Inde védique (de 1800 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXV

 

 

Luttes sacerdotales. - Les brahmanes emportent les dieux. - Soumission des seigneurs. - Le Ciel, séjour des élus. - Le corps et l’âme. - La mort, délivrance. - L’âme immortelle. - Les générations humaines. - Destinées diverses de l’âme. - Funérailles d’un guerrier. - La vie céleste. - Les sept péchés. - Premier code. - Incursions de Dasyous. - Combats pour la gloire.

 

BIEN qu’admis dans le corps sacerdotal, les prêtres nouveaux, servant avec persistance les vues de princes, s’appliquent à ruiner l’influence des prêtres anciens. Par des menées hypocrites, les traîtres sont devenus un danger sérieux. Le dieu Soma est le confident des vieux brahmanes, qui dénoncent au dieu les hommes à double voie. Les projets des seigneurs étant mis à nu, le conflit éclate. Le dieu invincible, qui a mille ressources, va venir pour le combat que les prêtres doivent livrer. Mais les jeunes prêtres se sont appropriés le dieu Soma, qui les protège visiblement. Aussitôt, les vieux bardes relèvent les autels d’Agni. Que pourront, contre le divin Agni, patron et sauveur, de misérables insensés ! La puissante trinité védique est reconstituée. Trois autels se dressent dans l’enceinte sacrée : un pour Agni, le feu terrestre ; un pour Sourya, le feu céleste ; un pour Vâyou, le feu aérien. Indra, feu-foudre, manifestation spéciale du grand principe igné, se chargera de punir les faux prêtres, dont la conduite est oblique, et de frapper les princes injustes. Pour qui le peuple, pour qui Poûrou se prononcera-t-il ? — Sous le nom de Manou, les poètes védiques entendaient l’humanité tout entière, depuis son commencement jusqu’à sa fin ; Poûrou, mot de même sens que Manou, mais plus restreint, désigne seulement la masse aryenne, le peuple par excellence, la nation védique. — Poûrou se déclare pour les prêtres, contre les seigneurs ; Agni, l’antique roi, se manifeste en faveur de Poûrou, demeuré fidèle.

L’attitude énergique des anciens prêtres menacés, leur a valu le concours du peuple. Cela ne suffit plus aux brahmanes. Les ministres des dieux, pour terminer leurs peines, pour consolider leur avenir, veulent démontrer aux princes la nécessité des sacrificateurs. Ils partent, fuyant les centres de population, emportant les divinités, laissant leurs adversaires comme dans un vide effroyable, en proie aux clameurs populaires, aux Aryas épouvantés, privés de culte et de dieux. Les princes ne tardèrent pas à se soumettre ; on les vit bientôt, chevauchant sur les routes, se rendre vers les brahmanes qui avaient emporté le trône du sacrifice, dit le Rig-Vêda.

La rivalité des prêtres et des princes, aspirant à la direction du peuple, étant flagrante, il importait de ne rien négliger ; c’est pourquoi, à ce moment, les chantres, signant leurs œuvres, se complurent à détailler leur généalogie, à prouver leur noblesse. La poésie sacrée est énergique. L’émotion, violemment ressentie, persiste après-le danger. Les bûchers d’Agni, de grandes dimensions, flambent dés l’aube, faisant le jour avant le soleil.

Pour enchaîner le peuple à l’autel et lui faire supporter patiemment cette lourde chaîne, les prêtres lui ont promis une vie céleste. Quelle sera cette existence ? Un poète ébauche vigoureusement le ciel védique, demeure définitive des dieux immortels, siège de la lumière éternelle, origine et base de tout ce qui est, séjour de joie constante, de plaisirs sans fin, où les désirs s’accomplissent dès qu’ils naissent, où l’Arya fidèle vivra d’une éternelle vie.

Dés que le ciel védique fut conçu, en tant que séjour divin habitable à l’homme, la question se trouva posée de savoir comment l’homme pourrait s’élever si haut, et comment, avec ses facultés restreintes, il serait capable de vivre une vie céleste sans fin. Est-il possible que le corps humain, qui tient si fermement à la terre, prenant son essor, devenu léger comme un nuage, traverse l’espace pour se rendre de lui-même à la merveilleuse cité des dieux ? Il faudrait qu’un miracle s’accomplît. Or, ce miracle ne s’est jamais produit visiblement. Serait-ce donc que le séjour divin est encore sans hôte ? Sans miracle, quel corps humain peut perdre son propre poids ? De ce mystère, de cette pensée vague surgit, en quelque sorte, la préoccupation positive des destinées de la matière après la mort, de la survivance d’une partie de l’être.

