Les Iraniens, Zoroastre (de 2500 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXII

 

 

Suite du Boundehesch. - Les lois de la génération. - Les feux. - Les corps et les âmes.- Les animaux.- Les eaux.- Les hommes monstrueux. - Les chefs. - Division du temps. - Mesures. - Les arbres et les plantes. - Les démons. - Confédération iranienne après Zoroastre. - La destinée humaine. - La fin du monde.- La résurrection des morts. - Le rétablissement des corps. - Le jugement dernier. - Ormuzd cesse d’agir. - Ahriman cesse de tourmenter, - Fin de toutes choses.

 

UN chapitre du Boundehesch, qui pourrait être de Zoroastre, mais avec quelques singularités insérées, çà et là, par un mobed indien, traite des lois de la génération. Tout, au monde, se divise en mâles et femelles, sauf huit choses qui sont exclusivement mâles ou femelles, c’est-à-dire fécondantes ou fructifiantes, les unes ne pouvant que donner le germe, les autres ne pouvant que donner le fruit. Le ciel, les métaux, le vent et le feu sont mâles et ne seront jamais que mâles ; c’est-à-dire qu’ils ne peuvent et ne pourront rien enfanter par eux-mêmes. L’eau, la terre, les arbres, la lune sont femelles et ne seront jamais que femelles, c’est-à-dire qu’ils peuvent recevoir des germes et les faire fructifier, mais ne pourront jamais en produire. Un paragraphe explique l’accouplement et la multiplication des poissons dans l’eau des rivières. Ce récit, d’une précision remarquable, très vrai, semble donné par le rédacteur du Boundehesch comme un exemple de l’observation patiente, très scientifique d’ailleurs, avec laquelle le législateur a mûri ses lois. Cette démonstration étant faite, cette preuve étant fournie, le texte du Boundehesch, simplement affirmatif, dit par quels moyens, et sûrement, l’Iran se peuplera d’hommes ou de femmes, à la volonté des mazdéens.

Ce qui frappe, c’est le laconisme positif de l’observateur, enthousiaste et respectueux. La semence du mâle, dit-il, vient de la moelle et de la tête ; et aussitôt, comme pour racheter tout ce que cette déclaration décisive a de froidement fonctionnel, l’imagination du narrateur savant, forcé de se taire sur la destinée obscure du germe émis, ennoblit et poétise, et divinise même ce tabernacle mystérieux, plein de grandeur, — Kadergah, — ce siège où l’avenir qui vient d’être émis se repose, ce trône sur lequel resplendit la volonté multiplicatrice d’Ormuzd. Il appartient aux mazdéens instruits et fidèles de remplir saintement, utilement, toutes les vues de Dieu, en pratiquant la loi qu’ils auront apprise et comprise. Ils peuvent, ils doivent donc maintenir le peuple d’Ormuzd dans une juste proportion d’hommes, de femmes et d’enfants. Les mères seront purement fécondes si, conformément à la loi, elles restent loin du foyer, en un lieu de retraite prévu, pendant que le dew de l’impureté accomplissant son œuvre périodique, les blesse, les déchire, les ensanglante. Lorsque le dew criminel et nauséabond a cessé de tourmenter sa proie, l’épouse, purifiée, charmante, soumise, retourne à l’époux. Alors commence cette période mystérieuse de dix journées, pendant laquelle les âmes en attente savent, en haut, que des corps excellents, très purs, très sains, sont formés pour elles, en bas.

Le même esprit d’observation guide le rédacteur du Boundehesch classant les feux. Il en signale cinq sortes : Le feu visible des bûchers et des cassolettes, qui brûle devant Ormuzd et devant les rois, le feu par lequel les hommes et les bêtes vivent, le feu par lequel les arbres croissent, le feu des volcans, les feux des foyers domestiques. De ces cinq feux, dit le Boundehesch, l’un consume l’eau et la nourriture, c’est le feu qui est dans l’homme et par lequel il brûle et s’assimile tout ce qu’il mange et tout ce qu’il boit ; l’autre, boit l’eau et ne consume pas de nourriture, et c’est celui des arbres qui vivent et croissent dans l’eau, le végétal boit et ne mange pas ; un autre consume la nourriture et non l’eau, c’est le feu des bûchers sacrés consumant les victuailles offertes aux dieux, et le feu des cassolettes dévorant les gommes embaumées ; un autre ne consume ni l’eau, ni la nourriture, c’est le feu des volcans. Le Boundehesch dit ensuite le mérite des divers feux.

