Les Iraniens, Zoroastre (de 2500 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE II

 

 

L’Iran historique. - Le Kurdistan. - L’Aderbeidjan. - Le lac Ouroumiyeh. - Le Ghilan. - Le Mazendéran. - Le Dahistan. - Le Khorassan : Mesched, Nichapour, Merw. - La Bactriane : Balkh. Le Zarafchan. - La Sogdiane. - Samarcande. - Le Seistan : le lac Hamoun, l’Helmend. - L’Afghanistan : Caboul, Djellalabad. - Le Bélouchistan. - Le golfe Persique, le Tigre et l’Euphrate. - Le Kirman. - Le Farsistan. - La Susiane. - L’Irak-Adjemi. - Le grand désert de Khaver. - Climats. - Flore et faune iraniennes. - Pierres précieuses.

 

L’IRAN, historique proprement dit, limité à l’ouest par les monts Zagros, à Test par les monts Soliman et l’Indus, au sud par le golfe Persique, n’a pas, au nord, de frontières absolues. Les versants orientaux des monts Zagros forment le Kurdistan. L’Aderbeidjan s’insère entre les monts Zagros, la Géorgie et la mer Caspienne, ayant au centre Tabris ; à l’ouest, le lac Ouroumiyeh qui reçoit et qui garde les eaux des monts environnants. Des grondements volcaniques sourdent de toutes parts, de fréquents jets de naphte se rencontrent dans cette province : Aderbeidjan veut dire terre de feu.

Le Ghilan, entre l’El-Bourz et la mer Caspienne, comprend la pointe extrême sud-ouest du grand lac, formant ainsi la moitié de la limite orientale de l’Aderbeidjan. Ghil, Ghilan, Ghilanat, veut dire boues, vases, contrée marécageuse. L’hiver y est doux ; les chaleurs de l’été y sont mortelles. Les maisons de pierre, si elles ne sont pas couvertes d’une couche de roseaux tassés, ne résistent pas à l’étonnante humidité de l’air. En septembre les pluies commencent ; elles sont souvent interrompues par un vent chaud, le Badiguern, qui vient de l’ouest et dessèche les marais en quelques heures. Les villes du Ghilan ont été plusieurs fois détruites par des incendies succédant au vent Badiguern. Le Ghilan, très boisé, a tous les arbres européens. D’après Gmelin, le ver-à-soie y serait indigène. La végétation ghilanienne est d’une vigueur extraordinaire.

Le Mazendéran continue le Ghilan à l’est, entre la mer Caspienne et l’El-Bourz. L’air y est très malsain. C’est le pays des méchantes eaux. La végétation du Mazendéran est admirable ; les cueillettes d’oranges et de citrons y sont particulièrement abondantes ; la flore, toute européenne, y colore délicieusement le printemps. Le Dahistan, l’ancienne Hyrcanie, continue et finit le Mazendéran marécageux à l’est.

Le Khorassan actuel se divise en Khorassan occidental et en Khorassan oriental ; la séparation conventionnelle passe entre Mesched et Hérat. L’aire géographique générale du Khorassan va du sud-est de la mer Caspienne jusqu’à l’Hindou-Koush, c’est-à-dire du Dahistan au Ghorat. En réalité, le Khorassan englobe la Parthie, qui confinait à l’Hyrcanie ; la Carmanie, au sud de la Parthie ; la Margiane, au nord de l’El-Bourz, et cette partie de l’Iran qui, au sud de la Bactriane, avait le nom général d’Arie. La ville de Mesched, près de l’antique Nichapour, est le point central du Khorassan occidental, comme Hérat est la ville principale du Khorassan oriental. Dans ce que l’on pourrait appeler le Khorassan septentrional, l’antique Merw, ou Marw, attire puissamment le regard de l’historien. Le vieil Iran vit encore tout entier dans cette région. De Téhéran à Mesched-Nichapour, de Mesched à Merw, de Merw à Hérat, les routes font un grand triangle dans lequel s’inscrit le Khorassan iranien.

