Première caste sacerdotale : les Asclépiades. - Prêtresses. - Culte théâtral. - Musique. - Les Orphiques. - Médecine et Chirurgie. - Ex-voto. - Hallucinations et miracles. - Protestation de Théognis. - Premiers philosophes : Parménide, Empédocle, Zaleucus, Phérécyde, Anaximandre, Anaximène, Héraclite, Diogène, Mélyssus, Zénon, Philolaüs, Pythagore. - Xénophane. LES prêtres, — oracles, vaticinateurs, prophètes, sorciers, devins, — se sont emparés de la chair plus que de l’esprit. — J’ai entendu un reproche dans mes songes, dit un chœur des Euménides, et ce reproche a pénétré dans mon flanc, dans mon cœur, dans mon foie. — La chair, troublée ou séduite, fut enchaînée ; l’esprit demeura libre. C’est pourquoi il y eut des sacerdoces en Hellénie, des sanctuaires, des divinités, et pas de religion. Les Grecs-Aryens iront aux prêtres, avec des offrandes dans les mains, les questionnant, et les écoutant, et ils orneront les autels dressés, et ils bâtiront des temples, et ils sculpteront des statues ; mais, pas plus ici que dans l’Inde, l’idée de l’autel mystérieux, dans le temple fermé, du prêtre omnipotent et entretenu, du dieu réel représenté et adoré, ne prévaudra. La théurgie grecque n’apparut que longtemps après la chute de Troie ; elle ne se manifesta bien qu’en Hellénie, dans les temples où les dieux de la médecine trônaient. La première caste sacerdotale fut celle des Asclépiades d’Épidaure. Les temples d’Esculape avaient des archives qui étaient la collection des traitements et des guérisons. C’est le commencement de l’art médical grec. L’intervention des femmes dans l’exercice des cultes helléniques s’imposa, parce qu’elle répondait, en même temps, au désir des Aryens et des Asiatiques. Les Aryas ne concevaient rien de complet, sans la présence et l’action de la femme ; aux Asiatiques, — prêtres et devins, — les femmes étaient indispensables, puisque c’est par elles qu’ils attiraient et corrompaient. Dés l’installation du sanctuaire de Junon à Argos, des prêtresses y furent appelées à exercer le sacerdoce. Les mêmes éplorées qui, chaque année, à Byblos, fêtaient la résurrection d’Adonis, mélangeant les caresses aux sanglots, vinrent en Hellénie se consacrer au culte d’Apollon. Les ménades, qui mirent en pièces Penthée, parce qu’il s’opposait aux splendeurs du culte de Bacchus, étaient des femmes. Les femmes grecques assisteront aux jeux helléniques, distribuant leur admiration ; les femmes asiatiques resteront auprès des autels, aux environs des temples, sur les chemins, comme en Assyrie. Les fêtes nocturnes de Bacchus, inaugurées par Thémis, la chaste fille d’Ouranos, dit un hymne orphique, tournèrent en orgies sacrées, et l’on vit les vierges du premier autel, prêtresses, se prostituer. Ainsi, les blanches aurores védiques devinrent ces Érynnies poursuivantes, ces destructrices des races, ces chiennes furieuses, devant lesquelles Oreste fuyait. Les offrandes pour les sacrifices nourrissant les sacerdotes, on apaisait la colère des dieux en apportant aux prêtres et aux prêtresses des viandes et du vin. On obtenait par de pieuses générosités, les faveurs divines, inépuisables, contagieuses. Les faveurs des dieux, dira Pindare, s’appellent et naissent l’une de l’autre. Comme en Israël, le trône du dieu, l’autel, fut un refuge plus sûr qu’une tour, qu’un ferme bouclier. Les supplications, pour être efficaces, durent se manifester publiquement. Un peuple qui s’est humilié devant lui-même appartient aux prêtres. Le rite était formulé. C’est en élevant des rameaux, entrelacés de bandelettes de laine blanche, que les suppliants essayaient de fléchir les dieux. La mimique était réglée. Ô amies, avec le vent des lamentations, agitez vos mains autour de vos têtes, et faites le bruit des rames... Des gâteaux de fleur de farine, offerts sur des mains trempées dans l’eau de la purification, garantissaient contre les calamités ; — les libations, de vin ou de miel et d’eau, apportées à la lueur de torches brillantes, attiraient l’attention divine ; — le sang des victimes et les eaux lustrales, répandus, effaçaient la honte ; — l’égorgement du porc expiatoire suffisait pour