C’est dans l’énumération des feux que se trouve exprimée, avec une netteté formelle, la théorie mazdéenne de l’âme et de sa destinée. La phrase, courte, affirmative, est sans aucune atténuation. Lorsque le corps de l’homme est formé dans le ventre de la mère, l’âme, venue du ciel, s’y établit. Tant que le corps est en vie, l’âme le conduit. Lorsque le corps meurt il se mêle à la terre, et l’âme retourne au ciel. Cette âme est une ardeur, un souffle brûlant, un feu.

Les animaux décrits dans le Boundehesch sont tantôt réels et tantôt imaginés. Parmi ces derniers, il est une sorte d’âne à six yeux, à neuf bouches, à deux oreilles, et qui porte une corne unique sur le front. Cette bête fantastique a l’importance de l’El-Bordj dominant le monde ; des milliers de moutons peuvent tenir sur ses pieds, aller autour et dessous ; le plus petit de ses pieds est tel, que mille hommes avec mille chevaux pourraient y être. On peut songer au pic de Damavand, qui sépare l’Iran de la Mer Caspienne, et dont les gorges sont un séjour délicieux pour les troupeaux. Vu d’une certaine façon, ce pic a peut-être la forme d’un âne aux pieds énormes, portant au front, comme une corne, son pic que la neige blanchit. Cet âne, dit le Boundehesch, entoure le Mazenderan ; il donne la vie au chameau, au cheval, à l’âne grand ou petit. Après l’âne-montagne, qui brait terriblement, volcanique, et qui donne son eau purifiante, sainement épanchée, au grand fleuve iranien, au Voorokesché, il y a le taureau Hezeiosch, qui rendra les hommes à la vie au moment de la résurrection ; l’oiseau Tchamrosch qui donne, un à un, les grains ; le perroquet Kareschsat, qui sait parler, qui a prononcé l’Avesta dans la langue des oiseaux. Parmi les animaux réels, c’est le bœuf aquatique ; l’aigle, qui va d’une extrémité du monde à l’autre, en se balançant ; le Kehrkâs, qui a été créé pour manger les corps morts ; les chiens donnés contre les loups, pour garder les différentes espèces de bestiaux ; le coq Halka, ennemi des dews et des magiciens ; le cheval du sud, le cheval arabe, qui par une nuit très obscure, s’il y a un obstacle sur son chemin, trou ou branche, le voit.

Dans son énumération des rouds ou fleuves, l’auteur du Boundehesch sort de l’Iran. Ormuzd a fait couler du côté du Nord, du côté de l’El-Bordj, et de l’El-Bordj, deux rouds, l’un à l’ouest, l’autre du côté de l’est ; après eux, il a fait couler dix-huit ronds ; et le reste des eaux se répand sur les nombreux royaumes de la terre. Toutes ces eaux, ainsi réparties, se réunissent de nouveau dans un lit unique, profond, faisant le tour de la terre, et retournent à leur source. Dans cette page purement géographique, l’auteur du Boundehesch dissimule mal son embarras, sinon son ignorance, sous une accumulation de détails où la fausse précision des termes se heurte à des impossibilités flagrantes, à d’inconciliables contradictions. Les fleuves de l’Asie et de l’Afrique, — le Nil, l’Indus, l’Amou-Daria, l’Helmend, et peut-être le Tigre et l’Euphrate, — sont tour à tour, et ensemble, désignés, décrits sous des noms différents. Les eaux sont divisées et classées, comme les feux. il y en a dix-sept espèces : La sève, l’eau des arbres ; l’eau des rivières coulant des montagnes ; l’eau de la pluie ; l’eau des puits, l’eau creusée ; les émissions liquides, bestiales et humaines, de toutes sortes ; l’eau sacrée des libations, purifiante ; le lait ; la gomme ; etc. L’eau purifiante, l’eau de la libation, le zour, a le pouvoir d’assainir les fleuves. On trouve, dans l’énumération des eaux iraniennes, certaines indications qui font songer aux eaux thermales. L’eau du var Tetcheschté, chaude, n’engendre point d’animaux ; l’eau du var Sovbar, pure, est abondante et libérale. Il y a le var Khâressen, qui donne les biens, la puissance, le profit et le bonheur de l’âme ; le var Fresdân, dont les eaux reçoivent ce qui est pur et rejettent ce qui n’est pas pur ; le var Aseoûest, qui fait concevoir, — c’est dans l’eau de ce var, qu’à la résurrection les morts seront rétablis. Il y a enfin le var Satevis, qui engloutit les vivants et expulse ensuite les cadavres ; ce fleuve, œuvre d’Ahriman, vient de l’enfer.

