Le Zoroastre légendaire. - Zoroastre à Balkh. - Gustasp, roi des Bactriens, réformé. - Origines du réformateur. - Les astres d’or. - La famille de Zoroastre : sa femme, Hoüô ; son oncle, Djamasp ; son cousin, Medionah ; ses enfants. - Conception de Zoroastre ; sa mère, Dogdo. - Théorie de la réforme. - Dynastie des Kéaniens : Ké-Kobad, Ké-Kaous, Ké-Khosrou, Ké-Lohrasp, Ké-Gustasp. - Lutte perpétuelle des Aryas et des Touryas : Djemschid, le forgeron Kaveh, Ferydoun, Gustasp. - Iran contre Touran, Ormuzd contre Ahriman. - La triple réforme de Zoroastre, politique, religieuse et sociale. LA légende iranienne fait de Zoroastre un être issu de race royale et choisi par Dieu comme la bouche devant proclamer la loi aux hommes. Dès son enfance, le Zoroastre légendaire luttait d’instinct contre le mal. Son génie supérieur ne se manifesta que lorsqu’il atteignit sa trentième année ; un esprit céleste vint à ce moment lui révéler sa mission et le conduisit devant Ormuzd. Fièrement, Zoroastre adressa cette question au dieu : Quelle est la meilleure des créatures terrestres ? Ormuzd répondit : La meilleure des créatures terrestres est celle qui a le cœur pur. Zoroastre apprit ensuite d’Ormuzd le nom et la fonction de chacun des génies innombrables créés par l’Éternel, ou par son ordre, et dont le monde est rempli, visibles et invisibles, bons et mauvais, se querellant, se disputant les hommes et les bêtes, et les végétaux, et les matières inertes, et produisant ainsi successivement, continuellement, partout, du bien et du mal. Après avoir reçu d’Ormuzd, par l’oreille, le texte de la loi, — l’Avesta, — Zoroastre revint vers les hommes, sachant qu’il allait subir, entre ciel et terre, de terrifiantes épreuves, destinées d’ailleurs à affirmer les intentions réelles d’Ormuzd, le caractère divin dont il serait lui-même revêtu. Zoroastre traverse impunément une montagne toute en feu, et il boit, sans en souffrir, du plomb fondu. Ces épreuves lui valent cette confiance en soi dont se forme une grande partie du génie humain actif. Donc, tout à sa mission, pleinement résolu, le réformateur se rend à Balkh, où régnait Gustasp, roi des Bactriens. Il veut d’abord exposer la loi nouvelle, en démontrer l’excellence. Il discute, pendant trois jours, contre soixante sages expressément réunis, trente à sa droite, trente à sa gauche. Ces savants Bactriens, rassemblés par le roi Gustasp, s’étant inclinés devant la sagesse supérieure de Zoroastre, le réformateur victorieux peut dire qu’il a vu Ormuzd et réciter l’Avesta. On admire la loi nouvelle, on applaudit à sa révélation, on se dévoue à son triomphe ; ce fut un enthousiasme. Les succès de Zoroastre ne tardèrent pas à lui susciter des ennemis. On le qualifie de magicien ; on l’accuse d’avoir séduit les doctes et les sages par des moyens répréhensibles ; on le dénonce comme un impie ayant imaginé de faux dieux ; on le poursuit, on le traque, on s’ameute, et le peuple, un instant, se prononce contre le réformateur. Mais