Les Iraniens, Zoroastre (de 2500 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE VIII

 

 

Le mariage, acte essentiel. - L’engagement. - Cérémonies et formules. - Le père et le répondant. - La dot. - Les souhaits. - L’évangile zoroastrien. - Le nékah. - Le nam-zad. - La prière conjugale. - L’œuvre d’Ahriman. - La femme iranienne. - La veuve d’un criminel. - La vie heureuse. - Les impures. - Les amours coupables. - Les devoirs de l’amant et les droits de l’amante. - Le code dénaturé par les prêtres. - Les vagabondes.

 

ZOROASTRE poursuit son œuvre. Après avoir fait aimer le travail, après avoir enseigné l’art du labourage, appris à respecter l’eau, assuré la bonne garde des villes et des champs, des hommes et des troupeaux, après avoir hiérarchisé la famille et défini les droits de l’enfant, le réformateur fait du mariage une sorte d’obligation. Dans le Vendidad, l’Iranien sans femme est dit au dessous de tout. L’union de l’homme et de la femme est l’acte le plus agréable à Ormuzd. La loi est à ce point formelle, que ses commentateurs, plus tard, croiront devoir autoriser les unions entre parents trop proches ; ce qui fut un grand sujet de scandale pour Saint-Jean Chrysostome, auquel Beausobre répondit, d’ailleurs, en dégageant Zoroastre de toute responsabilité.

Le père iranien dispose de sa fille, et le frère dispose de sa sœur. Les livres sacrés ne parlent pas de dot. La jeune fille est donnée à son époux toute parée, portant des boucles à ses oreilles ; elle est vierge, et nul, dans la ville ou dans la province, n’a terni la pureté de ses quinze ans.

La cérémonie du mariage devait être remarquablement simple à l’époque de Zoroastre, puisque malgré l’ardente imagination de ses successeurs, destours et mobeds, la formule de l’engagement est restée simple. Le prêtre s’adresse au père de la jeune fille en disant : Vous donnez cette vierge nommée *** à ***, selon l’accord ? Consentez-vous à cela ? Le père ayant répondu j’y consens, je le veux ! le mobed s’adresse au fiancé : Vous prenez *** pour femme, afin d’obtenir d’elle une postérité, selon vos conventions ? Promettez-vous cela ? Le fiancé répond je le promets. Ô vous, dit alors le mobed, qui avez promis les choses avec droiture, soyez l’un et l’autre comblés de joies. Dans l’Inde, chez les Parsis, le père est remplacé par une sorte de répondant, et le prêtre dit le chiffre de la dot promise, en monnaie de Nichapour. C’est une modification apportée aux anciennes formules. Les prêtres sectateurs de Zoroastre vivant en Kirman emploient encore un texte qui doit être original : S’adressant au père de la fiancée, vous donnez cette vierge, lui disent-ils, pour la réjouissance de la terre et du ciel ; pour être un corps et une âme, maîtresse de maison, chef d’un lieu ? Vous donnez cette vierge de la loi des mazdéens à son mari qu’elle aidera et vous dites qu’elle est nubile ? Le père répond je la donne, et le mariage étant ainsi fait, le mobed prononce lentement le nékah, ou bénédiction, qui contient, avec les souhaits traditionnels, un résumé moral très important.

Chaque terme du nékah mériterait un examen. Des paragraphes entiers de cette leçon pourraient en être enlevés, qui ont été évidemment ajoutés au texte original ; la dédicace elle-même, quasi musulmane, n’a presque plus rien de zoroastrien ; mais la trame de ce beau discours est une œuvre vraiment belle, due au grand esprit du réformateur iranien ; notre évangile ne dira pas mieux :

 

Au nom d’un dieu libéral, bienfaisant et miséricordieux !

Au nom d’Ormuzd secourable !

Soyez instruits de ce qui est pur !

Faisant le bien d’une manière convenable, appliquez-vous à penser le bien, à dire le bien, à faire le bien.

Éloignez-vous de tout ce qui est mal de pensée, diminuez tout ce qui est mal de parole, anéantissez tout ce qui est mal d’action.

Renversez la magie.

Étant mazdéen, pensez et faites le bien.

