Les Iraniens, Zoroastre (de 2500 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE V

 

 

Les livres sacrés. - Le Zend-Avesta. - Ormuzd et le Mazdéisme. - Les mazdéens. - Caractère de l’Avesta. - Traductions. - L’œuvre personnelle de Zoroastre. - Les Parses, s’exilant, emportent les livres sacrés. - Le destour Ardeschir. - Corporation de l’Avesta. - Zoroastre, le roi Gouschtap et le roi Ardiasp. - Mazdéisme, science universelle, loi, réforme. - Les cinq livres de l’Avesta : Vendidad, Izeschné ou Yaçna, Vispered, Sirozé, Yescht. - Le Boundéhesch : De l’origine des êtres et de la distribution de l’univers.

 

AINSI, ni dans la race, ni dans la langue, ni dans les mœurs des Iraniens actuels, l’historien ne saurait trouver les éléments caractéristiques du grand passé qu’il importe de faire revivre, pour comprendre Zoroastre, pour apprécier l’œuvre de ce législateur étonnant. La terre persane, rebelle à l’union des hommes, avec son désert central fatalement séparatif, livrée aux exagérations simultanées des climats les plus divers, placée entre l’Inde immuable et l’Assyrie tourmentante, continuellement traversée, du nord au sud et de l’est à l’ouest, par des hordes victorieuses ou des armées vaincues, n’a pas pu conserver ses traditions. C’est à Bombay qu’il faut se rendre, maintenant, pour écouter les derniers sectateurs de Zoroastre, les Parsis.

Des origines iraniennes, il ne nous reste qu’un seul témoin, un recueil de livres : l’Avesta. Nul autre monument ne saurait nous parler des Bactriens, de ce petit peuple à l’influence duquel le monde dut le meilleur, peut-être, des dieux imaginés, Ormuzd, et la religion préférable, le mazdéisme zoroastrien. Les livres qui, réunis, forment l’Avesta, sont le Vendidad, le Yaçna, le Vispered, le Sirozé, le Yescht et le Boundéhesch. Les hommes qui professent la morale religieuse contenue dans ce recueil s’appellent Mazdéens. Chacun des livres de l’Avesta a un caractère spécial. Le Vendidad seul paraît complet. Il a été dit que les livres de la religion mazdéenne furent détruits par les musulmans, lorsqu’ils conquirent la Perse.

Le Yaçna, le Vispered et le Yescht ne sont qu’une collection de fragments. Le Boundéhesch, sorte de traité de cosmogonie, ne nous est parvenu que sous la forme d’une traduction. Le grand caractère de l’Avesta, c’est l’unité ; il n’est pas de fragment, quelque mince qu’il soit, quelque modifié qu’il ait été, qui ne tende à un but déterminé, arrêté, défini, toujours le même. La doctrine mazdéenne est absolue ; l’auteur de cette doctrine, initiateur personnel, c’est Zoroastre.

De ce que le nom de Zoroastre est continuellement écrit dans le texte des livres mazdéens, on a voulu conclure, parfois, que les auteurs de ces livres auraient vécu après l’initiateur du mazdéisme, et qu’en conséquence, ce n’est pas l’œuvre personnelle de Zoroastre que nous lisons dans l’Avesta. Cette objection tombe devant ce fait, que c’est presque toujours l’usage des écrivains orientaux de se nommer eux-mêmes à la troisième personne.

Avesta veut dire livre » ou texte, du mot pelhvi apstak, ou encore loi, mais dans le sens de recueil écrit donnant la loi. Les premiers documents qui désignèrent le recueil des livres de Zoroastre sous le nom d’Avesta, le qualifièrent de zend : Zend-Avesta. On lut d’abord zantu, non zend, et l’on traduisit alors ce titre par celui de Livre, ou Loi de la ville, donné dans la ville ; quand on eût épelé correctement le mot Zend, on le traduisit par le mot prière, et l’on fit de Zend-Avesta, le Livre des prières. En réalité, la valeur exacte du mot est encore à trouver.