De Téhéran à Mesched, le voyageur a l’El-Bourz à sa gauche, très haut. Des collines successives, à sa droite, lui cachent le grand désert salé de l’Iran central. Ce ne sont que plaines arides, oasis délicieuses, eaux saumâtres, plaques stériles, cultures charmantes ou champs pierreux, suivant que l’El-Bourz se dresse abrupte ou qu’il laisse s’échapper et se répandre les eaux bienfaisantes d’un torrent. C’est là que gisent les mines de turquoises tant célébrées. Pour les Persans, Nichapour fut un paradis ; rien n’égalait la fraîcheur de ses matinées, le parfum de ses roses et l’abondance de ses eaux limpides. De Nichapour à Mesched, le terrain montagneux s’ombrage de saules, de mûriers et de peupliers énormes. Dans la plaine, parfois argileuse, croissent des vignes, des abricotiers et des pêchers dont les fruits sont renommés. Les eaux se précipitant des montagnes se creusent, dans le roc, des lits profonds dont les parois ont la verticalité d’un mur. Des cascades assourdissantes arrosent, çà et là, des noyers gigantesques. A l’orient de Mesched, ce ne sont plus que de grands espaces stérilisés.

Merw, ou Marw, est sur la lisière méridionale du grand désert de Turkomanie, au bord du Mourghab qui vient de l’Hindou-Koush et va se perdre dans les sables. Les bords du Mourghab, couverts de roseaux et d’arbustes, sont peuplés de cygnes, de pélicans, d’oies et de canards ; les perdrix, les lièvres et les gazelles y abondent ; on y voit les traces fréquentes des incursions des chacals et de la puissante voracité des sangliers. Le climat de Merw est relativement bon : un printemps frais, légèrement pluvieux ; un été chaud, qui devient torride lorsque souffle le vent d’est ; des brouillards d’automne ; un mois neigeux en hiver. Les vents du nord-ouest y sont d’une grande violence.

La Parthie, ou Parthyène, à l’extrémité occidentale du Khorassan, était bornée au nord par l’Hyrcanie, à l’est par l’Arie, au sud par la Carmanie déserte, à l’ouest par la Médie. Des extrêmes de chaleur et de froid y sévissaient : Tandis que la neige infeste les montagnes, une ardeur torride dévore les plaines, dit Justin.

Au nord-est du Khorassan occidental est la Bactriane qui appartenait vraisemblablement à l’Arie. Balkh, l’antique Bactra, sur la rivière Balkhab ou Bactrus, est considérée par les Orientaux comme la ville la plus ancienne du monde. La plaine environnante fut célébrée pour la richesse de ses cultures.

Entre l’Oxus et l’Yaxartès coule le Zarafchan, qui passe à Samarcande et va finir à Bokhara. Peut-être ce fleuve allait-il se jeter autrefois dans le grand lac Caspien. La terre que traverse le Zarafchan, toute sablonneuse, bien irriguée, se montre prodigue et retient les nomades reconnaissants. C’est l’antique Sogdiane, qui comprenait toute la région entre Balkh et Bokhara. La Sogdiane était limitée au sud par la Bactriane, à l’ouest par les déserts de la Bokharie, au nord par le cours du Zarafchan, à l’est par le versant occidental des monts qui vont au plateau de Pamire. La Sogdiane méridionale était en Iran, historiquement ; le Touran commençait à Samarcande, l’antique Maracanda.