Le Boundehesch parlant d’une invasion d’hommes noirs, dont l’Iran souffrit, imagine des monstres donnés au monde par Ahriman trompant Djemschid, ce fondateur glorieux de l’empire iranien. Il est dit des hommes de montagne, que Djemschid, ayant déjà une femme, prit un génie femelle, sœur d’un démon, et qu’il donna en mariage à ce démon sa propre sœur Djemak. De cette union naquirent les hommes des montagnes, effrayants, qui ont une queue, et les autres espèces de darvands. C’est en abusant d’un accès de passion qu’eut Djeinschid, que l’esprit du mal donna au roi une femme infernale, et à la sœur du roi, un homme infernal. Ainsi furent faits ces hommes de montagnes, infernaux, impies, noirs. Ferydoun, recouvrant les villes de l’Iran, les purgea de ces monstres.

L’idée zoroastrienne, dominante, d’un chef donné à chaque espèce d’êtres, comme à chaque catégorie d’objets, est respectée dans le Boundehesch. Le chef de l’espèce humaine, c’est Kaïomorts, brillant, blanc, et dont les yeux regardent en haut. Ce qui caractérise l’homme, parmi les autres animaux, c’est qu’il a, seul, la glorieuse faculté de regarder le ciel avec ses yeux, naturellement, sans inflexion de cou ; les bêtes regardent la terre. Il y a le chef des boucs, le chef des chameaux, le chef des taureaux, le chef des chiens, etc. Les chefs des bêtes fauves, œuvres d’Ahriman, ne sont pas désignés. Il y a le chef des rivières, le chef des montagnes, — l’El-Bordj d’où sort l’eau bouillante de la source Ardouisour, — le chef des arbres, le chef des céréales, le chef des vêtements, qui est la ceinture nationale, le kosti.

Sous leurs chefs incontestables, certains êtres et certaines choses peuvent se distinguer. La meilleure des prières aux génies des eaux est celle qui s’adresse aux eaux des zarés, ou fleuves ; le meilleur des hommes, le plus grand aux yeux d’Ormuzd, est celui qui est le plus instruit, qui parle avec le plus de droiture.

La classification des êtres est suivie de la division du temps. L’année iranienne, qui était de trois cent soixante jours, s’est complétée de cinq jours à l’époque de la rédaction du Boundehesch. Ormuzd dit : j’ai fait les productions du monde en trois cent soixante-cinq jours, et c’est pour cela que les six gâhs gahanbars sont renfermés dans l’année. L’année est divisée en six périodes, ou gâhs gahanbars. Le jour et la nuit sont une unité de temps. Le jour a précédé la nuit. Il faut compter premièrement le jour et ensuite la nuit, parce que le jour a été d’abord et la nuit ensuite. Deux saisons, l’été et l’hiver. Le plus long jour d’été est égal aux deux plus courts jours d’hiver ; la plus longue nuit d’hiver est égale aux deux plus courtes nuits d’été. La période de temps formée d’un jour et d’une nuit est divisée en dix-huit hesars, ou heures. Le jour d’été est de douze hesars, la nuit de six hesars ; la nuit d’hiver est de douze hesars, le jour de six. Peut-être la période entière jour-nuit se divisait-elle en vingt-quatre hesars, dont trois hesars d’aube et trois hesars de crépuscule, fixes, la nuit et le jour proprement dits se modifiant en durée suivant la saison. Douze mois dans l’année, dont sept chauds et cinq froids. A la fin du mois Sapandomad, le jour est égal à la nuit. Du mois Farvardin (premier mois de l’année), le jour Ormuzd (deuxième jour du mois) compris, jusqu’au mois Meher, le jour d’Aniran compris, cela fait sept mois de chaud ; du mois Ovan, le jour d’Ormuzd compris, jusqu’au mois Sapandomad, y compris les cinq jours ajoutés (pour compléter l’année de trois cent soixante-cinq jours) à la fin, cela fait cinq mois d’hiver. Le jour supplémentaire des années bissextiles est expliqué : La seconde année ne s’accorde pas exactement, dans la révolution des mois, avec la première année. C’est par cela que le mois qui a trente jours est de trente et un temps, et cela une fois en quatre temps annuels. De cette manière, tout s’écoule dans l’ordre. L’année est donc purement solaire. Le soleil met dans son cours trois cent soixante-cinq jours et cinq petits temps, ce qui fait une année, et revient ensuite au même endroit.