L’Avesta se qualifie lui-même de Manthra çpenta, c’est-à-dire parole sainte. Les docteurs perses qui ont le dépôt des livres sacrés, les considèrent comme une partie de la parole apportée par Zoroastre. Ils croient, avec notre Anquetil Duperron, que l’Avesta complet se divisait en vingt-et-un nosks ou parties, dont sept expliquaient l’origine des êtres, l’histoire du genre humain ; sept énuméraient les lois de la pure morale, les devoirs civils et religieux ; sept traitaient de la médecine et de l’astronomie. Cette précision des docteurs dissimule mal leur ignorance ; elle inquiète beaucoup plus qu’elle ne satisfait l’auditeur. De l’Avesta, très mutilé, il ne nous est parvenu encore qu’une faible partie ; et dans ce que nous avons, de très nombreuses interpolations déshonorent le texte original.

Le Vendidad, le Vispered et le Yaçna, réunis sous le titre de Vendidad-Sadé, et le Yescht, sont écrits en zend ; le Boundéhesch est une tradition pehlvie, langue vulgaire des Perses au temps des Sassanides. Si le texte de la loi des mazdéens fut tronqué, interpolé, dénaturé même dans certaines de ses parties, non seulement par les docteurs qui l’exploitaient, mais encore par des influences étrangères au mazdéisme, et si quelques incertitudes subsistent quant aux époques où furent rédigées certaines modifications importantes, il est certain que l’œuvre du législateur, que la pensée de Zoroastre est toute dans l’Avesta.

Les destinées de l’Avesta furent très mouvementées, ses vicissitudes furent navrantes ; les Parses, qui s’exilèrent dans l’Inde, emportant avec le livre sacré les pures traditions mazdéennes, eurent de nombreuses défaillances. On les vit d’abord s’arrêter en Kohistan pendant un siècle, hésitant à continuer leur exode ; ils descendirent ensuite sur les bords du golfe Persique, où ils demeurèrent pendant un demi-siècle environ ; et lorsqu’ils eurent accompli, enfin, leur émigration, lorsqu’ils arrivèrent en Guzarate, les uns adoptant la patrie nouvelle, les autres conservant très vif en eux l’espoir d’un retour en Iran, une scission se produisit qui interrompit l’œuvre des exilés. Il en fut qui parurent renoncer jusqu’au souvenir de leur origine et de leur religion : l’on a dit de ces derniers, qu’ils en vinrent jusqu’à ne savoir plus d’où ils étaient venus. Il est démontré que ces Parses cessèrent très vite de parler leur propre langue et qu’à la fin du quatorzième siècle la copie du Vendidad qu’ils avaient apportée en Guzarate était perdue.

Un destour nommé Ardeschir, qui vint du Seistan dans le Guzarate, donna aux prêtres un exemplaire du Vendidad, avec la traduction pehlvie. Deux copies furent faites de ce document ; c’est de ces deux copies que résultent tous les Vendidad, zends et pehlvis, qui se trouvent dans l’Inde. La traduction sauvée par Ardeschir était déjà profondément altérée. Il ne faudrait cependant pas aller jusqu’à croire que le traducteur se contenta d’une imitation approximative ; ce fut une sorte de traduction libre, suffisamment consciencieuse, c’est-à-dire respectueuse de l’esprit zoroastrien, en tant que les intérêts personnels du corps sacerdotal mazdéen n’en devaient pas souffrir.

Les interpolations furent de deux sortes : les unes, très audacieuses, eurent pour but d’imposer aux mazdéens les volontés des prêtres ; les autres se glissèrent pour ainsi dire dans le texte de Zoroastre, par l’influence des mages chaldéens et des sectateurs de Moïse qui étaient en relations intellectuelles avec les destours. C’est ce qui a fait dire, un peu trop crûment peut-être, mais non sans un reflet de vérité, que l’Avesta a subi, plus ou moins, l’influence de la philosophie religieuse du mosaïsme et du magisme. Ces deux influences ne sont manifestes que dans le texte des traductions modernes de l’Avesta.