Dites la vérité au milieu des grands.

Parmi vos amis, ayez le visage doux et les yeux bienfaisants.

Ne faites pas de mal à votre prochain.

Ne vous emportez pas de colère.

Ne faites pas de mal par honte.

Ne vous laissez aller, ni à l’avarice, ni à la violence, ni à l’envie, ni à l’orgueil, ni à la vanité, ni à contredire la loi.

Ne prenez pas le bien d’autrui ; abstenez-vous de la femme de votre prochain.

Faites vos actions avec attention.

Faites du bien aux purs, aimés de Dieu.

Ne disputez pas avec l’envieux.

Ne soutenez pas l’avare.

N’allez pas avec celui qui fait du mal à son prochain.

Ne vous liez pas avec ceux qui ont un mauvais caractère, avec ceux qui savent le mal.

Répondez avec douceur à votre ennemi.

Soyez aimable à vos amis.

Ne faites pas de mal en présence des personnes simples et ignorantes.

Parlez avec lumière dans l’assemblée, avec mesure en présence des rois.

Rendez-vous plus célèbre que votre père.

Ne faites point de mal à votre mère.

Conservez votre corps lumineux et saint.

Comme le corps et l’âme sont amis, soyez l’ami de vos frères, de votre femme, de vos enfants.

 

La cérémonie du mariage, ou nékah, est maintenant précédée d’une cérémonie des fiançailles, ou nam-zad, qui ne semble pas appartenir aux usages de l’Iran primitif. Les prêtres prononcent une invocation spéciale, qui n’est que la paraphrase de l’invocation nékah. L’imagination des destours, en libre carrière, a donné sa mesure. Il y a deux textes, l’indien et le persan. Dans l’Inde, le mobed qui préside aux fiançailles de deux mazdéens, demande à Ormuzd, pour les futurs époux, mille années de vie et de joie, le bien-être, tous les plaisirs, la pureté, l’éclat, la grandeur, le commandement, des descendants qui se succèdent sans interruption, et mille millions de bénédictions. Le nam-zad du Kirman, plus grave, a mieux conservé l’esprit zoroastrien : Que Dieu soit toujours miséricordieux et libéral à votre égard ; qu’il vous donne beaucoup d’enfants, une nourriture abondante, beaucoup de biens, beaucoup d’années, une amitié continuelle. Que la paix soit avec vous. Que le bien ne s’éloigne pas de vous. Vivez longtemps, et unis. Vous pouvez être ensemble. Soyez justes. Consentez-vous verbalement à votre sort ? Que le bonheur abonde sur vous deux. Lorsque votre mari, qui aime la justice, vous commandera quelque chose, obéissez-lui. Faites des œuvres justes. Quelque chose qu’il vous ordonne, que cela vous plaise. Aimez-vous tendrement. Que vos cœurs soient purs et droits. Parlez-vous avec joie, avec plaisir. Recevez mille millions de bénédictions.

Cette rhétorique cléricale, bruyante, désordonnée, visant l’impossible dans l’Inde, mesurée et religieuse en Kirman, drape de littérature la sincère brutalité de Zoroastre voyant son but social, l’atteignant en peu de mots. Ce qu’il faut à Zoroastre, ce qu’il désire, ce qu’il veut, ce qu’il fait, c’est un peuple nombreux, et il ordonne le mariage. Ô dieu, dit hautement le législateur, donnez la force et la grandeur aux héros agissants et vigoureux ; donnez à la femme qui n’a pas encore engendré beaucoup d’enfants, brillants, sains ; donnez un chef vif et prudent à la fille qui est sans mari.

La cérémonie du mariage n’est pas dans le Zend-Avesta un rite essentiellement religieux ; l’union de l’homme et de la femme n’y est énoncée que comme un fait social, civil, nécessaire au développement, à la grandeur de la nation. L’acte marital, au contraire, doit être sanctifié ; une prière le précède : Ô Sapandomad, je vous confie cette semence. Chaque matin, le mazdéen marié doit invoquer Oschen, qui donne abondamment les germes, qui est généreux ainsi qu’un cheval bondissant, qui distribue la vie humaine, de qui viennent les plaisirs du foyer.