La province de Seistan est la limite orientale de l’empire persan actuel. Le grand lac Hamoun sépare la Perse de l’Afghanistan. Les historiens orientaux affirment que tout le Seistan fut jadis sous l’eau et qu’on l’appelait Haïtoumat, la contrée lumineuse. Le lac, incapable de contenir toutes les eaux qui venaient à lui, et qu’il laissait se répandre, était le tributaire de sept rivières. Alors, le lac Hamoun était une mer et avait nom Pouytika. Dans les temps modernes, le lac Hamoun reçoit les eaux du Heroud, ou Haroud et du Fourrahroud, ou Farra-coud, au nord, et de l’Helmend, ou Helmendou, ou Hirmend, à l’est. Peut-être l’Helmend s’est-il approprié toutes les eaux des autres fleuves ; ou bien, le lac Hamoun s’est-il desséché en partie et les fleuves qui s’y jetaient sont-ils devenus des rivières affluant à l’Helmend.

L’Helmend actuel a sa source près de Caboul. Après un cours de 200 milles environ en montagnes, le fleuve traverse des plaines cultivées, tantôt guéable et tantôt débordant. Le cours de l’Helmend se modifie continuellement. Les sables qu’il entraîne obstruent ses bouches,.exhaussent son lit et le forcent ainsi à changer de voie. Le lac Hamoun, qu’il alimente, soumis à ses caprices, change de place également. Le souvenir d’une sorte de mer Hamoun comblée par les alluvions des fleuves qui s’y jetaient, a fait naître une légende : Le roi Djemschid, après avoir vu la contrée lumineuse toute sous l’eau, força les démons, au nombre de quarante mille, à transporter, de la Bactriane au Seistan, des sables dont il se servit pour combler la mer. Le triste Seistan perdra bientôt son grand lac, qui n’existe presque plus, et l’Helmend s’efface.

L’Afghanistan, qui sépare la Perse impériale de l’Inde anglaise, est limité au nord par le Khorassan oriental et l’Hindou-Koush, au sud par le Bélouchistan. La partie afghane du grand Iran est difficile à délimiter. Les cartes modernes placent dans l’Afghanistan, tout le Caboulistan, le Ghorat, le Kandahar et même le Seistan. Caboul serait au nord-est de l’Afghanistan ainsi tracé. Les étés y sont délicieux ; l’hiver y commence dès octobre, et la neige tombée, abondante, glacée, ne fond pas avant mars. Il suffit de s’éloigner un peu de Caboul pour trouver des sites où le froid ne sévit jamais.

Caboul communique avec Balkh par des cols de passage qui sont à 12 et 13.000 pieds de hauteur. Sa route vers l’Inde n’a qu’une seule issue ; les voyageurs qui s’y aventurent, en nombre, plus guerriers que marchands, donnent à la caravane annuelle l’importance d’une expédition armée. C’est la voie solitaire et rugueuse du Gomal ; c’est la passe de Khyber, qui mène de Djellalabad à Péchaver, avec ses sentiers étroits côtoyant le flanc des montagnes, ses lits de torrents qu’une pluie soudaine peut gonfler en emportant les voyageurs, ses tremblements de terre, ses chutes soudaines de rochers, ses éboulements continuels.

Djellalabad, sur la route de Caboul à Péchaver, à une distance presque égale de ces deux villes, est sur la rive droite de la rivière de Caboul, au centre d’une plaine bien cultivée et qu’entourent des montagnes couvertes de pins et d’amandiers. Lorsque l’hiver étreint Caboul, Djellalabad jouit d’un climat délicieux ; en été, au contraire, Djellalabad est un intolérable séjour.

L’Afghanistan moyen, ou central, très sec, reçoit au printemps de lentes pluies dues à l’évaporation des neiges. En automne, la mousson indienne du sud-ouest, arrêtée par les Himalayas, s’engouffre dans la longue vallée de Caboul et vient, avec ses nuages que poussent les vents d’est, violenter le pays. La température, très variable, reste saine. Au sud, ni les neiges de l’Hindou-Koush, ni la mousson indienne n’apportent une seule heure de fraîcheur à de grandes terres que brûle un implacable soleil. Tous les climats possibles sont donc représentés en Afghanistan. La végétation y est cependant européenne. Ce sont, dans les plaines, des mûriers, des saules, des platanes, des peupliers, de la vigne, et toutes les fleurs de nos jardins ; sur les montagnes croissent des pins, des chênes, des cèdres, des noyers, des bouleaux et des houx.