C’est donc aux Parses-Indiens que nous devons la conservation des livres de l’Avesta ; et c’est de l’Inde, non de l’Iran, que les Anquetil Duperron, les Burnouf, les Spiegel et les Haugh, ont apporté la flamme érudite à la lueur de laquelle nous lisons l’œuvre de Zoroastre. Comment s’étonner, alors, de cette impression si souvent ressentie, que la plus grande partie des livres mazdéens pourrait être postérieure à l’œuvre des poètes védiques, au Rig-Véda notamment. Ne serait-il pas plus prudent de dire que les parties de l’Avesta apparaissant comme postérieures au recueil des hymnes védiques, sont précisément les parties empruntées, interpolées ou modifiées ? Alors, le fond de l’Avesta, dégagé, aminci, épuré, serait l’œuvre restituée de Zoroastre. Il appartient à la critique savante d’émonder le chêne iranien très vigoureux, mais couvert de gui védique, afin que l’histoire n’ait devant ses yeux que le grand arbre assaini. Délivré de ses parasites et de ses greffes, l’Avesta n’est que strictement iranien ; il n’a pas une seule de ses racines en Indoustan.

Les chroniqueurs orientaux ont su dire, et non sans grandeur, sur un ton légendaire, l’action purement humaine de Zoroastre, le triomphe et la conservation de l’Avesta. Ils racontent que Gouschtap, roi, séduit par Zoroastre, fit transcrire l’œuvre du législateur sur des peaux de bœuf, ordonnant de placer un exemplaire du texte sacré dans chacun des temples nouvellement édifiés et consacrés au dieu des mazdéens. Un édit royal ordonnait la lecture assidue du texte aux grands de l’état et aux sages. Le roi Gouschtap, très zélé, voulut que son voisin, le roi Ardjasp, qui régnait en Touran, connût et surtout, adoptât la morale, la législation zoroastrienne. Le roi Ardjasp répondit non seulement par un refus, mais encore voulut ramener le roi Gouschtap au service des anciennes lois. Le roi d’Iran déclara la guerre au roi de Touran ; deux armées de trois cent mille hommes, ennemies, marchant l’une contre l’autre, animées d’un grand esprit religieux, se rencontrèrent et se battirent longuement dans la vaste plaine qui s’étend sur la rive droite du Djihoun, — le Sir Daria. — Les Iraniens défirent les Touraniens, Gouschtap vainquit Ardjasp, la loi de Zoroastre triompha des législations antiques. Ce fut un combat social plutôt qu’un combat religieux, car Zoroastre est législateur et non prêtre : il dicta des lois et non des dogmes ; il sépara le bien du mal ; il énuméra des récompenses et des châtiments ; mais il ne fit pas des dieux, d’abord, de parti pris. Qui disait mazdéisme, disait science universelle, parole révélée par une personne excellente, pure et agissante, transmise aux hommes par la bouche de Zoroastre, sous la forme de la bonne loi. Loi et Réforme, tels furent pendant longtemps les mots qui servirent à traduire correctement ce titre : Zend-Avesta.

Le premier des cinq livres sacrés qui forment l’Avesta, — le Vendidad — est considéré par les mazdéens comme le seul des ouvrages de Zoroastre qui leur ait été conservé en entier. Vendidad signifie, donné contre les daévas ou démons. Le mot parsi Vendidad est le mot iranien Vidaevadâta, qui dit bien : donné contre les démons, les dœvas, les daévas, les dews. Le Vendidad est divisé en vingt-deux fargards ou parties. Le premier et le deuxième fargards sont les paroles par lesquelles Ormuzd explique ses propres œuvres à Zoroastre, ainsi que les œuvres d’Ahriman, ce démon ennemi de Dieu. Les treize fargards qui suivent les deux premiers, disent les devoirs des mazdéens. Le dix-huitième et le dix-neuvième fargards, promettant la résurrection des morts et le triomphe définitif d’Ormuzd, célèbrent le règne et la gloire du dieu. Le vingtième fargard traite de l’assainissement de la nature par la bonté d’Ormuzd ; le vingt et unième explique l’homme et fixe la durée du monde ; le vingt-deuxième est consacré à la mission de Zoroastre. La supériorité du Vendidad, incontestable pour tout mazdéen, est d’ailleurs énergiquement affirmée par le Vendidad lui-même.

Le deuxième livre de l’Avesta, — l’Izeschné ou Yaçna, — et le troisième livre, — le Vispered, — sont des recueils de prières en même temps qu’une sorte de code du cérémonial religieux. Les invocations les plus pures, les plus élevées s’y heurtent à de tristes et minutieuses indications de rites. Faire izeschné c’est, pour le mazdéen, célébrer la grandeur de celui qu’il prie, ou qu’il invoque ; — izeschné signifie relever.