Le corps humain abandonné par la chaleur vivifiante, — car c’est par le froid que vient la mort, — tombe en rapide décomposition, se désagrège, se fait pourriture, se répand, par la liquéfaction ou l’évaporation, dans la terre et dans l’air. Est-il possible que ce corps, fait de matières appartenant à la nature, seulement prêtées, et qui doivent retourner au grand fonds, est-il possible que ce corps, reconstitué, réchauffé, envoyé aux cieux, y demeure éternellement ? Ce miracle, toujours répété, finirait par appauvrir la terre, par l’amincir jusqu’à l’effacement, puisque le ciel s’emplirait, s’encombrerait de matières prises à la terre et qui devaient y revenir par la mort. Non, cela ne saurait être, le ciel ne peut pas voler la terre. La terre, sous peine de destruction, a le droit de revendiquer, de défendre son bien, de le reprendre. Et, en fait, la terre, qui reprend les corps après la vie, les garde, les absorbe. S’il en est ainsi, comment l’Arya digne de la vie céleste promise, pourra-t-il s’élever de bas en haut, pénétrer dans le séjour divin, y vivre avec son évidente personnalité, alors que son corps aura positivement cessé de lui appartenir ?

En attendant la solution philosophique des problèmes posés, les prêtres imaginent une ingénieuse théorie : Le corps humain frappé de froid, mort, retourne en entier aux éléments divers qui participèrent libéralement à sa formation. Les rayons du regard, matière lumineuse, sont repris par le soleil ; le souffle, prêté par les airs, retourne aux airs ; le sang, sève universelle, va vivifier les plantes ; les muscles et les os, réduits en poussière, redeviennent terreau. L’œil retourne au soleil ; le souffle retourne à Vâyou ; le Ciel et la Terre reçoivent chacun ce qui leur est dû ; les Eaux et les Plantes reprennent les parties du corps humain qui leur appartenaient. Le cadavre de l’homme est dispersé, les matières qui composaient le corps ‘vivant, privées de chaleur vitale, retournées au grand Tout, serviront à former d’autres corps ; rien n’est perdu, rien n’est pris par le ciel.

Et cependant l’Arya mort saintement recevra sa récompense ; il s’élèvera vers les hauteurs inaccessibles ; il jouira de sa glorification. Comment cela ? Voici : La peau n’est que l’enveloppe du corps, et lorsque Agni, le dieu chaud, abandonne le moribond, il respecte l’enveloppe corporelle, peau et muscles. Les chairs, sous la peau, ne sont que matières épaisses, grossières, constituant une seconde enveloppe vouée au travail, assujettie à des fonctions déterminées. Sous cette double enveloppe de la peau et du corps, il y a l’homme vrai, l’homme pur, l’homme proprement dit, émanation divine, susceptible de retourner aux dieux comme le regard de l’œil retourne au Soleil, le souffle à l’Air, la chair à la Terre. Cette Âme, après la mort, revêtue d’un corps nouveau, lumineux, brouillard resplendissant, de forme éclatante et que son éclat même dérobe à la vue faible des vivants, cette âme est transportée au divin séjour. Si le dieu a été satisfait des offrandes de l’Arya frappé de mort, il vient lui-même donner l’enveloppe lumineuse dans laquelle l’âme sera transportée. Un hymne exprime rapidement la même pensée sous la forme d’une prière : Développe, ô dieu, tes splendeurs, et donne au mort, ainsi, le corps nouveau dans lequel l’âme sera transportée à ton gré !

L’exaltation de l’âme fait le mépris du corps. L’âme pure, noble, immortelle, voilà l’être vrai, émané du dieu créateur et que le dieu conservateur protège ; le corps, enveloppe impure, grossière, mortelle, n’est qu’un vêtement prêté par le soleil, par l’air, par la terre, avec l’obligation de restituer le prêt après la vie. Cette restitution inévitable s’opère dans la pourriture et l’infection. Ce corps misérable n’attend pas toujours l’échéance fatale ; il retourne à ses origines, parfois, partiellement, avant !le terme assigné ; des membres se désagrègent, pourrissent du vivant même de l’homme. Les exigences de ce corps sont souvent insupportables ; innombrables sont ses besoins impérieux. La faim et la soif ne manifestent pas seulement son despotisme ; ses plaisirs ont la rigueur d’une nécessité. Ce corps méprisable tient l’âme prisonnière, il l’avilit. La mort est donc une délivrance.

