La société iranienne. - La maison. - Les tentes. - Les villes. - Travail de la pierre et du fer. - Ouvrages de défense. - Voyages. - Navires. - Ponts. - Vêtements. - Métiers. - Les gardiens. - Armes et armuriers. - L’armée. - Cavaliers. - Stratégie. - Drapeaux et étendards. - Tribus. - Emblèmes. - Iraniens et Touraniens. - Egalité sociale. - Agriculteurs, prêtres et guerriers. - Les chefs. - Anarchie régularisée. - Le but de Zoroastre ; ses moyens. - Le roi. - Dieu. - Le peuple. - Le droit à la révolution. QUAND Zoroastre vint inaugurer sa réforme, les Iraniens habitaient déjà des maisons de pierre, puisque dans l’énumération de ce qui doit contribuer au bonheur d’un mazdéen, le Vendidad comprend un endroit bien bâti, avec une terrasse ; un bâtiment élevé. Ces habitations étaient rares sans doute, et les villes iraniennes dont parle le Zend-Avesta ne devaient être encore formées que par le groupement de tentes, très lourdes, très solides, très vastes, assurément, maïs transportables. Une belle invocation à l’eau divinisée, vue sur un trône resplendissant, dans son palais, donne l’image embellie de la maison iranienne : ce ne sont, en réalité, que de hauts piliers supportant de larges tapis. Parfois, semble-t-il, ces piliers étaient bâtis en nombre ; c’était comme une série de colonnes auxquelles de riches étoffes étaient suspendues. La vigueur de Mithra, le sanglier céleste, est comparée à la solidité d’un pilier résistant que l’on frappe en vain pour l’ébranler. Il a été dit que les premiers Iraniens s’abstenaient de tailler les pierres, parce que la terre leur étant sacrée, ils n’auraient pas osé l’outrager. Un type de construction iranienne, trouvé près la ville de Damavand, montre un remarquable encastrement de pierres brutes non taillées. Cependant le Vendidad, dans sa partie relative au rite de la purification, ordonne la taille de certaines pierres. Les œuvres de la terre s’exploitaient. Il est certain, par exemple, qu’avec le fer on faisait des cuirasses, des épées, des lances, des bracelets et des flèches à tête de bronze ; que le sable, dans certaines circonstances, servait comme d’eau purifiante ; qu’il y avait enfin, avant Zoroastre, des forteresses solidement construites en Iran. Il est vrai que ce travail de la pierre et du fer, sorte de labeur sacrilège, rendant impur, pouvait être confié par les Iraniens à des hommes tenus hors de la foi zoroastrienne, à des êtres méprisables, inférieurs, voués à l’impunité. Au moment où Zoroastre vint en Bactriane, il y avait, en un certain nombre de lieux iraniens, des agglomérations de tentes, avec quelques maisons bâties, que protégeaient des constructions en pierre, murs de défense, tours de surveillance, ou même fortifications. Un groupement déterminé de villes constituait l’Iran zoroastrien. Le législateur déclare, en effet, que tel mazdéen frappé d’impureté, banni, honni, visitera plusieurs villes sans rencontrer de purificateur. Or, malgré la gravité de la faute commise, de l’impureté encourue, si l’impur subit trois refus dans trois villes différentes, son impureté disparaîtra. Le texte de Zoroastre exprime bien ici l’effort méritant du voyageur, et démontre que les villes étaient relativement éloignées les unes des autres. Rangées en ordre rigoureux, les lignes des tentes, droites, formaient des rues. De longs voyages s’effectuaient au moyen du cheval et du chameau. Il y avait des navires sur les eaux navigables. Des bateaux accouplés et reliés formaient des ponts sur les rivières. Construire un de ces ponts était un acte très méritoire. Les Iraniens avaient deux sortes de vêtements, l’un fait de peaux de bêtes, l’autre d’un tissu de poil ou de fil. Les femmes filaient au rouet et tissaient elles-mêmes les étoffes dont elles se revêtaient. Les vêtements de peau n’étaient pas tous tannés. Parmi les gens de métier que cite plus particulièrement le Vendidad, on trouve des potiers, des