L’œuvre primitive dut être comme un recueil de cantiques respectueux ; et c’est aux prêtres qui vinrent après Zoroastre qu’il convient d’attribuer tous les détails d’un culte ridiculisé dont l’Izeschné fut rempli. La volonté de Zoroastre est énoncée par la bouche d’Ormuzd : Je vous parle clairement, dit le dieu. Celui qui m’invoquera bien et avec pureté de cœur, ou celui qui aura l’esprit éclairé par mes instructions, ou celui qui, généreusement, ne désirera que l’avantage d’autrui, celui-là, cet homme, soit qu’il vive maintenant, soit qu’il doive exister, soit qu’il ait été, son âme pure ira au séjour de l’immortalité.

Ces paroles, fidèlement répétées, devaient être pour le mazdéen une belle prière, une excellente leçon ; l’intention de Zoroastre fut évidemment, en cette partie de son œuvre, de signaler à ses sectateurs les avantages résultant de la pureté, de la confiance, de l’instruction et de l’abnégation charitable. Ormuzd ne demande pas d’autre manifestation respectueuse que celle d’une invocation, d’une prière émanant d’un cœur pur. Mais, les prêtres qui succéderont à Zoroastre s’empareront de ces saintes paroles, et ils les tourmenteront, et ils les commenteront, et ils les complèteront, après les avoir mutilées, jusqu’à ce que le texte primitif se soit approprié à leurs exigences. Zoroastre a fait dire à Ormuzd, souvent, que par une seule prière bien dite le fidèle mazdéen peut obtenir plus qu’il n’a demandé. Un prêtre vient, — un destour, — qui commence par substituer à l’invocation verbale l’acte brutal d’un culte ; un autre lui succède qui se fait un revenu palpable de la pensée zoroastrienne. Zoroastre avait dit : Pour une seule prière, donnez trois, quatre, six, sept, neuf, dix fois, ô Ormuzd, ce que je vous demande. Le texte de cet Izeschné s’applique maintenant aux libations : Pour cette coupe de hom que je vous présente, donnez-m’en trois, quatre, six, sept, neuf, dix pour une.

D’autres destours, qui vinrent après ceux dont l’imagination sut tirer une comédie rituelle si compliquée d’un texte essentiellement vocatif, faisant mieux, interprétèrent le texte dans ce sens, que les fidèles devaient donner aux prêtres une part de leurs biens, au moins le dixième. C’est la dîme.

Des cinq livres de l’Avesta, l’Izeschné est peut-être celui qui contient le plus d’interpolations, très savantes, très habiles, destinées à permettre l’exploitation la plus complète possible des fidèles par les destours. Comparé au Vendidad, l’Izeschné est relativement moderne. C’est une traduction, en sanscrit, du pehlvi ; elle est dite traduction de Neriosengh, et mérite toute confiance. Aux interpolations intéressées des prêtres parses, il faut donc ajouter les inévitables erreurs de traductions successives, tenir compte surtout de l’influence brahmanique, si l’on veut, en lisant l’Izeschné, avoir l’impression vraie de ce qu’il fut à l’origine. L’Izeschné ou Yaçna comprend soixante-douze hâs ou parties.

Le troisième livre de l’Avesta, — le Vispered, — est divisé en vingt-sept cardés. La signification du mot Vispered a longtemps exercé la sagacité des traducteurs. On a décomposé le mot en Vispé et Khered, connaissance de tout ; puis en Vispé et Rad, tous les chefs. Pour Vispé, — en zend Viçpa, — nul doute, c’est bien le mot tout ou tous. Une opinion conciliable avec les propositions émises fait du Vispered, — Viçparatu en zend, — une collection de prières liturgiques pour tous les temps, ou bien adressées à tous les chefs des différentes classes d’êtres. En effet, les deux premiers cardés du Vispered sont une énumération de chefs ou premiers : — J’invoque et je célèbre le premier des cieux, le premier de la terre, le premier des êtres aquatiques, le premier des animaux terrestres, la première des grandes productions, le premier des êtres brillants et intelligents, le premier des Tchengréghatchats saints, purs et grands, etc.

