Les Iraniens, Zoroastre (de 2500 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XIV

 

 

Les premiers prêtres ; les athornés. - L'Éternel, créateur d'Ormuzd et d'Ahriman. - Le feu. - L'institution sacerdotale. - Le peuple nourrit le prêtre. - Ambition du clergé. - Libations et repas sacrés. - Prières portatives. - Corruption des premiers prêtres. - Religion naissante. - Mystères. - Divinités. - Dogmes. - Trinité. - Prières du matin et du soir. - Credo. - Confiteor. - Le corps et l'âme. - Les feroüers. - Œuvre religieuse de Zoroastre dénaturée. - Libre choix du dieu. - Ormuzd au-dessus d'Ahriman. - Le Bien et le Mal. - Morale et hygiène. - Le pur mazdéen, selon la loi.

 

AVANT Zoroastre, les Iraniens n'avaient pas de prêtres proprement dits. Longtemps après la mort du législateur, alors qu'un corps sacerdotal existait, les mazdéens discutaient encore la légitimité du sacerdoce, ayant en eux, très vivant, le souvenir du père de famille intermédiaire unique entre ses enfants et la divinité.

Les athornés, ces premiers prêtres mazdéens, furent la conséquence naturelle, inévitable, du caractère religieux que le législateur laissa donner ou donna à sa réforme. Lorsque Zoroastre conçut l'idée de l'Éternel, créateur d'Ormuzd le dieu bon, et d'Ahriman le dieu mauvais, le peuple ne comprit pas cette divinité supérieure, adora Ormuzd et craignit Ahriman. Lorsque Zoroastre, admettant un Ormuzd visible, le montra sous la forme du feu, le feu devint l'objet d'un culte. Lorsque, enfin, Zoroastre accepta que certains de ses disciples se missent à entretenir, à servir le feu sacré, les prêtres furent.

Le réformateur vit nettement ce qui résulterait de l'institution sacerdotale, et il définit le rôle du prêtre pour le limiter. L'Athorné, suivant la loi, est l'homme qui pense purement, qui agit purement, qui fait le bien, qui apprend aux autres à le faire ; c'est un instructeur volontaire, un homme qui s'est donné la mission d'enseigner à autrui ce qu'il sait, et rien de plus. Le prêtre instruit, sage, pur, interviendra pour signaler le mal à redouter, pour réparer l'erreur commise, pour redresser le pécheur habituel, mais cette intervention n'est pas un droit ; tout homme, pourvu qu'il soit instruit et juste, peut agir au nom d'Ormuzd, et cela jusques à infliger une correction à tel prêtre coupable. Celui qui est sans péché, dit la loi, corrigera celui qui a commis le péché ; le prêtre corrigera le simple fidèle et le simple fidèle corrigera le simple prêtre.

Zoroastre admet la nécessité de confier au peuple l'existence matérielle du prêtre qui, tout à sa mission, ne saurait pourvoir à ses propres besoins par le travail. L'athorné qui prie constamment pour tous, recevra de tous sa nourriture, parce qu'il est de l'intérêt de tous que le prêtre soit satisfait. Le prêtre que l'on a satisfait remplit ses fonctions avec pureté ; il récite les prières dans la crainte de Dieu, avec sainteté, avec zèle, au milieu du jour, au milieu de la nuit, ne dormant ni jour ni nuit, récitant tout avec la modulation voulue.

Le législateur réglemente le service des prêtres avec une minutie où se voit la crainte des abus. Ainsi, le prêtre qui sera venu réciter les prières pour les morts, recevra de la nourriture et des habits, mais cette donation ne sera faite qu'après que la veuve aura reçu sa part de provisions et de vêtements. Le prêtre iranien n'est en réalité qu'un homme faisant métier de prier pour les autres, et dont le salaire dépend de la générosité charitable de ceux pour lesquels il a accompli son travail pieux. Dans la loi écrite, et continuellement, le prêtre, l'athorné, est l'égal du laboureur, du médecin, de l'artisan, etc.