Les mesures sont basées sur le temps qui s’écoule, comme appréciation ; sur la distance, comme donnée ; sur la longueur de la main de l’homme comme unité. La hauteur de l’homme est de huit vetasts de la main. Un hesar de la terre est égal à un farsang, mille gâms, deux pas. Le farsang est égal à la distance d’où un homme qui a la vue longue aperçoit une bête de troupeau et distingue si elle est blanche ou noire.

Les arbres, au commencement, étaient sans épines et sans écorce ; ce fut Ahriman qui les dénatura. Ormuzd avait donné cinquante-cinq espèces de plantes à graines, douze espèces d’arbres bons pour la santé, dix mille espèces d’arbres-mères, et cent mille espèces diverses, multipliées. Les œuvres d’Ahriman les plus nuisibles furent celles qu’il accomplit au moyen des arbres que son esprit infernal avait arrachés et corrompus. Le mal que font les arbres est au-dessus de tout par le poison qu’ils renferment, et qui donne la mort à l’homme et à l’animal s’en nourrissant. La multiplication des végétaux utiles, sur le sol béni de l’Iran, est due à un oiseau qui prend les germes, et les transporte, et les disperse. L’astre Taschter, ensuite, enlève de l’eau et la verse en pluie sur les keschvars, ce dont les arbres sont nourris.

Le Boundehesch signale les végétaux bons ou mauvais c’est le Dar, ou famille des arbres impropres à nourrir l’homme, et de longue durée, cyprès, platane, peuplier blanc, etc. ; le Miveh, ou arbre à fruits, et qui dure plus d’une année, dattier, myrte, vigne, cognassier, pommier, oranger, grenadier, pêcher, figuier, noyer, amandier, etc., le Djordah, famille des végétaux qui servent à la vie humaine, portant beaucoup de fruits, mais qui se dessèchent par la racine et qui doivent être cultivés par labour, blé, lentilles, etc. ; le Saperem, ou famille des herbages excellents, cultivés par l’homme ; le Goul, ou famille des plantes odoriférantes, cultivées, paraissant de saison en saison, s’épanouissant en répandant une bonne odeur, dont la racine est persistante, rosiers, narcisses, jasmins, églantiers, tulipiers, coloquintes, safraniens, violettes, etc. Ce sont, enfin, et nettement qualifiées, les herbes des pâturages, les graines donnant de l’huile, les plantes tinctoriales, ou odorantes. Chaque fleur, chaque plante, chaque arbre, est donné comme l’emblème d’un amchaspand, ou d’un ized, ou d’un astre, ou d’un élément. Ormuzd a le jasmin rosé.

Le chapitre des daroudjs nomme les démons principaux. Il est ici question de la connaissance des daroudjs, dit le rédacteur. Le dew Tarmar donne l’orgueil à l’homme ; Areschk est le dew de l’envie ; le dew Eschem agit plus particulièrement contre le peuple d’Ormuzd ; le dew damnateur, c’est Odjesch, qui est assis à la porte de l’enfer ; le dew tentateur, c’est Odé. Le dew Odé frappe l’homme à l’épaule et l’incite à se souiller, pour que cette âme d’homme n’aille pas aux demeures pures.