Dès ces premiers chapitres du Vispered, les modifications du texte éclatent aux yeux. D’abord, l’invocation adressée au premier des Tchengréghatchats ne saurait être que postérieure à Zoroastre, puisqu’elle célèbre le nom d’un contemporain du législateur, qui fut sinon son ennemi, du moins son contradicteur. Il est presque certain également que le deuxième cardé du Vispered n’était, à l’origine, que la formule d’une invocation ; ce furent les scribes qui, modifiant le texte, ajoutèrent aux mots : Je te fais iescht, ce complément : avec ce zour, et avec ce barsom. Faire iescht, pour le mazdéen, c’était rendre hommage à quelque supériorité, la reconnaître, la célébrer, l’invoquer, la prier en un mot. L’auteur du Vispered n’avait fait qu’énumérer une série d’êtres supérieurs ; les prêtres prirent le texte primitif, la prière simple, pour l’approprier aux besoins matériels de leur culte. J’invoque, avait dit Zoroastre, le premier des cieux... Les destours dirent : avec ce zour, avec ce barsom, je prie le premier des cieux... Le barsom est un faisceau de branches flexibles que le prêtre tient à la main pendant qu’il officie ; le zour, c’est l’offrande que le fidèle apporte et dont le prêtre vit. Il y a le zour de lait, le zour de viande, le zour de hom ou liqueur fermentée, enivrante. La libation est l’un des actes principaux du sacrifice ; le zour de hom, essentiellement liturgique, doit être présenté jour et nuit. Le zour de viande ne peut être mangé que par le prêtre. Cet impôt clérical, en nature, n’est pas l’œuvre de Zoroastre ; l’obligation inscrite au Vispered de ne prier qu’avec le zour et le barsom n’appartient pas au législateur des mazdéens.

Les trois premiers livres de l’Avesta, — Vendidad, Izeschné et Vispered, — forment, réunis, un tout appelé Vendidad-Sadé, c’est-à-dire pur.

Le quatrième livre de l’Avesta, — Sirozé, — est un recueil de prières spéciales adressées aux esprits présidant aux trente jours. Chaque prière porte le nom de l’esprit auquel le jour est consacré ; l’invocation s’adresse à l’esprit, non au jour.

Les trente jours du Sirozé étaient-ils l’ensemble d’une période de temps déterminée, se renouvelant sans cesse, sorte de mois, par exemple, se succédant sans interruption ? ou bien ces trente prières étaient-elles collectionnées pour offrir au mazdéen une sorte d’office, de trentaine, semblable à l’octave, à la neuvaine catholique ? ou encore, l’ensemble de ces oraisons ne portait-il le titre numératif de Sirozé que pour indiquer qu’elles devaient être dites, dans l’intérêt des morts, trente jours après leur décès ? Ces trois opinions ont été émises.

Le cinquième livre de l’Avesta, — Yescht, — est un ouvrage purement liturgique. Il comprend dix-huit morceaux qui sont des actes de foi, des indications de cérémonies, des formules de contrition. A la collection du Yescht primitif sont venues s’adjoindre successivement des prières, des déclarations, des ordonnances qui formaient, écrites en zend, en pehlvi ou en parsi, des espèces d’opuscules indépendants : les Néaeschs, les Patets, les Afrins, les Œfergans, les Nekah, les éloges des cinq gahs du jour, les Nérenghs et les Tahvis. Le recueil qui contient tous ces morceaux réunis au Yescht est désigné sous le titre de Yeschts-Sadés. C’est un mélange incohérent de toutes sortes d’œuvres appartenant à toutes les époques, à toutes les fantaisies.

On y trouve une franche profession de foi : La pure loi des mazdéens, la loi excellente, droite, juste, que Dieu a envoyée aux peuples, est certainement celle que le pur Zoroastre a apportée ; — des préceptes hygiéniques : Il faut se lever au gâh gochen (avant le soleil), défaire et remettre le kosti (ceinture) en restant sur le même tapis où l’on a dormi ; ensuite se laver les mains et le visage ; — des imprécations, avec l’attitude que doit avoir l’imprécateur ; les gestes par lesquels il éloignera les démons, les magiciens, les ennemis. On y lit enfin un acte de contrition : Ormuzd, roi, je me repens de tous mes péchés, j’y renonce. Je renonce à toute mauvaise pensée, à toute mauvaise parole, à toute mauvaise action ; à ce que, dans le inonde, j’ai pensé, ou dit, ou fait, ou cherché à faire, ou commencé de mal. Pour ces péchés de pensée, de parole, d’action, ô Dieu, ayez pitié de mon corps et de mon âme, dans ce monde et dans l’autre.