Mais les athornés ne devaient pas résister à la tentation de s'arroger cette supériorité que leur refusait Zoroastre. En combattant, par ordre du législateur, les magiciens et les sorciers dont l'Iran était infesté, les apôtres de la réforme admiraient sans doute, à mesure qu'ils en découvraient les secrets, les pratiques de ces jongleurs touraniens contre lesquels ils devaient agir résolument. Pour stimuler le zèle de ses sectateurs, Zoroastre avait promis la victoire et les plaisirs d'une vie facile aux mazdéens zélés, jeunes, pleins de vie, qui marcheraient contre les magiciens ravageant le monde. Ces disciples, jeunes et pleins de vie, obéissant à Zoroastre, courant à la lutte, détruisant les magiciens, préparant le triomphe de la réforme, réclamèrent leur récompense, voulurent jouir vite des plaisirs d'une vie facile, selon la promesse du législateur. Certes, leur existence matérielle était garantie par les offrandes, mais cela ne devait pas suffire, car ils avaient la passion du pouvoir, de l'autorité, de la domination. Si la loi ne leur livre pas le peuple, ils s'en empareront, en dehors de la loi, par leur propre volonté. Ils n'auront d'ailleurs, en cela, qu'à imiter les magiciens qu'ils ont combattus, que le peuple nourrit et choye, parce qu'ils sont doux en paroles, mystérieux dans leurs actes et d'une menaçante docilité.

Les fidèles accouraient à la voix des prêtres, qui les enlaçaient dans le réseau d'un culte mystérieux, les séduisaient, les soumettaient à l'esclavage de pieuses pratiques et finissaient ainsi par leur imposer comme une obligation, ce qui n'était à l'origine que la manifestation libre et agréable d'un sentiment religieux surexcité. Cette exploitation des âmes eut été supportable, si les prêtres s'en étaient contentés ; mais des ambitions réalisées surgissent inévitablement les ambitions nouvelles, comme des sens trop satisfaits naissent les appétences imprévues. Les premiers athornés buvaient le hom simple et mangeaient le zour de viande, très nourrissant ; voici qu'il leur faut maintenant des vins choisis, des vins vieillis, des mets délicats. Prier toujours, continuellement, étant devenu comme un labeur pénible, un athorné imagine le tavid, ou tahviff, morceau d'étoffe sur lequel une prière est écrite, et que le mazdéen n'a qu'à attacher à son bras, à sa jambe, à son cou, pour être préservé des maux du corps, comme des maux de l'âme, et de l'attaque des mauvais génies. Tandis que l'amulette remplace la piété, la jonglerie prépare le miracle. L'ignorance profonde des destours, ces successeurs des athornés, se dissimulera sous les pratiques d'un charlatanisme éhonté.

Tous les mazdéens ne subirent pas la loi des athornés ; un grand nombre, fidèles à la tradition iranienne, n'acceptant que le premier sens des paroles de Zoroastre, entendaient que chaque chef de famille demeurât père et prêtre, qu'il n'y eût pas de clergé. Les athornés, confondant ces mazdéens rebelles à l'autorité du sacerdoce, avec les pires ennemis de l'Iran, les Touraniens, n'hésitèrent pas à les dénoncer. Ô Hom ! dit le texte d'une libation, anéantissez, frappez la troupe des violents qui sont sans intelligence. Celui qui, dans son cœur, ne reconnaît ni athorné, ni hom, le hotu le méconnaîtra à son tour et l'anéantira. A l'exclamation succède vite la menace effective. Celui qui ne témoignera pas exactement de sa soumission aux prêtres, celui qui ne fera pas le daroun, c'est-à-dire qui ne viendra pas se faire communier le pain et le vin par l'athorné au moins une fois par mois, celui-là n'aura pas d'enfants. Le dieu-libation, enfin, que les athornés ont mis au premier rang, s'est prononcé : Moi Hom, je suis avec celui qui est obéissant ; je ne suis pas avec celui qui n'est pas obéissant.

Zoroastre vit ces excès, ces abus, et redoutant leurs conséquences, il s'éleva contre ces serviteurs de la loi pure qui exploitaient le sacerdoce, qui vivaient dans l'oubli complet de leur devoir. Les athornés ne veillaient plus la nuit pour prier, ils ne pratiquaient pas ce qu'ils ordonnaient aux autres hommes, ils absolvaient les coupables sans repentir, ils négligeaient de se ceindre du kosti, cette marque distinctive du mazdéen fidèle. Celui qui officie sans être ceint du kosti, avait dit Zoroastre, en impose ; il est le ministre du démon, quoiqu'il se dise athorné. On peut croire que les prêtres d'Ormuzd étaient corrompus dès le commencement de la réforme zoroastrienne. Il est probable que les premiers athornés ne furent, en somme, que des magiciens intelligents, jeunes, ayant pressenti le succès de la réforme et voulant s'emparer du sacerdoce nouveau.