Une liste des sept parties ou keschvars de l’Iran donne des chefs à chacun d’eux. Zoroastre est le chef du Khounnerets. Les chroniqueurs orientaux firent, plus tard, de ce keschvar central, l’Iran proprement dit et tout entier. Modjmel et Tavarikh donne exactement les frontières de cet Iran, placé au centre du monde, borné au nord par l’Oxus, la mer Caspienne et l’Arménie, à l’ouest par l’Euphrate, au sud par le golfe Persique, à l’est par le Caboulistan. L’auteur du Boundehesch fait de l’Iran, immédiatement après Ké-Gustasp, et par conséquent après Zoroastre, une confédération de princes : Paschoutan, fils de Ké-Gustasp, a le Kanguedez, qui est du coté du Khorassan ; — le prince fils d’Aguerirets a le Saôkâvestâ, le pays où l’on prononce bien la parole sacrée ; la Bactriane, sans doute ? — la terre Saôkâvestâ est sur le chemin du Turkestan ; — Parschidyâ tient le désert Peschïansé, qui confine au Caboulistan, — le désert Peschïansé est dans le Caboulistan... Il y a, dans le Caboulistan, un territoire élevé qui est le Peschïansé ; ce territoire est très chaud, mais dans l’endroit le plus élevé la chaleur ne se fait pas sentir ; — Khéembié règne en Iran-Vedj ; — Oroûetour, fils de Zoroastre, a le Vardjemguerd, province limitrophe du grand désert persan.

De la fin du monde, de la résurrection des morts, il est longuement parlé dans le Boundehesch. La destinée du premier homme et de la première femme règle la destinée de toute l’espèce humaine. Meschia et Meschiané, issus de la terre, et qui ne s’étaient nourris d’abord que d’eau pure, se nourrirent ensuite du fruit des arbres, du lait et de la chair des animaux ; mais, bientôt, épuisés par l’âge, vieillis, ils finirent par ne plus boire que de l’eau, comme à l’origine, et ils moururent. Les hommes qui sont venus de Meschia et de Meschiané et qui se continuent, vivront, comme le premier homme et la première femme, de chair, de lait et de pain ; ils prendront, un jour, le parti de ne plus vivre que d’eau, et le monde finira.

Quant à la résurrection des corps, inévitable, annoncée, certaine, Zoroastre a demandé à Ormuzd comment elle se ferait. Ormuzd a répondu par une déclaration positive : C’est par moi que le ciel lumineux est dans l’espace, lui dont la mission est de répandre au loin la lumière qui était cachée. C’est par moi que la terre existe, qu’elle a été tirée du monde subsistant. C’est par moi que le soleil, la lune, les étoiles élèvent dans les nuées leur corps lumineux. J’ai donné le grain qui, passant dans la terre, croît de nouveau et se multiplie abondamment. C’est moi qui ai fait, dans les arbres, les fibres de différentes espèces. C’est moi qui ai mis, dans les arbres, et dans les antres êtres, un feu qui ne les brûle pas. C’est moi qui mets, et selon son espèce, l’enfant dans la mère qui le porte ; qui donne séparément à tous les êtres, la peau, les ongles, le sang, le pied, l’œil et l’oreille. C’est moi qui donne l’eau en bas, pour qu’elle coule, et en haut, pour ce monde, la faisant tomber en pluie. C’est moi qui donne l’homme dont l’œil voit, dont la force est dans la respiration. Que celui qui fait le mal paraisse et qu’il essaye d’opérer la résurrection des morts. En vain aiderait-il les choses à se rétablir... On la verra certainement cette résurrection ! Les veines seront de nouveau rendues aux corps, et lorsque la résurrection sera faite, il ne sera pas nécessaire de la recommencer, car, alors, de la terre bénie viendront les os, de l’eau viendra le sang, des arbres viendront les poils, du feu viendra la vie, comme cela se fit à la création des êtres.