Les premiers hymnes védiques demandaient aux dieux, pour l’Arya, une pleine quiétude, une longue vie ; vivre cent années était le vœu principal du suppliant. Les brahmanes pensèrent que l’Arya, sacrifiant son corps à son âme, renoncerait facilement aux jouissances terrestres, pourvu que l’interminable vie d’en haut lui fût assurée ; et qu’ainsi s’établirait la domination du prêtre, maître des âmes, dispensateur des gloires célestes. Malgré l’ingénieuse théorie de l’âme immortelle, et bien que les prêtres promissent le séjour des dieux aux âmes courageusement fidèles, l’Arya hésitait à mépriser sa chair jusques à en désirer l’anéantissement par la mort. L’insouciance gaie du peuple, persistante, se refusait à ce sacrifice. L’Arya aimait la vie, telle qu’elle était, avec ses ennuis et ses joies. La vie et la mort se succèdent, dit un hymne, l’important est de rire, de danser, d’obtenir une existence prolongée.

Mais ces accents joyeux vont en s’affaiblissant de plus en plus. L’idée de l’âme immortelle attriste l’Arya. Les prêtres affirment que la vie terrestre n’est qu’une épreuve ; que la générosité des dieux ne se manifeste qu’après la mort, puisque la mort seule permet à l’âme, délivrée, de se rendre au séjour des immortels. La vie terrestre de l’homme, courte, soumise à des lois fatales, n’est qu’une petite scène du grand drame cosmique, un imperceptible détail dans le grand Tout matériel. Les générations humaines viennent, passent, et reviennent, se succédant avec une inexorable uniformité, comme se succèdent les jours, les plus jeunes remplaçant les plus anciens.

Il est dit que les matières dont se composent les corps humains sont empruntées aux matières semblables formant le ciel, l’air et la terre. Une génération d’hommes représente une certaine quantité de ces matériaux. Ce prêt généreux fait à Manou, au fils de l’homme, doit être limité. Si les corps vivants vivaient toujours, et si, par les naissances, les générations s’accumulaient, tout ce qui est ciel, air et terre, disparaîtrait. Cela ne saurait être. Cela n’est pas. Il n’y a de matières disponibles que pour quatre générations d’hommes simultanées. L’Arya ne peut pas vivre plus de cent ans. Il est nécessaire que la génération la plus ancienne restitue les matières qu’elle détient, pour que de nouveaux corps puissent naître à la vie. C’est un renouvellement perpétuel, une énorme roue tournante, qui ne s’arrête jamais.

L’âme vivifie donc la matière faite homme ; et lorsque sa mission est accomplie, elle retourne au sein de dieu pour recevoir la récompense promise. Le nombre des âmes, sans être absolument limité, est connu des dieux. Le séjour céleste ouvert définitivement à une âme, c’est sa glorification suprême. Les divinités témoignent de plusieurs manières leur satisfaction. Une âme peut, restant à la terre, y jouir d’une félicité suffisante, relative aux mérites qu’elle eût. C’est une joie déjà grande, pour telle âme qui vient d’abandonner un corps, que d’être admise à vivifier un corps nouveau, supérieur au corps ancien, maintenant détruit, qu’elle habitait. Par exemple, l’âme d’un guerrier mort sera fière de passer dans la chair d’un brahmane.