réhabiliter le plus criminel. Oreste, qui avait offert ce sacrifice, pouvait parler ainsi : Le sang s’est assoupi et s’est effacé de ma main, et la souillure du meurtre de ma mère a disparu. Les prêtres se multipliant, les offrandes devenant coûteuses, il fallut une satisfaction compensatrice au peuple, appelé d’ailleurs à partager avec les prêtres la pompe des sacrifices et la graisse des victimes. L’organisation d’un culte théâtral répondit à cette nécessité. La musique intervint, chant d’un virtuose d’abord, chœurs populaires ensuite. Les rites chantés allèrent jusqu’aux clameurs immenses des fidèles exécutant un cantique. Depuis l’hymne de deuil, — le linus, — l’hymne lugubre, jusqu’aux chansons du couros, ou banquet sacré, joyeux, qui terminait les fêtes, comme une action de grâces, le peuple participait de la voix aux cérémonies, et cela lui était une jouissance suprême. Dans les processions solennelles, où figuraient les prêtres vêtus d’habits dorés, faisant retentir les sacrés tambours, les fidèles priaient tout haut, avec des modulations savantes. La musique, à ce moment, supplanta la poésie ; les aèdes religieux, si importants jadis, s’effaçaient, disparaissaient devant les chanteurs. L’épopée et l’élégie, théâtrales, avaient remplacé l’hymne, totalement. Ceux qui persistaient, les sectateurs d’Orphée, — les Orphiques, — conservant la pure tradition aryenne, continuant l’Aède de Piérie, étaient dédaignés. Ils détenaient cependant la morale antique, le vrai culte aryen, avec leur Bacchus primitif, leur Dionysus Zagreus, le chasseur des âmes, exigeant de ses prêtres la décence extérieure, qui est la manifestation de la dignité, et l’exercice de la souffrance, l’ascétisme épurant, et qui marchaient vêtus de lin blanc, symbole de leurs aspirations saintes. Le dieu de ces hommes, le Jupiter orphique, c’était l’Indra des Védas, né de lui-même, circulant au milieu des êtres, roi des rois, solidement imaginé, tout sculpté : Car le dieu est établi sur le ciel d’airain, dans un trône d’or, les pieds posés sur la terre, la main droite étendue au loin vers les limites de l’Océan, large ébauche de la statue qui habitera les temples futurs. Le temple, la maison de la divinité, ne sera, comme en Asie, qu’un prétexte à l’édification de l’entrepôt où les administrateurs de la fortune du dieu, les prêtres, déposeront leurs trésors. Le grand amour de l’or accumulé, entassé, thésaurisé, l’aveuglante passion de l’enrichissement indéfini, essentiellement asiatique, a envahi les Hellènes. On verra les prêtres de Delphes, du sanctuaire national, servir les ambitions de princes étrangers, capables de payer les services rendus au détriment de la commune patrie. Les temples dédiés à Esculape, dont les principaux étaient ceux d’Épidaure en Péloponnèse, de Pergame en Asie-Mineure, de Cos en mer Egée, de Cyrée en Libye, ne furent d’abord que des cliniques ; l’art de la médecine s’y exerça noblement, avec attention et méthode. Les remèdes, dont les formules nous sont connues, bien appropriés aux maladies, témoignent d’une connaissance exacte du corps humain. Les médecins sacrés savaient les dangers du sang ; ils pratiquaient la saignée. Chaque médication, semble-t-il, était précédée d’une diète savante, rigoureusement ordonnée. C’est pendant ce jeûne obligatoire, que les prêtres, — les asclépiades, — exerçaient leur culte. Les malades et les souffreteux, préalablement affaiblis, passant la nuit dans le temple, voyaient des serpents ramper autour de l’autel, assistaient à des apparitions sinistres. La voix du dieu se faisait entendre le matin. Les prêtres venaient écouter la voix, expliquaient les songes, et distribuaient les remèdes. D’étonnantes fourberies s’alliaient à l’exercice réel d’une médecine suffisante. Dans des bassins pleins d’eau, on montrait aux malades la divinité, réflexions d’images très habilement projetées ; ou bien, sur le mur, passaient des silhouettes de feu, fantastiques. Parfois la nuit, dans le temple, les prêtres lâchaient un hibou emportant une étoupe enflammée. Ces jeux terrifiants avaient pour but de faire croire à l’existence d’un mauvais esprit, que chassaient