Zoroastre a pour lui le roi des Bactriens, le majestueux Gustasp, qu’anime une foi véritable, un courage calme, et Zoroastre, triomphant, légifère avec autorité. Sa vie se prolonge au milieu d’un peuple très respectueux, très reconnaissant. La mort légendaire de Zoroastre est diversement racontée. Les uns disent qu’il mourut frappé de la foudre à Balkh ; les autres, qu’il succomba sous les coups d’un soldat touranien. Les chroniqueurs pour qui Zoroastre fut militant, compliquent sa légende de quelques détails singuliers qu’il importe de citer, parce qu’ils concourent à donner une impression d’ensemble plus satisfaisante que ne le serait l’affirmation de certains récits préférés. Ainsi, à l’âge de trente ans, Zoroastre n’aurait pas été
transporté devant Ormuzd ; il se serait retiré dans l’antre d’une montagne, où le dieu devait venir
le visiter. Zoroastre attendit Ormuzd pendant vingt-cinq ans, dans une
retraite absolue et laborieuse, préparant son oreille à entendre la grande parole, ses yeux à voir la grande lumière. Il ne se rendit à la cour du
roi Gustasp que lorsqu’il se sentit bien instruit, et c’est par des miracles,
alors, qu’il convertit le roi des Bactriens, lutta contre les traditions
invétérées, tenaces, qu’il ne put détruire entièrement. Dévoué aux Bactriens,
aux Iraniens de Les origines du réformateur sont encore très obscures. Pour Bérose, Zoroastre était Mède ; Pythagore, d’après Clément d’Alexandrie, le dit Perse ; Suidas le qualifie de Perso-Mède ; Justin, Moïse de Khorène, Ammien Marcellin le croient Bactrien. Parmi les modernes, Anquetil Duperron fait naître Zoroastre à Urmi, ville de l’Aderbeidjan, ce qui, suivant lui, expliquerait à la fois les qualificatifs de Mède, de Perse et de Perso-Mède donnés au réformateur. Le mot Zoroastre lui-même pouvant se comprendre comme un attribut, un titre, — astre d’or, — et la chronologie des légendes donnant des dates inconciliables, l’existence d’une série de Zoroastres, de réformateurs successifs, a été admise, parfois, au moins comme une simplification. Le dernier de ces Zoroastres aurait été le contemporain de Darius Ier. Il est probable, il est presque certain qu’immédiatement après le premier astre d’or, le premier Zoroastre, le premier législateur de l’Iran primitif, d’autres astres, des imitateurs, s’emparèrent de la loi zoroastrienne pour l’adapter à leurs caprices, leurs consciences ou leurs convoitises. Il y eut autant de Zoroastres que de prêtres vivant du feu sacré, que de courtisans défenseurs séculiers de la loi, que de mazdéens en situation d’imposer leur influence. Mais le Zoroastre organisateur du peuple Iranien, moralisateur excellent, réformateur pratique, sachant son but et le voulant, fut unique. La légende peut impunément envelopper sa mémoire dé nuageuses fictions, obscurcir son œuvre, vouloir l’en dépouiller, Zoroastre demeure comme un homme ayant accompli la mission qu’il s’était donnée, énergiquement. Était-ce un Bactrien ? un Iranien même ? C’est douteux.