Au sud de l’Afghanistan, du Kirman au Sinde et au golfe Persique, s’étend le Bélouchistan formé d’une partie de l’antique Arachosie à l’est, d’une partie de la Carmanie à l’ouest et de toute la Gédrosie, qui est le Mekran actuel. Les chaleurs y sont meurtrières depuis la fin de mars jusqu’au commencement d’octobre. Des forêts de palmiers productifs attirent et retiennent des hommes sur cette terre épouvantable.

Le golfe Persique, qui sépare l’Iran de l’Arabie a, d’abord, une série de côtes formant la limite sud du Bélouchistan ; il prend, ensuite,une direction nord-ouest complète, et cette seconde partie est presque fermée par l’avancée d’une terre arabique, en pointe.

Au fond du golfe se jettent le Tigre et l’Euphrate, qui se sont réunis à Kornah dans le Schat-et-Arab. Les eaux se séparent au sud de Bassorah, en trois canaux. Cette embouchure, qu’il faudrait actuellement appeler fourche et non delta, est de formation récente. Le golfe, jadis, pénétrait dans les terres assyriennes plus profondément, et les deux grands fleuves se perdaient dans la mer à une distance de plus de vingt lieues l’un de l’autre : Ce sont, avec les alluvions du Tigre et de l’Euphrate, les apports du Gyndès (le Kerah ou Kerkhak) et du Khoaspés (l’Eulœus ou Caroun) qui ont créé de nouveaux terrains ; ces deux rivières, qui viennent maintenant grossir le Schat-el-Arab, allaient autrefois à la mer directement. Le Schat-el-Arab continue son œuvre ; le rivage, d’ailleurs, s’avance toujours.

La côte sud-ouest de l’Iran longeant la mer Persique est divisée en trois provinces : le Kirman à l’est, le Chusistan à l’ouest, et le Farsistan entre les deux. Le Kir-man, c’est la Carmanie antique, bornée au sud par la mer, à l’ouest par la Perside, à l’est par la Gédrosie, au nord par la Parthie ; le nom de Carmanie s’appliquait en effet à toutes ces immenses terres désolées qui se répandaient sur l’Iran, depuis la mer jusqu’aux plaines méridionales de l’El-Bourz moyen. Et comme le, désert le plus horrible s’étalait au milieu de ce territoire, on divisait la grande Carmanie, en Carmanie déserte, celle du nord, et Carmanie proprement dite, au sud. Le Kirman actuel, pris entre le Bélouchistan et le Farsistan, à sa partie maritime divisée en petites provinces : le Moghistan, le Germasir et le Laristan. Le port de Bender-Abassy est en Moghistan. Les chaleurs du Kirman sont littéralement insupportables. Une fièvre violente, le Houmma-y-gach, y sévit, qui rend fou. Un vent spécial, le Bad-Sémoun, ou Samyel, ravage la côte.

A Bender-Abassy commence aussitôt le désert. Cependant, des quelques montagnes qui sont au nord descendent des torrents dont les eaux très pures arrosent des jardins où mûrissent l’orange, la prune, et l’olive. Non loin de là se rencontrent d’abondantes sources sulfureuses, des eaux amères, dans un terrain pierreux, désolant, surchauffé.

A l’ouest du Kirman, c’est l’ancienne Perside, le Pars, Fars, ou Farsistan, qui se divisait en trois zones : la zone méridionale, très chaude, très sèche, stérile ; la zone moyenne, très fertile, couverte de troupeaux gras ; la zone septentrionale, montueuse, inculte, rebelle à l’homme. Le sud du Farsistan, voué à d’atroces chaleurs, taché de marais puants, inhabitable, abonde en insectes tourmentants, en reptiles venimeux, en araignées énormes et dangereuses.