La religion mazdéenne, naissante, s'enveloppe de nuages, s'obscurcit de mystères. Le feu sacré, visible, est la manifestation matérielle de la croyance iranienne ; la garde de ce feu est confiée aux athornés et les justifie. Il faut expliquer cette idée brillante, se manifestant. Le feu, ce n'est ni l'Éternel, ni Ormuzd, et cependant, la flamme est divinité. Comment cela ? L'athorné, que rien n'embarrasse, va parler. L'Éternel, l'Être absorbé dans son excellence, fit Ormuzd par l'émanation de sa propre lumière, par le feu ; le feu, c'est l'essence d'Ormuzd, et Ormuzd, tout feu, lorsqu'il se manifeste, ne peut se manifester que sous la forme du feu. Le feu est dit fils d'Ormuzd, comme Ormuzd lui-même est dit feu de l'Éternel. Malgré sa toute puissance, l'Éternel n'a pu faire Ormuzd que par le feu, et Ormuzd, tout dieu qu'il soit, ne peut être que par le feu. Le feu, c'est donc le principe d'union entre le dieu-père et le dieu-fils, entre l'Éternel et Ormuzd. Telle fut la trinité iranienne, père, fils et feu, avec ses trois faits distincts et cependant inséparables.

Le prêtre qui vient d'énoncer le dogme iranien principal, déclare qu'il ne peut l'expliquer. Ce n'est pas qu'il avoue son incapacité ou son ignorance ; il sait, lui, et parfaitement, ce qui se cache sous son énonciation incompréhensible ; il pourrait éclairer les mazdéens, mais il n'a pas le droit de faire participer le peuple à sa clairvoyance. Le peuple doit croire sans comprendre, doit accepter le mystère pour vrai, et voici la prière que l'athorné dira au nom du peuple soumis, en officiant devant le feu : Ô vous, Feu agissant depuis le commencement des choses, je m'approche de vous, vous principe d'union entre Ormuzd et l'être absorbé dans l'excellence ; mystère dont je ne dis pas l'explication, bien que je la sache. Prononcer l'incompréhensible formule de sa croyance devait suffire au croyant.

De même que la prière du feu énonçait le mystère de la trinité mazdéenne, ainsi la prière du soir et du matin était la profession de foi du mazdéen, son credo. Le mazdéen devait croire en Dieu, à la rémission des péchés, à la loi, au paradis, à l'enfer, à la résurrection des corps et à l'anéantissement du mal. Ô dieu, juge excellent, grand ! je me repens de mes péchés ; je crois, sans hésiter, à Dieu et à sa loi ; que mon âme ira au paradis, que l'enfer sera comblé à la résurrection, que les démons d'Ahriman seront anéantis.

Par la confession des péchés et le repentir du pécheur, les fautes commises pouvaient être rachetées. Le confiteor actuel des mazdéens, surchargé d'interpolations, devait avoir, à l'origine, la concision du credo. Je me repens de tous mes péchés ; j'y renonce. Je renonce à toute mauvaise pensée, à toute mauvaise parole, à toute mauvaise action. Je fais cet aveu devant vous, ô purs. Ô Dieu, ayez pitié de mon corps et de mon âme, dans ce monde et dans l'autre.

En ce monde, le mazdéen en état de péché était frappé dans sa famille et dans ses biens ; ses terres, privées d'eau, se stérilisaient par la volonté d'Ormuzd. Le mazdéen mourant en état d'impureté, sans avoir obtenu la rémission de ses fautes, était privé de son feroüer surveillant et consolateur pendant la longue nuit d'attente de la résurrection. L'homme pur, au contraire, ou purifié, est continuellement protégé par son feroüer inséparable, nécessaire, attendant l'heure de la résurrection en plein paradis, prés d'Ormuzd. Ces feroüers lumineux, émanation de la divinité, parties divines accordées aux hommes, aux choses, étaient la cause unique de la vie, de l'existence.

La perte du feroüer, c'était la perte de tout. C'est par le feroüer qui les anime, et seulement par lui, que l'homme, les bêtes, les éléments, toutes les matières créées quelconques tiennent à Dieu. Le corps et l'âme, c'est-à-dire la chair visible, inerte, et le mécanisme invisible qui met cette chair en mouvement, qui la vivifie, ne sont que des moyens d'être donnés par Ormuzd au feroüer prédestiné. Je ne m'inquiète ni de mon corps ni de mon âme, dit une invocation. Le corps impur mis en terre, y reposera jusqu'à l'heure de la résurrection ; l'âme impure attendra, elle aussi, dans une longue nuit, la fin certaine de l'obscurité qui l'épure. Mais de son feroüer, cet élément divin qui est en lui, le mazdéen s'inquiète énormément, parce que le feroüer courroucé lui retirerait sa protection. Rien n'existe sans feroüer, puisque tout a quelque chose de divin en soi. Ormuzd a son feroüer personnel, comme la maison bâtie a le sien, et la rue, et la ville, et la province ; et le ciel, et l'eau, et la terre, et les animaux, et la femme, et la mère, et la jeune fille, et le jeune homme, et le laboureur. La grande prière des morts n'est qu'une invocation aux feroüers.

