Pélasges industrieux,
ayant l’écriture et le culte des dieux Cabires,
arrivés à la fois par le nord et le Un siècle après (1500), une invasion de Celtes en Espagne, fait passer en Italie un parti de Sicanes et de Ligures ; ces derniers, actifs, courageux, sobres et agiles, — des Ibériens, — suivent la mer depuis le Rhône, arrivent au Tessin, rencontrent les Sicules, — Pélasges ? — sur les rives de l’Arno et les repoussent. Ces Sicules, chassés vers le Latium, sont refoulés, traqués jusqu’en Sicile, à laquelle ils donnent leur nom : l’île des Siciles. Enfin les Sicanes, chassés à leur tour d’Italie, rejoignent les Sicules en Sicile. Ceux qui avaient ainsi expulsé d’Italie les Sicules et les
Sicanes, c’étaient les Ombriens, — les nobles,
les Faillants (de ambra),
— Celtes de Des colons Hellènes sont signalés en Italie avant la guerre de Troie (1194-1184). L’Arcadien Évandre fonde Pallantium soixante ans avant la destruction d’Ilion ; Énée apparaît au Latium ; Ascagne, son fils, fonde Albe-la-Longue. Après la guerre de Troie, Tarente est fondée par Philoctète ? Ces fables, ou légendes, ces revendications, ne donnent pas de l’importance aux colonies grecques originales en Italie ; si elles avaient le caractère hellénique, elles le perdaient très rapidement. Sauf Cumes cependant, fondée (1030 à 1050) par des Éoliens de Chalcis, d’Eubée et de Cyme d’Éolie : Cette colonie spéciale, habilement exploitée, peut-être plus phénicienne que grecque, — comme tendances et manifestations, — donna Dicéarchia (Pouzzoles) et Parthenope (Naples). Parmi les autochtones, ou indigènes, on cite les
Sabelliens ou Osces — ou Opiques, — qui seraient les Ausones ou Aurunces des
Grecs, vivant entre la montagne de Bénévent et le Tibre, que les Sicules
avaient subjugués. Lorsque les Sicules partirent, un parti d’Osces, — les Casci,
— descendu des montagnes, serait venu occuper la rive gauche du Tibre ; ces
Casci, mélangés à des Celtes-Ombriens (Gaulois), à des Tyrrhéniens, à des Sicules
et à des Ausones, auraient formé le pays latin.
Ce mouvement ayant enhardi les diverses tribus italiotes, les plaines de Vers l’an 1000 (1100-1000 av. J.-C.), les Celtes-Ombriens occupent plus de trois cents villes au nord de l’Italie ; au fond du golfe adriatique, les Vénètes sont organisés ; au fond du golfe de Gênes, dominent les Ligures. Au centre de l’Italie montagneuse, les Osces et les Sabelliens ; à l’est central, sur l’Adriatique, les Liburnes et les Iapygiens ; à l’ouest, les Œnotriens ; en Lucanie et au Brutium — Italia, — le pays d’Italos, roi des Sicules ou Sicules, suivant Thucydide. Mais voici de nouveaux émigrants : les Rhasénas, — qu’on
nomma Tusci ou Tyrrhéni, plus tard, lorsque des Lydiens, dit-on, vinrent se
joindre à eux, en nombre, — descendus des montagnes de Après avoir fortifié leurs douze villes, les Rhasénas, ou Étrusques, s’en furent en Campanie, en Corse, en Sardaigne ; rivaux heureux des Grecs et des Carthaginois, industrieux et commerçants, très vite enrichis, leur organisation sociale mit les Italiotes en contact, et par conséquent en hostilité, avec d’autres peuples. Cette substitution de l’autorité étrusque à la force ombrienne, et la comparaison inévitable des deux civilisations, ne permirent pas à cette Italie originaire de préparer une unité quelconque. Une extrême division de peuples se manifestait ; l’anéantissement des Celtes avait ruiné l’Italie politique. Très facilement, Rome allait pouvoir s’élever, s’imposer, dominer, utilisant à son profit, presque malgré elle, les divisions, les luttes, les guerres qui allaient ensanglanter la péninsule. En vain les fabulistes, — car les oreilles des hommes ne sont que trop avides de fables, dira Lucrèce, — imagineront des poèmes où l’origine grecque de Rome sera célébrée ; en vain les érudits prouveront que le nom de Romulus est grec, qu’il signifie force, et que le nom de Numa veut dire loi ; il reste que Rome fut fondée en 754 avant notre ère par des hommes venus d’Albe-la-Longue, et que l’enceinte de la ville fut tracée sur le bord du Tibre, à cinq lieues de la mer, entre sept collines protectrices, religieusement, selon le rite étrusque. Des Sabelliens belliqueux,
qui représentaient leur dieu Mars en fichant une lance ; des Latins cultivateurs, adorant Janus et le Jupiter
latialis ; des Osques ou Opiques, ces Ausones des Grecs, qu’Aristote plaçait entre l’Œnotrie et Dégagée des légendes fabuleuses, des symboles subtils, des justifications poétiques ou intéressées, Rome apparaît, ce qu’elle fut à son origine, comme un asile et un repaire, un campement d’exilés et de malfaiteurs, foule d’aventuriers et de proscrits, repoussés, redoutés, dont on s’éloignait avec une crainte particulière, mêlée de dégoût, et à qui l’on refusait des épouses lorsqu’ils sollicitaient un mariage. Mais, ce que rien ne modifiera jamais, ce qui demeurera
comme indélébile, ce qui présidera aux destinées de |