Parfois Ahriman, l’esprit du mal, combattant le désir suprême d’Ormuzd, la loi sacrée de Zoroastre, tourmente l’homme pendant son sommeil, le jette en des rêves étranges, lui suscite des plaisirs mensongers, l’enveloppe d’une sorte de chaleur fausse afin que l’arbre de vie, trompé, livre sa sève qui s’épanche, se répand, et se perd en une stérile souillure. Alors, le mazdéen doit se lever, prier douloureusement, afin que le grand Ormuzd fasse vivre dans le ciel l’enfant qu’il avait destiné à la terre. Cette œuvre du démon horrifie le mazdéen, ainsi que le voulait Zoroastre tout à son but.

La femme iranienne, souveraine maîtresse dans sa maison, peut, si elle est pure, intelligente, instruite, obtenir l’autorité, le commandement. Le législateur demande pourquoi ces femmes supérieures, capables de commandement, éminemment utiles, ne seraient pas honorées au même titre que l’homme peut l’être. La terre, la douce et fructueuse Sapandomad, n’est-elle pas femelle, et ne lui consacre-t-on pas des invocations ? Je fais izeschné, écrit Zoroastre, aux femmes pures, qui sont très saintes de pensée, très saintes de paroles, très saintes d’actions, intelligentes, bien instruites, bons chefs, comme à Sapandomad qui est fille d’Ormuzd.

Dans ce qui constitue plus particulièrement la partie pénale de la loi, Zoroastre, après avoir édicté la peine de mort contre les mazdéens coupables de certains crimes, se préoccupe de la femme veuve d’un criminel. Il veut qu’après avoir établi la fortune du coupable exécuté, on réserve à sa femme la part nécessaire à son existence, et cela avant de donner aux prêtres ce qu’ils attendent pour prier Ormuzd en faveur du mort. La femme est pour Zoroastre la compagne indispensable à l’homme ; il n’y a pas, sans elle, en cette vie, de joie possible, de bonheur complet. Se prenant à énumérer, dans son œuvre, tout ce qui peut constituer la récompense, en ce monde, d’un mazdéen très saint, Zoroastre dit, avec une simplicité charmante, qu’à cet homme il faut donner : une source d’eau courante, un terrain irrigué, zébré de rigoles, et tel, qu’on y fasse couler l’eau abondamment deux fois par jour, un parc à bestiaux divisé en neuf parties closes de murs, une maison haute avec terrasse, et une jeune fille, vierge, âgée de quinze ans.

Sur un point, Zoroastre nuit à la femme, radicalement. Cherchant à faire partout de la pureté, voulant poursuivre, combattre jusqu’à l’excès tout ce qui peut être pour le peuple une cause de corruption morale ou matérielle, il soumet la mazdéenne à la honte d’une séquestration périodique ; il la déclare en état d’impureté naturelle une fois par chaque lune au moins. A ce moment, la maîtresse de maison, fut-elle chef de lieu, trois fois sainte, célèbre, illustre, supérieure à toutes les femmes et à tous les hommes, la loi vient qui la frappe de déchéance, la dépouille, pour un temps déterminé, de sa propre dignité ; on la relègue comme un animal immonde en un lieu spécial, où elle subira une désolante détention ; vers un lazaret fatal elle sera conduite, où des règles absurdes, de monstrueux détails, d’odieuses pratiques ordonnées au nom d’Ormuzd lui feront une atroce vie.

A lire, dans le Vendidad, le texte du rite de la purification que doit subir la femme avortée, le mal vient au cœur. Il était admis, chez les Iraniens, que l’urine du bœuf possédait d’étonnants pouvoirs ; c’était l’élément purificateur par excellence, le liquide incorruptible et assainissant. La femme en état d’impureté par avortement subissait l’humiliation épouvantable de minutieuses ablutions, plusieurs fois répétées, et faites non point au hasard, mais sur neuf pierres placées dans un certain ordre, sur un sol spécialement aménagé. Douze jours de purification sont prévus dans ce code navrant, dont trois au moins passés dans une complète séquestration. Le vêtement même de l’impure est un objet de répulsion ; il ne peut être porté que par une autre femme en état d’impureté. Ormuzd, dit le Vendidad, ne veut pas que d’autres personnes en prennent sur eux un seul morceau, ne serait-ce que la longueur d’un ourlet, ou la mesure d’un derem, ou un fil de la longueur de celui que les femmes tirent et filent sur le rouet. Sur un terrain nu, couvert de sable, l’impure ne doit voir ni le feu, ni la lueur du feu, car son regard même est impur.