étameurs, des batteurs d’or et d’argent, des fondeurs de métaux, des forgerons, — J’anéantirai le méchant comme sur une enclume dit Ormuzd ; — des boulangers, des baigneurs, des laquistes. Il y a plusieurs sortes de gardiens : le gardien des champs et des routes, le gardien des villes qui suit les rues, la nuit, et le gardien des troupeaux, le berger. Des chefs transporteurs ou maîtres de caravane sont cités. Les armes primitives des Iraniens étaient la massue, l’arc et le lasso. Les hommes de guerre portaient peut-être un vêtement spécial destiné à les préserver des blessures, mais ce n’était pas une cuirasse. Au moment de la réforme zoroastrienne, l’armement est presque complet. Questionné sur le prix de rachat d’une grande faute commise par un mazdéen, Ormuzd répond que le coupable doit donner à un guerrier tous les instruments de son état, c’est-à-dire une lance, un poignard, une massue, un arc, une selle polie au marteau et ornée de trente objets, avec un pommeau d’argent, une fronde ou un arc à pierres, orné au bout de trente objets, une cotte de mailles, une cuirasse à nœuds, une mentonnière, un casque, une ceinture et des cuissards. C’est une image fréquente dans le Vendidad que celle de la prière servant d’armure au mazdéen. Une invocation à l’oiseau fantastique qui combat les démons, énumère également les armes principales des guerriers : le sabre long, le poignard, l’arc, la flèche, la pique qui sert de près et la fronde. L’importance des guerriers est évidente dans le Zend-Avesta. L’Iran est en état de guerre, incontestablement. On ne voit pas, cependant, à l’origine, de ces accès de vanité glorieuse qui font précipiter un roi contre un roi, un peuple contre un peuple. La convoitise naturelle met en mouvement des hordes auxquelles il faut résister. Ces ennemis ont une certaine organisation ; leurs troupes évoluent avec ordre, avec mesure, prudemment, suivant les règles d’une stratégie. De leur côté, les Iraniens avaient une armée proprement dite, une infanterie, une cavalerie. Les cavaliers montaient des chevaux et des dromadaires. Dix mille hommes constituaient un corps d’armée, lequel se divisait en centuries ayant chacune un drapeau de ralliement, d’une étoffe riche, lourde, tissée d’or quelquefois. Les stratèges iraniens distinguaient la gauche de l’armée, de la droite. La cavalerie se massait à la gauche ordinairement. En outre des drapeaux qui servaient à distinguer entre elles les centuries, des étendards nombreux étaient déployés. Ces étendards avaient une importance plus sociale que militaire ; chez les Iraniens, comme chez les Touraniens leurs ennemis, ils constataient l’indépendance relative d’un groupe déterminé de guerriers. Chaque tribu chez les Touraniens, et probablement chaque ville chez les Iraniens, avait son étendard sur lequel s’étalait un emblème, taureau, serpent, cheval... On a voulu expliquer par l’effet de ces emblèmes, les imprécations qui abondent dans les livres iraniens contre le Taureau, ou le Cheval, et surtout le Serpent. Il y aurait eu, dans l’esprit des Iraniens, une prompte assimilation entre les tribus détestées et les emblèmes qui servaient à distinguer ces tribus ; et, par élision, on aurait maudit le Taureau, le Cheval, le Serpent, pour maudire, en un seul mot, toute la tribu ainsi désignée par son emblème. Lorsque Zoroastre vint légiférer en Iran, la société iranienne jouissait, comme chose naturelle, d’une complète égalité ; la caste y était inconnue. Tout Iranien est agriculteur ; il deviendra prêtre ou guerrier, par occasion. Lorsque, plus tard, les évènements sépareront les agriculteurs, les prêtres et les guerriers, on constatera l’unité primitive de la société iranienne en disant, avec Hérodote, que cette division fut l’œuvre des trois fils de Zoroastre. A défaut de castes hiérarchisées, de classes même, la société iranienne possède au degré le plus éminent un irrésistible, un