Les feroüers c'est encore l'armée de Dieu, par laquelle le monde se défend, subsiste. L'Éternel anéantirait le monde s'il rappelait à lui les feroüers. L'impureté matérielle et morale blesse essentiellement les feroüers ; par l'exécution de la loi révélée à Zoroastre, et seulement, les Iraniens pourront plaire à la partie divine qui est en eux. Chaque mazdéen sera puni ou récompensé, en ce monde et dans l'autre, suivant qu'il aura fait de son âme et de son corps des choses pures ou impures, par le respect ou le dédain de la loi donnée.

Tandis que le peuple, ne comprenant pas la leçon de Zoroastre, faisait d'Ormuzd, ce dieu secondaire mais agissant, un dieu principal, les athornés, les prêtres, tout imprégnés de magisme, organisaient le service divin, réglementaient les prières, donnaient une hiérarchie au clergé. L'œuvre religieuse de Zoroastre, qu'il voulait saine, fut donc dénaturée dés le commencement, et ce serait s'égarer que chercher dans les textes de l'Avesta relatifs au culte, la pure pensée du réformateur. Zoroastre n'apparaît seul, mais tout entier, que dans l'ex-position de sa morale, dans l'énonciation des obligations qu'il impose à l'homme ennobli.

De la théorie religieuse devenue dominante, bien malgré lui sans doute, Zoroastre fera jaillir sa morale, qui est son but. D'Ormuzd, dieu plus conservateur que créateur, tout dépend. L'homme qui cesse de plaire à Ormuzd cesse d'être le protégé du dieu, et les démons innombrables, acharnés, s'emparent de ce malheureux pour le tourmenter, et le détruire, finalement. Donc, si l'Iran n'était peuplé que d'Iraniens désagréables au dieu bon, à Ormuzd, l'Iran deviendrait la proie d'Ahriman. Servir Ormuzd, lui plaire, c'est obtenir son concours tout puissant contre les mauvais génies, les démons, les dews, les darvands. Ormuzd est l'ennemi des dews qui veulent constamment diminuer le nombre des enfants mâles et femelles ; il est l'ennemi des voleurs et des violents, des magiciens, de tous les darvands, quels qu'ils soient.

Les Iraniens demeuraient libres de choisir le dieu leur convenant. Zoroastre disait, en quelque sorte, à ceux qu'il prêchait : Choisissez, entre Ormuzd qui vous soutiendra, qui vous défendra, qui vous conservera, avec lequel vous vaincrez sûrement, et Ahriman, qui vous corrompra, qui vous absorbera, pour vous détruire. Mais, si vous choisissez pour maître le grand Ormuzd, sachez qu'il faudra lui plaire, le servir comme il veut être servi, obéir à la loi qu'il m'a chargé de vous donner, qu'il m'a dictée de sa propre bouche, que j'ai reçue de lui, par l'oreille.

Les Iraniens d'alors, comme les Malgaches, les Malais et les Indiens d'Amérique de notre temps, se préoccupaient surtout de l'esprit du mal. Le dieu bon, inaccessible à la vengeance, ne pouvait se perdre dans une flagrante contradiction, s'employer à de mauvaises œuvres. Et puis, l'expérience des choses ne démontrait-elle pas la continuelle supériorité du mal sur le bien ?

Ahriman, ce serpent infernal, œuvre du Très-haut, de l'Éternel, au même titre qu'Ormuzd, a droit à l'immortalité ; il faut le redouter, au moins le craindre. S'il laisse, parfois, le bien se répandre dans le monde, c'est que cela lui plaît de voir ce bien, par curiosité sans doute, par bonté peut-être ? Il faut le toucher, ce dieu méchant, l'apitoyer, obtenir de lui comme une neutralité intermittente pendant laquelle Ormuzd, passionné pour le bien, agira. Lorsque le mal cesse, lorsque le bien se répand, c'est qu'Ahriman est neutre ; mais il revient à son œuvre, se mêle au monde vivant ; s'acharne contre l'eau et contre le feu, poursuit, frappe les animaux et les hommes, endolorissant leurs jointures, essayant de les disloquer, de leur ravir l'existence ; et c'est lui qui jette l'impureté sur les vêtements, dans la nourriture, sur les arbres, sur les herbes et, dans les métaux. Tout meurt par Ahriman ; lui seul ne meurt pas.