Un noble sentiment de dignité humaine résiste aux effets de cette innovation. L’Arya ne peut pas se résoudre à traiter comme matière vile ce beau corps que l’âme vient de quitter. Le respect des chairs inanimées, très marqué, se manifeste dans un hymne qui est une belle oraison funèbre : Un guerrier vient de mourir, frappé par le temps. Ses parents entourent le cadavre qu’ils soulèvent, chacun, suivant sa force, le soutenant de ses mains, pendant que de pieuses femmes l’oignent de beurre. Les matrones qui ornent le corps du trépassé, exemptes de larmes et de maux, sont choisies parmi celles qui ont encore leurs maris. La veuve, qui se doit aux fils du guerrier, concentrant tous ses souvenirs dans cette survivance, retournera auprès d’eux aussitôt que les funérailles seront achevées. Elle retrouvera celui qui n’est plus dans les enfants qui lui ont été laissés, elle qui fut la digne épouse du maître auquel elle s’était donnée. Le chantre prend dans sa main l’arc du guerrier qui, dit-il, fit la force, la gloire et la prospérité de la nation. Il parle au peuple assemblé, faisant du mort un exemple : Puissiez-vous, ô jeunes hommes, être, comme l’était ce kchatriya, vaillants et triomphateurs des ennemis superbes. Il invoque la terre, toujours jeune, large et bonne, qui s’étend au loin, la suppliant d’être douce comme un tapis pour ce corps inerte qu’elle va recevoir. L’ensevelissement se fait avec précaution. Un tertre est formé sur la fosse comblée. La terre s’est comme soulevée d’elle-même pour ne point blesser les ossements du mort ; prévenante et douce, elle enveloppe l’Arya, comme une femme enveloppe son enfant d’un pan de sa robe ; elle a pour ce cadavre un baiser maternel. Ce spectacle est triste ; il fait éclore de sombres pensées. Qu’est-ce donc que la vie, dans la splendide nature ? C’est à peine une plume liée au sort de la flèche, et qui va, impuissante, là où le trait l’emporte. Mais le chantre s’est tu : Il ne veut pas avilir l’homme, il ne veut pas décourager ceux qui l’écoutent. La tombe doit montrer sa proie comme un exemple, et non pas dire, de sa bouche noire et profonde, le peu qu’est la vie et son inutilité.

La seconde existence, là-haut, deviendra, cependant, suivant les intentions du prêtre, la grande préoccupation des Aryas. Le brahmane, unique interprète des volontés divines, dira comment on gagne et comment on perd le ciel. La vie éternelle étant la récompense d’une conduite religieusement exemplaire, les dieux repoussant l’Arya qui a péché, il appartenait aux prêtres de définir ce qui plaisait et ce qui déplaisait aux dieux. Ils établirent donc sept règles de conduite. Franchir un seul de ces sept cercles rigoureux, c’était devenir pécheur.

Il y eut sept fautes, sept péchés capitaux fermant le ciel aux âmes. Le Rig-Vêda ne les énumère pas rigoureusement. Les commentateurs des hymnes védiques disent que l’Arya pouvait pécher par excès de boire et de manger ; par la femme, consentante ou violentée ; par la chasse ; par la colère active (danda), ou s’échappant en simple parole (pârouchyam). Plus tard, le vol, le sacrilège, la profanation de l’autel, le meurtre d’un prêtre, la fréquentation des gens vicieux et l’assassinat feront perdre le droit au ciel. Le fait dominant, c’est que, pour la première fois, les brahmanes viennent de préparer un code, de trouver sept manières différentes de pécher gravement et d’indiquer les conséquences des fautes commises. Le pécheur impénitent sera privé d’une seconde vie très heureuse dans le séjour des dieux immortels.

Tous les prêtres, ayant la même politique, suivaient la même voie, prêchaient la même croyance, obéissaient à la même inspiration. A défaut de gouvernement central, l’unité aryenne, détruite, ne pouvant pas se reconstituer, la nouvelle théorie religieuse, partout prêchée, devenue l’unique préoccupation du peuple, était un lien intellectuel capable de reformer la nation. L’idée nouvelle se propageait avec une étonnante rapidité.

Les Aryas entreprenaient des voyages longs, difficiles, dangereux, dans un but d’intérêt personnel. Les tentations d’un commerce lucratif étaient seules capables d’attirer l’Arya hors de sa famille, de lui faire traverser les forêts infestées de brigands, les larges déserts ; de le jeter, par les fleuves descendus, sur la mer vaste. Des routes existaient, que les voyageurs suivaient, menés par des guides, et il y avait des navires que des pilotes conduisaient. Le commerce aryen était donc terrestre et maritime. En trafiquant, les Aryas de tout le territoire védique échangeaient leurs idées, et c’est ainsi qu’une pensée principale devenant commune, les divers groupes aryens se reliaient, au moins en esprit.