Le rétablissement des corps s’opèrera dans un certain ordre, arrêté. Kaïomorts ressuscitera le premier ; Meschia et Meschiané ressusciteront ensuite, et après eux les autres hommes. Le travail de reconstitution des corps durera cinquante-sept ans. Qu’ils aient été purs ou impurs, tous les hommes reviendront à la vie. Les corps dispersés dans le monde entier seront rétablis, et tels qu’ils étaient. La pure lumière éclairera puissamment ce grand œuvre ; les âmes chercheront leurs corps. L’âme reconnaîtra son corps, disant : c’est là mon père, c’est là ma mère, c’est là mon frère, c’est là ma femme, et enfin ce sont là mes proches, tous mes parents. Les hommes, complètement ressuscités, étant ainsi assemblés, chacun verra nettement le bien ou le mal qu’il aura fait. Le pécheur, l’impur, le darvand, se distinguera autant qu’un animal blanc, dans un troupeau, se distingue de bêtes noires. Les impurs qui auraient eu pour amis des mazdéens fidèles, se mettront en face d’eux, disant, pourquoi, lorsque j’étais dans le monde, ne m’avez-vous pas appris à agir avec pureté ? C’est parce que vous ne m’avez pas instruit, ô vous pur, que je suis exclu maintenant de l’assemblée des bienheureux. En effet, les justes étant séparés des darvands, les premiers seront admis dans le ciel d’Ormuzd ; les seconds seront précipités de nouveau dans l’enfer. Le jour que les purs seront séparés de darvands, quiconque paraîtra taché ira en bas. Le père sera séparé de la mère, la sœur du frère, l’ami de l’ami ; il sera passé à chacun selon ses œuvres. Les purs pleureront sur les darvands et les darvands sur eux-mêmes ; car le père aura un fils darvand, et de deux sœurs, l’une sera pure, l’autre damnée. Il sera fait à chacun selon ses œuvres.

Lorsque l’heure de la résurrection des corps sera venue, des phénomènes extraordinaires se produiront, des signes seront manifestes, l’univers tout entier tressaillera. La comète Gourzscher tombera sur la terre, et la terre sera semblable à la brebis qui tremble de frayeur devant le loup. La chaleur intense de l’astre tombé fera fondre les métaux, et l’on verra couler les grandes et les petites montagnes ; car les métaux en fusion seront sur la terre comme des fleuves. Les hommes devront passer dans cette eau ardente pour se purifier : les purs s’approcheront et passeront dans ces métaux coulants, comme dans un lait chaud ; les darvands seront également tenus de passer dans ces fleuves, et c’est ainsi que, dans le monde, tout passera par le métal en fusion, et que de cette manière tout homme, purifié, deviendra excellent et heureux. Ces cataclysmes, précédant l’œuvre du rétablissement des corps, se produiront avant la fin du monde, avant la mort de la dernière génération ; ils surprendront les vivants, mais après que tous les corps auront été rétablis, après même que le jugement dernier aura séparé les justes des darvands, et après que les darvands auront achevé la peine de leur condamnation. Zoroastre a toujours dit que les pécheurs seraient châtiés, mais non pas éternellement. Un jour arrivera où, la bonté d’Ormuzd étant complètement victorieuse, toutes les âmes et tous les corps épurés, et les démons eux-mêmes, et Ahriman, iront se reposer et jouir de la grande paix, au sein de la grande lumière, dans le paradis resplendissant. Les morts étant donc ressuscités, les darvands coupables ayant racheté leurs fautes, effacé leurs taches, dans l’enfer, les hommes encore vivants s’épureront en traversant un fleuve de métal fondu, et le ciel pourra s’ouvrir à tous les êtres ; les âmes étant ainsi purifiées, dit Zoroastre à Ormuzd, celles qui auront été justes comme celles qui auront été darvands, qu’arrivera-t-il ? Ormuzd répondit : Tous les hommes seront unis dans une même œuvre ; ils feront avec joie une grande et même prière à Ormuzd et aux Amschaspands. — A ce moment, Ormuzd ayant achevé toutes les productions ne fera plus rien, conclut le Boundehesch.

Ormuzd cessant d’agir, la terre cessera d’être. L’humanité toute entière, reconstituée, vivra dans le ciel, parfaitement, définitivement heureuse. Les hommes, immortels et grands, recevront du taureau mystique, par une sorte de libation, l’essence reconstituante d’une céleste virilité, incompréhensible, mais certaine et procréatrice.

L’esprit du mal, le rival du dieu bon, le daroudj Ahriman, resté seul hors du paradis, retournera de nouveau dans le monde d’Ormuzd. Se croyant le maître du monde abandonné, il se fera prêtre. Mais, frappé bientôt dans son isolement, par l’inutilité même de ses œuvres, puisque le monde ne sera plus qu’un désert, Ahriman courra au pont qui mène au ciel. Il sera précipité de nouveau dans les ténèbres épaisses de l’enfer où tomberont, alors, tous les fleuves de métaux fondus. Ahriman sera brûlé par ces métaux coulants, dans sa forme de couleuvre voleuse ; toutes les impuretés dont l’enfer était plein seront détruites par le feu, et l’Infernal reparaîtra, pur, digne du ciel. Ce sera la fin de tout.