Cette immortalité du démon inquiétait beaucoup les Iraniens. Zoroastre avait mis trop d'égalité entre Ormuzd et le serpent infernal. Pour comparer la puissance réelle de ces deux divinités, l'homme n'ayant que l'expérience de ses plaisirs et de ses douleurs, devait nécessairement attribuer à Ahriman un plus grand nombre d'œuvres qu'à Ormuzd. Le réformateur vit cette inquiétude, et corrigeant sa théorie, déclara que les coadjuteurs d'Ahriman n'étaient pas, eux, absolument voués au mal comme leur maître ; qu'Ahriman lui-même n'était pas incapable de bonnes œuvres ; qu'enfin son immortalité divine ne s'étendait pas à sa personnalité vivante de serpent infernal envoyé au monde pour le tourmenter, pour lutter contre Ormuzd. Un jour devait venir, sûrement, où, délivré par l'Éternel, ayant rempli, ayant achevé sa mission, Ahriman retournerait auprès de son créateur, cesserait de nuire, deviendrait bon, seulement bon. Les serviteurs d'Ahriman, les légions de mauvais esprits, de souffles impurs, de démons, de dews, de darvands à ses ordres, devaient eux-mêmes revenir à la bonté, adorer Ormuzd. Le plus méchant des darvands deviendra pur, excellent, céleste. Oui, il deviendra céleste, ce menteur, ce méchant ! il deviendra saint, céleste, excellent, ce cruel ! Ne respirant que pureté, il fera publiquement un long sacrifice de louanges à Ormuzd. Ahriman, s'absorbant dans le sein de Dieu, devait finalement participer à la lumière. L'immortalité de l'esprit du mal ainsi corrigée, devenait moins inquiétante ; Ormuzd demeurait seul positivement immortel. C'est pourquoi Ormuzd fut dit Asha, vrai dieu, créateur, source de vérité, essence de vie, et Paourvîm, c'est-à-dire premier, tandis qu'Ahriman fut Aka, c'est-à-dire négation, néant, non-être, suivant Schœbel ; non-action, inutilité, suivant Anquetil.

Pour Zoroastre, faisant acte de législateur, tout au monde est bien ou mal ; il n'existe pas d'œuvres indifférentes ; chaque chose est agréable ou désagréable à Ormuzd et à Ahriman ; la nature est partagée entre ces deux principes. Le bien et le mal s'accomplissent de trois manières : par pensée, par parole, par action.

Une parole encourageante domine la loi ; il est dit que les justes sont en grand nombre sur la terre. La multiplicité de la race humaine, pour le bien, dans la joie, dans la force, voilà le but. Ce que je désire, c'est que l'homme fasse le bien, de cœur ; que le germe de l'homme se multiplie ; que son corps soit grand. Le bien doit être fait publiquement, et la récompense sera publiquement accordée. Le sectateur de Zoroastre, l'ami d'Ormuzd, le mazdéen fidèle, respectueux de la loi, sage, pur, religieux, doit jouir de la vie et parler sans crainte. L'homme fidèle à la loi, peut, sans crainte, formuler ses vœux, demander les plaisirs de ce monde et la gloire du ciel. Le réformateur fait de la tristesse une faute, des privations un châtiment. Une vie longue, bien remplie, toute agréable, toute gaie, est la première des récompenses. Je vous demande, ô Ormuzd, les plaisirs, la pureté, la sainteté ; accordez-moi une vie longue et bien remplie. Donnez aux hommes, ô Ormuzd, des biens purs et saints ; nourrissez-les ; qu'ils vivent longtemps, toujours engendrant, toujours dans les plaisirs. Tout le culte zoroastrien, toute la religion iranienne se résume en un mot : plaire. Faites en sorte de plaire au feu-dieu, de plaire à l'eau, de plaire à la terre, de plaire aux bestiaux, de plaire aux arbres, de plaire à l'homme pur, de plaire à la femme pure. La grande prière de ce catholicisme souriant, la voici : Venez dans ce lieu, âmes des saints, donner l'abondance aux villes. Venez d'en haut. Faites que les générations se multiplient longtemps, conformément à la loi qu'Ormuzd à donnée à Zoroastre. Faites que les troupeaux ne diminuent pas, que l'humanité pure ne diminue pas, que les sublimes leçons d'Ormuzd ne diminuent pas. Faites que la terre s'élargisse, que les fleuves s'étendent, que le soleil soit toujours élevé. Eloignez les méchants. Faites que l'ized de la paix nous protège contre l'ennemi de la paix, l’ized de la libéralité contre l'esprit d'avarice, l'ized de l'humilité contre le maître de l'orgueil. Favorisez celui qui dit la vérité, contre celui qui prononce le mensonge ; le pur contre l'impur. Et versez la lumière.