Bactrien, Zoroastre eut combattu pour la vieille foi aryenne. Né au
nord-ouest extrême de l’Iran, sur la frontière de De la famille du réformateur on sait trois fils, Esedevaster, Orouetour et Khorschidtcher ; sa femme, Hoüô ; sa mère, Dogdo ; son père, Poroschasp ; son oncle, Arasp, frère de Poroschasp ; son neveu, Medionah, fils d’Arasp. C’est par son père Poroschasp que Zoroastre pourrait descendre de Ferydoun : La femme de Zoroastre, au moment de sa mission, c’était Hoüô ; le législateur, relevant le mariage en cela, la considérait comme participant à l’œuvre divine de la réforme. Que Hoüô et moi, dit-il, soyons grands comme vous, ô Ormuzd, qui êtes le premier des êtres. Dans sa famille, toute dévouée à son œuvre d’ailleurs, se produisent des discussions, se manifestent des vues différentes ; il y a, par exemple, à un moment grave, une divergence d’opinion entre sa femme, Hoüô, et l’oncle de sa femme, Djamasp. Lorsque, dit-il en s’adressant à son dieu, j’annonce ce que vous avez prononcé, ô Ormuzd, que Djamasp ne dise pas le contraire de Hoüô. Djamasp, ce pourrait être, ainsi qu’on le croit, ce ministre du roi bactrien Gustasp, ce savant — Djâmâspâ — auquel les chroniqueurs attribuent de grands travaux. Les membres de la famille de Zoroastre furent ses premiers disciples déterminés ; le roi des Bactriens, Gustasp, fut le premier réformé convaincu. Parmi les disciples, le plus vaillant, un cousin du législateur, Medionah, s’en allait par les villes iraniennes, expliquant la loi nouvelle, la faisant aimer. Pratiquant avec sévérité ce qu’il enseignait aux autres, Medionah prêchait d’exemple. Zoroastre déclare que Medionah avait appris la loi le premier. Ce Medionah, je fais izeschné à son saint feroüer, lui qui le premier a appris par l’oreille la loi de Zoroastre... Rendez grand, ô Ormuzd, ce Medionah excellent, lui qui fait exécuter votre loi, qui pratique tout ce que vous avez ordonné dés le commencement. De quelques indications rencontrées çà et là dans le texte des livres sacrés, il ne serait pas absolument téméraire de supposer qu’avant d’épouser la nièce de Djamasp, Hoüô, Zoroastre aurait eu, d’une ou même de deux autres femmes, des enfants dont il s’occupait avec affection. Et vous, Poursischt, dit une invocation, vous qui êtes de la famille d’Hetchedasp, et qui vivez, la plus excellente des filles de Zoroastre, marchez avec pureté de cœur sous le chef que le saint Ormuzd vous donnera. Cette prière, qui n’est évidemment pas de Zoroastre, constaterait qu’à la mort du législateur une de ses filles, au moins, était encore sans mari, sans chef. Mais, peut-être donnait-on déjà le nom glorieux de fille de Zoroastre à ces femmes enthousiasmées qui se dévouaient à l’œuvre du réformateur. A toutes époques, de nos jours encore, les femmes de l’Iran se distinguent par la virilité de leurs sentiments, la persévérante énergie de leur volonté. La mission de Zoroastre est aussi nettement définie dans la loi que s’y trouve affirmée l’intervention directe d’Ormuzd dans la conception matérielle du réformateur, au rein paternel d’abord, au sein maternel ensuite. Dieu fit le père et la mère de Zoroastre purs, excellents, pour qu’ils conçussent un fils selon les vues de l’Éternel. Dans ce monde excellent, moi, Ormuzd, j’ai donné le père qui agit avec pureté de cœur, et la pure Dogdo qui fait le bien, qui est humble, et ne se laisse pas séduire. Mis au monde, ayant reçu par l’oreille le précieux dépôt de la parole sainte, Zoroastre questionne longuement, minutieusement Ormuzd, afin que tout lui soit bien dévoilé. Pleinement instruit, il entreprend avant tout de convaincre le roi Gustasp ; il fixe son but, il formule sa théorie, il sait sa politique. La théorie immédiate du missionnaire est séduisante : Le mal envahissant le monde, le bien sera fatalement anéanti si Dieu n’intervient pas en faveur des hommes contre les démons victorieux. Zoroastre a demandé à Ormuzd par quels moyens ils pourront vaincre les démons, ces hommes, ces Iraniens