despotique besoin d’ordre qu’elle applique à tout, et à tous. Non seulement chaque famille doit avoir un chef, mais encore un chef désigné doit présider au groupement des familles qui, dans la cité, habitent une même rue ; un autre chef préside au groupement des rues qui forment la cité ; les cités, groupées à leur tour, auront un chef également. Cette hiérarchie se complique d’une autre organisation qui vient s’enchevêtrer dans la première. Pris en masse, les agriculteurs doivent avoir un chef ; aussi les guerriers, aussi les prêtres, et les femmes. Ormuzd veut que chaque maison ait un chef, et chaque rue, et chaque ville, et chaque district. Celui qui a le soin des troupeaux doit être le chef des mazdéens hommes des champs ; un autre mazdéen pur et remarquable doit être le chef des guerriers ; celui qui sait le mieux la loi doit être le chef des prêtres. Les femmes doivent avoir un chef, et ce chef des femmes doit être, d’après la loi mazdéenne, un être à deux mamelles, nubile et fécond de corps. Ce système social, qui n’était qu’une anarchie organisée, excluait tout despotisme. Des milliers de chefs pouvaient agir individuellement, en pleine autorité, sans que l’un d’eux fût capable d’imposer sa volonté, ou de s’opposer à la volonté d’autrui. C’était un morcellement universel, et qui subsista, vigoureux, rigoureux, pendant des siècles, merveilleusement adapté à la vie belliqueuse, pastorale, agricole, mais non industrielle des Iraniens. Les groupements se groupaient davantage suivant la nécessité, ou se séparaient librement. Longtemps après la mort d’Arbace, ce républicanisme parlementaire distinguait encore les Mèdes. Le groupement principal, le dernier, c’était la nation. Lorsque le peuple iranien se rassemblait, les chefs de maison, de rue, de ville et de province n’intervenaient pas, car leurs pouvoirs eussent été comme annulés par le pouvoir supérieur du chef de province ou district ; c’étaient, sans doute, les chefs des catégories purement sociales, — chef des pasteurs, chef des agriculteurs, chef des guerriers, chef des prêtres, chef des femmes, — qui ordonnaient et menaient le rassemblement. Les routes par lesquelles les peuples se rendaient à l’Assemblée étaient sacrées. Je fais izeschné, dit l’Avesta, au chemin par où va l’assemblée des peuples. C’était là un gouvernement, en somme, non point issu de théories philosophiques, ni de conventions arbitraires, mais de la nature même des choses, de la nécessité. Pour les Iraniens du temps de Zoroastre, les nécessités gouvernementales furent les précautions à prendre contre les Touraniens, continuellement menaçants. Le but de Zoroastre est clair. Il veut instruire, moraliser, organiser les Iraniens, de telle sorte qu’ils puissent devenir habiles, sages, forts, c’est à dire capables de s’enrichir, de vivre heureux, de défendre leur richesse et leur bonheur contre deux ennemis, les Touraniens qui sont à l’extérieur, guettant leur proie, et l’ignorance, à l’intérieur, dissolvant le corps social par le développement de passions nuisibles, le manque de soins matériels. Il est un fargard du Vendidad qui donne, à larges traits, avec le but primordial de Zoroastre, le moyen de réforme qu’il compte employer, son organisation idéale. La première chose qui plaise à la terre, la rende favorable à l’homme, c’est l’amour de la paix et le défrichement des déserts improductifs ; la seconde, c’est la division des terrains, leur appropriation réfléchie et définitive : Ici le temple ; là, le lieu des assemblées populaires ; ensuite les maisons et les tentes ; plus loin, les pâturages ; — la troisième, c’est de confier à la terre les graines qui germeront, les herbes qui croîtront, les arbres qui développeront leur verdure assainissante ; l’on donnera de l’eau à la terre qui a soif, et l’on asséchera la terre inondée ; — la quatrième et la cinquième, c’est de veiller à la nourriture et à la