Les incursions des Dasyous sur la terre védique, continuelles, devenaient d’autant plus fréquentes et dommageables que les Aryas s’enrichissaient. Quelques expéditions contre ces brigands prirent de l’importance. Les brahmanes, qui commençaient à avoir la notion de l’État, qui devenaient très princes dans le gouvernement des hommes, songeaient à refaire l’unité aryenne sur un champ de bataille étendu. Les hymnes déclarent qu’il ne suffit plus d’éloigner les Dasyous de la frontière ; qu’il faut frapper les impies. Ces Dasyous insolents, battus, repoussés, n’ont-ils pas l’audace de revenir toujours ? Le dieu doit anéantir ces loups. L’heure est venue de les attaquer, car les voici nombreux, rapides, armés, brandissant leurs haches, menaçants, terribles, poussant de sauvages clameurs. Le danger étant visible, certain, grandissant à chaque minute, exigeant de grandes précautions, les prêtres s’assemblent autour de l’autel où la libation de soma est préparée ; et c’est après en avoir délibéré, qu’ils s’écrient : la divinité qui fit le monde et la lumière du jour ; qui, plusieurs fois, déjà, sauva Manou, le fils de l’homme, en arrêtant le Dasyou ; le dieu Soma, enfin, déclare qu’il veut exterminer la race noire. — Que l’on verse donc largement les liqueurs enivrantes, que les offrandes abondent sur l’autel, afin que l’ennemi superbe, vaincu, livre ses dépouilles.

La bataille étant décidée, les brahmanes chantent le dieu Soma, aux belliqueuses ardeurs, semblable au buffle qui a aiguisé ses cornes, au kchatriya qui va s’emparer des troupeaux. Mais Soma, substitué à l’antique Agni, n’est pas la divinité des combattants qui ont conservé le culte du dieu fort, porte-foudre, brillant et retentissant.

Devant le peuple, les prêtres invoquent Soma ; mais ils ne célèbrent qu’Indra devant les guerriers.

Les hymnes au dieu-libation, au dieu populaire, se distinguent des chants au dieu-foudre, par la simplicité de l’expression, par la naïveté des images, par la spécialité des vœux formulés. On demande à Soma la joie de vivre, au sein de son amitié, heureux comme des vaches dans une prairie ; de s’assembler en paix comme le font les troupeaux autour des puits. Les invocations au dieu porte-foudre, à l’Indra tonnant, sont brutales. L’intervention de la divinité puissante n’est pas douteuse ; le chantre ne la réclame pas, il l’affirme. L’hymne composé pour les guerriers ne saurait être une prière. Le poète voit le dieu, prêt à combattre, armé, victorieux, ayant la foudre dans sa main droite, dirigeant ses coursiers aux œuvres diverses. Indra détruit les armées ennemies, rien qu’en secouant les poils de sa barbe bleue. Il n’est pas de ces divinités qui se vantent de terrasser les impies et ne font rien ; lui, dans le combat, quand le moment terrible est arrivé, il se manifeste par ses prouesses. Il va droit au formidable qui dort en sécurité, au fond de sa caverne ; il le prend par le pied, le frappe et le jette au loin.

Les deux races ennemies sont en présence. Les premiers coups démontrant une force supérieure du côté des Dasyous, une panique fait du désordre dans le camp des Aryas. Les uns, effrayés, veulent qu’une suprême invocation appelle les dieux au secours de la race aryenne menacée ; d’autres pensent qu’une attaque vigoureuse vaudra mieux que mille prières. Les premiers réclament un immense holocauste ; les seconds sont comme prêts à blâmer cette manifestation puérile.

Les deux armées se heurtent à la frontière même du Sapta-Sindhou, sur les bords de la Sarasvati, dont les ondes opulentes sont un rempart donnant la sécurité. L’audace des prêtres promettant la victoire réveille toutes les convoitises, toutes les ambitions. Il semble que les dépouilles de l’ennemi vaincu vont être bientôt partagées.

Cependant les mœurs aryennes se sont assez modifiées, pour que l’espoir d’un riche butin ne soit plus l’unique cause de l’entraînement général. Un sentiment de pure gloire anime les guerriers. Être applaudi devient une récompense désirable. La gloire, c’est d’entendre, après la bataille, devant le peuple assemblé, la femme du héros proclamer fièrement les vaillantes prouesses du combattant victorieux. Une belle épouse est heureuse, dit un hymne, quand elle rend un hommage public à son bien-aimé.