les asclépiades guérisseurs. De là les purifications, — ablutions, fumigations, bains minéraux, etc., — et les sacrifices expiatoires, et les abondantes offrandes. Esculape était le héros devant qui la maladie et la douleur fuyaient. Les fièvres de toutes sortes étaient la maladie principale en Hellénie. Dans son résumé des causes de la mort, Pindare nous donne à ce sujet un document positif : Les liens de la vie sont rompus, dit-il, par le fer tranchant, ou brisés par la pierre que la fronde a lancée ; ici des feux brûlants ont desséché la source du sang ; là c’est un froid mortel qui glace les ressorts de l’âme. Les asclépiades guérissaient par les moyens intérieurs et extérieurs. Ils pratiquaient la chirurgie ; dans leurs mains, le fer mortel devenait l’instrument de la vie. Les autres dieux, les autres prêtres pour mieux dire, n’avaient que la ressource des oracles. A Dodone, des vases, des trépieds, des statuettes, des armes, des pièces d’armures et des bijoux de bronze, entassés, témoignaient de la piété des dévots. Cet entassement même constituait le trésor du dieu, servait aux pratiques sacerdotales. Le tas, heurté, donnait des vibrations sonores se répercutant et que l’on interprétait. Des plaques de métal, couvertes d’inscriptions, appendues aux murs, exprimaient la gratitude des pèlerins exaucés. Plus tard, les monuments votifs se multiplièrent à Dodone. Les prêtres y firent bâtir plusieurs temples, un théâtre vaste, admirablement situé, au flanc d’un coteau. A Delphes, le temple marquait le point central des choses, l’axe de la terre, dit Pindare, le nombril du monde, dit Eschyle. L’Apollon delphique est en même temps divinateur, guérisseur, interprète des augures et purificateur des demeures ; il transmet les paroles de son père Zeus. Il écoute les prières, attentif, complaisant, au fond de son sanctuaire parfumé, le front couronné de sa chevelure d’or, aimant la supplication chantée au son des flûtes lydiennes, et laissant à la pythie, épileptique, prise de la maladie sacrée, le soin de dire aux hommes les mots exprimant la volonté divine. Les hommes de tous les lieux
accourus au sanctuaire d’Apollon, pour y adorer
sa gloire, sont plus inquiets que rassurés lorsque, sur son
trépied, la pythonisse bave et rugit. L’oracle de Delphes est qualifié de loucheur ; maison le consulte, chacun à son
rang, chacun à son tour, dans l’ordre marqué par
le sort. Devant le trône fatidique
où s’assied la pythie, au sanctuaire orné de
couronnes où réside le dieu, tous s’humilient. A la veille des
grandes expatriations décidées, au moment des résolutions considérables, quel
Hellène eût osé ne pas questionner l’oracle de Delphes ? Les rivages de Les procédés religieux importés d’Asie, mis en œuvre en Hellénie, avec une intelligence, une ténacité, une audace extraordinaires, eurent pour effet d’amollir les cœurs, de fausser les esprits. Les séductions des cultes orgiaques, éhontés, firent tomber les Grecs dans l’immense filet de Cypris ; l’épouvantement des caprices célestes, le spectacle du despotisme et de l’acharnement des dieux, — tels, qu’Eschyle a pu dire : quand un homme court à sa perte, les dieux l’aident à s’y précipiter, — remplissaient l’Hellénie de lâches et d’hallucinés. Les trois filles du roi Prœtos sont frappées de folie, pour avoir méprisé les mystères de Bacchus ; et l’acte ignominieux par lequel le devin Mélampos égorge le porc expiatoire, en fait couler le sang sur le front des trois vierges, devient un sujet de camée. Des résurrections temporaires s’accomplissent. Achille a été vu près des ruines de Troie, revêtu de ses armures et dansant. Les Dioscures apparaissent aux guerriers, décidant des victoires, prenant part aux batailles, à la tête des armées. Les Érynnies, les filles de la nuit, abominables, ont leurs fêtes et leurs autels ; pour les apaiser, l’Hellénie consent à les qualifier de bonnes filles, et ce sont les Euménides. Le poète Théognis jeta le premier cri de protestation : Non, la divinité n’a marqué aucune règle à notre conduite, aucune route par où l’on soit sûr de gagner la faveur des immortels. Des scélérats jouissent d’une prospérité