De Bouchir à Bender-Abassy, la côte, basse, sans végétation, est coupée de ruisselets minces dont les eaux saumâtres ne pourraient être bues. Des entassements de roches formées de grandes coquilles à l’état siliceux y font des chaos. De grands espaces couverts d’une croûte blanche, salée, attristent le regard.

Dans la zone moyenne du Farsistan, très favorable à l’homme, généreuse en productions, se trouve, environnée de montagnes hautes et nues, la plaine où Chiraz fut bâtie. Là, croissent en pleine terre des orangers, bien qu’au sud les sommets du Kotali-Piré-Zend se couvrent de neige en hiver. La végétation du Farsistan est purement arabique jusqu’à Firouzabad, où les palmiers cessent. Les vallées du Kotali-Piré-Zend sont plantées de chênes.

La Susiane, à l’ouest du Farsistan, en est séparée par le Tab, ou Pasitique, l’antique Oroatès, ou Oroatis. La Susiane, très chaude, fut toujours fertile ; de nombreuses eaux la sillonnent de toutes parts. La ville d’Ispahan, au nord-est, termine la Susiane, au milieu d’une plaine riche que traverse le Zendehroud, simple ruisseau devenu fleuve par la volonté d’Abbas-le-Grand. Au sud-est d’Ispahan le désert central commence. Les pluies sont extrêmement rares à Ispahan ; le climat, d’une égalité charmante, ne permet pas aux orangers, ni aux oliviers, et encore moins aux palmiers d’y vivre ; les fruits d’Europe y sont abondants et délicieux. Le ciel d’Ispahan est d’une admirable pureté.

Au Nord du Farsistan et du Chusistan s’étend l’Irak-Adjemi, dont Hamadan est la ville centrale. Ce serait, à grands traits, l’ancienne Médie aux plaines très fertiles et nourrissant des chevaux de grande race. Cette Médie fructueuse, c’est bien l’Irak-Adjemi actuel, qui dé-passe peu Kaswin au nord. On comprend quelquefois sous le nom de Médie, tout l’Irak-Adjeini et tout l’Aderbeidjan. La Médie supérieure, l’Aderbeidjan actuel, portait le nom d’Atropatène, province montueuse et froide. La Médie proprement dite, c’était bien et exclusivement l’Irak-Adjemi, que traversent, en le mamelonnant, des ramifications de l’El-Bourz et des monts Zagros ; où se développent, avec peine, des espaces plats, sablonneux, altérés, absorbant les eaux de toutes les rivières qui en approchent. Un climat assez tempéré y respecte de beaux pâturages. Au nord est Téhéran, sur un terrain formé de laves, de pierres ponces, de roches brûlées, aux pieds même du pic de Damavand, ce cratère couvert de neige. Les environs de Téhéran, monotones, sont vite, au sud, un désert absolu. Hamadan, l’ancienne Ecbatane peut-être ? vante ses arbres superbes et ses jardins ombreux.

Au sud immédiat de Téhéran est une plaine triste que de basses collines trachitiques semblent limiter. Au delà de ces mamelons, commence le grand désert salé de Kaveir, ou Khaver. Les déserts du Kirman joints aux implacables solitudes de Khaver, stérilisent les trois-dixièmes du sol persan. Au centre de cette immense désolation, une sorte d’oasis persistante, — Yezd — permet des relations directes entre le nord et le sud de l’Empire persan.

L’Iran antique était à l’orient de ce grand désert. Il n’existait, alors, ni Médie, ni Susiane, ni Perside, ni Kirman, ni Mekran. Balk était, avec Merw, le centre de cet Iran restreint, qui ne comprenait qu’une partie du Seistan actuel au sud, ne dépassait guère Rhagès à l’ouest, et pouvait aller jusqu’à l’Oxus au nord. Au sud de Rhagès et de Hérat, à l’ouest du cours inférieur de l’Helmend, la frontière iranienne touchait la vaste solitude de Khaver. Ce grand désert central, avec ses -marécages salins, ses dépressions caractéristiques, ses rivages encore dessinés, prouve l’existence, là, d’une ancienne mer intérieure. Longtemps encore après les pluies, les caravanes n’osent pas s’aventurer sur ce terrain. On voit, à deux journées de Téhéran, une tour isolée que la tradition désigne comme la ruine d’un ancien phare. Le village de Myboud, près de Yezd, est une vieille ville maritime avec des vestiges de quais.