Avant de formuler son code, avant de légiférer, Zoroastre a tracé les grandes lignes de sa morale, défini le but de ses leçons. L'homme qui veut être heureux, en ce monde et dans l'autre, doit être sage ; la sagesse consiste à n'enfreindre aucune des lois de la morale et de l'hygiène. Le mazdéen propre, consciencieux et travailleur, jouira de la santé du corps, de la santé de l'âme, et il verra sa famille, ses troupeaux, ses biens de toutes sortes croître et prospérer. La première règle à observer par l'homme pur, s'il veut éviter les embûches d'Ahriman, c'est de vivre selon la loi et la justice, dans la condition où il se trouve. Le législateur vante ensuite l'amitié, et il la recommande. Moi-même, Ormuzd, je prononce des bénédictions sur celui qui nourrit un ami et qui fait du bien ; sur le pur qui se rend encore plus pur ; sur l'ami dont l'amitié est vive. L'homme charitable, lui, est digne de la royauté. Vous établirez roi, ô Ormuzd, celui qui soulage et nourrit le pauvre.

Après avoir voulu la splendeur du bien, après avoir placé Ormuzd au-dessus d'Ahriman, après avoir rendu à l'homme tout son courage en affirmant que les œuvres du mal ne seraient pas éternelles, après avoir fait de sa morale un code positif, après avoir donné une théorie agréable de la vie terrestre, le réformateur pourra se montrer sévère, multiplier les péchés, accumuler les interdictions, abuser des pénitences ; qu'importe ! la loi plaira parce que le but plaît. Le mazdéen doit avoir un corps sain et une âme pure, afin que son feroüer, satisfait, le serve avec joie, suivant sa mission. Les formules sont simples. Le mazdéen, avant tout, doit bien se nourrir pour bien prier ; cela, parce que le corps vigoureux rend l'âme plus forte, parce que l'homme qui n'éprouve aucun besoin lit la parole divine avec plus d'attention, a plus de vigueur pour entreprendre une bonne œuvre, plus d'énergie et de persévérance pour l'accomplir. Le jeûne est rigoureusement interdit. Le mazdéen purifiera son corps, constamment, par des ablutions répétées ; il détruira, sur lui-même et partout, les insectes, les reptiles, les bêtes venimeuses ou malfaisantes ; il pratiquera le travail, la prière et l'aumône ; il aura l'horreur du péché, surtout du mensonge ; son devoir principal sera d'aimer, afin que l'humanité d'Ormuzd se perpétue, que l'œuvre du dieu bon s'accomplisse.

La loi donnée par Ormuzd, révélée à Zoroastre, n'est faite que pour le bonheur des hommes. Ce que sera la vie du mazdéen fidèle, ce que le mazdéen fidèle pourra demander à Ormuzd, ce qu'il aura le droit d'obtenir comme le prix de sa pureté, une prière très complète l'indique. Ô Ormuzd, toujours brillant, éclatant de lumière, pendant le temps long de la durée de ce monde et jusqu'à la résurrection, donnez-moi une vie heureuse et brillante. Donnez-moi promptement de la nourriture, des enfants, le bonheur ; un éclat abondant, une nourriture abondante, des enfants en grand nombre. Donnez-moi une science excellente, une langue douce et moelleuse, une imagination, une conception, une intelligence qui comprennent l'avenir. Donnez-moi des enfants célèbres, de mérite, qui seront chefs dans les assemblées, qui me feront gagner le paradis, qui me délivreront ainsi de l'oppression, moi qui veux le bien avec intelligence. Faites que mon âme soit éternellement heureuse. La récompense du mazdéen pur est immédiate ; elle ne dépend que de lui ; aucun prêtre ne saurait la lui ravir, si elle est méritée, et sa durée peut être indéfinie.