qui, par leurs fautes, sont devenus ou seront eux-mêmes des démons, des darvands ? Ormuzd répond à Zoroastre, que c’est précisément pour qu’il y ait, au monde, quelqu’un exécutant la parole divine, qu’un homme et une femme ont été faits, purs et humbles, afin que d’eux un homme très pur naquît pour exécuter la loi. Ormuzd parla ainsi à Zoroastre : Maintenant je parle clairement, prêtez l’oreille ; je parle de ce qui est récent et de ce qui est ancien. Non, toutes mes couvres, il ne les détruira pas, ce démon qui ne sait que le mal et qui désole le monde. Je parle clairement. Au commencement, Ahriman me dit : Vous êtes l’excellence ? Je suis le crime. L’homme ne sera pur, ni dans ses pensées, ni dans ses paroles, ni dans ses actions ; il n’y aura donc ni intelligence, ni exécution de vos ordres, ni par parole, ni par action ; il n’y aura ni loi, ni âme vivante... Je dis, moi, Ormuzd, qui sais tout, je dis que s’il n’y avait pas, comme vous, ô Zoroastre, quelqu’un qui exécutât ma parole, qui fût pur dans ses pensées, dans ses paroles, le monde serait maintenant à sa fin. Le roi Gustasp, qui voyait son peuple s’affaiblir, et son pouvoir disparaître, et son trône s’isoler au centre d’une société s’effondrant, devait être séduit par cette théorie réformatrice, recevoir le réformateur, l’encourager, le servir. Zoroastre promet au roi, en ce monde, la splendeur de sa royauté, et après sa mort, comme récompense, une gloire de toute éternité pour son âme immortelle. Le roi Gustasp, roi en Bactriane, — Ké-Gustasp, Vistaçpa en zend, Hystaspe en grec, Goustasp en persan, — continuait la dynastie des kéaniens fondée par Ké-Gobad, qui donne successivement à l’histoire les noms de Ké-Gobad, de Ké-Khosrou, de Ké-Lohrasp et de Ké-Gustasp. Les traditions excessives, les légendes extravagantes, les grandes chroniques où ces légendes et ces traditions sont recueillies, forment, avec les livres de l’Avesta continuellement modifiés, un mélange dans lequel se confondent, s’emmêlent, s’enchevêtrent inextricablement, les hommes et les choses, les êtres et les temps. Les pères y succèdent aux fils, les faits antiques y suivent les faits modernes, les héros les plus récents s’y éclairent des gloires les plus anciennes, et les ancêtres, quelquefois, par contre, s’y parent des mérites de leurs descendants les plus éloignés. Mais ce qui demeure intact et dominant, depuis l’Avesta jusqu’à Firdousi, quels que soient les noms intervertis ou dénaturés des acteurs qui y figurent, c’est la cause unique de tous les événements racontés. De Zoroastre jusqu’à Firdousi, c’est la perpétuelle lutte entre les Iraniens et les Touraniens, entre les Européens orientaux, pourrait-on dire, et les Asiatiques, qui explique tout. Lorsque Zoroastre voulut relever l’Iran qui se dissolvait,
moralement et matériellement, Le triomphe définitif des Iraniens sur les Touraniens, —
des Aryas sur les Touryas, — a inspiré le Schah-Nameh à Firdousi, qui vivait
au Xe siècle de notre ère. Dans cette
épopée nationale, le Persan patriote fait revivre tout le passé, avec ses
confusions, mais avec ses grandeurs. Les héros s’y pressent jusqu’à devancer
leur temps, affirmant leurs légendes, n’admettant leurs œuvres impossibles
que comme vraies ; mais dans le Schah-Nameh, comme dans l’Avesta, la grande
histoire se manifeste, des héros se dressent : c’est Djemschid, l’antique et
fabuleux organisateur de la société aryenne ; c’est le forgeron Kaveh, dont
le tablier de cuir devint un emblème national, c’est Ferydoun, et enfin
Gustasp, ces vainqueurs des Touraniens abhorrés. A l’antagonisme de race qui
ameutait, les uns contre les autres, les Iraniens et les Touraniens,
Zoroastre ajouta la haine furieuse d’un antagonisme religieux. Les sujets des
rois de l’Iran étaient, naturellement, les ennemis des sujets des rois du
Touran ; Zoroastre fit que les Iraniens, menés par leurs prêtres, serviteurs
d’Ormuzd, détestèrent les Touraniens serviteurs d’Ahriman, menés par leurs
magiciens. Conseiller du roi de |