reproduction des animaux domestiques et des troupeaux. La théorie du législateur est complète. La terre privilégiée, ce sera celle où vivront pacifiquement les mazdéens servant Ormuzd ; si cette terre est inculte, Mithra la fertilisera. La société la meilleure, ce sera celle où la sécurité sera garantie à tous, aux hommes, aux femmes, aux enfants, aux assemblées du peuple, aux animaux utiles, par tous d’abord, et ensuite par un homme puissant et juste, par un chef suprême, chef des chefs, roi. Zoroastre n’innove pas la royauté en Iran. Le roi iranien, chef des chefs, est l’inévitable dernier mot de la hiérarchie sociale ; il existe fatalement. Ce qui n’existe pas encore, et ce que Zoroastre voudrait, c’est un roi puissant et juste, bon, doux, charitable. Ce roi nourrira l’affamé ; il poursuivra et chassera les mauvais génies, les mauvais démons prenant la forme de l’homme. Ce roi, qui donne le pain aux Iraniens misérables, comme Zoroastre donne sa morale au pervers, comme Bahman donne à la terre inculte des sucs fertilisants, vaincra ses ennemis. Le législateur voit parfaitement le vice irrémédiable de son système, il en prévoit les conséquences, il en sait les périls ; mais il n’a pas le loisir de mieux faire. Ce qui lui importe, c’est l’accomplissement de sa mission ; il emploiera donc les éléments de succès qui sont sous sa main. Puisque la royauté existe en Iran, il faut la conserver et s’en servir. Les moyens du réformateur sont excessivement restreints, car il ne peut pas s’emparer d’un peuple extraordinairement morcelé, tout composé d’individualités indépendantes ; il a besoin d’une force, d’un levier, pour élever son œuvre à la hauteur voulue ; il n’hésite pas, il se sert du roi. Le législateur prévoit le despote, le tyran, qui voudra son autorité royale supérieure à tout, même à la loi. Ce roi violent et injuste, s’il règne un jour, ne sera que l’instrument vengeur d’une divinité courroucée. Sur ceux qui sont injustes et violents viendra s’asseoir un roi qui, de sa propre autorité et par sa volonté s’emparera du trône, et dira : Je ne veux pas qu’après moi on honore dans les provinces de mon empire, ni l’eau, ni le feu ; ce roi anéantira toute abondance, frappera continuellement les biens et les fruits de toute espèce. Zoroastre accepte un dieu comme il accepte un roi. Il ne crée pas la divinité des Iraniens ; il modifie simplement la forme spéciale, la conception du dieu qui existait déjà. En expliquant Ormuzd, il le façonne à son idée, il le complique, ou le complète si l’on veut, comme un habile ouvrier fait d’un instrument connu qu’il perfectionne. Ce dieu, maître des rois, sera la sauvegarde des peuples, après avoir été, pour Zoroastre, une garantie contre le pouvoir humain qu’il va faire énorme et dangereux. Dieu étant ainsi terminé, le législateur procède hardiment
à la construction de son édifice. Les rois, il le déclare, ont en eux quelque
chose de particulier ; un feu sacré les anime ; ils ont été faits pour
régner, incontestablement ; mais, c’est de Dieu, c’est d’Ormuzd qu’ils ont
reçu l’autorité dont ils jouissent, et
ils ne doivent ni s’enorgueillir de leur puissance, ni se servir de leur
pouvoir autrement que selon les vues de Dieu. Le roi qui manquerait à sa
mission, celui qui abuserait de sa puissance, celui qui, surtout, cesserait
de servir la loi nouvelle donnée, serait inévitablement renversé, et c’est
Zoroastre lui-même qui exécuterait l’ordre d’Ormuzd : Que par moi, Zoroastre, s’élève et se
répande dans les foyers, dans les rues, dans les villes, dans les provinces,
cette Loi qui enseigne à être pur de pensée, pur de parole, pur d’action.
Prenez soin du roi qui est juste, ne prenez pas soin du roi infernal. Enlevez
le roi qui n’est pas selon votre désir, ô Ormuzd. Ormuzd a dicté à
Zoroastre les formules sacrées qui civiliseront le monde ; le roi des
Iraniens sera le lieutenant de Zoroastre pour le triomphe de |