Les continuels bouleversements du sol iranien que tourmentent les feux souterrains, les vastes espaces couverts de coquilles, les eaux presque partout chargées de sel, sont de bons témoignages en faveur d’une mer intérieure disparue. Les preuves historiques, moins positives, ne donnent que peu d’éléments d’appréciation. L’expédition maritime que Kaous-Cambyse dirigea dans une mer de seize à dix-sept cents lieues, suivant Firdousi, ne désigne pas suffisamment la mer iranienne, puisque le chroniqueur affirme que le voyage dura trois mois, et que Kaous, naviguant, avait à sa gauche le pays d’Egypte, à sa droite le pays des Berbers, l’expédition faisant route entre les deux côtes. Ces détails s’adapteraient admirablement à la mer Rouge ; ils se heurtent à des impossibilités lorsqu’on essaie de les appliquer à l’antique mer de Khaver, qui, si elle fut, n’a été que très large, et excluant en conséquence la pensée d’une navigation longue entre deux côtes.

Mais ce que l’historien doit dire, c’est que l’Iran ne fut jamais qu’une succession de territoires différents placés autour d’une sorte de méditerranée formelle, et n’ayant entre eux que de très restreintes relations. Les destinées de l’Iran seront surtout influencées par cet obstacle étendu au milieu même du grand plateau. Que cet obstacle soit dit mer de Khaver comme autrefois, ou désert de Khaver, comme aujourd’hui ; que Yezd, et Chubis, et Hormusabad, qui sont des oasis, aient été ou non des îles, il est certain que l’Iran ne fut pas, pour l’humanité, un champ propice à la formation d’un groupe national. Les Iraniens des quatre frontières devaient être plus près, ou de la Turkomanie, ou de la Mésopotamie, ou de l’Arabie, ou de l’Inde, qu’ils ne l’étaient du groupe iranien leur faisant face.

La Perse est caractérisée par la diversité des climats. Presque partout, à quelques heures de distance seulement, de profondes modifications s’accusent. A l’est de l’Iran, Caboul se dépeuple l’hiver en faveur de Djellalabad, et les habitants de Djellalabad, en été, vont à Caboul ; au nord de Téhéran, à quatre heures de marche, les roses ne fleurissent qu’en mai ; à l’ouest, aux pieds des monts Zagros, un coup de vent suffit pour substituer une saison à une autre ; au sud, les indigènes chassés de la côte par l’air irrespirable qui s’y accumule, trouvent vite le froid en se déplaçant un peu vers le nord.

Il serait impossible de définir, dans une synthèse unifiée, le climat persan ; les variétés de température, insaisissables, défient les règles ordinaires d’appréciation. Ce qui se généralise en Perse, en Iran, c’est la lumière, avec son grand rôle d’excitant. Mais le soleil veut de l’eau pour agir, et l’eau manque. Peu de rivières ; aucune qui soit réellement navigable dans toute son étendue ; aussi l’aménagement des eaux est-elle la préoccupation continuelle des Iraniens.