Toutes ces paroles sont modernes, essentiellement. Le fond moral seul est zoroastrien. Les pensées du législateur de l’Iran sont demeurées très amples, malgré la torture que les prêtres leur ont imposée pour les rapetisser, pour les faire tenir dans leur cerveau. Zoroastre s’était élevé contre le anal, déclarant que le mal pouvait s’accomplir par l’action, par la parole et par la pensée ; il voulait que ses disciples fussent attentifs à étouffer dans son germe toute œuvre humaine néfaste ; mais en même temps qu’il épurait l’esprit de l’Iran, le législateur entendait assainir l’Iranien lui-même, et il ordonnait aux hommes des pratiques usuelles indispensables. Le mazdéen devait, chaque matin, en se levant, secouer sa ceinture, afin que la vermine en fût expulsée. Les prêtres qui vinrent après Zoroastre firent de cet acte fort simple une véritable cérémonie. De telles modifications, et de lettre et d’esprit, abondent dans l’Avesta.

Le monument élevé par Zoroastre est couvert de moisissures, de parasites, évidemment ; mais il existe presque entier, presque intact, sous cette couche épaisse de sottises et de mensonges que les siècles ont déposée sur l’œuvre primitif.

Un autre livre, — le Boundéhesch, — qui ne fait pas partie des livres liturgiques, traite principalement de l’origine des êtres et de la distribution de l’univers. Peut-être l’auteur, ou les auteurs de cette cosmogonie ont-ils fait leur œuvre des débris de livres zends où la parole de Zoroastre aurait été écrite ? Ainsi s’expliquerait alors le titre même de l’ouvrage, qui signifie donné dès le commencement, dès l’origine. Le Boundéhesch est traduit en huzvârèche, c’est-à-dire en un idiome excessivement mélangé. La traduction du Boundéhesch en huzvârèche daterait du moyen-âge. Il est certain que le Boundéhesch est moderne ; il cite, comme chose ancienne, l’Avesta et la loi de Zoroastre ; il appelle Roum l’Asie de l’ouest et du nord-ouest ; il parle de la dynastie des Aschkanides et de la fin des Sassanides, ce qui ne permet plus de le considérer comme antérieur au septième siècle de notre ère ; et s’il ne nomme ni Alexandre, ni Mahomet, on ne saurait en conclure positivement que l’auteur vécût avant eux. Là où tant d’interpolations se rencontrent, continuelles, très importantes, très audacieuses, quoi de plus simple à concevoir qu’une suppression ?

Le Boundéhesch est divisé en trente-quatre parties, ayant chacune un objet spécial, ordinairement indiqué par les premiers mots du chapitre. Œuvre moderne, il résume plutôt qu’il n’interprète l’ancienne loi, mais il fait partie intégrante de ce qui doit être connu des mazdéens. L’auteur du Boundéhesch, cela est éclatant, n’avance rien qui ne soit digne du grand législateur dont il continue la mission. Le premier chapitre du Boundéhesch dit l’ordre de la création première et définit la loi : Le Zend nous apprend que l’Être a d’abord été donné à Ormuzd et à Péetiaré Ahriman, ensuite comme le monde a été donné depuis le commencement jusqu’à la fin, au rétablissement des corps ; qu’Ormuzd, très haut, était avec la Science souveraine, avec la pureté, dans la lumière du monde. Ce trône de lumière, ce lieu habité par Ormuzd est ce qu’on appelle la Lumière première, et cette Science souveraine, cette pureté, productive d’Ormuzd, est ce qu’on appelle la Loi. Le Boundéhesch réédite la Loi, il coordonne tout ce qui était incohérent, il achève, pour ainsi dire, tout ce qui devait être achevé. C’est le nouveau testament des mazdéens.