La loi qui a dit comment la femme impure par avortement doit être traitée et nourrie, dit avec la même précision les soins qui doivent être donnés à la femme et à la jeune fille isolées du monde par l’effet d’un état naturel périodique : On leur portera du grain dans du fer ou du plomb, parce que ce sont les derniers des métaux, avec deux dinars de lait caillé et un dinar de fruits secs. Des ablutions, sur trois pierres différentes, sont ordonnées.

La séquestration des jeunes filles n’était pas très rigoureuse, puisque le code zoroastrien prévoit le cas où la séquestrée abuserait de la liberté relative qui lui est laissée : Le mazdéen qui a la hardiesse de s’approcher d’une jeune fille en état d’impureté périodique doit être fustigé rudement ; s’il pousse sa hardiesse jusqu’à la folie ; si, aveuglé par sa passion, ce mazdéen bravait la loi complètement, il ne pourrait plus être purifié, car il serait comme s’il avait jeté dans le feu où l’on vient de brûler un cadavre, le propre fils qui serait né de lui.

Hors du mariage, l’amour est illégitime. L’homme coupable, en tel cas, si sa complice fut consentante, reçoit huit cents coups de fouet ; il est irrémissiblement damné, il n’y a plus pour lui d’expiation possible, si la violence a servi sa passion. Ici le Vendidad étonne, parce qu’il est implacable et cruel. Doux et compatissant à la fille-mère qu’il protège, Zoroastre dit les devoirs de l’amant ; et il admet que, si l’amant se dérobe, la mère ait le droit de le frapper de mort. Mais voici que la loi prévoit un cas où la victime subit le sort du coupable, où le fruit de l’amour lui-même doit être frappé. L’amant, la mère, l’enfant et la complice du crime commis doivent mourir par le poison ; on les mènera devant le prêtre ou devant le roi, qui frappera, détruira, fera périr l’enfant avec du suc d’arbre, et lorsqu’on aura détruit l’enfant, on aura soin d’en faire autant à l’homme, à la fille et à la gardienne.

Ce que voulait le législateur, c’était l’accroissement des Iraniens ; cette hécatombe d’êtres, cette loi terrible qui aboutit au sacrifice de quatre existences pour racheter une seule faute d’amour, est excessive et contradictoire ; Zoroastre n’a pas pu dicter ces cruautés. Le même fargard, en effet, dit que l’on tuera la fille qui détruit elle-même son propre fruit ; que la fille-mère doit être absolument nourrie par le père de son enfant, et il se termine par cette catégorique déclaration : Dans quelque lieu que les femelles portent leurs prières et demandent du secours, les chefs doivent absolument les nourrir. Il faut donc voir dans ce passage, d’ailleurs obscur, qui édicte la peine de mort contre l’enfant, la mère, le père et la gardienne naturelle de la fille, l’œuvre des prêtres qui succédèrent à Zoroastre.

Le texte dit positivement que les coupables seront menés devant le destour ou devant le roi ; ce n’est pas Zoroastre qui aurait désigné de tels juges. Cette intercalation évidente est un acte clérical ; il n’y a, au monde, qu’un prêtre qui soit capable d’exiger la mort de quatre personnes, non comme un châtiment en rapport avec la grandeur du crime commis, mais comme une vengeance en rapport avec la colère vaniteuse du juge impuissant et jaloux. Bien autrement bon, et juste, et humain se montre Zoroastre, toujours.

Comment le législateur aurait-il pu déployer tant de sévérité contre une pauvre fille-mère, alors que, dans la loi, rien n’est édicté contre les femmes publiquement amoureuses, gaies et contentes, qui se tiennent par les chemins et se nourrissent au hasard de ce qu’on leur donne.