Les insectes iraniens, qu’il importe de regarder, sont rigoureusement classés, maintenant, dans le type européen des bords de la Méditerranée. Les mœurs de ces infiniments petits sont des indications très instructives. Telle de ces bestioles qui vit sur les bords de la mer, remonte les rives des fleuves, mais seulement jusques au point où les marées cessent d’affluer ; là, lui succède un autre type, de même espèce, ne quittant jamais le voisinage des eaux douces. Dans la même famille, un individu qui a son habitat dans les forêts, ne consent pas à venir vivre sur un sol découvert, pendant qu’un autre vit continuellement sur un chemin battu, et qu’un troisième ne quitte pas sa prairie. La ténacité de l’insecte fait de l’entomologie une science très importante pour l’historien. Combien d’hommes de toutes races ont passé, là où l’insecte demeure, comme un témoin. La région entomologique du Caucase, comprend la Russie méridionale, la Géorgie, la Circassie, l’Arménie turque et persane, une partie des steppes des Kirghises et le pays situé entre la mer Caspienne et l’Iran. C’est au sud immédiat de cette région que s’étend, de Gibraltar aux Himalayas, la région Europeo-Méditerranéenne à laquelle appartient l’Iran. Cependant, autour du désert de Khaver se rencontrent des insectes venus du nord, de l’est et du sud, et il en résulte une certaine indécision pour l’observateur superficiel. C’est que le désert de Khaver est un terrain neutre, un vide, où s’aventurent, curieux ou étourdis, hommes et bêtes, des individus venus de toutes parts, iraniens ou non.

Il en est ainsi des coqs et des poules, encore à l’état sauvage dans le Dekhan indien, qui se sont répandus en Perse, si nombreux, si vivants, qu’une origine iranienne leur fut assignée. La gent ailée de l’Iran est surtout européenne. On voit, sous le ciel bleu, en été, des bandes d’oiseaux aquatiques désertant les lacs indiens ; ces émigrants ne font que passer, se dirigeant vers l’Asie centrale, redoutant l’Iran européen. Les chiens et les chats, célèbres en Perse, viennent de l’Afghanistan. Les écureuils, innombrables en Arménie et dans le Kurdistan, y sont d’une insolence proverbiale. Le porc-épic, spécialement iranien, se sait chez lui. L’aire du dromadaire à bosse unique ne dépasse pas, à l’est, le Khorassan ; là commence le chameau à deux bosses, originaire de la Bactriane, croit-on.

Au nord de l’El-Bourz, le cheval est superbe, la race du bison au garrot bossu se fait remarquer par sa vigueur ; mais le bœuf ordinaire, les cerfs, les élans et les sangliers sont petits. Les moutons, purement européens, se multiplient rapidement en Perse. De grands troupeaux d’hémiones hantent les plateaux de la haute Asie, descendent parfois dans les steppes turkomanes. L’onagre, qui vint jusqu’en Asie mineure jadis, se cantonne maintenant au septentrion de l’Hindou-Koush.

Par sa flore et par sa faune, l’Iran se trouve réellement sur le grand équateur zoologique, l’équateur de contraction de Jean Reynaud qui passe entre l’Europe et l’Afrique, traverse la dépression de la mer Morte, les déserts de Syrie, de la Perse et de Kobi, et se prolonge entre les deux Amériques ; mais avec cette particularité, que l’ouest, le nord, l’est et le sud de l’Iran, radicalement séparés par la mer ou désert de Khaver, et confinant à la Mésopotamie, à la Turkomanie, à l’Inde et à l’Arabie, participent, dans une mesure appréciée, à la vie animale et végétale de régions absolument étrangères à l’Iran.

Les montagnes de l’Iran recèlent du cuivre, du plomb et du fer, mais peu ; quelques traces d’argent du côté de l’Inde ; de l’or vers le nord-est, mais loin. Des marbres blancs et gris. Presque partout du soufre. Des sels mélangés d’argile couvrent des espaces immenses, sous la forme de croûtes d’un gris sale, ou d’efflorescences neigeuses. Les déjections volcaniques, très abondantes, décomposées, donnent de grands dépôts de kaolin. En pierres précieuses, l’Iran offre des lazulites d’un azur splendide, des saphirs blancs et bleus, des rubis, des améthystes, des topazes jaunes, rouges, laiteuses et brunes. Des turquoises magnifiques, minérales, de vieille roche, abondent dans le Khorassan, sur les monts de Taft, près de Yezd et en Farsistan.