qu’aucun chagrin ne trouble ; et ceux qui préservent leurs âmes des œuvres du mal, ceux qui aiment la justice, ont néanmoins en partage la pauvreté, mère du désespoir, la pauvreté qui pousse au crime le cœur des hommes. Les Orphiques, ces théologiens poètes pleins de l’esprit aryen, et qui, s’appliquant à la découverte des vérités simples, divinisaient tendrement tout ce que la nature a d’adorable, avaient été poursuivis, traqués, vaincus, détruits par les sacerdotes. Des hommes nouveaux, mus par un désir identique mais employant un autre mode d’action, prirent la succession des Orphiques, décidés à parler haut, et nettement, à marcher au vrai sans hypocrisie, à supprimer les mythes, qui n’étaient d’ailleurs, dans la poésie aryenne, que des mots vivifiés, des vocables agissants. Les Xénophane et les Parménide, cherchant et voulant la vérité sans voiles, furent les premiers philosophes. Malheureusement, la corruption asiatique les avait touchés. — Il faut, dit fièrement Parménide, que tu connaisses tout, et les entrailles de la vérité persuasive, et les opinions des mortels qui ne renferment pas la vraie conviction, mais l’erreur ; et tu apprendras comment, en pénétrant toutes choses, tu devras juger de tout d’une manière sensée. Et le même philosophe, après cet élan vers le vrai, comme las de l’effort accompli, se retourne et va vers l’Olympe : Les coursiers qui m’entraînent m’ont amené aussi loin que me portait mon ardeur ; car ils m’ont fait monter sur la route glorieuse de la divinité, sur cette route qui introduit le mortel savant au sein de tous les secrets. Empédocle, renchérissant sur l’infatuation de Parménide, s’écrie : Salut à vous, mes amis... Je suis pour vous un dieu immortel. Non je ne suis plus un mortel, lorsque je m’avance au milieu d’universelles acclamations, environné de bandelettes comme il convient, couvert de couronnes et de fleurs... Tous viennent recueillir mes oracles infaillibles. Cet ami de la vérité, cet antagoniste des conventions religieuses, des dogmes et des sacerdoces, admettra la métempsycose et fera, de l’homme, une divinité coupable, déchue, condamnée à vivre loin du séjour des immortels, jusqu’à l’expiation. En acceptant ainsi l’idée d’une humanité coupable, le philosophe ne voit pas qu’il la livre à des juges, et par conséquent à des dieux, à des prêtres. Zaleucus, meilleur, bien qu’ayant établi la nécessité de la croyance à l’existence des dieux, proclame en excellents termes la grandeur suffisante d’une âme pure de tout vice : Les dieux, dit-il, ne se réjouissant pas des sacrifices somptueux des méchants, mais des actions justes et honnêtes des vertueux. Phérécyde livre tout au Zeus éternel, existant de toute éternité. — Anaximandre place dans l’infini le principe des choses. — Anaximène, élève de Thalès comme Anaximandre, fait de l’eau le premier principe, l’élément unique. — Héraclite professe que rien de ce qui existe dans le monde n’est stable, que tout y varie, oscillant du plus au moins, du moins au plus. Sceptique et contradicteur, Héraclite est nuageux, mélancolique ; on le nomme l’Obscur. — Anaxagore, de Clazomènes, qui fut le maître de Périclès, voulant s’expliquer les faits, n’admettant pas que rien soit produit, arrive logiquement à reconnaître que rien ne peut s’anéantir ; et quant à l’ordonnance de l’univers : Toutes choses, dit-il, étaient confondues ; l’Intelligence vint qui fit régner l’ordre. Diogène d’Apollonie, le Crétois, disciple d’Anaximène et contemporain d’Anaxagore, affirme un principe unique, sans définition, aboutit à la dualité, et sort d’embarras à l’aide d’une hypothèse. — Mélyssus, de Samos, cherchant la formule de l’Être infini, l’Être de la nature, en arrive à cette déclaration, quant à l’existence des dieux : qu’il est impossible de rien savoir de certain. — Zénon, d’Élée, élève et défenseur de Parménide, l’inventeur de la dialectique, et qui le premier écrivit en prose, fut batailleur et non sceptique. — Philolaüs enfin, de Crotone, ou de Tarente, pressentit et soutint, vingt siècles avant Copernic, le mouvement vrai de la terre ; son maître était Arésos, qui avait peut-être entendu Pythagore. Pythagore, dont Samos et Tyr se disputèrent la naissance, fondateur de l’école des philosophes mathématiciens, alla jusqu’à donner au Nombre toute la valeur d’une divinité : Dieu est un, principe premier, pair-impair... Les pythagoriciens (l’association pythagoricienne), ces maîtres intellectuels de toute l’Italie méridionale, y ayant encouru la haine des tyrans soupçonneux, passèrent en Hellénie et s’unirent nécessairement aux théologiens orphiques délaissés. L’esprit de Pythagore était essentiellement aryen. Son serment ‘philosophique évoquait celui qui a doué l’âme du principe de justice, la source de l’éternelle nature ! La première manifestation de la philosophie hellénique, de Thalès à Socrate (600-400 av. J.-C.), pleine de tentatives ambitieuses et mal réglées, ne devait aboutir qu’au découragement, au scepticisme, à l’art déplaisant des sophistes. Si beaucoup d’élèves, de disciples, et quelques maîtres, furent des aryens, la plupart des philosophes, les principaux, semblables aux nabis d’Israël, de même race qu’eux, se montrèrent égoïstes, remuants, jaloux des prêtres et pas assez courageux pour les affronter, aptes à tout détruire, incapables de rien créer. Xénophane s’élève d’abord contre les divinités, avec une ardeur et une décision remarquables. Ce sont les hommes, dit-il, qui semblent avoir produit ces dieux et qui leur prêtent leurs vêtements, leur voix et leur forme ; les Éthiopiens les représentent noirs et camus, les Thraces avec des yeux bleus et des cheveux roux... Et puis, forgeant son dieu personnel, Xénophane le fait sphérique, Seul et Tout, panthéisme aryen, correct si l’on veut, mais mal présenté, bizarre. Ainsi se formait cette philosophie, à la fois science et art, qui devait se développer en Hellénie, — jeu de lyre sur les fibres les plus intimes de l’âme, — et dont le charme pénétrait, dont l’exercice attirait et retenait, dont s’emplissaient, avides, les cerveaux creux. Chose étonnante, ce goût de spéculation cérébrale réunit, aux bords de l’Ilissus comme au jardin de l’Académie, et les penseurs les plus profonds et les médiocrités les plus banales, sans qu’il soit toujours possible de distinguer, à la lecture comme à l’audition des œuvres résultées de ce contact, l’esprit asiatique, vulgaire, mais ingénieux, et rusé, de l’esprit aryen, élevé, pur, sincère. A la passion grecque, aryenne, de la recherche des causes, du savoir pour savoir, s’est greffée la préoccupation chaldéenne, active, de l’utilisation. Les hypothèses cosmogoniques de Babylone sont en effet, en Grèce, le premier stimulant et la première satisfaction. Le doctrinarisme asiatique intervenant, Thalès affirme la prééminence de l’eau, le principe universel, humide, de la génération. Et il y aura, désormais, autant de cosmogonies que de philosophes. Chacun cherche, de son côté, les lois des corps organisés. Pendant que les philosophes discourent, les prêtres, libres, se servant des dieux, s’emparent de l’humanité. — La prospérité constante des mortels, dira Pindare, est celle que la main des dieux affermit. — Ou bien : Qu’est-ce qu’un homme contre dieu ? — Ou encore : Le temps manque au calcul de l’infini. Prométhée est vaincu, Jupiter l’emporte. Richesses enlevées, demeures dévastées, les plus grandes calamités possibles seront suivies d’une merveilleuse abondance, si Zeus, le dispensateur des biens, veut que cela soit ainsi. Le roi Pélasgos, dans Eschyle, dit ce dogme. L’on entend l’acteur représentant Étéocle, s’adressant au peuple, l’interpeller : Jamais quelqu’un a-t-il vu Jupiter ? — Et le chœur : Jupiter peut changer le mal en bien. Cependant les vieillards, dans la tragédie d’Agamemnon, acceptant le despotisme divin, l’utilisant en consolation, formulent la grande et saine loi : Zeus conduit les hommes dans la voie de la sagesse, et il a décrété qu’ils posséderaient la science par la douleur. Les Orphiques, ces purs ascètes, l’avaient connue et comprise cette admirable formule aryenne. Dédaignant la douleur, les premiers philosophes de l’Hellénie n’ont rien obtenu ; — et le culte a dominé la science, et les prêtres ont supplanté les savants, et Dieu a tout empêché. |